Ubuntu 11.04 et son interface Unity : l’ordinateur idéal pour l’éducation ?

Okubax - CC-bySortie tout récemment, la dernière version 11.04 de la distribution GNU/Linux Ubuntu offre une spectaculaire nouvelle interface graphique baptisée Unity (cf cette vidéo) que Mark Shuttleworth lui-même n’hésite pas à qualifier de « changement le plus important jamais réalisé sur Ubuntu ».

Et si cette interface[1] se révélait être idéale pour le monde de l’éducation ?

C’est l’hypothèse avancée ci-dessous par Christopher Dawson (ZDNet) en appuyant ses dires par la similarité d’usage avec les smartphones dont nos étudiants sont friands et familiers.

Mais vous ne serez peut-être pas d’accord, d’autant que le chroniqueur s’aventure également à affirmer (ce qui ressemble un peu à un argument pro Mac) que les étudiants sont « des consommateurs peu intéressés à comprendre ce qu’il y a sous le capot » et que « moins ils en voient et mieux ça vaut ».

PS : Pour info, Framasoft sera présent « en force » à la prochaine Ubuntu Party de Paris du 27 au 29 mai prochain.

Ubuntu 11.04 : l’ordinateur idéal pour l’éducation ?

Ubuntu 11.04: The ultimate educational desktop?

Christopher Dawson – 5 mai 2011 – ZDNet Education
(Traduction Framalang : Don Rico et Goofy)

J’utilise Ubuntu 11.04 depuis la version alpha, et c’est mon système d’exploitation principal sur les divers netbooks qui vadrouillent chez moi. Mes lecteurs réguliers savent que j’utilise Ubuntu depuis un bout de temps, que ce soit comme serveur ou comme système d’exploitation pour mon ordinateur. Ces temps-ci, je passe beaucoup de temps sur mon Mac, qui est génial, mais c’est plus fort que moi : je me dis que la dernière version d’Ubuntu pourrait bien être l’ordinateur idéal dans le domaine de l’éducation, pour un tas de raisons.

D’ailleurs, il pourrait bien damer le pion à OS X et devenir mon système d’exploitation favori, mais pour l’instant la question n’est pas là. Le monde de l’éducation a plus à gagner que moi avec Ubuntu 11.04. Voici pourquoi.

La première fois que j’ai essayé Ubuntu, c’était sur de vieux ordinateurs de mon lycée, il y a quelques années, pour tenter d’économiser de l’argent avec des logiciels gratuits et prolonger un peu la vie de quelques ordinosaures. Ça a fonctionné, mais depuis, Ubuntu a fait bien du chemin. Et nos utilisateurs aussi, qu’ils soient adultes ou étudiants. Nous utilisons tous couramment des téléphones sous Android ou des iPhones et naviguons dans une interface qui assume sans complexe n’être pas du Windows. C’est là qu’intervient la nouvelle interface Unity. Steven J. Vaughan-Nichols a interviewé le fondateur de Canonical, Mark Shuttleworth, qui l’évoque en ces termes :

Shuttleworth a commencé par préciser que selon lui, le point le plus important avec Unity dans Ubuntu 11.04, c’était « d’apporter à un large public de consommateurs ce qui a toujours été au cœur de la plateforme Linux : du plaisir, des libertés, de l’innovation et des performances… »

Dans le domaine éducatif, bien plus que dans la plupart des industries, nos utilisateurs sont très consommateurs (du moins la plupart ont-ils une approche de consommateurs pour les nouvelles technologies). Il existe des exceptions remarquables, bien sûr. Je me garderais bien de ranger Karl Frisch parmi les consommateurs, par exemple, et beaucoup de ceux qui utilisent les technologies de manière vraiment innovante ne le sont certainement pas plus.

Mais nos étudiants, qui sont pourtant connectés en permanence, ignorent en général tout de ce qui se passe sous la coque de leur iPhone ou de leur PC sous Windows 7, et qui plus est, ils s’en fichent. Qu’on l’aime ou le déteste (partisans et détracteurs sont également nombreux), Unity remplit fort bien sa mission en masquant les entrailles de Linux pour attirer les accros de Windows comme des abeilles sur le miel. Avec Unity, la partie visible, c’est tout ce dont vous avez besoin.

Dans les établissements scolaires, cela revient à pouvoir choisir son navigateur Web, des logiciels de bureautique si vous n’avez pas opté pour une application en ligne, et tous les logiciels éducatifs que vous déciderez d’utiliser. Moins les étudiants et les professeurs en voient et mieux ça vaut (en-dehors des cours qui exigent d’en savoir ou d’en faire plus). Après tout, ils devraient surtout concentrer leurs efforts sur l’apprentissage et pas sur les joujoux high-tech, les gadgets ou autres sources de distraction qu’ils auraient sous la main.

En fait, Unity se rapproche d’Android plus que n’importe quel système d’exploitation avant lui. Ubuntu a enfin cessé de vouloir à tout prix imiter Windows ou OS X avec les bureaux Gnome et KDE, et c’est à présent le seul système de bureau à offrir une expérience proche de celle des appareils mobiles, ce qui parle à une vaste catégorie d’utilisateurs. Ces utilisateurs de téléphones Android ou d’iPhones basculent avec facilité entre les espaces de travail et les écrans où sont regroupées les icônes des applications qu’ils utilisent le plus fréquemment. On retrouve ce même fonctionnement avec Unity, qui simplifie l’utilisation d’un système stable et gratuit.

Et voilà qu’on reparle de gratuité. Il y a presque six ans, lorsque j’ai installé Ubuntu pour la première fois dans ce labo de misère, c’était parce qu’il était gratuit et ne craignait pas les programmes malveillants. Aujourd’hui, les programmes malveillants ne présentent dans l’ensemble toujours aucun danger, et le système d’exploitation reste libre et gratuit.

À l’évidence, si votre établissement a besoin d’applications essentielles à son activité qui ne sont pas disponibles sur Ubuntu, il faudra aller voir ailleurs. Sans même se pencher sur Edubuntu et les tonnes de logiciels éducatifs libres disponibles dans les dépôts d’Ubuntu, la grande majorité des établissements trouveront de quoi satisfaire pleinement leurs besoins dans l’interface épurée d’Unity. Pour ne rien gâcher, Ubuntu 11.04 démarre en un clin d’œil, sa prise en mains est facile quel que soit le niveau de l’utilisateur, et il fonctionne à merveille sur tous types de machines, de l’ordinateur de bureau le plus complet au plus petit des netbooks. Finies les versions remixées pour netbooks, juste une interface « unifiée » d’une machine à l’autre.

Shuttleworth sera le premier à reconnaître qu’il reste du chemin à faire, mais c’est un projet qui a franchi un pas décisif pour marquer sa différence. Et cette différence peut profiter directement aux professeurs et aux élèves, s’ils désirent retrouver sur leur ordinateur de bureau et leur laptop l’utilisation intuitive de leur smartphone.

Notes

[1] Crédit photo : Okubax (Creative Commons By)




Vies parallèles : une BD pour semer la liberté chez les enfants

BD Gleducar - CC byDeux familles voisines entrent dans un magasin d’informatique pour s’acheter un ordinateur. Le choix des uns diffère radicalement de celui des autres. Mais heureusement, ça se termine bien à la fin et la grande soeur de conclure : « Regardez les enfants, utiliser des logiciels libres donne envie aux gens d’aider les autres et de collaborer ! ».

Il existe une réelle dynamique en Amérique latine autour du logiciel libre.

Ayant compris son intérêt éducatif, plusieurs intiatives ont vu le jour. En Argentine, l’ONG Gleducar, composée d’enseignants, d’étudiants et d’activistes du logiciel libre, s’est fixée pour mission, depuis sa création en 2002, de favoriser le libre dans le monde de l’éducation.

Pour atteindre cet objectif, l’association développe de nombreux projets :

  • le don aux écoles et aux bibliothèques d’ordinateurs recyclés livrés avec des logiciels libres
  • la réalisation d’un film documentaire sur l’éducation (finalisation prévue en 2011)
  • la promotion de l’utilisation pédagogique de logiciels et de ressources libres
  • la formation à l’utilisation du logiciel libre JClic
  • la diffusion de la culture libre à travers une série de publications pour les enfants et les adolescents

Dans le cadre de ce dernier pojet, nommé Sembrando libertad (« Semer la liberté »), la réalisation d’un livre à destination des 5 à 12 ans est en cours de finalisation. Pour illustrer, l’utilité et l’intérêt des logiciels et de la culture libre, une bande dessinée, qui fera partie de cet ouvrage, a été réalisée (avec Inkscape). Comme elle nous paraissait particulièrement intéressante[1] et qu’elle est sous licence libre[2] le groupe de travail Framalang l’a traduite.

À mettre entre toutes les mains, notamment celles des plus jeunes !

BD Gleducar - CC by

Notes

[1] Par exemple pour accompagner le FramaDVD École ou encore le projet de Framakey École

[2] Creative Commons By




L’expérience Sugar Labs préfigure-t-elle une révolution éducative du XXIe siècle ?

Danishkanavin - CC by-saDu projet One Laptop per Child (ou OLPC) les grands médias ont surtout retenu qu’il s’agissait de mettre un ordinateur entre les mains des enfants des pays défavorisés. Confondant la fin et les moyens ils sont alors souvent passés totalement à côté de son intérêt principal qui est pédagogique. Negroponte n’a de cesse à juste titre de le répéter : « le projet OLPC n’est pas un projet informatique, c’est un projet éducatif ».

Lorsqu’une écolière Uruguayenne et un écolier Uruguayen allument leur petit ordinateur vert, ils se retrouvent sur une interface qui est fort différente du classique environnement graphique d’un Mac, Windows ou d’une distribution GNU/Linux.

Ici on abandonne la métaphore du bureau. Applications et fichiers sont bien entendu toujours présents mais ce qui est mis en avant c’est l’interaction avec les autres, ce qui apparaîtra de suite à l’écran c’est la présence du camarade, ce sur quoi il travaille, sachant qu’il est alors facile de le rejoindre pour collaborer.

Cette interface innovante et pleine de promesses s’appelle Sugar (cf vidéo). Elle est déjà massivement utilisée dans des pays comme l’Uruguay (cf vidéo) et nous voici alors projetés à des années-lumière de ce qu’une école française peut proposer non seulement comme outil mais aussi et surtout comme conception générale de sa fonction et de ses missions[1].

En matière d’éducation et de nouvelles technologies, il y a ceux qui pensent qu’il est important de savoir comment mettre en gras dans Word, c’est-à-dire apprendre le mode d’emploi d’un logiciel propriétaire, et il y a ceux qui veulent en profiter pour… changer le monde !

Le créateur de Sugar, Walter Bender, est de ceux-là. Simon Descarpentries l’a rencontré pour nous à Paris à l’occasion de l’Open World Forum 2010 et il a gentiment accepté de nous livrer un texte inédit nous présentant la jeune fondation Sugar Labs, sa philosophie, ses objectifs et ses réalisations.

Il ne s’agit que d’un témoignage mais c’est un témoignage important car il est bien possible que se trouve là l’une des pistes possibles et souhaitables pour l’éducation de demain. Et il n’est guère étonnant de constater la convergence entre une conception dynamique, créative et collective de l’apprentissage et le logiciel libre et sa culture.

Culture communautaire : l’expérience Sugar Labs

Community culture: The experience of Sugar Labs

Walter Bender – décembre 2010 – Licence Creative Commons By-Sa
(Traduction Framalang : Siltaar, Goofy, Seb seb, Zitor, Julien et Barbidule)

Dans un article publié il y a 30 ans et intitulé « Critique de l’ordinateur contre pensée technocentrique », Seymour Papert écrivait : « le contexte du développement de l’homme est toujours la culture, jamais une technologie isolée ». Dans un autre passage du même article, Papert offre un aperçu de ce qui est nécessaire pour fonder une culture de l’apprentissage : « Si vous vous demandez que doit savoir un pratiquant averti du LOGO, la réponse va au-delà de la capacité à utiliser et enseigner le LOGO. L’adepte doit être capable de parler du LOGO, d’en faire la critique, et de discuter des critiques émises par d’autres personnes ».

30 ans après, remplaçons « LOGO » par « Sugar »

Sugar est une plateforme logicielle destinée à l’éducation des enfants. Sugar est développé et maintenu par Sugar Labs, une communauté mondiale de développeurs et d’éducateurs bénévoles. Notre objectif est l’émergence d’une génération de penseurs critiques et de gens capables d’inventer des solutions. À travers Sugar, nous nous efforçons de procurer à chaque enfant une chance d’apprendre et d’apprendre à apprendre, dans un contexte qui va lui permettre à la fois d’entamer un échange dynamique avec d’autres et de développer des moyens indépendants pour atteindre ses objectifs personnels.

Que devraient apprendre les enfants et comment devraient-ils apprendre ? Ceux qui apprennent devraient avoir accès aux idées qui nourrissent leur culture locale de même qu’aux idées puissantes qui constituent l’héritage global de l’humanité. Mais ils devraient aussi s’exercer à l’exploration et à la collaboration, et s’approprier des connaissances en menant une démarche authentiquement ouverte de recherche de solutions. Ce qui peut être réalisé au sein d’une communauté éducative construite autour d’une structure de responsabilités, c’est-à-dire avec des apprenants qui s’impliquent dans un processus d’expression, de critique et de réflexion par eux-mêmes. Qu’est-ce que j’apprends ? Comment l’ai-je appris ? Pourquoi est-ce important ? Puis-je l’enseigner à d’autres ? Est-ce que j’en ai une connaissance approfondie en l’enseignant ?

Dans cet essai, je compte exposer la façon dont Sugar nourrit une culture éducative par l’association de deux communautés – les développeurs de Sugar et ceux qui apprennent – participant à créer un « contexte favorable au développement humain » et un changement de culture scolaire.

La culture du logiciel libre

La culture du logiciel libre a influencé le développement de Sugar. Les développeurs du Libre vont au-delà du produit de consommation, ils créent et partagent leurs créations ; ils « débattent » du logiciel libre, ils en font la « critique », et ils « discutent le point de vue critique des autres ». Il ne prennent rien pour argent comptant. Les points communs entre le projet Sugar et le mouvement du logiciel libre sont les suivants : des outils pour s’exprimer, car les enfants créent des contenus autant qu’ils les consomment ; et la collaboration, car les enfants partagent leurs réalisations, s’aident mutuellement, et se lancent dans un processus de réflexion sur eux-mêmes et de critique collective.

Le projet Sugar s’inspire également de la façon dont les acteurs de la communauté du logiciel libre collaborent. Tout comme les développeurs de logiciels, les enfants discutent, se socialisent, jouent ensemble, partagent des médias, s’associent pour créer de nouveaux médias et des programmes, s’observent les uns les autres, dans un cadre à la fois formel et informel. Le projet Sugar facilite le partage, la collaboration et la critique. Les développeurs de logiciels libres et ceux qui apprennent avec Sugar rédigent des documents, échangent des livres et des images, créent de la musique ou écrivent du code ensemble. Les deux communautés s’investissent dans une « pratique de réflexion » : il s’agit de mettre en pratique leur expérience tout en étant guidé et épaulé par des « spécialistes » d’un domaine (ils peuvent être professeurs, parents, membres de la communauté dans un salon de discussion, ou encore de camarades étudiants investis dans un échange critique soutenu).

De la même façon qu’avec le logiciel libre, Sugar encourage chaque enfant à être une force créative au sein de sa communauté. L’apprentissage avec Sugar n’est pas un acte passif où l’enfant reçoit le savoir. Il est actif. On parle de créativité, d’aisance, d’innovation, et de résolution de problèmes, tout ce qui implique l’expression personnelle et les liens forts à la communauté. Sugar apporte les outils d’expression à portée des enfants pour qu’ils soient libres d’agir à l’intérieur de leur communauté et à travers leurs actions, de changer le monde. Le logiciel libre est une condition nécessaire pour établir cette culture de l’expression et de l’émancipation. Le mot d’ordre de la génération suivante d’élèves sera « montre-moi le code, que je puisse en tirer un apprentissage et l’améliorer. »

Réalisations et défis

Depuis que nous avons établi les Sugar Labs en tant que projet dans le cadre du Software Freedom Conservancy (NdT : lit. Protection des Libertés Logicielles) en 2008, nous avons démontré notre engagement à un ensemble de valeurs fondamentales qui comprennent la liberté et l’ouverture ; nous sommes devenus dans une large mesure indépendants de tout matériel et distribution (lorsque nous avons commencé, nous étions liés à une seule plateforme – le netbook XO du projet One Laptop per Child (OLPC)) ; nous avons énormément avancé sur le chemin qui conduit à une version logicielle stable 1.0 ; nous sommes forts d’une vaste communauté qui comprend près de 2 millions d’élèves utilisateurs ainsi que, bien entendu, des développeurs de logiciels et de nombreux professeurs et étudiants qui ont leur franc-parler.

Alors que nous nous débattons quotidiennement avec des défis techniques, notre défi principal est l’un des engagements avec notre communauté : comment pouvons-nous nous assurer qu’il y a un dialogue fructueux entre le développeur et les communautés éducatives liées à Sugar ? En d’autres termes, comment pouvons-nous transmettre à la communauté éducative la culture de la collaboration et de l’esprit critique qui est essentielle au développement de la plateforme Sugar, et à mieux nous permettre d’apprendre de nos utilisateurs finaux ? L’un des rôles que joue la communauté Sugar est de sensibiliser l’ensemble de l’écosystème du logiciel libre aux besoins des enseignants. Un autre rôle est de sensibiliser l’ensemble de l’écosystème éducatif au pouvoir de l’expression, de la critique et de l’auto-critique. Dans nos interactions avec les deux communautés, nous prenons grand soin de nous demander nous-mêmes : « Quel effet cela a-t-il sur l’apprentissage ? ».

Afin d’élargir nos efforts, un équilibre entre la fréquence des déploiements Sugar et la fréquence des nouveautés apportées par les Sugar Labs doit être maintenu. Nous avons un bon bilan dans notre réactivité aux besoins identifiés par les déploiements ; dans le même temps, nous sommes pro-actifs en sollicitant une plus grande participation de la communauté.

Les Sugar Labs sont aussi axés sur les besoins des enseignants. Nous avons des discussions régulières sur la façon de solliciter leurs retours. Certains initiatives, tel qu’une liste de discussions fréquentée par des enseignants et des conversations hebdomadaires sur la pédagogie sont très productives. Un exemple de notre succès est que des enseignants commencent à apporter des modifications à Sugar et à ses activités. Un autre exemple est que des professeurs d’université enseignent l’informatique avec des logiciels libres dont Sugar.

Sugar Labs se décline au pluriel

Sugar Labs est une communauté globale qui se charge de définir des objectifs clairs et de maintenir l’infrastructure dont a besoin le projet dans son ensemble. Mais la communauté Sugar encourage et facilite également la création de « labs locaux » qui apportent leurs spécificités et une autonomie pour les déploiements régionaux, y compris en partenariat avec des entreprises locales à but lucratif, ce que le Sugar Labs « central » ne peut pas faire.

Ces labs locaux :

  • adaptent la technologie et la pédagogie à la culture et aux ressources locales (ex : développement d’activités et de contenus spécifiques à une région) ;
  • aident à traduire Sugar en langues régionales ;
  • gèrent les déploiements Sugar dans les écoles de la région ;
  • créent des communautés locales adhérentes aux principes des Sugar Labs, rendant Sugar plus ouvert et autonome ;
  • permettent la communication entre ces communautés locales et la communauté mondiale Sugar Labs ;
  • hébergent, co-hébergent ou s’associent dans l’organisation de conférences, ateliers, discussions et rencontres relatifs à l’utilisation et au développement de Sugar.

Avec le temps, la charge technique se répartit sur les labs locaux (la sortie récente de « Dextrose », pour les OLPC XO construits au Paraguay, est un exemple de comment les labs locaux – menés par une communauté de volontaires – peuvent travailler ensemble pour résoudre des défis techniques et pédagogiques).

En « amont » et en « aval »

Marco Presenti Gritti, développeur Sugar et co-fondateur des Sugar Labs, me rappelait que lorsque nous avons créé les Sugar Labs, nous avons pris une décision réfléchie sur l’étendue du développement. « En suivant le modèle de l’environnement graphique GNOME, nous n’allions pas tout créer et gérer nous-même, mais nous allions nous intégrer et nous appuyer sur les distributions GNU/Linux et le projet OLPC pour le faire ».

Classiquement, un projet en amont[2] développe du code et un processus de publication. En aval, les distributions créent des paquets avec des personnalisations et distribuent un produit pour l’utilisateur final (cela implique habituellement un processus QA bien défini et un mécanisme de support).

Le spécificité éducative de notre projet a nécessité d’élargir le modèle et les communautés impliquées. Le développement et les déploiements de Sugar sont évidemment engagés dans la construction d’images, de QA, des tests, dans la recherche d’erreurs à corriger, dans la documentation, le support… qui relèvent de programmeurs experts. Mais, comme mentionné précédemment, nous travaillons également avec des étudiants et lycéens et à l’occasion un professeur qui connaît suffisamment bien le Python peut contribuer aux correctifs.

Afin de créer un produit viable et gérable, nous devions établir un équilibre entre notre travail comme projet logiciel « en amont » et les efforts « en aval » des distributeurs GNU/Linux. C’est ainsi que nous travaillons activement avec la communauté Fedora (laquelle a pris à son compte une grosse partie de la charge associée au support du matériel OLPC), la communauté Debian, openSUSE, Trisquel, Mandriva, Ubuntu (ex : le Sugar Ubuntu remixé), etc.. À l’occasion nous devons assumer un rôle de leader, comme quand nous avons pris à bras-le-corps les initiatives naissantes pour créér un Live USB« Sugar on a Stick ».

Optimisé pour la communauté

À la conférence LIBREPLANET en 2010, Eben Moglen a accordé un entretien sur tout ce qui avait été accompli par la communauté du logiciel libre. Le logiciel libre n’est plus une possibilité ; il est « indispensable », a-t-il affirmé. Ce logiciel « fiable et qui a un coût de production quasi nul » présente de nouvelles et nombreuses opportunités, en particulier dans le secteur de l’éducation, qui est toujours grevé par un budget serré. Seul le logiciel libre est « écrit une fois mais exécuté partout ».

Nous voulons aussi écrire du code fiable qui permette à Sugar d’être exécuté « partout », et nous avons réalisé de grands progrès en suivant les pas de la grande communauté GNU/Linux. Mais la communauté Sugar a un objectif supplémentaire : nous souhaitons que nos utilisateurs finaux participent également à l’amélioration du code, parce que cela participe de l’apprentissage. Si tout le monde est capable d’écrire du code et si ce code est écrit avec les modifications des utilisateurs finaux en tête, nous aurons un monde dans lequel chacun est engagé dans le « débogage », ce que Cynthia Solomon a décrit une fois comme « l’une des grandes opportunités éducatives du XXIe siècle ».

Oui la licence GPL (General Public License) utilisée par les Sugar Labs garantit que le logiciel peut être modifié par l’utilisateur final. Mais, pour la plupart des utilisateurs, ceci n’est qu’une liberté théorique si la complexité du logiciel représente une barrière insurmontable. Par conséquent, les critères habituels (fiabilité, efficacité, maintenance, etc.) sont nécessaires mais non suffisants pour l’éducation.

Aux Sugar Labs, nous faisons un pas supplémentaire en nous assurant que notre code est à la fois libre et ouvert, mais également « ouvert à la manipulation des utilisateurs finaux ».


Voici quelques actions entreprises par Sugar Labs pour encourager et faciliter les modifications des utilisateurs finaux :

  • Susciter des attentes et des envies en établissant une culture dans laquelle c’est la norme d’utiliser les libertés permises par le logiciel libre et articuler la liberté pour modifier les aspects du logiciel libre (1ère liberté).
  • Offrir des outils qui facilitent l’accès aux sources (ex : un menu « voir les sources » toujours disponible, rendant la source de chaque application à portée d’un « clic de souris »).
  • Utiliser des langages de script (Python, Javascript, et SmallTalk dans le cas de Sugar) pour que ces changements puissent être immédiats et faits directement.
  • Mettre en place des paliers pour permettre à l’utilisateur final de commencer en faisant des petits pas (alors que le langage de programmation C peut avoir une « couche haute », il n’a pas de très « basse couche »).
  • Réduire le risque associé aux erreurs en proposant des « zones tampons » ; si en touchant au code vous introduisez des bugs collatéraux ou irréversibles alors les gens seront vite conditionnés à ne pas se livrer à des comportements à « risque » en modifiant le code.
  • Fournir de « vrais » outils : s’assurez-vous que la vraie version puisse être modifiée et non une version répliquée indépendante mais peu motivante.
  • Être une communauté de soutien ; on peut dire à juste titre de la communauté Sugar qu’elle est accueillante et tolérante avec les « nouveaux venus », poser une question c’est déjà devenir membre de la communauté, nous sommes pointilleux pour ce qui concerne l’octroi de privilèges sur le « projet principal » mais nous donnons les droits pour encourager la création de branches expérimentales.

Quand on m’a demandé combien de correctifs ont été fournis par les utilisateurs de Sugar, j’ai répondu que des membres de la communauté ont contribué aux correctifs mais que je n’avais pas connaissance de correctifs apportés par des enfants. Encore faut-il faire la distinction entre correctifs envoyés et acceptés, car l’apprentissage commence en créant le correctif, en le soumettant, et en le partageant avec d’autres même lorsqu’il ne se retrouve pas accepté. Sugar a inculqué aux enfants et à leurs professeurs le sentiment qu’ils peuvent être créatifs et utiles avec l’informatique.

Cependant, après deux années d’expérience concrète de Sugar, nous commençons à voir des contributeurs émerger de sa communauté d’utilisateurs. Par exemple, en Uruguay, qui a été le premier pays à fournir des outils éducatifs libres à chaque enfant, quelques préadolescents sont en train de coder activement (un enfant de 12 ans d’une petite ville à des heures de Montevideo fréquente notre canal IRC, y pose des questions et poste du code, à la mi-décembre 2010, il a déjà envoyé huit activités sur notre portail). Quand le président uruguayen José Mujica a entendu parler de ces réalisations, il a souri et a dit avec une voix remplie de fierté : « Nous avons des hackers ». Il y a peut-être 12 enfants qui développent du logiciel libre aujourd’hui en Uruguay. L’an prochain ils seront 100. Dans 2 ans, ils seront 1000. L’Uruguay est en train d’expérimenter un changement de culture lié à un changement dans les attentes que le pays a pour ses enfants, un changement accéléré par la culture du logiciel libre.

Maximiser nos efforts

Qu’est-ce qui motive nos contributeurs et qu’est-ce qui motive les professeurs (que nous aimerions voir adopter Sugar) ?

Pour tenter d’y répondre je me suis appuyé sur l’article L’économie comportementale : les sept principes des décideurs publié par le New Economics Foundation :

  • Le comportement des autres personnes compte. Nous devons sensibiliser les professeurs aux meilleures pratiques de Sugar pour qu’ils puissent faire des émules. Pouvons-nous identifier les « génies », « contacts », « commerciaux » dans nos communautés cibles ? Quelles ressources pouvons-nous mettre en place pour les inciter à adopter Sugar ? Ainsi je travaille avec une petite école de quartier dans la ville de Boston dont l’exemple est suivi par d’autres quartiers bien plus importants. Si nous pouvons avoir une influence sur un professeur « génie » du quartier, nous pourrions avoir un gros avantage. Cela signifie également que nous devons être vigilants quant à la qualité pédagogiques de nos activités proposées.
  • Les habitudes sont importantes. Ces habitudes qui participent au status quo ne doivent pas être négligées. Qu’est-ce qui motive et encourage le changement ? Quelles actions pouvons-nous mener pour soutenir et engager les changements dans les pratiques et les comportements ?
  • Les gens sont motivés pour « faire ce qu’il faut ». Mettons alors cette notion de « faire ce qu’il faut » (NdT : do the right thing) en débat avec les enseignants, essayons de voir avec eux si leurs conceptions peuvent évoluer. En géométrie, il n’y a pas de chemin réservé aux rois, disait Euclide.
  • Les attentes des gens influencent leur comportement : ils veulent que leurs actions soient en phase avec leurs valeurs et leurs engagements. C’est un travail de longue haleine pour nous car nous ne sommes pas toujours en phase au départ avec ces attentes. Cependant, tant que nous respectons et sommes fidèles à nos valeurs, nous pouvons convaincre et avoir de l’influence.
  • Les gens sont réticents au changement de peur de perdre ce qu’ils possèdent. Utiliser Sugar à partir d’un clé USB (« Sugar on a Stick », qui emprunte seulement un ordinateur sans rien modifier dedans) n’implique aucune changement irréversible tout en permettant de faire une nouvelle expérience pédagogique.
  • Les gens hésitent souvent lorsqu’il s’agit de prendre de grandes décisions. Ils sont souvent intimidés par les perspectives d’apprentissage de nouvelles choses (jusqu’à vraiment les faire). De plus es pertes immédiates peuvent décourager et faire perdre de vue les récompenses à long terme. Nous devons accorder une grande importance à ce moment crucial du démarrage en accompagnant ceux qui acceptent de prendre un tel risque.
  • Les gens ont besoin de se sentir écoutés et impliqués pour s’engager dans le changement. Nous avons une communauté qui tente d’accorder le plus grand soin à l’accueil des participants et à l’examen de leurs contributions. Ceci est une de nos grandes forces.

Est-ce que cela fonctionne ?

L’évaluation de projets éducatifs a toujours été difficile, en partie parce qu’il est difficile d’arriver à un concensus sur les mesures d’évaluation.

Il semble plus facile de prendre le problème par la négative où le consensus sur ce qu’il ne faut pas faire est plus facile à trouver. Ainsi Michael Trucano, qui blogue sur le portail éducation de la Banque mondiale, a publié un « top 10 » des pires pratiques de l’utilisation des nouvelles technologies dans l’éducation. Liste que je prends ici comme référence négative pour le projet Sugar avec comme exemples probants et prometteurs les deux déploiements d’envergure que sont le Paraguay Educa et le Plan Ceibal en Uruguay.

1. Parachuter du matériel dans les écoles et espérer qu’un miracle se produise.

C’est une critique souvent entendue pour le projet One Laptop per Child (un ordinateur portable par enfant), mais dans le faits, il y avait d’importants mecanismes d’aide et de mise en place en Uruguay et au Paraguay avant même que le matériel ne soit livré. En Uruguay, en plus du vaste support proposé directement par le gouvernement (incluant un programme de formation des professeurs, un centre d’appel, une vidéothèque des bonnes pratiques, etc.), deux initiatives communautaires au niveau national ont vu le jour : Ceibal Jam, qui fournit des logiciels et du contenu local aux enfants d’Uruguay, et Red de Apoyo al Plan Ceibal (RAP-Ceibal), qui assure un réseau d’aide pour les professeurs. Paraguay Educa a une équipe de conseillers qui travaille à temps plein dans les écoles, en aidant les professeurs. Et les éducateurs des deux pays participent régulièrement à des forums mondiaux.

2. Concevoir via l’OCDE des environnements d’apprentissage à implémenter partout.

Les « pays développés » proposent du contenu et quelques règles de bonnes pratiques, mais ce sont avant tout les équipes pédagogiques locales en Uruguay et au Paraguay qui échangent et conçoivent leurs propres matériels et programmes pour répondre à leurs besoins locaux (par exemple, un professeur de la campagne péruvienne a écrit un livre sur l’utilisation de Sugar en salle de classe qui est internationalement lu et reconnu par les autres professeurs).

3. Penser les contenus éducatifs après la mise en place du matériel.

En Uruguay et au Paraguay, c’est la pédagogie qui a guidé la vitesse de déploiement d’un projet vu avant tout comme une plateforme d’apprentissage (incluant les ordinateurs portables, la connectivité, les serveurs, la formation, la documentation, le support, l’assistance de la communauté, etc.).

4. Supposer que vous pouvez uniquement importer du contenu venu d’ailleurs.

Le mot clé ici est « uniquement ». L’Uruguay et le Paraguay profitent bien entendu des contenus créés ailleurs (comme par exemple ceux de la communauté Etoys) mais ils n’oublient de favoriser la production de ressources locales, qu’il s’agisse de nouveaux contenus ou de contenus modifiés à partir de ceux récupérés ailleurs.

5. Ne pas surveiller, ne pas évaluer.

À Plan Ceibal, ils ont un fonctionnement étendu pour surveiller l’état du réseau, des serveurs, et des ordinateurs portables lors du déploiement. Il y a beaucoup d’évaluations en cours du programe, aussi bien internes qu’externes. Paraguay Educa a été l’objet d’une évaluation externe par la Banque Interaméricaine de Développement (IDB Inter-American Development Bank).

6. Faire un gros pari sur une technologie qui n’a pas fait ses preuves.

C’est en particulier le cas lorsque l’on se base sur un unique distributeur et sur des standards fermés et/ou propriétaires. C’est alors une épée de Damoclès qui pèse sur l’avenir du projet. Les deux programmes mentionnés ci-dessous ont fait l’objet d’appels d’offre public et ont plusieurs distributeurs. Les deux utilisent abondamment des logiciels libres.

7. Ne pas être transparent sur le coût global de l’opération.

L’Uruguay a été assidue en publiant les chiffres de leur coût total de possession, maintenance et services du projet (chiffres, basés sur les coûts mesurés sur le terrain, qui se sont avérés plus bas que ce que certains avis pessimistes avaient prévu).

8. Négliger les problèmes d’équité.

En Uruguay ce sont avant tout les familles modestes qui sont ainsi équipées en informatique avec un accès Internet gratuit.

9. Ne pas former vos professeurs (ni votre directeur d’école).

Le plus gros investissement dans le programme au Paraguay a été la formation des professeurs. C’est sûrement la principale clé de la réussite du projet et nous veillons à ce que cette formation soit toujours plus efficace et adaptée aux réalités du terrain.

Trucano laisse le point numéro 10 comme exercice ouvert pour le lecteur. J’ajouterais :

10. Ne pas impliquer la communauté.

Dans les deux communautés uruguayenne et paraguayenne l’implication fait partie du projet par nature. Pour ce qui concerne Sugar, c’est un effort d’une communauté globale qui implique des centaines d’ingénieurs et des milliers de professeurs. Un résultat remarquable est le degré d’implication des parents dans les programmes.

Regarder vers le futur

Comme il est de mise avec chaque projet piloté par une communauté, il y a un débat permanent sur la vision de Sugar. Il peut y avoir des divergences d’opinion sur l’étendue de la mission des Sugar Labs (allant d’un point d’attention particulier sur les outils de collaboration à une vision plus large sur tout ce qui est nécessaire pour des déploiements réussis de l’OLPC). Mais tout le monde s’accord à dire qu’il y a une communauté Sugar de développeurs et d’apprenants pleine de vie et d’énergie et que les plateformes d’apprentissage basées sur des logiciels libres encouragent l’appropriation du savoir quel que soit le domaine que l’apprenant explore : musique, navigation sur internet, lecture, écriture, programmation, dessins, etc.

Carla Gomez Monroy, une pédagogue qui a participé à de nos nombreux déploiements, décrit Sugar comme « un environnement émergent et collaboratif, où la communauté identifie, code, utilise, innove, conçoit et re-conçoit ses propres outils » Les membres de la communauté d’apprentissage de Sugar s’engagent dans le débogage de leur créativité et des outils mis en place pour exprimer cette créativité. Ils investissent Sugar en tant que technologie mais aussi et surtout comme une culture de l’apprentissage passant par l’expression et la critique collective.

L’expérience Sugar Labs est « une participation collaborative pour apprendre à apprendre avec des outils qui nous correspondent ».

Walter Bender est le fondateur et le directeur exécutif de Sugar Labs, une fondation à but non lucratif. En 2006, Bender a co-fondé « One Laptop per Child », une organisation à but non lucratif avec Nicholas Negroponte et Seymour Papert.

Notes

[1] Crédit photo : Danishkanavin (Creative Commons By-Sa)

[2] Dans le développement logiciel, la métaphore de la rivière est utilisée pour décrire où les différentes activités et responsabilités se situent dans l’écosystème. L’« Amont » fait référence aux auteurs et mainteneurs du logiciel. L’« Aval » fait référence aux distributeurs et aux utilisateurs du logiciel.




Quand Calysto passe au lycée, les élèves se demandent s’il ne faut pas arrêter Internet !

Prakhar Amba - CC byIl est des billets que l’on n’aime pas avoir à publier. Celui-ci en fait clairement partie tant il m’irrite au plus haut point !

Il illustre malheureusement une nouvelle fois l’incapacité chronique de l’école à comprendre et former aux nouvelles technologies et aux enjeux de demain.

C’est donc l’histoire d’un lycée qui souhaite organiser une journée de sensibilisation sur le thème « Réseaux sociaux, gérer son identité numérique ». Louable intention s’il en est. Et l’on imagine fort bien que derrière ce titre se cache l’ombre de Facebook, devenu effectivement omniprésent chez les ados avec toutes les questions et conséquences que cela implique[1].

Soit, les enseignants ne sont pas tous des spécialistes du numérique, mais il doit bien y avoir dans une équipe pédagogique quelques compétences en la matière. Donc logiquement cela devrait pouvoir se préparer en interne. Mais non, on fait appel à une société privée.

Calysto se définit comme « une agence qui concentre son activité dans la maîtrise des enjeux liés aux usages de l’Internet et aux Technologies de l’Information et de la Communication ». Et, via son site TousConnectes.fr, elle propose aux établissements scolaires des journées d’information « dans le cadre de son partenariat avec le ministère de l’Education nationale ».

Voici la page de présentation de l’offre pour le lycée, sachant qu’il en coûtera à l’établissement (et donc au contribuable) 376 euros par jour. Elle commence ainsi : « Les lycéens se sont largement appropriés l’univers de l’Internet et du téléphone mobile dont les usages sont en constante évolution. S’ils en sont très souvent les prescripteurs, certaines notions leur échappent et nécessitent d’être approfondies. »

Calysto propose également de conférences pour les parents et se targue d’avoir déjà organisé plus de 230 conférences ayant touché plus de 22 000 adultes.

J’ai fait une rapide recherche Web et il semblerait que beaucoup établissements scolaires aient déjà fait appel aux services de Calysto, qui, il y a à peine une semaine, a même eu l’honneur d’un article dans le journal Sud Ouest. Extrait : « De nombreux contenus multimédias sont soumis à des droits d’auteur, la récente loi Hadopi a été mise en place pour les protéger (…) On peut retrouver n’importe quel internaute par son adresse IP ».

Cet extrait anxiogène n’est qu’un avant-goût de ce qui va suivre.

Calysto est passée tout dernièrement dans un lycée dont nous tairons le nom. C’est le témoignage édifiant d’un enseignant présent ce jour-là que nous vous proposons ci-dessous.

Parents vous pouvez dormir tranquille, la police de la pensée veille sur vos enfants ! Sauf que les enfants ne sont pas dupes, et leurs réactions radicales au sortir de la journée donnent paradoxalement espoir : « On fait quoi ? Il faut tout arrêter ? On ne va pas arrêter de vivre quand-même. Dans ce cas il faut interdire Internet ».

Quant à nous (nous Framasoft, mais aussi April, Quadrature, Wikipédia, etc.), il faut absolument que l’on s’organise pour proposer des journées alternatives, bénévoles et gratuites, afin d’opposer à un tel discours notre propre approche et culture du Net.

La plus belle c’est Calysto !

Par un enseignant, quelque part en France

À l’initiative des documentalistes et des CPE dans mon lycée se sont tenus des débats-conférences autour des dangers de l’internet et des réseaux sociaux. Ils ont fait appel à la société privée Calysto qui propose des solutions « clé en main ».

J’y ai assisté avec mes élèves de Seconde, et là je dois dire que j’ai été atterré.Le débat n’avait rien de participatif, l’intervenant faisait réagir les élèves avec des images chocs mais ne poussait pas la réflexion. Nous avons eu droit à une succession à un rythme effréné de faits divers et d’anecdotes. Le discours était très culpabilisant, ce qui est contre-productif avec les ados, « C’est interdit, c’est pas bien, vous n’avez pas lu les conditions d’utilisations, et oui, faut lire ».

Voici mon témoignage mais je dois préalablement dire que parmi mes collègues certains trouvaient d’une part que ça avait le mérite de lancer le débat et qu’il fallait donner une suite avec les profs, et que d’autre part tout le monde n’est pas spécialiste du sujet et qu’il faut passer par des simplifications et des abus de langage. Et qu’un discours policé de spécialiste n’aurait pas eu d’effet sur le public ado.

Lors de la conférence il y a  des oppositions franches sur des faits précis. L’intervenant soutenait certains propos que je lui disais être faux. Il a insisté et à aucun moment n’a montré le moindre doute du genre « je ne suis plus sûr du chiffre exact, il faudrait vérifier ». J’ai du prouver mon point de vue sourcé  a posteriori à mes collègues pour démontrer qu’il s’était manifestement trompé et qu’il a soutenu le contraire, quitte à me faire passer pour un incompétent.

Exemple 1 : Les conditions d’utilisation

Lui – Vous avez un compte Facebook par exemple ? Mains levées. Avez-vous lu les conditions d’utilisation ? Mains baissées. Eh oui faut lire !

Moi, me mettant dans la peau d’un élève – Mais encore ? Une fois qu’on l’a lu, on fait quoi s’il y a un truc qui nous gène ? On n’a pas le choix ?

Lui, véhément – Je ne peux vous laisser dire ça, on a toujours le choix, il faut lire les clauses c’est votre responsabilité, blabla…

C’était ma première intervention je ne pensais vraiment pas à mal, au contraire c’était pour lancer le débat.

Moi, dans mon idée faire émerger l’e-citoyen – Bien sûr mais ce que je veux dire, c’est s’il y a parfois des clauses abusives on fait quoi, les CLUF sont rédigés par des armées d’avocats qui se sont blindés ! N’est-ce pas à la loi, à nos députés, aux associations de consommateurs de nous protéger ?

(Et je ne parle même pas de class-action qu’on n’a pas en France.)

Lui, impatient ne voulant pas aller dans cette direction et voulant reprendre le fil de son intervention formatée et bien rodée – Non vous avez accepté c’est trop tard.

À partir de là il me suggère franchement de me taire, je lui réponds que j’ai été invité avec mes élèves et l’intitulé de l’invitation était Conférence, débat et échanges, là-dessus, il me mouche en me disant « oui, mais avec les élèves. » Je suis passablement énervé. J’ironise en disant que j’avais bien lu les CLUF pourtant.

Exemple 2 : L’HADOPI

Lui – L’Hadopi a faim, ils veulent rentrer dans leurs frais ça coûte cher, elle a condamné 75 000 internautes depuis le mois d’août.

Moi – Personne n’a été condamné, des mails d’avertissements ont été envoyés mais à ce jour aucun accès internet n’a été coupé !

Lui – Si il y a eu 75 000 condamnations et pas plus tard que …. il y a avait un jeune de 19 ans qui s’est fait coupé son accès.

Moi – Il y a eu 75 000 mails envoyés je vous l’accorde mais aucune coupure.

Lui – Nous avons les chiffres, mon collègue de Calysto va à l’ALPA (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle) tout le temps alors…

Grosso-modo on sait mieux que vous.

À ce moment là j’abandonne vu la réaction d’un de mes collègues (mais c’est du détail les batailles de chiffres), au même moment un autre collègue avec son iPhone se connecte sur le site de l’Hadopi et me dit qu’il doit confondre condamnations et recommandations ! Effarant.

Là en se moquant de moi il me demande si je n’ai pas une pause à aller prendre.

On passe à des copies d’écrans de sites pro-ana, les images choquent et font réagir les élèves. Il demande le silence, les menace de ne plus laisser parler si ils sont aussi bruyants.

Exemple 3 : La LOPPSI

Un autre prof pose la question suite aux diapos concernant le streaming et le direct download, peut-on (les autorités) aller voir dans mon disque dur ?

Lui – Oui bien sûr !

Moi, me sentant obligé de réagir alors que je ne voulais plus – Non c’est faux, il faut l’avis d’un juge, la police ou la gendarmerie doit avoir une commision rogatoire pour examiner le contenu de votre ordinateur.

Lui – Et non monsieur c’est LOPPSI 2, vous n’avez pas lu dans le journal : Les dictateurs en rêvaient Sarkozy l’a fait ! ?

Moi, j’ai un doute j’avoue que je n’avais pas potassé la loi LOPPSI2 – La LOPPSI2 n’est pas encore entrée en vigueur, elle vient juste d’être votée, aucun décret d’application n’a été publié.

Lui poursuit sans tenir compte de ma réponse, alors dans la tête des élèves ça donne ceci : « la police, les gendarmes peuvent se connecter même de l’extérieur comme ils veulent à notre ordinateur et accéder à son contenu ».

Après avoir fait quelques recherches ils se trouve que la LOPPSI 2 est actuellement visée par le Conseil constitutionnel et sur Wikipédia (à vérifier) j’ai pu lire que : « La police, sur autorisation du juge des libertés, pourrait utiliser tout moyen (physiquement ou à distance) pour s’introduire dans des ordinateurs et en extraire des données dans diverses affaires, allant de crimes graves (pédophilie, meurtre, etc.) au trafic d’armes, de stupéfiants, au blanchiment d’argent, mais aussi au délit « d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée », sans le consentement des propriétaires des ordinateurs. »

Nos ados téléchargeurs illégaux seraient-ils des terroristes trafiquants de stupéfiants ?

Après ça, c’en était trop je suis sorti une dizaine de minutes de la salle, puis je suis revenu m’installer tout au fond pour ne plus rien dire jusqu’à la fin. Pendant ce temps on assistait à d’autre passes d’armes moins intenses avec un autre collègue.

Et le libre dans tout ça ?

Et bien surprise il y en avait un peu. C’était pas le top mais quand même. On a eu droit à une diapo sur les contenus Creative Commons, mais sans rentrer dans les détails. « Il existe des contenus libres de droits comme le portail Jamendo pour la musique. »

Lui – Jamendo où ce sont des artistes pas connus qui partagent le contenu, c’est financé par la pub.

Moi – On peut aussi donner pour soutenir un artiste qu’on aime… aller à ses concerts.

Lui – Oui c’est comme Grégoire, vous misez sur un artiste en espérant que…

j’ai voulu dire que MyMajorCompany et Jamendo ce n’était pas la même chose, mais je n’ai pu le confier qu’à mon voisin car il était déjà reparti sur un autre sujet.

On a vu aussi un slide sur le P2P avec trois contenus Batman_origin.avi, Firefox, Adobe Reader et il a demandé si c’était du piratage ? Oui pour Batman mais non pour Firefox et Acrobat Reader qui sont gratuits mais nous ne sommes pas rentrés dans les différences entre ces deux contenus « gratuits ».

Lui qui disait qu’il fallait absolument lire les CLUF pour savoir à quoi s’en tenir apparemment ne le savait pas. Et préalablement il a bien dit que l’outil P2P avait été conçu pour partager des fichiers et que ce sont certains utilisateurs qui s’en servent pour partager des contenus qui ne respectent pas le droit d’auteur.

Pour conclure

Je pense  vraiment que l’intervenant était un animateur commercial formé sur le sujet à la va-vite, utilisant des techniques de communication éprouvées : frapper les esprits, faire réagir (rires) puis engueuler méchamment, culpabiliser, provoquer un sentiment de honte (en invoquant par exemple la sexualité hésitante des ados), affirmer sa connaissance sans faille en invoquant des sources bétons mais invérifiables, et abuser des arguments d’autorité sans justifier leur raison d’être.

Le thème que nous voulions traiter était « Réseaux sociaux, gérer son identité numérique ». J’ai eu l’occasion de parler avec quelques élèves par la suite, ils sont sortis de là en se disant « On fait quoi ? Il faut tout arrêter ? On ne va pas arrêter de vivre quand-même. Dans ce cas il faut interdire Internet ».

Peut-être que c’est ce qui nous attend si ce genre d’idées simplistes continue à se diffuser.

Bientôt on aura le droit un avertissement du type : « Internet tue, provoque la dépendance, l’isolement ».

Et nous rajouterons : « et libère des peuples ».

Notes

[1] Crédit photo : Prakhar Amba (Creative Commons By)




Quand Max, 11 ans, met Inkscape dans sa liste au Père Noël

Inkscape à l'écoleVous voyez les petits personnages sur le dessin ci-contre ? Ils ont tous été réalisés par des enfants d’une dizaine d’années à partir du logiciel libre Inkscape.

C’est l’histoire simple et belle de ces dessins que nous raconte ici le blogueur Phil Shapiro, qui n’oublie pas de remercier au passage le principal développeur d’Inkscape.

En espérant que nombreux seront les enseignants francophones à s’inspirer du projet de Sheena Vaidyanathan.

Je ne sais pas vous, mais moi je trouve cela réconfortant qu’un enfant de 11 ans préfère recevoir Inkscape plutôt qu’une horrible Zhu Zhu Pets comme cadeau de Noël 😉

Les étudiants de Los Altos apprécient le logiciel de dessin Inkscape

Students in Los Altos delight in using Inkscape drawing program

Phil Shapiro – 23 février 2011 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : Khyl, Penguin et Naar)

L’un des aspects les plus amusants de mon blog à PCWorld.com est de lire les réactions envoyées par email en provenance du monde entier. Vous ne savez jamais qui va consulter ce que vous écrivez. Parfois, ils vont repérer un billet du blog sur la page d’accueil de PCWorld.com, ou dans le lien d’un message envoyé via Twitter, voire même dans un résultat de recherche sur Google plusieurs mois après que le billet ait été publié.

J’ai ainsi écrit un jour un billet sur Inkscape, l’éditeur de graphisme vectoriel libre pour Linux, Macintosh et Windows, et j’ai été alors ravi de recevoir un email de Sheena Vaidyanathan, qui enseigne l’utilisation d’Inkscape à ses élèves du primaire de Los Altos en Californie, au cœur de la Silicon Valley.

Voici comment Sheena m’a expliqué sa façon d’enseigner : « J’ai commencé à utiliser Inkscape en tant qu’outil de base pour le travail artistique, puis comme logiciel à utiliser après l’école et il est devenu si populaire que l’académie m’a demandé de l’associer à un programme appelé Digital Design pour les 7 écoles élémentaires. J’enseigne à 20 classes chaque semaine allant du CM1 à la 6e et chaque classe compte en moyenne 25 élèves. Après un trimestre, j’ai eu un nouveau groupe d’étudiants, et en un an, j’ai enseigné à tous les élèves de CM1 a la 6e, soit au bas mot 1500 étudiants ! C’est beaucoup de travail, mais j’adore enseigner et partager mon goût pour l’art et la technologie avec les enfants. J’adore utiliser Inkscape et d’autres logiciels libres (j’utilise aussi SketchUp et Scratch) parce que les enfants peuvent tout à fait les installer chez eux et les utiliser en dehors des heures de cours. Je ne suis pas sûre qu’il y ait d’autres écoles publiques qui aient un enseignement comme celui-ci, mais c’est un levier formidable pour motiver les enfants à la technologie et leur apprendre à utiliser les ordinateurs pour exprimer leur créativité. »

L’email de Sheena décrit un scénario qui est le rêve de tout éducateur : libérer les apprentissages par la créativité et les arts. J’ai demandé à Sheena si elle pouvait rédiger une note plus détaillée sur son projet, chose qu’elle a tenu à faire avec beaucoup de gentillesse et que l’on peut voir dans le contenu de ce billet qui comprend des liens vers les dessins de ses élèves réalisés sous Inkscape.

La cerise sur le gâteau dans cette histoire était dans le mail suivant que j’ai reçu de Sheena. Un de ses élèves de 6e, Max Jarrel, a dit à ses parents que ce qu’il souhaitait vraiment pour Noël était le logiciel Inkscape ! Voici le témoignage de son père : « Mon fils, Max, était fasciné par Inkscape et il a dit que c’était ça qu’il voulait pour Noël. J’ai ensuite découvert que le téléchargement du logiciel était facile et gratuit. Et il n’a pas arrrêté de jouer avec. » J’imagine Max sur son Inkscape, essayant chaque jour de créer des œuvres artistiques de plus en plus intéressantes.

Je fais partie de ceux qui croient que l’université ne commence pas une fois que vous avez achevé vos études secondaires. L’université débute au collège, quand vous commencez à prendre conscience de vos talents naturels et de vos sources d’intérêt. Le lycée permet de développer ces talents et ces centres d’intérêts. L’université est la strcuture qui permet de finaliser cela. Les étudiants développent rarement de nouveaux intérêts après avoir quitté le lycée. C’est formidable quand cela arrive, mais c’est l’exception plutôt que la règle.

Ainsi, ce que font Sheena Vaidyanathan et l’académie de Los Altos, c’est d’offrir des possibilités de conception graphique à un grand nombre d’étudiants. En combinaison avec les formations qu’elle dispense dans Google SketchUp et le langage de programmation Scratch, du MIT, ces étudiants font très tôt l’acquisition de solides compétences numériques qui leur rendront d’excellents services plus tard, quelle que soit la carrière qu’ils pourront choisir. De plus tous les logiciels mentionnés ci-dessus sont libres ou gratuits, ce qui signifie que cette académie lutte également contre la fracture numérique.

Quand j’ai lu le best-seller de Daniel Pink, A Whole New Mind (NdT : L’homme aux deux cerveaux), j’ai imaginé à quoi pourrait ressembler l’école du futur avec des élèves occupés à exploiter leurs créations sous la bienveillante direction d’un enseignant sage et attentionné. Sheena Vaidyanathan et ses étudiants sont une preuve vivante que ce futur est déjà là. Teresa Amabile, psychosociologue spécialiste de la créativité et de l’innovation, avait déjà clairement entrevu cela il y a 20 ans dans son livre Growing Up Creative: Nurturing a Lifetime of Creativity (NdT : Grandir créatif ou comment éduquer sa vie à la créativité). Tous les élèves et enseignants ont quelques part une dette envers Daniel Pink et Teresa Amabile. Leurs réflexions nous ont emmenés très loin dans la conception humaine et enrichissante d’une éducation pour nos enfants.

Ce billet ne saurait être complet sans mentionner l’incroyable dévotion et le talent des développeurs bénévoles qui ont conçu Inkscape. Je suis particulièrement impressionné par Jon A. Cruz, qui n’est pas seulement un artiste et un programmeur d’Inkscape, mais qui prend aussi beaucoup de son temps à répondre patiemment aux demandes des utilisateurs sur Twitter. Dans mon esprit, Jon Cruz ressemble un peu à un agriculteur qui dispose de son propre restaurant. Il ne fait pas simplement que produire de la nourriture et la cuisiner, il vient jusqu’à votre table et vous demande si vous l’appréciez. Tel est l’esprit du logiciel libre et du mouvement open source (NdT : FOSS en anglais, pour Free Open Source Software). Si vous n’y avez pas encore goûté, asseyez-vous. Vous êtes ici pour faire un festin !

Par ailleurs, vous pourrez rencontrer et discuter avec Jon Cruz en personne lors du prochain salon Linux (également dénommé SCALE 9x), qui aura lieu fin février 2011 à Los Angeles, en Californie du sud. Il sera présent sur le stand Inkscape. Voici une courte vidéo de Jon Cruz parlant de Inkscape en Australie, au début du mois. Si vous assistez au congrès SCALE 9x, arrêtez-vous également pour dire bonjour à Jonathan Thomas, le programmeur au talent immense d’OpenShot, l’excellent éditeur libre de vidéos pour Linux. Devinez ce qu’OpenShot utilise comme technologie avancée pour ses titres vidéos ? Vous l’avez deviné : Inkscape.




Et si Internet et le Libre réalisaient la société sans école d’Ivan Illitch ?

Une société sans école - Ivan Illich - Couverture PointsJe suis en train de lire Une société sans école du prêtre catholique et iconoclaste Ivan Illich.

Rédigé en 1971, c’est un ouvrage que je conseille à tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à la question éducative (autant dire à tout le monde).

Si j’avais lu ce livre au jour de sa sortie, je me serais certainement dit que j’étais en face d’un bel utopiste, aussi brillant soit-il.

En le découvrant quarante ans plus tard, à l’ère d’Internet et de tous ses possibles, je crois plutôt avoir à faire à un grand visionnaire.

Voici ce qu’en dit la quatrième de couverture de mon édition de poche collection Points Essais : « L’école obligatoire, la scolarité prolongée, la course aux diplômes, autant de faux progrès qui consistent à produire des élèves dociles, prêts à consommer des programmes tout fait préparés par les autorités et à obéir aux institutions. À cela il faut substituer des échanges entre égaux et une véritable éducation qui prépare à la vie dans la vie, qui donne le goût d’inventer et d’expérimenter. »

Il convient de déscolariser la société pour libérer l’apprentissage de cette structure unique, standardisée et rigide qui sépare artificiellement les individus ainsi que le temps où l’on travaille et celui où l’on consomme du loisir.

Et page 128, il y a cette citation que je trouve absolument remarquable et qui a motivé la rédaction de ce court billet :

« Un véritable système éducatif devrait se proposer trois objectifs. À tous ceux qui veulent apprendre, il faut donner accès aux ressources existantes, et ce à n’importe quelle époque de leur existence. Il faut ensuite que ceux qui désirent partager leurs connaissances puissent rencontrer toute autre personne qui souhaite les acquérir. Enfin, il s’agit de permettre aux porteurs d’idées nouvelles, à ceux qui veulent affronter l’opinion publique, de se faire entendre. »

À mettre en parallèle avec ce que cherchent à réaliser Le Libre et son allié Internet aujourd’hui…




Aujourd’hui ma soeur a décidé de se mettre à l’informatique et… mauvaise surprise !

Hygiene Matters - CC byNous avons recopié ci-dessous un mail que nous avons reçu hier d’un de nos lecteurs suisses. Il raconte l’histoire d’une « association de trois malfaiteurs » : Google, Microsoft et l’État français, qui trompent indûment les néophytes souhaitant découvrir l’informatique.

En effet, en voulant aider sa sœur à (enfin) s’initier aux nouvelles technologies, Florian a naïvement tapé « débuter en informatique » dans Google.

Et il est tombé en deuxième lien sur une horrible page du très officiel site gouvernemental de la Délégation aux Usages de l’Internet (DUI)[1].

Horrible parce que n’ayant visiblement pas été mise à jour depuis 2006, on se retrouve avec des informations totalement obsolètes qui font la part belle à Word et Windows !

Aucune référence explicite au logiciel libre. On y trouve bien une petite mention de notre OS favori mais l’unique lien est un LUG canadien : « Windows reste le système d’exploitation le plus répandu, ceux qui souhaitent s’initier à Linux peuvent consulter le site GULUS (groupe d’utilisateurs Linux de l’Université de Sherbrooke), destiné aux débutants ».

Le problème c’est que l’obsolescence de cette page n’est pas le problème de l’algorithme de Google, et il continue donc de proposer cette page en tête de gondole lorsque l’on cherche à débuter en informatique. Du coup j’ai bien peur que la sœur de Florian n’ait pas été la seule à tomber sur ce lien qu’il serait responsable de supprimer ou de mettre immédiatement à jour en n’oubliant pas cette fois-ci le logiciel libre.

PS : Si vous avez envie de le leur suggérer directement, vous trouverez quelques adresses de courriel sur cette page du site.

Un courriel de Florian S.

Titre : Un gouvernement aux bottes de Microsoft

Bonjour à vous chers responsables du site Framasoft,

Tout d’abord je tiens à vous remercier pour tout le travail que vous faites sur les différents projets (j’ai un faible pour les Framabook), je suis rarement actif dans la communauté cependant je suis un libriste convaincu, je préfère peut-être en parler autour de moi plutôt que sur Internet qui regorge assez d’informations.

Aujourd’hui ma sœur a décidé de se mettre à l’informatique, elle va endurer un apprentissage relativement long puisqu’elle a toujours refusé de s’y mettre et qu’elle doit donc apprendre depuis zéro, il est évident que je vais de suite la mener au monde du Libre.

Pour cela j’ai fais une requête sur Google, digne d’un débutant (sans méchanceté aucune) afin de me fournir en documentation pour savoir quel aspect de l’informatique je devrais mettre en valeur pour commencer, il m’a suffit de taper « débuter en informatique » pour avoir une vision globale du gouvernement français (grâce à mon oeil libriste), si comme moi, le deuxième lien de Google pointe sur cette page je pense à juste titre, que cela est un sujet à mettre en valeur chez Framasoft et partout ailleurs dans la culture libre, les possibilités de débuter en informatique sans être enchaîné, je pense que c’est un point qui nous manque de manière cruciale.

Par la même occasion, étant suisse je ne peux rien pour changer le gouvernement français, je vous sollicitais afin de mettre en pratique les mots Liberté – Égalité – Fraternité situé sur l’image en haut de la page Web pour peut-être changer le monde…

Ce petit message, destiné aux responsables de ce site est pour émettre une petite attention sur les débutants, car actuellement, de par ma requête, tout débutant est voué à tomber entre les mains de gourmands monopoles. Je suis aussi dégoûté du manque de réflexion qu’ont les gens face à l’informatique, le manque de recul, ce qui donne évidemment la page telle que vous la voyez sur le site de votre gouvernement.

Si il faut de l’aide, pour rédiger des notices, tutoriels pour débuter en informatique, je tenterai de mettre à contribution le peu de temps libre que j’ai.

Merci à vous Framasoft et les autres de m’avoir permis de découvrir l’informatique, la vraie !

Meilleures salutations, Florian S.

Notes

[1] Crédit photo : Hygiene Matters (Creative Commons By)




Microsoft et l’Open Source ensemble aux Antipodes

Robbie Grubbs - CC by-saS’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, alors j’ai l’honneur de vous faire savoir que Microsoft n’en fait plus partie.

Un communiqué de presse de Microsoft Nouvelle-Zélande, datant de novembre dernier, est passé totalement inaperçu alors qu’il est pourtant tout simplement énorme pour des p’tits gars comme moi qui versent dans le Libre depuis une bonne dizaine d’années et dans l’éducation depuis encore plus longtemps.

Qu’il soit devenu « naturel » pour Microsoft de proposer un plugin à Word afin d’aider le monde de l’éducation à mieux travailler sur les wikis sous Mediawiki (à commencer par Wikipédia), cela passe encore. Qu’on y mentionne et soutienne alors explicitement les Ressources Éducatives Libres sous licence Creative Commons By, cela commence à surprendre. Mais qu’il soit devenu tout aussi « naturel » pour Microsoft de placer ce plugin sous licence libre pour mieux « le partager avec la communauté », c’est tout de même une sacrée (r)évolution.

Quand on pense que, jadis, le logiciel libre était qualifié de « cancer communiste » par les mêmes qui semblent aujourd’hui découvrir ses vertus, on mesure le chemin parcouru !

Certes, ça n’est qu’une extension et non une application toute entière, Word libre ce n’est pas pour tout de suite ! Il convient également de voir concrètement la qualité du convertisseur (ce que je n’ai pu faire faute d’avoir MS Office sur mon ordi), mais la déclaration (d’intention ?) ci-dessous vaut de toutes les façons son pesant de cacahuètes[1].

Certes aussi, il est question du programme Partners in Learning (PIL) dans le communiqué. Et nous avons souvent eu l’occasion de dire dans ces colonnes tout le bien que nous pensions de ce projet Microsoft fort ambigu (lire par exemple L’école Châteaudun d’Amiens ou le pion français de la stratégie planétaire Microsoft, Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel – Mediapart ou encore En réponse au Café Pédagogique).

Il n’en demeure pas moins que les temps changent (quand même un peu), et Microsoft aussi, semble-t-il, vis-à-vis du logiciel libre et de sa culture.

Et vous vis-à-vis de Microsoft ?

Microsoft travaille avec les enseignants et l’open source pour prendre en charge un wiki libre de partage du savoir

Microsoft works with educators and open source to support free knowledge sharing wiki

Microsoft Nouvelle-Zélande – 17 novembre 2010 – Communiqué de presse
(Traduction Framalang : Goofy et Martin)

Une nouvelle extension open source pour Microsoft Word permet d’utiliser le format de fichier MediaWiki pour que les utilisateurs puissent mettre en ligne directement leurs documents sur des wikis.

Microsoft, travaillant en collaboration avec la Fondation OER (Open Education Resource) de l’Institut polytechnique d’Otago (Nouvelle-Zélande) et du Ministère de l’éducation, a mis au point une nouvelle extension open source pour Microsoft Word qui permet d’enregistrer des documents dans un format compatible avec les wikis sous MediaWiki, celui-là même qu’utilise la populaire encyclopédie en ligne Wikipédia.

La nouvelle extension aidera les enseignants à collaborer à la construction de nouvelles ressources éducatives ouvertes. Le directeur de la Fondation Otago, Dr Wayne Mackintosh, déclare : « grâce à la prise en charge du style MediaWiki dans Microsoft Office, les professeurs pourront partager vite et facilement leur matériel pédagogique sur des plateformes en ligne telles que Wikipédia et WikiEducator. Cela signifie que les institutions éducatives adoptant la démarche de l’OER pour fournir des ressources et des manuels libres pourront abaisser considérablement la barrière du coût à engager pour fournir aux étudiants les outils et les informations dont ils ont besoin pour apprendre ».

MediaWiki a reçu un soutien sans failles du Ministère de l’éducation qui partage les objectifs de la Fondation EOR dans ce domaine.

« Nous sommes ravis de la nouveauté que constitue une extension open source dans la boîte à outils de Microsoft Office. Elle permettra aux enseignants et étudiants de Nouvelle-Zélande de s’investir plus facilement dans le partage des ressources éducatives et les débats pédagogiques, dans l’esprit du wiki » déclare Leanne Gibson, directrice des systèmes d’information.

L’institut polytechnique d’Otago héberge les bureaux de la Fondation, qui est une organisation indépendante à but non lucratif visant à assurer la prise en main, le développement et le soutien d’un réseau international d’enseignants et institutions éducatives, à travers l’Open Education. WikiEducator est la vitrine de la Fondation EOR, qui s’efforce de rendre libres d’accès les matériels pédagogiques pour les étudiants du monde entier, particulièrement dans les pays en voie de développement pour lesquels les systèmes d’éducation classiques s’avèrent souvent hors de prix.

Microsoft a financé le développement d’une nouvelle fonctionnalité du logiciel Word pour permettre à tous les enseignants du monde de produire et partager des ressources pédagogiques à un coût modeste en utilisant des outils basés sur le wiki.

Le directeur de la plateforme stratégique de Microsoft pour la Nouvelle-Zélande, Andrew Gordon, déclare que l’entreprise s’implique dans la collaboration avec la communauté open source pour développer du matériel éducatif qui bénéficiera autant aux étudiants qu’aux enseignants.

« Microsoft a un lien étroit avec le monde éducatif via nos initiatives Citizenship (citoyenneté) en cours, telles que le concours Imagine, la plus grande compétition du monde étudiant dans le domaine technologique, si bien que MediaWiki était une solution tout à fait naturelle pour nous, comme pouvait l’être la publication du code source sous une licence open source et le fait de permettre son partage avec la communauté. Compte tenu de l’utilisation intensive de Word dans tous les établissements d’éducation à travers le monde, nous chez Microsoft, sommes ravis et fiers de pouvoir apporter notre pierre à l’édifice en rendant accessibles à chacun, quelle que soit sa situation, des ressources pédagogiques de bonne qualité. »

Le convertisseur MediaWiki est si simple qu’il peut être installé rapidement et facilement par des utilisateurs non expérimentés. De plus, son code a été publié sous une licence open source, ce qui signifie que l’application peut être ré-utilisée librement comme base pour d’autres extensions communes avec MediaWiki. Il est également une référence pour quiconque aurait besoin de publier des informations à partir de Microsoft Office. Le convertisseur MediaWiki fonctionnera avec toutes les versions de la suite Office depuis 2007 jusqu’à la version récente de 2010.

Peter Harrison, le vice-président de la New Zealand Open Source Society ne tarit pas d’éloges sur cette initiative : « Internet offre à l’humanité une occasion unique de mettre à profit les technologies de la communication pour éduquer la population du monde entier. À travers les technologies collaboratives telles que le wiki tout le monde pourra travailler de concert pour créer des ressources communes de qualité, ouvertes à tous. En permettant aux utilisateurs d’exporter leurs contenus de Word vers MediaWiki, Microsoft encourage la mise à disposition d’une gamme bien plus large de ressources éducatives en ligne. »

L’Institut polytechnique d’Otago est l’un des pionniers de l’Open Education, et c’est le premier établissement d’enseignement supérieur à avoir signé la déclaration du Cap sur l’Open Education. C’est également la première institution d’enseignement supérieur au monde à approuver et mettre en œuvre une politique de la propriété intellectuelle qui utilise la licence Creative Commons Attribution par défaut (NdT : cf cet article du Framablog Privilégier la licence Creative Commons Paternité CC-BY dans l’éducation), et qui s’investit dans l’éducation au point de l’inclure dans son programme.

Ce projet est complémentaire de l’initiative PIL (Partners in Learning) que Microsoft soutient depuis dix ans à hauteur de 500 millions de dollars : il s’agit d’aider les enseignants et directeurs d’écoles à utiliser les nouvelles technologies pour apprendre et enseigner plus efficacement. Pour davantage d’informations, voir http://www.microsoft.com/education/pil.

Notes

[1] Crédit photo : Robbie Grubbs (Creative Commons By-Sa)