L’Éclaternet ou la fin de l’Internet tel que nous le connaissons ?

Raúl A. - CC byUne fois n’est pas coutume, nous vous proposons aujourd’hui une traduction qui non seulement ne parle pas de logiciel libre mais qui en plus provient de CNN, et même pire que cela, de sa section Money !

Et pourtant il nous semble pointer du doigt une possible évolution d’Internet, celle de son éclatement sous la pression des smartphones et autres objets connectés tels ces nouvelles liseuses et tablettes dont on vante tant les futurs mérites.

Une évolution possible mais pas forcément souhaitable car c’est alors toute la neutralité du Net qui vacille puisque les trois couches qui définissent le réseau d’après Lessig se trouvent ensemble impactées.

l’iPad ou le Kindle en sont des exemples emblématiques car ce sont des ordinateurs (la couche « physique ») dont Apple et Amazon contrôlent à priori les protocoles et les applications (la couche « logique ») et peuvent filtrer à leur guise les fichiers (la couche des « contenus »).

L’article s’achève sur une note optimiste quant au HTML5 et au souci d’interopérabilité. Encore faudrait-il avoir affaire à des utilisateurs suffisamment sensibilisés sur ces questions[1].

Hier encore on nous demandait : T’es sous quel OS, Windows, Mac ou Linux ? Aujourd’hui ou tout du moins demain cela pourrait être : T’es sous quel navigateur, Firefox, Internet Explorer ou Chrome ?

Et après-demain on se retrouvera à la terrasse des cafés wi-fi, on regardera autour de nous et on constatera, peut-être un peu tard, qu’à chaque objet différent (netbook, smartphone, iPad, Kindle et leurs clones…) correspond un Internet différent !

La fin de l’Internet tel que nous le connaissons, grâce à l’iPad et aux autres

End of the Web as we know it, thanks to iPad and others

Julianne Pepitone – 3 février 2010 – CNNMoney.com
(Traduction Framalang : Martin et Goofy)

Pendant plusieurs années, l’Internet a été relativement simple : tout le monde surfait sur le même réseau.

Plus on s’avance vers 2010, plus l’idée d’un même Internet « taille unique » pour tous devient un souvenir lointain, à cause de l’arrivée de l’iPhone, du Kindle, du BlackBerry, d’Android, et bien sûr du fameux iPad.

La multiplication des gadgets mobiles allant sur Internet s’accompagne à chaque fois d’un contenu spécifique pour chaque appareil. Par exemple, l’application populaire pour mobile Tweetie permettant de se connecter à Twitter n’est disponible que pour l’iPhone, alors que l’application officielle pour Gmail ne l’est que pour Android. Et si vous achetez un e-book pour le Kindle d’Amazon, vous ne pourrez pas forcément le lire sur d’autres lecteurs électroniques.

En même temps de plus en plus de contenus en ligne sont protégés par un mot de passe, comme la plupart des comptes sur Facebok et certains articles de journaux.

C’est un Internet emmêlé qui est en train de se tisser. Simplement, le Web que nous connaissions est en train d’éclater en une multitude de fragments. C’est la fin de l’âge d’or, selon l’analyste de Forrester Research Josh Bernoff, qui a récemment formulé le terme de « éclaternet » pour décrire ce phénomène (NdT : the splinternet).

« Cela me rappelle au tout début d’Internet la bataille de fournisseurs d’accès entre AOL et CompuServe » dit Don More, du fond de capital risque Updata, une banque d’investissement conseillère dans les technologies émergentes de l’information. « Il y aura des gagnants et des perdants ».

Dans ces premiers temps du Web, les utilisateurs accédaient aux contenus en utilisant des systèmes spécifiques ; ainsi les abonnés de chez AOL ne pouvaient voir que les contenus AOL. Puis le World Wide Web est devenu une plateforme ouverte. Maintenant les appareils nomades sont à noueau en train de morceler le Web.

D’après Bernoff, « Vous ne pouvez plus recoller les morceaux, la stabilité qui a aidé le Web à prendre forme s’en est allée, et elle ne reviendra plus ».

Des angles morts

Quand les utilisateurs d’appareils mobiles choisissent d’acheter un iPhone, un Motorola avec Android, un BlackBerry ou d’autres, ils sont effectivement en train d’opter pour certains types de contenus ou au contraire d’en abandonner d’autres, puisque toutes les applications ne sont pas disponibles sur tous ces gadgets.

D’après Don More de Updata, ce phénomène est en train de mettre le contenu dans des « communautés fermés ». Les fabricants de ces appareils peuvent (et ils le font) prendre et choisir quelles applications fonctionneront avec leur machine, en rejetant celles qui pourraient être en concurrence avec leurs propre produits, ou bien celles qu’ils estiment n’être pas à la hauteur.

Par exemple, Apple a rejeté l’application Google Voice sur l’iPhone, qui aurait permis aux utilisateurs d’envoyer gratuitement des messages et d’appeler à l’étranger à faible coût.

Et les limitations ne s’arrêtent pas seulement aux applications. Une affaire d’actualité : Le nouvel iPad ne prend pas en charge le lecteur Flash d’Adobe, ce qui empêchera les utilisateurs d’accéder à de nombreux sites.

Bernoff ajoute : « bien que (cette tendance) ne soit pas nécessairement mauvaise pour les consommateurs, ils devraient prendre conscience qu’ils sont en train de faire un choix. Quoi qu’ils choisissent, certains contenus ne leur seront pas disponibles ».

Des choix difficiles

Les entreprises qui créent les applications sont maintenant confrontées à des choix difficiles. Quels appareils choisiront-elles de prendre en charge ? Combien d’argent et de temps devront-elles prendre pour que leurs contenus fonctionnent sur ces gadgets ?

Quel que soit le choix des développeurs, il leur manquera toujours une partie des consommateurs qu’ils pouvaient auparavant toucher lorsque le Web était un seul morceau.

Sam Yagan, co-fondateur du site de rencontres OKCupid.com, ajoute : « quand nous avons commencé notre projet, jamais nous avons pensé que nous aurions à faire face à un tel problème. Réécrire un programme pour un téléphone différent c’est une perte de temps, d’argent, et c’est un vrai casse-tête ».

D’après Yagan, OkCupid emploie 14 personnes, et son application pour l’iPhone a nécessité 6 mois de travail pour être développée. L’entreprise envisage de créer une application pour Android, ce qui prendra environ 2 mois.

« C’est un énorme problème de répartition des ressources, surtout pour les petites entreprises », explique Yagan, « Nous n’avons tout simplement pas assez de ressources pour mettre 5 personnes sur chaque appareil qui sort ».

Chris Fagan, co-fondateur de Froogloid, une société qui propose un comparateur pour le commerce électronique, dit que son entreprise a choisi de se spécialiser sur Android, car il marche avec plusieurs téléphones comme le Droid, Eris, ou G1.

Selon Fagan « les consommateurs sont en train de perdre des choix possibles, et les entreprises sont en train de souffrir de ces coûts supplémentaires ». Mais il ajoute que la popularité en plein essor des applications signifie que les entreprises continueront à en concevoir malgré leur coût.

Et après ?

Comme un Internet plus fragmenté devient chose courante, Bernoff de Forrester pense qu’il y aura un contrecoup : une avancée pour rendre le contenu sur mobile plus uniforme et interopérable.

La solution pourrait bien être la nouvelle version du langage Web qui arrive à point nommé, le HTML5, qui d’après Bernoff pourrait devenir un standard sur les appareils nomades dans quelques années. Par exemple, le HTML5 permet de faire fonctionner des animations sur les sites Web sans utiliser le Flash.

Mais l’arrivée de n’importe quelle nouvelle technologie déclenchera une lutte pour la contrôler. Don More de Updata s’attend à voir « une bataille sans merci entre les entreprises (pas seulement Apple et Google, mais aussi Comcast, Disney et tous ceux qui s’occupent des contenus). Que ce soit les applications, les publicités, les appareils… tout le monde est en train d’essayer de contrôler ces technologies émergentes ».

Évidemment, personne ne peut prévoir le futur du Web. Mais Bernoff est au moins sûr d’une chose.

« Nous ne connaissons pas ce que seront les tous nouveaux appareils en 2011. Mais ce qui est certain, c’est que l’Internet ne fonctionnera plus comme on l’a connu. »

Notes

[1] Crédit photo : Raúl A. (Creative Commons By)




Au secours, l’Hadopi arrive en Belgique !

Yumyumbubblegum - CC byOn peut être éventuellement fiers d’exporter nos parfums et nos vins, mais certainement pas notre Hadopi !

C’est pourtant la menace qui plane en Belgique. Ce court extrait vidéo d’un récent débat télévisé de la RTBF vous rappellera en effet illico bien des souvenirs.

Pour en savoir plus nous avons recontré un membre d’une association locale qui souhaite sensibiliser et mobiliser le grand public pour éviter la contagion française.

PS : Désolé pour le choix de la photo clichée de la Belgique[1], mais ça symbolise les quatre majors du disque pissant dans les violons des artistes 😉

Entretien avec André Loconte du collectif NURPA

Bonjour, pouvez-vous vous présenter succinctement ?

André Loconte, belge, étudiant ingénieur, politiquement orienté vers le logiciel libre, développeur et fervent défenseur de l’accessibilité du Web et de la neutralité du Net. Mes connaissances techniques liées à l’informatique sont issues principalement (pour ne pas dire « exclusivement ») du Net.

Je suis l’un des trois co-fondateurs de NURPA (avec Laurent Peuch et Frédéric Van Der Essen).

Qu’est ce que NURPA ? (et pourquoi un acronyme anglophone dans un pays qui a déjà trois autres langues officielles ?)

Nous sommes un collectif hétéroclite constitué initialement d’étudiants (sciences informatiques, ingénieurs, ..) bercés dans la culture du libre mais qui s’est très vite complété de citoyens de tous horizons professionnels, concernés par les problèmes que l’application de lois telles que celle proposée par le sénateur Philippe Monfils (Proposition de loi visant à promouvoir la création culturelle sur Internet) serait susceptible d’engendrer. Deux des co-fondateurs ont contribué (et contribuent toujours) chacun à leur manière aux débats qui font rage en France.

La Net Users’ Rights Protecion Association (trad. Association de protection des droits des internautes) est la réponse collective de citoyens amoureux du Net et de leurs libertés, décidés à ne brader ni l’un ni l’autre au prétexte qu’un gouvernement flexible au poids des industries du divertissement tente d’imposer subrepticement une surveillance généralisée du Net. Si l’on écarte une hypothétique pression des lobbys, il est évident que nos politiques ont un retard considérable dans l’appréhension d’Internet et dans la compréhension de sa complexité. C’est donc avant tout dans une démarche pédagogique forte que s’inscrit NURPA : (in)former pour éviter de voir se reproduire en Belgique les erreurs qui ont conduit à la promulgation d’HADOPI en France (et qui ont poussé les députés à aller plus loin dans l’absurde avec HADOPI2, LOPPSI…).

En observateurs avisés des déboires français et du contexte européen, nous craignons que cet HADOPI à la belge ne soit qu’un cheval de Troie, le calme avant la tempête. L’ombre d’ACTA plane. Nous ne nous positionnons pas comme collectif uniquement contre l’HADOPI de Monfils, nous sommes évidemment contre cette loi, mais le débat ne s’arrête pas là.

Dans un pays qui possède trois langues officielles (l’allemand, le néerlandais et le français), l’utilisation de l’anglais pour la formation du nom, in fine de l’acronyme, a été pour nous une manière de passer outre cette indéniable barrière linguistique. Il nous a semblé que l’anglais était le meilleur choix pour garantir que notre but soit compris de tous.

Voici donc que la Belgique nous propose par l’entremise du sénateur Philippe Monfils son « Hadopi locale » baptisée tendancieusement « Proposition de loi visant à promouvoir la création culturelle sur Internet ». Pouvez-vous nous en dire plus ? Quelles sont les similarités et différences par rapport à la loi française ?

Le sénateur Monfils, qui a déclaré « la culture gratuite, ça n’existe pas » (lors de l’émission InterMedia de la RTBF du 25 janvier 2010), explique que des systèmes de juste rémunération des artistes et de contrôle du Net ont fait leur preuve ailleurs et cite sans scrupule, .. HADOPI en France (page 5, paragraphe 5 de sa proposition de loi). Signe évident selon nous d’une part, de sa méconnaissance du contexte qui a entouré la promulgation du texte de loi non seulement dans l’hexagone mais également au niveau européen; d’autre part, de la nature inapplicable de la loi française.

Le texte belge est une version édulcorée de l’HADOPI français, on y retrouve d’ailleurs les erreurs de jeunesse d’HADOPI :

  • Pas de Haute Autorité de Contrôle mais des agents commissionnés par le ministère de l’économie : des agents qui ont un pouvoir d’investigation a priori illimité (car non-défini dans la proposition de loi), qui constatent les infractions et qui décident des sanctions.
  • Pas de mouchard mais une collaboration des FAI : les FAI (Fournisseurs d’Accès à Internet) auront l’obligation juridique de fournir toutes les informations nécessaires pour l’association d’une personne physique à une adresse IP. Actuellement, obtenir ce type d’information nécessite l’ordonnance d’un juge, ce qui garantit le respect de la vie privée et limite les dérapages.

    Une différence importante par rapport au dispositif français qui pénalise le titulaire de la ligne en cas de défaut de sécurisation, le texte belge ne prévoit de peine que pour le titulaire qui télécharge illégalement du contenu soumis au droits d’auteur ou droits voisins sur sa propre ligne. On imagine aisément l’immense difficulté de prouver qu’il s’agit effectivement du titulaire qui s’est rendu coupable de téléchargements illégaux sur sa propre ligne.

  • Double peine : le paiement de l’abonnement à Internet dans sa totalité est d’application même si celui-ci a été suspendu pour raison de téléchargement illégal.
  • Théoriquement pas de coupure de la ligne mais un bridage du débit : « en théorie » car bien que cela semble être l’argument clé de Philippe Monfils, sa proposition de loi ne manque pas de préciser que la coupure serait tout à fait envisageable en cas de multiple récidive. Bridage du débit, c’est à dire : diminuer la vitesse de transfert de telle sorte que l’internaute puisse continuer à chercher du travail et à consulter ses mails (sic).

    On conçoit un peu mieux la qualité de ce texte quand on sait qu’un débit suffisant à la consultation de mail et à la recherche d’emploi est également suffisant au téléchargement de la plupart des fichiers (moins rapidement certes). Ne parlons même pas des mises à jour de sécurité qui vont devenir pénible à obtenir et toutes les conséquences fâcheuses que cela risquerait d’entraîner.

    Lors d’une coupure (en cas de récidive après le bridage), quid du téléchargement légal ? L’internaute qui verrait sa ligne coupée serait en effet dans l’incapacité d’acheter du contenu légalement en ligne. A cela s’ajoute la décision du 10 juin 2009 du Conseil Constitutionnel français qui présente Internet comme une composante de la liberté d’expression et de consommation nécessaire à l’exercice la liberté d’expression et de consommation tel que décrit dans l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme de 1789.

  • Enfin, le texte qui trouve sa justification dans la juste rémunération des artistes, ne contient pas une ligne à leur propos.

L’Hadopi est certes passée en France mais modifiée par rapport au texte initial (et non encore appliquée). Et puis « nous » avons coutume de dire que c’est une victoire à la Pyrrhus car « nous » avons gagné au passage la bataille de la médiatisation et des idées. Comment alors selon vous peut-elle encore servir d’exemple à d’autres pays ?

Je soulevais la question plus haut : profonde méconnaissance du dossier, incompétence technique, influence des lobbys du divertissement ? Probablement un savant mélange des trois.

Et pour citer un certain Jérémie Zimmerman (reprenant Michel Audiard) : « Les cons ça osent tout, c’est à ça qu’on les reconnaît ».

D’autres sénateurs (écologistes je crois) ont rédigé une proposition de loi visant à instaurer quelque chose qui ressembe à une « licence globale ». Approuvez-vous cette initiative ? A-t-elle une chance d’être comprise et entendue par les politiques en particulier et la société belge en générale ?

Cette idée de licence globale est en effet portée par Ecolo (à travers Benoit Hellings) et n’a pas encore été déposée. Il nous est donc impossible de nous prononcer précisément à son sujet. Les interventions télévisuelles de Benoit Hellings permettent cependant de dresser un rapide état des lieux : il semble que cette licence globale soit largement inspirée du livre de Philippe Aigrain « Internet & Création. Comment reconnaître les échanges hors-marché sur internet en finançant et rémunérant la création ? » (sic); que la contribution de l’internaute serait répercutée directement dans le prix de l’abonnement (sans sur-coût); que la grille de répartition des biens aux artistes serait semblable à celle actuellement en usage par la SABAM (NDLR : la SACEM locale). Il est évoqué également la possibilité de création d’un organisme indépendant chargé d’établir des statistiques sur les téléchargements sur base d’enquêtes anonymes.

Sans chercher à créer la polémique avant même que la proposition de loi d’Ecolo ne soit déposée, nous relevons déjà plusieurs points qui à n’en pas douter seraient problématiques s’ils étaient introduits dans la proposition de loi :

  • Je parlais de contribution directement répercutée dans le prix de l’abonnement, Benoit Heillings va plus loin : il suggère une retarification des connexions au Net selon le critère du téléchargement, en d’autres termes les « gros téléchargeurs » bénéficieraient, pour des tarifs semblables à ceux pratiqués actuellement, de vitesses de connexion plus élevées et d’une capacité de téléchargement supérieure (illimitée ?); les autres, pour un tarif plus modeste, de vitesses de connexion réduites et de capacité de téléchargement inférieure (permettant uniquement la consultation des mails et la recherche d’emploi). De notre point de vue, cette vision bipolaire du comportement des internautes (soit il télécharge, soit il ne télécharge pas du tout) traduit une fois de plus une méconnaissance profonde d’Internet et de ses usages.

    Ce n’est pas la première fois que le gouvernement belge est pris à défaut sur cette problématique, on se rappellera le courrier adressé par Microsoft au Ministre fédéral des télécommunications à propos des quotas de téléchargement en application en Belgique qui empêcheraient la firme de Redmond de déployer son service de VOD.

  • Ensuite, l’utilisation de la grille de répartition – déjà obsolète – de la SABAM ne permettrait en rien une meilleure rémunération des artistes.
  • Enfin, nous voyons d’un oeil méfiant la création d’un organisme indépendant, ô combien respectueux de l’anonymat soit-t-il. A quel niveau et de quelle manière s’effectuerait l’analyse des échanges ? Qui s’assurait que cet organisme respecte le cadre de ses attributions, la vie privée des internautes ? Quels moyens cet organisme serait-il capable de mettre en place afin d’observer les échanges via les VPN ou dans les Darknet ?

Nous n’hésiterions pas à leur faire part de ces remarques si nos craintes s’avéraient fondées à la lecture du projet de loi.

NURPA est-elle la seule structure belge à s’opposer ? Quelles sont les forces en présence ? Etes-vous en contact avec, par exemple, La Quadrature du Net ? Et quelles sont vos relations avec le tout jeune Parti Pirate belge ?

NURPA n’est heureusement pas la seule association que cette proposition de loi révolte. Citons par exemple « HADOPI mayonnaise » qui partage de nombreux points d’accord avec notre vision et avec qui nous collaborerons bientôt.

Quant aux forces en présence, le système de majorité étant différent en Belgique et en France, c’est avec la proposition Ecolo et la proposition annoncée du PS que les débats parlementaires se dérouleront. Contrairement à la situation qu’a connu la France avec l’UMP, la possibilité pour le Mouvement Réformateur (dont est issu P. Monfils) de faire passer sa loi de force est rendue complexe (pour ne pas dire impossible) tant la répartition des sièges à la Chambre et au Sénat est panachée.

Nous avons eu il y a quelques semaines, des échanges avec Jeremy Zimmerman, il nous a prodigué – fort de son expérience avec La Quadrature du Net – de précieux conseils d’ordre organisationnel. Des actions coordonnées pourraient être envisagées mais ne sont pas d’actualité.

Nous avons contacté le Parti Pirate belge afin de recueillir leur avis concernant la proposition de loi du sénateur MR. Notre interlocuteur (Germain Cabot) a manifesté un réel intérêt pour la question et nous a informé que le PP belge dressait un état des initiatives citoyennes afin d’envisager des collaborations. Le Parti Pirate belge fait les frais de sa jeunesse politique (création en juillet 2009), ne disposant pas de siège parlementaire, il verra son rôle limité à celui de commentateur sans avoir l’opportunité d’apporter un réel contre-poids politique.

Nous tenons à conserver une indépendance politique certaine, nos rapports au PP belge ne seront pas différents de ceux envers les autres partis politiques.

Quelles sont les échéances et quels moyens d’action envisagez-vous ?

Il n’y a pour l’instant pas d’échéances précises, en Belgique, un projet de loi met habituellement une année à passer à travers les rouages parlementaires. Bien que le projet de loi de P. Monfils ait été déposé, celui-ci est en cours de correction et de traduction. ECOLO n’a pas encore publié le leur et le PS s’en tient à des déclarations d’intention sans plus de précisions. Cela ne nous dispense pas de faire preuve de vigilence dès à présent, c’est un combat de longue haleine qui nous attend.

Nous allons principalement nous concentrer sur l’information et la sensibilisation de l’opinion publique et politique à ce sujet au travers d’analyses, de dossiers et de communiqués de presses, de rencontres et d’actions sur le terrain.

Nous avons, dès les premiers jours, mis à disposition un wiki afin d’asseoir l’aspect communautaire prépondérant de notre action.

Inspiré par le modèle de La Quadrature du Net, nous comptons également attirer les projecteurs des médias pour éviter que cette proposition de loi et les débats qui l’entourent soient passés sous silence.

Au delà d’Hadopi, vous dites être également sensible à des sujets comme le filtrage du Net ou la taxe sur la copie privée. En France on est actuellement mobilisé sur le front de la loi Loppsi et les cachotteries de l’Acta. Les libertés numériques dans leur ensemble sont-elles menacées ?

Lorsque l’on constate l’inconscience et l’incompétence avec laquelle les libertés numériques sont abordées par les politiques, on ne peut que craindre pour la pérennité de celles-ci. C’est pourquoi nous nous faisons un devoir d’éduquer et de sensibiliser les politiques à ces sujets.

Nous craignons que cet « HADOPI à la belge » soit le précédent nécessaire et suffisant à l’émergence d’autres lois plus pernicieuses encore. Je le disais en préambule, nous partons avec l’avance non négligeable que sont les enseignements tirés de l’expérience française.

Nous ferons ce qui est en notre pouvoir afin de nous assurer que ce projet de loi ne soit jamais promulgué et que LOPPSI et consorts demeurent le fait de l’exception française.

Brel disait « Je préfère les hommes qui donnent à ceux qui expliquent ».

La connaissance est parfois tout ce que l’on a à offrir. Tant qu’à la partager, autant que cela se fasse sous licence libre.

Que ferait le Grand Jacques aujourd’hui, il s’enfuirait aux Marquises ou résisterait debout ?

Il chanterait.

Pour NURPA, André Loconte

Notes

[1] Crédit photo : Yumyumbubblegum (Creative Commons By)




Passage télé de Benjamin Bayart sur la Loppsi

Vendredi dernier, Benjamin Bayart était invité au journal du soir de Public Sénat pour venir s’exprimer sur la loi Loppsi (dont les débats commencent aujourd’hui à l’Assemblée nationale et que l’on peut suivre par exemple sur Numérama).

Le récent et édifiant livre d’InLibroVeritas dont il est question dans l’interview est Confession d’un pédophile, l’impossible filtrage du web.

—> La vidéo au format webm

Transcript de l’intervention de Benjamin Bayart

La Chaîne Parlementaire – Journal de 22h – Vendredi 5 février 2010
(Transcript récupéré et modifié sur BàB : L’Blog à Birdy)

À partir de mardi, les députés entameront l’examen du projet de Loi d’Orientation de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure, un nom à rallonge qui est en général résumé par le petit nom de Loppsi et pour en parler nous sommes avec Benjamin Bayart. Bonsoir.

Bonsoir,

Vous êtes expert en communication, président de FDN. C’est le plus ancien, j’ai lu, fournisseur d’accès Internet en France.

Oui.

Alors, la LOPPSI, pour la résumer, prévoit une mutualisation et une coopération entre les forces de sécurité, donc la police et la gendarmerie, et une modernisation de leurs moyens, notamment en ayant recours aux nouvelles technologie pour être plus efficace, notamment contre la cybercriminalité. Mais cette loi inquiète les associations internautes qui la jugent liberticide. Pourquoi ?

Alors il faut comprendre que toute la loi n’inquiète pas les associations internautes. Elle est très longue je n’ai pas eu le temps de la lire en entier, alors que dieu sait que je passe énormément de temps sur les questions législatives.

Il y a une mesure précisément qui vous inquiète.

Il y a un article très précis qui nous pose problème, qui est l’article 4, tel qu’il était proposé et rédigé par le gouvernement. Il prévoyait que sur décret du ministère de l’Intérieur, les fournisseurs d’accès internet auraient obligation d’empêcher l’accès à certains sites Web, que la liste…

Lesquels, les sites pornographiques ?

Ce que prévoit le texte de loi ce sont les site pédopornographiques. Mais ce que prévoit aussi le texte et ses conditions d’application évidentes, c’est que la liste des sites doit être secrète, sinon c’est un annuaire des sites pédoporno, c’est un truc inconcevable. Donc la liste est secrète, elle aurait été publiée par le ministère de l’Intérieur et je dois dire que censure secrète sur le ministère de la police, c’est quand même curieux dans un pays normalement démocratique. Ça c’était vraiment le point de départ tel que ca sortait vu par le gouvernement, visiblement les députés ont bien compris ce qu’il leur est arrivé dans l’affaire Hadopi, ils ont relu la décision du Conseil Constitutionnel…

Donc il y a eu un amendement.

Ils ont décidé qu’on ne pouvait pas filtrer Internet n’importe comment. Et pour le moment, dans l’état des discussions, on en est a : y’aura un juge dans la boucle.

Donc ça, ça vous rassure ?

Donc c’est plutôt rassurant.

Mais c’est vrai que, quand même, Internet peut être un lieu de danger. Il y a la pédopornographie, y’a aussi les escroqueries, le terrorisme etc. Est ce qu’il ne faut pas instaurer des filtres ?

Instaurer des filtres, je sais pas. La bonne façon de comprendre ça c’est qu’Internet est un lieu public, et donc jouer sur les peurs, légitimes, les crimes abominables comme la pédopornographie, ca fait peur de manière légitime et logique. Mais jouer sur les peurs des gens pour instaurer un tout sécuritaire, c’est quelque chose de dangereux. Ça met en place des dérives qui sont malsaines. Internet est un lieu public comme les autres, il y a des pédophiles sur Internet exactement comme il y a des pédophiles dans la rue et on filtre pas la rue. On ne met pas un policier tous les trois mètres pour surveiller tout le monde. De la même manière, pour les mêmes raisons, cette tendance de fond qui est de vouloir contrôler Internet, dénote fondamentalement quelque chose d’assez précis, qui est que basiquement les hommes politiques n’ont pas bien compris ce qu’était Internet et qu’ils commencent par contre à comprendre un élément là-dedans : c’est que ça les gêne.

Mais il y a des moyens de contourner ce filtre par exemple ?

Oh oui, de manière très efficace et très simple. Il faut comprendre que les… il y a un livre qui est paru récemment aux éditions InLibroVeritas sur le sujet qui explique assez bien, y compris détaillé par des gens de la gendarmerie spécialisés dans le domaine, que le monde du pédoporno mafieux, business, etc, a déja trois guerres d’avance sur ce genre de sujets là, et se diffuse indépendamment de ce qu’on sait faire de manière simple comme filtre.

Donc liberticide et inefficace, nous dites-vous ?

Donc particulièrement inefficace puisque lorsque l’on interroge la police et la gendarmerie sur le sujet, comme j’en ai eu l’occasion de le faire lors d’une réunion, petit un, il n’y a pas de sites pédos en France, ça c’est très clair, il y en a deux ou trois qui ouvrent temporairement tous les ans, fermés dans la semaine avec les gens derrière qui finissent en prison. Et surtout quand on leurs demande ce que ça a donné comme effet positif dans les pays où cela a été mis en place, par exemple en Australie, par exemple en Grande Bretagne, ils ne savent pas donner de chiffres. On leur demande quelle influence, en quoi est-ce que ça a fait baisser la délinquance, parce que c’est quand même ca le but. Réponse : néant.

Il n’y a pas d’efficacité prouvée. Merci beaucoup Benjamin Bayart d’être venu nous expliquer ce que vous redoutez dans cette loi.




Sécurité US et non discrimination du Libre ne font pas bon ménage sur SourceForge

Katie Tegtmeyer - CC byLa forge logicielle SourceForge n’est plus à présenter. C’est le plus grand dépôt d’applications libres au monde, qui se comptent en centaine de milliers.

Or petit scandale et réelle polémique, SourceForge vient tout récemment et sans préavis d’en barrer l’entrée aux ressortissants de l’Iran, la Corée du Nord, Cuba, du Soudan et de la Syrie, pour se mettre en conformité avec une loi américaine sur la sécurité nationale[1].

Tant pis pour les développeurs et utilisateurs de ces cinq pays et tant pis aussi pour les principes non discriminants qui régissent le logiciel libre.

Pour évoquer ce problème nous avons choisi de traduire la news du Register, mais nous aurions tout aussi bien pu choisir cet article de ComputerWorld dont la conclusion interpelle : « La seule manière d’empêcher réellement les pays sur liste noire d’avoir accès aux dépôts de logiciels libres hébergés aux USA est d’interdire aux Américains de participer au mouvement open source ! »

SourceForge raye 5 nations de la carte open source

SourceForge bars 5 nations from open source downloads

Dan Goodin – 26 janvier 2010 – The Register
(Traduction Framalang : Olivier)

Certains pays sont plus égaux que d’autres

Le dépôt de logiciels open source, SourceForge.net, bloque désormais automatiquement les adresses Internet des utilisateurs de l’Iran, la Corée du Nord, Cuba, le Soudan et la Syrie au prétexte d’appliquer une loi empêchant les ressortissants de ces pays de télécharger des logiciels libres.

Les réactions des puristes du mouvement des logiciels libres et open source ne se sont pas fait attendre. Ils militent pour que chacun ait accès au code, à la seule condition qu’il respecte les termes de la licence. À l’instar du dépôt open source de Google, les termes d’utilisation de Sourceforge interdisent depuis longtemps à quiconque résidant dans un des pays placés sur la liste de sanction de l’US Office of Foreign Assets Control d’envoyer ou de télécharger du code.

Depuis la semaine dernière, SourceForge a commencé à bannir certaines adresses IP pour faire respecter cette interdiction. Dans un article paru lundi, Sourceforge n’annonce pas la raison de ce changement, mais il affirme néanmoins que cette décision ne cadre pas avec la philosophie de l’entreprise :

« Cependant, notre participation à la communauté open source ne peut pas nous faire oublier que nous vivons dans le monde réel et que nous sommes tenus aux lois qui régissent le pays d’où nous exerçons », peut-on lire dans l’article. « Notre obligation est de suivre ces lois et nos vœux, aussi humanistes soient-ils, ne peuvent pas s’y soustraire. »

Les critiques de cette restriction ne se firent pas attendre. Dans les commentaires, sur le blog de SourceForge, une personne note que cette restriction entre en conflit avec la Section 5 de la définition de l’Open Source qui stipule que les licences ne doivent pas établir une discrimination « entre des personnes ou des groupes de personnes ». Les critiques soutiennent également que ces restrictions ne sont pas compatibles avec le discours que tenait la semaine précédente Hillary Clinton, la Secrétaire d’État américaine, encourageant un Internet libre.

Notes

[1] Crédit photo : Katie Tegtmeyer (Creative Commons By)




Rencontre avec Jean-Christophe Frachet et Valentin Villenave du Parti Pirate

Parti Pirate - Affiche élections régionales 2010Ce blog tente modestement d’en témoigner au quotidien, quelque chose d’important est en train de se jouer actuellement autour d’Internet et des nouvelles technologies.

En caricaturant à l’extrême, on pourrait, c’est maladroit et réducteur mais c’est parlant, poser la question ainsi : souhaitons-nous, pour aujourd’hui et pour demain, vivre dans un monde « inspiré par l’Hadopi » ou dans un monde « inspiré par le logiciel libre » ?

Politiques, industriels, juristes, financiers, publicitaires, grands médias… les tenants d’un « monde Hadopi » sont nombreux et puissants. Structurellement et culturellement issus du millénaire précédent, ils ont toutes les peines du monde à comprendre pourquoi on leur répond partage quand ils nous disent consommation. Ils ont une bonne longueur d’avance parce qu’ils possèdent pouvoir, argent, monopoles, brevets ou propriété intellectuelle, et influencent plus ou moins directement tous les moyens de communication de masse, permettant ainsi trop souvent de modeler ou endormir les esprits (qui ne se réveillent que pour les soldes).

Tous les moyens de communication sauf un. Ils ont mis du temps à comprendre mais ils ont désormais pris la mesure de la menace et ils ne s’en laisseront pas compter.

C’est dans ce contexte qu’une « minorité d’agités avant-gardiste » a décidé d’entrer en résistance pour préserver tous les possibles qu’offre potentiellement Internet (normalement, là, la musique de Star Wars devrait se déclencher).

Les modalités d’actions sont diverses et variées. Cela peut par exemple prendre la forme d’un réseau de sites et de projets collaboratifs qui placeraient subversivement toutes ses ressources sous licence libre. Cela peut également prendre la forme d’un groupe de pression qui, de Paris à Strasbourg en passant par Bruxelles, obligerait les élus du peuple à se rappeler au bon souvenir de leurs responsabilités et obligations citoyennes.

Mais cela peut aussi, et pourquoi pas, prendre carrément la forme d’un parti politique, original et différent, qui viendrait se mêler à la cour des grands pour y apporter sa fraîcheur et sa vision.

Telle est mon introduction toute personnelle du Parti Pirate, qui après une sorte de galop d’essai remarqué lors d’une législative partielle dans les Yvelines, a décidé de déployer ses voiles à l’occasion des prochaines élections régionales, où tout le monde peut encore être candidat à la candidature (on appréciera au passage la déclaration d’intention de Perline, tête de liste à Paris).

Le connaissant finalement assez peu, j’ai décidé d’en savoir plus en interviewant deux de ses membres ci-dessous.

Entretien croisé avec Jean-Christophe Frachet et Valentin Villenave

Bonjour Jean-Christophe, bonjour Valentin, pouvez-vous vous présenter rapidement ?

Jean-Christophe – Je m’appelle Jean-Christophe Frachet, j’ai 44 ans. J’ai récemment démissionné du MRC de Jean-Pierre Chevènement, où j’étais responsable de fédération, et délégué national aux TIC. J’ai, de plus, été élu à Paris dans le 2e arrondissement délégué au TIC et au développement économique de 2001 à 2008. J’ai été PDG d’un groupe de communication pendant 10 ans ; je suis aujourd’hui responsable de la mission TIC à la direction générale d’un département d’Île-de-France. Je suis au Conseil d’administration de la FING et de Silicon Sentier. J’ai une petite fille de 18 mois, et je joue de la guitare basse dans un groupe.

Valentin – Je m’appelle Valentin Villenave, j’ai 25 et je suis musicien. J’ai découvert les licences libres grâce à Framasoft, et je suis très vite devenu activiste du Libre, tant dans le domaine culturel qu’informatique (je suis contributeur du projet GNU LilyPond). J’ai rejoint le Parti Pirate dès son apparition en juin 2006, et au fil du temps, je me suis retrouvé parmi l’équipe dirigeante : je suis aujourd’hui trésorier du parti.

Qu’est-ce que le Parti Pirate ? Quel est son programme, sa motivation ?

Valentin – L’histoire du Parti Pirate commence comme une blague, un soir de réveillon (trop ?) arrosé. Un programmeur suédois qui, sur un coup de tête et pour épater ses amis, ouvre une page web avec simplement « Parti Pirate » en noir sur fond blanc. La blague marche au-delà de toute attente : des dizaines de milliers de citoyens accourent, parce qu’il y a longtemps qu’ils ne se reconnaissent plus dans les partis politiques traditionnels, parce qu’ils n’en peuvent plus d’être traités, à longueur de médias, de « pirates » pour un oui ou pour un non, et parce qu’ils y voient, enfin, l’espoir de se réapproprier une vie politique qui leur est étrangère. Rien qu’en 2006, une vingtaine de Partis Pirates apparaissent, en Europe puis dans le monde (il y en a aujourd’hui deux fois plus). En France, l’indignation suscitée par la loi « DADVSI » est grande, et les débuts du Parti Pirate seront volontiers provocateurs ; il faudra quelques semaines pour que se stabilisent une idée-force simple et évidente : il faut réaffirmer les Droits de l’homme et les valeurs citoyennes dans la société d’aujourd’hui, en tirant pleinement parti des possibilités ouvertes par le progrès technologique.

Cela passe, notamment, par un accès plus transparent, plus immédiat et universel à l’information, à la culture et à la connaissance. Le droit de la « Propriété Intellectuelle », ces deux derniers siècles, s’est transformé en un outil d’asservissement, de maintien de monopoles et de raréfaction artificielle (alors que, nous le savons bien, les richesses immatérielles peuvent aisément être partagées à l’infini). Le droit (originellement) « d’auteur », par exemple, happe les artistes dans un engrenage d’intermédiaires et d’industriels qui, de fait, les dépossède du contrôle de la façon dont est diffusé le fruit de leur travail.

Autre exemple, le système des brevets tourne en circuit fermé (ex: brevets logiciels), s’étend à tout et n’importe quoi (ex: brevets sur le vivant), et ce au détriment des régions déshéritées du monde (ex: les brevets pharmaceutiques qui empêchent l’accès au soin). Enfin, il est urgent de s’interroger sur l’avenir qui se dessine, aussi bien dans « nos » démocraties occidentales que dans le monde entier : les citoyens doivent faire entendre leur voix, partout, pour que la technologie soit un outil d’émancipation et d’enrichissement, et non d’asservissement ou de flicage. Pas besoin d’aller chercher loin pour en trouver des exemples : ici-même, sous nos yeux, la neutralité du réseau, l’accessibilité et la transparence de l’information, les libertés civiques les plus fondamentales (liberté d’expression, droit à la vie privée) sont constamment rognées sous des prétextes de lutte contre le terrorisme, contre la pédophilie,… sans oublier les vilains « pirates » !

Jean-Christophe. – Après trois ans et demi d’existence en France, j’ai proposé au Parti Pirate de se doter d’un premier texte fondateur, que nous avons rédigé ensemble pour récapituler nos positions et nous permettre de nous exprimer dans différents domaines. Nous en avons assez de la politique purement gestionnaire qui navigue à vue. On arrive à des absurdités où l’on se plaint qu’on ne vend pas assez de voitures mais il ne faut pas s’en servir parce que ça pollue ! On appuie sur le frein et l’accélérateur en même temps.

Le Parti Pirate défend les valeurs de Liberté, Egalité et Fraternité, que l’on pourrait appeler le socle Républicain. Il est le seul qui prend aujourd’hui en compte le bouleversement de l’arrivée de l’internet et des nouvelles technologies avec tout ce que cela modifie dans nos sociétés et nos organisations. Le « développement durable » est aussi une dimension très présente, qui complète notre réflexion. C’est sur ces trois piliers que s’articulent nos prises de positions et propositions.

Est-ce à dire que les partis traditionnels déjà en place ne remplissent pas toutes leurs responsabilités ? Se coupent-ils de la jeune génération ?

Jean-Christophe – Je pense que les Partis « traditionnels » ne prennent pas en compte les bouleversements de l’arrivée des TIC. Nous avons des générations d’hommes et de femmes au pouvoir qui sont nés dans l’illusion d’abondance de ressources et d’énergie, mais dans une rareté de l’information. Cependant c’est aujourd’hui le contraire : il y a pénurie de ressources et d’énergie, alors que l’information est accessible au plus grand nombre. Je crois aux fondamentaux Républicains et à ce projet de société. Pour moi, c’est un projet collectif au service des individus. Mais si on prend en compte le passage de l’ère industrielle à la société de l’information, beaucoup de paradigmes sont remis en question (biens dématérialisés, temps, espaces, citoyenneté, sphère privée,…). Il ne faut pas chercher les solutions de demain avec le contexte d’hier. Je pense que la fracture est là.

Valentin – Nous n’avons pas la prétention d’être un parti générationnel ! Il est certain qu’une certaine partie de la population s’est déjà rendu compte des formidables opportunités nouvelles qu’ouvre, par exemple, Internet ; nous ne devons pas nous en réjouir, mais faire en sorte que cette connaissance s’étende le plus vite possible au reste des citoyens ! En ce qui concerne les partis traditionnels, nous avons bon espoir qu’ils comprendront tôt ou tard qu’il n’y a pas de sens à s’accrocher à un édifice républicain « pyramidal ». Cette prise de conscience a déjà commencé, et se traduit par des réactions de peur, ou de convoitise. Nous voulons croire que peu à peu la notion d’intérêt général prédominera. Le but ultime du Parti Pirate… c’est qu’il n’y ait plus besoin de Parti Pirate !

Et êtes-vous réellement si différent d’un parti écologiste par exemple ? Et que feriez-vous si un tel parti, ou un autre, adoptait en bloc votre programme ?

Valentin – Cela a déjà commencé, très tôt. Nous nous en réjouissons, même si nous regrettons souvent que nos propositions les plus marquantes (par exemple, légalisation du P2P) soient reprises sans les questions fondamentales qui vont avec : à aucun prix nous ne voulons devenir un simple distributeur à buzzwords. Nous cherchons à inventer et proposer un modèle de société, pas à fournir des concepts creux pour communicants de tous poils. Tu évoques les mouvements écologistes ; il est vrai qu’on nous en rapproche parfois, et d’ailleurs les députés européens Pirates siègent avec le groupe parlementaire des Verts. Mais nous osons croire que (tout comme nos préoccupations) le souci des générations futures et du Tiers-monde ne sont pas l’apanage d’un parti quel qu’il soit !

Jean-Christophe – Avant tout, nous défendons des idées. Les idées appartiennent à ceux qui les mettent en œuvre en politique. Il me semble néanmoins qu’il est nécessaire d’avoir une vision politique au delà de telle ou telle proposition. Certains points peuvent nous rapprocher effectivement d’un parti écologiste, mais je ne vois pas pourquoi seulement de ce type de parti. Mon modeste parcours en politique m’a appris à me méfier des étiquettes. J’ai tellement rencontré, par exemple, de militants ou d’élus qui se réclamaient de Gauche et qui avaient oublié l’intérêt général et la défense des services publics ! C’est pour ça qu’au delà des Partis, il y a les idées et les actes.

Jean-Christophe, tu te présentes aux prochaines régionales en tête de la liste Île de France du Parti Pirate. Quelles sont les spécificités de cette région par rapport aux thèmes qui vous sont chers ?

Jean-Christophe. – Avec la réforme territoriale, la Région va prendre de plus en plus d’importance. Et l’Île de France, à ce titre, est symbolique de par son rayonnement national et international. Les problématiques de transport, de logement ou d’éducation y prennent des proportions considérables. Je ne pense pas qu’il y ait un seul domaine qui ne puisse pas être regardé sans tenir compte de l’arrivée des nouvelles technologies et du développement durable. C’est transversal, général et inéluctable.

Par exemple, passer du transport à la mobilité. Comment rendre utile le temps de transport et favoriser le télétravail plutôt que multiplier le nombre de routes ou bien la taille des trains. Cela ne suffira jamais avec l’évolution de la démographie. La spécificité de l’ïle de France, c’est 20% de la population Française, un territoire parmi les plus visités au monde et un rayonnement international.

Valentin – D’une façon générale, les régions sont un espace de choix pour implémenter une politique publique d’accès aux infrastructures, au savoir (lycées, portails Internet, information du grand public,…) et à la culture. Et elles ont également un rôle primordial à jouer dans la défense des libertés civiques : ainsi, la région Île-de-France est particulièrement mise à contribution de la politique sécuritaire que prévoit le projet de loi « Loppsi », que nous avons lu très attentivement et dont nous serons amenés à beaucoup reparler dans les semaines à venir…

Ce n’est pas la première expérience électorale nationale du Parti Pirate puisqu’il y a eu la législative partielle de la 10ème circonscription des Yvelines en septembre dernier. Quels enseignements en avez-vous tiré ? La petit polémique qui a suivi était-elle infondée ?

Jean-Christophe – Même si je suivais déjà tout ça avec attention, je n’étais pas encore au Parti Pirate à cette époque. Valentin ?

Valentin – Ah, les Yvelines… Une bonne surprise au premier tour (où nous avons fait plus de 2%), une mauvaise surprise au second tour (où l’UMP s’est maintenue, à 5 voix près !). Notre candidat Maxime Rouquet n’avait pas voulu donner de consigne explicite, mais avait signalé que le choix de nos électeurs serait « décisif, et pourrait faire basculer cette circonscription » en faveur de la candidate écologiste. D’aucuns ont accusé le Parti Pirate d’avoir fait le jeu de la droite, d’où cette « tempête dans un Vert d’eau » à laquelle tu fais allusion.

Mon principal regret est que cette campagne tout entière ait été submergée par la loi «Hadopi», ce qui a notamment permis au député UMP sortant de brouiller les pistes en s’achetant une vocation de anti-hadopiste de la onzième heure. Il n’en demeure pas moins que le (relatif) enthousiasme provoqué au premier tour par la présence du Parti Pirate ne pouvait que s’estomper lors d’un second tour entre deux partis plus traditionnels.

Nous avons d’ailleurs tenu à rencontrer les Verts par la suite, pour réaffirmer clairement que notre propos n’est pas de faire obstacle à un parti en particulier, et certainement pas au leur. Bien au contraire, comme je le disais plus haut, nous ne pouvons qu’appeler de nos vœux une remise en question profonde des partis traditionnels, que nous souhaiterions plus proches des citoyens, plus ouverts à la société et au monde d’aujourd’hui. Et il sera à ce titre particulièrement intéressant de voir dans quel sens les Verts ont la volonté (et la capacité) d’évoluer.

Comment s’inscrit le Parti Pirate au sein des autres partis pirates nationaux ? Je pense notamment au suédois qui a fait grand bruit aux dernières élections européennes. Et d’ailleurs que fait-il ce Piratpartiet suédois depuis qu’il siège au parlement ?

Valentin – Le mouvement Pirate a ceci d’intéressant (et d’inédit) qu’il a commencé à exister au niveau international avant même le niveau national. Le Parti Pirate International, comme il convient aujourd’hui de l’appeler, est un agrégat à la fois disparate et surprenamment uni ; non en ce qu’il n’y a pas de débats animés, mais qu’on trouvera souvent plus de dissensions entre deux pirates d’un même pays qu’entre des pirates des quatre coins du monde ! Premier parti pirate historiquement, le Piratpartiet est aujourd’hui l’un des partis les plus importants de Suède. Outre son efficacité et le talent de ses membres, il a bénéficié (comme nous-même avec Hadopi) de la politique inique et choquante du gouvernement : la mascarade de procès The Pirate Bay, etc.

Vous apportez un regard nouveau à notre fameuse devise républicaine sur votre site. Or Richard Stallman commence toujours ses conférences en français par : « Je puis définir le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité… ». Dans la mesure où Framasoft sort en ce moment un livre qui lui est consacré, que vous inspirent cette personnalité et sa croisade pour le logiciel libre ?

Jean-Christophe – Je trouve l’analogie avec les fondamentaux républicains très intéressante. En effet, le logiciel libre regroupe ces concepts. Richard Stallman est « un grand bonhomme », qui a fait beaucoup pour apporter une vision politique, même si cela n’est pas vu comme tel pour une « population » qui, même si elle est militante, se défend d’être politisée. Je pense que c’est dans quelques années que le grand public se rendra compte de l’apport théorique qu’il a apporté à cette société de l’information qui se met en place. Va-t-on revenir aux deux blocs de la guerre froide, du moins sur le plan idéologique ?

Valentin – RMS est sans aucun doute le participant le plus éminent des discussions du Parti Pirate International, dont il ne loupe pas une miette, toujours avec la patience et la minutie qui le caractérisent. J’ai deux grandes fiertés : la première est de pouvoir entretenir, grâce à notre Parti Pirate frenchy, une relation privilégiée avec lui ; nous avons d’ailleurs été les premiers à prendre en compte ses remarques sur la réforme du copyright. La seconde, bien moins anecdotique, est qu’il est également indéniable que l’apparition du Parti Pirate a visiblement nourri la pensée de rms lui-même, et contribue à donner corps à ce qu’il avait pressenti dès le début : « le logiciel Libre est un mouvement social ».

Lorsqu’il nous a rejoints cet automne, Jean-Christophe a été (agréablement, je crois) surpris de constater combien nous étions attachés aux valeurs citoyennes de Liberté, Égalité, Fraternité. De fait, c’est peut-être là l’extraordinaire convergence que permet de réaliser le Parti Pirate : offrir aux communautés du Libre, du P2P, aux artistes, aux citoyens de tous horizons une base commune de dialogue, de réflexion et d’action. Mes collègues du PP vont probablement me dire que ce sont de bien grands mots, mais c’est exactement cette convergence qui m’a amené à tenir bon, contre vents et marées, depuis près de quatre ans, en tant que contributeur Libriste, enseignant, auteur, et citoyen avant tout, le Parti Pirate est presque un résumé de ma vie 🙂

Et d’ailleurs que vous inspire la citation qui orne le Framablog : « …mais ce serait peut-être l’une des plus grandes opportunités manquées de notre époque si le logiciel libre ne libérait rien d’autre que du code » ?

Valentin – … Que cette phrase a une mauvaise influence sur les âmes trop sensibles, puisqu’elle m’a moi-même conduit à gaspiller bêtement quatre ans de ma vie au lieu de m’inscrire à la SACEM « comme tout le monde »… Au-delà de l’anecdote, nous espérons que le Parti Pirate pourra « hacker » la vie politique de la même façon que RMS a « hacké » le copyright lorsqu’il a rédigé la toute première licence libre. L’internet a potentiellement aboli la distance entre émetteur et récepteur, et ouvre la voie à de nouveaux modèles sociaux : contributifs, plus horizontaux et moins pyramidaux. Du reste, les mordu(e)s du Libre ne s’y trompent pas puisque Perline, grande SPIPienne devant l’Éternel, nous a également rejoints il y a peu !

Jean-Christophe – Je pense qu’en effet, il y a des modèles dans le libre qui peuvent être déclinés dans la vie matérielle. Nous avons besoin de revisiter certains fondamentaux de notre société et la société de l’information va très vite, on pourrait dire des années de chien (1 an = 7 ans) ! Il y a des modèles qui se mettent en place, évoluent, mutent et se perfectionnent ou meurs rapidement. C’est presque un laboratoire en accéléré de différents modes de société. Il me semble que l’on pourrait s’en inspirer parfois en politique.

Et pour parfaire le tableau, notre slogan : « La route est longue mais la voie est libre… »

Valentin – Je relis cette phrase avec un peu de nostalgie car elle me renvoie à une époque lointaine où l’on pouvait se dire que la vie politique française avait touché le fond… Nous étions loin du compte.

Jean-Christophe – En effet, nous n’en sommes qu’au début.

Quant à Lenine, il disait : « le communisme, c’est les soviet plus l’électricité ». Et Internet, c’est les réseaux sociaux plus l’électricité ?

Jean-Christophe – Je pense que le réseau c’est le cartographie d’un nouveau monde avec de nouvelles frontières, de nouvelles règles et de nouveaux acteurs. Il y a 15 ans, on ne se serait pas douté de ce qui advient aujourd’hui, alors dans 15 ans… Tout est possible, le meilleur comme le pire, mais à une échelle de temps très réduite.

Valentin – À titre personnel, l’expression même de « réseau social » me hérisse. Nous sommes heureusement nombreux à faire tout notre possible pour qu’Internet ait davantage à apporter aux populations du monde que des gadgets branchouilles et propriétaires.

Vous souhaitez en profiter pour lancer un appel important je crois…

Jean-Christophe – En effet, nous proposons à tout citoyen qui partage nos idées de partager les listes avec nous, sans nécessairement adhérer au Parti Pirate : nous défendons des idées, pas des étiquettes.

Nous avons fait un dossier à télécharger où tout est expliqué. Il ne faut pas trainer, les listes sont à déposer début février ! Vous pouvez en savoir plus sur : http://2010.parti-pirate-elections.fr/Etre-candidat-a-la-candidature

En tout cas, bravo pour le travail que vous faites à Framasoft, c’est utile pour aujourd’hui et pour demain. Et en plus, c’est sympa, ce qui ne gâche rien !

Valentin – Merci à toi aKa pour ton curiosité, ton dévouement et tes questions toujours pertinentes et approfondies. À très bientôt !




L’éloquence du président Lula en faveur d’un Brésil et d’une société plus libres

« Maintenant que le plat est servi, il est très facile pour nous de manger. Mais préparer ce plat n’a pas été un jeu d’enfant.
Je me souviens de notre première réunion, où je ne comprenais absolument rien au langage employé, et il y avait une tension palpable entre ceux qui défendaient l’adoption du logiciel libre au Brésil et ceux qui estimaient que nous devrions continuer comme avant, garder les mêmes habitudes, acheter, payer l’intelligence des autres et, grâce à Dieu, c’est le parti du logiciel libre qui l’a emporté dans notre pays.
Car nous devions choisir : ou nous allions dans la cuisine préparer le plat que nous voulions manger, avec l’assaisonnement que nous voulions y mettre, et donner un goût brésilien à la nourriture, ou nous mangerions ce que Microsoft voulait vendre aux gens. Et, c’est tout simplement l’idée de la liberté qui l’a emporté. »

Ainsi s’exprimait l’été dernier rien moins que le président de la République d’un des plus grands pays au monde, dans un discours dont vous comprendrez aisément pourquoi nous fait l’effort de traduire et sous-titrer sa vidéo (j’en profite pour saluer et remercier chaleureusement notre petit équipe de traducteurs lusophones).

Il s’agissait donc du président brésilien Lula, venu inaugurer le 24 juin 2009 à Porto Alegre le dixième Fórum Internacional Software Livre. L’allocution, prononcée sans notes s’il vous plaît, dure une vingtaine de minutes et va bien au delà du simple extrait ci-dessus.

Le logiciel libre a évidemment besoin de toutes ces petites fourmis qui développent et qui diffusent. Mais Il a également besoin de ces hommes d’États éclairés et éclairants.

Ce n’est qu’un discours mais il a valeur de symbole. Merci à ce pays, à son président et à tous ceux qui le conseillent et travaillent autour de lui. L’Histoire retiendra que vous fûtes parmi les pionniers à avoir compris en si haut lieu l’importance d’aborder ce nouveau millénaire en offrant aux gens le plus d’opportunités possibles pour qu’ensemble s’épanouissent leur créativité.

Nous sommes tous des Brésiliens libres ?

—> La vidéo au format webm

Réalisation TV Software Livre – Licence Creative Commons By-Sa

Discours inaugural du président brésilien Lula

Fórum Internacional Software Livre – 24 juin 2009
(Traduction, sous-titrage et édition vidéo Framalang : Michaël Dias, Thibaut Boyer et Yostral)

Je veux saluer notre cher camarade Marcelo Branco, coordinateur général du 10ème Forum international du logiciel libre. Je veux saluer les camarades des institutions publiques brésiliennes qui sont ici. Je vois en face de moi la Banque du Brésil et le Serpro.

Je veux saluer les invités étrangers. Je veux saluer ce petit enfant qui est là-bas sur des genoux et qui doit se demander ce que nous faisons là et pourquoi ses parents l’ont amené ici. Un jour, il le saura…

Et je veux saluer une personne qui est ici en particulier, Sérgio Amadeu (responsable des premières actions en faveur du logiciel libre au gouvernement brésilien).

Car maintenant que le plat est servi…

Je veux également saluer le camarade Tigre, notre président de la Fédération de l’Industrie du Rio Grande do Sul.

Maintenant que le plat est servi, il est très facile pour nous de manger. Mais préparer ce plat n’a pas été un jeu d’enfant.

Je me souviens de notre première réunion, à la Granja do Torto, où je ne comprenais absolument rien au langage qu’employaient ces personnes, et il y avait une tension palpable entre ceux qui défendaient l’adoption du logiciel libre au Brésil et ceux qui estimaient que nous devrions continuer comme avant, garder les mêmes habitudes, acheter, payer l’intelligence des autres et, grâce à Dieu, c’est le parti du logiciel libre qui l’a emporté dans notre pays.

Car nous devions choisir : ou nous allions dans la cuisine préparer le plat que nous voulions manger, avec l’assaisonnement que nous voulions y mettre, et donner un goût brésilien à la nourriture, ou nous mangerions ce que Microsoft voulait vendre aux gens. Et, c’est tout simplement l’idée de la liberté qui l’a emporté.

Je voudrais vous raconter quelque chose ici, pourquoi, dans mon esprit, c’est le choix du logiciel libre qui l’a emporté.

Vous savez que je n’ai jamais été communiste. Lorsqu’on me demandait si j’étais communiste, je répondais que j’étais tourneur ajusteur. Mais j’ai des camarades extraordinaires qui ont participé à la lutte armée dans ce pays, des camarades qui ont appartenu aux partis et aux courants idéologiques les plus différents qui soient, tous des camarades extraordinaires.

J’avais un frère plus âgé qui, toute sa vie, a essayé de me faire adhérer au Parti, et mon frère m’amenait tous les documents qui avaient été écrits et édités depuis 150 ou 200 ans. Mon frère voulait que j’apprenne Le Manifeste par cœur, il voulait que je lise et relise Le Capital, il voulait que je critique tout cela, et moi, je disais à mon frère : « Chico, tout cela a été écrit il y a si longtemps. N’est-il pas maintenant temps pour les gens de commencer à produire de nouvelles choses ? »

Et quand le Mur de Berlin est tombé, j’ai été heureux car cela allait permettre à la jeunesse de pouvoir réfléchir, écrire de nouvelles choses, élaborer de nouvelles théories, car on avait l’impression que tout était déjà construit et que plus rien ne pourrait être différent.

Le logiciel libre est un peu cela, c’est-à-dire donner aux gens l’occasion de faire de nouvelles choses, de créer de nouvelles choses, de valoriser l’individualité des personnes.

Car il n’y a rien qui ne garantisse plus la liberté que de garantir votre liberté individuelle, que de permettre aux gens d’exprimer leur créativité, leur intelligence, surtout dans un pays nouveau comme le Brésil, où la créativité du peuple est probablement, sans aucun mépris pour les autres peuples, la plus importante du XXIe siècle.

En effet, je pense que notre gouvernement a déjà fait beaucoup, mais notre gouvernement aurait pu faire plus.

Nous sommes un gouvernement très démocratique. Je ne crois pas qu’il y ait un gouvernement au monde qui exerce la démocratie comme le fait notre gouvernement. Je ne le crois pas. Je ne crois pas qu’il y ait au monde quelqu’un qui débatte autant, qui discute autant que notre gouvernement. Et cela complique parfois les choses, n’est-ce pas, Tarso ? Nous devons parfois écouter une fois, deux fois, trois fois, car, comme je suis un analphabète à propos de l’Internet… mes enfants sont des experts pour moi.

Car Internet est une chose fantastique, Olívio, c’est la première fois que les petits enfants sont plus malins que les grands-parents. C’est la première fois.

Autrefois, du fait que vous étiez plus vieux, vous vouliez vous imposer sur tout, n’est-ce pas ? Le fils ne pouvait parler quand vous étiez en réunion, vous ne pouviez pas intervenir dans une discussion d’adultes.

Aujourd’hui, non. Aujourd’hui, il y a deux adultes en train de discuter avec un gamin à côté d’eux, et les adultes disent : « Comment est-ce qu’on change de chaîne sur la télé ? », avec deux télécommandes que les gens ne savent pas utiliser correctement. Et le gamin de huit ans y va, il bidouille, il tripote…

Louer la maison, payer le loyer, l’électricité, l’eau (sur Internet)…

Je pense donc que nous sommes en train de vivre une période révolutionnaire pour l’humanité, où la presse n’a plus le pouvoir qu’elle avait il y a quelques années, l’information n’est plus une chose exclusive où les détenteurs de l’information pouvaient faire un coup d’État, l’information n’est plus une chose privilégiée.

Le journal du soir est maintenant dépassé face à Internet, l’émisssion de radio, qu’elle soit en direct ou enregistrée, est dépassée face à Internet. Le journal du soir a l’air très vieux face à Internet, et il a l’air si vieux que tous les journaux ont créé des blogs pour informer ensemble, avec les internautes du monde entier.

Et bien, ces choses, nous ne savons pas jusqu’où vont aller toutes ces choses, nous ne le savons pas.

Je sais que chaque fois que je discute avec vous, j’imagine que si ma génération était aussi intelligente et créative que la vôtre, nous serions bien meilleurs que ce que nous sommes aujourd’hui, car l’appareil public est une chose compliquée. Il est plein de vices, de règles, vous savez, qui datent de l’époque impériale. Et vous, vous faites bouger ces choses.

Un bureaucrate, lui, a un manuel, et le manuel dit seulement ce qu’il peut faire ou ne pas faire. Si vous lui présentez quelque chose de nouveau, il reste interdit. Il n’est pas capable de dire : « Bon, j’ai ici quelque chose de nouveau, je vais essayer d’agir », non. Il dit s’il peut ou pas.

Et tout cela a pris du temps pour que le gouvernement commence à créer les conditions pour arriver à la situation d’aujourd’hui. Le logiciel libre est donc une possibilité pour que cette jeunesse réinvente des choses qui ont besoin d’être réinventées.

De quoi a-t’on besoin ? D’opportunités.

Nous pouvons être certains d’une chose, camarades, c’est que dans ce gouvernement, il est interdit d’interdire.

Dans ce gouvernement… Ce que nous faisons dans ce gouvernement, c’est discuter. Les chefs d’entreprise savent combien nous discutons, sans animosité, ni agressivité, sans chercher à combattre l’interlocuteur, non ! Il s’agit de débattre, de renforcer la démocratie et de l’amener jusqu’au bout.

Car ce pays est encore en train de se découvrir lui-même, car durant des siècles, on nous a traités comme si nous étions des citoyens de seconde zone, nous devions demander l’autorisation pour faire des choses, nous pouvions seulement faire ce que les États-Unis nous autorisaient à faire, ou ce qu’autorisait l’Europe.

Et notre estime de nous est en hausse aujourd’hui. Nous apprenons à nous aimer nous-mêmes. Nous sommes en train de découvrir que nous pouvons faire des choses. Nous sommes en train de découvrir que personne n’est meilleur que nous. Les autres peuvent être semblables, mais meilleurs non, ils n’ont pas plus de créativité que nous.

Ce dont nous avons besoin, c’est d’opportunités.

Cette loi qui est là, cette loi qui est là, ne cherche pas à corriger les abus d’Internet. Elle souhaite en réalité censurer. Ce dont nous avons besoin, camarade Tarso Genro, c’est peut-être de modifier le Code Civil, c’est peut-être de modifier certains choses. Ce dont nous avons besoin, c’est de responsabiliser les personnes qui travaillent sur le numérique, sur Internet. C’est de responsabiliser, mais pas d’interdire ou de condamner.

C’est l’intérêt de la police de faire une loi qui permette d’entrer chez les gens pour savoir ce qu’ils sont en train de faire, et même de saisir les ordinateurs. Mais ce n’est pas notre intérêt, ce n’est pas possible.

Je voulais donc, mon cher Marcelo, vous dire qu’aujourd’hui, je ne sais pas ce qu’en ont pensé mes camarades, pour moi, aujourd’hui a été un jour magnifique, magnifique, car j’ai un conseiller spécial, qui s’occupe de la question numérique, un ami de Marcelo, j’ai… Le gouvernement a dix ministres qui parlent d’implantation numérique.

Implantation numérique sont les mots les plus « sexys» du gouvernement, vous savez ? Les mots les plus « sexys », tout le monde les prononce.

J’avais donc besoin d’un coordinateur qui parle un langage rien que pour moi, et j’ai mis le camarade César Alvarez, qui est un habitant d’ici, du Rio Grande do Sul, un supporter du club de foot l’Internacional, qui vient juste de faire match nul contre le Corinthians mercredi, pour le plus grand plaisir des gaúchos. Olívio Dutra est conseiller et je lui ai demandé d’en parler avec les dirigeants de l’International : « le score est de zéro à zéro, c’est bon pour nous, Olívio, il n’y a aucun problème ! »

Mais avec cette coordination, nous essayons d’avancer.

Je voulais seulement vous dire une chose Écoutez, il ne me reste plus qu’un an et demi de mandat, plus qu’un an et demi. C’est important que vous observiez ce que nous avons fait et qui a besoin d’être perfectionné. Et il faut que vous observiez ce que nous ne sommes pas encore parvenus à faire, et que vous nous aidiez à le faire.

Car le problème du gouvernement n’est pas toujours un problème d’argent. Les gens jonglent parfois avec des centaines d’activités, et ces nouveautés passent alors au second plan, et c’est pour cela que nous avons une coordination.

Et nous allons voir, camarades, si, avec tous ces chiffres que Dilma a mis à votre disposition dans le but de faire entrer ce pays dans l’ère numérique, de faire que en sorte que les enfants de la banlieue aient les mêmes droits, le même accès à Internet, que les enfants de riches, de pouvoir s’informer, de pouvoir se déplacer librement dans ce monde qu’est Internet, nous pouvons y parvenir.

Soyez sûr d’une chose, Marcelo : nous ne connaissons pas tout, nous n’en connaissons qu’une partie. Tout seul, peut-être que vous non plus vous ne connaissez pas tout, vous ne connaissez qu’une partie. Mais si chacun de vous partage un peu de ce qu’il sait, on pourra construire un tout qui manque aux gens, pour définitivement et véritablement d?mocratiser ce pays, et pour que tous soient libres d’agir pour le bien.

La majorité est faite de gens biens. Nous n’allons pas nous énerver parce que de temps en temps un fou dit quelque chose. Il y a même un site qui propose la mort de Lula.

Ce n’est pas un problème, ceux qui proposent la vie sont infiniment plus nombreux. Infiniment plus nombreux.

Je voulais donc vous proposer d’entrer dans ce « couloir polonais » et de voir cette palette extraordinaire de garçons et de filles qui, je pense, ont tous moins de 25 ou 30 ans.

Pour que les gens puissent sortir d’ici et dire haut et fort : « Ce pays s’est finalement trouvé lui-même. Ce pays a finalement le goût de la liberté d’information ».

Je vous embrasse et vous souhaite de passer un bon Xème Forum du Logiciel Libre.

l’auditoire : logiciel libre ! logiciel libre !




Pour que La Quadrature du Net continue à écrire la doc et les pages man d’Internet

La Quadrature va-t-elle jetter l’éponge ? C’est le cri qu’a poussé Benjamin Bayart hier sur son blog.

Rien de tel que de se remémorer alors son intervention, en juillet dernier aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre de Nantes, où il explique pourquoi La Quadrature a besoin de notre soutien.

Et de laisser ensuite la parole à un Jérémie Zimmermann éloquent quant au sens donné à leur action : « S’appuyer sur notre expertise pour écrire la doc et les pages man de l’outil que l’on a bâti et que l’on veut préserver : Internet ».

PS : Et comme on ne peut plus s’en passer, il y a également une vidéo bonus de Stallman en fin d’article 😉

—> La vidéo au format webm

Transcript

Jérémie Zimmermann : Je pense que les sociologues, ethnologues et autres bidulogues se pencheront sur la question, s’ils ne le font pas déjà. De voir que c’est nous, la bande de geeks, qui allons retourner les parlements.

Alors nous la bande de geeks, on est ceux qui connaissons le mieux Internet, ceux qui l’utilisons tous les jours depuis plus longtemps que tout le monde, et ceux qui en quelque sorte l’avons fabriqué. Et donc on peut dire sans se vanter qu’on a une expertise en la matière, un expertise en matière d’Internet et des technologies numériques.

Et c’est intéressant de voir que l’on utilise spécifiquement notre expertise dans quelque chose que l’on a bâti. Pour le préserver tel qu’on le connaît aujourd’hui et tel qu’on aime à l’utiliser aujourd’hui.

Et j’aimerais me livrer ici a un parallèle peut-être un petit peu hasardeux. Je sais que pas grand monde aime la politique, ou en tout cas la politique telle qu’elle existe aujourd’hui, à base de spectacle et de petites phrases, de connards bronzés qui ne connaissent pas leurs dossiers et qui raisonnent à coups de sondages, etc.

Mais la politique, la vraie, c’est pas ça. C’est s’intéresser à la vie de la cité. Et pour s’intéresser à la vie de la cité, pour participer, il faut précisément transmettre son expertise, transmettre sa connaissance.

Et donc notre rôle, ce que l’on fait tous les jours dans ces campagnes, on transmet l’expertise que l’on a de l’outil que l’on veut préserver.

Mais transmettre de l’expertise, c’est un petit peu de la communication, et c’est un petit peu un truc que les geeks ne savent pas bien faire en général.

Et le parallèle hasardeux que je vais faire, c’est dire qu’en gros ce que l’on est en train de faire. c’est faire la doc et faire les pages man qui vont avec l’outil qu’on a développé.

Et que nous les geeks, on sait qu’on n’aime pas faire les pages man, et qu’on n’aime pas rédiger la doc. Et le problème c’est que si on ne les fait pas, le projet ne va pas décoller et il n’ira pas très loin. Et donc voilà, à vos éditeurs de texte quoi !

Benjamin Bayart : On ne peut pas laisser les parlementaires écrire tout seul le manuel d’Internet, ça ça va pas être bon, va falloir qu’on s’en mêle…

Soutien de Richard Stallman à La Quadrature du Net

—> La vidéo au format webm




Le Monde et Libé main dans la main pour nous pondre des éditos serviles et crétins

Hamed Saber - CC byJe me souviens d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. C’était avant Internet. La presse avait un surnom : le quatrième pouvoir. Et il me plaisait d’y croire à ce contre-pouvoir, face aux autres pouvoirs incarnés par l’État.

Aujourd’hui, j’ai de plus en plus de peine à y croire. Jusqu’à ne plus y croire du tout lorsqu’il s’agit d’aborder « Internet ».

Que Sarkozy s’empare d’un rapport pour venir nous faire une proposition qui frise le ridicule avec sa « taxe Google », nous y sommes malheureusement désormais habitués, Hadopi étant encore (et pour longtemps) dans toutes les mémoires. Mais que des journaux aussi prestigieux que Le Monde et Libération, reprennent le même jour, sans aucun recul, cette proposition, en tentant bien maladroitement de la justifier, c’est nouveau et c’est plus que décevant[1].

Mais qu’est-ce donc que cette « taxe Google » ?

Florent Latrive (journaliste à… Libération !) la résume fort bien dans son excellent et cinglant billet La taxe Google, symbole cache-misère sur son blog Caveat Emptor :

Il n’est surtout nulle part question que cette taxe soit une source de revenus supplémentaires pour les artistes et créateurs. Elle vise simplement à compenser dans le budget de l’Etat une série de dépenses en faveur des industries culturelles, et notamment la carte jeune musique ou l’extension du crédit d’impôt pour la production musicale. Si ces dépenses auront, c’est le minimum, pour effet indirect d’assurer quelques rentrées à la filière, on ne trouve pas là trace d’une nouvelle ligne de recettes susceptibles d’apporter un revenu pérenne et conséquent aux créateurs. On taxe la pub, et on subventionne la vente de musique. Il ne s’agit pas là de rémunérer la filière sur la base d’une nouvelle circulation des oeuvres et de nouveaux partages de la valeur ajoutée, mais d’instaurer un micro-bricolage fiscal, tout en continuant, via Hadopi, la guerre au public et à ses pratiques de partage sur les réseaux.

Et Guillaume Champeau de surenchérir sur Numerama, un brin énervé :

Puisque la France et l’Europe sont incapables de favoriser l’émergence de grands acteurs de l’internet, autant taxer les sucess stories américaines pour financer ses industries vieillissantes.

Ajoutons à cela qu’elle s’annonce techniquement inapplicable (ça ne vous rappelle rien ?), puisque comme nous le précise Rue89, il sera fort délicat, pour ne pas dire impossible, de tout aussi bien choisir les sites à taxer, empêcher l’évasion fiscale et dénombrer les internautes français.

L’idée est donc définitivement mauvaise. Et, même si ça n’est pas forcément agréable à lire, on ne s’étonnera pas de se faire plus ou moins gentiment chambrer par le reste du monde.

Mais nos deux grands quotidiens ont eux décidé de passer outre…

Qu’est-ce que l’éditorial, ou l’édito, d’un journal ? C’est en quelque sorte la « signature » du journal, voire même parfois sa « vitrine idéologique ». Et comme c’est important, on ne va pas en confier la plume à n’importe qui : ce sont souvent les directeurs ou les rédacteurs en chef qui s’y collent.

Or donc ici, c’est rien moins que l’éditorial de ces deux journaux qui est sollicité pour jouer, j’exagère à peine, les porte-paroles du gouvernement. Les titres de l’un comme de l’autre sont évocateurs et en parfaite symbiose : « Juste » pour Libération et « Une taxe juste » pour Le Monde. Le parallèle est saisissant, à croire qu’ils se sont passés le mot.

L’édito de Libération : « Juste »

URL d’origine du document
Par Laurent Joffrin (directeur du journal) – 8 janvier 2010

Internet, notre ennemi ? Voilà bien la manière la plus niaise de poser le problème de la création et de la presse en ligne. Le réseau mondial porte en lui un tel progrès de civilisation – culture et information à la disposition de tous sur un simple clic – qu’il est ridicule d’invoquer cette dichotomie sommaire.

Ce serait effectivement ridicule, mais alors pourquoi le rappeler en introduction ? On est à la limite de la faute avouée à moitié pardonnée.

Non, l’ennemi est plus insidieux, et plus dangereux : c’est le tout gratuit, en ligne ou ailleurs.

Qu’est-ce que le « tout gratuit » ? Je n’en ai personnellement aucune idée. Toujours est-il que « l’ennemi » est donc désigné et que l’on se trouve face à une autre dichotomie sommaire dans laquelle on souhaiterait nous enfermer : gratuit contre payant. Le refrain est désormais connu, occultons totalement la constitution de biens communs, le partage de ressources sous licences libres et ouvertes (gratuites ou payantes) et les échanges non marchands. C’est pourtant aussi et surtout là qu’Internet est susceptible d’être un « progrès de civilisation ».

Pendant des lustres, les ravis de la fausse modernité nous ont expliqué que la gratuité totale, par des sources principalement publicitaires, créerait son modèle économique. On s’aperçoit aujourd’hui que cette prophétie n’a aucune réalité pour les producteurs de contenus culturels (musique, livres, cinéma, information…)

Merci de cet aveu. Il fallait effectivement être bien naïf pour croire ces « ravis de la fausse modernité » (on veut des noms !).

Quelques géants, agrégateurs comme Google ou fournisseurs d’accès Internet, ont capté l’essentiel des revenus. Le libre marché a créé cette originale répartition des tâches : les créateurs de contenu supportent les dépenses, les diffuseurs perçoivent les recettes.

Mélangeons allègrement deux entités aussi hétéroclites que Google et un fournisseur d’accès pour en faire d’étranges boucs émissaires à qui on reproche d’avoir « capté » les revenus des contenus.

Les premiers subissent déficits, précarité et licenciements, les autres amassent des montagnes d’argent.

Non, non, on ne nous parle pas de la crise des subprimes mais bien de la crise des industries culturelles (qui, contrairement à la première, n’inquiète qu’elles-mêmes). Toujours est-il que « les autres », vautrés sur des montagnes d’argent injustement récolté, sont coupables. Il est alors sain et logique de les punir par une taxe en faveur des pauvres victimes.

Dès lors, le rapport Zelnik est dans le vrai quand il cherche le moyen de rééquilibrer une situation qui mènera sans cela à l’anémie et au formatage des contenus.

Classique. On confond un problème (réel) avec l’une des solutions (plus que discutable) pour le traiter. On ne s’y est pas pris autrement pour justifier l’Hadopi. « Dès lors… », le raisonnement est un peu court et l’affirmation péremptoire. Si vous ne voulez pas d’une presse malade (anémie) et uniforme (formatage des contenus) alors vous ne pouvez qu’adhérer au rapport Zelnik et à sa taxe Google. La ficelle est un peu grosse mais CQFD.

Et ce qui vaut pour la musique vaut, a fortiori, pour l’information, dont le rôle civique est évident.

Journalisme et musique, même combat dans l’adversité, d’où l’existence de cet édito. Et c’est encore pire avec le journalisme dont l’évidence du rôle civique est telle qu’il convient tout de même de le rappeler.

A moins de considérer, dans un rêve ultralibéral, qu’en raison d’un commandement du Saint Marché, créateurs et journalistes doivent désormais vivre d’amour et d’eau fraîche.

J’ai connu Libération moins critique vis-à-vis de l’économie de marché. Mais résumons-nous : Internet tend vers un tout gratuit capté par un Google causant tristesse et désolation dans le monde des « vrais » producteurs de contenus culturels. La taxe est juste, la taxe est la solution.

L’édito du Monde : « Une taxe juste »

URL d’origine du document
Non signé – 8 janvier 2010

Taxer Google. En prenant position, jeudi 7 janvier, lors de ses voeux à la culture, en faveur d’une fiscalisation des revenus publicitaires en ligne des géants d’Internet, Nicolas Sarkozy fait-il preuve de démagogie ou, au contraire, de cohérence ? Un peu des deux. Il est facile de pointer uniquement le grand méchant loup américain. Les maisons de disques, par exemple, ont longtemps refusé de prendre au sérieux les évolutions technologiques, préférant profiter des revenus considérables qu’elles tiraient du CD.

Départ identique à l’édito précédent (Internet n’est pas l’ennemi, etc.). On est lucide parce qu’on a bien compris la démagogie de la proposition, mais comme c’est aussi de nous, les journalistes et notre avenir dont il s’agit, on va tenter malgré tout de vous en montrer sa cohérence (si possible sans recourir aux forceps).

D’un autre côté, la position des moteurs de recherche, Google en tête – l’immense majorité des internautes français entrent sur la Toile avec lui -, devient intenable.

Intenable pour qui exactement ? On pourrait d’ailleurs faire également le même procès à Microsoft et ses ventes liées (lui aussi basé fiscalement en Irlande soit dit en passant). Ce qui donne alors : « D’un autre côté, la position des systèmes d’exploitation, Windows en tête – l’immense majorité des utilisateurs français entrent en informatique avec lui -, devient intenable ».

Depuis des années, Google profite de contenus qu’il n’a pas créés et qui ne lui appartiennent pas : musiques, films, livres, presse, produits audiovisuels… Google ne paie presque rien et il rend les contenus gratuits. Pire, il capte des pages de publicité, et donc des revenus, qui devraient aller à d’autres.

Pareil que tout à l’heure. Google capte, profite sans donner, et rend tout gratuit. On ne va pas dire que Google est un voleur, mais on en a tout de même fortement envie. « Il est facile de pointer uniquement le grand méchant loup américain », disait-on pourtant en préambule. Que Google pose de nombreuses questions et de nombreux problèmes est une évidence, mais aborder aussi radicalement le débat ne risque pas de faire avancer les choses.

Le résultat est ravageur : hormis le cinéma, qui se porte bien – la magie de la salle opère toujours -, la musique est sinistrée, la presse souffre, le livre est menacé.

Et n’oublions pas aussi qu’en 2012 c’est l’Apocalypse. Et il semblerait, mais c’est à vérifier, que Google n’y soit cette fois-ci pour rien.

Comment convaincre des consommateurs de musique de payer pour un produit qu’ils peuvent trouver gratuitement ? Lorsque l’on a 20 ans, que l’on a grandi une souris à la main, que le plaisir d’un meilleur son ou d’une belle pochette de disque compte moins, la mission paraît impossible.

J’invite l’éditorialiste du Monde, fin connaisseur de la jeunesse, à lire l’article de Jean-Pierre Archambault, Gratuité et prix de l’immatériel, pour constater qu’à l’impossible nul n’est tenu.

Ces dernières années, les gouvernements ont, pour punir les fraudeurs, multiplié les textes de loi et accumulé les maladresses. La filière musicale, elle, a pris beaucoup de retard dans la mise en place d’une offre riche et attractive.

Donc, en toute logique, si on tire les leçons du passé, il n’y a aucune raison de ne pas se trouver en face d’une nouvelle maladresse. Mais pas du tout…

Dès lors, les mesures incitatives, préconisées par le rapport de la mission Création et Internet, présidée par l’éditeur Patrick Zelnik, sont justes. Et juste aussi l’idée de financer celles-ci par une taxe sur la publicité en ligne. Le rapport aurait pu aller plus loin en mettant à contribution les autres grands bénéficiaires du système que sont les fournisseurs d’accès.

Le mimétisme avec Joffrin me laisse songeur. Ils ont dû s’enfermer ensemble dans une pièce commune pour nous rédiger cela, c’est la seule explication. Jusqu’à la même locution « Dès lors… ». En tout cas, le raisonnement (bancal) et la conclusion (partiale) sont en tout point identiques, jusqu’à l’inclusion des fournisseurs d’accès dans le même galère que Google.

Restent deux difficultés. La faisabilité, d’abord. Dans un monde dématérialisé, évaluer les recettes spécifiquement françaises et contraindre des entreprises étrangères à acquitter leur dû fiscal en France ne sera pas simple.

Cette première difficulté est une impossibilité.

Cela suppose aussi de bouleverser la philosophie d’Internet, réseau créé pour permettre la circulation libre du savoir. Pour les artistes et auteurs, ce serait justice. Pour les utilisateurs, ce sera une révolution culturelle.

Pincez-moi ! Suis-je bien en train de lire un éditorial du Monde ? S’en prendre à la libre circulation du savoir sur Internet serait une nouvelle « révolution culturelle » ???

Une partie de moi-même s’en trouve glacé d’effroi ! (surtout la partie « bobo de gauche », qui n’a pas encore totalement disparue)

On pourrait en rire si ça n’était point si grave. Parce que, mine de rien, ces deux éditos, consciemment ou non, nous préparent magnifiquement à l’épisode suivant qui participe du même état d’esprit, à savoir la mise en place du filtrage du Net et la remise en cause de sa neutralité.

La peur est décidément mauvaise conseillère. Monsieur Joffrin, vous aviez raison tantôt de rappeler le rôle civique de la presse, parce qu’il y a des jours, comme ce 8 janvier 2010, où il peut nous être permis d’en douter.

Notes

[1] Crédit photo : Hamed Saber (Creative Commons By)