CLIC : Un projet pour des apprentissages numériques plus interactifs

La proposition de CLIC est de s’auto-héberger (de faire fonctionner des services web libres sur son propre matériel) et de disposer de ses contenus et données localement, et/ou sur le grand Internet avec un système technique pré-configuré. Le dispositif s’adresse plutôt à des militant⋅es, des chercheur⋅euses, des formateur⋅ices… amené⋅es à se rendre sur le terrain, où la connexion Internet n’est pas toujours stable, voire est inexistante.

Note grammaticale : nous n’avons pas réussi à trancher entre « le CLIC » ou « la CLIC » pour le nom du dispositif, alors en attendant de décider, nous alternons entre les deux tout au long de l’article.

Depuis décembre 2022, un an après une première rencontre, la clique du projet CLIC s’est retrouvée deux fois :

  1. à Paris au CICP et en ligne pour une nouvelle session de travail et d’échange avec des chercheur⋅ses de l’IRD.
  2. à Montpellier au Mas Cobado dans une ambiance de fablab éphémère

À la fin de la session de novembre 2021, l’objectif pour 2022 était d’avoir testé le dispositif dans plusieurs contextes. Des CLICs ont ainsi été mis en place pour les labs d’innovation pédagogique, et pour les territoires d’expérimentation Colibris, des contenus accessibles hors ligne ont été ajoutés avec kiwix.

Une difficulté s’est cependant vite posée, liée à l’état de développement du dispositif : l’installation nécessitait alors un accompagnement humain qui manquait une fois de retour sur le terrain, si la CLIC ne fonctionnait plus. Pour les CLICs livré⋅es clé en main, la maintenance et parfois l’usage lui-même étaient donc dépendants des humain⋅es de la clique. Enfin, la pénurie de nano-ordinateurs comme les Raspberry Pi a empêché de s’approvisionner en matériel à déployer. Le projet a donc peu avancé, mais l’intérêt est resté présent.

Premiers retours d’usage

Une priorité pour les retrouvailles de décembre 2022 a donc été d’identifier la cause des problèmes surgissant à l’installation d’une part, et de rédiger un tutoriel pour accompagner l’installation pour les personnes souhaitant plonger dans le projet d’autre part.

Des premiers retours d’usages des chercheur⋅ses de l’IRD ont permis de soulever plusieurs questions :

  • celle de l’usage d’un logiciel d’enquête non-libre en lien avec un CLIC,
  • celle de la récupération de sauvegarde de ce qui a été travaillé localement en vue de le publier en ligne,
  • celle de la compatibilité avec différentes bases de données.

Sur la question de l’usage de solutions techniques non-libres, le projet CLIC s’appuyant sur YunoHost, rapidement la réponse a été qu’on ne chercherait pas de compatibilité avec de telles solutions, préservant nos ressources pour la recherche sur des solutions libres.

Concernant la récupération « facile » des sauvegardes, la réponse reste à être identifiée et implémentée, car il n’y a pour le moment pas de solution clé en main le permettant, autre que l’outil de sauvegarde intégré à YunoHost. Si l’utilisateur⋅ice peut se passer d’une aide graphique, le transfert vers une autre CLIC ou vers un YesWiki devrait pouvoir se faire sans trop de difficultés.

Pour la compatibilité avec les bases de données, plusieurs sont supportées par le projet CLIC : MariaDB (ou MySQL), PostGreSQL. Pour des solutions personnalisées (par exemple à partir d’openHDS), des installations supplémentaires sont à envisager, mais pas impossibles.

Un ordinateur portable et un téléphone posés sur un bureau encombré de matériel informatique. L'écran du téléphone affiche la page d'installation d'une CLIC, celui de l'ordinateur affiche une illustration pour le portail de services en cours de modification sur Inkscape.
En un CLIC, une installation simplifiée et ergonomique.

 

Les discussions tout au long de 2022 ont mis en évidence un intérêt pour plusieurs cas d’usage :

  • pour un usage pédagogique en classe, en formation (apprendre à administrer un serveur, se former à l’utilisation de logiciels…),
  • pour réaliser un travail de terrain en Sciences Humaines et Sociales (anthropologie, démographie, linguistique, etc.) sans connexion,
  • pour s’affranchir du recours à la 4G en cas de connexion Internet défaillante ou restreinte (réseaux d’université par exemple),
  • pour mettre à disposition des contenus (supports pédagogiques, informations utiles dans un contexte précis, partages au sein d’une communauté…).

Si vous vous retrouvez dans ces cas, ou que vous en identifiez d’autres et que vous souhaitez participer aux tests du prototype du CLIC, contactez-nous sur contact AT projetclic.cc. Nous pouvons vous accompagner dans les premières étapes, et vos retours seront très utiles pour avancer ce projet.

Vous pouvez aussi regarder par vous-même, auquel cas vous aurez besoin :

Des améliorations logicielles et matérielles

Après ces deux rencontres, on compte cinq grosses améliorations :

  • Un site a été créé pour le projet pour y retrouver actus, communauté, images à télécharger et tutoriels : https://projetclic.cc.
  • Le hotspot wifi affiche une popup permettant de retrouver le portail sans connaitre son adresse url d’avance,
  • L’installateur permet de choisir les applications qu’on veut utiliser parmi une sélection,
  • Le portail de sélection de service a été travaillé graphiquement et une démo est disponible,
  • Des images sont mises à disposition pour les modèle de nano-ordinateurs Odroid en plus des RaspberryPi.

Capture d'écran d'une page web avec un message de bienvenue présentant le projet puis plusieurs images dans une rubrique "coopérer". Elles représentent deux personnes habillées en rouge ou en jaune, en action autour de différents tableaux thématiques : prendre des notes à plusieurs, partager des documents, organiser des idées, etc.
Le portail de sélection des services a été travaillé graphiquement.

 

Les améliorations matérielles ne sont pas en reste :

  • Design et impressions 3D de boîtiers pour nano-ordinateur Odroid

Deux boîtiers imprimés en 3D, un rouge et un bleu, indiquant le nom et l'url du projet CLIC.
Des boîtiers pour nano-ordinateurs Odroid.

  • Travail sur la Chatravane avec des ateliers pédagogiques sur la consommation énergétique en autonomie avec des panneaux solaires.

Deux malettes posées l'une devant l'autre. Celle de derrière est noire striée de blanc. Celle de devant est vitrée et laisse voir batterie et câbles.
La chatravane, un prototype de serveur nomade alimenté par des panneaux solaires.

 

Pour la suite, il est prévu :

  • De continuer de travailler sur le système et son installation, notamment pour s’approcher au maximum d’une installation « en un clic ».
  • D’ajouter une facilitation graphique au tutoriel, pour aider à la compréhension du fonctionnement d’une CLIC.
  • De continuer les tests sur le terrain (et adapter la documentation en fonction des observations).
  • De prévoir un hackathon axé sur le design et la communication.

Le projet CLIC avance doucement mais sûrement, grâce à du temps de travail bénévole et rémunéré (ritimo, Mouvement Colibris, YunoHost) et au soutien de Framasoft.

Nos prochaines retrouvailles seront aux Journées du Logicel Libre (JDLL) les 1er et 2 avril 2023, où vous nous retrouverez en déambulation et de manière plus posée, au stand de nos ami·es de YunoHost.

Crédit photos : 12b Fabrice Bellamy et Mathieu Wostyn
Crédit vidéo : Mouvement Colibris
Licence CC BY SA




Médiation sociale et médiation numérique : solubilité ou symbiose ?

Cette semaine, le collectif « Lost in médiation » vous invite à découvrir les réflexions de Garlann Nizon et Stéphane Gardé. Bonne lecture !

Garlann Nizon est cheffe de projet, formatrice, consultante en inclusion numérique, entrepreneure salariée associée à la CAE PRISME et administratrice à la coopérative La MedNum.
Stéphane Gardé est consultant-formateur à La Coop Num, entrepreneur salarié associé au sein de la CAE-SCOP auvergnate Appuy Créateurs. Dans la médiation numérique depuis presque 20 ans, il tire son expertise d’accompagnement des publics en fragilité de 11 années passées au milieu des caravanes avec les Gens du Voyage du Puy de Dôme, notamment au volant d’un camion multimédia en tant que chargé de projet numérique. Il apprend alors AVEC les publics en « fragilité linguistique et numérique ». Depuis, il développe une activité de formation, d’ingénierie et de conseil pour des acteurs publics et privés en France et en Belgique. Il accompagne également la « transition numérique » dans des secteurs variés (social et médico-social, etc.) avec comme démarche : la coopération et l’humain au centre.

Solubilité ?

Si l’on considère que la solubilité est la « capacité d’une substance […] à se dissoudre dans une autre […] pour former un mélange homogène » (merci aux contributeurs de Wikipédia !), la question telle qu’elle est posée, interroge la dissolution de la médiation numérique dans la médiation sociale. Si le résultat est censé être homogène, il serait néanmoins l’émanation de la médiation sociale. Dans un mélange soluble, l’un se perd au profit de l’autre avec à terme le risque que l’un disparaisse, perdant son identité propre.

Ramené à la médiation, le risque pourrait être dans ce cas de réduire et limiter la médiation numérique à l’accès aux droits, à la problématique de la dématérialisation ou de la numérisation de la relation aux usagers par les opérateurs de services publics et des exclusions qui en découlent. Ce faisant, nous serions alors dans une disparition de l’une comme de l’autre, au détriment de l’une comme l’autre, se réduisant à une vision technico-technique ou technico-administrative de ces problématiques, perdant de vue que ce qui est au centre n’est finalement pas le numérique, mais l’humain. De plus, la prise en compte de l’humain dans toutes ses dimensions (militantes, professionnelles, parentales, etc.) permet une démarche holistique nécessaire et favorable à la porosité et à l’innovation sociale.

Une question supplémentaire peut même légitimement se poser : quel serait l’intérêt de cette solubilité ? Une chose est claire : le constat de ces problématiques de non-accès ou de rupture de droits existe bel et bien de façon partagée, là n’est pas la question, et les conséquences qui en découlent pour les usagers sont bien réelles, se traduisant par des difficultés que les uns ou les autres côtoient régulièrement. Pour autant, la personne ne se réduit pas non plus à ses « droits » et « devoirs » : elle se construit aussi dans ce qu’elle peut entrevoir de « possible ». En cela, la médiation numérique accompagne l’émancipation avec/par le numérique, comme vecteur de capacitation et d’expression des capabilités (voir à ce sujet le projet ANR #CAPACITY FING-M@rsoin, ou plus largement les travaux notamment de J.F. Marchandise, P. Plantard).

Symbiose ?

La symbiose quant à elle est « une association intime, durable entre deux organismes […]. La symbiose sous-entend le plus souvent une relation mutualiste, dans laquelle les deux organismes bénéficient de l’association » (merci bis aux contributeurs de Wikipédia !). La symbiose apparaît donc comme « réciproquement profitable », et avec l’idée de réciprocité, les possibilités de collaborations, coconstructions, coopérations. Ramenée à notre sujet, cette association n’est-elle pas même aujourd’hui incontournable ?

Pourquoi incontournable ?

Si un médiateur numérique n’est pas un médiateur social, et réciproquement, pour autant il y a un espace commun. Et définir les communs, c’est aussi affirmer et reconnaître les spécificités. Diluer risque de nous faire perdre l’un et l’autre et de fait les collaborations enrichissantes pour l’un comme pour l’autre. Autre aspect : la culture numérique est aujourd’hui nécessaire pour comprendre le monde qui nous entoure.

La médiation numérique œuvre dans une démarche d’éducation populaire, de formation tout au long de la vie dans une optique d’émancipation des individus.

Ces éléments constituent, de notre point de vue, l’ADN de la médiation numérique. La médiation numérique doit permettre « de renforcer les contre-pouvoirs » pour éveiller les consciences et « encourager une vigilance citoyenne », de « s’émanciper du cadre de la société » à laquelle nous appartenons, pour en être acteur, pour la transformer (cf. Dominique Cardon, sociologue1).

Pourquoi « réciproquement profitable » ?

L’aspect transversal du numérique et de proximité permet de faire émerger des projets, des interactions entre habitants (échelon de proximité), des échanges, des brassages de population, puis des démarches « tiers lieux » et donc l’innovation sociale, dont peut bénéficier tout un territoire.

Pourquoi « durable » ?

Quid des métiers et comment assurer une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et assurer une évolution parallèle aux évolutions des pratiques, techniques et usages ? Des postures hybrides existent déjà en ce sens, ayant investi cet espace commun en « médiation sociale numérique », comme celles du Réseau national Pimms Médiation. Travailler les complémentarités, l’espace commun, exige de reconnaître les spécificités initiales et de les renforcer. Ceci doit se faire dans une perspective métier qui tienne compte de ces évolutions sociétales et des besoins qui en découlent, afin d’accompagner la nécessaire évolution des pratiques professionnelles. L’évaluation et la formation continue permettront d’assurer la reconnaissance de ce métier exigeant, de proposer des cursus de formation ambitieux menées par des équipes pédagogiques réellement efficientes.

Cela pourrait éventuellement passer par l’évolution du titre professionnel « responsable d’espace de médiation numérique » (REMN) avec la reconnaissance d’un tronc commun et la création de branches spécialisées, centrées sur les espaces partagés : parallèle avec la médecine générale et spécialisée.

Pour autant, de notre point de vue, la médiation numérique n’est pas un médicament dont l’objet serait la réduction de « fractures », encore moins essentiellement centré sur le corps administratif.

Mais cela permettrait justement d’apporter une réponse spécifique à des problématiques qui le sont tout autant, avec un cadre précis et issu d’une spécialisation, sans engager l’ensemble de la profession dont ce n’est pas la vocation initiale. Cela pourrait ainsi contribuer à définir/clarifier/outiller/former des médiateurs numériques dont les rôles et places sont forcément différents selon qu’ils sont en médiathèque, dans une association, en Espace France Services ou bien en Maisons des Solidarités d’une direction d’action sociale, mais aussi en centre urbain ou milieu rural tenant compte de la typologie du territoire et des acteurs absents ou présents, car ceci a un impact fort sur les demandes, les attentes et les besoins des publics bénéficiaires.

L’une de ces spécialisations pourrait porter sur l’accompagnement vers l’accès/le maintien des droits – cet espace commun entre médiation sociale, le travail social et la médiation numérique. Ainsi que d’autres diplômes avec niveau infra et supra pour proposer une véritable filière avec des possibilités d’évolutions au long de la carrière ce qui manque cruellement à ce jour.

Réinventer les médiations ou faire évoluer les pratiques professionnelles ?

Les médiations sont donc multiples et si le commun est ici le numérique, l’origine des aidants est diverse, les rôles et places distincts.

L’enjeu énoncé en 2013 par le CNNum a évolué et nous devons sans cesse « réinventer les médiations à l’ère du numérique », requestionnant les périmètres et les pratiques professionnelles dans des contextes évolutifs et ce, pour chaque typologie d’aidant.

Dans leur article « Répondre aux demandes d’aide numérique : troubles dans la professionnalité des travailleurs sociaux2», Pierre Mazet et François Sorin décrivent et interrogent les impacts du numérique dans le travail social. « Faire à la place de » interroge le périmètre des professionnels et leurs propres pratiques numériques. Se pose ainsi la question de la légitimité, de la compétence, de la formation initiale ou continue. « Faire avec » bouscule une pratique professionnelle qui évolue ou se doit d’évoluer car les besoins eux-mêmes évoluent, ainsi que les contextes. Cela est finalement commun à tous les aidants. A titre d’exemple, considérons une question qui se fait entendre aujourd’hui dans les territoires : quelle complémentarité existe-t-il entre les conseillers numériques – et plus largement les médiateurs numériques – et les Espaces France Services (EFS) ?

Outiller, former (formation initiale et continue) et professionnaliser les aidants en clarifiant les périmètres et les pratiques professionnelles, les rôles et places de chacun, structurer les réseaux et travailler sur les complémentarités en définissant précisément ces espaces communs et quels acteurs peuvent les investir, aux différents échelons territoriaux : tels nous apparaissent aujourd’hui les enjeux. Cela fait écho aux perspectives des CTIN (Coordination Territoriale pour l’Inclusion Numérique), ou encore à la réflexion sur les « articulations entre travail social, médiation sociale et médiation numérique ? », amorcée dans la fiche technique du HCTS en 2018.

Cela nécessite également de croiser :

  • les missions de la coopérative nationale des acteurs de la médiation numérique La MedNum,
  • les projets des hubs territoriaux pour un numérique inclusif,
  • les compétences des différents acteurs de la médiation numérique (entendue comme « pratique ») et de l’inclusion numérique (entendue comme « enjeu »), qu’ils soient acteurs de l’accompagnement, de la formation, de l’ingénierie, etc.

afin que toute la filière de la médiation numérique en soit, par la reconnaissance, non seulement valorisée, mais retrouve son existence propre dans une dynamique mise à jour, tout en respectant ses diversités et en favorisant les complémentarités.

En conclusion (provisoire !)

« Personne n’éduque autrui. Personne ne s’éduque seul. Les hommes s’éduquent ensemble au contact du monde » (Paulo Freire)

Par ces mots nous pouvons faire le parallèle entre les liens originels étroits éducation populaire/médiation numérique et l’apprentissage de l’écrit vu par l’« alphabétisation populaire » au sens du pédagogue brésilien Paulo Freire.

Entrer dans l’écrit ou le numérique peut se faire de mille et une manières. Une entrée autre que par « l’utile » est non seulement possible, mais sans aucun doute « souhaitable » pour contribuer à rendre le sujet acteur de son émancipation et écrire sa propre histoire, en territoire numérique ou non.

Quoi qu’il en soit, « nous aurons toujours besoin de médiateurs, avec bien entendu des rôles très variables en fonction des publics, des services, des territoires. Ces fonctions couvrent et continueront de couvrir un large éventail, de la simple explication à la formation, de l’adaptation à la réparation, de l’assistance à la gestion de conflit, de l’aide à la qualité de service, etc. […] Dans une société où les besoins d’accompagnement et de proximité se renouvellent sans cesse, nous devons installer des médiations durables qui s’appuient sur le numérique »3.

Un grand merci à Garlann Nizon et Stéphane Gardé d’avoir partagé avec nous leurs réflexions. Si celles-ci vous font réagir, n’hésitez pas à partager les vôtres en commentaires. On en remet une couche (de réflexion) dès la semaine prochaine…




Khrys’presso du lundi 20 mars 2023

Comme chaque lundi, un coup d’œil dans le rétroviseur pour découvrir les informations que vous avez peut-être ratées la semaine dernière.


Tous les liens listés ci-dessous sont a priori accessibles librement. Si ce n’est pas le cas, pensez à activer votre bloqueur de javascript favori ou à passer en “mode lecture” (Firefox) 😉

Brave New World

Spécial femmes dans le monde

Spécial France

Spécial femmes en France

  • Enquête : une chercheuse sur deux a déjà été victime de harcèlement sexuel au travail (humanite.fr)

    D’après une étude publiée par la Fondation l’Oréal le 16 mars, une chercheuse sur deux a déjà été victime de harcèlement sexuel au travail. L’enquête, menée auprès de 5 200 chercheuses de 117 pays différents, dont la France, révèle le milieu encore très masculinisée et sexiste de la science.

  • Comment j’ai essayé d’être payée comme un homme (frustrationmagazine.fr)

    À ce qu’il paraît, les femmes ne savent pas négocier leur salaire. Elles s’ « auto-censurent » et c’est notamment pour ça que les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes ne bougent quasiment pas depuis les années 1990. Bref, c’est quand même un peu de notre faute quoi.Comme je ne me laisse pas facilement abattre, j’ai donc entrepris il y a quelques années d’être payée comme un homme.

  • Enfin un musée consacré aux féminismes (humanite.fr)

    Fruit d’une longue bataille, le premier musée des Féminismes en France verra le jour, en 2027, à l’université d’Angers (Maine-et-Loire). La première exposition temporaire, « Les femmes sont dans la rue », sera visible dès 2024.

Spécial médias et pouvoir

Spécial emmerdeurs irresponsables gérant comme des pieds (et à la néolibérale)

Spécial recul des droits et libertés, violences policières, montée de l’extrême-droite…

  • 49.3 : le bras d’honneur de Macron (politis.fr)

    Le centième 49.3 de la Ve République – le 11e du gouvernement Borne –, est déclenché pour un passage en force de la réforme des retraites. Un triste aveu d’échec de la part d’un président et de son gouvernement. Un naufrage politique et démocratique.

  • Élisabeth Borne a déclenché le 100e 49.3 de la Ve République (liberation.fr)
  • Après le 49.3, Borne vise les LR qui ont joué « une carte personnelle » (huffingtonpost.fr)

    Après avoir eu recours au 49.3 pour faire passer sans vote la réforme des retraites, la Première ministre s’en est prise aux Républicains qui ont fait que « le compte n’y était pas ».

  • Retraites : avec le 49.3, « le premier jour de la fin du quinquennat de Macron » (reporterre.net)

    « En ayant recours à l’autoritarisme, ils enfoncent le pays tout entier dans une crise de régime. »

  • Crise de régime (humanite.fr)

    Sueurs froides à l’Élysée. De rebondissements en coups de théâtre, cette journée du jeudi 16 mars, qui fleurait bon la crise de régime et rappelait à certains égards les pires heures de la IVe République, pourrait rentrer dans l’histoire comme celle qui a acté la mort symbolique de la Ve. Avec ce nouveau recours au 49.3, le divorce entre nos institutions et le peuple est consommé, acmé d’une crise rampante de délégitimation du pouvoir politique

  • Projet de loi immigration : le Sénat durcit largement le texte (huffingtonpost.fr)

    Alors que le monde politique avait les yeux rivés sur la réforme des retraites, la commission des lois du Sénat a donné un tour très, très droitier à la « Loi Darmanin ».

  • L’Extrême droite mène sa guerre culturelle sur de petits fronts (humanite.fr)

    Contre l’installation de centres pour migrants, des projets scolaires, des lectures par des drag-queens, une frange de l’extrême droite se mobilise et invective. Objectif : diffuser par des combats locaux ses idées réactionnaires et xénophobes.

  • La campagne de Darmanin contre Salah Hamouri a du plomb (légal) dans l’aile (humanite.fr)

    La préfecture de Meurthe-et-Moselle a tenté d’empêcher la tenue d’un débat organisé par l’AFPS en présence de l’avocat franco-palestinien. Une mesure qui s’inscrivait dans la volonté du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, de faire taire Salah Hamouri partout en France. Le tribunal administratif de Nancy a cassé l’arrêté préfectoral et condamné l’Etat à verser 1000€ aux requérants.

  • Darmanin veut la peau de la police judiciaire (politis.fr)

    La direction centrale de la police judiciaire, créée en 1907 par Georges Clemenceau, sera enterrée le 1er juillet. Alors que le 16 mars, policiers et magistrats se mobilisent une nouvelle fois contre cette réforme, des promesses gouvernementales ne seront pas tenues : des services seront mutualisés et le budget actuel de la DCPJ pas garanti.

    Voir aussi Réforme de la PJ : policiers et magistrats dans la rue contre l’«autoritarisme» du ministère de l’Intérieur (liberation.fr)

  • Grève des éboueurs à Paris : le gouvernement passe à l’étape réquisition (liberation.fr)

    «Il est paradoxal que l’Etat demande aux collectivités territoriales de régler un problème qu’il a lui-même créé alors que la réquisition est, de droit, une compétence de l’Etat»

  • Le préfet a fait valoir la substitution pour obtenir les données personnelles des éboueurs de Paris (blog.davidlibeau.fr)

    La réquisition des éboueurs a commencé à Paris suite à la mobilisation contre la réforme des retraites. Après un refus de la maire de Paris, on a appris dans la presse que le préfet de Paris a récupéré les coordonnées des agents pour les réquisitionner. La méthode pose question.

  • Mégabassines : l’État veut museler la contestation (reporterre.net) – voir aussi Inculpation du porte-parole du mouvement anti-bassines (secoursrouge.org)

    Hier vendredi, peu avant 9 h, Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines, non merci ! (BNM) était convoqué pour « dégradation ou détérioration du bien d’autrui commise en réunion le 30 octobre 2022 à Sainte-Soline ». Il est ressorti huit heures et demie plus tard du palais de justice libre mais placé sous contrôle judiciaire. Il sera jugé le 8 septembre. D’ici là, il lui est interdit de se rendre à Sainte-Soline et Mauzé-sur-le-Mignon, cibles des manifestations des 24, 25 et 26 mars. « Il s’agit d’une opération qui vise à nous intimider »[…] Durant son audition, raconte-t-il, il s’est contenté d’un laconique « 49.3 » quand il n’a pas voulu répondre.

  • Plateau de Millevaches : les macronistes appellent à la violence (labogue.info)
  • Soupçons de violences policières au tribunal de Paris, une enquête préliminaire confiée à l’IGPN (lemonde.fr)

    L’affaire, révélée par StreetPress, aurait été découverte lors d’un incident survenu le 6 février, quand un policier, portant une marque sur le front, a expliqué avoir été frappé par une personne déférée au tribunal mais a refusé de porter plainte. Sa hiérarchie a alors consulté les images de vidéosurveillance. « Ce que montrent les caméras dépasse le simple “incident” »

  • Manifestations. « Ils ne cherchent pas à sécuriser, mais à réprimer et punir » (humanite.fr)
  • Répression : ne nous laissons pas terroriser (contre-attaque.net)

    Depuis trois jours, le régime organise des centaines d’arrestations, notamment des rafles massives à Paris. Les images de la capitale sont terrifiantes : des charges, des étranglements, des tabassages au sol. Plus de 500 interpellations en trois nuits rien qu’à Paris. Samedi soir, de véritables rafles, avec des dizaines de personnes alignées en rangs serrés contre les murs, dans une ruelle sombre, par des policiers cagoulés : les images d’une dictature.

  • Police à Nantes : agressions sexuelles et ultra-violence (contre-attaque.net)

    Quatre étudiantes ont déposé plainte pour agression sexuelle, après une nasse extrêmement brutale et des fouilles au corps illégales, mardi 14 mars.[…] Leur avocate parle de faits «hallucinants» accompagnés «de propos inadaptés, insultants, humiliants, dans un contexte de grande tension.»

  • Nantes : des fusils d’assaut au milieu des charges de CRS (contre-attaque.net)

    Sur cette photo prise samedi 18 mars, au cœur de la ville de Nantes, ce fusil d’assaut est brandi par un CRS dépassé, en plein milieu de charges et de tirs de lacrymogènes, entre les manifestant-es et les passant-es. Plus troublant encore, la sécurité de l’arme semble être sur un mode “semi-automatique”. Le site du fabriquant indique que le curseur doit être à l’horizontal pour bloquer les tirs. Sur notre photo, il est incliné vers le bas. Ce fusil serait donc prêt à tirer.

Spécial résistances

Spécial GAFAM et cie

Les autres lectures de la semaine

Les BDs/graphiques/photos de la semaine

Les vidéos/podcasts de la semaine

Les trucs chouettes de la semaine

  • Imprimantes et libertés (linuxfr.org)

    Le logiciel libre a commencé avec le légendaire refus d’accès au code source d’un pilote d’imprimante : Richard Stallman voulait améliorer un pilote d’impression, mais Robert Sproull avait signé un contrat de non divulgation avec Xerox. Quarante années après, où en sommes-nous ? Quelle imprimante acheter pour un·e libriste ?

  • Échirolles libérée, épisode IV : inclusion (grenoble.ninja)


Retrouvez les revues de web précédentes dans la catégorie Libre Veille du Framablog.

Les articles, commentaires et autres images qui composent ces « Khrys’presso » n’engagent que moi (Khrys).




Où est donc passée la culture numérique ?

Le collectif « Lost in médiation » vous invite cette semaine à découvrir les réflexions de Vincent Bernard. Bonne lecture !

Vincent Bernard est coordinateur de Bornybuzz numérique et juré pour le titre professionnel de Responsable d’Espace de Médiation Numérique (REMN). Il veille à inscrire dans ses pratiques de médiation numérique l’éducation aux médias, aux écrans et à la culture numérique. À ce titre, il associe régulièrement des travailleurs sociaux et des psychologues à des projets destinés aux adultes et aux jeunes publics. Il participe également à des publications collectives.

Depuis 2018 avec sa stratégie nationale pour un numérique inclusif, l’État promeut une approche opératoire du numérique tendant à reléguer culture et littératie numériques au second plan. Cette restriction de la médiation numérique est problématique au regard des enjeux sociétaux. Petite virée sémantique au pays des synecdoques.

Tatiana T. Illustrations, CC BY-SA 4.0 Le petit Poucet perdu dans la forêt numérique sème des applications pour retrouver son chemin

Médiation numérique

Selon la coopérative des acteurs de la médiation numérique (la MedNum), « la médiation numérique désigne les ingénieries, c’est-à-dire les techniques, permettant la mise en capacité de comprendre et de maîtriser le numérique, ses enjeux et ses usages, c’est-à-dire développer la culture numérique de tous, pour pouvoir agir, et développer son pouvoir d’agir, dans la société numérique »4. A travers cette définition, on comprend que la médiation numérique tend vers deux objectifs : la maîtrise et la compréhension. Il s’agit donc d’une double appropriation technique et culturelle. Cette culture numérique, comme le rappelle le sociologue Dominique Cardon5, est importante. Selon lui, « une invention ne s’explique pas uniquement par la technique. Elle contient aussi la société, la culture et la politique de son époque ».

Cette approche plurielle se retrouve également dans la notion de littératie numérique qui, pour le site québécois HabiloMédias, « est plus qu’un savoir-faire technologique : elle inclut une grande variété de pratiques éthiques, sociales et réflectives qui sont intégrées dans le travail, l’apprentissage, les loisirs et la vie quotidienne ».

Inclusion numérique

Avec la notion d’inclusion numérique, on constate une restriction de la médiation numérique, puisqu’il n’est plus question de compréhension mais seulement de compétences. Ainsi dans les Cahiers de l’inclusion numérique, on peut trouver la définition suivante : « l’inclusion numérique est un processus qui vise à rendre le numérique accessible à chaque individu, principalement la téléphonie et internet, et à leur transmettre les compétences numériques qui leur permettront de faire de ces outils un levier de leur insertion sociale et économique »6. L’approche est ici opératoire et il n’est finalement question que de savoir utiliser des outils. Le numérique est réduit à sa dimension d’interface où l’utilisateur est considéré comme un opérateur qui doit savoir effectuer une requête, remplir un champ et valider un formulaire.

Médiation sociale

Pour le Ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, « la médiation sociale est un mode efficace de résolution des tensions et de mise en relation des populations des quartiers et des institutions »7. Cette résolution des tensions et mise en relation, selon France Médiation, se décline autour de 5 grands domaines : espace public et habitat collectif ; accès aux droits et aux services ; transports en commun ; milieu scolaire et jeunesse ; participation des habitants8.

En raison de la dématérialisation des services publics, il est désormais difficile d’envisager l’accès aux droits et aux services sans les questions d’inclusion numérique. Pourtant, pour France Médiation, « l’accès aux droits nécessite un accompagnement global, comprenant : l’accueil de la personne, l’analyse de ses besoins, l’information sur ses droits, l’orientation vers les institutions, jusqu’à éventuellement l’aide à l’usage du numérique »9. Éventuellement…

Lost in médiation

En 2019, le Haut Conseil en Travail Social (HCTS) a proposé des articulations entre travail social, médiation sociale et médiation numérique10. Si la mission spécifique du médiateur numérique est définie comme « la formation, les actions pédagogiques et la médiation entre la personne et les multiples outils numériques afin de lui permettre de les maîtriser de façon autonome », il partage néanmoins avec le médiateur social la mission de « l’information des personnes sur leurs droits, l’aide à l’instruction des demandes et le travail de veille sociale en partenariat ». Ici aussi, la mission du médiateur numérique est envisagée dans une optique d’inclusion numérique. La culture et la littératie ont disparu au profit d’une dimension exclusivement opératoire et technique. Or le numérique ne doit pas être considéré comme une boîte noire, et l’internaute/citoyen ne peut pas être simplement envisagé comme presse-bouton.

Le rapport Lieux et acteurs de la médiation numérique. Quels impacts des demandes d’aide e-administrative sur l’offre et les pratiques de médiation ? ne dit pas autre chose, lorsqu’il montre comment l’aide aux démarches administratives influe sur le projet des structures de médiation numérique traditionnelles, et aboutit à déposséder les médiateurs numériques de leurs objectifs initiaux, non sans générer de la souffrance professionnelle et de l’inquiétude quant à l’avenir de la profession.

Lost in formation aussi

Il est fréquent d’entendre de futurs conseillers numériques, qui partagent le premier certificat de compétences professionnelles (CCP1) du titre professionnel de Responsable d’Espace de Médiation Numérique (REMN), se plaindre des activités relatives à l’impression 3D, les microcontrôleurs ou la programmation de robots pédagogiques. En effet, ils ne semblent pas comprendre l’intérêt de ces activités. Cette incompréhension se ressent également lors de leur certification où les fiches activités qu’ils présentent sont une succession de tâches à réaliser façon tutoriel, sans contextualisation et sans âme.

Le Référentiel Emploi Activité Compétence du titre professionnel est pourtant clair. La première compétence à valider consiste à « élaborer des programmes d’actions de médiation facilitant l’appropriation des savoirs et des usages numériques ». Cette appropriation des savoirs devrait normalement être comprise comme culture ou comme littératie numérique, mais de toute évidence elle ne l’est pas. Pour un juré, lors de l’entretien technique, il est souvent difficile de déterminer si les lacunes proviennent de l’organisme de formation ou de l’employeur, tant les deux semblent avoir en commun cette méconnaissance de ce que la médiation numérique pourrait être.

Y-a-t-il un médiateur pour sauver le numérique ?

Pourtant une fois sur le terrain, ces jeunes professionnels peuvent être amenés à intervenir sur des thématiques qui excèdent la simple maîtrise d’outils, comme les usages problématiques qu’il s’agisse d’usages excessifs ou de comportements en ligne (ce qui conduit inévitablement à intervenir auprès d’adolescents ou en parentalité) ; ou tout ce qui touche aux dimensions éthiques du numérique : la protection des données personnelles11, l’impact écologique du numérique, les alternatives aux GAFAM, les dark patterns, les algorithmes12 et l’intelligence artificielle, etc.

N’ayant ni les prérequis théoriques ni la posture professionnelle adéquate, ils répondent à une commande institutionnelle confondant bien souvent prévention et éducation. Faute de culture numérique, ils peuvent faire la promotion des usages responsables ou de la sobriété numérique, comme ils peuvent faire le jeu du solutionnisme technologique, du capitalisme de surveillance ou encore participer à la diffusion de paniques morales.

Autrement dit, alors que la médiation numérique se voudrait dans la filiation des pionniers d’Internet, elle risque de devenir le bras armé d’une logique gestionnaire qui vise la rationalisation des conduites humaines plutôt que l’émancipation. Alors que le Conseil national du numérique (CNNum) appelle de ses vœux un numérique au service des savoirs, il serait temps de reconnaître « qu’une culture numérique approfondie, acquise par l’éducation et l’expérience, appuyée sur une réflexion profonde de nos objectifs en tant qu’individus et en tant que société » ne pourra advenir sans professionnels de la médiation numérique formés à cet enjeu.

Un grand merci à Vincent Bernard d’avoir partagé avec nous ses réflexions. Si celles-ci vous font réagir, n’hésitez pas à partager les vôtres en commentaires. On en remet une couche (de réflexion) dès la semaine prochaine…




Khrys’presso du lundi 13 mars 2023

Comme chaque lundi, un coup d’œil dans le rétroviseur pour découvrir les informations que vous avez peut-être ratées la semaine dernière.


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Allons-nous vers un métier unique de la médiation numérique et sociale ?

Après un premier article introductif de Yann Vandeputte publié jeudi dernier, le collectif « Lost in médiation » vous invite cette semaine à découvrir les réflexions de Didier Dubasque. Bonne lecture !

Didier Dubasque est l’auteur de Comprendre et maîtriser les excès de la société numérique et de Les Oubliés du confinement. Hommage aux plus fragiles et à ceux qui les aident, parus aux presses de l’EHESP. Impliqué dans le travail social depuis plus de trente ans au niveau départemental (Loire-Atlantique) et national, il a notamment co-animé les travaux du Haut Conseil du Travail Social (HCTS) sur les enjeux des pratiques numériques dans l’action sociale. Chroniqueur social, il anime le blog Écrire pour et sur le travail social et contribue au développement de l’association nantaise Le coup de main numérique.

Photo furbymama – Pixabay

« La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ? ».  Cette question a du sens quand on compare les multiples missions des professionnels de la médiation. Si certaines d’entre elles sont très proches, force est de constater que face aux demandes des personnes en difficultés, les médiateurs numériques sont susceptibles de voir leurs missions initiales se transformer. Cette évolution est inéluctable. Il en est de même pour tous les métiers.

Faut-il pour autant penser que le métier de médiateur numérique et celui de médiateur social pourront à l’avenir fusionner ? Rien n’est certain. Pourtant, ces professionnels issus de deux champs bien distincts sont susceptibles d’être positionnés par un employeur sur une même mission. Ce n’est pas gênant, bien au contraire. Il a toujours été utile que des missions communes soient assurées par des professionnels issus de différentes formations à la condition que leur formation initiale le leur permette. Loin de produire de la rivalité, la mission commune permet d’enrichir les approches et les façons d’agir des professionnels. Mais cette question va bien au-delà des métiers de la médiation sociale et de la médiation numérique. Tous les métiers ou presque sont concernés.

1. Sans numérique, tu n’existes pas

Les métiers qui n’ont pas à un moment ou à un autre besoin de faire appel à un logiciel, une interface ou une plateforme sont désormais minoritaires. La volonté du gouvernement de mettre en place une administration entièrement dématérialisée accélère un processus déjà bien engagé dans le secteur marchand. Que l’on soit en accord ou en désaccord avec cette vision totalisante d’une société qui ne peut plus fonctionner sans les outils numériques, il nous faut prendre acte de cette réalité : plus la société adopte une technologie spécifique, plus des questions nouvelles apparaissent sur les usages de ce qu’en font les humains.

Il y a ceux qui s’adaptent bon gré mal gré, ceux qui « jouent » et ceux qui subissent. On le voit particulièrement dans les usages des réseaux sociaux pilotés par des algorithmes. Certains les utilisent pour communiquer. Ils les maîtrisent et en utilisent les capacités et les failles, d’autres les utilisent pour simplement s’informer (et parfois – souvent ? – être manipulés). Ils ne maîtrisent que ce que l’algorithme veut bien leur montrer. Et puis, il y a ceux qui ne les utilisent pas. Ceux-là sont hors-jeu, hors système. Ils disparaissent du débat qui s’instaure sur les plateformes.

Toute technologie produit un nouvel ordre social, une nouvelle hiérarchie des valeurs. Je pense à ce directeur d’une grande agence de Pôle Emploi qui m’avait dit lors d’une réunion « un demandeur d’emploi qui n’utilise pas un ordinateur et une connexion, il est mort ! ». Derrière cette affirmation abrupte, se dessine une réalité bien connue des médiateurs : l’exclusion générée par la non-maîtrise de la technologie est sans pitié. Elle a un impact très important sur le quotidien de celui qui la subit. C’est dire combien le métier de médiateur est non seulement utile mais aussi nécessaire et même indispensable pour qu’une société puisse continuer de fonctionner avec tous ses membres.

2. La médiation, une affaire de missions

Le conseiller médiateur en numérique possède désormais un nouveau titre professionnel : celui de « responsable d’espace de médiation numérique ». Il a vu ses prérogatives étendues, mais il continue de « mettre en œuvre des actions de médiation à destination des utilisateurs pour favoriser leur autonomie avec les pratiques, les technologies, les usages et les services numériques ». Il est aussi là pour gérer, animer et développer un espace collaboratif de type tiers-lieu en proposant des actions destinées à favoriser des usages et des pratiques autonomes des technologies, services et médias numériques de larges publics. Il travaille avec les acteurs de son territoire, et a pour mission de faciliter « la création de projets coopératifs construits autour de communautés d’intérêts ». Ses compétences sont essentiellement techniques, mais aussi relationnelles.

La médiation sociale est une forme d’intervention et de régulation sociale qui vise à favoriser le « mieux vivre ensemble », dans l’esprit de deux textes de référence : la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte de référence de la médiation sociale mise en place dès 2001 par le Comité interministériel des villes. Comme pour les travailleurs sociaux, leur porte d’entrée ne passe pas par les usages du numérique mais par les relations sociales des particuliers entre eux et aussi avec les administrations. Dans le champ de l’accès aux droits, qui reste une de leurs grandes priorités, le numérique n’est qu’un outil qui leur est imposé par la dématérialisation. Ils sont aussi chargés de prévenir les conflits susceptibles de survenir à l’échelle d’un territoire. Là aussi l’usage du numérique s’impose à eux car les désaccords apparaissent souvent via les réseaux sociaux avec tous les excès que l’on connaît.

3. Des missions différentes avec des aspects communs

On peut déjà considérer que les médiateurs sociaux et, plus largement, les travailleurs sociaux sont conduits de fait à consacrer un temps non négligeable à devenir des aidants numériques sur tel ou tel aspect d’une situation au regard des pratiques numériques de leurs interlocuteurs. Il est par exemple plus simple pour un travailleur social d’expliquer à un usager comment se connecter au site de la CAF et d’en maîtriser les méandres que de l’orienter vers un médiateur numérique pour qu’ensuite il puisse revenir vers lui pour traiter le problème administratif. Réorienter serait un non-sens. Pour autant cette pratique ne peut répondre à tous les besoins.

Déjà des Conseils départementaux, comme le Nord, ou des métropoles comme celle de Bordeaux, ont fait le choix de recruter des médiateurs numériques pour consolider l’offre de services à la population et pour travailler en complémentarité avec les intervenants sociaux. C’est là une reconnaissance de l’intérêt d’un métier spécifique considéré comme utile et nécessaire. Ces pratiques sont à regarder de près car si les médiateurs numériques n’apportent pas la preuve de leur plus-value, leur position sera fragilisée.

Quoi que l’on en dise, les métiers de médiateur social et de médiateur numérique sont différents. Leurs missions et portes d’entrée dans leurs relations aux usagers sont différentes et suffisamment spécifiques malgré des tâches qu’ils ont en commun. Ils répondent à des besoins importants. Nous avions tenté de préciser ces différences et ces points communs dans les travaux que j’avais pilotés en 2017 au sein du Haut Conseil du Travail Social (HCTS). Le schéma qui suit, même s’il mériterait d’être actualisé, apporte quelques indications :

Reconnaître les missions des acteurs du réseau de solidarité numérique. Schéma extrait de la fiche Quelles articulations entre travail social, médiation sociale et médiation numérique ? éditée en juin 2018 par le Haut Conseil du Travail Social – Groupe de travail « Numérique et travail social ».

La question qui se pose alors est : comment travailler ensemble en donnant à voir nos différences et nos complémentarités ? La fiche du HCTS Quelles articulations entre travail social, médiation sociale et médiation numérique ? tente d’y apporter des réponses.

Nos métiers sont différents, tous utiles et complémentaires

La multiplicité des sujets abordés par les usages des outils numériques justifie cette différence des métiers. Imagine-t-on construire une maison avec un métier unique qui regrouperait en un seul le maçon, le menuisier, le couvreur, l’électricien ? Il en est de même pour les métiers de l’aide et du soutien. Chacun possède ses spécificités. Mais plus un métier est récent, plus il doit faire preuve de son efficacité et de sa légitimité. C’est plutôt là l’enjeu qui se pose au médiateur numérique. C’est par l’apport de ses compétences, sa capacité de travailler en collaboration avec les autres métiers techniques et sociaux qu’il trouvera sa reconnaissance et prendra toute sa place au regard de son utilité qui n’est plus à démontrer.

Un grand merci à Didier Dubasque d’avoir partagé avec nous ses réflexions. Si celles-ci vous font réagir, n’hésitez pas à partager les vôtres en commentaires. On en remet une couche (de réflexion) dès la semaine prochaine…




Khrys’presso du lundi 6 mars 2023

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La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ?

Lorsqu’en décembre 2021, Angie contacte Yann Vandeputte pour échanger autour de la quasi-absence de médiation aux pratiques numériques émancipatrices dans les espaces dédiés à l’accompagnement des citoyen⋅nes aux usages numériques, elle était loin d’imaginer que quatorze mois plus tard, elle lancerait une série d’articles rédigés par les membres du collectif « Lost in médiation » sur le thème La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ? ! Et pourtant, c’est bien de vous plonger dans le monde de la médiation numérique que nous vous proposons pour ces prochaines semaines ! On commence avec un premier article de Yann Vandeputte qui nous présente la démarche et ses enjeux.

Yann Vandeputte est actif dans l’accompagnement aux usages numériques depuis 2004. Comme acteur de terrain pendant une douzaine d’années dans le secteur associatif, puis comme ingénieur de formation chargé de la certification « responsable d’espace de médiation numérique » du ministère du Travail.

« La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ? », une question qui ressemble, dans sa formulation, à un sujet du bac. C’est le premier chantier que pose, comme acte fondateur, le collectif Lost in médiation. S’ouvrir aux autres secteurs et aux autres champs disciplinaires, avec lesquels la médiation numérique partage des gènes dans le grand ADN du care, est la motivation première du collectif. Sept professionnels ou anciens praticiens issus du monde associatif et institutionnel ont rendu leur copie. D’autres réponses pourraient suivre, nous l’appelons de nos vœux.

« Apprendre à se connaître et à se reconnaître ». Tel serait le besoin exprimé et le point de départ qui a animé la question délicate que j’ai posée fin décembre 2021 à une quinzaine d’acteurs de la médiation numérique, de la médiation sociale, du travail social et de la sociologie. Peu ont souhaité répondre gratuitement à cette question, un brin provocatrice, j’en conviens, et je profite de cet espace qui nous est cordialement offert par Framasoft pour remercier les premiers courageux qui ont relevé le défi. L’enjeu de cette demande était d’interroger la médiation numérique au regard d’autres champs, d’autres acteurs qui l’entourent, la croisent, l’aiguillonnent ou simplement l’ignorent, par pure ignorance ou par aimable condescendance.

Photo Stefan Schweihofer – Pixabay

Les six articles qui ouvrent ce premier chantier seront présentés chaque jeudi sur cet espace d’expression libre qu’est le framablog :

  • 9 mars : Allons-nous vers un métier unique de la médiation numérique et sociale ? par Didier Dubasque
  • 16 mars : Où est passée la culture numérique ? par Vincent Bernard
  • 23 mars : Médiation sociale et médiation numérique : solubilité ou symbiose ? par Garlann Nizon et Stéphane Gardé
  • 30 mars et 6 avril : La translittératie numérique, objet de la médiation numérique. Analyse d’une expérimentation : remobilisation scolaire et articulation de médiations par Corine Escobar, Nadia Oulahbib et Amélie Turet

Et plus tard, peut-être, d’autres éclairages que vous souhaiteriez apporter à ce premier tableau ?

Des contributeurs à la croisée des champs

Cette série introductive de quatre articles associe six professionnels issus de la médiation numérique (Vincent Bernard, Garlann Nizon et Stéphane Gardé), du travail social (Didier Dubasque) et de la recherche en sciences humaines et sociales (Amélie Turet et Corine Escobar). Je ne déroulerai pas ici leur CV bien fourni. Je me limiterai à une courte présentation. Leurs articles respectifs étant leur meilleure carte de visite.

Didier Dubasque est l’auteur de Comprendre et maîtriser les excès de la société numérique et de Les Oubliés du confinement. Hommage aux plus fragiles et à ceux qui les aident, parus aux presses de l’EHESP. Impliqué dans le travail social depuis plus de trente ans au niveau départemental (Loire-Atlantique) et national, il a notamment coanimé les travaux du Haut Conseil du Travail Social (HCTS) sur les enjeux des pratiques numériques dans l’action sociale. Chroniqueur social, il anime le blog Écrire pour et sur le travail social et contribue au développement de l’association nantaise Le coup de main numérique.

Vincent Bernard est coordinateur de Bornybuzz numérique et juré pour le titre professionnel de Responsable d’Espace de Médiation Numérique. Il veille à inscrire dans ses pratiques de médiation numérique l’éducation aux médias, aux écrans et à la culture numérique. À ce titre, il associe régulièrement des travailleurs sociaux et des psychologues à des projets destinés aux adultes et aux jeunes publics. Il participe également à des publications collectives.

Garlann Nizon est cheffe de projet, formatrice et consultante en inclusion numérique depuis de nombreuses années, à l’échelle de la Drôme et de l’Ardèche dont elle a structuré les EPN et les actions, et de la région dont elle a coanimé le réseau d’acteurs Coraia puis Hinaura. En tant que salariée associée au sein de la CAE Prisme, elle est également administratrice à la coopérative La MedNum où elle représente le collège des médiateurs et personnes physiques. Toujours en coordination des acteurs de la médiation numérique drômoise (médiateurs et CNFS notamment), elle travaille également sur les sujets relatifs à la numérisation de la santé et les modèles économiques des structures de médiation notamment.

Stéphane Gardé est consultant-formateur engagé depuis presque vingt ans dans la médiation numérique. Son regard de philosophe ouvert aux cultures non occidentales et son intérêt pour les pédagogies actives lui ont permis pendant quinze ans d’accompagner, notamment en itinérance, des publics en situation d’illettrisme et d’illectronisme et différents acteurs de l’intervention sociale.

Corine Escobar est enseignante chercheure depuis plus de 40 ans, au service de l’égalité des chances. Institutrice en France, puis professeure de français en Espagne, suède et Allemagne, elle a expérimenté différentes pédagogies holistiques. Une thèse de doctorat en sciences de l’éducation lui a permis d’observer et d’évaluer la puissance associative au service des plus faibles. Déléguée du préfet depuis plus de 10 ans, elle accompagne les associations investies auprès des publics des quartiers prioritaires notamment sur la remobilisation éducative.

Nadia Oulahbib est chercheure et analyste clinique du travail en santé mentale, observatrice des scènes de travail dans le monde de la fonction publique, l’entreprise associative, coopérative, industrielle et également liés aux métiers du social. Elle apporte son soutien à la parole sur le travail pour entretenir le dialogue collectif. Elle est aussi maîtresse de conférences associée pour l’UPEC.

Amélie Turet est docteure qualifiée en sciences de l’information et de la communication, chercheure associée à la Chaire UNESCO « Savoir Devenir » et au MICA, enseignante à l’UPEC sur le numérique dans l’éducation populaire et l’ESS, spécialiste de l’appropriation socio-technique des dispositifs liés au numérique. Membre de l’ANR Translit, elle a présenté ses travaux sur la médiation numérique lors des rencontres EMI de l’UNESCO à RIGA en 2016. CIFRE, diplômée de l’université Paris-Jussieu en sociologie du changement, elle a conduit des projets de R&D dans le secteur privé puis au service de l’État sur la transformation numérique, la démocratie participative, l’inclusion numérique, la politique de la ville et l’innovation.

« Lost in médiation » : besoin de médiations pour des remédiations ?

Lost in médiation13 est né il y a plusieurs années d’une gêne personnelle due à un prurit chronique causé par l’irritant médiation. « Médiation » par-ci, « médiation » par-là, pour ci et pour ça, le pouvoir d’attraction de la blanche colombe m’a un jour donné le vertige et l’envie de lui tordre le cou pour commencer à lui faire rendre gorge. Le dessein, un peu violent et d’une prétention inouïe, tant la tâche est immense, demande que je m’explique et que je lance dans ces colonnes un appel à l’aide à toutes les bonnes volontés. Vouloir dissiper le brouillard qui entoure la notion de médiation et ses innombrables costumes14 et faux-nez est une entreprise qui relèverait de toute une vie. Quelques personnes plus savantes et plus talentueuses s’y sont déjà essayé et n’y sont pas parvenues.

Le projet Lost in médiation est plus modeste, certes, mais il ne se prive pas de questionner la composante « médiation » dans la médiation numérique. Nous espérons que des professionnels qui pratiquent d’autres médiations (sociale, artistique, documentaire, scientifique, conventionnelle, etc.) et d’autres types d’accompagnement dans les secteurs du travail social, du médico-social et de l’éducation populaire pourront alimenter le « processus de communication éthique » qui définit la médiation dite « conventionnelle15 ».

Un chantier ouvert pour faire acte de médiation ?

Lost in médiation se veut une œuvre collective ouverte où les expressions et les sensibilités peuvent prendre des formes variées : écrits (articles, témoignages, retours d’expérience, analyses de pratiques, etc.), podcasts sonores et vidéo, objets graphiques ou hybrides. La seule contrainte que notre ouvroir s’impose, c’est l’opportunité de croiser des regards intérieurs et extérieurs au secteur de la médiation numérique. Prendre le recul nécessaire permet, nous semble-t-il, de nous extraire des mécanismes réflexes, des recettes de cuisine, des formules toutes faites servant à nourrir la viralité et le prêt-à-penser qui favorisent les bulles informationnelles. Convoquer des pratiques et des cultures issues d’autres champs disciplinaires aide à nous décentrer, ouvre des horizons et nous donne une capacité à élargir nos réflexions et à entrevoir des pistes de solutions difficiles à imaginer quand se mettent en place des entre-soi. L’équation que Lost in médiation entend poser est donc « comment penser avec les autres pour penser contre soi-même ? ».

Inscrire la médiation numérique dans une généalogie ancienne

Si elle ne sort pas de la cuisse d’un Jupiter ni même de la côte d’un Adam, la médiation numérique n’est pas non plus une création ex nihilo. Au-delà du chaudron de l’éducation populaire dans lequel elle est tombée à sa naissance, nous postulons qu’elle porte derrière elle un bagage largement insoupçonné venant d’antécédents plus illustres et plus lointains n’ayant, en apparence, aucune connexion avec elle. Et pourtant. Qu’elle le veuille ou non, par l’adoption même du terme médiation qui plus est associé à numérique16, la voilà embarquée, bon gré mal gré, dans une histoire longue et touffue qu’elle va devoir un jour assumer si elle veut honorer ces deux blasons.

En prendre conscience permet de convoquer l’aide de ses ascendants et de les questionner avec assertivité. La médiation ne passe-t-elle pas inlassablement par des reformulations pour s’assurer que chaque participant, chaque acteur a bien saisi ce qui s’énonce ? Plus concrètement, éducateurs, animateurs, formateurs, penseurs et chercheurs en sciences humaines et sociales (SHS), artistes (et bien d’autres !), qui ont parlé, expérimenté et écrit sur les relations interpersonnelles et culturelles, le care, l’accompagnement et l’éthique, ont pleine légitimité à nous dire et à nous apprendre des choses sur nous-mêmes. Nous essaierons, le plus possible, dans notre projet ouvert, de les rappeler à notre bon souvenir.

L’aller vers en partage ?

La volonté de se mouvoir vers une altérité (humaine, non-humaine, conceptuelle) est partagée par toutes les médiations. Nous nous appuierons donc sur ce socle commun, représentant à nos yeux un avatar du principe de l’aller vers que nous empruntons au travail social et que nous tenterons d’appliquer au champ de la médiation numérique.

La traçabilité de la locution aller vers mériterait d’être établie. Je conseille pour commencer de lire les articles que Didier Dubasque a consacré à cette notion sur son blog. Il cite, entre autres, les travaux de son ami sociologue, Cyprien Avenel, qui rappelle que « l’aller vers n’est pas une pratique nouvelle […] il « renvoie aux fondamentaux du cœur de métier du travail social et de l’intervention sociale ».

Pour ce qui nous intéresse, cela ressemble un peu au jeu du « passe à ton voisin » qui marque une certaine porosité entre les champs d’intervention. Comme le terme médiation, cette expression est devenue désirable, car véhiculée à tour de bras. Elle est passée de mains en mains : du travail social à la médiation sociale qui l’a même inscrite dans sa norme AFNOR NF X60-600 conçue en 2016 et entrée en vigueur en 2021. On y lit, à la page 11, au deuxième paragraphe de l’article 3.1.2 Modalités d’intervention de la médiation sociale, que « le médiateur social intervient sur l’ensemble des espaces de vie de son territoire d’intervention et organise ses pratiques autour de deux principes directeurs : aller vers et faire avec la ou les personnes ».

Une nouvelle injonction pour de nouvelles pratiques

De fil en aiguille, l’aller vers, flanqué de son binôme faire avec, navigue et suture les différentes pièces de l’intervention sociale, jusqu’à arrimer aujourd’hui la médiation numérique. D’année en année, ses occurrences et ses déclinaisons augmentent significativement dans la prose institutionnelle consacrée à l’inclusion numérique, reprise à l’envi par certains professionnels du terrain. À titre d’exemple, l’aller vers est mentionné à plusieurs reprises dans l’Observatoire de l’inclusion numérique 2022 de la MedNum. Il faisait aussi l’objet d’un atelier au dernier Numérique en Commun[s] (NEC) 2022 à Lens et la Base du numérique d’intérêt général lui consacre la fiche Comment favoriser le « aller vers » dans mon quotidien ? destinée aux conseillers numériques France Services (CNFS).

La viralité est donc en marche, mais qui s’en plaindrait ? Qui refuserait d’aller porter assistance aux personnes qui ne poussent jamais la porte des espaces de médiation numérique ? Qui souhaiterait laisser pour compte celles et ceux qui ne manifestent aucune demande alors que leurs besoins élémentaires en termes d’accès au droit(s)17 ne sont pas satisfaits ? Absolument personne. Et pourtant, rappelle Didier Dubasque, ce déplacement qui provoque une inversion ne va pas de soi, car elle met le professionnel dans une « position basse », inconfortable : « ce n’est plus la personne qui demande, c’est le professionnel ».

L’heure est donc au démarchage tous azimuts. Il faut aller chercher les isolés à la force des jambes et du poignet, dans les moindres recoins. Les non-recours ne doivent plus avoir cours ! Est-ce à dire que les pratiques des professionnels de la médiation numérique ont radicalement changé ? Que la majorité d’entre eux sillonnent les routes de France, de Navarre et des îles pour aller au contact des usagers les plus éloignés, montent les étages des immeubles et font du porte-à-porte, arpentent les rues en faisant des maraudes ? Nous n’y sommes pas encore. Si peu aujourd’hui le font, la question qui se pose est bien de savoir s’ils en ont la capacité, la motivation et les moyens. Car ajouter une nouvelle mission, une nouvelle pratique, suppose la formation qui va avec et l’aller vers ne s’improvise pas. C’est un art de l’approche qui relève d’un artisanat social qui s’acquiert patiemment sur le terrain, par essais-erreurs, au rythme qu’imposent les publics accompagnés. Pour aller vers les autres, on doit bien apprendre à les connaître et à les reconnaître, on n’a pas le choix : il faut bien faire avec !

Le Réseau national Pimms Médiation, première éprouvette d’une médiation numérique OGM ?

Une fois encore, même si la solubilité de la médiation numérique n’est pas pleine et entière dans la médiation sociale, il n’empêche qu’une forme de mouvement de l’une vers l’autre s’est établi ces dernières années. Peu veulent le voir, l’acter ou le reconnaître, mais les technologies finiront bien un jour par les mettre d’accord. Car le numérique permet et accentue cette liquidité18, gomme petit à petit les frontières ou les rend plus floues.

Des structures comme les points d’information médiation multi services (PIMMS), dont le réseau national comprend aujourd’hui 100 lieux d’accueil de proximité, incarnent bien cette soudure. Ce n’est pas un hasard si le réseau a créé le mot-valise « médiation socio-numérique » pour qualifier sa pratique hybride. Ce mot, par contamination (ou par solubilité ?) est déjà repris par des acteurs du canal historique de la médiation numérique. Ce n’est pas non plus un hasard si ce même réseau des PIMMS, à la croisée des chemins, est membre du réseau France Médiation19 et sociétaire de la MedNum. Ses représentants participent régulièrement aux événements qu’organisent ces deux instances professionnelles de portée nationale.

La dématérialisation, vers une nouvelle forme d’œcuménisme ?

Par la force centripète qu’elle provoque, la dématérialisation administrative crée, à sa manière, de l’aller vers entre professionnels des trois sphères du champ social. Elle oblige des professionnels qui ne se fréquentaient pas (ou peu) à apprendre à s’identifier, à comprendre la culture et les contraintes des uns et des autres et, cerise sur le gâteau, à travailler en bonne intelligence afin de créer un « espace d’aide potentiel20 », une zone de confiance entre les différentes parties prenantes de dispositifs d’accompagnement : personnes accompagnées et professionnels accompagnants. L’enjeu est bel est bien de rendre fluides les échanges, d’éviter les ruptures pour les usagers, de limiter les incompréhensions, les lenteurs et les blocages. Ces évidences méritent d’être rappelées à l’ensemble des maillons de ce qui forme, dans le fond, une chaîne de solidarités professionnelles.

La médiation numérique a tout à apprendre de la médiation sociale et du travail social et inversement. « Assurer une présence active de proximité », « participer à une veille sociale et technique territoriale » sont des principes inscrits dans la norme de la médiation sociale que la médiation numérique devrait ou est en train de faire siens. Le principe de l’aller vers que nous avons à peine esquissé est connecté en permanence avec ces deux principes d’arpentage du territoire. Mais la réalité de terrain montre que les échanges « gagnants-gagnants » qui relèveraient d’une forme de symbiose – que décrivent Garlann Nizon et Stéphane Gardé – sont encore loin d’être la norme. En inversant le mouvement, il est clair que les médiateurs et travailleurs sociaux ont à s’inspirer des pratiques d’accompagnement aux usages numériques de leurs frères et sœurs d’armes conseillers et médiateurs numériques.

Fécondations croisées

A l’heure du Conseil national de la refondation (CNR) et de la future feuille de route pour la « stratégie nationale numérique inclusif » à mener dans les cinq années à venir, le groupe de travail 3 « formation-filière » était chargé récemment de réfléchir à la structuration de la filière de la médiation numérique et de la formation des futurs professionnels, des professionnels en poste et des aidants numériques. Dans le volet formation, il est souvent question de « socle commun de compétences ». S’il voit le jour, ce socle serait bien inspiré de cartographier au préalable les activités communes aux trois champs de l’intervention sociale, en lien direct ou indirect avec l’accompagnement aux usages numériques, pour en tirer les savoir-faire (techniques, relationnels, organisationnels) et les connaissances qui forment un génome commun : la compétence. L’aller vers fait partie de ces chromosomes qui constituent le génome, mais ce n’est pas le seul. Les professionnels des trois champs ont tout à gagner d’unir leur force en mettant au pot ce qu’ils ont de meilleur pour créer ensemble une variété robuste de médiation, résistante aux multiples variations de notre climat social et sociétal.

« Il n’y a pas de grande Nation numérique si nous laissons une partie de Françaises et Français sur le bord du chemin » disait Jean-Noël BARROT21 en préambule au « Plan France Numérique Ensemble ». Nous choisirons pour conclure de le paraphraser en affirmant qu’il n’y a pas de grande nation ni de grands professionnels qui ne sachent pas travailler main dans la main pour atteindre des objectifs communs, profitables à des territoires tout entiers. Par leur intelligence collective, leur courage et leur ténacité, les Ukrainiens nous enseignent l’adage au quotidien.

Alors, puisque la chimie, mère de nombreuses disciplines, est à l’honneur de notre sujet du bac, assisterons-nous plutôt à des phénomènes de solubilité, de synthèse, d’hybridation ou de symbiose entre les différents champs ? Nul ne peut le dire aujourd’hui. Probablement un peu des quatre. Nous ne pouvons que scruter l’horizon et nos pieds pour percevoir les moindres signaux, les moindres traces de ce changement en marche. L’histoire finira par trancher. Ce seront les contextes, les situations, les opportunités et les aubaines qui choisiront.

Un grand merci à Yann Vandeputte d’avoir partagé avec nous ses réflexions. Si cette longue introduction vous fait réagir, n’hésitez pas à partager vos réflexions en commentaires. On en remet une couche (de réflexion) dès la semaine prochaine…