Microsoft Office 2013 supportera le format ODF (et PDF) : Victoire du Libre ?
Grande et bonne nouvelle, d’après Microsoft la prochaine version 2013 de la célèbre suite bureautique Office intégrera le format ouvert OpenDocument (ou ODF) dans sa version 1.2. Elle sera également capable d’ouvrir, enregistrer et même éditer du format PDF (voir le tableau comparatif issu de Microsoft en fin d’article).
Cela fait des années que les partisans d’une réelle interopérabilité le demandent. Et cela fait des années aussi que le format PDF est présent sur la suite bureautique libre OpenOffice.org / LibreOffice.
Du coup le journaliste Simon Phipps y voit clairement une victoire de l’open source. Et vous ?
Comment Microsoft été forcé d’ouvrir Office
How Microsoft was forced to open Office
Simon Phipps – 17 août 2012 – InfoWorld.com
(Traduction : Damz, ehsavoie, Patchidem, Calexo, Nek, Fe-lor, Grummfy, Sylvain, Gatitac, Skhaen, ProgVal, Bohio, joe, HgO, Cypher, Jimmy)
Dans Office 2013, la prochaine version de sa célèbre suite bureautique, Microsoft a été contraint de prendre en charge totalement le véritable format ODF, au même titre que le format PDF. Voici comment l’open source a gagné.
Plus tôt cette semaine dans un article de blog, le responsable des standards Office, Jim Thatcher, a décrit les changements à venir dans Office :
Dans la prochaine version d’Office, nous avons ajouté l’utilisation de deux formats supplémentaires : Strict Open XML et Open Document Format (ODF) 1.2. Nous avons aussi intégré la possibilité d’ouvrir des documents PDF afin de pouvoir les modifier dans Word et de les enregistrer dans n’importe quel format. En ajoutant la prise en charge de ces formats de document standardisés, Microsoft Office 2013 offre à ses utilisateurs de nouvelles possibilités quant à l’intéropérabilité des documents bureautiques.
Dans ces quelques mots arides, nous pouvons trouver les échos d’une leçon d’histoire qui nous démontre le pouvoir de l’open source pour garantir la concurrence et favoriser l’innovation, tous deux précieuses sur les marchés du logiciel. Les formats de fichiers ne sont manifestement pas le sujet le plus excitant, mais cette annonce apporte une lumière sur deux faits importants à propos de l’open source : dans un premier temps, le logiciel open source peut être celui qui impose son rythme à la concurrence. Puis, dans un second temps, l’innovation open source fournit les bases solides sur lesquelles d’autres peuvent s’appuyer.
Le triomphe de l’ODF
Au tout début de la dernière décennie, Microsoft Office a quasiment chassé toute concurrence des logiciels bureautiques. Dans ce quasi-monopole, Sun Microsystems a lancé un projet open source en 2000, basé sur la suite bureautique de niche « StarOffice ». Connue sous le nom d’OpenOffice.org, la suite a progressivement pris de l’ampleur pour devenir l’alternative open source à Microsoft (NdT : Cf cet article du Framablog De StarOffice à LibreOffice 28 années d’histoire).
Alors que certaines personnes ont été promptes à accuser OpenOffice.org d’être un dérivé d’Office, elle égale la première version de Word de Microsoft (en 1983 pour Xenix) puisqu’elle a été créée en 1984, visant les ordinateurs personnels populaires de cette époque : le Commodore 64 et l’Amstrad CPC sous CP/M. Elle a ensuite évolué en une suite bureautique pour DOS, OS/2 Warp d’IBM et Microsoft Windows. Quand Sun Microsystems a acquis OpenOffice.org en 1999, il s’agissait d’une application complète et multifonction disponible sur toutes les plates-formes populaires de l’époque.
À leur arrivée chez Sun, les développeurs de StarOffice/OpenOffice.org ont accéléré le projet de créer un format moderne, basé sur XML, pour leur suite. En utilisant un format basé sur XML, il était plus facile de promouvoir l’interopérabilité avec d’autres outils bureautique, ainsi que de maintenir la compatibilité d’une version à l’autre.
Ce problème de l’omniprésence du format .doc ou .xls était le fléau de tous les utilisateurs d’outils bureautique, aussi Sun a pris l’initiative d’aller voir l’OASIS et a proposé une solution : un format de fichier standardisé pour le travail bureautique. J’ai été impliqué dans cette activité et je sais de source sûre que Sun a approché d’autres membres de l’OASIS pour qu’ils contribuent au projet. Toutefois, Microsoft a refusé, en qualifiant cette proposition de « superflue », préférant garder son juteux marché captif d’utilisateurs conditionnés à ses propres formats propriétaires.
OASIS a accepté la proposition et le résultat fut le standard OpenDocument, l’ODF. Malgré un départ difficile, l’adoption de l’ODF a fait boule de neige ; aujourd’hui, le format est un standard ISO et est approuvé/homologué à travers le monde. La pression sur Microsoft est devenue suffisamment forte pour que l’entreprise manipule le monde des standards internationaux afin de créer un format de fichiers XML standard concurrent basé de très près sur les formats utilisés dans Microsoft Office. Il a finalement été accepté par l’ISO en 2008.
Il aura fallu presque 7 ans, mais Microsoft a cédé. En avril, la société a annoncé qu’elle implémenterait complètement dans Office 15 à la fois le standard basé sur Office qu’elle a fait passer en force à l’ISO (standard ISO/IEC 29500, communément appelé OOXML) et les standards poussés par la communauté qu’elle émulait (standard ISO IEC 26300, communément appelé ODF).
L’open source a changé le marché, forçant Microsoft à réagir et à mettre en place la compatibilité de version à version et le concept d’interopérabilité. Sans l’open source, rien de cela ne serait arrivé. Avec l’open source, même si vous n’utilisez pas vraiment le format ODF vous-même, vous bénéficiez d’un marché compétitif et revigoré.
PDF a « presque » son dû
Le second point que souligne le blog de Microsoft est le pouvoir de l’innovation ouverte. La communauté OpenOffice.org a majoritairement migré en 2010 – avec le code – vers un nouveau projet open source nommé LibreOffice. Les projets OpenOffice.org et LibreOffice ont longtemps pris en charge la création de fichiers de type Portable Document Format (PDF). Microsoft Office a fini par copier cette fonctionnalité, d’abord comme une extension à Office 2007, puis comme une fonctionnalité intégrée par défaut. Cependant, LibreOffice inclut aussi la possibilité intéressante de pouvoir créer des fichiers Hybrid PDF qui peuvent ensuite être ré-ouverts et réédités avec LibreOffice. Si vous souhaiteriez essayer vous-même d’éditer des Hybrid PDF, cette vidéo vous expliquera comment faire.
Il semblerait que cette fonctionnalité soit sur le point d’arriver également dans Office :
Avec cette version, Microsoft introduit l’option, que nous appelons « PDF Reflow », qui permet d’ouvrir des fichiers PDF en tant que documents de bureautique éditables. Comme Tristan Davis, responsable du développement de Word, l’expliquait : « avec cette fonctionnalité, vous pouvez retransformer vos PDF en documents Word entièrement éditables, rendant alors modifiables les titres, les listes à puces ou numérotées, les tableaux, les notes de bas de page, etc. en analysant les contenus des fichiers PDF ».
À l’heure actuelle, le seul problème éventuel est de voir Microsoft limiter l’interopérabilité et la compatibilité de la prise en charge de l’ODF et de sa version de PDF hybrides. Pour des raisons inexpliquées, la société ne va pas proposer la possibilité d’enregistrer les fichiers comme un fichier ODF rétro-compatible (la version prise en charge actuellement dans Office 2012, le format ODF 1.1), donc il sera plus difficile dans un environnement mixte d’utiliser l’ODF. De la même façon, j’ai été conforté dans l’idée que, malgré la prise en charge de l’ouverture de fichiers PDF pour édition, Microsoft ne prend pas en charge l’ouverture des fichiers hybrides PDF de LibreOffice. Peut-être que la menace concurrentielle des logiciels open source est encore trop grande ?
À l’instar de la gestion initiale de l’enregistrement au format PDF, l’ajout de l’édition de documents PDF est un signe de bienvenue à ce qui a été essayé et testé en tant qu’open source. Telle est la dynamique de l’innovation. Les idées créent des idées, et l’innovation est le résultat de l’innovation.
Ici, la différence est que les communautés open source diffusent librement leurs idées à tout le monde, il n’y aura donc pas de menaces juridiques, pas de procès pour violation de brevets, et pas de licence d’utilisation coercitive (et confidentielle). C’est la façon dont les choses doivent se passer si nous voulons voir l’innovation continuer à germer grâce à un marché sain et compétitif.
Crédit photo : Camknows (Creative Commons By-Nc-Sa)