Quand Internet croit faire de la politique

Ted Percival - CC by« 18 juin 1940 – le général de Gaulle envoit un message sur Twitter et crée une cause sur Facebook. 19 juin 1940 – déjà plus de 30 millions d’internautes ont rejoint les rangs des Français Libres sur les réseaux sociaux. Les SMS et mails de soutien affluent. Des milliers de blogs fleurissent… »

Voici un article de Cédric Biagini[1] dont le préambule accroche illico et donne envie d’en savoir plus. Il interroge profondément le sens que nous donnons, ou feignons de donner, à tout ce temps passé à nous connecter et échanger des informations. Et si nous étions en train de nous fourvoyer à croire qu’un autre monde est possible, vissés que nous sommes derrière nos écrans ?

Participer plein d’espoir et d’énergie à notre propre enfermement alors même que nous pensons nous libérer, voilà un scénario que l’Histoire a déjà connu. Internet deviendra-t-il la nouvelle caverne de Platon de notre époque numérique ?

En tant que créateur de Framasoft (qui a donc de bonnes heures de vol net derrière lui), je tenais à vous faire partager ma perplexité existentielle face à ce texte militant qui pose quelques bonnes questions.

On pensera également bien entendu à la forte mobilisation du réseau contre le projet de loi Création et Internet (opération Blackout, pétition, Réseau des Pirates, groupe Facebook, tag Twitter, etc.) dont on peut légitimement se demander si elle ne s’est pas effectivement arrêtée aux frontières du Web. D’autant que lorsque l’on tente d’en sortir (ça, ça et bientôt ça), on franchit difficilement le stade de la confidentialité, quand bien même on passe assurément un bon moment ensemble.

Au final la loi risque bien d’être votée. Et le Net, constitué de gens toujours plus informés, est, dans sa grande majorité, totalement abasourdi devant tant d’incompétences et d’irresponsabilités. Sauf que comme il est dit plus bas, ce n’est pas parce que les gens savent que les choses changent. Le décalage entre le bruit virtuel et le silence du terrain est patent.

Il y a indéniablement une aspiration et de nouvelles possibilités pour faire de la politique autrement. Mais lorsqu’il est question de contester une loi émanant de la majorité, les classiques rapports de force gardent toute leur efficacité. De mémoire de parlementaire, on n’a encore jamais vu un buzz avoir raison d’un gouvernement…

Cet article est issu du dossier « le piège Internet » du numéro d’avril de La Décroissance (2€ chez votre point de vente le plus proche). Ce journal « de combat veut faire progresser une cause encore minoritaire, et fait désormais partie du paysage médiatique national, contribuant, par son indépendance, à la vitalité du débat démocratique sur l’avenir de la planète »[2].

La Toile contre la politique ?

Cédric Biagini – avril 2009 – La Décroissance

18 juin 1940 – le général de Gaulle envoit un message sur Twitter et crée une cause sur Facebook.

19 juin 1940 – déjà plus de 30 millions d’internautes ont rejoint les rangs des “Français Libres” sur les réseaux sociaux. Les SMS et mails de soutien affluent. Des milliers de blogs fleurissent. Sur les forums, Gaullistes, FFI, FTP et Miliciens pétainistes s’écharpent..

18 juin 2009 – In Frankreich wird nur noch Deutsch gesprochen…

Les milieux contestataires ont imposé l’idée que pianoter derrière un écran pour diffuser sur Internet était une pratique subversive. Les mouvements conservateurs tendant à reconquérir ce terrain, il est temps de mettre à bas ce mythe de la communication. Et de savoir construire (aussi) des rapports de force sociaux ou politiques dans le monde réel. Saurons nous encore le faire ?

Cette promesse d’un monde meilleur a été portée par les pionniers d’Internet. L’émergence du mouvement alter mondialiste est concomitante de l’éclosion de ces nouveaux médias, la lutte se mène désormais à l’échelle planétaire et prend le réseau comme modèle.

Mais cette illusion d’avoir dépassé le capitalisme vermoulu, ancré dans le réel, pesant, hiérarchisé, bref, associé à l’ancien monde du XXème siècle, n’a duré que quelques années, le temps que celui-ci se redéploie dans l’univers virtuel et en tire des bénéfices immenses, en terme financiers bien sûr, mais surtout idéologiques. Le basculement numérique lui offre, au contraire un nouveau territoire à conquérir et lui permet de se moderniser en se parant de valeurs issues de la tradition émancipatrice et de mots comme révolution, liberté, gratuité, horizontalité, participation, nomadisme, échange, etc…

Bien que toutes les forces sociales dominantes, de l’État aux multinationales, en passant par les industries culturelles, participent au déferlement technologique et tentent de mettre l’ensemble de l’humanité devant tel ou tel écran, les mouvements contestataires, passé l’euphorie des débuts, sont anesthésiés, incapables de formuler un discours un tant soit peu critique. Seules quelques technologies comme les puces RFID et celles associées aux contrôles policiers éveillent leur méfiance.

Pourtant la question numérique est éminemment politique. Nos rapports au temps, à l’espace, aux autres et à nos environnements s’en trouvent profondément modifiés. L’essence même de la technologie est en train de transformer le monde. Son emprise croissante sur nos vies ne fait que renforcer le libéralisme : marché autorégulé, disparition des intermédiaires, accélération des échanges, déterritorialisation, individualisation, destruction des modes de vie traditionnels, culte de la performance et de la nouveauté. Que les béni-oui-oui du progrès applaudissent à toutes les innovations, persuadés que chaque problème trouvera sa solution technique, paraît logique. Plus étonnante est la permanence du discours sur la neutralité de la technique – tout dépend de ce qu’on fait… – ou sur l’illusion de pouvoir la maîtriser – c’est bien pratique et efficace…

L’obsession de l’information. Peu à peu, une frénésie informationnelle s’est emparée de la société, le monde de la contestation ayant parfaitement intégré que tout n’était qu’information et que si les gens savaient, tout changerait !…. Puisque les grands médias sont responsables de tous les maux, leur critique devient obsessionnelle et rétablir la vérité devient le cœur des nouvelles pratiques militantes. Se multiplient alors forums, listes, sites, blogs, etc…

Le temps n’étant pas extensible, les moments de rencontre se raréfient et plus personne ne devient disponible pour organiser de vraies réunions ou penser des mobilisations ou des alternatives collectives. Cette réduction utilitariste de l’agir politique empêche de questionner le sens de nos pratiques, alors que nous devrions avoir compris, après les multiples échecs des mouvements du XXème siècle, que le chemin importe plus que le but. Faire un journal militant, par exemple, n’a pas uniquement pour objectif de diffuser des idées ; le support en lui-même crée du collectif et amorce une prise sur le réel.

Les militants passent un temps croissant vissés devant leur ordinateur à faire circuler des informations et à s’écharper sur les forums avec une violence que l’absence de liens véritables permet. Une information chasse l’autre dans un ballet sans fin qui donne le tournis… et de nouvelles raisons de s’inquiéter et de s’indigner. Plus le temps de prendre du recul pour mettre en perspective, de conceptualiser ou de débattre. Il faut se connecter aux évènements les plus récents et rester vigilants pour être sûrs de ne rien manquer ! Cette dictature de l’instant empêche de chercher des réponses philosophiques et politiques.

L‘homo communicans. Cette obsession de l’information libératrice postule qu’il suffirait d’être au courant des horreurs du monde pour les combattre. Ce peut être une condition nécessaire mais jamais suffisante, et il n’y a pas de lien direct entre information et action – si l’on entend bien sûr par « action » actes et engagement, et non un simple réflexe émotionnel ou compassionnel.

Le rapport de force politique ne se crée pas devant un écran. Car scoops et révélations n’entraînent pas mobilisations. Car ces informations et cette masse de connaissances accessibles, aussi critiques soient-elles, si elles n’entrent pas dans la « réalité de nos situations », c’est-à-dire dans un ordre constitué de croyances, de valeurs, de repères et de pratiques, ne produisent aucune puissance politique. Or la société communicationnelle nous condamne à n’être que des émetteurs-récepteurs d’informations, perpétuellement plongés dans l’univers des machines, extérieurs au monde.

Bien évidemment, il ne s’agit pas de refuser toute forme de communication, d’échanges d’informations et d’analyses. Mais plutôt, de cesser de nous bercer d’illusions que l’instantanéité et la profusion de données nous permettent de maîtriser le monde.

En évitant d’être happé par ces flux, un double processus peut s’enclencher : prendre le recul nécessaire à la réflexion, à la construction de soi et à la production de sens. Et, en même temps, nous réinscrire dans une histoire, dans un environnement social, dans la nature et dans la durée.

Notes

[1] Cédric Biagini est l’auteur de La Tyrannie technologique : Critique de la société numérique aux éditions L’échapée (dont on peut lire une critique contextuelle sur le site des Écrans).

[2] Crédit photo : Ted Percival (Creative Commons By)




Les pirates somaliens ne téléchargent pas sur Internet

Peasap - CC byQuel est le point commun entre un adolescent qui récupère puis partage sur eMule le dernier tube à la mode et un bandit somalien sans scrupule écumant la mer à la recherche de navires à aborder puis dérouter contre rançon ?

Vous avez bien entendu deviné : ce sont tous les deux des « pirates ».

Dans la mesure où l’actualité récente est venue nous rappeler qu’il existait encore de « vrais » pirates, on peut légitimement se demander si ce vocable est forcément adapté à notre adolescent[1] qui serait le premier surpris d’être comparé à de tels individus.

Faut-il enfin arrêter de parler de « piratage » ?

Is it time to stop using the word ‘piracy’?

Bobbie Johnson – 16 avril 2009 – The Guardian
(Traduction Framalang : Yonnel)

Faut-il enfin arrêter de parler de « piratage » ? C’est du moins un avis très répandu. Dans l’actualité récente, on a beaucoup parlé à la fois de la piraterie sur les mers et sur les réseaux, une coïncidence venue à point nommé pour faire ressortir les différences marquées entre ces deux phénomènes.

On souligne que les activités des rebelles de l’ère numérique, comme The Pirate Bay, ne pourraient pas être plus éloignées de la violence et de la cruauté des pirates somaliens, affairés dans une succession de batailles sanglantes au large des côtes de l’Afrique orientale.

La dernière remise en question de l’usage du mot « piratage » pour décrire la copie numérique vient de Stephen Dubner, un des auteurs du best-seller Freakonomics.

« C’était un nom bien trouvé, au moins au début. Les films, la musique, les jeux, et même les livres piratés – ah ouais, voilà, les hors-la-loi qui volent les institutions, qui créent de la richesse pour tout un chacun », analyse-t-il sur son blog. « Mais depuis ces dernières semaines, avec les attaques des vrais pirates qui ont crû en intensité, en violence et en importance géopolitique, appeler pirates les voleurs du numérique a semblé de moins en moins pertinent et de plus en plus excessif. »

Certains mettent en évidence depuis longtemps cette tension entre les différents usages de ce terme. Richard Stallman, le fondateur de la Free Software Foundation, réputé pour être tatillon sur les mots, a déjà une longue liste d’expressions qui le troublent (dont « libre/gratuit », « créateur » et « écosystème »). Il pense que l’usage du mot piraterie a toujours fait partie de la propagande des éditeurs.

« Ils insinuent que c’est équivalent, d’un point de vue éthique, à l’attaque de navires en pleine mer, à l’enlèvement et au meurtre de passagers », accuse-t-il. On peut trouver cela extrême – après tout, la plupart d’entre nous sont susceptibles d’avoir des images de corsaires, du capitaine Jack Sparrow (NdT : Pirates des Caraïbes !) ou de Long John Silver (NdT : L’Ile au Trésor, de Robert Louis Stevenson), mais même cette semaine la Business Software Alliance (NdT : la BSA) faisait avec d’autres la comparaison directe avec les événements au large de l’Afrique dans sa campagne contre les infractions au copyright.

Alors, comment en parler ? Stallman propose « copie non autorisée », « copie prohibée », voire même « partage d’information avec son prochain ». Dubner, de son côté, a gribouillé le terme « dobbery » (NdT : digital robbery, vol numérique), qui est non seulement problématique, mais possède tout ce qu’il faut pour être au moins autant sujet à controverse que son prédécesseur.

John Gruber, l’auteur du blog Daring Fireball, suggère que nous n’avons pas besoin de nouveaux mots ou de nouvelles expressions : « le mot trafic est déjà adapté » (NdT : ou contrebande), écrit Gruber. Il est peut-être lui aussi fortement connoté, mais au moins il a derrière lui une longue histoire dans le monde de la musique, qui précède le piratage des fichiers numériques, et on l’associe à autre chose.

Il n’en demeure pas moins que quel que soit le mot qui fera l’union des anti-piratages, leur combat pourrait être de longue haleine. Les pirates somaliens ont beau faire la une aujourd’hui, les événements passés, notamment en mer de Chine méridionale, qu’il s’agisse de vols, enlèvements ou meurtres, n’ont pas réussi à bouleverser le langage. Il est peut-être temps d’admettre que le bateau a déjà mis les voiles.

Notes

[1] Crédit Photo : Peasap (Creative Commons By)




Scoop : Christine Albanel publie sous licence libre un livre sur le partage !

Sebastian Bergmann - CC by-saSi seulement c’était vrai… Bien que le premier avril soit passé depuis longtemps, vous devez vous en doutez un peu : mon titre n’est qu’un fake.

Je plaide coupable donc. Mais coupable par approximation parce qu’à quelques milliers de kilomètres au nord près, j’avais bon !

En effet, je me suis juste trompé de ministère et de pays puisqu’aujourd’hui, en Norvège, Madame Heidi Grande Røys (sur la photo ci-contre[1]), ministre de l’Administration publique et de la réforme, publie un livre sous licence Creative Commons By-Sa.

Il s’intitule Delte meninger, est accompagné d’un site participatif autour du projet, et, à en croire le blog des Creative Commons, il porte sur le partage et l’aspect social des réseaux informatiques et d’Internet.

Merci à tout visiteur qui comprend un tant soit peu le norvégien de nous en dire plus dans les commentaires. Parce qu’avec l’outil de traduction Google appliquée à cette page du site, on se retrouve avec des morceaux intéressants (le procès du The Pirate Bay, évocation des logiciels et de la culture libre…) pour un titre aux accents étranges : « La paix, la liberté, et tout est gratuit ! ».

En attendant, et quand bien même nous n’en connaissons pas encore le contenu dans le détail, on ne peut que saluer l’initiative. Nous y viendrons nous aussi en France, même si visiblement il faudra s’armer d’un peu de patience…

Notes

[1] Crédit photo : Sebastian Bergmann (Creative Commons By-Sa)




Le YouTube Symphony Orchestra : c’est pas de l’Hadopi, c’est de la musique !

Vincent Boiteau - CC byArrêtons-nous le temps d’une journée de se montrer critique vis-à-vis du YouTube et sa maison-mère Google, pour évoquer, voire célébrer, l’initiative unique au monde que constitue le projet musical du YouTube Symphony Orchestra.

De quoi s’agit-il exactement ?

Il serait carrément abusif d’affirmer que le YouTube Symphony Orchestra est à la musique classique, ce que Linux est à l’informatique, mais il y a un peu de cela dans la mesure où nous avons affaire à un projet collaboratif d’envergure qui n’aurait pu être imaginé avant l’avènement d’Internet.

Petite présentation : « Nous avons contacté des musiciens professionnels, amateurs, de tous âges et tous lieux pour participer au YouTube Symphony Orchestra[1]. Pour auditionner, ils ont envoyé une vidéo dans laquelle ils interprétaient une composition musicale créée spécialement par le célèbre compositeur Tan Dun. Les finalistes sont sélectionnés par un panel composé de représentants des orchestres les plus célèbres au monde et de la communauté YouTube. Les gagnants seront invités à New York en avril 2009 pour participer au sommet du YouTube Symphony Orchestra et jouer au Carnegie Hall sous la direction de Michael Tilson Thomas. »

Nous sommes aujourd’hui à la veille de ce point d’orgue puisque la fameuse représentation aura lieu ce mercredi 15 avril.

Pourquoi avoir choisi d’en parler sur le Framablog, en traduisant ci-dessous un article dédié du Time, alors que certains y voient déjà un projet gadget où l’âme de la musique classique se dissout dans le marketing ?

Parce que comme le dit l’un des protagonistes « le sens de la musique, et peut-être même de la vie, est de créer et de tisser des liens entre les gens ». Nous voici d’un coup d’un seul assez loin du projet de loi Hadopi, non ?

Comment êtes-vous arrivés à Carnegie Hall ?

How Do You Get To Carnegie Hall?

Vivien Schweitzer – 9 avril 2009 – Time
(Traduction Framalang : Balzane)

Hannah Pauline Tarley, violoniste de 17 ans, arbore queue de cheval et sourire face à l’objectif. Elle joue l’ouverture d’un extrait de la Symphonie n°4 de Brahms, dodeline dans une chambre décorée d’autocollants et de posters des Beatles et du San Francisco Symphony Youth Orchestra.

Tarley s’est filmée elle-même dans sa chambre de Cupertino, Californie, à l’aide d’un ordinateur posé en équilibre sur une pile de volumes de l’Encyclopaedia Britannica. Elle est l’une des 3 000 musiciens amateurs et professionnels, originaires de pays allant des Bermudes à l’Azerbaïdjan, qui, en décembre et janvier, ont passé une audition vidéo pour intégrer le YouTube Symphony Orchestra. Cet ensemble singulier, le seul a avoir sélectionné ses membres exclusivement par Internet, fera sa première apparition le 15 avril au Carnegie Hall de New York lors d’un concert dirigé par Michael Tilson Thomas, directeur musical de l’Orchestre symphonique de San Francisco.

Le projet constitue une idée originale de Google. Il ambitionne à la fois d’encourager les communautés en ligne de la musique classique et d’asseoir la réputation de YouTube comme hébergeur de contenus de qualité. Après avoir imaginé le projet fin 2007, Google a contacté des musiciens et des ensembles de premier plan, comme l’Orchestre symphonique de Londres et Tilson Thomas, un pionnier des nouveaux médias dans son travail avec l’Orchestre de San Franscisco et du Nouveau Monde.

« La musique classique est souvent perçue comme un domaine conservateur et parfois même un peu élitiste, » déclare Ed Sanders, directeur marketing chez YouTube. Mais, à l’écouter, la réponse des professionnels du secteur fut résolument positive. Google prend en charge l’ensemble des frais, pour un montant que Sanders ne révèlera pas, y compris les visas et les dépenses de voyage pour les musiciens, originaires de 30 pays.

Les vidéos soumises par les musiciens les montraient en train de jouer des incontournables du répertoire, mais aussi un nouveau morceau composé pour l’occasion : The Internet Symphony No. 1 – « Eroica », de Tan Dun, compositeur de la bande originale du film Tigre et dragon.

Les musiciens des orchestres symphoniques de Londres, Berlin et New-York, entre autres ensembles, ont évalué les clips et sélectionné les 200 finalistes. Les vidéos ont ensuite été diffusées dans une section dédiée de YouTube en février. Les utilisateurs de YouTube pouvaient alors voter pour leurs favoris un peu comme pour la Nouvelle Star. Selon les organisateurs, depuis le lancement de YouTube.com/Symphony en décembre 2008, le site a enregistré selon les organisateurs plus de 14 millions de visites.

Composition d’un orchestre virtuel

Tilson Thomas, qui a validé la sélection finale pour le concert du 15 avril, affirme que le projet est « une façon d’élargir notre propre conception de la musique classique », un point qu’il souligne par un programme éclectique, composé d’œuvres de Bach, Mozart, Brahms, Villa-Lobos, John Cage, Tan Dun et du DJ Mason Bates. Tilson Thomas attend du projet qu’il montre à quel point le classique est essentiel pour des personnes de différents âges, nationalités, expériences et professions. Il espère aussi que les artistes apprendront à utiliser Internet et YouTube pour mieux se mettre en valeur, à l’exemple des écrivains en herbe qui se font connaître par leurs blogs.

Eric Moe, un trompettiste de 35 ans de Spokane dans l’État de Washington, a passé avec succès la sélection. Selon lui, ils est essentiel pour un musicien d’être à l’aise avec la technologie. Moe a filmé son audition dans une église ; il a effectué plusieurs essais avec différents PC portables et webcams avant d’obtenir une vidéo qui le satisfasse. Il compare le processus d’audition de YouTube avec une rencontre en ligne : vous ne savez pas si vous allez effectivement rencontrer la personne, ni comment elle est réellement.

Les gagnants ont déjà eu la chance de faire connaissance… virtuellement ! En plus de son audition, chaque gagnant postait une vidéo de présentation. Vêtue d’un kimono, Maki Takafuji, habitante de Kyoto, joue un court solo de marimba et parle de son éducation musicale. Jim Moffat, joue du cor et travaille en Angleterre dans le marketing technologique ; il se présente sur fond de London Bridge. Nina Perlove, une flûtiste de Cincinnati dans l’Ohio, commence sa vidéo en jouant un « New York, New York » inspiré. David France, violoniste et professeur à l’école de musique des Bermudes, salue ses spectateurs depuis une plage sableuse.

Rachel Hsieh, violoncelliste de 24 ans en master au conservatoire de Peabody, a filmé son audition dans son appartement de Baltimore. Elle considère le YouTube Symphony comme un moyen de toucher une audience plus large que les seuls amateurs de musique : « Beaucoup de personnes visitent YouTube, et ils y vont pour s’amuser. C’est vraiment facile pour eux de cliquer et de voir quelque chose de nouveau ».

Des Beethovens invisibles derrière YouTube

Nos musiciens YouTube vont eux aussi voir leur horizon élargi. Ils vont jouer avec des solistes de premier plan, comme le violoniste Gil Shaham. Le violoncelliste Yo-Yo Ma et le pianiste Lang Lang feront une apparition vidéo. Les musiciens vont répéter leur programme lors d’une rencontre de la musique classique à Carnegie Hall du 12 au 15 avril. Ils ont déjà eu la chance d’étudier le répertoire lors de master-classes en ligne organisées par des professionnels. Maxine Kwok-Adams, violoniste de l’orchestre symphonique de Londres, a ainsi donné quelques précieux conseils pour le morceau de Tan Dun.

Toutes les vidéos soumises dans le cadre de ce travail, objet d’un rare engouement des participants, seront assemblées en un montage diffusé le 15 avril, en parallèle avec le concert. Et le public sera autorisé à filmer le concert à Carnegie Hall. Où retrouver ces clips ? Sur YouTube ! Dans une interview sur le site du YouTube Symphony, Tan s’enthousiasme sur les possibilités offertes par Internet. « Il y a tant de Beethovens invisibles derrière YouTube », affirme-t-il.

Moe pense que « les orchestres doivent être attractifs et gagner de nouvelles audiences ». Pour lui, l’aspect le plus fascinant de l’orchestre YouTube est sa vision de la communauté. « Le sens de la musique, et peut-être même de la vie, est de créer et de tisser des liens entre les gens », dit-il. Chacun se demande si cela va marcher musicalement, mais cela constitue sans aucun doute, comme le relève Moe, « une expérience vraiment amusante ». Et pour les artistes, il n’y a rien à perdre. « Je suis content que quelqu’un règle la facture ! », concède Moe.

Pour les autres participants, certains bénéfices vont bien au-delà de la chance de pouvoir augmenter l’audience de la musique classique. Il y a sept ans, Hannah Tarley, l’adolescente californienne, avait demandé à avoir les oreilles percées. Sa mère lui avait répondu qu’elle lui autoriserait un piercing le jour où elle jouerait au Carnegie Hall. Le chemin passait alors par d’innombrables répétitions, mais le monde est un peu différent aujourd’hui. Hannah a joué, puis envoyé sa vidéo… et la voici au Carnegie Hall.

Notes

[1] Crédit photo : Vincent Boiteau (Creative Commons By)




GroundOS : et si l’Hadopi faisait émerger le web 3.0 ?

Josef Grunig - CC by-saComme vous le savez, la loi Création et Internet a été votée en catimini par 16 gus dans un hémicycle. Je ne reviens pas sur le fait que cette loi pose de nombreux problèmes (démocratiques) et paradoxes (techniques). D’autres s’en sont déjà chargés.

Parmi les des effets de bord, il parait évident que cette loi va pousser l’internaute moyen vers des solutions de sécurisation de ses communications toujours plus poussées. On va voir se multiplier les réseaux chiffrés (bien), sans compter probablement les mails avec des groooosses pièces jointes (pas bien, mais inévitable).

Reste que tant qu’on reste sur du Minitel 2.0, on participe à un système où l’on ne contrôle pas ses propres données. Si je dépose une video sur Youtube, Youtube saura dire qui l’a déposée (adresse IP, email, date et heure précise). Et si je télécharge une vidéo depuis ce même site, non seulement Youtube, mais aussi mon fournisseur d’accès internet, et bientôt la Haute Autorité bidule[1] pourront me tomber sur le dos : « Ha, mon bon Monsieur, vous avez écouté une reprise de Petit Papa Noël par une enfant de 15 ans, ce qui lui aura couté 300 000€ d’amende. Mais vous, passez directement par la case courrier recommandé[2] avant qu’on ne vous coupe votre accès internet. Cela vous met au chômage technique ? Tant pis, fallait pas encourager la subversion et la contrefaçon. ». Bienvenue en Chine à Pionyang au Brésil.

Par contre, si j’héberge moi-même mes données, et si je les partage en les chiffrant, je reprends le contrôle de mes données.

Le problème, c’est que c’est quand même un « truc d’informaticien » de s’héberger soi-même. Si, si. Moi dont c’est le métier, quand je dis aux gens qui veulent quitter Gmail, Hotmail & co : « Prends-toi donc un hébergement à l’APINC ou chez Gandi, pour 15€ par an, tu seras tranquille ». Ce n’est pas le prix qui les arrête, mais le jargon, le nombre de pages de contrat, le fait de saisir un numéro de CB sur le web, etc.

Mais cela pourrait changer[3].

Prenez le buzz du moment : GroundOS.
Pour le dire rapidement, GroundOS est une application web qui vous permet de partager facilement votre musique, vos films, vos photos, vos documents (déposés dans groundOS ou rédigés directement dans groundOS, sur le principe de Google Docs).
En tant que tel, rien de bien nouveau, si ce n’est que ça a l’air particulièrement bien intégré (alors que pour arriver au même résultat aujourd’hui, il faut de nombreuses applications différentes). Et d’ailleurs, GroundOS n’est peut être qu’un « fake », on sera fixé le premier mai, mais peu importe.

En utilisant GroundOS (ou autre application similaire), j’héberge moi même mes données, je les partage avec qui je veux, et je les chiffre si je veux. Et je souhaite bien du courage à l’Hadopi pour savoir si ce qui transite dans mes tuyaux c’est le dernier album de Johnny, ou la vidéo de l’anniversaire de mon petit neveu.

Maintenant, il reste encore un problème : comment Tata Jeannine va-t-elle pouvoir utiliser GroundOS ? Certes, elle pourrait utiliser la version installée par son entreprise, par l’école de sa fille, ou par l’association du coin. Mais c’est remettre de la centralisation là où l’on veut décentraliser.
Elle pourrait aussi l’utiliser sous forme d’une WebApp ( de préférence made by Framasoft). Mais à l’extinction de son ordinateur, ce serait fermer le partage de données.

Reste une voie intéressante : celle des boxes internet.
Par exemple, on estime le nombre d’abonnés ADSL de Free à 3 500 000. Une grande partie d’entre eux ont une Freebox équipée d’un disque dur (qui sert notamment de magnétoscope). Imaginons que Free livre ses Freebox prééquipées d’un GroundOS (qu’on ne me dise pas qu’installer un serveur web sur des box internet est impossible). Pour le même prix, Tata Jeannine aurait : (Internet+téléphone+TV) + « son petit coin d’internet à elle ». Accessible facilement (tatajeannine.free.fr) 24h/24, 365 jours par an.

Évidemment, cela soulève des questions, notamment en terme de sécurité. Se faire hacker sa connexion internet, ce serait potentiellement donner accès à toute votre vie numérique. En terme technique, le premier geek poilu venu me rétorquera « en terme de QOS on a vu mieux », que le « MTBF des HDD des boxes c’est pas top », que « Free sapusaipalibre », que « le A de ADSL limite les usages », voire qu’il fait ça (de l’autohébergement) « depuis 6 ans avec un vieux 486 sous Debian planqué sous l’évier ».

Mais quand même. Là il s’agit de Tata Jeannine ! Et juste d’activer une fonctionnalité qui lui permettrait de partager facilement ses photos, d’écouter sa musique (achetée légalement) d’où qu’elle soit, de pouvoir blogguer sans pub sans craindre le dépôt de bilan de l’hébergeur, de pouvoir regarder la fin du film qu’elle a enregistré sur sa box à Lyon depuis sa maison de campagne à Sainte-Ménehould, de pouvoir stocker tout ou partie de son courrier sur sa MachinBox internet (plutôt qu’on ne sait où sur le web). Bref, d’avoir un petit bout d’internet comme on a un petit bout de jardin, plutôt que d’aller systématiquement au parc du coin. Et tout ça depuis son Firefox préféré.

Après l’ère de la diffusion de l’information, après celle de la participation, peut être allons nous vers celle de la décentralisation ?

Ou, autrement formulé, « et si on redonnait internet aux internautes ? »

Notes

[1] C’est à dire Vivendi & co – qui nous aura plus ou moins forcé à installer leur logiciel espion puisque si je refuse d’être observé en permanence, c’est donc que je suis coupable !

[2] Ben oui, je ne lis pas les mails de mon FAI.

[3] Crédit photo : Josef Grunig (Creative Commons By-Sa)




Libre.fm deviendra-t-il le Last.fm (ou le Deezer) de la musique libre ?

Aloshbennett - CC byDeezer, Last.fm… sont des services en ligne autour de la musique très appréciés des internautes. Ils sont souvent rangés dans la catégorie « web 2.0 » dans la mesure où la richesse des sites provient avant tout du contenu généré par les utilisateurs.

Leur modèle économique est en construction mais généralement il s’agit d’offrir au départ la complète gratuité pour faire venir un maximum de monde et se rémunérer avec la publicité, sachant de plus qu’ils doivent composer avec les ayant-droits de la musique qu’ils proposent en streaming[1].

Le problème c’est qu’en situation de crise économique, la publicité rapporte moins et les ayant-droits sont plus exigeants. Du coup on a vu tout récemment Last.fm changer de politique pour annoncer que désormais il en couterait 3 € par mois aux utilisateurs hors de la zone USA, Angleterre, Allemagne (où l’audience et les négociations avec les ayant-droits garantissent, mais pour combien de temps encore, la gratuité). Il est d’ailleurs amusant de voir les français crier à l’injustice, trop habitués que nous sommes à bénéficier de tous ces services « gratuits » sur Internet. Détruire ce mythe de la gratuité permettrait assurément de faire avancer la cause du Libre…

Justement à propos de Libre. N’y a-t-il pas moyen de procéder autrement ?

On pourrait par exemple libérer le code, permettant ainsi de travailler collectivement en confiance à l’amélioration de la plate-forme tout en offrant à chacun la possibilité d’installer son « Last.fm libre » sur son propre serveur. On pourrait ne s’occuper que des artistes sous licence libre et mettant l’accent sur le format ouvert Ogg Vorbis. La question de la gratuité et des ayant-droits se poserait complètement différemment (en fait elle ne se poserait même pas). Il faudrait alors bien entendu faire le deuil de tous les artistes qui ne sont pas sous licence libre (ce qui en fait tout de même un bon paquet) mais après l’épisode Hadopi je ne serais pas étonné de voir de plus en plus de monde se rabattre presque exclusivement sur du Jamendo ou du Dogmazic.

On pourrait, on pourrait… Quittons le conditionnel parce que, cela tombe bien, c’est justement le modèle choisi par le projet Libre.fm. Encore en phase de test, il sortira très bientôt mais à lire la présentation ci-dessous il semble plus que prometteur.

Un topo rapide sur Libre.fm

A quick interview about Libre.fm

Mattl – 2 avril 2009 – Libre.fm Ideas Wiki
(Traduction Framalang : Don Rico)

Je suis en train d’écrire un article sur Libre.fm, en espérant qu’il permettra de promouvoir le projet et de diffuser la nouvelle. Je me demandais si tu pouvais me décrire rapidement les raisons qui t’ont poussé à te lancer dans ce projet et/ou quel est le but de la manœuvre ? Pas besoin d’écrire un roman, quelques lignes à insérer dans mon texte, ce serait déjà excellent. Je sais que tu dois être pas mal débordé, alors pas de souci si tu n’as pas le temps, mais je préférais demander au cas où. 🙂

Pas de problème.

L’idée de créer Libre.fm m’est venue alors que je fermais mes comptes pour des services tels que Facebook, MySpace, LinkedIn, etc. Il m’est apparu que je pouvais mettre en place une solution de remplacement libre à Last.fm – un service que beaucoup de monde utilise.

Last.fm, en fait, c’est la combinaison de deux éléments. Audioscrobbler, qui récupère vos données depuis des programmes tels que Rhythmbox ou Amarok, et Last.fm, qui propose des radio en streaming et de la musique au téléchargement.

Pour l’heure, Libre.fm espère fournir une solution de remplacement pour ceux qui souhaitent archiver leurs habitudes d’écoute, en implémentant l’API Audioscrobbler (qui semble être complètement ouverte) et des clients modifiés pour différentes plateformes.

Le but à plus long terme est en lien direct avec mes autres centres d’intérêt, tels que la Free Culture, la promotion et l’enregistrement de musique d’artistes issus de la Free Culture. Sur Libre.fm, ce seront ces artistes qu’on pourra télécharger, mais des membres de la communauté s’emploieront à convaincre d’autres groupes de distribuer des morceaux sous une licence libre, telle que la licence Creative Commons By-Sa, de sorte qu’on puisse les proposer sur le site. La promo gratuite ne peut faire de mal à aucun groupe – nous ajouterons peut-être une boutique de musique en ligne où nous vendrons des téléchargements de musique libre. Les morceaux seront au format Ogg Vorbis.

Le Ogg Vorbis, ce n’est peut-être pas ce à quoi les gens s’attendront, vu que les services similaires penchent en général pour des formats du genre MP3, mais à mes yeux il s’agit d’un moyen formidable de promouvoir l’utilisation du Ogg Vorbis. Plus tard, nous intégrerons peut-être aussi des clips vidéo au format Theora.

En plus de tout ça, beaucoup de monde semble avoir envie de développer des trucs sympas autour de Libre.fm – ça va des gars qui font dans le Web sémantique au W3C à ceux qui voudraient que soient pris en charge Laconi.ca et XMPP.

Bien sûr, le succès du projet dépendra de la motivation de chacun. J’espère en tout cas que des tas de gens vont bidouiller pour le faire avancer – je réfléchis toujours pour savoir si on doit utiliser Subversion ou un quelque chose comme Git pour le code. Pour l’heure, je pencherais plutôt pour Git, en partie parce que j’ai envie d’apprendre à m’en servir, et aussi parce que ça me paraît plus adapté pour la construction de ce genre d’outil. Mais qui sait… si ça se trouve je vais me dégonfler et revenir à SVN.

Ce projet a reçu un accueil dingue… moins d’une demi heure après que j’ai annoncé mon désir de le poursuivre, j’ai reçu des dons pour l’achat du nom de domaine, j’ai monté vite fait un site Internet, et je suis parti au cinoche. À mon retour, ma boîte mail débordait de messages de gens qui me faisaient part d’idées et me témoignaient leur soutien.

J’encourage tout le monde à nous rejoindre et à nous filer un coup de main – je veux tout essayer pour que ça fonctionne. Bradley, Mike et Evan d’autonomo.us m’ont déjà fait des suggestions et donné des pistes pour des wikis et des bug trackers. J’ai établi une feuille de route sur le wiki, que les participants peuvent aller voir, fouiller et modifier.

Comme d’habitude, les retours sont les bienvenus. Qu’on me les envoie par tous les canaux possibles : IRC, sur le canal #libre.fm sur Freenode, via identi.ca/mattl, sur le wiki ou par courriel.

Notes

[1] Crédit photo : Aloshbennett (Creative Commons By)




Doit-on vendre son âme pour télécharger de la musique ?

Littledan77 - CC byVoilà. Le projet de loi Création et Internet a été adopté hier. Mais c’est une véritable victoire à la Pyrrhus pour le gouvernement et ceux qui l’ont soutenu.

Il existait déjà une fracture numérique sociale, il y aura désormais une fracture numérique « sociétale » profonde et durable entre ceux qui ont soutenu le projet de loi et ceux qui s’y sont opposés[1].

De quel coté se trouve notre ami Cory Doctorow, dont nos vous proposons ci-dessous une nouvelle et intéressante traduction ?

Connaître par avance la réponse ne vous dispense nullement de la lecture 😉

On ne devrait pas être obligé de vendre son âme pour télécharger de la musique

You shouldn’t have to sell your soul just to download some music

Cory Doctorow – 26 février 2009 – The Guardian
(Traduction Framalang : Poupoul2, Yonnel et Don Rico)

Les activités délimitées par les accords de licence de téléchargement vont du ridicule au douteux.

Voici l’accord de licence le plus court, le plus juste et le plus simple qui puisse exister : « N’enfreignez pas le droit d’auteur ». Si cela ne tenait qu’à moi, chaque œuvre numérique proposée au téléchargement, qu’il s’agisse de musique sur iTunes ou sur la plateforme de vente de MP3 d’Amazon, de livres électroniques pour le Kindle et le Reader de Sony, ou encore de jeux pour une console, porterait cette mention – et cette mention seule – en guise d’accord de licence.

« N’enfreignez pas le droit d’auteur » est une mention qui présente de nombreux avantages, mais son meilleur atout, c’est ce qu’elle explique à l’acheteur, à savoir : « On ne va pas vous entuber ».

La guerre du copyright a parfois eu de drôles de conséquences, mais la plus loufoque, à mon sens, a été la campagne menée par l’industrie du disque afin que l’on éduque davantage la population au problème de copyright sous prétexte que les jeunes gens grandissaient sans la sensibilité morale nécessaire pour devenir des citoyens responsables.

Les mêmes entreprises qui depuis des décennies expliquaient aux législateurs qu’ils ne voulaient surtout pas être les gardiens de la morale des jeunes – et qu’on ne pouvait les juger responsables de la culture « sex, drugs & rock’n’roll », du gangsta-rap et des raves où abondait la drogue – ont opéré un virage à 180 degrés et se sont mises à dénoncer à qui mieux mieux l’influence néfaste du téléchargement sur nos chères têtes blondes.

Bon, ils n’avaient pas tout faux : le fait que les ados – et un paquet d’adultes — ne voient pas de mal à mettre à genoux les maisons de disques est certainement une mauvaise nouvelle pour les maisons de disques. Aux débuts de Napster, voici quel était le sentiment général : les maisons de disques méritaient de crever pour nous avoir imposé leurs boys-bands en boîte, pour avoir cessé de vendre des singles, saccagé le catalogue, s’être entendu sur la fixation du prix des CDs, et enfin pour les contrats notoirement scandaleux qu’ils faisaient signer aux artistes.

Puis vinrent les DRM, les procès (d’abord contre ceux qui fournissaient les outils, tel Napster, puis contre des dizaines de milliers d’amateurs de musique), puis l’utilisation de programmes malveillants pour combattre la copie, le vote de lois inéquitables, la destruction des radios Internet. Petit à petit, les maisons de disque ont rendu légitimes les attaques à leur encontre (les studios de cinéma, les diffuseurs, les éditeurs de livres électroniques et les entreprises de jeux vidéo n’étaient pas en reste). À mesure qu’ils luttaient pour la défense du copyright, démolir l’industrie du divertissement devenait de plus en plus tentant.

Dix ans plus tard, l’industrie du disque a finalement repris la production de singles, et il semblerait qu’on soit revenu à un semblant de concurrence pour les prix (les contrats imposés aux artistes et l’existence de boys-bands figurent toujours dans la colonne des points négatifs, bien sûr). Ils se sont même débarrassés des DRM pour la majorité des ventes de musique, et le catalogue est bien plus fourni qu’à l’époque on l’on achetait sa musique dans un magasin de disques.

Et voilà ce qu’on nous serine, à présent : « Vous avez eu ce que vous vouliez, vous nous avez mis à genoux. Arrêtez donc de nous dépouiller et recommencez à acheter de la musique… c’est un marché équitable ». Mais il suffit d’étudier leur discours de plus près pour se rendre compte de ce qu’il cache : encore un appât pour nous attirer dans un autre piège.

Le piège, c’est cette saleté d’accord utilisateur. Dans les quelques magasins de disques qui restent, il n’y aucun employé posté à côté de la caisse pour déclamer « En achetant ce support musical, vous acceptez les termes et conditions suivantes », avant de déballer une liste interminable de droits auxquels vous renoncez pour avoir eu la témérité de payer la musique que vous écoutez au lieu de la télécharger.

Si leur laïus pour le téléchargement évoque « un accord équitable », alors cet accord doit l’être vraiment. Les activités circonscrites par ces accords de licence vont du ridicule au douteux, alors que toute personne sensée pourrait à mon sens estimer qu’il n’est pas équitable de vendre ou de louer sa collection de musique numérique.

Mais il n’appartient pas à l’industrie du divertissement de me dire ce que sont ou pas des conditions de vente équitables pour mes téléchargements. Si prêter un MP3 devait être illégal, qu’ils fassent voter une loi en ce sens (apparemment, ils sont très doués pour cela – le fait qu’ils n’y soient pas encore parvenu en dit long sur l’aspect aberrant de la proposition). L’accord de licence inéquitable et arbitraire tapi derrière la mention « Cochez cette case pour indiquer que vous avez lu et accepté nos termes de service » représente une vision du processus d’achat d’industriels qui prennent leurs désirs pour des réalités (voire qui se bercent d’illusions).

Si l’on veut nous rebattre les oreilles qu’il s’agit « d’un accord équitable », alors le CLUF devrait être le suivant : « Vous êtes autorisé à faire ce que bon vous semble de ce produit, à la seule condition de ne pas enfreindre la loi ».

Non pas « Toi qui achètes ici, abandonne tout espoir » (NdT : Référence à la Divine comédie de Dante).

Notes

[1] Crédit photo : Littledan77 (Creative Commons By)




Évidemment Madame Albanel !

La loi Création et Internet bat son plein à l’Assemblée. Elle pose tant et tant de problèmes qu’on comprendra que celle qui porte le projet ait ponctuellement quelques moments de fatigue (que l’on peut mesurer au nombre de « évidemment » prononcé).

À la question du député Christian Paul : « Les dispositifs de sécurisation des ordinateurs sont à l’opposée des dispositifs que peut tolérer et accepter le logiciel libre. Ou bien vous considérez que le logiciel libre ça n’a pas d’importance, que vous décrétez l’indifférence nationale contre le logiciel libre, ou bien vous nous dites comment c’est compatible ».

Voici ce qu’elle a répondu :

—> La vidéo au format webm

Transcription :

« Sur les logiciels… sur l’affaire des logiciels libres, évidemment les logiciels libres, quand on achète, évidemment des logiciels, par exemple le pack Microsoft (ça c’est pas du logiciel libre) : Word, Excel, Powerpoint, il y a évidemment des pare-feux, je viens de le dire, il y a des logiciels de sécurisation. Mais sur les logiciels libres vous pouvez également avoir des pare-feux, qui d’ailleurs, mais évidemment. Par exemple, nous au ministère, nous avons un logiciel libre, qui s’appelle Open Office et il y a effectivement un logiciel de sécurisation qui empêche en effet le ministère à la Culture d’avoir accès, bien sûr, et les éditeurs de logiciels libres fournissent des pare-feux, et fournissent même des pare-feux gratuits. Donc cet argument est sans fondement. Voilà ce que je voulais dire. »

Ravi d’entendre le logiciel libre et OpenOffice.org cités à l’Assemblée, mais y aurait-il une bonne âme dans la salle pour nous décrypter ce qu’elle a bien voulu dire ?