Un autre monde est possible selon André Gorz (et le logiciel libre)

Imago - CC by-nc-saAvant de se donner la mort en septembre 2007, le philosophe et journaliste André Gorz a transmis un dernier texte à la revue EcoRev’, qu’il avait parrainée lors de sa création, intitulé « La sortie du capitalisme a déjà commencé ».

Nous le reproduisons ici pour alimenter le débat, en rappelant que le sous-titre de ce blog stipule que « ce serait l’une des plus grandes opportunités manquées de notre époque si le logiciel libre ne libérait rien d’autre que du code ». Ce texte ayant fait l’objet d’une version remaniée, nous avons choisi de mettre en ligne l’un après l’autre les deux articles, qui bien que très proches, offrent tout de même d’intéressantes nuances.

Extrait de la version remaniée :

Ce qui importe pour le moment, c’est que la principale force productive et la principale source de rentes tombent progressivement dans le domaine public et tendent vers la gratuité ; que la propriété privée des moyens de production et donc le monopole de l’offre deviennent progressivement impossibles ; que par conséquent l’emprise du capital sur la consommation se relâche et que celle-ci peut tendre à s’émanciper de l’offre marchande. Il s’agit là d’une rupture qui mine le capitalisme à sa base. La lutte engagée entre les logiciels propriétaires et les logiciels libres (libre, free, est aussi l’équivalent anglais de gratuit) a été le coup d’envoi du conflit central de l’époque. Il s’étend et se prolonge dans la lutte contre la marchandisation de richesses premières – la terre, les semences, le génome, les biens culturels, les savoirs et compétences communs, constitutifs de la culture du quotidien et qui sont les préalables de l’existence d’une société. De la tournure que prendra cette lutte dépend la forme civilisée ou barbare que prendra la sortie du capitalisme.

Cette sortie implique nécessairement que nous nous émanciperons de l’emprise qu’exerce le capital sur la consommation et de son monopole des moyens de production. Elle signifie l’unité rétablie du sujet de la production et du sujet de la consommation et donc l’autonomie retrouvée dans la définition de nos besoins et de leur mode de satisfaction. L’obstacle insurmontable que le capitalisme avait dressé sur cette voie était la nature même des moyens de production qu’il avait mis en place : ils constituait une mégamachine dont tous étaient les serviteurs et qui nous dictait les fins à poursuivre et la vie a mener. Cette période tire à sa fin. Les moyens d’autoproduction high-tech rendent la mégamachine industrielle virtuellement obsolète. Claudio Prado invoque l’appropriation des technologies parce que la clé commune de toutes, l’informatique, est appropriable par tous. Parce que, comme le demandait Ivan Illich, chacun peut l’utiliser sans difficulté aussi souvent ou aussi rarement qu’il le désire… sans que l’usage qu’il en fait empiète sur le liberté d’autrui d’en faire autant ; et parce que cet usage (il s’agit de la définition illichienne des outils conviviaux) stimule l’accomplissement personnel et élargit l’autonomie de tous. La définition que Pekka Himanen donne de l’Ethique Hacker est très voisine : un mode de vie qui met au premier rang les joies de l’amitié, de l’amour, de la libre coopération et de la créativité personnelle.

Extrait de la version originale :

Pourtant une tout autre voie de sortie s’ébauche. Elle mène à l’extinction du marché et du salariat par l’essor de l’autoproduction, de la mise en commun et de la gratuité. On trouve les explorateurs et éclaireurs de cette voie dans le mouvement des logiciels libres, du réseau libre, de la culture libre qui, avec la licence CC (creative commons) rend libre (et libre : free signifie, en anglais, à la fois librement accessible et utilisable par tous, et gratuit) de l’ensemble des biens culturels – connaissances, logiciels, textes, musique, films etc. – reproductibles en un nombre illimité de copies pour un coût négligeable. Le pas suivant serait logiquement la production « libre » de toute le vie sociale, en commençant par soustraire au capitalisme certaines branches de produits susceptibles d’être autoproduits localement par des coopératives communales.

Ce genre de soustraction à la sphère marchande s’étend pour les biens culturels où elle a été baptisée « out-cooperating », un exemple classique étant Wikipedia qui est en train d’« out-cooperate » l’Encyclopedia Britannica. L’extension de ce modèle aux biens matériels est rendue de plus en plus faisable grâce à le baisse du coût des moyens de production et à la diffusion des savoirs techniques requis pour leur utilisation. La diffusion des compétences informatiques, qui font partie de la « culture du quotidien » sans avoir à être enseignés, est un exemple parmi d’autres. L’invention fabbers, aussi appelés digital fabicators ou factories in a box – il s’agit d’une sorte d’ateliers flexibles transportables et installables n’importe où – ouvre à l’autoproduction locale des possibilités pratiquement illimitées.

Un texte qui pour certains a valeur de référence et que nous souhaitions vous faire partager.

Non seulement André Gorz[1] y annonce par anticipation la crise que nous vivons actuellement (et peut-être aussi les logiques sous-jacentes à la loi Hadopi) mais il nous propose également quelques pistes pour en sortir. Que le logiciel libre soit aujourd’hui un exemple, un espoir et une source d’inspiration aux solutions envisagées n’est en rien étonnant tant nous sommes allés loin dans la privatisation des biens communs et la déshumanisation du monde…

La sortie du capitalisme a déjà commencé (version 2)

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André Gorz – 17 septembre 2007 – EcoRev

EcoRev’ précise : Ce texte qu’André Gorz a terminé d’écrire le 17/09/2007 est une version revue et approfondie de celui écrit pour le manifeste d’Utopia (voir ci-dessous). Rebaptisé pour notre dossier Le travail dans la sortie du capitalisme il a depuis été publié dans son livre posthume Écologica sous le titre La sortie du capitalisme a déjà commencé.

La question de la sortie du capitalisme n’a jamais été plus actuelle. Elle se pose en des termes et avec une urgence d’une radicale nouveauté. Par son développement même, le capitalisme a atteint une limite tant interne qu’externe qu’il est incapable de dépasser et qui en fait un système qui survit par des subterfuges à la crise de ses catégories fondamentales : le travail, la valeur, le capital.

La crise du système se manifeste au niveau macro-économique aussi bien qu’au niveau micro-économique. Elle s’explique principalement par un bouleversement technoscientifique qui introduit une rupture dans le développement du capitalisme et ruine, par ses répercussions la base de son pouvoir et sa capacité de se reproduire. J’essaierai d’analyser cette crise d’abord sous l’angle macro-économique, ensuite dans ses effets sur le fonctionnement et la gestion des entreprises.

L’informatisation et la robotisation ont permis de produire des quantités croissantes de marchandises avec des quantités décroissantes de travail. Le coût du travail par unité de produit ne cesse de diminuer et le prix des produits tend à baisser. Or plus la quantité de travail pour une production donnée diminue, plus le valeur produite par travailleur – sa productivité – doit augmenter pour que la masse de profit réalisable ne diminue pas. On a donc cet apparent paradoxe que plus la productivité augmente, plus il faut qu’elle augmente encore pour éviter que le volume de profit ne diminue. La course à la productivité tend ainsi à s’accélérer, les effectifs employés à être réduits, la pression sur les personnels à se durcir, le niveau et la masse des salaires à diminuer. Le système évolue vers une limite interne où la production et l’investissement dans la production cessent d’être assez rentables.

Les chiffres attestent que cette limite est atteinte. L’accumulation productive du capital productif ne cesse de régresser. Aux États-Unis, les 500 firmes de l’indice Standard & Poor’s disposent de 631 milliards de réserves liquides ; la moitié des bénéfices des entreprises américaines provient d’opérations sur les marchés financiers. En France, l’investissement productif des entreprises du CAC 40 n’augmente pas même quand leurs bénéfices explosent.

La production n’étant plus capable de valoriser l’ensemble des capitaux accumulés, une partie croissante de ceux-ci conserve la forme de capital financier. Une industrie financière se constitue qui ne cesse d’affiner l’art de faire de l’argent en n’achetant et ne vendant rien d’autre que diverses formes d’argent. L’argent lui-même est la seule marchandise que l’industrie financière produit par des opérations de plus en plus hasardeuses et de moins en moins maîtrisables sur les marchés financiers. La masse de capital que l’industrie financière draine et gère dépasse de loin la masse de capital que valorise l’économie réelle (le total des actifs financiers représente 160 000 milliards de dollars, soit trois à quatre fois le PIB mondial). La « valeur » de ce capital est purement fictive : elle repose en grande partie sur l’endettement et le « good will », c’est-à-dire sur des anticipations : la Bourse capitalise la croissance future, les profits futurs des entreprises, la hausse future des prix de l’immobilier, les gains que pourront dégager les restructurations, fusions, concentrations, etc. Les cours de Bourse se gonflent de capitaux et de leurs plus-values futurs et les ménages se trouvent incités par les banques à acheter (entre autres) des actions et des certificats d’investissement immobilier, à accélérer ainsi la hausse des cours, à emprunter à leur banque des sommes croissantes à mesure qu’augmente leur capital fictif boursier.

La capitalisation des anticipations de profit et de croissance entretien l’endettement croissant, alimente l’économie en liquidités dues au recyclage bancaire de plus-value fictives, et permet aux États-Unis une « croissance économique » qui, fondée sur l’endettement intérieur et extérieur, est de loin le moteur principal de la croissance mondiale (y compris de la croissance chinoise). L’économie réelle devient un appendice des bulles spéculatives entretenues par l’industrie financière. Jusqu’au moment, inévitable, où les bulles éclatent, entraînent les banques dans des faillites en chaîne, menaçant le système mondial de crédit d’effondrement, l’économie réelle d’une dépression sévère et prolongée (la dépression japonaise dure depuis bientôt quinze ans).

On a beau accuser le spéculation, les paradis fiscaux, l’opacité et le manque de contrôle de l’industrie financière (en particulier des hedge funds), la menace de dépression, voire d’effondrement qui pèse sur l’économie mondiale n’est pas due au manque de contrôle ; elle est due à l’incapacité du capitalisme de se reproduire. Il ne se perpétue et ne fonctionne que sur des bases fictives de plus en plus précaires. Prétendre redistribuer par voie d’imposition les plus-values fictives des bulles précipiterait cela même que l’industrie financière cherche à éviter : la dévalorisation de masses gigantesque d’actifs financiers et la faillite du système bancaire. La « restructuration écologique » ne peut qu’aggraver la crise du système. Il est impossible d’éviter une catastrophe climatique sans rompre radicalement avec les méthodes et la logique économique qui y mènent depuis 150 ans. Si on prolonge la tendance actuelle, le PIB mondial sera multiplié par un facteur 3 ou 4 d’ici à l’an 2050. Or selon le rapport du Conseil sur le climat de l’ONU, les émissions de CO2 devront diminuer de 85% jusqu’à cette date pour limiter le réchauffement climatique à 2°C au maximum. Au-delà de 2°, les conséquences seront irréversibles et non maîtrisables.

La décroissance est donc un impératif de survie. Mais elle suppose une autre économie, un autre style de vie, une autre civilisation, d’autres rapports sociaux. En leur absence, l’effondrement ne pourrait être évité qu’à force de restrictions, rationnements, allocations autoritaires de ressources caractéristiques d’une économie de guerre. La sortie du capitalisme aura donc lieu d’une façon ou d’une autre, civilisée ou barbare. La question porte seulement sur la forme que cette sortie prendra et sur la cadence à laquelle elle va s’opérer.

La forme barbare nous est déjà familière. Elle prévaut dans plusieurs régions d’Afrique, dominées par des chefs de guerre, par le pillage des ruines de la modernité, les massacres et trafics d’êtres humains, sur fond de famine. Les trois Mad Max étaient des récits d’anticipation.

Une forme civilisée de la sortie du capitalisme, en revanche, n’est que très rarement envisagée. L’évocation de la catastrophe climatique qui menace conduit généralement à envisager un nécessaire « changement de mentalité », mais la nature de ce changement, ses conditions de possibilité, les obstacles à écarter semblent défier l’imagination. Envisager une autre économie, d’autres rapports sociaux, d’autres modes et moyens de production et modes de vie passe pour « irréaliste », comme si la société de la marchandise, du salariat et de l’argent était indépassable. En réalité une foule d’indices convergents suggèrent que ce dépassement est déjà amorcé et que les chances d’une sortie civilisée du capitalisme dépendent avant tout de notre capacité à distinguer les tendances et les pratiques qui en annoncent la possibilité.

Le capitalisme doit son expansion et sa domination au pouvoir qu’il a pris en l’espace d’un siècle sur la production et la consommation à la fois. En dépossédant d’abord les ouvriers de leurs moyens de travail et de leurs produits, il s’est assuré progressivement le monopole des moyens de production et la possibilité de subsumer le travail. En spécialisant, divisant et mécanisant le travail dans de grandes installations, il a fait des travailleurs les appendices des mégamachines du capital. Toute appropriation des moyens de production par les producteurs en devenait impossible. En éliminant le pouvoir de ceux-ci sur la nature et la destination des produits, il a assuré au capital le quasi-monopole de l’offre, donc le pouvoir de privilégier dans tous les domaines les productions et les consommations les plus rentables, ainsi que le pouvoir de façonner les goûts et désirs des consommateurs, la manière dont ils allaient satisfaire leurs besoins. C’est ce pouvoir que la révolution informationnelle commence de fissurer.

Dans un premier temps, l’informatisation a eu pour but de réduire les coûts de production. Pour éviter que cette réduction des coûts entraîne une baisse correspondante du prix des marchandises, il fallait, dans toute la mesure du possible, soustraire celles-ci aux lois du marché. Cette soustraction consiste à conférer aux marchandises des qualités incomparables grâce auxquelles elles paraissent sans équivalent et cessent par conséquent d’apparaître comme de simples marchandises.

La valeur commerciale (le prix) des produits devait donc dépendre davantage de leurs qualités immatérielles non mesurables que de leur utilité (valeur d’usage) substantielle. Ces qualités immatérielles – le style, la nouveauté le prestige de la marque, le rareté ou « exclusivité » – devaient conférer aux produits un statut comparable à celui des oeuvres d’art : celles-ci ont une valeur intrinsèque, il n’existe aucun étalon permettant d’établir entre elles un rapport d’équivalence ou « juste prix ». Ce ne sont donc pas de vraies marchandises. Leur prix dépend de leur rareté, de la réputation du créateur, du désir de l’acheteur éventuel. Les qualités immatérielles incomparables procurent à la firme productrice l’équivalent d’un monopole et la possibilité de s’assurer une rente de nouveauté, de rareté, d’exclusivité. Cette rente masque, compense et souvent surcompense la diminution de la valeur au sens économique que la baisse des coûts de production entraîne pour les produits en tant que marchandises par essence échangeable entre elles selon leur rapport d’équivalence.

Du point de vue économique, l’innovation ne crée donc pas de valeur ; elle est le moyen de créer de la rareté source de rente et d’obtenir un surprix au détriment des produits concurrents. La part de la rente dans le prix d’une marchandise peut être dix, vingt ou cinquante fois plus grand que son coût de revient, et cela ne vaut pas seulement pour les articles de luxe ; cela vaut aussi bien pour des articles d’usage courant comme les baskets, T-shirts, portables, disques, jeans etc.
Or la rente n’est pas de même nature que le profit : elle ne correspond pas à la création d’un surcroît de valeur, d’une plus-value. Elle redistribue la masse totale de le valeur au profit des entreprises rentières et aux dépends des autres ; elle n’augmente pas cette masse[2].

Lorsque l’accroissement de la rente devient le but déterminent de la politique des firmes – plus important que le profit qui, lui, se heurte à le limite interne indiquée plus haut – la concurrence entre les firmes porte avant tout sur leur capacité et rapidité d’innovation. C’est d’elle que dépend avant tout la grandeur de leur rente. Elles cherchent donc a se surpasser dans le lancement de nouveaux produits ou modèles ou styles, par l’originalité du design, par l’inventivité de leurs campagnes de marketing, par la « personnalisation » des produits. L’accélération de l’obsolescence, qui va de pair avec la diminution de la durabilité des produits et de la possibilité de les réparer, devient le moyen décisif d’augmenter le volume des ventes. Elle oblige les firmes à inventer continuellement des besoins et des désirs nouveaux , à conférer aux marchandises une valeur symbolique, sociale, érotique, à diffuser une « culture de la consommation » qui mise sur l’individualisation, la singularisation, la rivalité, la jalousie, bref sur ce que j’ai appelé ailleurs la « socialisation antisociale ».

Tout s’oppose dans ce système à l’autonomie des individus ; à leur capacité de réfléchir ensemble à leurs fins communes et à leurs besoins communs ; de se concerter sur la meilleure manière d’éliminer les gaspillages, d’économiser les ressources, d’élaborer ensemble, en tant que producteurs et consommateurs, une norme commune du suffisant – de ce que Jacques Delors appelait une « abondance frugale ». De toute évidence, la rupture avec la tendance au « produire plus, consommer plus » et la redéfinition autonome d’un modèle de vie visant à faire plus et mieux avec moins, suppose la rupture avec une civilisation où on ne produit rien de ce qu’on consomme et ne consomme rien de ce qu’on produit ; où producteurs et consommateurs sont séparés et où chacun s’oppose à lui-même en tant qu’il est toujours l’un et l’autre à la fois ; où tous les besoins et tous les désirs sont rebattus sur le besoin de gagner de l’argent et le désir de gagner plus ; où la possibilité de l’autoproduction pour l’autoconsommation semble hors de portée et ridiculement archaïque – à tort.

Et pourtant : la « dictature sur les besoins » perd de sa force. L’emprise que les firmes exercent sur les consommateurs devient plus fragile en dépit de l’explosion des dépenses pour le marketing et la publicité. La tendance à l’autoproduction regagne du terrain en raison du poids croissant qu’ont les contenus immatériels dans la nature des marchandises. Le monopole de l’offre échappe petit à petit au capital.

Il n’était pas difficile de privatiser et de monopoliser des contenus immatériels aussi longtemps que connaissances, idées, concepts mis en oeuvre dans la production et dans la conception des marchandises étaient définis en fonction de machines et d’articles dans lesquels ils étaient incorporés en vue d’un usage précis. Machines et articles pouvaient être brevetés et la position de monopole protégée. La propriété privée de connaissances et de concepts était rendue possible par le fait qu’ils étaient inséparables des objets qui les matérialisaient. Ils étaient une composante du capital fixe.

Mais tout change quand les contenus immatériels ne sont plus inséparables des produits qui les contiennent ni même des personnes qui les détiennent ; quand ils accèdent a une existence indépendante de toute utilisation particulière et qu’ils sont susceptibles, traduits en logiciels, d’être reproduits en quantités illimitées pour un coût infime. Ils peuvent alors devenir un bien abondant qui, par sa disponibilité illimitée, perd toute valeur d’échange et tombe dans le domaine public comme bien commun gratuit – à moins qu’on ne réussisse à l’en empêcher en en interdisant l’accès et l’usage illimités auxquels il se prête.

Le problème auquel se heurte « l’économie de la connaissance » provient du fait que la dimension immatérielle dont dépend le rentabilité des marchandises n’est pas, à l’âge de l’informatique, de la même nature que ces dernières : elle n’est la propriété privée ni des entreprises ni des collaborateurs de celles-ci ; elle n’est pas de par sa nature privatisable et ne peut par conséquent devenir une vraie marchandise. Elle peut seulement être déguisée en propriété privée et marchandise en réservant son usage exclusif par des artifices juridiques ou techniques (codes d’accès secrets). Ce déguisement ne change cependant rien à la réalité de bien commun du bien ainsi déguisé : il reste une non-marchandise non vendable dont l’accès et l’usage libres sont interdits parce qu’ils demeurent toujours possibles, parce que le guettent les « copies illicites », les « imitations », les usages interdits. Le soi-disant propriétaire lui-même ne peut les vendre c’est-à-dire en transférer la propriété privée à un autre, comme il le ferait pour une vraie marchandise ; il ne peut vendre qu’un droit d’accès ou d’usage « sous licence ».

L’économie de la connaissance se donne ainsi pour base une richesse ayant vocation d’être un bien commun, et les brevets et copyrights censés le privatiser n’y changent rien ; l’aire de la gratuité s’étend irrésistiblement. L’informatique et internet minent le règne de la marchandise à sa base. Tout ce qui est traduisible en langage numérique et reproductible, communicable sans frais tend irrésistiblement à devenir un bien commun, voire un bien commun universel quand il est accessible à tous et utilisable par tous. N’importe qui peut reproduire avec son ordinateur des contenus immatériels comme le design, les plans de construction ou de montage, les formules et équations chimiques ; inventer ses propres styles et formes ; imprimer des textes, graver des disques, reproduire des tableaux. Plus de 200 millions de références sont actuellement accessibles sous licence « créative commons ». Au Brésil, où l’industrie du disque commercialise 15 nouveaux CD par an, les jeunes des favelas en gravent 80 par semaine et les diffusent dans la rue. Les trois quarts des ordinateurs produits en 2004 étaient autoproduits dans les favelas avec les composants de matériels mis au rebut. Le gouvernement soutient les coopératives et groupements informels d’autoproduction pour l’auto approvisionnement.

Claudio Prado, qui dirige le département de la culture numérique au ministère de la Culture du Brésil, disait récemment : « L’emploi est une espèce en voie d’extinction… Nous comptons sauter cette phase merdique du 20è siècle pour passer directement du 19è au 21è siècle ». L’autoproduction des ordinateurs par exemple a été officiellement soutenue : il s’agit de favoriser « l’appropriation des technologies par les usagers dans un but de transformation sociale ». La prochaine étape sera logiquement l’autoproduction de moyens de production. J’y reviendrai encore.

Ce qui importe pour le moment, c’est que la principale force productive et la principale source de rentes tombent progressivement dans le domaine public et tendent vers la gratuité ; que la propriété privée des moyens de production et donc le monopole de l’offre deviennent progressivement impossibles ; que par conséquent l’emprise du capital sur la consommation se relâche et que celle-ci peut tendre à s’émanciper de l’offre marchande. Il s’agit là d’une rupture qui mine le capitalisme à sa base. La lutte engagée entre les « logiciels propriétaires » et les « logiciels libres » (libre, « free », est aussi l’équivalent anglais de « gratuit ») a été Le coup d’envoi du conflit central de l’époque. Il s’étend et se prolonge dans la lutte contre la marchandisation de richesses premières – la terre, les semences, le génome, les biens culturels, les savoirs et compétences communs, constitutifs de la culture du quotidien et qui sont les préalables de l’existence d’une société. De la tournure que prendra cette lutte dépend la forme civilisée ou barbare que prendra la sortie du capitalisme.

Cette sortie implique nécessairement que nous nous émanciperons de l’emprise qu’exerce le capital sur la consommation et de son monopole des moyens de production. Elle signifie l’unité rétablie du sujet de la production et du sujet de la consommation et donc l’autonomie retrouvée dans la définition de nos besoins et de leur mode de satisfaction. L’obstacle insurmontable que le capitalisme avait dressé sur cette voie était la nature même des moyens de production qu’il avait mis en place : ils constituait une mégamachine dont tous étaient les serviteurs et qui nous dictait les fins à poursuivre et la vie a mener. Cette période tire à sa fin. Les moyens d’autoproduction high-tech rendent la mégamachine industrielle virtuellement obsolète. Claudio Prado invoque « l’appropriation des technologies » parce que la clé commune de toutes, l’informatique, est appropriable par tous. Parce que, comme le demandait Ivan Illich, « chacun peut l’utiliser sans difficulté aussi souvent ou aussi rarement qu’il le désire… sans que l’usage qu’il en fait empiète sur le liberté d’autrui d’en faire autant » ; et parce que cet usage (il s’agit de la définition illichienne des outils conviviaux) « stimule l’accomplissement personnel » et élargit l’autonomie de tous. La définition que Pekka Himanen donne de l’Ethique Hacker est très voisine : un mode de vie qui met au premier rang « les joies de l’amitié, de l’amour, de la libre coopération et de la créativité personnelle ».

Les outils high-tech existants ou en cours de développement, généralement comparables à des périphériques d’ordinateur, pointent vers un avenir où pratiquement tout le nécessaire et le désirable pourra être produit dans des ateliers coopératifs ou communaux ; où les activités de production pourront être combinées avec l’apprentissage et l’enseignement, avec l’expérimentation et la recherche, avec la création de nouveaux goûts, parfums et matériaux, avec l’invention de nouvelles formes et techniques d’agriculture, de construction, de médecine etc. Les ateliers communaux d’autoproduction seront interconnectés à, l’échelle du globe, pourront échanger ou mettre en commun leurs expériences, inventions, idées, découvertes. Le travail sera producteur de culture, l’autoproduction un mode d’épanouissement.

Deux circonstances plaident en faveur de ce type de développement. La première est qu’il existe beaucoup plus de compétences, de talents et de créativité que l’économie capitaliste n’en peut utiliser. Cet excédent de ressources humaines ne peut devenir productif que dans une économie où la création de richesses n’est pas soumise aux critères de rentabilité. La seconde est que « l’emploi est une espèce en voie d’extinction ».

Je ne dis pas que ces transformations radicales se réaliseront. Je dis seulement que, pour la première fois, nous pouvons vouloir qu’elles se réalisent. Les moyens en existent ainsi que les gens qui s’y emploient méthodiquement. Il est probable que ce seront des Sud-Américains ou des Sud-Africains qui, les premiers, recréeront dans les banlieues déshéritées des villes européennes les ateliers d’autoproduction de leur favela ou de leur township d’origine.

La sortie du capitalisme a déjà commencé (version 1)

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André Gorz – 16 septembre 2007 – EcoRev

Ce texte d’André Gorz a été distribué le 16 septembre 2007 à l’université d’Utopia.

La question de la sortie du capitalisme n’a jamais été plus actuelle. Elle se pose en des termes et avec une urgence d’une radicale nouveauté. Par son développement même, le capitalisme a atteint une limite tant interne qu’externe qu’il est incapable de dépasser et qui en fait un système mort-vivant qui se survit en masquant par des subterfuges la crise de ses catégories fondamentales : le travail, la valeur, le capital.

Cette crise de système tient au fait que la masse des capitaux accumulés n’est plus capable de se valoriser par l’accroissement de la production et l’extension des marchés. La production n’est plus assez rentable pour pouvoir valoriser des investissements productifs additionnels. Les investissements de productivité par lesquels chaque entreprise tente de restaurer son niveau de profit ont pour effet de déchaîner des formes de concurrence meurtrières qui se traduisent, entre autres, par des réductions compétitives des effectifs employés, des externalisations et des délocalisations, la précarisation des emplois, la baisse des rémunérations, donc, à l’échelle macro-économique, la baisse du volume de travail productif de plus-value et la baisse du pouvoir d’achat. Or moins les entreprises emploient de travail et plus le capital fixe par travailleur est important, plus le taux d’exploitation, c’est-à-dire le surtravail et la survaleur produits par chaque travailleur doivent être élevés. Il y a à cette élévation une limite qui ne peut être indéfiniment reculée, même si les entreprises se délocalisent en Chine, aux Philippines ou au Soudan.

Les chiffres attestent que cette limite est atteinte. L’accumulation productive de capital productif ne cesse de régresser. Aux Etats-Unis, les 500 firmes de l’indice Standard & Poor’s disposent, en moyenne, de 631 milliards de réserves liquides ; la moitié des bénéfices des entreprises américaines provient d’opérations sur les marchés financiers. En France, l’investissement productif des entreprises du CAC 40 n’augmente pas, même quand leurs bénéfices explosent. L’impossibilité de valoriser les capitaux accumulés par la production et le travail explique le développement d’une économie fictive fondée sur la valorisation de capitaux fictifs. Pour éviter une récession qui dévaloriserait le capital excédentaire (suraccumulé), les pouvoirs financiers ont pris l’habitude d’inciter les ménages à s’endetter, à consommer leurs revenus futur, leurs gains boursiers futurs, la hausse future des entreprises, les achats futurs des ménages, les gains que pourront dégager les dépeçages et restructurations, imposés par les LBO, d’entreprises qui ne s’étaient pas encore mises à l’heure de la précarisation, surexploitation et externalisation de leurs personnels.

La valeur fictive (boursière) des actifs financiers a doublé en l’espace d’environ six ans, passant de 80 000 milliards à 160 000 milliards de dollars (soit trois le PIB mondial), entretenant aux Etats-Unis une croissance économique fondée sur l’endettement intérieur et extérieur, lequel entretient de son côté la liquidité de l’économie mondiale et la croissance de la Chine, des pays voisins et par ricochet de l’Europe.

L’économie réelle est devenue un appendice des bulles financières. Il faut impérativement un rendement élevé du capital propre des firmes pour que la bulle boursière n’éclate pas – et une hausse continue – du prix de l’immobilier pour que n’éclate pas la bulle des certificats d’investissement immobilier vers lesquels les banques ont attiré l’épargne des particuliers en leur promettant monts et merveilles – car l’éclatement des bulles menacerait le système bancaire de faillites en chaîne, l’économie réelle d’une dépression prolongée (la dépression japonaise dure depuis quinze ans).

« Nous cheminons au bord du gouffre », écrivait Robert Benton. Voilà qui explique qu’aucun Etat n’ose prendre le risque de s’aliéner ou d’inquiéter les puissances financières. Il est impensable qu’une politique sociale ou une politique de « relance de la croissance » puisse être fondée sur la redistribution des plus-values fictives de la bulle financière. Il n’y a rien à attendre de décisif des Etats nationaux qui, au nom de l’impératif de compétitivité, ont au cours des trente dernières années abdiqué pas à pas leurs pouvoirs entre les mains d’un quasi-Etat supranational imposant des lois faites sur mesure dans l’intérêt du capital mondial dont il est l’émanation. Ces lois, promulguées par l’OMC, l’OCDE, le FMI, imposent dans la phase actuelle le tout-marchand, c’est-à-dire la privatisation des services publics, le démantèlement de la protection sociale, la monétarisation des maigres restes de relations non commercia1es. Tout se passe comme si le capital, après avoir gagné la guerre qu’il a déclaré à la classe ouvrière, vers la fin des années 1970, entendait éliminer tous les rapports sociaux qui ne sont pas des rapports acheteur/vendeur, c’est-à-dire qui ne réduisent pas les individus à être des consommateurs de marchandises et des vendeurs de leur travail ou d’une quelconque prestation considérée comme « travail » pour peu qu’elle soit tarifée. Le tout-marchand, le tout-marchandise comme forme exclusive du rapport social poursuit la liquidation complète de la société dont Margaret Thatcher avait annoncé le projet. Le totalitarisme du marché s’y dévoilait dans son sens politique comme stratégie de domination. Dès lors que la mondialisation du capital et des marchés, et la férocité de la concurrence entre capitaux partiels exigeaient que l’Etat ne fût plus le garant de la reproduction de la société mais le garant de la compétitivité des entreprises, ses marges de manœuvre en matière de politique sociale étaient condamnées à se rétrécir, les coûts sociaux à être dénoncés comme des entorses à la libre concurrence et des entraves à la compétitivité, le financement public des infrastructures à être allégé par la privatisation.

Le tout-marchand s’attaquait à l’existence de ce que les britanniques appellent les commons et les Allemands le Gemeinwesen, c’est-à-dire à l’existence des biens communs indivisibles, inaliénables et inappropriables, inconditionnellement accessibles et utilisables par nous. Contre la privatisation des biens communs les individus ont tendance à réagir par des actions communes, unis en un seul sujet. L’Etat a tendance à empêcher et le cas échéant à réprimer cette union de tous d’autant plus fermement qu’il ne dispose plus des marges suffisantes pour apaiser des masses paupérisées, précarisées, dépouillées de droits acquis. Plus sa domination devient précaire, plus les résistances populaires menacent de se radicaliser, et plus la répression s’accompagne de politiques qui dressent les individus les uns contre les autres et désignent des boucs émissaires sur lesquels concentrer leur haine.

Si l’on a à l’esprit cette toile de fond, les programmes, discours et conflits qui occupent le devant de la scène politique paraissent dérisoirement décalés par rapport aux enjeux réels. Les promesses et les objectifs mis en avant par les gouvernement et les partis apparaissent comme des diversions irréelles qui masquent le fait que le capitalisme n’offre aucune perspective d’avenir sinon celle d’une détériorisation continue de vie, d’une aggravation de sa crise, d’un affaissement prolongé passant par des phases de dépression de plus en plus longues et de reprise de plus en plus faibles. Il n’y a aucun « mieux » à attendre si on juge le mieux selon les critères habituels. Il n’y aura plus de « développement » sous la forme du plus d’emplois, plus de salaire, plus de sécurité. Il n’y aura plus de « croissance » dont les fruits puissent être socialement redistribués et utilisés pour un programme de transformations sociales transcendant les limites et la logique du capitalisme.

L’espoir mis, il y a quarante ans, dans des « réformes révolutionnaires » qui, engagées de l’intérieur du système sous la pression de luttes syndicales, finissent par transférer à la classe ouvrière les pouvoirs arrachés au capital, cet espoir n’existe plus. La production demande de moins en moins de travail, distribue de moins en moins de pouvoir d’achat à de moins en moins d’actifs ; elle n’est plus concentrée dans de grandes usines pas plus que ne l’est la force de travail. L’emploi est de plus en plus discontinu, dispersé sur des prestataires de service externes, sans contact entre eux, avec un contrat commercial à la place d’un contrat de travail. Les promesses et programmes de « retour » au plein emploi sont des mirages dont la seule fonction est d’entretenir l’imaginaire salarial et marchand c’est-à-dire l’idée que le travail doit nécessairement être vendu à un employeur et les biens de subsistance achetés avec l’argent gagnés autrement dit qu’il n’y a pas de salut en dehors de la soumission du travail au capital et de la soumission des besoins à la consommation de marchandises, qu’il n’y a pas de vie, pas de société au-delà de la société de la marchandise et du travail marchandisé, au-delà et en dehors du capitalisme

L’imaginaire marchand et le règne de la marchandise empêchent d’imaginer une quelconque possibilité de sortir du capitalisme et empêchent par conséquent de vouloir en sortir. Aussi longtemps que nous restons prisonniers de l’imaginaire salarial et marchand, l’anticapitalisme et la référence à une société au-delà du capitalisme resteront abstraitement utopiques et les luttes sociales contre les politiques du capital resteront des luttes défensives qui, dans le meilleur des cas, pourront freiner un temps mais non pas empêcher l’intériorisation des conditions de vie.

La « restructuration écologique » ne peut qu’aggraver la crise du système. Il est impossible d’éviter une catastrophe climatique sans rompre radicalement avec les méthodes et la logique économique qui y mènent depuis 150 ans. Si on prolonge la tendance actuelle, le PIB mondial sera multiplié par un facteur 3 ou 4 d’ici à l’an 2050. Or selon le rapport du Conseil sur le climat de l’ONU, les émissions de CO2 devront diminuer de 85% jusqu’à cette date pour limiter le réchauffement climatique à 2°C au maximum. Au-delà de 2°, les conséquences seront irréversibles et non maîtrisables.

La décroissance est donc un impératif de survie. Mais elle suppose une autre économie, un autre style de vie, une autre civilisation, d’autres rapports sociaux. En leur absence, la décroissance risque d’être imposée à force de restrictions, rationnements, allocations de ressources caractéristiques d’un socialisme de guerre. La sortie du capitalisme s’impose donc d’une façon ou d’une autre. La reproduction du système se heurte à la fois à ses limites internes et aux limites externes engendrées par le pillage et la destruction d’une des deux « principales sources d’où jaillit toute richesse » : la terre. La sortie du capitalisme a déjà commencé sans être encore voulue consciemment. La question porte seulement sur la forme qu’elle va prendre et la cadence à laquelle elle va s’opérer.

L’instauration d’un socialisme de guerre, dictatorial, centralisateur, techno-bureautique serait la conclusion logique – on est tenté de dire « normale » – d’une civilisation capitaliste qui, dans le souci de valoriser des masses croissantes de capital, a procédé à ce que Marcuse appelle la « désublimation répressive » – c’est-à-dire la répression des « besoins supérieurs », pour créer méthodiquement des besoins croissants de consommation individuelle, sans s’occuper des conditions de leur satisfaction. Elle a éludé dès le début la question qui est à l’origine des sociétés : la question du rapport entre les besoins et les conditions qui rendent leur satisfaction possible : la question d’une façon de gérer des ressources limitées de manière qu’elles suffisent durablement à couvrir les besoins de tous ; et inversement la recherche d’un accord général sur ce qui suffira à chacun, de manière que les besoins correspondent aux ressources disponibles.

Nous sommes donc arrivés à un point où les conditions n’existent plus qui permettraient la satisfaction des besoins que le capitalisme nous a donnés, inventés, imposés, persuadé d’avoir afin d ’écouler des marchandises qu’il nous a enseigné à désirer. Pour nous enseigner à y renoncer, l’écodictature semble à beaucoup être le chemin le plus court. Elle aurait la préférence de ceux qui tiennent le capitalisme et le marché pour seuls capables de créer et de distribuer des richesses ; et qui prévoient une reconstitution du capitalisme sur de nouvelles bases après que des catastrophes écologiques auront remis les compteurs à zéro en provoquant une annulation des dettes et des créances.

Pourtant une tout autre voie de sortie s’ébauche. Elle mène à l’extinction du marché et du salariat par l’essor de l’autoproduction, de la mise en commun et de la gratuité. On trouve les explorateurs et éclaireurs de cette voie dans le mouvement des logiciels libres, du réseau libre (freenet), de la culture libre qui, avec la licence CC (creative commons) rend libre (et libre : free signifie, en anglais, à la fois librement accessible et utilisable par tous, et gratuit) de l’ensemble des biens culturels – connaissances, logiciels, textes, musique, films etc. – reproductibles en un nombre illimité de copies pour un coût négligeable. Le pas suivant serait logiquement la production « libre » de toute la vie sociale, en commençant par soustraire au capitalisme certaines branches de produits susceptibles d’être autoproduits localement par des coopératives communales. Ce genre de soustraction à la sphère marchande s’étend pour les biens culturels où elle a été baptisée « out-cooperating », un exemple classique étant Wikipedia qui est en train d’« out-cooperate » l’Encyclopedia Britannica. L’extension de ce modèle aux biens matériels est rendue de plus en plus faisable grâce à la baisse du coût des moyens de production et à la diffusion des savoirs techniques requis pour leur utilisation. La diffusion des compétences informatiques, qui font partie de la « culture du quotidien » sans avoir à être enseignées, est un exemple parmi d’autres. L’invention fabbers, aussi appelés digital fabricators ou factories in a box – il s’agit d’une sorte d’ateliers flexibles transportables et installables n’importe où – ouvre à l’autoproduction locale des possibilités pratiquement illimitées.

Produire ce que nous consommons et consommer ce que nous produisons est la voie royale de la sortie du marché. Elle nous permet de nous demander de quoi nous avons réellement besoin, en quantité et en qualité, et de redéfinir par concertation, compte tenu de l’environnement et des ressources à ménager, la norme du suffisant que l’économie de marché a tout fait pour abolir. L’autoréduction de la consommation, son autolimitation – le self-restraint – et la possibilité de recouvrer le pouvoir sur notre façon de vivre passent par là.

Il est probable que les meilleurs exemples de pratiques alternatives en rupture avec le capitalisme nous viennent du Sud de la planète, si j’en juge d’après la création au Brésil, dans des favelas mais pas seulement, des « nouvelles coopératives » et des « pontos de cultura ». Claudio Prado, qui dirige le département de la « culture numérique » au ministère de la culture, déclarait récemment : « Le ’job’ est une espèce en voie d’extinction… Nous espérons sauter cette phase merdique du 20e siècle pour passer directement du 19e au 21e. » L’autoproduction et le recyclage des ordinateurs par exemple, sont soutenus par le gouvernement : il s’agit de favoriser « l’appropriation des technologies par les usagers dans un but de transformation sociale ». Si bien que les trois quarts de tous les ordinateurs produits au Brésil en 2004/5 étaient autoproduits.

Notes

[1] Crédit photo : Auteur non identifié, mis en ligne par Imago sur Flickr (Creative Commons By-Nc-Sa)

[2] La valeur travail est une idée d’Adam Smith qui voyait dans le travail la substance commune de toutes les marchandises et pensait que celles-ci s’échangeaient en proportion de la quantité de travail qu’elles contenaient. La valeur travail n’a rien à voir avec ce qu’on entend par là aujourd’hui et qui (chez Dominique Méda entre autres) devrait être désigné comme travail valeur (valeur morale, sociale, idéologique etc.). Marx a affiné et retravaillé la théorie d’A. Smith. En simplifiant à l’extrême, on peut résumer la notion économique en disant : Une entreprise crée de la valeur dans la mesure où elle produit une marchandise vendable avec du travail pour la rémunération duquel elle met en circulation (crée, distribue,) du pouvoir d’achat. Si son activité n’augmente pas la quantité d’argent en circulation elle ne crée pas de valeur. Si son activité détruit de l’emploi elle détruit de la valeur. La rente de monopole consomme de la valeur crée par ailleurs et se l’approprie.




Nous sommes tous des gus dans un garage

Shym0n - CC by« Nous sommes tous des juifs allemands » est l’une des citations célèbres de mai 68, proclamée par la jeunesse en signe de solidarité à Daniel Cohn-Bendit, alors interdit de séjour en France.

Ce soir, la Quadrature du Net peut compter sur « un gus de plus dans son garage », suite à la rocambolesque affaire de la dépêche AFP modifiée que nous relate le site PC INpact.

Ce dimanche 8 mars à 8h13, la dépêche AFP, titrée « Internet : texte antipiratage à l’Assemblée pour la défense de la création », se terminait ainsi :

Un collectif de citoyens, la Quadrature du Net, encourage les internautes à abreuver les députés de mails hostiles à cette loi. « Ce sont cinq gus dans un garage qui font des mails à la chaîne », relativise le cabinet de Mme Albanel.

Une « pointe » de mépris que ne manquât pas de relever PC INpact dans son premier article La Quadrature ? « 5 gus dans un garage » pour le cabinet d’Albanel.

Consciencieux, PC INpact nous a alors pondu un deuxième article : Réaction de la Quadrature du Net aux propos du ministère dont voici un large extrait :

Jérémie Zimmermann : « Nous sommes flattés de tant d’attention de la part du ministère ! Cela prouve que l’action des nombreux citoyens épris de liberté qui contactent leurs députés commence à porter ses fruits. Cela révèle la peur de la ministre de se retrouver confrontée aux réalités techniques et à l’opinion des citoyens. Quelque chose nous dit qu’elle n’a pas fini de nous faire rire !

Internet et les technologies numériques, dont le cabinet de la ministre démontre sa méconnaissance totale dans cette loi imbécile, ont été en grande partie inventés par des gus dans des garages ! C’est peut-être un juste retour des choses : l’arrivée dans le débat des gus dans les garages après des années de lobbyistes dans les cabinets ministériels.

Il faut continuer à informer ses députés, en prenant bien soin d’envoyer des mails personnalisés, et surtout en téléphonant et sollicitant des entretiens ! »

Un peu plus tard dans la journée, troisième épisode et coup de théâtre : la dépêche originale de l’AFP a été « mise à jour » et ne figure alors plus la mention des « gus dans leur garage » !

Le problème c’est qu’il est assez difficile de jouer les cachottiers sur Internet[1]. Toujours aussi consciencieux, PC INpact a en effet gardé une copie écran de la première version de la dépêche dans ce dernier article intitulé La communication autour de la loi antipiratage commence mal.

Vous voulez que je vous dise… je crois que nous nous sommes trouvés un beau slogan !

Merci l’AFP, Mme Albanel et son cabinet.

Notes

[1] Crédit photo : Shym0n (Creative Commons By)




Le projet OpenOffice.org est-il en bonne ou mauvaise santé ?

Joseppc - CC by-saMichael Meeks n’est pas forcément neutre lorsqu’il évoque la suite bureautique libre OpenOffice.org (OOo). Il est en effet desktop Architect chez Novell, la société qui a « pactisé » avec Microsoft. A ce titre il participe activement au projet Go-oo, une version modifiée d’OpenOffice.org (située à la limite du fork, parfois appelée « alternative Novell à OOo »).

D’après Meeks, Go-oo est justement né pour pallier certaines lacunes d’OpenOffice.org, d’abord techniques mais aussi organisationnelles, principalement liées à un leadership trop fort de la société Sun sur le projet. Chiffres à l’appui, il a n’a ainsi pas hésité à qualifier OOo de « profondément malade ». C’est le sujet de la traduction du jour issue du site ZDNet (Asie).

Pour de plus amples informations, nous vous suggérons de parcourir ces deux dépêches LinuxFr : Go-oo, une alternative à OpenOffice et surtout Go-oo et OOo : fr.OpenOffice.org répond à vos questions.

Au delà de la polémique, se pose donc la question des avantages et des inconvénients d’un projet libre piloté (« de trop près » ?) par une société commerciale.

On peut également en profiter pour faire le point sur les qualités et les défaut intrinsèques de la suite bureautique OpenOffice.org par rapport à la concurrence. Selon certains observateurs, MS Office 2007 aurait ainsi pris un peu d’avance ces derniers temps, surtout si Microsoft se décide à réellement implémenter nativement le format ODF (ce qui n’est pas encore le cas malgré les déclarations d’intention). Sans oublier les solutions « dans les nuages » de type Google Docs qui font de plus en plus d’adeptes[1].

Openoffice.org est-il un cheval mourant ?

Is OpenOffice.org a dying horse?

Eileen Yu – 12 janvier 2009 – ZDNet Asia
(Traduction Framalang : Vincent)

Openoffice.org n’a toujours pas dépassé sa date d’expiration, mais il y a encore beaucoup à faire pour piloter et organiser la participation de la communauté et s’assurer que le logiciel Open Source reste pertinent, affirment des observateurs du secteur.

Officiellement sortie sur le marché en avril 2002, Openoffice est une suite bureautique Open Source disponible en téléchargement gratuit. Sun Microsystems en est le premier sponsor et le principal participant au code du projet OpenOffice, qui compte également Novell, Red Hat, IBM et Google parmi les sociétés contributrices.

Sun a cependant été critiqué pour son contrôle trop étroit d’un projet qui n’encourage alors pas assez la participation communautaire.

Dans un article de son blog posté en Octobre l’année dernière, Michael Meeks, développeur d’OpenOffice.org, incluait des données et des statistiques qui, disait-il, soulignaient le « lent désengagement de Sun » et « une spectaculaire baisse de croissance » de la communauté des développeurs OpenOffice.

En le qualifiant de « mourant » et de « projet profondément malade », Meeks demandait à Sun de s’éloigner de OpenOffice et de réduire sa mainmise sur le code. Contacté sur ce point, Sun n’a pas été en mesure de répondre à l’heure où nous mettions sous presse.

Dans une interview réalisée par e-mail avec ZDNet Asie, Meeks reconnaît que Sun est un participant important à OpenOffice, fournissant le plus grand nombre de développeurs au logiciel. Cependant, il a ajouté qu’il devrait y avoir plus de contributeurs de grandes sociétés impliquées dans le projet.

« Je pense que la raison pour laquelle les autres sociétés trouvent difficile de s’impliquer fortement dans OpenOffice et précisément le fait que Sun possède et contrôle l’ensemble du projet », note-t-il. « Il est alors plus compliqué d’attirer une large base de participants. »

« Les sociétés investissent largement dans Linux qui a alors plus de succès pour attirer des développeurs que OpenOffice. »

Le job de Meeks est d’être le leader de l’équipe de développement OpenOffice.org chez Novell, mais il tient à souligner que ses réflexions sur OpenOffice ne reflètent pas celles de son employeur.

« Il y a beaucoup de problèmes de process (associés avec OpenOffice) et un manque d’engagement externe, et même lorsqu’il s’agit de changement de code mineure les procédures se révèlent super-pesantes pour n’importe quel changement de code mineur. Les problèmes pourraient être facilement résolues dans un communauté plus large », a-t-il dit.

La contribution au code n’est pas un indicateur précis

David Mitchell, vice-président senior de la recherche IT chez Ovum, est en désaccord avec le fait qu’un manque de contribution communautaire doit être interprété négativement, en notant que le succès des produits Open Source dépend de l’adoption du produit par les utilisateurs, pas du profil des développeurs.

« L’implication et l’engagement des développeurs diffèrent selon la maturité des projets, les projets matures auront presque toujours moins de nouveau code validé que les projets tous neufs », expliquait Mitchell dans un échange de mails. « Une restructuration massive d’un code défaillant ou mal structuré peut aussi produire de nombreuses lignes de code, mais ne va pas nécessairement refléter un produit solide et robuste. »

Le code de OpenOffice, a-t-il ajouté, est déjà « assez mature » et « relativement stable ».

Peter Cheng, fondateur et responsable d’une firme de conseil en Open Source, TargetSource, est d’accord.

Contestant l’observation de Meek selon laquelle le logiciel est « mourrant », Cheng a déclaré à ZDNet Asie que le code de OpenOffice continuait à croître, quoique à un rythme plus lent.

Parce que le logiciel est devenu un projet vaste et complexe, on ne peut pas s’attendre à ce que son code croisse au même rythme que lorsqu’il a été lancé, déclara-t-il. Basé à Pékin, Cheng est aussi un blogueur de ZDNet Asie sur l’Open Source.

Il a noté que OpenOffice est supporté par une communauté de 451 contibuteurs.

D’après Khairil Yusof, un développeur de logiciel Open Source consultant chez Inigo Consulting, une équipe réduite de collaborateurs actifs n’est pas un problème majeur pour les utilisateurs de grandes sociétés.

De par la nature de l’Open Source et des standards ouverts, dit Yusof, les sociétés peuvent fournir des services de développeurs indépendants ou de fournisseurs de service Open Source, pour travailler sur OpenOffice et corriger des problèmes critiques pour leurs affaires. Basé en Malaisie, Inigo fournit des services de conseil spécialisés dans le logiciel Open Source.

« Ceci peut être fait indépendamment même de Sun ou Novell, sur le modèle de ce qu’a fait Novell avec sa propre version de OpenOffice », a-t-il dit à ZDNet Asie.

Est-ce que Sun doit renoncer à son rôle ?

D’après Mitchell, savoir si Sun doit renoncer à son rôle est discutable parce que ça ne changerait pas forcément les choses pour la communauté ou le produit.

« La forte gouvernance du développement qui provient d’un sponsor principal pourrait bien alors souffrir d’une fragmentation de la communauté », nous dit l’analyste.

Meeks, de son côté, pense que le logiciel se porterait bien mieux sans Sun sur son dos.

Il nous a expliqué que le conseil communautaire qui supervise OpenOffice a simplement un rôle consultatif et ne possède rien dans le logiciel.

« Ceci a l’air tout beau et ouvert, mais il n’a aucune autorité réelle. La gouvernance actuelle est assez sclérosée, et n’est clairement pas orientée vers les développeurs », dit-il. « Pire, sous le capot, la seule entité légale qui possède les avoirs intéressants est Sun. »

« A cause de cela, vous pouvez traduire des questions comme pourquoi les gens n’investissent-ils pas dans OpenOffice ? en pourquoi les gens n’investissent pas dans Sun ? La réponse étant, je pense, assez triviale : parce que c’est une société commerciale », raconte Meeks.

« Si nous pouvions transformer OpenOffice en fondation, avec une gouvernance juste et représentative par les développeurs, alors oui, je suis certain que le projet se porterait bien mieux sans un veto de Sun à chaque étape », dit-il.

Yusof supporte également l’appel de Meeks pour que Sun abandonne sa propriété.

« Comme c’est souvent le cas avec d’autres projets réussis et orientés vers une communauté active de développeurs, c’est souvent mieux que la gestion du projet soit faite par une fondation indépendante », explique-t-il.

La Fondation Apache, par exemple, a été fondé par des concurrents commerciaux, tels que IBM et Microsoft, dit-il. La fondation Gnome est également co-opérée par des concurrents tels que Red Hat, Sun et Novell, qui contribuent tous activement au développement du logiciel, ajoute Yusof.

Meeks a ajouté que cette façon de faire pourrait également être une bonne opportunité pour Sun, car cela attirerait plus d’intérêt autour d’OpenOffice, réduirait la fragmentation actuelle, et construirait un OpenOffice plus grand et plus apprécié. Sun serait alors bien positionné pour tirer de substantiels bénéfices du support de ses développements potentiels.

Mitchell note que OpenOffice 3.0 a été une version majeure en 2008, et que l’on devrait voir une adoption croissante cette année.

Les fournisseurs qui ont fait du développement spécifique sur OpenOffice vont également aider à son adoption, dit Mitchell, citant pour l’exemple la suite Lotus Symphony de IBM, qui a été développée sur la base du code OpenOffice. L’analyste pense que 2009 sera « une bonne année » pour OpenOffice en termes de croissance du nombre d’utilisateurs.

« Cependant, savoir si Sun pourra transformer cette augmentation de l’adoption de OpenOffice en source de revenus est une autre affaire », dit-il. « Monétiser MySQL et OpenSolaris est probablement plus facile pour Sun, car la demande en contrats de supports pour les entreprises est probablement plus grande. »

Cheng a déclaré : « Sun est bon dans la technologie, mais pas dans les affaires ».

Il a ajouté que, même si la société a depuis plusieurs années adhéré au logiciel, spécifiquement Open Source, comme part intégrante de sa stratégie, Sun est de manière inhérente « encore une société de matériel ». « Toutes les intentions de la société sont focalisées sur la vente de ses machines », dit-il.

« Je pense que la chose la plus importante pour Sun, par rapport à sa stratégie avec OpenOffice, est de déterminer comment équilibrer la communauté et les affaires », dit Cheng, ajoutant que la communauté des développeurs doit avoir suffisamment d’espace de liberté pour « gérer les choses comme elle l’entend ».

« Si vous regardez la fondation Eclipse, dans les cinq dernières années, elle a bâti un bel écosystème autour de la plate-forme. Chaque participant à la communauté peut en bénéficier, pas seulement les individus, mais également les entités commerciales. »

« OpenOffice devrait repenser sa position en tant que communauté Open Source, améliorer la structure de gouvernance de cette communauté, et inciter plus de collaborateurs d’enterprises aussi bien qu’individuels se joindre au projet », dit-il.

Garder une communauté active de développeurs

Maintenir un écosystème en bonne santé, et une communauté active est critique pour le développement des logiciels libres, note Cheng. Il ajoute que les innovations les plus importantes seront impulsées quand le processus de développement recueillera plus de participants.

Sur ce point, Meeks est d’accord, en notant que les développeurs sont le plus grand challenge que le projet OpenOffice ait à résoudre.

« Nous devons rentrer dans le jeu, être fiers de notre code, en lire plus, le réparer, l’affiner et l’améliorer. Nous devons être plus rapide, plus concis, plus clair presque partout dans le code, il y a un énorme travail à faire », dit-il. « Bien sûr, du point de vue des fonctionnalités, nous devons également rester compétitifs. »

« Ce n’est pas le travail qui manque dans OpenOffice. Par exemple, le nouveau composant Base nécessite un large effort pour le rendre comparable à Access, et nous avons également besoin d’un concurrent à Visio, etc. », dit-il.

Meeks note un contraste fort entre la participation de la communauté sur le noyau Linux et sur OpenOffice. « Linus (Torvalds) a déclaré plusieurs fois que le noyau Linux était presque terminé et inintéressant, que les gens devaient se focaliser sur les couches plus hautes du système, et pourtant, il semble attirer toujours plus de participants. »

« OpenOffice a clairement de nombreux points à améliorer, et pourtant il attire un faible nombre de collaborateurs, cela montre clairement qu’il y a un problème. »

Les licences, également, peuvent devenir un problème.

Cheng note que OpenOffice est actuellement soumis à de trop nombreuses licences, notamment la GPL 3, la nouvelle licence BSD, et Mozilla Public Licence 1.0.

« Quiconque voudrait construire une application basée sur OpenOffice sera face à des problèmes juridiques trop complexes à traiter », dit-il. « Je pense que c’est pour cela que l’écosystème de OpenOffice ne fonctionne pas aussi bien que celui d’Eclipse. »

Notes

[1] Crédit photo : Joseppc (Creative Commons By-Sa)




Framakey : perspectives 2009

Framakey - Nojhan - Licence Art LibreL’hôte principal de ce blog, perdu quelque part entre la Grande-Bretagne et le maquis d’Hadopi, m’a demandé de venir vous faire un petit point sur les perspectives du projet Framakey sur les prochains mois (ça sortira quand ça sortira inside).
Te voici donc, ami lecteur, devant un article plus centripète que centrifuge et avouons le sans fard, plus geek que de coutume, dont l’idée est un peu de vous dire où en est la Framakey et où elle va[1].

Historique et bilan

Mais avant de commencer, rappelons en deux mots ce qu’est la Framakey.

D’habitude, sous Windows, lorsqu’on télécharge un logiciel, il faut l’installer (mais si, on l’a tous fait un jour : cliquer sur Setup, puis Suivant, J’accepte, puis Suivant 4 fois, puis revenir en arrière pour décocher la case installer la super toolbar de-la-mort-qui-tue, puis Suivant 3 fois, et enfin le bouton Installer). Ce logiciel s’installe alors le plus souvent dans le dossier C:\Windows\Program Files\LeLogiciel mais il s’éparpille aussi souvent un peu en mettant des données dans le dossier Documents and Settings, voire dans la base de registre (une base de données propre[2] à Windows conservant les paramètres de nombreux logiciels. Or, cet éparpillement est souvent inutile, et peut ralentir Windows, qui n’a vraiment pas besoin de ça pour se trainer.

Maintenant, imaginez que vous téléchargiez le même logiciel, dans un bête fichier zip. Vous dézippez où cela vous plait, vous lancez le logiciel, et… il fonctionne! Pas d’installation, pas de Suivantx12, pas de trucs qui trainent à droite ou à gauche, pas besoin de la base de registre. Tout est dans le dossier qui a été dézippé, je vous dis.
Allons plus loin : puisque le logiciel fonctionne en vase clos, alors on peut l’utiliser depuis n’importe quel dossier. Le bureau Windows. Le dossier Mes Documents. Une clé USB. Un baladeur MP3. La carte mémoire d’un appareil photo. Un lecteur réseau. etc.

C’est ce qu’on appelle un logiciel portable. Si je met les versions portables de Firefox et d’OpenOffice.org sur une clé USB, que je met la clé USB dans ma poche et que je vais au cybercafé du coin où chez ma cousine en Irlande, il suffit que je branche ma clé USB, et je retrouverai mon Firefox (marque-pages, historique et surtout extensions compris) et mon OpenOffice.org (en français, avec mon dico perso et tout et tout). Le tout exécuté depuis la clé, sans rien copier ou installer sur la machine de ma cousine ou du cybercafé (ça marche même en Chine, c’est vous dire).

Ce concept d’applications portables a toujours existé (sous Windows comme sous GNU/Linux), mais sous Windows il s’est perdu en route ces dernières années, quand Microsoft a demandé aux développeurs de ranger les paramètres de leurs applications au même endroit[3]. Il a été remis au goût du jour il y a quelques années par un américain, John Haller, qui a depuis créé le site portableApps.com.

Et la Framakey, dans tout ça ? me demandez-vous, prêt à quitter cette page (alors qu’en réalité, je teste votre résistance au syndrome Google)

La Framakey est tout simplement la première[4] initiative de démocratisation de ce concept d’applications portables pour le grand public, en proposant en un seul téléchargement d’installer facilement sur votre clé plusieurs applications portables, le tout enrobé dans une belle interface que même Tata Jeannine arriverait à utiliser.

Sortie l’été 2005, le projet a maintenant plus de 3 ans. Étant un projet 100% libre, il a connu de très nombreuses déclinaisons, puisque comme tout projet libre, chacun est encouragé à l’adapter a ses besoins. Ainsi, on a retrouvé la Framakey (ou des forks) en langue arabe[5], diffusée à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires auprès de lycéens parisiens, auprès d’enseignants, dans des écoles primaires, en entreprise, etc. Il paraitrait même qu’un gros-industriel-plein-de-sous vend dans toutes les bonnes crèmeries une version à peine modifiée (et obsolète) de la Framakey, mais ça ne doit pas être vrai, sinon ils auraient accepté notre proposition (gracieuse) de mise à jour, ou alors ils nous auraient fait un petit don, non ?[6]… Aujourd’hui, nous estimons le nombre de Framakey diffusé à plus de trois millions d’exemplaires. Pas mal pour un projet libre.

La Framakey c’est aussi une bien belle communauté, et en tant que mainteneur du projet depuis sa création, j’en profite ici pour remercier chaleureusement tous ceux qui nous ont apporté leur aide tout au long de cette aventure et sans qui, ce n’est pas une formule, rien n’aurait été possible. C’est aussi la preuve de la force du libre, sur le plan technique (pouvoir intégrer et remixer d’autres projets libres) comme sur le plan humain (non seulement au sein de la communauté Framakey, mais aussi des échanges permanents inter-communautés avec les communautés logicielles ou celles de portableApps, de Framasoft, Dogmazic, InLibroVeritas, etc).

La Framakey évolue lentement, il faut le reconnaitre, avec une à deux versions majeures par an. Et même si techniquement, des projets comme la Liberkey (malheureusement non libre) lui sont supérieurs, j’expliquais d’ailleurs il y a peu pourquoi nous continuons à faire évoluer la Framakey face à cette stimulante concurrence.

C’est pourquoi nous avons pensé qu’il pourrait être utile de donner quelques indications sur les actions envisagées en 2009.

Les projets en cours

La Framakey 1.9

D’abord, la branche 1.x verra apparaître une nouvelle version.

  • Mise à jour de la plupart des applications, notamment OpenOffice.org en version 3.0.1
  • Nouvelle interface pour le Kiosk, basée sur jQuery
  • Modification de certains lanceurs pour une meilleure compatibilité avec Vista.
  • Ajout de quelques applications portables

http://framakey.org/Pack/PackFull1900

En dehors de l’interface (qui devrait furieusement vous rappeler quelque chose), il s’agit surtout de bénéficier d’une clé avec toutes les applications à jour. Par contre, côté développement, pas mal de travaux ont été effectués pour permettre une personnalisation plus aisée. En effet, nous pensons comme le rapportait l’infatigable et inénarrable Tristan N. qu’il faut aller (retourner ?) vers un monde de bricoleurs. Cela n’empêchera pas de livrer une Framakey aussi aboutie techniquement que graphiquement pour l’utilisateur final, mais cet utilisateur aura en plus la possibilité de bricoler le projet en fonction de ses besoins, un peu comme l’acheteur d’une voiture devrait pouvoir bricoler son véhicule comme il le souhaite (pour peu qu’il en ait l’envie). Bricoler sa Framakey a toujours été possible, puisqu’elle repose sur des technologies et des standards ouverts (Firefox + HTML/JS/CSS), mais pas forcément très simple d’accès. La version 1.9 est une version de transition qui apportera un peu plus de souplesse de ce côté là.

  • Avancement : 90%
  • Ce qu’il reste à faire : voir ici
  • Date de release estimée : 4 mars 2009 13:04:12 (au moins, on ne pourra pas me reprocher d’être précis !)

Les Framakey « Spécial Edition »

Il s’agit de versions destinées à des publics particuliers ou répondant à des « univers fonctionnels » précis.

Framakey LaTeX

La Framakey LaTeX Edition a été créée pour accompagner le Framabook « Tout… sur LaTeX » de Vincent Lozano. Il s’agit d’une version largement basée (avec l’autorisation de l’auteur !) sur l’excellente USBTeX de Nicolas Poulain, à laquelle ont été ajoutée des outils pour en faciliter l’utilisation, et des logiciels libres permettant de travailler sur l’ensemble de la chaine de publication.
Il nous faut donc la mettre à jour, et corriger quelque petits bugs.

  • Date de release estimée : RMLL 2009 (Juillet)
Framakey Education

Framasoft est historiquement lié au milieu de l’éducation nationale (que les profs, instits et autres personnels de l’EN lèvent le doigt. Vous voyez ? Vous êtes nombreux !).
La première adaptation de la Framakey a d’ailleurs été le projet « Clef en main » coéditée par le CRDP de Paris et Mostick. Depuis, la Framakey a inspiré de nombreux autres projets : dans le primaire, au collège/lycée, à l’université, pour les IUFM, etc. Voir des logiciels libres à portée de mains d’élèves[7] nous ravi et nous motive.

Il est aussi régulièrement question de travailler avec l’association de profs de maths SESAMATH qui sont autant des amis qu’une source d’inspiration. Le projet est pour l’instant en stand-by, mais nous ne désespérons pas d’avancer dans les mois qui viennent. De plus, laclasse et cyrille, deux gentils membres de la communauté Framakey, se sont donnés bien du mal pour portabiliser des logiciels éducatifs que vous retrouverez très bientôt sur le portail Framakey.

  • Date de release estimée : fin 2009
La Framakey Jeux

Il y a une demande. On sait le faire. On peut le faire. Alors on le fera 🙂

  • Date de release estimée : RMLL 2009 (Juillet)
La Framakey Handicap

Pour rencontrer régulièrement des personnes traitant du handicap et de l’accessibilité face aux logiciels (libre ou pas), nous avons décidé d’intégrer cette problématique de façon transversale en 2008 en ajoutant différents logiciels libres à tous les packs Framakey (comme une loupe ou un lecteur d’écran). Après en avoir discuté avec des professionnels du métier, nous pensons pouvoir travailler avec eux pour les aider à concevoir le contenu d’une clé spécifique.

  • Date de release estimée : 2009 (Stéphanie, si tu me lis…)
La FramaGNU

Wstryder - CC byAhhhhh. Si Framasoft avait touché 1€ à chaque fois qu’on nous posait la question « La Framakey, elle marche sous linux ? », nous n’aurions même pas besoin de lancer (très bientôt) une campagne de soutien à Framasoft !

Jusqu’ici la réponse était « La Framakey fonctionne avec Wine. On peut aussi y faire tourner des distributions légères comme SLAX ou ToutouLinux en émulation. Mais on ne fera probablement jamais de clé bootable, car 1) ça prends beaucoup de place 2) les applications sur la Framakey sont déjà presque toutes présentes dans n’importe quelle distrib, et 3) booter sur une clé, Tata Jeannine elle va galérer comme une maman ourse. »

Mais il n’y a que les imbéciles (et les développeurs JSP) qui ne changent pas d’avis, et comme on n’a pas envie d’en faire partie, on va faire un peu de teasing :

  • Oui, il y aura bientôt une Framakey incluant un système GNU/Linux bootable.
  • Oui, ce système aura un disque persistant (= les documents et les applications ajoutés sous Linux resteront sur la clé, contrairement aux LiveCD/LiveUSB)
  • Oui, il y aura des liaisons entre les deux systèmes (= je suis avec portableThunderbird sous Windows, je relève mes mails. Je reboote sous Linux, j’ouvre Thunderbird, je retrouve ces mêmes mails).
  • Oui, a priori ce système sera… Ubuntu

Houla, j’en vois qui s’énervent déjà à lire le dernier point : « Encore du Ubuntu ! Pourquoi pas (Mandriva\Fedora\Hurd.*) ? » toussatoussa.

D’abord, rappelons que Framasoft – et donc la Framakey – vise le plus large public et que, sans aucunement préjuger de qualité techniques d’une distrib, l’expérience (tout a fait subjective, mais tout à fait assumée) nous a montré que des utilisateurs comme Tata Jeannine avaient de meilleurs retours sur la communauté Ubuntu-fr qu’ailleurs.

Ensuite, rappelons que la Framakey est volontairement hackable by design et 100% libre, donc aide toi et le GNU/RTFM t’aidera.

De plus, nous avons d’excellentes relations avec la communauté Ubuntu-fr, qu’on a connu à l’époque où ils étaient, oh pas plus haut que ça, alors que maintenant même le géant vert à l’air d’un nain à côté d’eux (il n’y a bien que Chuck Norris qui puisse encore leur faire de l’ombre). Je vous avais prévenu, c’est subjectif comme point de vue.

Enfin, pour ceux qui répondraient qu’on entretient un système, blablabla, je répondrai qu’on a déjà commencé à travailler sur un outil qui permettrait de choisir sa distribution avant l’installation. Un mix entre UnetBootin (pour le choix des ditribs) et Fedora LUC pour la possibilité de créer un disque persistant. Elle est pas belle la vie[8] ?

  • Avancement : une version alpha de chez alpha, disponible pour les windowsiens existe déjà, mais c’est tellement alpha que je n’ose vous livrer de lien[9]

Date de release estimée : RMLL 2009 (Juillet) (dépendra en partie de la communauté Ubuntu-fr. C’est pas parce que ce sont des amis qu’on ne va pas leur mettre la pression 😛 )

Le retour de la version Light

On nous a souvent reproché le fait d’avoir abandonné la version Light (pour les clés de 256Mo). C’était tout simplement trop lourd de maintenir 2 packages. Grâce aux outils dont je vous parlais plus haut, développés pour la Framakey 1.9, la version light fera son retour. N’espérez pas y trouver OpenOffice.org, celui-ci a pris beaucoup d’embonpoint, et son transfert sur clé peut prendre plusieurs heures sur des clés de mauvaises qualité.

  • Date de release estimée : fin mars 2009.

La Framakey Megapack

Tata Jeannine, quand elle achète un ordinateur, elle a de fortes probabilités de se retrouver avec du Windows inside (c’est le problème de la vente liée, mais je préfère ne pas l’évoquer aujourd’hui, sous peine de cumuler ça à l’exaspération générée par Hadopi). En plus, elle a plein de logiciels, dont la plupart lui diront au bout de trente jours qu’elle doit leur donner son numéro de carte bleue, sinon, ils se mettront en grève.

Par contre, elle n’a aucun logiciel libre. Alors que pour pas un rond, ils feraient tout aussi bien le travail et, accessoirement mais pas trop, lui redonnerait une prise directe et citoyenne sur sa vie numérique.
Alors, si Tata elle téléchargeait la Framakey Megapack, en 3 clics et le temps d’un épisode de Derrick, elle se retrouverait avec 60 applications libres sur son disque dur, le menu Démarrer qui va bien et tout et tout. Et même, on lui expliquerait en quoi Firefox (yeepa !) c’est plus mieux qu’Internet Explorer (bweark !), le tout avec un peu de musique libre pour bercer ces oreilles.

  • Date de release estimée : RMLL 2009 (Juillet)

D’autres éditions en perpective

Tout est possible, mais le temps n’étant pas extensible, voilà déjà un planning bien chargé. Évidemment, les idées sont les bienvenues…

Les « Framakey webapps »

Framakey - Harrypopof - Licence Art LibreDe plus en plus d’applications qu’on utilise sont des applications web. D’ailleurs, je ne vous ai pas dit que Tata Jeannine utilisait (l’excellent) Dotclear pour raconter la vie de Puffy, son caniche nain ?
Le souci, c’est que les applications web, on aime bien les tester avant, et que c’est souvent compliqué de mettre en place un système Apache/PHP/MySQL, puis d’y installer l’appli en configurant la base et tout et tout.

Alors l’idée serait donc de proposer des applis web portables pour Windows. Par exemple : PortableDotclear.zip, je dézippe, je lance PortableDotclear.exe, et hop, me voilà avec un dotclear directement utilisable.
Portable(Drupal|wordpress|joomla|mediawiki|dokuwiki|alfresco|sugarCRM|.*), c’est possible !

D’ailleurs, Bitnami le propose déjà. Mais 1) c’est pas 100% libre, et 2) ça n’est pas portable (installation de services windows).

Éventuellement, imaginez-le couplé avec Mozilla Prism, et ça peut donner un truc vraiment sympa, non ? (Évidemment, dans les endroits hyper-connectés, l’intérêt peut être limité, mais puisqu’on veut mettre vos sites sur liste blanche…)

  • Avancement : 30%
  • Dates de release estimée : 5 à 6 paquets pour les RMLL 2009 (Juillet)

Les projets à venir

La Framakey Mac

Évidemment, il n’y a pas que Windows dans la vie, il y a Mac aussi[10].
« Et pourquoi pas une Framakey pour les Mac ? »
Il y a une demande. On sait le faire. Mais on ne peut pas le faire…

C’est tout bête, mais on n’a pas de Mac, chez Framasoft (notez qu’on m’en a prêté un, une fois, j’ai trouvé que ça ressemblait furieusement à une Fedora[11]). L’appel au don[12] est ouvert. Par contre, c’est pas pour faire mon difficile, mais s’il pouvait être 1) récent et 2) portable ou mini, ça m’arrangerait pour préserver la paix de mon ménage qui commence à trouver que le bureau ressemble furieusement à la salle des machines de Star Treck IV.

  • Date de release estimée : pas de Mac, pas de Framakey Mac.

La Framakey 2

Ah, la Framakey 2, alias Winaptic, alias « ça sortira… un jour… peut être »… Tous les libristes m’ayant croisé ces 3 dernières années ont dû repartir avec un bon mal de crâne, tellement je les ai saoulé avec ce projet (les Kazé, Paul, Sonny, et j’en passe). Le principe, c’est tout simplement un Synaptic pour Windows. Avec pour système de paquets, le … .zip (volontairement, on ne gère pas de dépendances, tout étant dans le zip). Là encore, un des problèmes de Tata Jeannine, c’est qu’elle n’a jamais entendu parler de Firefox (la pauvre) ou d’Audacity, ou d’InfraRecorder. Pourtant, ça lui serait bien utile.
Elle télécharge donc la Framakey 2 (10Mo) sur son disque dur (interne ou externe) ou sa clé USB, l’exécute et là on lui demande de quoi elle a besoin. « Un navigateur web ? Mais bien sûr qu’on a cela, je vous propose de télécharger Firefox en cochant la case à côté. Ah, et un logiciel pour enregistrer vos vinyls ? bien entendu, cochez donc Audacity. Ca sera tout ? Bien. Tant que vous êtes là, je vous signale que l’application CoolPlayer que vous aviez téléchargée existe dans une version plus récente. Souhaitez vous la mettre à jour ? Parfait. Maintenant, cliquez donc sur Télécharger et installer et allez donc regarder la fin de Derrick pendant que je travaille. »

Bref, une Framakey sur mesure.

Dans mes rêves les plus fous, elle était faite en XUL, la technologie qui motorise Firefox. D’ailleurs, entre télécharger une extension et une application, il n’y a qu’un pas…(je laisse les développeurs XUL méditer cette phrase). Mais mes rêves les plus fous… Enfin bref, une version alpha est disponible depuis plusieurs mois. Mais elle est boguée et pas très à jour… Elle repose sur aSuite pour le lanceur, et AppSnap pour le gestionnaire d’applications, avec une glue maison pour faire tourner tout ça. Grâce à Mouss (de la communauté Framakey), on a pu faire le gros des adaptations nécessaires, mais il reste encore pas mal de bugs…

Vous pouvez d’ailleurs en voir une ancienne vidéo (ça commence en gros à la moitié) :

—> La vidéo au format webm

  • Avancement : 50%
  • Date de release estimée : 2009 si tout va bien… et on ne rigole pas au fond de la salle…

Pendant ce temps là, à Vera Cruz

La roadmap serait incomplète sans parler :

  • du portail d’applications portables, qu’il faut maintenir à jour (sans parler des nouvelles applications qui y seront ajoutées sous peu),
  • du rapprochement en cours avec la communauté PortableApps.com (même si je suis critique sur leur système de packaging et description d’applications, ils sont infiniment plus gros que Framakey, et nous avons donc tout intérêt à coller à leurs normes),
  • du site web Framakey, qui sera probablement refondu dans l’année,
  • du projet, récurrent, de monter une petite boutique en ligne où vous pourriez acheter des clés de qualité à prix modique, avec la Framakey de votre choix préchargée (donc, plus la peine d’enchainer Les feux de l’amour, Derrick et Arabesque, que tous les fichiers soient copiés).

Voilà, c’était un rapide (!) tour d’horizon de « où en est Framakey, et où va-t-elle ? ». Félicitations à ceux qui auront réussi à lire jusqu’ici !
Si vous le souhaitez, et si l’hôte de ce blog en est d’accord, je reviendrais régulièrement vous donner des nouvelles de l’avancement de ces différents projets.
A moins que ça ne soit pour vous parler du FramaDVD… Mais chut, je ne vous en dis pas plus…

Marius - CC by-sa

Notes

[1] Crédits photos et illustrations : 1. Nojhan (Licence Art Libre) – 2. Capture écran Framakey 1.9 par Pyg (Creative Commons By) – 3. Wstryder (Creative Commons By) – 4. Harrypopof (Licence Art Libre) – 5. Marius (Creative Commons By-Sa)

[2] Enfin, propre, propre, c’est une façon de parler.

[3] Notez que l’idée n’est pas mauvaise en tant que telle, mais elle n’est pas toujours pertinente.

[4] Au niveau mondial, je pense bien, jusqu’à ce qu’on m’indique le contraire.

[5] Imaginez ma surprise l’été dernier quand, rencontrant un ami d’ami de nationalité libanaise, il me vanta les mérites de sa clé pleine de logiciels et qu’au lancement je découvris.. un clone de la Framakey !

[6] Attention : de l’ironie un peu agacée se cache dans cette phrase, sauras-tu la retrouver ?

[7] Certes, le journalistes fait de nombreux amalgames et contre-sens, mais pour nous l’essentiel est bien que les élèves puissent avoir librement accès à Firefox, OpenOffice.org, et bien d’autres…

[8] Attention : un presque titre de série se cache dans ce titre, sauras-tu le retrouver ?

[9] Attention : un mensonge éhonté se cache dans la phrase précédente, sauras-tu le retrouver ?

[10] Attention : un troll se cache dans cette phrase, sauras-tu le retrouver ?

[11] Attention : une vérité profonde se cache dans cette phrase, sauras-tu la retrouver ?

[12] Financier, ou carrément de machine si vous êtes sur Lyon.




Hadopi : le scénario catastrophe mais plausible de l’Isoc France

Karynsig - CC byIl n’y a pas que les « anarchistes du Net » et les « hacktivistes libristes » qui sont contre le projet de loi Internet et Création. Il y a aussi des « gens très sérieux » qui réfléchissent depuis longtemps à toutes ces questions.

Fondée en mars 1996 par une poignée de pionniers, l’Isoc France est le Chapitre Français de l’Isoc. Association internationale. Sa mission prioritaire est d’être l’un des « interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics et des entreprises sur l’ensemble des questions de gouvernance d’Internet, tant sur le plan technique que sociétal ».

Or l’Isoc France vient de nous pondre, sous la plume de Paul Guermonprez, un « article de prospective » de poids à verser au dossier : Loi Création et Internet « Le boomerang législatif » Janvier 2009 – Avril 2010, article qui tente d’anticiper les conséquences du projet de loi.

De la pure science-fiction ? Rien n’est moins sûr malheureusement !

Je vous invite vivement à le lire (13 pages). D’abord parce que, nonobstant le sentiment d’épouvante[1] qui nous étreint parfois, c’est fort instructif. Mais également parce qu’il s’agit en quelque sorte, et selon moi, du coup de grâce porté à la loi.

Ce document est résumé dans le communiqué de l’Isoc France que je me suis permis de reproduire ci-dessous.

Création & Internet : le boomerang législatif

URL d’origine

Isoc France – 24 février 2009 – Communiqué de Presse

Loin de provoquer un changement des mentalités sur le respect des droits des auteurs et de la distribution la loi Création et Internet, peu adaptée à la complexité du terrain numérique, va générer des tensions fortes et de nombreux problèmes d’application.

Le Chapitre Français de l’Internet Society remonte en ligne, à quelques jours de la soumission de la Loi devant l’Assemblée Nationale. Le débat est loin d’être clos.

Évolution des mentalités : Le conflit direct entre détenteurs de droits et le public sans intervention des forces de l’ordre et de la justice va créer une tension improductive et n’aura pas de portée éducative. De même que l’interdit bancaire n’a jamais appris à lutter contre l’endettement, le bannissement d’Internet ne sera pas utile pour éduquer sur le respect du droit d’auteur.

Pratique : Les internautes pirates vont continuer à télécharger par des méthodes techniquement différentes à l’abri des poursuites (P2P sans tracker, site d’archives, serveurs payants). L’échange de main à main se développera, provoquant un coming-out de leurs auteurs et une plus grande acceptation sociale.

Marché : Le monopole d’iTunes se renforcera et les inconvénients pour les producteurs d’un monopole apparaîtront plus clairement. La monétisation des œuvres prendra des formes plus variées (publicité/streaming, P2P légal). Les producteurs indépendants continueront leur évolution vers des offres directes fortement rémunératrices.

Effets collatéraux : Premièrement le réseau ne sera plus neutre – avec de nombreuses répercutions : déséquilibre entre compagnies productrices et entre opérateurs, frein au développement d’offres et services innovants. Les points d’accès non personnels (HotSpots publics, cafés internet…) seront fermés ou restreints à une liste blanche, notamment les réseaux WiMax dans les zones rurales, excluant d’Internet une partie des Français !

Politique : De neutre et universel, le réseau évoluera vers un intranet proposant l’offre d’un opérateur-producteur. De plus cette rupture provoquera une politisation involontaire du réseau, certains extrémistes allant jusqu’à saboter les infrastructures. D’un acte illégal et peu réfléchi, le piratage deviendra un acte politique de rébellion anti-majors et anti-Sarkozy.

Pour toutes ces raisons, l’Isoc France considère que cette loi « Création et Internet » est une bombe à retardement !

Une version de prospective 2009-2010 (13 pages) est disponible.

Notes

[1] Crédit photo : Karynsig (Creative Commons By)




Le débat britannique traversera-t-il la Manche ?

Hamed Masoumi - CC byL’article que nous vous proposons aujourd’hui n’a rien d’original en soi. Il doit en exister de similaires partout dans le monde sachant qu’en plus le mouvement ne fait que commencer. Il nous a semblé pourtant intéressant de le traduire dans un contexte où la France semble prendre du retard sur le sujet.

Nous sommes en Angleterre, pays que le Framablog visite souvent en ce moment, le parti conservateur, dans l’opposition, demande aux travaillistes au pouvoir de réduire (voire plafonner) ses dépenses publiques en matière de TIC et d’envisager des solutions « Open Source » pour y arriver.

Il est bien sûr question de jeu politique et, surtout, d’économies de gros sous en période de crise. Mais la question de l’interopérabilité est évoquée (se donner un « langage commun ») ainsi que celle de l’accès des petites sociétés de services en logiciels libres aux marchés publics jusqu’ici l’apanage des grands groupes.

Pour rappel le système politique britannique actuel est fondé sur le bipartisme, avec à droite les Conservateurs (appelés aussi « Tories ») et à gauche les Travaillistes (ou « Labor Party ») actuellement au pouvoir avec Gordon Brown, successeur de Tony Blair[1].

Le parti conservateur britannique envisage de plafonner les dépenses TIC du gouvernement

Tories consider IT contract cap

27 janvier 2009 – BBC News
(Traduction Framalang : Don Rico et Goofy)

Le parti conservateur britannique envisage sérieusement d’imposer un plafond de 100 millions de livres au buget TIC du gouvernement afin d’éviter les gouffres financiers comme celui qu’a connu le système informatique du National Health Service (NdT : le système de santé public).

Au lieu de confier des contrats de longue durée à de grosses entreprises de TIC, les députés Tories souhaitent ouvrir les appels d’offres à de plus petites sociétés proposant des logiciels « Open Source ».

Un rapport rédigé à l’intention du Shadow Chancellor George Osborne (NdT : membre de l’opposition chargé des questions économiques au sein de son parti) avance que les économies potentielles pourraient atteindre 600 millions de livres.

D’après les Tories, les Travaillistes auraient dilapidé des milliards dans des projets TIC « catastrophiques ».

Le Shadow Chancellor est en train d’examiner ce rapport, que lui a remis le docteur Mark Thompson, professeur de la Judge Business School à l’université de Cambridge, dans le cadre des préparatifs détaillés du projet de gouvernement auquel travaillent les conservateurs.

« Moderniser le gouvernement »

« Le parti conservateur est tourné vers l’avenir », a déclaré Mr. Osborne. C’est nous qui avons ouvert le débat sur l’utilisation des logiciels libres au sein du gouvernement, et je me réjouis que le docteur Mark Thompson nous ait soumis ces recommandations détaillées.

« Ces propositions n’ont pas pour seul objectif la limitation des dépenses. Il est surtout question de moderniser le gouvernement, de rendre les services publics plus novateurs et de les améliorer. »

Il a déclaré vouloir recueillir les avis du public et de l’industrie des TIC sur ces propositions.

Les conservateurs accusent le gouvernement d’avoir dilapidé des milliards de livres dans des projets TIC calamiteux, comme par exemple le système de dossiers médicaux informatisé du National Health Service, dont le coût initialement prévu à 2 milliards de livres a explosé pour en atteindre 12, et qui depuis le début accumule les retards.

Le Committee on Public Accounts (NdT : équivalent de la Cour des comptes) a récemment émis des doutes quant au respect de la date butoir, fixée à 2015.

Ces dernières années, le gouvernement a revu à la baisse certains projets TIC. En 2006, il a mis au rancart un projet de plusieurs milliards de livres visant à déployer un nouveau système centralisé pour le registre national d’identité, préférant le laisser en l’état et conserver l’ensemble des renseignements sur trois bases de données séparées déjà existantes.

Mais selon les conservateurs, on pourrait économiser des millions supplémentaires en abandonnant les pratiques actuelles du gouvernement consistant à confier les projets TIC à un petit nombre de grosses entreprises.

« Ouvrir la concurrence »

Dans son rapport, le docteur Thompson plaide en faveur d’un système d’appels d’offres TIC « ouvert », où l’on consulterait un plus grand nombre d’entreprises, y compris des start-ups innovantes.

Il recommande l’adoption des formats de données ouverts et standards au sein du gouvernement, afin de créer un « langage » commun pour les systèmes TIC de l’État.

Cela aurait pour conséquence de réduire les coûts des acquisitions de licences et d’affranchir les corps gouvernementaux de contrats monopolistiques de longue durée, indique-t-on dans le rapport.

« Cela signifie que le gouvernement du Royaume-Uni n’aurait plus jamais contraint à signer un contrat pour des logiciels dépassant les 100 millions de livres. Finis les gouffres financiers informatiques », y ajoute-t-on.

D’après le docteur Thompson, son rapport « explique comment le gouvernement peut économiser des centaines de millions de livres chaque année en instaurant un processus plus ouvert de passation de marchés publics pour les TIC, ce qui impliquerait de donner leur chance aux logiciels libres. »

Et d’ajouter : « Cela n’a rien de sorcier. Il s’agit de créer un système de passations de marchés publics moderne et efficace. Partout dans le monde, des gouvernements et des entreprises utilisent des logiciels libres, et nous-même ici au Royaume-Uni pourrions faire beaucoup plus que ce que nous faisons actuellement. »

Notes

[1] Crédit photo : Hamed Masoumi (Creative Commons)




Projet de loi Création et Internet : l’April s’insurge et appelle à la mobilisation

Qualifié, malheureusement à juste titre, de DADVSI 2, le projet de loi « Création et Internet » (ou Hadopi) vient de chauffer aux oreilles de l’April. Il faut dire qu’il y a de quoi et le rapporteur (et benjamin) de l’UMP Franck Riester d’en prendre pour son grade.

Je vous laisse, je dois contacter mon député…

Riposte graduée : le rapporteur s’oppose à l’interopérabilité, l’April appelle à la mobilisation

URL d’origine du document

APRIL – 23 février 2009 – Communiqué de presse

Trois ans après DADVSI, le gouvernement et la majorité semblent n’avoir rien retenu des débats sur l’interopérabilité[1] et le logiciel libre. Lors de l’examen du texte « Création et Internet » en commission des lois de l’Assemblée nationale, le rapporteur UMP Franck Riester s’est opposé à l’interopérabilité des moyens de sécurisation imposés par le projet de loi, au motif que l’interopérabilité empêcherait le libre choix de l’utilisateur ! L’April s’insurge et appelle chacun à contacter son député pour l’alerter.

Véritable DADVSI 2, le projet de loi « Création et Internet » déjà validé par le Sénat est actuellement programmé à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Après un examen en commissions, le texte sera examiné en séance à partir du 10 mars 2009.

L’essentiel du projet de loi est bien d’échafauder une nouvelle autorité administrative – l’Hadopi[2] – qui aura pour but de faire une répression de masse sur la base de relevés informatiques. Mais il prévoit également d’imposer aux titulaires d’un accès à Internet des « moyens de sécurisation » visant à empêcher que leur connexion soit utilisée pour commettre des infractions.

« On ignore tout de la nature de ces moyens de sécurisation : on ne sait pas ce qu’ils font, ni où ils s’installent, et quelle est la maîtrise que l’utilisateur pourra en avoir, » déplore Alix Cazenave, responsable des affaires publiques de l’April. « Qu’ils ne fassent pas le jeu d’éditeurs pratiquant la vente liée serait un minimum ! » L’April a d’ailleurs été reçue par des députés de tous les groupes pour leur faire part de ses questions et de ses inquiétudes[3].

Pourtant sur la question précise de l’interopérabilité, les députés Jean Dionis du Séjour (Nouveau Centre) et Patrick Bloche (Socialiste, Radical et Citoyen) se sont heurtés à un refus catégorique du rapporteur, motivé par un argument que nul n’aurait imaginé : il est simplement défavorable à l’interopérabilité[4] ! Il s’est de même opposé à ce que l’abonné soit exonéré de sa responsabilité lorsqu’il n’existe pas de moyens de sécurisation adaptés à sa configuration. L’April avait pourtant, dès le 6 mars 2008[5], alerté le conseiller juridique de la ministre de la culture sur le risque que comporte ce genre de mesures pour l’interopérabilité et le logiciel libre. À l’époque déjà, aucune réponse n’avait été apportée quant à la nature de ces moyens de sécurisation, le conseiller Henrard se contentant d’affirmer que la loi créerait le marché (sic).

« Ce que Franck Riester ne comprend pas, c’est que l’interopérabilité est le libre choix des consommateurs. On se croirait de retour en 2006 avec le benjamin de l’époque, Laurent Wauquiez, qui avait au moins eu l’honnêteté de reconnaître son incompétence[6]. En 2005, la SACEM voulait nous faire changer nos licences[7] ; Franck Riester voudrait-il nous obliger à changer de système d’exploitation ?», s’interroge Frédéric Couchet, délégué général de l’April.

« Monsieur Riester est la preuve qu’il reste encore à l’Assemblée nationale des députés opposés à l’interopérabilité et au logiciel libre[8]. Il soutient un dispositif qui va, une fois de plus, pénaliser sans aucune justification les auteurs et utilisateurs de logiciels libres, les mettant dans une situation d’insécurité juridique absolument inacceptable. Le groupe UMP a décidément bien choisi son rapporteur : tout comme cette loi, il nie la réalité technique, protège des intérêts particuliers et souffre d’un archaïsme affligeant » s’insurge Benoît Sibaud, président de l’April.

Comme pour DADVSI, l’urgence est déclarée. Comme pour DADVSI, ce texte est annoncé comme le remède miracle contre le téléchargement non autorisé d’œuvres en peer-to-peer. Comme pour DADVSI, des mesures « techniques » de contrôle d’usage sont imposées. Comme pour DADVSI, l’interopérabilité est méprisée. Comme pour DADVSI, le logiciel libre est ignoré, et ses utilisateurs menacés.

C’est pourquoi, comme pour la loi DADVSI, l’April appelle tous les citoyens attachés au logiciel libre à contacter leurs députés[9] et à les alerter afin qu’ils s’opposent à cette nouvelle menace. Elle les invite également à écrire au rapporteur Riester pour lui demander de revenir sur ses positions inacceptables.

Notes

[1] rappelons au passage l’article 7, adopté le 16 mars en seconde délibération à l’unanimité, faisant de la France le premier pays d’Europe à véritablement défendre activement l’interopérabilité, première mondiale saluée Outre-Atlantique. Communiqué du 18 avril 2006 « Projet de loi "DADVSI" : à contre-courant, le Sénat rejette l’interopérabilité et prône la brevetabilité du logiciel ».

[2] Haute Autorité pour la diffusion et la protection des œuvres sur Internet, créée à partir de l’Autorité de régulation des mesures techniques de la loi DADVSI.

[3] Notamment les porte-paroles des groupes Nouveau Centre (NC), Socialiste, Radical et Citoyen (SRC), Gauche Démocratique et Républicaine (GDR), ainsi que par la rapporteure pour avis (UMP) de la commission des affaires culturelles. Elle doit également être auditionnée par le rapporteur pour avis (UMP) de la commission des affaires économiques.

[4] Extrait du compte-rendu n°28 de la réunion de la commission des lois, mercredi 18 février 2009, séance de 9h30 : — Art. L. 331-30 (nouveau) du code de la propriété intellectuelle : Liste des moyens de sécurisation efficaces : La Commission adopte un amendement du rapporteur précisant les consultations auxquelles la HADOPI devra procéder avant de rendre officielles les spécifications fonctionnelles des moyens de sécurisation et supprimant l’établissement d’une liste officielle de ces spécifications. Elle est ensuite saisie d’un amendement de M. Jean Dionis du Séjour précisant que les moyens de sécurisation devront être interopérables et mis à la disposition des consommateurs gratuitement. – M. le rapporteur : Les moyens de sécurisation mis en place ne sauraient être gratuits, à l’image des logiciels de contrôle parental, mis à la disposition des consommateurs à titre payant, même si leur prix est modique. – M. Jean Dionis du Séjour : J’accepte de supprimer de mon amendement la condition de gratuité. – M. le rapporteur : J’en viens au second objet de l’amendement : l’interopérabilité. Je n’y suis pas favorable. Il faut laisser au consommateur sa totale liberté de choix en fonction de son système d’exploitation. L’interopérabilité n’est pas nécessaire pour les consommateurs et elle est trop contraignante pour les éditeurs de logiciels. La Commission rejette l’amendement, puis adopte deux amendements du rapporteur, le premier visant à préciser que la HADOPI établit une liste labellisant les moyens de sécurisation, le second de nature rédactionnelle. Elle rejette ensuite, par cohérence, un amendement de M. Patrick Bloche précisant que les moyens de sécurisation devront être interopérables et mis à la disposition des consommateurs gratuitement.

[5] Voir le compte rendu de la réunion avec Laurent Ladouari et Olivier Henrard.

[6] « Nous devons reconnaître honnêtement les limites de nos compétences techniques – certains d’entre nous en ont apporté la preuve, moi le premier hier soir – sur des sujets extrêmement techniques comme le MP4 ou les fichiers MP3. » – Laurent Wauquiez, député UMP benjamin de l’AN sous la XIIème législature, porteur de la partie civile de l’amendement Vivendi, lors de l’examen du DADVSI. Franck Riester est « benjamin du groupe UMP et troisième plus jeune député de l’hémicycle » selon ce portrait.

[7] « Vendredi 18 novembre 2005, au ministère de la Culture, le SNEP et la SCPP déclarent aux auteurs de Logiciel Libre : « Vous allez changer vos licences. » La SACEM ajoute : « Vous allez arrêter de publier vos logiciels. » Et se déclare prête à « poursuivre les auteurs de logiciels libres continuant de divulguer leur code source » – Extrait du communiqué de presse de la FSF France du 25 novembre 2005.

[8] Contrairement au prédécesseur de Franck Riester sur la 5ème circonscription de Seine-et-Marne, Guy Drut, UMP lui aussi, qui a été un des questeurs à l’origine de la migration vers le logiciel libre du poste de travail des députés français.

[9] Pour une liste des députés, leurs fiches individuelles et leurs coordonnées, voir également le Mémoire Politique disponible sur le wiki de la Quadrature du Net.




La loi Création et Internet, le chant du cygne et le maquis

Tempo no tempo - CC byCette loi « Création et Internet » s’apparente de plus en plus au chant du cygne d’une industrie culturelle totalement dépassée par les événements et qui s’arc-boute sur ce qu’il lui reste encore de privilèges hérités du siècle dernier. Associée avec la politique web 1.0 d’un Sarkozy, tout est réuni pour casser la société numérique en deux et voir les éléments les plus progressistes du pays prendre le maquis virtuel pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être tant que la neutralité du Net sera garantie.

Un peu emphatique ce premier paragraphe non ? Allez, tant, pis, je le garde quand même 😉

En fait il s’agissait juste d’introduire cet article du collectif Libre Accès, qui fait justement partie de ceux qui sont bien décidés à ne pas s’en laisser compter[1].

Edit : Dans un autre registre, on pourra également lire cette gore mais assez désopilante BD de Flock.

La libre circulation de l’Art est la garantie de notre liberté

Libre Accès – Lettre d’information – février 2009
Article sous Licence Art Libre

La préface de La crise de la culture d’Hannah Arendt commence par cette citation d’un poème de René Char : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament », faisant référence à son choix d’entrer en résistance, à la prise de conscience que lutter contre la tyrannie restitue à chacun, au sein de l’espace public, sa liberté.

La circulation des œuvres de l’esprit a toujours été un enjeu majeur ; les amateurs du totalitarisme ont une forte passion morbide pour brûler des livres et imposer leur pensée unique aux masses. Le hacker Soljenitsyne en a su quelque chose : la parution de L’Archipel du Goulag, qui arriva en Europe de l’Ouest sous la forme d’un microfilm, est un des premiers exemples de l’enjeu que représente la numérisation des livres pour notre civilisation.

Il reste encore des hommes et des femmes dans le monde pour qui les actes de création constituent autant d’actes de résistances à la tyrannie. Actes de dignité où écrire, filmer, peindre, peut constituer un véritable crime passible de la peine de mort. Il est important de garder cette idée présente à l’esprit et de ne pas oublier qu’Internet représente rien de moins que de notre liberté de créer, d’échanger et de partager.

L’essence et l’avantage d’Internet est sa décentralisation. C’est l’outil rêvé de tous les amoureux de la liberté, encyclopédistes des Lumières, amis de l’éducation populaire et de l’art, leur permettant de diffuser leurs idées et les conserver. Bibliothèque-monde de toutes les cultures, lieu de production et de circulation de la pensée, l’art pour tous accessible, outil de pair à pair par excellence, Internet est un idéal des Lumières. C’est un espace d’expression, de réciprocité, de critique et donc de création.

En termes économiques, il serait temps de prendre conscience de faits essentiels qui se dessinent depuis son apparition :

  • l’ancien modèle des médias était basé sur la diffusion et la consommation, tandis que le nouveau modèle s’est développé sur la participation et l’expression;
  • l’élément critique de l’ancienne chaîne de valeur reposait sur la distribution, tandis que la nouvelle chaîne de valeur est centrée sur la découverte et la propagation;
  • il faut porter son attention là où l’argent s’est déplacé, là où les gens dépensent leur argent, sans occulter dans le même temps que les circuits financiers et produits dérivés se sont globalisés, hors de tout contrôle des Etats-nations et des territoires.

Ce sont là des données de base, familières à tout acteur informé de l’économie numérique. Il est donc particulièrement inquiétant pour nos démocraties de constater que ces mêmes lobbies financiers n’ont de cesse de vouloir contrôler Internet par des méthodes non seulement arbitraires et irrationnelles mais également tout à fait dépassées.

Les arguments justifiant la mise sous contrôle du réseau se réclament paradoxalement de la défense de la culture, alors que c’est justement elle qui est attaquée ; au même titre qu’ils invoquent des raisons pseudo-économiques, alors que par essence l’économie numérique refuse radicalement un contrôle central. Ce paradoxe a d’ailleurs été brillamment dénoncé par les situationnistes qui écrivaient dès 1967 : « la fin de l’histoire de la culture se manifeste par deux côtés opposés : le projet de son dépassement dans l’histoire totale, et l’organisation de son maintien en tant qu’objet mort, dans la contemplation spectaculaire »

Ces objets morts, stars télévisuelles qui ont l’odeur des icônes des églises mais sans leur efficacité, sont mis en avant pour justifier tous les abus du contrôle d’Internet. La mort de notre liberté est préparée dans une tentative vaine et pitoyable de conjurer la mort de l’artiste télévisé.

La loi « Création et Internet » souhaiterait que l’on installât un logiciel sur chacun de nos ordinateurs pour prouver que nous ne sommes pas des copieurs d’œuvres numériques interdites. Absurdité fondamentale : l’informatique, Internet, sont intrinsèquement copie, comme le rappelait Intel Corporation dans son Amicus brief lors du procès MGM vs Grokster.

L’argument de la culture en danger, servi à satiété, est un mensonge. La culture foisonne, les créateurs, de plus en plus nombreux, ne cessent de créer. Le public a soif d’œuvres auxquelles il accède de plus en plus en amateur, participant, co-créateur, et non plus en consommateur. La dissémination et l’accès de tous et par tous à la culture, voilà ce qui est en danger.
Et il est déconcertant de voir que c’est au nom du droit d’auteur, pour défendre la création, que l’on s’apprête à faire voter le projet de loi « Création et Internet », loi liberticide par excellence. Les comités de censure sont-il en train d’être remplacés par les Majors à qui le gouvernement français veut déléguer des pouvoirs arbitraires de police de l’Internet ?
Le pouvoir oligopolistique des Majors renforcé par la puissance publique pourrait contrôler l’ensemble des diffusions culturelles par une intégration verticale anti-économique et anti-concurrentielle : des tuyaux Internet, des radios, des télévisions, des journaux, des salles de concert…

C’est donc bien la liberté de l’auteur et son indépendance qui sont attaquées. Il n’est guère étonnant que de plus en plus d’auteurs et d’interprètes, voulant expérimenter d’autres dispositifs de création, quittent la SACEM (dans la musique) et les circuits classiques de distribution, pour mieux maîtriser leurs créations. Tout le monde n’est pas un adepte de la chanson à 2 minutes 30. La SACEM, influencée par les Majors ne sait pas rémunérer équitablement les auteurs occasionnellement diffusés sur les radios, par exemple. Ses modèles de répartitions sont basés sur des données partielles, accordant une prime aux plus gros diffusés. La production de la création doit correspondre au moule marketing de l’industrie culturelle ou ne pas exister.

De fait, il y a de plus en plus d’artistes qui, pour être en accord avec leur processus créatif, s’auto-produisent et s’auto-diffusent via Internet. Pour protéger leurs œuvres et garantir le partage de celles-ci, ils utilisent différentes licences telles la Licence Art Libre ou les Creative Commons.
Ils retrouvent ainsi leurs libertés premières d’auteurs : choisir les possibilités de modification de leurs œuvres, d’utilisation, de collaboration, de rémunération. Certains auteurs souhaitent privilégier la diffusion et la pérennisation de leurs œuvres, plutôt que leur rétribution financière.

Antoine Moreau, fondateur de la Licence Art Libre écrit : « Je crois pouvoir dire alors que le copyleft participe bien de ce récit des rêves ou des visions qui va à contre-temps de tout ce qui prétend dominer le cours de la création. C’est une liberté intempestive qui ne se soumet pas à l’injonction de l’actualité mais envisage un temps élargi, qui va très loin dans le passé, très loin dans l’avenir et très profondément dans le présent ».

Un musicien qui vient de terminer la création d’une œuvre musicale peut en un clic être écouté d’Afrique en Asie. Internet offre aux artistes un moyen de propagation inédit auquel les Majors ne s’étaient pas préparés. La plupart des plateformes de téléchargement d’œuvres sont multilingues. Il n’est plus rare qu’un artiste qui ne trouve pas son public localement le trouve à l’autre bout du monde.

C’est une vraie chance pour les auteurs, et pour l’humanité. Des groupes de musique comme Nine Inch Nails sont en passe de démontrer que la libre diffusion des œuvres n’empêche pas les artistes de trouver des modes de rémunérations concrets via la vente de places de concert ou de disques, avec toute une gamme possible de services et de produits dérivés.

Il y a bien un imaginaire défaillant dans les débats actuels sur la rémunération des auteurs et artistes-interprètes. Les moines copistes de l’industrie du DVD tentent d’imposer le même rapport de force que lors de la naissance de l’imprimerie, voulant casser une technologie brisant leur monopole. Frédéric Bastiat, économiste libéral français, les décrivit fort bien dans sa Pétition des Fabricants de Chandelles geignant contre la concurrence indue du soleil.

C’est l’auteur/artiste interprète à qui nous devons garantir une rémunération et non pas à l’industrie culturelle. La démocratisation des outils d’autoproduction et d’autodiffusion dans tous les Arts (cinématographique, musical, graphique, etc.) doit être prise en considération. Il appartient aux pouvoirs publics de savoir s’ils veulent soutenir les Majors ou les auteurs. N’en déplaise aux moines copistes de l’industrie du DVD et à leurs icônes télévisées, la création est foisonnante sur Internet et il est temps qu’elle soit reconnue.

S’il est fondamental de garantir cette liberté de choix de diffusion des œuvres et de leur circulation, nous devons être capables d’adapter le financement de l’art à l’heure d’Internet, sachant que sa défense ne peut être, ni en contradiction avec les valeurs démocratiques, ni avec les technologies actuelles. Comme le disait Michel Vivant en 2003 au Colloque de l’UNESCO ”Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information” : « Il ne s’agit pas de s’incliner devant le fait. Il s’agit de ne pas nier la réalité. ».

La libre circulation de l’Art garantit notre humanité, le pouvoir de se penser homme, voire humanité. On a besoin de se connaître à travers les grottes de Lascaux, dans les ruines de Babel. Antoine Moreau rappelle : « Il n’y a pas d’ouvrages de Platon et il n’y en aura pas. Ce qu’à présent l’on désigne sous ce nom est de Socrate au temps de sa belle jeunesse. Adieu et obéis-moi. Aussitôt que tu auras lu et relu cette lettre, brûle-la. La notion d’auteur, qui n’existe pas dans la Grèce Antique ni au Moyen-Âge où l’autorité émanait des dieux ou de Dieu, apparut. ». Garantir la libre circulation des œuvres d’Art, avec comme seul propriétaire, en dernier ressort, l’humanité, est donc essentiel. Pas de Copyright sur les œuvres de Lascaux, mais des amateurs d’Art archéologues entretenant notre patrimoine.

Le devoir de garantir la circulation de l’Art comme patrimoine de l’humanité oblige à penser sa préservation. Pas les salaires mirobolant des icônes télévisés mais de ceux qui, en premiers garantissent une pratique artistique : professeurs d’Art (plastique, musique, cinéma…), Maisons de la Culture, bibliothèques, espaces de pratique artistique, cinémas indépendants, universités… Il s’agit de multiplier les lieux ou les Artistes et les amateurs d’Art peuvent créer, échanger, écouter, pour maintenir à chaque Art les amateurs éclairés qui soutiendront toujours les Artistes/Auteurs.

Le financement de l’Art (pour les artistes souhaitant en bénéficier), doit être repensé par les puissances publiques. Préserver le seul intérêt des Majors, quand le statut des intermittents est menacé et le statut des artistes peintres est presque inexistant, démontre l’abandon de toute politique culturelle ambitieuse.
Si l’on songe que nous, citoyens, par les impôts, taxes et redevances que nous payons, sommes certainement le plus grand producteur culturel français, comment expliquer que l’on nous dénie toute participation aux débats en cours, et que l’on prétende privatiser et nous faire payer des œuvres que nous avons déjà financées? Est-il par exemple normal que l’Éducation Nationale, selon les accords sectoriels post-DADVSI, paye 4 millions d’euro par an pour n’avoir le droit, en ce qui concerne les œuvres audiovisuelles, que d’utiliser les chaînes hertziennes classiques ? Cela doit changer.
C’est en tant qu’amateurs d’Art et citoyens exigeants que nous devons être comptables des politiques culturelles et de leur diffusion. Il en va de nos identités et cultures plurielles, dont il faut empêcher l’uniformisation par une industrie culturelle qui, de TF1, à France 2 ou M6, montre les mêmes séries télévisées et les mêmes discours autistes du Président du tout nouveau Conseil de la création artistique.

Il incombe de défendre nos libertés concomitantes d’un accès à l’art pour tous. De ce point de vue, il est intéressant de noter que les Majors essaient d’imposer, comme les semenciers de Monsanto, un catalogue des œuvres dites protégées, au mépris du droit d’auteur censé protéger tout auteur d’une oeuvre de l’esprit. Il y a donc bien des logiques de domination économique qui sont à l’œuvre pour la privatisation des biens communs, contre lesquelles nous devons résister.

L’aboutissement des projets de Monsanto, comme le fameux « catalogue des semences » interdisant aux agriculteurs et jardiniers le droit de conserver, utiliser, échanger et vendre les semences ou du matériel de multiplication reproduits à la ferme, doit nous rendre vigilants sur les tentatives des Majors d’imposer le leur, fait du même petit nombre d’œuvres et rééditions formatées et sans risque.

Il y a un foisonnement d’Auteurs/Artistes talentueux qui autorisent la diffusion de leurs œuvres via la Licence Art Libre et les Creative Commons, plus de 30 000 œuvres musicales sur la plateforme Dogmazic, 10 000 œuvres littéraires sur le site de la maison d’édition InLibroVeritas, et dans le monde, d’après des estimations minimales, 130 millions d’œuvres et documents sous Creative Commons en juin 2008. Il est de notre devoir de les soutenir, car ils sont à l’avant-garde d’un mouvement de résistance, se livrant à la lutte pour la libre circulation de l’Art et donc notre liberté.

Pour Libre Accès, Jérémie Nestel (MACAQ, Radio du Ministère de la Crise du Logement), Bituur Esztreym (co-fondateur de Musique Libre ! et de dogmazic.net), Eric Aouanès (président de l’association Musique Libre ! et co-fondateur de la plateforme Dogmazic), Didier Guillon-Cottard (Festival Art is chaud) Mathieu Pasquini (gérant et fondateur de la maison d’édition InLibroVeritas).

Notes

[1] Crédit photo : Tempo no tempo (Creative Commons By)