Projet de loi Création et Internet : l’April s’insurge et appelle à la mobilisation

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Qualifié, malheureusement à juste titre, de DADVSI 2, le projet de loi «  Création et Internet  » (ou Hadopi) vient de chauffer aux oreilles de l’April. Il faut dire qu’il y a de quoi et le rapporteur (et benjamin) de l’UMP Franck Riester d’en prendre pour son grade.

Je vous laisse, je dois contacter mon député…

Riposte graduée  : le rapporteur s’oppose à l’interopérabilité, l’April appelle à la mobilisation

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APRIL – 23 février 2009 – Communiqué de presse

Trois ans après DADVSI, le gouvernement et la majorité semblent n’avoir rien retenu des débats sur l’interopérabilité[1] et le logiciel libre. Lors de l’examen du texte «  Création et Internet  » en commission des lois de l’Assemblée nationale, le rapporteur UMP Franck Riester s’est opposé à l’interopérabilité des moyens de sécurisation imposés par le projet de loi, au motif que l’interopérabilité empêcherait le libre choix de l’utilisateur  ! L’April s’insurge et appelle chacun à contacter son député pour l’alerter.

Véritable DADVSI 2, le projet de loi «  Création et Internet  » déjà validé par le Sénat est actuellement programmé à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Après un examen en commissions, le texte sera examiné en séance à partir du 10 mars 2009.

L’essentiel du projet de loi est bien d’échafauder une nouvelle autorité administrative – l’Hadopi[2] – qui aura pour but de faire une répression de masse sur la base de relevés informatiques. Mais il prévoit également d’imposer aux titulaires d’un accès à Internet des «  moyens de sécurisation  » visant à empêcher que leur connexion soit utilisée pour commettre des infractions.

«  On ignore tout de la nature de ces moyens de sécurisation  : on ne sait pas ce qu’ils font, ni où ils s’installent, et quelle est la maîtrise que l’utilisateur pourra en avoir,  » déplore Alix Cazenave, responsable des affaires publiques de l’April. «  Qu’ils ne fassent pas le jeu d’éditeurs pratiquant la vente liée serait un minimum  !  » L’April a d’ailleurs été reçue par des députés de tous les groupes pour leur faire part de ses questions et de ses inquiétudes[3].

Pourtant sur la question précise de l’interopérabilité, les députés Jean Dionis du Séjour (Nouveau Centre) et Patrick Bloche (Socialiste, Radical et Citoyen) se sont heurtés à un refus catégorique du rapporteur, motivé par un argument que nul n’aurait imaginé  : il est simplement défavorable à l’interopérabilité[4]  ! Il s’est de même opposé à ce que l’abonné soit exonéré de sa responsabilité lorsqu’il n’existe pas de moyens de sécurisation adaptés à sa configuration. L’April avait pourtant, dès le 6 mars 2008[5], alerté le conseiller juridique de la ministre de la culture sur le risque que comporte ce genre de mesures pour l’interopérabilité et le logiciel libre. À l’époque déjà, aucune réponse n’avait été apportée quant à la nature de ces moyens de sécurisation, le conseiller Henrard se contentant d’affirmer que la loi créerait le marché (sic).

«  Ce que Franck Riester ne comprend pas, c’est que l’interopérabilité est le libre choix des consommateurs. On se croirait de retour en 2006 avec le benjamin de l’époque, Laurent Wauquiez, qui avait au moins eu l’honnêteté de reconnaître son incompétence[6]. En 2005, la SACEM voulait nous faire changer nos licences[7]  ; Franck Riester voudrait-il nous obliger à changer de système d’exploitation  ? », s’interroge Frédéric Couchet, délégué général de l’April.

«  Monsieur Riester est la preuve qu’il reste encore à l’Assemblée nationale des députés opposés à l’interopérabilité et au logiciel libre[8]. Il soutient un dispositif qui va, une fois de plus, pénaliser sans aucune justification les auteurs et utilisateurs de logiciels libres, les mettant dans une situation d’insécurité juridique absolument inacceptable. Le groupe UMP a décidément bien choisi son rapporteur  : tout comme cette loi, il nie la réalité technique, protège des intérêts particuliers et souffre d’un archaïsme affligeant  » s’insurge Benoît Sibaud, président de l’April.

Comme pour DADVSI, l’urgence est déclarée. Comme pour DADVSI, ce texte est annoncé comme le remède miracle contre le téléchargement non autorisé d’œuvres en peer-to-peer. Comme pour DADVSI, des mesures «  techniques  » de contrôle d’usage sont imposées. Comme pour DADVSI, l’interopérabilité est méprisée. Comme pour DADVSI, le logiciel libre est ignoré, et ses utilisateurs menacés.

C’est pourquoi, comme pour la loi DADVSI, l’April appelle tous les citoyens attachés au logiciel libre à contacter leurs députés[9] et à les alerter afin qu’ils s’opposent à cette nouvelle menace. Elle les invite également à écrire au rapporteur Riester pour lui demander de revenir sur ses positions inacceptables.

Notes

[1] rappelons au passage l’article 7, adopté le 16 mars en seconde délibération à l’unanimité, faisant de la France le premier pays d’Europe à véritablement défendre activement l’interopérabilité, première mondiale saluée Outre-Atlantique. Communiqué du 18 avril 2006 «  Projet de loi "DADVSI"  : à contre-courant, le Sénat rejette l’interopérabilité et prône la brevetabilité du logiciel  ».

[2] Haute Autorité pour la diffusion et la protection des œuvres sur Internet, créée à partir de l’Autorité de régulation des mesures techniques de la loi DADVSI.

[3] Notamment les porte-paroles des groupes Nouveau Centre (NC), Socialiste, Radical et Citoyen (SRC), Gauche Démocratique et Républicaine (GDR), ainsi que par la rapporteure pour avis (UMP) de la commission des affaires culturelles. Elle doit également être auditionnée par le rapporteur pour avis (UMP) de la commission des affaires économiques.

[4] Extrait du compte-rendu n°28 de la réunion de la commission des lois, mercredi 18 février 2009, séance de 9h30  : — Art. L. 331-30 (nouveau) du code de la propriété intellectuelle  : Liste des moyens de sécurisation efficaces  : La Commission adopte un amendement du rapporteur précisant les consultations auxquelles la HADOPI devra procéder avant de rendre officielles les spécifications fonctionnelles des moyens de sécurisation et supprimant l’établissement d’une liste officielle de ces spécifications. Elle est ensuite saisie d’un amendement de M. Jean Dionis du Séjour précisant que les moyens de sécurisation devront être interopérables et mis à la disposition des consommateurs gratuitement. – M. le rapporteur  : Les moyens de sécurisation mis en place ne sauraient être gratuits, à l’image des logiciels de contrôle parental, mis à la disposition des consommateurs à titre payant, même si leur prix est modique. – M. Jean Dionis du Séjour  : J’accepte de supprimer de mon amendement la condition de gratuité. – M. le rapporteur  : J’en viens au second objet de l’amendement  : l’interopérabilité. Je n’y suis pas favorable. Il faut laisser au consommateur sa totale liberté de choix en fonction de son système d’exploitation. L’interopérabilité n’est pas nécessaire pour les consommateurs et elle est trop contraignante pour les éditeurs de logiciels. La Commission rejette l’amendement, puis adopte deux amendements du rapporteur, le premier visant à préciser que la HADOPI établit une liste labellisant les moyens de sécurisation, le second de nature rédactionnelle. Elle rejette ensuite, par cohérence, un amendement de M. Patrick Bloche précisant que les moyens de sécurisation devront être interopérables et mis à la disposition des consommateurs gratuitement.

[5] Voir le compte rendu de la réunion avec Laurent Ladouari et Olivier Henrard.

[6] «  Nous devons reconnaître honnêtement les limites de nos compétences techniques – certains d’entre nous en ont apporté la preuve, moi le premier hier soir – sur des sujets extrêmement techniques comme le MP4 ou les fichiers MP3.  » – Laurent Wauquiez, député UMP benjamin de l’AN sous la XIIème législature, porteur de la partie civile de l’amendement Vivendi, lors de l’examen du DADVSI. Franck Riester est «  benjamin du groupe UMP et troisième plus jeune député de l’hémicycle  » selon ce portrait.

[7] «  Vendredi 18 novembre 2005, au ministère de la Culture, le SNEP et la SCPP déclarent aux auteurs de Logiciel Libre  : «  Vous allez changer vos licences.  » La SACEM ajoute  : «  Vous allez arrêter de publier vos logiciels.  » Et se déclare prête à «  poursuivre les auteurs de logiciels libres continuant de divulguer leur code source  » – Extrait du communiqué de presse de la FSF France du 25 novembre 2005.

[8] Contrairement au prédécesseur de Franck Riester sur la 5ème circonscription de Seine-et-Marne, Guy Drut, UMP lui aussi, qui a été un des questeurs à l’origine de la migration vers le logiciel libre du poste de travail des députés français.

[9] Pour une liste des députés, leurs fiches individuelles et leurs coordonnées, voir également le Mémoire Politique disponible sur le wiki de la Quadrature du Net.

14 Responses

  1. Wraxe

    En voulant contacter mon député par le site de l’assemblée nationale, je tombe sur cette erreur :
    "Microsoft JET Database Engine error ‘80004005’"

    Comme quoi ..

  2. 4ngelius

    Je ne vois pas l’intérêt de protester contre une méthode de cette loi alors qu’elle est pourris à la base ( les arguments a se sujet ne manquent pas ).

    Il faut condamnée la loi elle même ! Qui est dangereuse pour les libertés, nuisiblie pour l’accès au numérique et a la culture, et protège uniquement les ayants droits et non les artistes tout en étant basé plus sur la répression que la prévention et l’éducation.

    Et puis entre nous, entre installer un spyware et un logiciel de peer to peer sécurisé et anonyme, le choix sera vite fait :p.

  3. Christophe

    @Wraxe
    Rhôôô, la bonne blague … Le site de l’Assemblée qui carbure au .NET ! Il faudrait qu’ils vérifient la version de leur Framework.

  4. Alex_erson

    Moi je m’inquiète surtout pour nos pauvres députés avec leur ordinateur sous Ubuntu… Comment vont-ils faire pour se défendre si la Haute Autorité les prend la main dans le sac et sans logiciel espion pour les blanchir…

  5. jerome

    J’ai la même erreur que Wraxe lorsque je veux contacter mon député.
    "Microsoft JET Database Engine error ‘80004005’"

    Je cite le rapporteur :
    "J’en viens au second objet de l’amendement : l’interopérabilité. Je n’y suis pas favorable. Il faut laisser au consommateur sa totale liberté de choix en fonction de son système d’exploitation."

    Alors là il faut que l’on m’explique, si le logiciel de sécurisation n’est pas intéropérable, comment peut-on avoir le choix de son système d’exploitation ?

    La phrase ci-dessous est un pure scandale
    "L’intéropérabilité n’est pas nécessaire pour les consommateurs et elle est trop contraignante pour les éditeurs de logiciels."

    On comprend de suite que ce n’est pas l’intérêt du consommateur qui prime mais plutôt celui des éditeurs de logiciels.
    Si le lien pour contacter les députés ne fonctionne pas on peut tout de même écrire au rapporteur Riester,auteur de ces propos. Voici le mail :
    friester@assemblee-nationale.fr

  6. Luc

    Méfiez vous , le rapporteur est un type super calé en informatique : il est concessionnaire automobile !!

  7. Fantôme chinois

    Une question : c’est quoi au juste l’interopérabilité ?

  8. Interopéré

    A fantôme chinois : http://fr.wikipedia.org/wiki/Intero
    J’évolue dans une discipline (l’archivistique – http://fr.wikipedia.org/wiki/Archiv…)) où l’interopérabilité et la standardisation sont devenus des impératifs fondamentaux pour la gestion des informations documentaires. Mais au-delà de cette réflexion corporatiste, j’imagine qu’au bas mots nous sommes des dizaines de millions, ne serait-ce qu’en tant que simple visiteur d’un site n, pour donner un exemple très bateau, à dépendre ou plutôt profiter tous les jours de l’interopérabilité.
    Ces jours-ci, on vraiment eu droit à un festival de Tartuffe en cortèges censés nous persuader qu’ils maîtrisaient un tant soit peu la chose sur laquelle ils sont censés légiférer ou aider le législateur :
    Allez, on se la refait, pour le fun :
    http://www.youtube.com/watch?v=xQF5
    Pis tant qu’on y est, tiens : http://www.youtube.com/watch?v=IO8v
    (Attention, ceci est une parodie) http://www.dailymotion.com/video/x8

  9. PillOow

    Je n’ai jamais eu aussi peur et été en colère contre le gouvernement concernant des réformes du domaine numériques. Déjà DADVSI c’était pas jojo mais là c’est le pompom. Ce qui me fait mal aussi, c’est de savoir à quel point le lambda n’est pas informé sur ces questions cruciales. Lorsque j’en parle autour de moi, on me regarde avec des billes comme ça… O_o Pas un mot à la télé, à la radio ou dans les journaux ( ou en tout cas très peu ), cette loi va passer comme un pet sur une plaque de verglas.

    Je sais pas vous, mais moi j’ai l’impression que c’est ça qui manque, une campagne d’information grand publique sur le net. Oui je sais, c’est plus facile à dire qu’à faire, mais le net pour l’instant nous appartiens toujours. Alors profitons en parce que ça risque de ne pas durer. J’sais pas moi, par exemple une bannière qu’on pourrait mettre en signature qui nous redirigerais vers un texte explicatif ( sur le framablog 😉 ). Des p’tites choses comme ça. A moins que ça existe déjà.

    Vont-ils obligé les entreprises à installer ces "moyens de sécurisation" ? Que ce passe-t-il si quelqu’un refuse ? Parce que s’ils coupent les connexions pour ces raisons, sans parler du fait que c’est scandaleux, ( mais qu’est-ce qui ne l’est pas dans cette loi ? ), économiquement c’est pas viable.

    C’est quand même presque drôle d’entendre que "La non-intéropérabilité laissera au consommateur sa totale liberté de choix en fonction de son système d’exploitation."

    C’est d’un non sens…

  10. aKa

    @PillOow : Le texte du projet de loi Création et Internet sera examiné par l’Assemblée nationale à compter du 4 mars prochain. A mon avis c’est à partir de cette date que les "grands médias" bougeront.

    En attendant je pense que les deux sites les plus influents et dynamiques en la matière sont, dans un registre différent, la Quadrature du Net et Numerama.

  11. aKa

    Charlie, tu ne serais pas en train de confondre le site Numerama et Numericable par hasard ?
    😉