Accord Microsoft-Éducation nationale : le Libre offre déjà des alternatives.
C’est depuis les années 1970-1971 que le gouvernement français élabore et met en œuvre des plans informatiques (« numériques » dit-on aujourd’hui) pour l’Éducation Nationale. L’année la plus marquante, qui a fini par introduire vraiment des ordinateurs entre les murs de nos écoles, ce fut 1985 avec le lancement du plan Informatique Pour Tous (IPT) par L. Fabius.
La firme Microsoft a petit à petit avancé ses pions au cœur de l’Éducation nationale et, depuis lors, nous assistons à des accords réguliers entre le ministère et Microsoft, chiffrant l’usage de ses produits à plusieurs millions d’euros à chaque fois… avec un succès pour le moins mitigé. À tel point que les citoyens se sont récemment mobilisés autour de cette question en plébiscitant l’usage de logiciels libres dans les services publics lors de la consultation numérique initiée par la ministre Axelle Lemaire.
Et pourtant, comme un pied de nez à cette consultation, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem a signé pas plus tard qu’hier un énième accord avec Microsoft. 13 millions d’euros pour s’assurer que les collégiens et collégiennes utilisent quotidiennement des logiciels et comptes Microsoft (quitte à fournir les tablettes). Cet argent servira donc à épier le comportement des élèves (pour leur fournir un « service personnalisé ») ainsi qu’à la formation de leurs enseignant-e-s à ces logiciels privateurs.
En somme, un pas supplémentaire est donc effectué par Microsoft dans le monopole de l’informatique à l’école, jusqu’à saturer les élèves et les enseignants de solutions exclusives, centralisant et analysant les données des élèves selon des algorithmes dont le ministère n’a pas réclamé les clés (pas d’engagement à l’interopérabilité, ni à l’ouverture du code source).
Or, les enseignants ne manquent pas pour expérimenter et mettre en œuvre des solutions basées sur des logiciels libres. Des solutions plus ouvertes, plus malléables, et plus efficaces pour atteindre les objectifs d’un réel apprentissage de l’informatique par les élèves et une appropriation des outils dans leurs diversités et leurs logiques. Par exemple, les tablettes Tabulédu sont une solution pensée pour les classes de primaire dans le respect des données et des libertés des élèves.
Pour le collège, c’est en Espagne qu’on peut trouver de l’inspiration. En Mai 2014, le Framablog publiait Fin du support XP, un collège espagnol migre vers Ubuntu. Ce samedi 24 novembre 2015, Fernando Lanero, l’enseignant à l’origine de cette migration était invité à l’Ubuntu party parisienne pour y donner une conférence, interprétée dans sa version Francophone par Framasoft en la personne de Genma.
Dans son discours, Fernando nous montre que la migration n’est pas une question technique (une personne ayant les compétences et le temps peut le faire), mais bel et bien un enjeu d’éducation. Quel modèle d’éducation voulons-nous pour les enfants? Quelles valeurs souhaitons nous leurs transmettre? Les valeurs du logiciel propriétaire et privateur, pour lequel copier c’est voler, comprendre c’est tricher ? Ou bien celles du logiciel libre, celle du partage et de l’appropriation des connaissances ?
Le texte ci-dessous est une synthèse de son discours, reprenant les principales idées.
Ubuntu pour libérer les écoles – Linux pour l’éducation
Utiliser Ubuntu au sein d’une école augmente grandement les ressources éducatives et emmène les élèves au sein d’une nouvelle dimension éducative.
Pourquoi choisir le logiciel libre ?
Le logiciel libre, c’est non seulement une question technique ; mais il s’agit avant tout d’une question d’éthique, sociale, et politique. Ces aspects-là sont beaucoup plus importants que l’aspect technique.
Pour des raisons techniques :
- auditable : toute personne qui en a les connaissances peut lire le code source du logiciel libre;
- résistant aux malwares : en optant pour Linux, les virus informatiques, la dégradation du système et de nombreux problèmes techniques divers ont disparu instantanément;
- sain et sécurisé : parfait pour un usage par des enfants;
- il permet de réutiliser du matériel. Ubuntu est en général bien plus performant que Windows sur du vieux matériel, nous n’avons pas de nécessité à être constamment en train d’acheter du nouveau matériel;
- un grand support via sa communauté.
Ce changement permet également à l’école économiser de l’argent. Ne pas avoir à acheter des licences pour les systèmes d’exploitation propriétaires, les suites bureautiques et des outils anti-virus a déjà permis à l’école d’économiser environ 35 000 euros dans l’année 2014-2015.
« Évidemment, il est beaucoup plus intéressant d’investir cet argent dans l’éducation. »
Pour des raisons non-techniques :
- augmentation de la dimension éducative de l’Informatique;
- la liberté du logiciel joue un rôle fondamental dans l’éducation ; le logiciel libre diffuse la connaissance humaine;
- le logiciel libre soutient l’éducation, le logiciel propriétaire au contraire l’interdit;
- il y a transmission d’un esprit de collaboration et de coopération;
- le code source et les méthodes du logiciel libre font partie de la connaissance humaine. Au contraire, le logiciel propriétaire est secret, la connaissance restreinte, ce qui est à l’opposé de la mission des établissements d’enseignement;
- pour plus de cohérence avec les valeurs de l’école. Le choix du logiciel libre est non seulement une question technique ; il est également une question d’éthique, sociale et politique.
« La liberté et la coopération sont des valeurs essentielles du logiciel libre. Le système GNU implémente la valeur du partage ; le partage étant bon et bénéfique au progrès humain. »
Avec quoi ?
- les logiciels libres permettent de comprendre notre environnement technique quotidien;
- les logiciels libres sont une forme d’éducation en eux-mêmes, d’une certaine façon;
- Ubuntu offre une large gamme de logiciels éducatifs et de matériels certifiés;
- Ubuntu fournit un accès sécurisé et accessible aux étudiants, enseignants et administrateurs scolaires.
Quand changer ?
Maintenant.
- Windows XP est un système propriétaire et obsolète;
- la majorité des problèmes rencontrés avant la migration étaient liées à la transmission des virus via les clefs USB utilisées pour les documents.
« Pourquoi amener Ubuntu à l’école? Parce que les enfants sont l’avenir d’une société. S’ils savent ce qu’est Ubuntu, ils seront plus « ouverts » et plus « libres » quand ils deviendront adultes. »
Pour qui ?
- pour les élèves les enfants sont naturellement curieux, ils ne sont pas du tout réticents au changement car ils cherchent la nouveauté et le changement;
- pour les enseignants et professeurs
« Quand un professeur enseigne avec une application propriétaire, il est face à un véritable choix. Il oblige les élèves à acheter des logiciels ou à les copier illégalement. Avec les logiciels libres, les professeurs ont le contrôle de la situation et ils peuvent alors se concentrer sur l’éducation. »
Comment migrer ?
- impliquer au sein du projet les personnes qui croient dans ce modèle d’éducation globale;
- solliciter la communauté du logiciel libre;
- utiliser toutes les ressources disponibles.
Quelles étapes ?
- prendre une grande inspiration : une migration ce n’est pas facile et vous trouverez face à beaucoup plus de problèmes que vous n’imaginiez au début ;
- évaluer les besoins, les coûts, les économies ;
- commencer les migrations doucement, très doucement. Commencer en remplaçant programmes propriétaires sur Windows par du logiciel libre. Le changement pour Ubuntu se fera de façon naturelle ;
- former les enseignants à l’utilisation d’Ubuntu et des nouvelles applications ;
- faire de la pub (beaucoup) Vous devez expliquer ce que vous faites et pourquoi c’est une bonne chose.
Construire ?
Choisir la bonne option pour les besoins de votre école n’est pas facile, mais la mettre en œuvre est encore plus difficile :
- évaluer les machines que vous allez migrer et la prise en charge du matériel ;
- choisir la bonne version d’Ubuntu (envisager par exemple l’usage de la version dédiée à l’éducation, Edubuntu) ;
- utiliser la même interface graphique sur chaque ordinateur ; l’interface utilisateur doit être homogène ;
- il faut adapter la distribution aux besoins scolaires et toujours garder à l’esprit les besoins de l’école. Le plus important est l’expérience de l’utilisateur final ;
- il faut toujours garder en tête que les utilisateurs finaux, ce sont les élèves. Ce qui compte vraiment, c’est leur éducation. Les changements doivent donc se concentrer sur eux. Le passage au logiciel libre doit permettre d’améliorer leur éducation.
Rappelez-vous, nous ne nous battons pas contre Microsoft. Nous nous battons contre une mauvaise expérience éducative. Notre mission est de diffuser la connaissance humaine et de préparer les élèves à être de bons membres de leur communauté.
Résultats de cette migration
Ce sont :
- plus de 120 ordinateurs migrés durant 2014-2015;
- plus de 1 200 étudiants ayant un contact avec Ubuntu par an;
- autour de 35 000€ qui ont pu être investis dans l’éducation, et non plus dans des licences Microsoft ;
- des ordinateurs plus fiables et donc cela laisse plus de temps pour faire de l’éducatif.
« L’open source est une puissante alternative aux logiciels propriétaires. La preuve en est que de nombreuses municipalités, de gouvernements et d’entreprises sont en train d’adopter les solutions open source. Il est donc temps que les écoles et les universités fassent de même. »
Merci à Fernando Loreno pour son partage d’expérience,
Et à Genma pour la traduction.
Chère Éducation nationale…
Via son fil Twitter, le ministère incite le monde du Libre à proposer des solutions… en feignant d’oublier que cela fait des années que les acteurs du Libre s’échinent à se faire entendre des décideurs politiques.
Cher ministère… mais surtout chères académies, rectorats, enseignant-e-s et personnel encadrant : ces solutions existent déjà et vous êtes à l’origine de nombre d’entre elles. Nous nous permettrons simplement d’en énumérer quelques unes avec ces liens :
- lire l’intégralité de la conférence de Fernando Lanero (la présentation est ici) ;
- s’intéresser à des logiciels adaptés à l’éducation tels que Tabulédu, tablettes aux solutions Libres intégrant la suite logicielle Abulédu, ou Open Sankoré ;
- trouver une Société de Services en Logiciel Libre près de chez soi pour implémenter du Libre dans son établissement ;
- contacter un Groupement d’Utilisateur de Linux près de chez soi pour sensibiliser personnel et élèves au Libre ;
- utiliser les ressources pédagogiques Libres ;
- utiliser des manuels de mathématiques Libres ;
- rejoindre le groupe «Logiciel libre et éducation » de l’APRIL ;
- rejoindre le groupe de travail sur l’éducation de l’AFUL ;
- promouvoir la production, diffusion et réutilisation des ressources éducatives libres (UNESCO).
Cette liste est loin d’être exhaustive.
Il faut changer de paradigme
« Il faut changer de logiciel », dirait-on dans la novlangue actuelle. Au-delà de la question – importante – de l’usage des logiciels libres à l’école, et des coûts de migration, l’Éducation Nationale doit se poser la question de son rôle : former de futurs citoyens éclairés libres de leurs opinions et de leurs choix, ou de futurs travailleurs-consommateurs ? Sous-traiter à Microsoft (ou Apple, ou Google) le champ du numérique éducatif, c’est refuser aux élèves la capacité d’être acteurs du numérique de demain, en leur proposant uniquement une place de figurants.
L’enjeu central se porte aujourd’hui sur les valeurs que l’école souhaite porter : le Ministère de l’Éducation Nationale est il prêt à encourager réellement le développement des ressources libres à l’école ? En accompagnant les enseignants à publier sous licence Creative Commons, en travaillant avec les communautés pour améliorer les logiciels existants ou en créer de nouveaux, en se positionnant clairement du côté du bien commun et du partage de la connaissance, etc.
Ou préfère-t-elle laisser la place à des acteurs – spécialistes de « l’optimisation fiscale » – dont l’objectif n’est pas l’émancipation des élèves et enseignants, mais au contraire leur enfermement dans des usages et des formats leur permettant de faire perdurer une économie de la rente ?