Politique : pour les arcanes c’est Arcadie

Nous avons tendance à voir et juger d’un peu loin le monde politique, ou plutôt par le miroir déformant des affaires et des scandales : la corruption du milieu parlementaire, hélas bien présente, fait presque écran au fonctionnement réel des institutions et de ceux qui sont censés nous représenter. S’informer davantage, mieux connaître, comprendre, identifier qui fait quoi et dans quelles conditions demande du temps et des recherches dans de multiples directions. C’est pourquoi le projet Arcadie, initiée par Tris Acatrinei, revêt toute son importance. On peut même considérer qu’il est d’utilité publique et citoyenne. En rendant disponibles et compréhensibles sur un portail unique des informations peu accessibles et dispersées, il donne un bon exemple d’utilisation des données publiques pour le bien commun.

 

Bonjour Tris, peux-tu te présenter brièvement ?
Brièvement, je ne sais pas faire, je ne suis pas comme François Hollande, une experte de la synthèse. Plaisanterie mise à part, je suis juriste de formation mais j’ai commencé à bricoler en informatique, ce qui m’a amenée à rencontrer  notamment Eric Walter et à rejoindre l’Hadopi. Après un passage dans un cabinet de droit de propriété intellectuelle et industrielle, période pendant laquelle, je me suis beaucoup occupée de mon premier « bébé » Hackers Republic, j’ai été embauchée comme assistante parlementaire. J’en suis partie pour monter le Projet Arcadie.

Sérieux, t’as bossé pour la Hadopi ? Mais alors, ça existe ?
Et même que si tu dis le nom de l’institution trois fois, MFM apparaît dans ta douche.

C’est bien comme nom Arcadie, mais pourquoi ce choix ? À cause de l’utopie ?
Officiellement, oui. En réalité, le nom m’a été inspiré par XFiles et Resident Evil.

L’accroche du projet c’est « Pour enfin tout savoir sur les parlementaires français ». C’est alléchant, mais est-ce que ça veut dire qu’on ne sait pas tout sur les parlementaires ? Pourtant il y a des pages Wikipédia, des fiches de l’Assemblée Nationale, les sites web des parlementaires eux-mêmes, des journalistes qui parfois font leur métier et tout… il y a des choses qu’on ignore, donc ?
Il y a toujours des choses qu’on ignore mais en fait, quand j’étais AP (assistante parlementaire), je passais beaucoup de temps à chercher qui étaient les députés, leurs résultats d’élections, leur présence sur le Web, etc. Je ne trouvais rien qui centralise toutes les infos essentielles, notamment les fonctions dans les partis. Or, ce que peu de gens savent, c’est que les élus qui ont des responsabilités au sein de leur parti ne sont pas forcément les plus productifs dans leurs assemblées. Par ailleurs, les fiches sur le site de l’AN et du Sénat sont déclaratives.
Ma valeur ajoutée est la vérification des infos, le croisement : je farfouille partout et je veux que les gens puissent trouver en trois clics les infos qui les intéressent. Par exemple, connaître à l’instant T le nombre de parlementaires LREM, également avocats, toujours en activité.

La page d’accueil du projet Arcadie

Qu’est-ce qui a motivé ce projet au départ ? Tu dis sur ton site que c’était un projet professionnel, et que ça n’a pas abouti. Pas trop aigrie ?
Je me disais que si j’avais un besoin d’infos centralisées, à jour et vérifiées, je ne devais pas être la seule. Au début, je voulais en faire un projet entrepreneurial mais comme je ne suis pas une commerciale, ça ne l’a pas fait. En fait, je suis plus heureuse de ne dépendre que des dons car les gens savent pourquoi ils en font. Le risque de dépendre du mécénat ou de subvention est que tu te muselles pour ne pas déplaire. Et si un jour, ça doit s’arrêter, eh bien, ça s’arrêtera.

Tu pouvais gagner ta vie honorablement en faisant du développement, du droit, du community management, de la sécu, etc. Bref tu as pas mal de cordes à ton arc. Pourquoi avoir choisi un projet comme celui-là et de t’y consacrer à plein temps ?
Pendant un moment, je jonglais entre Arcadie et d’autres activités mais avec l’affaire Fillon, puis l’affaire Le Roux, j’ai été plus exposée médiatiquement et mécaniquement, j’ai eu plus de travail à faire. Pour le moment, je consacre 75 % de mon temps à Arcadie mais on verra dans quelques mois. De ce que j’en vois, ce n’est pas uniquement la plateforme de données qui intéresse les gens mais aussi les livetweets de séance à l’AN, la pédagogie autour de la politique, de la chose parlementaire, les explications, etc. Je pars du principe que si tu veux faire les choses sérieusement, tu dois y consacrer un certain temps donc j’y passe le temps nécessaire.

La question qui pique : est-ce que ce site serait libre d’accès et public si tu avais réussi à le faire financer par une boite ?
Arcadie a été entièrement financé par mes économies 🙂 Aujourd’hui, la plateforme ne vit que de dons et ne reçoit ni mécénat d’entreprises ni subventions publiques. Pour être honnête, 3 jours avant l’affaire Fillon, je disais à ma meilleure amie que si une boîte me mettait une certaine somme d’argent sur la table, j’étais prête à en céder la propriété. Ce n’est plus le cas aujourd’hui ou alors pour un montant colossal.

Toutes ces informations que tu centralises et rends disponibles avec un moteur de recherche et des filtres que l’on peut croiser, tu les trouves où ?
Sur les sites institutionnels, mais aussi les sites des partis politiques, la presse quotidienne régionale, la presse quotidienne, les blogs mais aussi, parfois, certaines informations me sont remontées en off.

Tu t’appuies donc aussi sur ton réseau de connaissances ?
Ça m’arrive mais je veille à avoir une source sérieuse, officielle ou explicite.

Tu récoltes tout à la main ?
Non, quelle drôle d’idée. J’ai des trackers qui font le boulot à ma place. Je me contente de vérifier que les contenus signalés comme ayant subi une modification correspondent à une réelle modification et pas à un faux-positif. Pour les nouvelles infos, je scrape carrément les sites et je fais le tri.

Les contenus textuels ainsi que les images font l’objet d’une licence Creative Commons CC-BY-NC-SA. mais ce qui fait fonctionner la plateforme, c’est sous quelle licence ?
Aujourd’hui, comme il s’agissait d’un concept entrepreneurial, il a été protégé auprès de l’INPI. Si certaines personnes veulent réutiliser les données, elles peuvent déjà s’appuyer sur les mêmes sources que moi. Le reste est aussi CC-BY-NC-SA.

Est-ce que tu utilises des outils libres pour la plateforme et le blog ou bien est-ce que tu as dû faire des concessions pour diverses raisons ?
La plateforme fonctionne avec Drupal et il y a deux outils qui ne sont pas très « propres » mais pour lesquels, j’ai dû faire des concessions. Le premier est Google Analytics mais je compte m’en débarrasser très bientôt et le second est PayPal mais lui va rester car cela permet à mon expert-comptable, qui maîtrise bien l’interface, de suivre les dons pour procéder aux déclarations.

Pour nos lecteurs les plus techies, comment tout ça tourne en arrière-plan ?
Mes trackers ne sont pas reliés à la plateforme. Au départ, c’était mon idée mais je me suis dit que si les sites sur lesquels je posais mes trackers changeaient, j’allais avoir un souci. Donc, les données sont ajoutées par des CSV que je génère moi-même, grâce à mes outils de collecte. De la même manière, si pour une raison ou pour une autre, la plateforme rencontre un gros problème technique qui nécessiterait de tout supprimer pour reconstruire, j’irais clairement plus vite.

Pour le design, j’ai tout refait avec Bootstrap et je suis aidée par un très bon développeur de chez Makina Corpus, que je sollicite parfois quand je « bugue ». Pour l’administration-système, j’ai tout casé chez Gandi, en Simple Hosting – car je n’ai pas assez de connaissances pour prendre un dédié et y installer Apache Solr, pour améliorer la recherche. Cela demanderait aussi d’autres dépenses.

Et maintenant, la grosse question : que penses-tu du rapport des libristes avec la vie politique ?
La question est compliquée car j’ai peur de paraître condescendante dans ma réponse mais j’aurais tendance à dire que le monde libriste fait parfois preuve de naïveté ou de candeur. On s’y figure que la politique est la recherche du Bien pour le plus grand monde, l’intérêt général, etc. C’est le cas mais parfois, pour y arriver, il faut être capable de biaiser, de louvoyer et cela s’accorde mal avec notre tendance jusqu’au-boutiste. Il ne faut pas voir les choses comme étant toutes noires ou toutes blanches. On a beaucoup de nuances de gris.

Beaucoup de connaissances trop approximatives sur les institutions et les rouages de la politique politicienne peut-être ?
Peut-être et surtout, il faut se blinder. Mon apprentissage politique, je l’ai commencé à l’Hadopi, je suis un peu tombée de mon arbre à ce moment-là et quand j’ai fait mes premiers pas à l’Assemblée Nationale, pour un UMP, on était à peine sorti de la guerre Copé-Fillon. Mine de rien, ça forge et j’avais une place d’autant plus privilégiée que je ne prenais pas les coups. Mais je voyais les autres en prendre et en donner. Alors, j’ai observé, j’ai regardé et j’ai appris.

Dans le film d’Henri Verneuil le Président (1961), le vieux président du Conseil, interprété par Jean Gabin, dénonce la corruption des parlementaires.

Parallèlement, tu as sans doute constaté la grande lassitude et même le dégoût de beaucoup pour le fonctionnement du système politique actuel et la recherche d’alternatives plus « citoyennes », qu’en penses-tu ?
Il y aurait tellement à dire sur certaines initiatives qui se disent vertueuses et sur certains qui veulent nous tromper, en nous faisant croire qu’ils œuvrent pour le bien commun, alors que la seule chose qui compte est leur gloriole personnelle. Je n’ai pas cette prétention, je me suis toujours présentée comme une mercenaire, ne représentant que moi-même et c’est déjà assez de boulot.

On voit que tu maîtrises bien ton affaire, mais comment tu fais pour gérer ça toute seule, ça fait beaucoup pour une seule personne, non ?
Je m’organise, je cale ma vie sur l’activité politique et parlementaire. Par exemple, cette année, je partirai en vacances après la session extraordinaire mais avant les sénatoriales. Comme je n’ai pas de contraintes particulières, je m’en sors bien. J’ai parfois des coups de fatigue comme tout le monde, mais dans l’ensemble, je ne me plains pas.

Tu es très proche du milieu politique dans ce qu’il a de plus institutionnel mais aussi dans ce qu’il a de moins ragoûtant : petits arrangements et grosses corruptions, trafic d’influence et abus de pouvoir, est-ce que ta situation n’est pas un peu dangereuse, du moins parfois pénible ?
Au contraire. Il n’y a rien de plus délicieux que de découvrir un « cadavre » sur quelqu’un qui se montre comme étant vertueux.

On imagine que tu subis des pressions régulièrement, non ?
À l’exception d’une personne qui m’emmerde, pour parler vulgairement, assez régulièrement, les autres me fichent la paix. Avant, je n’étais pas assez importante pour leur faire du tort – pensaient-ils – maintenant, tout le monde sait de quoi il retourne. Il ne faut jamais oublier que la personne la plus dangereuse est celle qui n’a rien à perdre. Aux débuts du projet, j’ai été aimable, j’ai souhaité instaurer un dialogue et je me suis fait piétiner. Maintenant que je montre les dents, bizarrement, certaines personnes ont envie de dialoguer.

Hum on devine que certains partis ou certaines personnalités te donnent envie de leur voler dans les plumes si l’on en croit ta récente intervention à Passage En Scène  où tu dénonces la corruption toujours bel et bien présente à quantité de degrés…
Non, je n’ai pas eu de récriminations. Non pas que ça aurait changé quoique ce soit d’ailleurs.

… mais le projet Arcadie se doit d’être factuel et politiquement neutre, non ?
Les données de la plateforme sont neutres. Moi, non. L’expérience m’a aussi montré qu’en étant totalement neutre, les gens ne montraient qu’un intérêt poli sur Twitter. Mais quand tu commences à l’ouvrir, les choses deviennent intéressantes. Il y aura toujours des gens qui seront gênés par ma démarche. C’est leur problème, pas le mien.

Comment tu tiens ce grand écart ? On t’a probablement déjà accusée de partialité, non ?
Régulièrement. On m’a collé tellement d’étiquettes différentes ces derniers mois que je suis la représentation politique des deux assemblées à moi toute seule. La neutralité n’est pas ne pas taper ou ne se moquer de personne mais bien d’emmerder tout le monde, sans parti pris.

Au moment où tu as lancé le projet Arcadie, il a fallu batailler pour faire reconnaître la légitimité/légalité de ta collecte d’informations, il y avait pas mal de réticences dans le milieu parlementaire. Est-ce que maintenant ça va mieux de ce côté ?
Honnêtement, ça va mieux, aussi parce que les nouveaux députés ont une autre mentalité, donc ils discutent avec moi, ils échangent. Côté institutions, j’estime avoir de bons rapports avec la CNCCFP (la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques).
Avec le recul, je me rends compte que j’ai eu une sorte de procès en légitimité de la part de certaines personnes, parce que je n’avais pas un passif militant pur et dur et que je n’avais pas le cursus classique des politiques. Les gens ne savaient pas dans quelle case me ranger.

« Faire parler les élus malgré eux, grâce à l’open data » Tris Acatrinei, conférence sur la petite corruption au quotidien, Passage en Seine, 2017 (cliquer pour voir la conférence)

Est-ce qu’il arrive que des parlementaires ou ceux qui les entourent fassent appel à toi/à Arcadie comme une ressource fiable et informée ?
Dans le cadre du projet de loi moralisation, la députée LREM Aurore Bergé m’a contactée pour qu’on échange sur le sujet. On s’est donc vues et je lui ai parlé de ce que j’avais constaté comme manquements, ce qui pourrait être amélioré, etc. J’ai aussi discuté avec un autre député LREM concernant sa situation professionnelle. De façon générale, je me tiens à disposition de tous les parlementaires qui souhaitent échanger.

Allez je mets les pieds dans le plat : ton projet a une récente concurrence avec une équipe de journalistes qui prétendent faire à peu près la même chose ?
Ce n’est pas le tout de faire une base de données d’informations : encore faut-il la maintenir à jour et ne pas faire d’erreurs. C’est déjà plus compliqué qu’il n’y paraît. Sur la BDD dont tu me parles, j’ai vu des erreurs mais ça montre qu’il y a des points sur lesquels l’information n’a pas été correctement distribuée. Sur le moment, je l’ai mal pris mais le lendemain, ça m’a fait sourire.

Tu as un statut d’auto-entrepreneuse, mais comment tu peux couvrir les frais du site et rémunérer ton travail ? Seulement par des dons ?
J’évite les dépenses inutiles liés au projet donc les dons arrivent à couvrir les frais de fonctionnement, une gestion de bon père de famille comme on dit. Par ailleurs, et je ne m’en suis pas cachée, il m’arrive de collaborer sur des sujets avec des rédactions. Ainsi, la carte de France du népotisme avec Le Lanceur était un travail rémunéré car il fallait vérifier tous les liens familiaux éventuels entre les parlementaires et leurs collaborateurs. J’aimerais faire d’autres travaux du même genre mais Rome ne s’est pas faite en un jour.

Imaginons que subitement tu aies beaucoup plus de moyens à ta disposition, quel serait le développement dont tu rêves pour le projet Arcadie ?
J’en ai une douzaine en tête ! Je dois n’en choisir qu’un ?

On a envie de souhaiter longue vie au projet Arcadie – et pour ça chacun peut y contribuer financièrement et le faire connaître – mais on te laisse (c’est la tradition ici) le dernier mot :
Je me suis fixé un nouvel objectif : les partis politiques. Si l’objectif mensuel se pérennise, je fais une « petite sœur » à Arcadie car il y a un vrai manque sur le sujet. Je commence à avoir le squelette général en tête mais je vais attendre un peu.

 

Pour aller plus loin




Les nouveaux Leviathans III. Du capitalisme de surveillance à la fin de la démocratie ?

Une chronique de Xavier De La Porte1 sur le site de la radio France Culture pointe une sortie du tout nouveau président Emmanuel Macron parue sur le compte Twitter officiel : « Une start-up nation est une nation où chacun peut se dire qu’il pourra créer une startup. Je veux que la France en soit une ». Xavier De La Porte montre à quel point cette conception de la France en « start-up nation » est en réalité une vieille idée, qui reprend les archaïsmes des penseurs libéraux du XVIIe siècle, tout en provoquant un « désenchantement politique ». La série des Nouveaux Léviathans, dont voici le troisième numéro, part justement de cette idée et cherche à en décortiquer les arguments.

Note : voici le troisième volet de la série des Nouveaux (et anciens) Léviathans, initiée en 2016, par Christophe Masutti, alias Framatophe. Pour retrouver les articles précédents, une liste vous est présentée à la fin de celui-ci.

Dans cet article nous allons voir comment ce que Shoshana Zuboff nomme Big Other (cf. article précédent) trouve dans ces archaïques conceptions de l’État un lieu privilégié pour déployer une nouvelle forme d’organisation sociale et politique. L’idéologie-Silicon ne peut plus être aujourd’hui analysée comme un élan ultra-libéral auquel on opposerait des valeurs d’égalité ou de solidarité. Cette dialectique est dépassée car c’est le Contrat Social qui change de nature : la légitimité de l’État repose désormais sur des mécanismes d’expertise2 par lesquels le capitalisme de surveillance impose une logique de marché à tous les niveaux de l’organisation socio-économique, de la décision publique à l’engagement politique. Pour comprendre comment le terrain démocratique a changé à ce point et ce que cela implique dans l’organisation d’une nation, il faut analyser tour à tour le rôle des monopoles numériques, les choix de gouvernance qu’ils impliquent, et comprendre comment cette idéologie est non pas théorisée, mais en quelque sorte auto-légitimée, rendue presque nécessaire, parce qu’aucun choix politique ne s’y oppose. Le capitalisme de surveillance impliquerait-il la fin de la démocratie ?

“Big Brother”, par Stephan Mosel, sous licence CC BY 2.0

Libéralisme et Big Other

Dans Les Nouveaux Leviathans II, j’abordais la question du capitalisme de surveillance sous l’angle de la fin du modèle économique du marché libéral. L’utopie dont se réclame ce dernier, que ce soit de manière rhétorique ou réellement convaincue, suppose une auto-régulation du marché, théorie maintenue en particulier par Friedrich Hayek3. À l’opposé de cette théorie qui fait du marché la seule forme (auto-)équilibrée de l’économie, on trouve des auteurs comme Karl Polanyi4 qui, à partir de l’analyse historique et anthropologique, démontre non seulement que l’économie n’a pas toujours été organisée autour d’un marché libéral, mais aussi que le capitalisme « désencastre » l’économie des relations sociales, et provoque un déni du contrat social.

Or, avec le capitalisme de surveillance, cette opposition (qui date tout de même de la première moitié du XXe siècle) a vécu. Lorsque Shoshana Zuboff aborde la genèse du capitalisme de surveillance, elle montre comment, à partir de la logique de rationalisation du travail, on est passé à une société de marché dont les comportements individuels et collectifs sont quantifiés, analysés, surveillés, grâce aux big data, tout comme le (un certain) management d’entreprise quantifie et rationalise les procédures. Pour S. Zuboff, tout ceci concourt à l’avènement de Big Other, c’est-à-dire un régime socio-économique régulé par des mécanismes d’extraction des données, de marchandisation et de contrôle. Cependant, ce régime ne se confronte pas à l’État comme on pourrait le dire du libertarisme sous-jacent au néolibéralisme qui considère l’État au pire comme contraire aux libertés individuelles, au mieux comme une instance limitative des libertés. Encore pourrait-on dire qu’une dialectique entre l’État et le marché pourrait être bénéfique et aboutirait à une forme d’équilibre acceptable. Or, avec le capitalisme de surveillance, le politique lui-même devient un point d’appui pour Big Other, et il le devient parce que nous avons basculé d’un régime politique à un régime a-politique qui organise les équilibres sociaux sur les principes de l’offre marchande. Les instruments de cette organisation sont les big datas et la capacité de modeler la société sur l’offre.

C’est que je précisais en 2016 dans un ouvrage coordonné par Tristan Nitot, Nina Cercy, Numérique : reprendre le contrôle5, en ces termes :

(L)es firmes mettent en œuvre des pratiques d’extraction de données qui annihilent toute réciprocité du contrat avec les utilisateurs, jusqu’à créer un marché de la quotidienneté (nos données les plus intimes et à la fois les plus sociales). Ce sont nos comportements, notre expérience quotidienne, qui deviennent l’objet du marché et qui conditionne même la production des biens industriels (dont la vente dépend de nos comportements de consommateurs). Mieux : ce marché n’est plus soumis aux contraintes du hasard, du risque ou de l’imprédictibilité, comme le pensaient les chantres du libéralisme du XXe siècle : il est devenu malléable parce que ce sont nos comportements qui font l’objet d’une prédictibilité d’autant plus exacte que les big data peuvent être analysées avec des méthodes de plus en plus fiables et à grande échelle.

Si j’écris que nous sommes passés d’un régime politique à un régime a-politique, cela ne signifie pas que cette transformation soit radicale, bien entendu. Il existe et il existera toujours des tensions idéologiques à l’intérieur des institutions de l’État. C’est plutôt une question de proportions : aujourd’hui, la plus grande partie des décisions et des organes opérationnels sont motivés et guidés par des considérations relevant de situations déclarées impératives et non par des perspectives politiques. On peut citer par exemple le grand mouvement de « rigueur » incitant à la « maîtrise » des dépenses publiques imposée par les organismes financiers européens ; des décisions motivées uniquement par le remboursement des dettes et l’expertise financière et non par une stratégie du bien-être social. On peut citer aussi, d’un point de vue plus local et français, les contrats des institutions publiques avec Microsoft, à l’instar de l’Éducation Nationale, à l’encontre de l’avis d’une grande partie de la société civile, au détriment d’une offre différente (comme le libre et l’open source) et dont la justification est uniquement donnée par l’incapacité de la fonction publique à envisager d’autres solutions techniques, non par ignorance, mais à cause du détricotage massif des compétences internes. Ainsi « rationaliser » les dépenses publiques revient en fait à se priver justement de rationalité au profit d’une simple adaptation de l’organisation publique à un état de fait, un déterminisme qui n’est pas remis en question et condamne toute idéologie à être non pertinente.

Ce n’est pas pour autant qu’il faut ressortir les vieilles théories de la fin de l’histoire. Qui plus est, les derniers essais du genre, comme la thèse de Francis Fukuyama6, se sont concentrés justement sur l’avènement de la démocratie libérale conçue comme le consensus ultime mettant fin aux confrontations idéologiques (comme la fin de la Guerre Froide). Or, le capitalisme de surveillance a minima repousse toute velléité de consensus, au-delà du libéralisme, car il finit par définir l’État tout entier comme un instrument d’organisation, quelle que soit l’idéologie : si le nouveau régime de Big Other parvient à organiser le social, c’est aussi parce que ce dernier a désengagé le politique et relègue la décision publique au rang de validation des faits, c’est-à-dire l’acceptation des contrats entre les individus et les outils du capitalisme de surveillance.

Les mécanismes ne sont pas si nombreux et tiennent en quatre points :

  • le fait que les firmes soient des multinationales et surfent sur l’offre de la moins-disance juridique pour s’établir dans les pays (c’est la pratique du law shopping),
  • le fait que l’utilisation des données personnelles soit déloyale envers les individus-utilisateurs des services des firmes qui s’approprient les données,
  • le fait que les firmes entre elles adoptent des processus loyaux (pactes de non-agression, partage de marchés, acceptation de monopoles, rachats convenus, etc.) et passent des contrats iniques avec les institutions, avec l’appui de l’expertise, faisant perdre aux États leur souveraineté numérique,
  • le fait que les monopoles « du numérique » diversifient tellement leurs activités vers les secteurs industriels qu’ils finissent par organiser une grande partie des dynamiques d’innovation et de concurrence à l’échelle mondiale.

Pour résumer les trois conceptions de l’économie dont il vient d’être question, on peut dresser ce tableau :

Économie Forme Individus État
Économie spontanée Diversité et créativité des formes d’échanges, du don à la financiarisation Régulent l’économie par la démocratie ; les échanges sont d’abord des relations sociales Garant de la redistribution équitable des richesses ; régulateur des échanges et des comportements
Marché libéral Auto-régulation, défense des libertés économiques contre la décision publique (conception libérale de la démocratie : liberté des échanges et de la propriété) Agents consommateurs décisionnaires dans un milieu concurrentiel Réguler le marché contre ses dérives inégalitaires ; maintient une démocratie plus ou moins forte
Capitalisme de surveillance Les monopoles façonnent les échanges, créent (tous) les besoins en fonction de leurs capacités de production et des big data Sont exclusivement utilisateurs des biens et services Automatisation du droit adapté aux besoins de l’organisation économique ; sécurisation des conditions du marché

Il est important de comprendre deux aspects de ce tableau :

  • il ne cherche pas à induire une progression historique et linéaire entre les différentes formes de l’économie et des rapports de forces : ces rapports sont le plus souvent diffus, selon les époques, les cultures. Il y a une économie spontanée à l’Antiquité comme on pourrait par exemple, comprendre les monnaies alternatives d’aujourd’hui comme des formes spontanées d’organisation des échanges.
  • aucune de ces cases ne correspond réellement à des conceptions théorisées. Il s’agit essentiellement de voir comment le capitalisme de surveillance induit une distorsion dans l’organisation économique : alors que dans des formes classiques de l’organisation économique, ce sont les acteurs qui produisent l’organisation, le capitalisme de surveillance induit non seulement la fin du marché libéral (vu comme place d’échange équilibrée de biens et services concurrentiels) mais exclut toute possibilité de régulation par les individus / citoyens : ceux-ci sont vus uniquement comme des utilisateurs de services, et l’État comme un pourvoyeur de services publics. La décision publique, elle, est une affaire d’accord entre les monopoles et l’État.

“FREE SPEECH” par Newtown grafitti, licence CC BY 2.0

Les monopoles et l’État

Pour sa première visite en Europe, Sundar Pichai qui était alors en février 2016 le nouveau CEO de Google Inc. , choisit les locaux de Sciences Po. Paris pour tenir une conférence de presse7, en particulier devant les élèves de l’école de journalisme. Le choix n’était pas anodin, puisqu’à ce moment-là Google s’est présenté en grand défenseur de la liberté d’expression (par un ensemble d’outils, de type reverse-proxy que la firme est prête à proposer aux journalistes pour mener leurs investigations), en pourvoyeur de moyens efficaces pour lutter contre le terrorisme, en proposant à qui veut l’entendre des partenariats avec les éditeurs, et de manière générale en s’investissant dans l’innovation numérique en France (voir le partenariat Numa / Google). Tout cela démontre, s’il en était encore besoin, à quel point la firme Google (et Alphabet en général) est capable de proposer une offre si globale qu’elle couvre les fonctions de l’État : en réalité, à Paris lors de cette conférence, alors que paradoxalement elle se tenait dans les locaux où étudient ceux qui demain sont censés remplir des fonctions régaliennes, Sundar Pichai ne s’adressait pas aux autorités de l’État mais aux entreprises (éditeurs) pour leur proposer des instruments qui garantissent leurs libertés. Avec comme sous-entendu : vous évoluez dans un pays dont la liberté d’expression est l’un des fleurons, mais votre gouvernement n’est pas capable de vous le garantir mieux que nous, donc adhérez à Google. Les domaines de la santé, des systèmes d’informations et l’éducation en sont pas exempts de cette offre « numérique ».

Du côté du secteur public, le meilleur moyen de ne pas perdre la face est de monter dans le train suivant l’adage « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur ». Par exemple, si Google et Facebook ont une telle puissance capable de mener efficacement une lutte, au moins médiatique, contre le terrorisme, à l’instar de leurs campagnes de propagande8, il faut créer des accords de collaboration entre l’État et ces firmes9, quitte à les faire passer comme une exigence gouvernementale (mais quel État ne perdrait pas la face devant le poids financier des GAFAM ?).

… Et tout cela crée un marché de la gouvernance dans lequel on ne compte plus les millions d’investissement des GAFAM. Ainsi, la gouvernance est un marché pour Microsoft, qui lance un Office 2015 spécial « secteur public », ou, mieux, qui sait admirablement se situer dans les appels d’offre en promouvant des solutions pour tous les besoins d’organisation de l’État. Par exemple, la présentation des activités de Microsoft dans le secteur public sur son site comporte ces items :

  • Stimulez la transformation numérique du secteur public
  • Optimisez l’administration publique
  • Transformez des services du secteur public
  • Améliorez l’efficacité des employés du secteur public
  • Mobilisez les citoyens

Microsoft dans le secteur public

Microsoft Office pour le secteur public

D’aucuns diraient que ce que font les GAFAM, c’est proposer un nouveau modèle social. Par exemple dans une enquête percutante sur les entreprises de la Silicon Valley, Philippe Vion-Dury définit ce nouveau modèle comme « politiquement technocratique, économiquement libéral, culturellement libertaire, le tout nimbé de messianisme typiquement américain »10. Et il a entièrement raison, sauf qu’il ne s’agit pas d’un modèle social, c’est justement le contraire, c’est un modèle de gouvernance sans politique, qui considère le social comme la juxtaposition d’utilisateurs et de groupes d’utilisateurs. Comme le montre l’offre de Microsoft, si cette firme est capable de fournir un service propre à « mobiliser les citoyens  » et si en même temps, grâce à ce même fournisseur, vous avez les outils pour transformer des services du secteur public, quel besoin y aurait-il de voter, de persuader, de discuter ? si tous les avis des citoyens sont analysés et surtout anticipés par les big datas, et si les seuls outils efficaces de l’organisation publique résident dans l’offre des GAFAM, quel besoin y aurait-il de parler de démocratie  ?

En réalité, comme on va le voir, tout cette nouvelle configuration du capitalisme de surveillance n’est pas seulement rendue possible par la puissance novatrice des monopoles du numérique. C’est peut-être un biais : penser que leur puissance d’innovation est telle qu’aucune offre concurrente ne peut exister. En fait, même si l’offre était moindre, elle n’en serait pas moins adoptée car tout réside dans la capacité de la décision publique à déterminer la nécessité d’adopter ou non les services des GAFAM. C’est l’aménagement d’un terrain favorable qui permet à l’offre de la gouvernance numérique d’être proposée. Ce terrain, c’est la décision par l’expertise.


“Work-buy-consume-die”, par Mika Raento, sous licence CC BY 2.0
(trad. : « Participez à l’hilarante aventure d’une vie : travaillez, achetez, consommez, mourez. »)

L’accueil favorable au capitalisme de surveillance

Dans son livre The united states of Google11, Götz Haman fait un compte-rendu d’une conférence durant laquelle interviennent Eric Schmidt, alors président du conseil d’administration de Google, et son collègue Jared Cohen. Ces derniers ont écrit un ouvrage (The New Digital Age) qu’ils présentent dans les grandes lignes. Götz Haman le résume en ces termes : « Aux yeux de Google, les États sont dépassés. Ils n’ont rien qui permette de résoudre les problèmes du XXIe siècle, tels le changement climatique, la pauvreté, l’accès à la santé. Seules les inventions techniques peuvent mener vers le Salut, affirment Schmidt et son camarade Cohen. »

Une fois cette idéologie — celle du capitalisme de surveillance12 — évoquée, il faut s’interroger sur la raison pour laquelle les États renvoient cette image d’impuissance. En fait, les sociétés occidentales modernes ont tellement accru leur consommation de services que l’offre est devenue surpuissante, à tel point, comme le montre Shoshanna Zuboff, que les utilisateurs eux-mêmes sont devenus à la fois les pourvoyeurs de matière première (les données) et les consommateurs. Or, si nous nous plaçons dans une conception de la société comme un unique marché où les relations sociales peuvent être modelées par l’offre de services (ce qui se cristallise aujourd’hui par ce qu’on nomme dans l’expression-valise « Uberisation de la société »), ce qui relève de la décision publique ne peut être motivé que par l’analyse de ce qu’il y a de mieux pour ce marché, c’est-à-dire le calcul de rentabilité, de rendement, d’efficacité… d’utilité. Or cette analyse ne peut être à son tour fournie par une idéologie visionnaire, une utopie ou simplement l’imaginaire politique : seule l’expertise de l’état du monde pour ce qu’il est à un instant T permet de justifier l’action publique. Il faut donc passer du concept de gouvernement politique au concept de gouvernance par les instruments. Et ces instruments doivent reposer sur les GAFAM.

Pour comprendre au mieux ce que c’est que gouverner par les instruments, il faut faire un petit détour conceptuel.

L’expertise et les instruments

Prenons un exemple. La situation politique qu’a connue l’Italie après novembre 2011 pourrait à bien des égards se comparer avec la récente élection en France d’Emmanuel Macron et les élections législatives qui ont suivi. En effet, après le gouvernement de Silvio Berlusconi, la présidence italienne a nommé Mario Monti pour former un gouvernement dont les membres sont essentiellement reconnus pour leurs compétences techniques appliquées en situation de crise économique. La raison du soutien populaire à cette nomination pour le moins discutable (M. Monti a été nommé sénateur à vie, reconnaissance habituellement réservée aux anciens présidents de République Italienne) réside surtout dans le désaveu de la casta, c’est-à-dire le système des partis qui a dominé la vie politique italienne depuis maintes années et qui n’a pas réussi à endiguer les effets de la crise financière de 2008. Si bien que le gouvernement de Mario Monti peut être qualifié de « gouvernement des experts », non pas un gouvernement technocratique noyé dans le fatras administratif des normes et des procédures, mais un gouvernement à l’image de Mario Monti lui-même, ex-commissaire européen au long cours, motivé par la nécessité technique de résoudre la crise en coopération avec l’Union Européenne. Pour reprendre les termes de l’historien Peppino Ortoleva, à propos de ce gouvernement dans l’étude de cas qu’il consacre à l’Italie13 en 2012 :

Le « gouvernement des experts » se présente d’un côté comme le gouvernement de l’objectivité et des chiffres, celui qui peut rendre compte à l’Union européenne et au système financier international, et d’un autre côté comme le premier gouvernement indépendant des partis.

Peppino Ortoleva conclut alors que cet exemple italien ne représente que les prémices pour d’autres gouvernements du même acabit dans d’autres pays, avec tous les questionnements que cela suppose en termes de débat politique et démocratique : si en effet la décision publique n’est mue que par la nécessité (ici la crise financière et la réponse aux injonctions de la Commission européenne) quelle place peut encore tenir le débat démocratique et l’autonomie décisionnaire des peuples ?

En son temps déjà le « There is no alternative » de Margaret Thatcher imposait par la force des séries de réformes au nom de la nécessité et de l’expertise économiques. On ne compte plus, en Europe, les gouvernements qui nomment des groupes d’expertise, conseils et autres comités censés répondre aux questions techniques que pose l’environnement économique changeant, en particulier en situation de crise.

Cette expertise a souvent été confondue avec la technocratie, à l’instar de l’ouvrage de Vincent Dubois et Delphine Dulong publié en 2000, La question technocratique14. Lorsqu’en effet la décision publique se justifie exclusivement par la nécessité, cela signifie que cette dernière est définie en fonction d’une certaine compréhension de l’environnement socio-économique. Par exemple, si l’on part du principe que la seule réponse à la crise financière est la réduction des dépenses publiques, les technocrates inventeront les instruments pour rendre opérationnelle la décision publique, les experts identifieront les méthodes et l’expertise justifiera les décisions (on remet en cause un avis issu d’une estimation de ce que devrait être le monde, mais pas celui issu d’un calcul d’expert).

La technocratie comme l’expertise se situent hors des partis, mais la technocratie concerne surtout l’organisation du gouvernement. Elle répond souvent aux contraintes de centralisation de la décision publique. Elle crée des instruments de surveillance, de contrôle, de gestion, etc. capables de permettre à un gouvernement d’imposer, par exemple, une transformation économique du service public. L’illustration convaincante est le gouvernement Thatcher, qui dès 1979 a mis en place plusieurs instruments de contrôle visant à libéraliser le secteur public en cassant les pratiques locales et en imposant un système concurrentiel. Ce faisant, il démontrait aussi que le choix des instruments suppose aussi des choix d’exercice du pouvoir, tels ceux guidés par la croyance en la supériorité des mécanismes de marché pour organiser l’économie15.

Gouverner par l’expertise ne signifie donc pas que le gouvernement manque de compétences en son sein pour prendre les (bonnes ou mauvaises) décisions publiques. Les technocrates existent et sont eux aussi des experts. En revanche, l’expertise permet surtout de justifier les choix, les stratégies publiques, en interprétant le monde comme un environnement qui contraint ces choix, sans alternative.

En parlant d’alternative, justement, on peut s’interroger sur celles qui relèvent de la société civile et portées tant bien que mal à la connaissance du gouvernement. La question du logiciel libre est, là encore, un bon exemple.

En novembre 2016, Framasoft publiait un billet retentissant intitulé « Pourquoi Framasoft n’ira plus prendre le thé au ministère de l’Éducation Nationale ». La raison de ce billet est la prise de conscience qu’après plus de treize ans d’efforts de sensibilisation au logiciel libre envers les autorités publiques, et en particulier l’Éducation Nationale, Framasoft ne pouvait plus dépenser de l’énergie à coopérer avec une telle institution si celle-ci finissait fatalement par signer contrats sur contrats avec Microsoft ou Google. En fait, le raisonnement va plus loin et j’y reviendrai plus tard dans ce texte. Mais il faut comprendre que ce à quoi Framasoft s’est confronté est exactement ce gouvernement par l’expertise. En effet, les communautés du logiciel libre n’apportent une expertise que dans la mesure où elles proposent de changer de modèle : récupérer une autonomie numérique en développant des compétences et des initiatives qui visent à atteindre un fonctionnement idéal (des données protégées, des solutions informatiques modulables, une contribution collective au code, etc.). Or, ce que le gouvernement attend de l’expertise, ce n’est pas un but à atteindre, c’est savoir comment adapter l’organisation au modèle existant, c’est-à-dire celui du marché.

Dans le cadre des élections législatives, l’infatigable association APRIL (« promouvoir et défendre le logiciel libre ») lance sa campagne de promotion de la priorité au logiciel libre dans l’administration publique. À chaque fois, la campagne connaît un certain succès et des députés s’engagent réellement dans cette cause qu’ils plaident même à l’intérieur de l’Assemblée Nationale. Sous le gouvernement de F. Hollande, on a entendu des députés comme Christian Paul ou Isabelle Attard avancer les arguments les plus pertinents et sans ménager leurs efforts, convaincus de l’intérêt du Libre. À leur image, il serait faux de dire que la sphère politique est toute entière hermétique au logiciel libre et aux équilibres numériques et économiques qu’il porte en lui. Peine perdue ? À voir les contrats passés entre le gouvernement et les GAFAM, c’est un constat qu’on ne peut pas écarter et sans doute au profit d’une autre forme de mobilisation, celle du peuple lui-même, car lui seul est capable de porter une alternative là où justement la politique a cédé la place : dans la décision publique.

La rencontre entre la conception du marché comme seule organisation gouvernementale des rapports sociaux et de l’expertise qui détermine les contextes et les nécessités de la prise de décision a permis l’émergence d’un terrain favorable à l’État-GAFAM. Pour s’en convaincre il suffit de faire un tour du côté de ce qu’on a appelé la « modernisation de l’État ».

Les firmes à la gouvernance numérique

Anciennement la Direction des Systèmes d’Information (DSI), la DINSIC (Direction Interministérielle du Numérique et du Système d’Information et de Communication) définit les stratégies et pilote les structures informationnelles de l’État français. Elle prend notamment part au mouvement de « modernisation » de l’État. Ce mouvement est en réalité une cristallisation de l’activité de réforme autour de l’informatisation commencée dans les années 1980. Cette activité de réforme a généré des compétences et assez d’expertise pour être institutionnalisée (DRB, DGME, aujourd’hui DIATP — Direction interministérielle pour l’accompagnement des transformations publiques). On se perd facilement à travers les acronymes, les ministères de rattachement, les changements de noms au rythme des fusions des services entre eux. Néanmoins, le concept même de réforme n’a pas évolué depuis les grandes réformes des années 1950 : il faut toujours adapter le fonctionnement des administrations publiques au monde qui change, en particulier le numérique.

La différence, aujourd’hui, c’est que cette adaptation ne se fait pas en fonction de stratégies politiques, mais en fonction d’un cadre de productivité, dont on dit qu’il est un « contrat de performance » ; cette performance étant évaluée par des outils de contrôle : augmenter le rendement de l’administration en « rationalisant » les effectifs, automatiser les services publics (par exemple déclarer ses impôts en ligne, payer ses amendes en lignes, etc.), expertiser (accompagner) les besoins des systèmes d’informations selon les offres du marché, limiter les instances en adaptant des méthodes agiles de prise de décision basées sur des outils numériques de l’analyse de data, maîtrise des coûts….

C’est que nous dit en substance la Synthèse présentant le Cadre stratégique commun du système d’information de l’Etat, c’est-à-dire la feuille de route de la DINSIC. Dans une section intitulée « Pourquoi se transformer est une nécessite ? », on trouve :

Continuer à faire évoluer les systèmes d’information est nécessaire pour répondre aux enjeux publics de demain : il s’agit d’un outil de production de l’administration, qui doit délivrer des services plus performants aux usagers, faciliter et accompagner les réformes de l’État, rendre possible les politiques publiques transverses à plusieurs administrations, s’intégrer dans une dimension européenne.

Cette feuille de route concerne en fait deux grandes orientations : l’amélioration de l’organisation interne aux institutions gouvernementales et les interfaces avec les citoyens. Il est flagrant de constater que, pour ce qui concerne la dimension interne, certains projets que l’on trouve mentionnés dans le Panorama des grands projets SI de l’Etat font appel à des solutions open source et les opérateurs sont publics, notamment par souci d’efficacité, comme c’est le cas, par exemple pour le projet VITAM, relatif à l’archivage. En revanche, lorsqu’il s’agit des relations avec les citoyens-utilisateurs, c’est-à-dires les « usagers », ce sont des entreprises comme Microsoft qui entrent en jeu et se substituent à l’État, comme c’est le cas par exemple du grand projet France Connect, dont Microsoft France est partenaire.

En effet, France Connect est une plateforme centralisée visant à permettre aux citoyens d’effectuer des démarches en ligne (pour les particuliers, pour les entreprises, etc.). Pour permettre aux collectivités et aux institutions qui mettent en place une « offre » de démarche en ligne, Microsoft propose en open source des « kit de démarrage », c’est à dire des modèles, qui vont permettre à ces administrations d’offrir ces services aux usagers. En d’autres termes, c’est chaque collectivité ou administration qui va devenir fournisseur de service, dans un contexte de développement technique mutualisé (d’où l’intérêt ici de l’open source). Ce faisant, l’État n’agit plus comme maître d’œuvre, ni même comme arbitre : c’est Microsoft qui se charge d’orchestrer (par les outils techniques choisis, et ce n’est jamais neutre) un marché de l’offre de services dont les acteurs sont les collectivités et administrations. De là, il est tout à fait possible d’imaginer une concurrence, par exemple entre des collectivités comme les mairies, entre celles qui auront une telle offre de services permettant d’attirer des contribuables et des entreprises sur son territoire, et celles qui resteront coincées dans les procédures administratives réputées archaïques.

Microsoft : contribuer à FranceConnect

En se plaçant ainsi non plus en prestataire de produits mais en tuteur, Microsoft organise le marché de l’offre de service public numérique. Mais la firme va beaucoup plus loin, car elle bénéficie désormais d’une grande expérience, reconnue, en matière de service public. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’anticiper les besoins et les changements, elle est non seulement à la pointe de l’expertise mais aussi fortement enracinée dans les processus de la décision publique. Sur le site Econocom en 2015, l’interview de Raphaël Mastier16, directeur du pôle Santé de Microsoft France, est éloquent sur ce point. Partant du principe que « historiquement le numérique n’a pas été considéré comme stratégique dans le monde hospitalier », Microsoft propose des outils « d’analyse et de pilotage », et même l’utilisation de l’analyse prédictive des big data pour anticiper les temps d’attentes aux urgences : « grâce au machine learning, il sera possible de s’organiser beaucoup plus efficacement ». Avec de tels arguments, en effet, qui irait à l’encontre de l’expérience microsoftienne dans les services publics si c’est un gage d’efficacité ? on comprend mieux alors, dans le monde hospitalier, l’accord-cadre CAIH-Microsoft qui consolide durablement le marché Microsoft avec les hôpitaux.

Au-delà de ces exemples, on voit bien que cette nouvelle forme de gouvernance à la Big Other rend ces instruments légitimes car ils produisent le marché et donc l’organisation sociale. Cette transformation de l’État est parfaitement assumée par les autorités, arguant par exemple dans un billet sur gouvernement.fr intitulé « Le numérique : instrument de la transformation de l’État », en faveur de l’allégement des procédures, de la dématérialisation, de la mise à disposition des bases de données (qui va les valoriser ?), etc. En somme autant d’arguments dont il est impossible de nier l’intérêt collectif et qui font, en règle générale, l’objet d’un consensus.

Le groupe canadien CGI, l’un des leaders mondiaux en technologies et gestion de l’information, œuvre aussi en France, notamment en partenariat avec l’UGAP (Union des Groupements d’Achats Publics). Sur son blog, dans un Billet du 2 mai 201717, CGI résume très bien le discours dominant de l’action publique dans ce domaine (et donc l’intérêt de son offre de services), en trois points :

  1. Réduire les coûts. Le sous-entendu consiste à affirmer que si l’État organise seul sa transformation numérique, le budget sera trop conséquent. Ce qui reste encore à prouver au vu des montants en jeu dans les accords de partenariat entre l’État et les firmes, et la nature des contrats (on peut souligner les clauses concernant les mises à jour chez Microsoft) ;
  2. Le secteur public accuse un retard numérique. C’est l’argument qui justifie la délégation du numérique sur le marché, ainsi que l’urgence des décisions, et qui, par effet de bord, contrevient à la souveraineté numérique de l’État.
  3. Il faut améliorer « l’expérience citoyen ». C’est-à-dire que l’objectif est de transformer tous les citoyens en utilisateurs de services publics numériques et, comme on l’a vu plus haut, organiser une offre concurrentielle de services entre les institutions et les collectivités.

Du côté des décideurs publics, les choix et les décisions se justifient sur un mode Thatchérien (il n’y a pas d’alternative). Lorsqu’une alternative est proposée, tel le logiciel libre, tout le jeu consiste à donner une image politique positive pour ensuite orienter la stratégie différemment.

Sur ce point, l’exemple de Framasoft est éloquent et c’est quelque chose qui n’a pas forcément été perçu lors de la publication de la déclaration « Pourquoi Framasoft n’ira plus prendre le thé…» (citée précédemment). Il s’agit de l’utilisation de l’alternative libriste pour légitimer l’appel à une offre concurrentielle sur le marché des firmes. En effet, les personnels de l’Éducation Nationale utilisent massivement les services que Framasoft propose dans le cadre de sa campagne « Degooglisons Internet ». Or, l’institution pourrait très bien, sur le modèle promu par Framasoft, installer ces mêmes services, et ainsi offrir ces solutions pour un usage généralisé dans les écoles, collèges et lycées. C’est justement le but de la campagne de Framasoft que de proposer une vaste démonstration pour que des organisations retrouvent leur autonomie numérique. Les contacts que Framasoft a noué à ce propos avec différentes instances de l’Éducation Nationale se résumaient finalement soit à ce que Framasoft et ses bénévoles proposent un service à la carte dont l’ambition est bien loin d’une offre de service à l’échelle institutionnelle, soit participe à quelques comités d’expertise sur le numérique à l’école. L’idée sous-jacente est que l’Éducation Nationale ne peut faire autrement que de demander à des prestataires de mettre en place une offre numérique clé en main et onéreuse, alors même que Framasoft propose tous ses services au grand public avec des moyens financiers et humains ridiculement petits.

Dès lors, après la signature du partenariat entre le MEN et Microsoft, le message a été clairement formulé à Framasoft (et aux communautés du Libre en général), par un Tweet de la Ministre Najat Vallaud-Belkacem exprimant en substance la « neutralité technologique » du ministère (ce qui justifie donc le choix de Microsoft comme objectivement la meilleure offre du marché) et l’idée que les « éditeurs de logiciels libres » devraient proposer eux aussi leurs solutions, c’est-à-dire entrer sur le marché concurrentiel. Cette distorsion dans la compréhension de ce que sont les alternatives libres (non pas un produit mais un engagement) a été confirmée à plusieurs reprises par la suite : les solutions libres et leurs usages à l’Éducation Nationale peuvent être utilisées pour « mettre en tension » le marché et négocier des tarifs avec les firmes comme Microsoft, ou du moins servir d’épouvantail (dont on peut s’interroger sur l’efficacité réelle devant la puissance promotionnelle et lobbyiste des firmes en question).

On peut conclure de cette histoire que si la décision publique tient à ce point à discréditer les solutions alternatives qui échappent au marché des monopoles, c’est qu’une idéologie est à l’œuvre qui empêche toute forme d’initiative qui embarquerait le gouvernement dans une dynamique différente. Elle peut par exemple placer les décideurs devant une incapacité structurelle18 de choisir des alternatives proposant des logiciels libres, invoquant par exemple le droit des marchés publics voire la Constitution, alors que l’exclusion du logiciel libre n’est pas réglementaire19.

Ministre de l’Éducation Nationale et Microsoft

L’idéologie de Silicon

En février 2017, quelques jours à peine après l’élection de Donald Trump à présidence des États-Unis, le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, publie sur son blog un manifeste20 remarquable à l’encontre de la politique isolationniste et réactionnaire du nouveau président. Il cite notamment tous les outils que Facebook déploie au service des utilisateurs et montre combien ils sont les vecteurs d’une grande communauté mondiale unie et solidaire. Tous les concepts de la cohésion sociale y passent, de la solidarité à la liberté de l’information, c’est-à-dire ce que le gouvernement est, aux yeux de Zuckerberg, incapable de garantir correctement à ses citoyens, et ce que les partisans de Trump en particulier menacent ouvertement.

Au moins, si les idées de Mark Zuckerberg semblent pertinentes aux yeux des détracteurs de Donald Trump, on peut néanmoins s’interroger sur l’idéologie à laquelle se rattache, de son côté, le PDG de Facebook. En réalité, pour lui, Donald Trump est la démonstration évidente que l’État ne devrait occuper ni l’espace social ni l’espace économique et que seul le marché et l’offre numérique sont en mesure d’intégrer les relations sociales.

Cette idéologie a déjà été illustrée par Fred Tuner, dans son ouvrage Aux sources de l’utopie numérique21. À propos de ce livre, j’écrivais en 201622 :

(…) Fred Turner montre comment les mouvements communautaires de contre-culture ont soit échoué par désillusion, soit se sont recentrés (surtout dans les années 1980) autour de techno-valeurs, en particulier portées par des leaders charismatiques géniaux à la manière de Steve Jobs un peu plus tard. L’idée dominante est que la revendication politique a échoué à bâtir un monde meilleur ; c’est en apportant des solutions techniques que nous serons capables de résoudre nos problèmes.

Cette analyse un peu rapide passe sous silence la principale clé de lecture de Fred Tuner : l’émergence de nouveaux modes d’organisation économique du travail, en particulier le freelance et la collaboration en réseau. Comme je l’ai montré, le mouvement de la contre-culture californienne des années 1970 a permis la création de nouvelles pratiques d’échanges numériques utilisant les réseaux existants, comme le projet Community Memory, c’est-à-dire des utopies de solidarité, d’égalité et de liberté d’information dans une Amérique en proie au doute et à l’autoritarisme, notamment au sortir de la Guerre du Vietnam. Mais ce faisant, les années 1980, elles, ont développé à partir de ces idéaux la vision d’un monde où, en réaction à un État conservateur et disciplinaire, ce dernier se trouverait dépossédé de ses prérogatives de régulation, au profit de l’autonomie des citoyens dans leurs choix économiques et leurs coopérations. C’est l’avènement des principes du libertarisme grâce aux outils numériques. Et ce que montre Fred Turner, c’est que ce mouvement contre-culturel a ainsi paradoxalement préparé le terrain aux politiques libérales de dérégulation économique des années 1980-1990. C’est la volonté de réduire au strict minimum le rôle de l’État, garant des libertés individuelles, afin de permettre aux individus d’exercer leurs droits de propriété (sur leurs biens et sur eux-mêmes) dans un ordre social qui se définit uniquement comme un marché. À ce titre, pour ce qu’il est devenu, ce libertarisme est une résurgence radicale du libéralisme à la Hayek (la société démocratique libérale est un marché concurrentiel) doublé d’une conception utilitaire des individus et de leurs actions.

Néanmoins, tels ne sont pas exactement les principes du libertarisme, mais ceux-ci ayant cours dans une économie libérale, ils ne peuvent qu’aboutir à des modèles économiques basés sur une forme de collaboration dérégulée, anti-étatique, puisque la forme du marché, ici, consiste à dresser la liberté des échanges et de la propriété contre un État dont les principes du droit sont vécus comme arbitrairement interventionnistes. Les concepts tels la solidarité, l’égalité, la justice sont remplacés par l’utilité, le choix, le droit.

Un exemple intéressant de ce renversement concernant le droit, est celui du droit de la concurrence appliqué à la question de la neutralité des plateformes, des réseaux, etc. Regardons les plateformes de service. Pourquoi assistons-nous à une forme de schizophrénie entre une Commission européenne pour qui la neutralité d’internet et des plateformes est une condition d’ouverture de l’économie numérique et la bataille contre cette même neutralité appliquée aux individus censés être libres de disposer de leurs données et les protéger, notamment grâce au chiffrement ? Certes, les mesures de lutte contre le terrorisme justifient de s’interroger sur la pertinence d’une neutralité absolue (s’interroger seulement, car le chiffrement ne devrait jamais être remis en cause), mais la question est surtout de savoir quel est le rôle de l’État dans une économie numérique ouverte reposant sur la neutralité d’Internet et des plateformes. Dès lors, nous avons d’un côté la nécessité que l’État puisse intervenir sur la circulation de l’information dans un contexte de saisie juridique et de l’autre celle d’une volontaire absence du Droit dans le marché numérique.

Pour preuve, on peut citer le président de l’Autorité de la concurrence en France, Bruno Lassere, auditionné à l’Assemblée Nationale le 7 juillet 201523. Ce dernier cite le Droit de la Concurrence et ses applications comme un instrument de lutte contre les distorsions du marché, comme les monopoles à l’image de Google/Alphabet. Mais d’un autre côté, le Droit de la Concurrence est surtout vu comme une solution d’auto-régulation dans le contexte de la neutralité des plates-formes :

(…) Les entreprises peuvent prendre des engagements par lesquels elles remédient elles-mêmes à certains dysfonctionnements. Il me semble important que certains abus soient corrigés à l’intérieur du marché et non pas forcément sur intervention législative ou régulatrice. C’est ainsi que Booking, Expedia et HRS se sont engagées à lever la plupart des clauses de parité tarifaire qui interdisent une véritable mise en compétition de ces plateformes de réservation hôtelières. Comment fonctionnent ces clauses ? Si un hôtel propose à Booking douze nuitées au prix de 100 euros la chambre, il ne peut offrir de meilleures conditions – en disponibilité ou en tarif – aux autres plateformes. Il ne peut pas non plus pratiquer un prix différent à ses clients directs. Les engagements signés pour lever ces contraintes sont gagnants-gagnants : ils respectent le modèle économique des plateformes, et donc l’incitation à investir et à innover, tout en rétablissant plus de liberté de négociation. Les hôtels pourront désormais mettre les plateformes en concurrence.

Sur ce point, il ne faut pas s’interroger sur le mécanisme de concurrence qu’il s’agit de promouvoir mais sur l’implication d’une régulation systématique de l’économie numérique par le Droit de la Concurrence. Ainsi le rapport Numérique et libertés présenté Christian Paul et Christiane Féral-Schuhl, propose un long développement sur la question des données personnelles mais cite cette partie de l’audition de Bruno Lasserre à propos du Droit de la Concurrence sans revenir sur la conception selon laquelle l’alpha et l’omega du Droit consiste à aménager un environnement concurrentiel « sain » à l’intérieur duquel les mécanismes de concurrence suffisent à eux-seuls à appliquer des principes de loyauté, d’équité ou d’égalité.

Cette absence de questionnement politique sur le rôle du Droit dans un marché où la concentration des services abouti à des monopoles finit par produire immanquablement une forme d’autonomie absolue de ces monopoles dans les mécanismes concurrentiels, entre une concurrence acceptable et une concurrence non-souhaitable. Tel est par exemple l’objet de multiples pactes passés entre les grandes multinationales du numérique, ainsi entre Microsoft et AOL, entre AOL / Yahoo et Microsoft, entre Intertrust et Microsoft, entre Apple et Google (pacte géant), entre Microsoft et Android, l’accord entre IBM et Apple en 1991 qui a lancé une autre vague d’accords du côté de Microsoft tout en définissant finalement l’informatique des années 1990, etc.

La liste de tels accords peut donner le tournis à n’importe quel juriste au vu de leurs implications en termes de Droit, surtout lorsqu’ils sont déclinés à de multiples niveaux nationaux. L’essentiel est de retenir que ce sont ces accords entre monopoles qui définissent non seulement le marché mais aussi toutes nos relations avec le numérique, à tel point que c’est sur le même modèle qu’agit le politique aujourd’hui.

Ainsi, face à la puissance des GAFAM et consorts, les gouvernements se placent en situation de demandeurs. Pour prendre un exemple récent, à propos de la lutte anti-terroriste en France, le gouvernement ne fait pas que déléguer une partie de ses prérogatives (qui pourraient consister à mettre en place lui-même un système anti-propagande efficace), mais se repose sur la bonne volonté des Géants, comme c’est le cas de l’accord avec Google, Facebook, Microsoft et Twitter, conclu par le Ministre Bernard Cazeneuve, se rendant lui-même en Californie en février 2015. On peut citer, dans un autre registre, celui de la maîtrise des coûts, l’accord-cadre CAIH-Microsoft cité plus haut, qui finalement ne fait qu’entériner la mainmise de Microsoft sur l’organisation hospitalière, et par extension à de multiples secteurs de la santé.

Certes, on peut arguer que ce type d’accord entre un gouvernement et des firmes est nécessaire dans la mesure où ce sont les opérateurs les mieux placés pour contribuer à une surveillance efficace des réseaux ou modéliser les échanges d’information. Cependant, on note aussi que de tels accords relèvent du principe de transfert du pouvoir du politique aux acteurs numériques. Tel est la thèse que synthétise Mark Zuckerberg dans son plaidoyer de février 2017. Elle est acceptée à de multiples niveaux de la décision et de l’action publique.

C’est par une analyse du rôle et de l’emploi du Droit aujourd’hui, en particulier dans ce contexte où ce sont les firmes qui définissent le droit (par exemple à travers leurs accords de loyauté) que Alain Supiot démontre comment le gouvernement par les nombres, c’est-à-dire ce mode de gouvernement par le marché (celui des instruments, de l’expertise, de la mesure et du contrôle) et non plus par le Droit, est en fait l’avènement du Big Other de Shoshanna Zuboff, c’est-à-dire un monde où ce n’est plus le Droit qui règle l’organisation sociale, mais c’est le contrat entre les individus et les différentes offres du marché. Alain Supiot l’exprime en deux phrases24 :

Référée à un nouvel objet fétiche – non plus l’horloge, mais l’ordinateur –, la gouvernance par les nombres vise à établir un ordre qui serait capable de s’autoréguler, rendant superflue toute référence à des lois qui le surplomberaient. Un ordre peuplé de particules contractantes et régi par le calcul d’utilité, tel est l’avenir radieux promis par l’ultralibéralisme, tout entier fondé sur ce que Karl Polanyi a appelé le solipsisme économique.

Le rêve de Mark Zuckerberg et, avec lui, les grands monopoles du numérique, c’est de pouvoir considérer l’État lui-même comme un opérateur économique. C’est aussi ce que les tenants new public management défendent : appliquer à la gestion de l’État les mêmes règles que l’économie privée. De cette manière, ce sont les acteurs privés qui peuvent alors prendre en charge ce qui était du domaine de l’incalculable, c’est-à-dire ce que le débat politique est normalement censé orienter mais qui finit par être approprié par des mécanismes privés : la protection de l’environnement, la gestion de l’état-civil, l’organisation de la santé, la lutte contre le terrorisme, la régulation du travail, etc.

GAFAM : We <3 your Data

Conclusion : l’État est-il soluble dans les GAFAM ?

Nous ne perdons pas seulement notre souveraineté numérique mais nous changeons de souveraineté. Pour appréhender ce changement, on ne peut pas se limiter à pointer les monopoles, les effets de la concentration des services numériques et l’exploitation des big data. Il faut aussi se questionner sur la réception de l’idéologie issue à la fois de l’ultra-libéralisme et du renversement social qu’impliquent les techniques numériques à l’épreuve du politique. Le terrain favorable à ce renversement est depuis longtemps prêt, c’est l’avènement de la gouvernance par les instruments (par les nombres, pour reprendre Alain Supiot). Dès lors que la décision publique est remplacée par la technique, cette dernière est soumise à une certaine idéologie du progrès, celle construite par les firmes et structurée par leur marché.

Qu’on ne s’y méprenne pas : la transformation progressive de la gouvernance et cette idéologie-silicone sont l’objet d’une convergence plus que d’un enchaînement logique et intentionnel. La convergence a des causes multiples, de la crise financière en passant par la formation des décideurs, les conjonctures politiques… autant de potentielles opportunités par lesquelles des besoins nouveaux structurels et sociaux sont nés sans pour autant trouver dans la décision publique de quoi les combler, si bien que l’ingéniosité des GAFAM a su configurer un marché où les solutions s’imposent d’elles-mêmes, par nécessité.

Le constat est particulièrement sombre. Reste-t-il malgré tout une possibilité à la fois politique et technologique capable de contrer ce renversement ? Elle réside évidemment dans le modèle du logiciel libre. Premièrement parce qu’il renoue technique et Droit (par le droit des licences, avant tout), établit des chaînes de confiance là où seules des procédures régulent les contrats, ne construit pas une communauté mondiale uniforme mais des groupes sociaux en interaction impliqués dans des processus de décision, induit une diversité numérique et de nouveaux équilibres juridiques. Deuxièmement parce qu’il suppose des apprentissages à la fois techniques et politiques et qu’il est possible par l’éducation populaire de diffuser les pratiques et les connaissances pour qu’elles s’imposent à leur tour non pas sur le marché mais sur l’économie, non pas sur la gouvernance mais dans le débat public.

 

 


  1. Xavier De La Porte, « Start-up ou Etat-plateforme : Macron a des idées du 17e siècle », Chroniques La Vie Numérique, France Culture, 19/06/2017.
  2. C’est ce que montre, d’un point de vue sociologique Corinne Delmas, dans Sociologie politique de l’expertise, Paris : La Découverte, 2011. Alain Supiot, dans La gouvernance par les nombres (cité plus loin), choisit quant à lui une approche avec les clés de lecture du Droit.
  3. Voir Friedrich Hayek, La route de la servitude, Paris : PUF, (réed.) 2013.
  4. Voir Karl Polanyi, La Grande Transformation, Paris : Gallimard, 2009.
  5. Christophe Masutti, « du software au soft power », dans : Tristan Nitot, Nina Cercy (dir.), Numérique : reprendre le contrôle, Lyon : Framasoft, 2016, pp. 99-107.
  6. Francis Fukuyama, La Fin de l’Histoire et le dernier homme, Paris : Flammarion, 1992.
  7. Corentin Durand, « ‘L’ADN de la France, c’est la liberté de la presse’, clame le patron de Google », Numerama, 26/02/2016.
  8. Les Échos, « Google intensifie sa lutte contre la propagande terroriste », 19/06/2017.
  9. Sandrine Cassini, « Terrorisme : accord entre la France et les géants du Net », Les Echos, 23/04/2015.
  10. Philippe Vion-Dury, La nouvelle servitude volontaire, Enquête sur le projet politique de la Silicon Valley, Editions FYP, 2016.
  11. Götz Hamman, The United States of Google, Paris : Premier Parallèle, 2015.
  12. On pourrait ici affirmer que ce qui est en jeu ici est le solutionnisme technologique, tel que le critique Evgeny Morozov. Certes, c’est aussi ce que Götz Haman démontre : à vouloir adopter des solutions web-centrées et du data mining pour mécaniser les interactions sociales, cela revient à les privatiser par les GAFAM. Mais ce que je souhaite montrer ici, c’est que la racine du capitalisme de surveillance est une idéologie dont le solutionnisme technologique n’est qu’une résurgence (un rhizome, pour filer la métaphore végétale). Le phénomène qu’il nous faut comprendre, c’est que l’avènement du capitalisme de surveillance n’est pas dû uniquement à cette tendance solutionniste, mais il est le résultat d’une convergence entre des renversements idéologiques (fin du libéralisme classique et dénaturation du néo-libéralisme), des nouvelles organisations (du travail, de la société, du droit), des innovations technologiques (le web, l’extraction et l’exploitation des données), de l’abandon du politique. On peut néanmoins lire avec ces clés le remarquable ouvrage de Evgeny Morozov, Pour tout résoudre cliquez ici : L’aberration du solutionnisme technologique, Paris : FYP éditions, 2014.
  13. Peppino Ortoleva, « Qu’est-ce qu’un gouvernement d’experts ? Le cas italien », dans : Hermès, 64/3, 2012, pp. 137-144.
  14. Vincent Dubois et Delphine Dulong, La question technocratique. De l’invention d’une figure aux transformations de l’action publique, Strasbourg : Presses Universitaires de Strasbourg, 2000.
  15. Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (dir.), Gouverner par les instruments, Paris : Les Presses de Sciences Po., 2004, chap. 6, pp. 237 sq.
  16. « Raphaël Mastier, Microsoft France : le secteur hospitalier doit industrialiser sa modernisation numérique », Econocom, 29/05/2015.
  17. « Services aux citoyens, simplification, innovation : les trois axes stratégiques du secteur public », CGI : Blog De la Suite dans les Idées, 02/05/2017.
  18. Ariane Beky, « Loi numérique : les amendements sur le logiciel libre divisent », Silicon.fr, 14/01/2016.
  19. Marc Rees, « La justice annule un marché public excluant le logiciel libre », Next Inpact, 10/01/2011.
  20. Mark Zuckerberg, « Building Global Community », Facebook.com, 16/02/2017.
  21. Fred Tuner, Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture. Stewart Brand, un homme d’influence, Caen : C&F Éditions, 2013.
  22. Christophe Masutti, « Les nouveaux Léviathans I — Histoire d’une conversion capitaliste », Framablog, 04/07/2016.
  23. Compte-rendu de l’audition deBruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, sur la régulation et la loyauté des plateformes numériques, devant la Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, Mardi 7 juillet 2015 (lien).
  24. Alain Supiot, La gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (2012-2014), Paris : Fayard, 2015, p. 206.



Facebook, le Brexit et les voleurs de données

Du grand banditisme à une échelle jamais vue. Le résultat : une élection historique volée.

Les suspects sont connus, les cerveaux, les financiers, les hommes de main…

Il y a Nigel Farage, agent de change devenu politicien malgré lui, fondateur du parti politique UKIP contre l’euro, l’Union Européenne et l’immigration.

Il y a Steve Bannon, à la tête de Breitbart News, une plateforme média de propagande d’extrême-droite, dite « alt right », nommé stratège en chef à la Maison Blanche.

Il y a Robert Mercer, milliardaire des fonds spéculatifs qui a acheté SCL Elections alias Cambridge Analytica, entreprise de l’ombre, pour l’acquisition et l’analyse de nos données.

Il y a Dominic Cummings, petit homme de main conservateur, qui a fait la liaison entre les différents conspirateurs.

Pourtant il n’est pas sûr qu’on les verra sur le banc des accusés…

Et bien sûr il y a Facebook, un système de récolte en masse de nos données, données qui peuvent révéler des choses qui nous inquiètent et des sujets politiques qui sont pour nous parmi les plus brûlants.

Facebook qui est aussi le livreur de messages faits sur mesure. Avec son fil d’actualité qui mélange discrètement posts de nos proches et publicité lucrative, Facebook est le parfait cheval de Troie pour injecter de la propagande dans notre vie la plus personnelle.

L’un de nos traducteurs, un Britannique, nous dit que c’était perceptible, il a été témoin direct du tsunami d’exagérations, de fake news et de beaux mensonges (« nous aurons 350 millions de livres sterling de plus par semaine pour le service de santé britannique ») de la part de la campagne pour quitter l’Europe, autant que la frustration des gens ordinaires qui ont vu trop tard qu’ils étaient trompés.

Voici une traduction des extraits (dans la limite des 500 mots autorisés) de l’article « The great British Brexit robbery: how our democracy was hijacked » de Carole Cadwalladr, qui est paru récemment dans The Observer, l’édition de dimanche du quotidien britannique, The Guardian.

Un petit mot avant de commencer pour Framasphère (une instance de Diaspora*), un plateforme de réseau social libre et éthique où vos données sont sécurisées. Car un utilisateur qui migre vers la sécurité des services éthiques et libres, c’est tout de même un tout petit pas vers la liberté…

Traducteurs : goofy, MO, hello, PasDePanique, FranBAG

CC0 Domaine public https://pixabay.com/en/facebook-crime-internet-violent-2241419/

 

La grande escroquerie du Brexit : comment notre démocratie a été piratée

Le résultat du référendum sur l’Union européenne a été influencé par une opération globale menée dans l’ombre, qui implique le big data, les amis milliardaires de Trump et les forces disparates de la campagne pour le Leave (Quitter). Alors que la Grande-Bretagne se dirige à nouveau vers des élections, peut-on encore faire confiance à notre système électoral ?

Par Carole Cadwalladr

C’est Facebook qui a tout rendu possible. C’est d’abord grâce à Facebook que Cambridge Analytica a obtenu ses trésors de données. C’est Facebook qui a alimenté les outils psychologiques permettant à Cambridge Analytica de cibler individuellement des électeurs. C’est également le mécanisme grâce auquel ils ont pu toucher un si vaste public.

L’entreprise a également acheté en parfaite légalité des jeux de données sur les consommateurs et les a ajoutées, données psychologiques comprises, aux fichiers d’électeurs. Puis elle a lié toutes ces informations aux adresses, numéros de téléphone, voire, souvent, adresses électroniques des gens. «Le but est de récupérer le moindre élément de l’environnement informationnel concernant chaque électeur, » explique David, ex-employé de Cambridge Analytica. « Et les données sur la personnalité des gens ont permis à Cambridge Analytica de mettre au point des messages individualisés.»

Dans une campagne politique, il est essentiel de trouver des électeurs faciles à persuader et Cambridge Analytica, avec son trésor de données, pouvait cibler les gens au potentiel névrotique élevé, par exemple, et les bombarder d’images d’immigrants « envahissant » le pays. La clé consiste à trouver, pour chaque électeur individuel, des déclencheurs d’émotion.

Sur son blog, Dominic Cummings, stratège de campagne du Vote Leave, a publié des milliers de mots sur la campagne du Brexit. Sur ces analystes de données, rien ! Pourquoi ?

Le 29 mars, le jour où le Royaume-Uni a invoqué l’article 50, j’ai appelé le QG de l’une des petites équipes de campagne, Veterans for Britain. La stratégie de Cummings a consisté à cibler les gens au dernier moment et dans la semaine qui a précédé le référendum, Veterans for Britain a reçu 100 000 livres sterling de la part de la campagne Vote Leave. Un petit groupe de personnes considérées comme faciles à convaincre ont été bombardées de plus d’un milliard de publicités dans les tout derniers jours pour la plupart.

On s’est joué de nous, le peuple britannique. Sur son blog, Dominic Cummings écrit que le vote en faveur du Brexit s’est joué à 600 000 personnes près : à peine plus d’1% des inscrits. Il n’est pas très difficile d’imaginer qu’un membre des 1% les plus riches du monde a trouvé le moyen d’influencer ce petit 1% fatidique d’électeurs britanniques.

L’article 50 a été invoqué. La Commission électorale est impuissante. Et dans un mois un autre élection, avec les mêmes règles. Pourtant les autorités savent bien qu’il y a des raisons d’être inquiets. The Observer a appris que le Crown Prosecution Service a bien nommé un procureur spécial afin d’engager une une enquête criminelle pour savoir si les lois sur le financement des campagnes ont été enfreintes. Le CPS l’a renvoyé à la commission électorale.

Telle est la Grande-Bretagne en 2017. Une Grande-Bretagne qui ressemble de plus en plus une démocratie « encadrée ». Achetée par un milliardaire américain. Utilisatrice de technologie de type militaire. Livrée par Facebook. Tout ça rendu possible par nous. Si nous laissons passer le résultat de ce référendum, nous donnons notre consentement implicite. La question n’est pas de rester ou partir (Remain ou Leave). Ça va bien au-delà de la politique des partis. Il s’agit du premier pas vers un monde audacieux, nouveau et de plus en plus antidémocratique.




Demain, une science citoyenne dans une société pair à pair ?

De simples citoyens ont-ils un rôle à jouer dans les sciences, où ils sont pour l’instant contingentés au mieux à des fonctions subalternes ?

On voit d’ici se lever d’inquiets sourcils à l’énoncé du simple terme de science citoyenne, tant la communauté scientifique se vit comme distincte de l’ensemble du corps social par ses missions, ses méthodes et son éthique. Pourtant un certain nombre d’expériences, de projets et même de réalisations montrent que la recherche scientifique universitaire peut tirer un profit important de sa collaboration avec les citoyens motivés, lesquels en retour élèveront leur niveau de connaissances tout en ayant un droit de regard sur la recherche.

Réconcilier citoyens et universitaires scientifiques, longtemps une utopie, est rendu aujourd’hui possible par des objets technologiques désormais beaucoup plus accessibles à chacun.

Cela ne va pas sans perplexité et crainte de dégrader les principes fondamentaux de méthode et d’éthique qui guident le travail scientifique, mais des systèmes de contrôle existent : de même que du code open source peut être révisé par des spécialistes du code, la science citoyenne peut être évaluée par des scientifiques (qui d’ailleurs ont eux-mêmes l’habitude d’être évalués par des pairs).

D’autres conditions sont également nécessaires : le partage mutuel des connaissances nécessite le pair à pair, des licences permissives, un élèvement du niveau de connaissances de la population et bien entendu l’extension des biens communs scientifiques.

Telles sont les problématiques explorées de façon approfondie par Diana Wildschut dans le long article universitaire que l’équipe Framalang vous propose.

Alors, pouvons-nous imaginer comme l’auteure un futur où au sein d’une société de pair à pair l’échange collaboratif mutuel fasse de la science un bien commun ?

La nécessité d’une science citoyenne pour aller vers une société de pair à pair durable

Article original de Diana Wildschut sur ScienceDirect : The need for citizen science in the transition to a sustainable peer-to-peer-society

Traduction Framalang : Bam92, dodosan, goofy, jaaf, lumpid, lyn, mo, Opsylac, simon

L’essentiel de l’article

Notre monde est en transition vers une société de pair à pair caractérisée par une nouvelle façon de produire les choses, des logiciels à l’alimentation, en passant par les villes et la connaissance scientifique. Cela nécessite un nouveau rôle pour la science.

Plutôt que de se focaliser sur la production de connaissances pour les ONG, les gouvernements et les entreprises, les scientifiques devraient prendre conscience que les citoyens seront les décideurs dans une future société de pair à pair (p2p), produire des connaissances durables et accessibles, et travailler ensemble aux côtés des scientifiques citoyens.

Les citoyens ont démontré leur capacité à définir leurs propres sujets de recherche, à monter leurs propres projets, à s’éduquer et à gérer des projets complexes. Il est temps pour eux d’être pris au sérieux.

Il existe toujours un grand fossé entre les citoyens et les scientifiques universitaires quand il est question de partage des connaissances. Les données collectées par des citoyens ne sont presque jamais utilisées par les scientifiques universitaires, et les résultats de la recherche scientifique restent en grande part cachés derrière des barrières de péage.

Si nous voulons qu’une transition durable prenne place, nous devons faire tomber les barrières entre la science et le public. Les préoccupations des citoyens doivent être prises au sérieux et leurs connaissances utilisées et valorisées.

 

1. Introduction

Notre monde est en cours de transition vers une société de pair à pair (p2p), caractérisée par une nouvelle façon de produire tout, des logiciels à l’alimentation, en passant par les villes et la connaissance scientifique (Bauwens 2012). Dans une société de pair à pair, des réseaux d’individus, ou de pairs, prennent en charge les tâches qui étaient précédemment entre les mains des institutions. Cela nécessite un nouveau rôle pour la science. Plutôt que de se focaliser sur la production de connaissances pour les ONG, les gouvernements et les entreprises, les scientifiques devraient prendre conscience que les citoyens seront les nouveaux décideurs dans une future société de pair à pair, produire des connaissances durables et accessibles et travailler ensemble avec des scientifiques citoyens.

Dans cet essai, quand je parle de citoyens, je parle des non-professionnels qui s’engagent dans ce qui les touche directement, qui peut être une ville, une rue, l’environnement, le système démocratique, etc. Quand je parle de scientifiques citoyens je parle des gens qui pratiquent la science en dehors d’un environnement universitaire ou du contexte industriel, et qui ont reçu ou non une formation scientifique réelle. Ma définition d’un système néolibéral est un système avec un marché libre, un petit gouvernement dans un monde globalisé.

En regardant autour de nous, nous voyons de vieilles structures échouer. L’efficacité des ONG est mise en doute (Edwards & Hulme, 1996) et elles semblent essentiellement préoccupées par leur propre survie. Elles en sont restées aux méthodes des années 80 ; elles se déguisent en porcs ou en abeilles, ou portent des masques à gaz et se présentent comme un petit groupe guère impressionnant dans le quartier général d’entreprises ou de gouvernements. Leurs causes sont légitimes et les problèmes qu’elles mettent à l’ordre du jour sont urgents, mais leurs méthodes sont complètement inadaptées au monde dans lequel nous vivons. L’attention des gouvernements néolibéraux n’est plus focalisée sur le bien-être des citoyens, elle s’est depuis longtemps déplacée vers les intérêts des entreprises (Chomsky,1999 ; von Werlhof, 2008). Les intérêts à long terme, y compris ceux de la science, en pâtissent (Saltelli & Giampietro, 2017). Les entreprises n’ont pas l’obligation légale d’agir dans l’intérêt public, et n’ont pas tendance à le faire si cela s’oppose à leurs intérêts économiques à court terme (Banerjee, 2008 ; Chomsky, 1999).

L’avenir de la planète pourrait bien se retrouver entre les mains de petits groupes de citoyens ou d’individus qui bâtissent une nouvelle société à côté de l’existante en jetant les bases d’initiatives durables qui seraient interconnectées en réseaux de pair à pair. Dès à présent, la science procure des technologies qui donnent aux gens le pouvoir de faire leurs propres recherches, en utilisant leurs smartphones, leurs webcams et leurs ordinateurs portables (Bonney et al., 2014). Mais il y a toujours un large fossé entre les citoyens et les scientifiques universitaires quand on en arrive au partage des connaissances. Les connaissances collectées par les citoyens sont très peu utilisées par les scientifiques universitaires, et les résultats de la recherche scientifique sont le plus souvent cachés derrières des barrières de péage.

Si nous voulons qu’une transition durable prenne place, nous devons abaisser ces barrières entre la science et le public. Les préoccupations des citoyens doivent être prises au sérieux et leurs connaissances utilisées et jugées à leur juste valeur (Irwin, 1995).

Dans cet essai je soutiens que les citoyens sont prêts à produire une science valable, et à utiliser et comprendre la science produite par les scientifiques universitaires. Ils sont prêts à utiliser la science pour combler certains fossés existants que les gouvernements, les entreprises et les ONG laissent à l’abandon.

Faire sérieusement, sans se prendre au sérieux.

2. La science citoyenne

Au début de la révolution scientifique, quiconque ayant du temps libre pouvait regarder les étoiles, accumuler des données et faire des prévisions. On n’avait pas besoin d’équipements ou de compétences mathématiques. Les scientifiques étaient souvent des fermiers, artistes ou hommes d’État. Ce n’était pas des spécialistes mais plutôt des généralistes.

À partir de la seconde moitié du 19e siècle, la science est devenue une affaire de spécialistes, qui utilise des équipements de pointe ainsi que les mathématiques, et nécessite des années d’études universitaires. La science n’était plus quelque chose que n’importe qui pouvait pratiquer (Vermij, 2006).

Ces dernières décennies, les ordinateurs sont devenus bon marché et puissants. Internet permet à tous d’accéder à des données ainsi qu’à des formations. Le développement de microcontrôleurs programmables bon marché a permis à de nombreux profanes de créer leur propre électronique. La popularité de ces microcontrôleurs peut être attribuée principalement à Arduino, une carte microcontrôleur, open source, bon marché, avec un environnement de programmation en ligne.

Programmer de telles cartes est facile grâce à l’abondance d’exemples, tutoriels et codes fournis par la communauté. Les cartes peuvent être connectées à un circuit, en respectant des schémas disponibles en ligne. La communauté Arduino maintient une excellente documentation pour les débutants et les experts sur www.arduino.cc.

La possibilité de se procurer des capteurs peu coûteux est le prochain problème à résoudre. L’utilisation de capteurs combinée avec ATMegas (les microcontrôleurs utilisés sur les cartes Arduino) est très populaire. Les gens peuvent mesurer autour d’eux tout ce qui leur passe par la tête. Ils collectent toutes les données et cherchent à les comparer à celles d’autres personnes. Cela crée un besoin de plate-formes open data permettant de partager ces données en ligne. Des communautés se forment non seulement autour du matériel, mais aussi autour de sujets de recherche. Par exemple, spectralworkbench.org, où les personnes partagent leurs analyses spectrales de différentes sources lumineuses. Ils utilisent un spectromètre fait d’un morceau de carton et d’un morceau de CD connecté à une webcam. Ils déposent leurs spectres dans la base de données, qui contient des résultats venant à la fois de spectrographes professionnels et amateurs. Il s’agit d’un mélange de spectres utiles et d’images floues. La base de données est alimentée essentiellement par des passionnés curieux, et à mesure que sa taille augmente, elle devient une ressource précieuse pour déterminer des éléments chimiques. Dans la section « Apprendre » du site internet, on peut découvrir l’usage qui est fait des données. Des citoyens l’utilisent pour mesurer la contamination de la nourriture, la présence d’OGM (Critical Art Ensemble, 2003), la quantité d’azote dans des terres agricoles, le niveau de pollution de l’air, etc. Cela les amène à porter un regard critique sur les informations obtenues depuis des sources officielles, comme les gouvernements et les industriels.

Un spectrographe maison fait d’un morceau de carton et d’un morceau de CD

Une avancée récente est le Lab-on-a-Chip (Ndt : littéralement, laboratoire-sur-une-puce), un petit laboratoire qui peut être utilisé pour des analyses de fluides. Le Lab-on-a-Chip est bon marché et facile à utiliser. Le but est d’en faire un labo si facile à utiliser que n’importe qui puisse s’en servir sans connaissances préalables. Dans le domaine médical, il permet aux patients de faire leur propre diagnostic in vitro. Il permet aussi de raccourcir le temps nécessaire pour prendre une décision car le patient qui possède déjà le laboratoire à la maison n’a pas à attendre un rendez-vous (von Lode, 2005).

Un Lab-on-a-Chip est une petite plaque de verre sur laquelle sont gravés de minuscules canaux fluides. Elle est montée accolée à un capteur semi-conducteur, connecté à un microcontrôleur qui effectue les analyses ou envoie les données à un outil d’analyse.

Le boom récent des Fablabs et des ateliers ouverts pour la fabrication numérique, qui trouvent leur origine au MIT (Gershenfeld, 2012), a permis au citoyen scientifique de graver ses propres systèmes Lab-on-a-Chip, en lui donnant accès à des ciseaux lasers et des imprimantes 3D. En utilisant Arduino et du logiciel open source pour l’analyse, il peut maintenant effectuer lui-même des analyses de fluides chimiques complexes.

Ces nouvelles technologies sont désormais à la disposition de tous, pour autant qu’on ne soit pas effrayé par la technologie. De nouveaux outils voient le jour sous forme d’outils pour jeux vidéo et il faut un peu de temps avant que des gens les rendent accessibles à un public plus large en les dotant d’interfaces conviviales. Ce processus est déjà entamé et de nombreux outils deviennent utiles à ceux qui sont intéressés à les utiliser plutôt qu’à les faire fonctionner.

Ce ne sont pas seulement les données collectées par les citoyens, mais aussi leurs connaissances, leur intelligence, leur créativité et les réseaux sociaux, qui ont de la valeur pour les scientifiques universitaires. Dans beaucoup de projets de science citoyenne menés par des scientifiques universitaires, seul le temps du participant et la puissance de traitement de son ordinateur sont utilisés. Généralement, le participant n’est utilisé que pour la collecte des données et leur classement. L’intelligence du participant ou sa créativité sont rarement nécessaires et le projet n’offre que des opportunités très limitées pour une amélioration personnelle (Rotman et al., 2012). Parfois, une formation est disponible qui permet au participant d’apprendre à reconnaître des motifs, des espèces et des types de galaxies, mais il n’est presque jamais invité à participer à la conception de la recherche.

Les citoyens ont de précieuses connaissances souvent hors de portée des scientifiques universitaires (voir aussi Pereira et Saltelli). Ils disposent d’une connaissance locale que Warren (Warren, 1991) décrit comme

« une connaissance qui est particulière à une culture ou à une société donnée). […] C’est le fondement de la prise de décision à un niveau local en agriculture, pour les soins médicaux, la préparation alimentaire, l’éducation, la gestion des ressources naturelles, et une foultitude d’autres activités dans les communautés rurales. »

Mais bien sûr, il n’y a pas que dans les communautés rurales que la connaissance locale est importante. Les citoyens sont bien plus capables de participer qu’il ne leur est permis de le montrer (Fischer, 2000). De nombreux gouvernements locaux réalisent maintenant qu’ils ont besoin de l’apport de leurs citoyens pour gouverner leur cité à la satisfaction de ceux-ci. Commencer à travailler avec des citoyens critiques n’est pas une étape facile à franchir, mais dès que les citoyens sont impliqués dans la fourniture des connaissances qui permettront la prise de décision, ils sont plus enclins à accepter les conséquences et les mesures qui en résultent.
Dans la ville néerlandaise d’Amersfoot, le gouvernement local avait besoin de données sur les impacts du changement climatique à une échelle très locale, où seulement des données globales étaient disponibles. Après avoir assisté à une conférence sur la science citoyenne, il a décidé de ne pas confier le travail à un consultant, mais de trouver un groupe de citoyens intéressés par l’investigation sur les changements climatiques dans leur voisinage. Le groupe a été chargé de mettre en place la recherche, de décider quels indicateurs devaient être mesurés, qui faire participer et comment publier les résultats. Ils ont maintenant démarré leur projet dont les résultats sont visibles sur www.meetjestad.net (Meet je Stad, 2015).

Les scientifiques universitaires voient les avantages à coopérer avec les citoyens, non seulement pour la valeur qualitative de leurs connaissances locales, mais aussi pour leurs réseaux sociaux étendus. Les citoyens actifs savent ce qui se passe dans leur communauté et peuvent dire quels investisseurs devraient être impliqués. Aussi doivent-ils être impliqués au tout début d’un projet de recherche, sinon il sera trop tard pour tirer profit de cette partie de leurs connaissances. Il y a vingt ans, Alan Irwin (Irwin, 1995) prônait la réunion des mondes de la science universitaire et de la science citoyenne. Aujourd’hui le besoin et les possibilités se sont accrus. Les scientifiques citoyens disposent de plus d’outils pour créer de la connaissance, l’infrastructure existe pour la partager et nous avons quelques gros problèmes à résoudre pour lesquels nous avons besoin de toute l’aide disponible.
Et Cash et al. (2003) de conclure que « […] les efforts pour mobiliser la science et la technologie pour la durabilité ont plus de chances d’être efficaces si on gère les frontières entre la connaissance et l’action d’une façon qui améliore à la fois l’importance, la crédibilité et la légitimité de l’information produite. » De nombreux citoyens sont prêts à l’action ou déjà actifs. Ils ont besoin de connaissances scientifiques.

Pour libérer le savoir, mieux vaut ouvrir les portes…
Stockholm Public Library CC-BY Samantha Marx

3. Accès libre

Pour cet essai, j’avais prévu de n’utiliser que des références à des articles disponibles en accès libre, juste pour le principe. Le fait que cela se soit avéré impossible est en soi encore plus parlant que je ne l’aurais voulu. Pour être en mesure de rédiger un essai comme celui-ci, un scientifique citoyen serait obligé de contacter par e-mail des amis travaillant dans des universités, d’utiliser le hashtag Twitter #icanhazpdf (lepdfsivouplé) et d’écrire des mails à des auteurs, en espérant recevoir leurs articles en retour.

Certains des articles en accès restreint, comme celui-ci, parlent de la science citoyenne, dont certains pourraient directement intéresser les citoyens. Mais les citoyens qui luttent pour construire leurs propres projets scientifiques sans budget ont peu de chances de pouvoir investir 41,95 $ dans un article dont ils ne sont même pas certains qu’il leur sera utile. Dans la plupart des cas, la science qui traite de science citoyenne n’atteindra pas des citoyens pratiquant les sciences, ni des citoyens ayant besoin d’un apport scientifique.

Dans la société de pair à pair, il est tacitement convenu que quiconque utilise les services d’une autre personne, restitue quelque chose à la communauté dont il se nourrit. Aussi, faire de la recherche en se basant sur de la science citoyenne et ne pas en partager les résultats serait une violation de ces règles tacites.

Les droits d’auteur et les brevets empêchent la mise à disposition et le développement de la connaissance. On pense souvent que les droits d’auteur sont le seul moyen de protéger les auteurs, mais il existe d’autres moyens de protéger les droits des auteurs et des développeurs de produits logiciels open source. Certaines institutions développent leurs propres licences pour les logiciels open source (MIT Public License, 1988) ou pour le matériel open source (CERN Open Hardware License, 2011). Elles utilisent leurs connaissances des droits d’auteur et de la propriété intellectuelle pour aider les gens qui veulent ajouter leurs données, idées, conceptions et produits au domaine public. Une fois là, cela pourra être utilisé comme base par n’importe qui (selon la licence), mais ne pourra jamais être réclamé, breveté ou sorti du domaine public. Chacune des licences propose ses propres solutions, laissant au développeur le choix de qui peut utiliser son produit et dans quelles conditions. Certaines licences permettent une utilisation commerciale du produit, d’autres non. Certaines demandent l’attribution à l’auteur original. D’autres demandent que les sous-produits soient publiés sous la même licence que l’original.

Concevoir ces licences et les rendre disponibles est une manière très appréciée pour les institutions de restituer quelque chose aux biens communs.

…car, comme on dit en langage Wikipédia « Citation Needed ».

4. Éducation

L’existence de citoyens instruits est une condition nécessaire pour avoir une démocratie qui fonctionne (Hils Hauge et Barwell), et ça l’est tout autant dans une société de pair à pair. Néanmoins, aux Pays-Bas par exemple [ndt : l’auteure est néerlandaise], les études universitaires ne sont pas facilement accessibles à tous les citoyens qui pourraient y prétendre. Les gens qui ont déjà un diplôme payent des frais d’inscription très élevés. Étudier à temps partiel est déconseillé et dans la majorité des disciplines ce n’est même pas possible. Cela entre en conflit avec l’idéal « d’éducation tout au long de la vie » qui est diffusé par les institutions éducatives, et cela ne permet pas d’avoir des citoyens ouverts à tout et bien informés. Cependant, nous comptons sur eux pour faire des choix éclairés au moment de voter (Westheimer et Kahne, 2000). Pour les gouvernements, la mode est de vouloir des citoyens impliqués, mais très peu d’efforts sont faits pour leur donner les outils et informations nécessaires.

Mais maintenant, une part croissante des citoyens est en train de trouver le chemin vers des études plus accessibles et moins structurées. De nouvelles méthodes de partage des connaissances sont inventées, le plus souvent en utilisant Internet. Les cours magistraux de certaines universités sont disponibles en streaming. Cela peut aider pour compléter une formation, mais sans exercices cela reste incomplet. Khan Academy.org est un site web où vous pouvez vous former vous-mêmes dans n’importe quelle matière du lycée à l’université. Il utilise un algorithme intelligent qui permet aux étudiants de garder la trace de leur progrès. Néanmoins la Khan Academy fonctionne essentiellement du sommet vers la base, une personne donne un cours et un étudiant consomme cette connaissance. OpenTOKO (http://web.archive.org/web/20140927205928/http://www.opentoko.org/) a une approche différente.
Un thème est proposé en ligne, des experts et des novices s’y inscrivent, créant un groupe de connaissances partagées qui se réunit pour un après-midi. La dynamique est très variable, parfois un TOKO est planifié largement à l’avance, parfois dans un délai très court. Les thèmes peuvent être populaires ou ésotériques ; on peut être très nombreux ou seulement deux ou trois. Souvent, il s’avère que les experts apprennent des compétences, des connaissances ou des questions des débutants. Les experts acquièrent une meilleure compréhension du thème, et cela donne au débutant un bon départ sur le sujet. OpenTOKO doit encore être amélioré. Un système de référencement automatique doit être créé, permettant à chacun de suggérer un thème, de s’inscrire comme expert ou novice, de proposer un lieu ou une date. Quand toutes les conditions sont réunies, un OpenTOKO est automatiquement créé.
L’inscription est gratuite, tout le monde en profite en améliorant ses connaissances. Les thèmes abordés sont divers : langage de programmation, électronique, mathématiques et statistiques mais aussi comment tricoter des chaussettes ou faire pousser des légumes, tout dépend de ce que souhaitent les participants. Les scientifiques qui souhaitent faire participer des citoyens à leurs cours, n’ont pas besoin de simplifier leurs résultats ou leur langage. Les citoyens peuvent apprendre eux-mêmes et devenir familiers de la terminologie utilisée dans les différents domaines scientifiques.

Wikipédia peut être utilisée comme point de départ de collecte d’informations sur pratiquement tous les sujets. À partir de là, il est facile de trouver des publications scientifiques, mais à nouveau les citoyens se heurtent souvent à des ressources payantes.

Cliquez sur l’image pour voir la vidéo sur la chaîne YouTube de Datagueule.

5. Vers une société de pair à pair

On constate, au cours de la dernière décennie, une tendance au partage sur un mode de p2p : d’un individu vers les autres. En 1999, un adolescent a créé le logiciel Napster, qui permettait à tout le monde de partager des fichiers numériques (Carlsson et Gustavsson, 2001). Napster utilisait un serveur central. À cause de cela, l’industrie du disque, via des poursuites judiciaires, a pu fermer Napster. Les outils d’échange de musique de la génération suivante sont les réseaux P2P, dans lesquels les utilisateurs échangent directement leurs fichiers avec d’autres personnes. Ces réseaux ne sont pas hiérarchisés et sont difficiles à fermer. Brafman et Beckstrom (2006) compare ces organisations sans leader à des étoiles de mer, et les organisations hiérarchiques à des araignées ; si vous coupez la tête d’une araignée, elle meurt. L’étoile de mer, elle, n’a pas de tête. Coupez un bras et un nouveau bras se formera. Coupez l’étoile de mer en deux et vous obtiendrez deux étoiles de mer. Les réseaux P2P semblent indestructibles aussi longtemps qu’ils ont la volonté d’exister.

Bauwens et Lievens (2013) voient la transition vers une société de pair à pair comme l’inévitable prochaine étape du développement humain. Leur présentation de l’histoire de la société occidentale commence à l’époque romaine. À cette époque, 80 % des gens étaient des esclaves. La société romaine dépendait entièrement de ces esclaves, et en avait un besoin toujours plus important. Pour continuer d’augmenter le nombre d’esclaves, ils devaient continuer d’étendre leur empire. Finalement, cela devint plus cher que des solutions alternatives comme le métayage. Ils commencèrent donc à affranchir des esclaves, leur laissant cultiver la terre en échange d’un partage des récoltes. Cette pratique a évolué vers le système féodal qui a perduré plusieurs siècles.

L’industrialisation, au 19e siècle, a déplacé les travailleurs vers les villes, ces derniers achetant alors leur nourriture au lieu de la faire pousser. Les travailleurs ont reçu un salaire, le moment du capitalisme était venu. Dans le même temps, les gens prirent une place précise dans de grandes structures hiérarchisées.

Maintenant, l’automatisation a réduit la quantité de travail humain nécessaire à la production des besoins indispensables à nos sociétés. Et le spécialiste d’économie politique Skidelsky(2012) de conclure : « La vérité est que nous ne pouvons pas continuer à automatiser efficacement nos productions sans remettre en cause nos attitudes envers la consommation, le travail, les loisirs et la distribution des revenus. » Dans les sociétés occidentales, seule une petite part de notre travail sert à fournir les besoins fondamentaux de la société. La majorité des gens a un travail qui n’est pas vraiment indispensable (Graeber, 2013). La plupart d’entre eux en ont conscience, ce qui a souvent un impact négatif sur leur santé morale et physique.
On constate aussi une augmentation du nombre de personnes sans emploi pour qui l’ancien système est un échec. Ils ont été virés par leur ancien employeur, souvent après des décennies de travail dévoué et de loyauté. Une grande partie des gens virés sont devenus trop chers à cause de leur ancienneté. Les employeurs ont tendance à choisir des employés moins chers, plutôt que plus expérimentés. Ici, l’argent prime sur la qualité ou l’humanité.

Certains chômeurs choisissent désormais de faire les choses différemment, et se mettent à chercher un nouveau système plus respectueux des personnes et valorisant la qualité. Comme les esclaves affranchis, ils sont un nombre croissant dans nos sociétés à avoir l’énergie nécessaire pour commencer à travailler dans un nouveau système. Bauwens et Lievens appelle ce système « l’économie P2P », celle-ci est basée sur les échanges entre individus.

La combinaison d’un savoir disponible et d’une insatisfaction croissante face à la manière dont les gouvernements traitent les questions écologiques encourage les personnes à s’impliquer dans des expériences à l’échelle locale pour produire de l’énergie et de la nourriture, pour recycler les déchets et pour plus de démocratie et d’innovation sociale. Certaines de ces expériences échouent, mais d’autres sont des succès et rendent stables des alternatives locales et modestes qui peuvent inspirer les autres. Tout ne peut pas se faire facilement au niveau local. Il vaut mieux que la médecine spécialisée soit exercée dans un hôpital dédié. Les experts sont les plus à même de traiter les questions de droit, bien que le système des jurys populaires soit un peu plus P2P que les systèmes judiciaires avec uniquement des juges, et qu’il soit considéré comme juste dans de nombreux pays. Les processus de production que l’on dit plus efficaces à grande échelle, ne le sont peut-être pas tant que ça si tous les coûts réels relatifs au transport, aux infrastructures, aux ressources naturelles et aux déchets sont inclus dans le calcul. Souvent, ces « externalités » comme on les appelle, ne sont pas financées par les multinationales (Mansfield, 2011 ; Scherhorn, 2005).

Le pair à pair, vous savez, le truc d’avant les plateformes, qui marchait mieux et générait moins de dangers…?

6. Quand les systèmes se percutent

La société de pair à pair peut cohabiter avec la société capitaliste dans de nombreux cas, tout comme les scientifiques citoyens cohabitent avec les scientifiques universitaires. Il peut y avoir des conflits de nature financière, comme dans le cas des maisons de disques avec les réseaux p2p pour la distribution de musique, où les deux cotés essayent de maximiser leurs profits. Les situations les plus intéressantes, cependant, sont celles où les deux points de vue sont valables, mais incompatibles.

La société de pair à pair est basée sur la confiance acquise lors de travaux préalables. Si vous contribuez à la communauté, vous obtenez en retour du respect et de la confiance. Cependant, dans la société capitaliste, la confiance se base sur les diplômes. Si vous voulez un travail en tant qu’ingénieur informaticien, il vous faut avoir des diplômes et des qualifications pour prouver que vous pouvez écrire du code. Dans la société de pair à pair, vous prouvez que vous pouvez écrire du code en écrivant du code. Le code est open source afin que les utilisateurs puissent vérifier s’il fonctionne et que les experts puissent vérifier qu’il est bien écrit et ne contient pas de virus. Quand les deux mondes se rencontrent, ils sont souvent sceptiques sur l’approche de l’autre.
Certaines personnes voient les forces et faiblesses de chaque système, et un ingénieur informaticien peut avoir un emploi sans diplôme, s’il rencontre le bon responsable des ressources humaines. Le lien entre les deux mondes vient de ceux qui reconnaissent les possibilités de coopérer et ont un statut qui leur permet de s’écarter des règles en usage. Dans tous les cas, la manière pair à pair d’assurer la qualité ou la fiabilité d’un pair demandera plus d’efforts que pour un scientifique universitaire par exemple. Il faudra faire des recherches sur la personne, soit à travers un contact personnel, soit en regardant à sa réputation auprès de ses pairs et son travail. Pour des nouveaux venus, il s’agit de deux situations complètement différentes.

Mais que peut-on dire des autres différences entre les scientifiques citoyens et les scientifiques universitaires ? Pour faire de la vraie science, il faut travailler selon un certain nombre de règles, mais les citoyens peuvent n’en faire qu’à leur tête. Comment se positionnent-ils vis-à-vis de l’éthique ou de la qualité ? C’est ce qui inquiète de nombreux scientifiques universitaires. Les motivations des citoyens et la qualité de leur travail sont suspectes (Show, 2015). Même les projets montés et gérés par des scientifiques universitaires qui utilisent des données collectées par des volontaires ont du mal à se faire publier (Bonney et al, 2014).

Il est vrai que la science citoyenne n’a pas nécessairement un ensemble fixe de règles sur l’éthique ou les méthodes. Bien qu’il y ait quantité d’exemples de réseaux qui partagent une charte éthique ou une liste de méthodes [29], comme certains diy-biolabs (ndt : littéralement labo-bio à faire soi-même) (Diybio,2016) et makerspaces (espaces collaboratifs) (Fablab.nl), beaucoup n’y ont jamais pensé, n’en ont jamais discuté, ou même, ne s’y sont simplement pas intéressés. Mais tout comme n’importe quel programmeur peut vérifier du code informatique ouvert, n’importe quel scientifique universitaire peut vérifier si un projet de science citoyenne est bien fait, à l’aune des normes universitaires. Pour moi, cela ne veut pas dire que les normes universitaires doivent être celles qu’il faut utiliser pour évaluer la science citoyenne, mais qu’il est possible de le faire. Dans certains cas, les normes universitaires sont moins strictes que celle utilisées dans la science citoyenne.

Par exemple, dans la science conventionnelle, il n’est pas courant d’ouvrir l’ensemble des données, alors que c’est le cas dans la science citoyenne. De ce point de vue, la science citoyenne et plus reproductible et la fraude est plus facile à détecter. Les expériences des scientifiques citoyens sont souvent répétées et améliorées. Les scientifiques citoyens ne sont pas soumis à la pression de la publication (Saltelli et Giampetro, traitent du déchirement entre publier ou périr comme d’un ingrédient clé de la crise de la recherche scientifique), ils publient quand ils pensent avoir trouvé quelque chose d’intéressant. Le travail est ouvert au regard des pairs de la première tentative aux conclusions finales.

Un exemple de base de données ouverte, libre et collaborative qu’on aime beaucoup ;)

Les scientifiques citoyens publient plus facilement des résultats négatifs. Ils ne sont pas gênés par leurs erreurs. Les publications de résultats positifs contiennent aussi un chapitre sur les tentatives précédentes qui ont échoué, et un retour sur la cause de l’échec. Ces résultats négatifs sont, à mon avis, aussi valables que des résultats positifs, bien que dans la recherche scientifique conventionnelle il existe une forte propension à ne publier que des résultats positifs, ce qui rend la recherche scientifique universitaire incomplète (Dwan et al., 2008).

Les scientifiques citoyens sont souvent suspectés d’avoir des partis pris, des motivations ou des ordres du jour cachés. Nous savons désormais que les professionnels de la science ont aussi des partis pris. Les scientifiques citoyens sont même moins susceptibles d’avoir certains partis pris, comme ceux relatifs au prestige ou au financement, et ce goût pour les résultats positifs. Mais le fait que les scientifiques universitaires ne soient pas forcément meilleurs que n’importe quel scientifique citoyen ne signifie pas que nous devons ignorer les problèmes potentiels liés à la qualité des scientifiques citoyens. Afin de permettre plus de coopération entre les scientifiques citoyens et universitaires, nous devons insister sur la totale transparence concernant les conflits d’intérêt, tant pour les scientifiques universitaires que citoyens. Dans la recherche scientifique universitaire, il existe une saine discussion sur la qualité, les partis pris et les conflits d’intérêt. Dans la science citoyenne le sujet est difficilement évoqué, ce qui est une honte puisque certains partis pris sont moins susceptibles d’exister quand leur propriétaire en a conscience.

La qualité est souvent décrite comme être « adapté à la fonction ». Parfois, nous pouvons avoir besoin de données précises issues de capteurs onéreux. Dans de tels cas, la recherche universitaire pourrait aboutir à une meilleure qualité. Mais dans d’autre cas, nous pouvons avoir besoin d’une haute définition et ici de vastes groupes de citoyens sont plus à même de fournir de la haute qualité. La connaissance n’est adaptée au besoin que si elle est ouverte à ceux qui en ont besoin. Il est par conséquent important que les connaissances relatives au changement climatique et aux autres problèmes mondiaux soient totalement ouvertes.

Je pense qu’il serait bon que les scientifiques universitaires et citoyens aient un débat sur les raisons pour lesquelles des résultats de qualité sont utiles aux autres citoyens, aux décideurs politiques locaux et aux scientifiques universitaires suivant la fonction retenue. Si nous voulons partager les données entre les scientifiques citoyens et universitaires, ou entre les scientifiques citoyens et les décideurs, quelles sont les barrières et comment peut-on les dépasser ? Devons-nous trouver un ensemble de critères définissant la qualité (y compris l’accessibilité) qui soit satisfaisant pour les chercheurs scientifiques et gérable par les citoyens ?

7. Les biens communs

La plupart des enjeux soulevés dans les paragraphes précédents nous amènent à la notion de biens communs. Les biens communs incluent tout ce qui appartient à tout le monde, par exemple l’atmosphère, l’écosystème planétaire, la culture et les connaissances humaines.

La majeure partie de la richesse mondiale privée existe parce que les biens ou les services qui appartiennent aux biens communs peuvent souvent être accaparés sans payer, et qu’il n’y a pas d’obligation de restituer quelque chose aux biens communs.

Cela concerne les entreprises qui polluent ou s’approprient des ressources, les sociétés de divertissement commerciales qui prennent des contes traditionnels dans le domaine public pour les placer sous droits d’auteur, les entreprises qui brevètent des gènes qui sont en grande partie naturels, ainsi que les recherches scientifiques qui utilisent des contributions en provenance des biens communs, sans jamais restituer leurs résultats aux biens communs (Barnes, 2006).

Le changement climatique, la pollution et l’épuisement des ressources sont le problème de tout le monde. Ces problèmes font autant partie des biens communs que les solutions. Leur résolution n’a pas à dépendre d’une initiative privée. En partageant le savoir entre scientifiques universitaires et citoyens, nous pouvons travailler ensemble sur ces questions.

Les enclosures, c’est bon pour les poules dans Minetest… pas pour les enjeux mondiaux.

8. Débat et conclusion

Les scientifiques citoyens ne sont pas des anges envoyés de l’au-delà pour sauver la science. Ils ne sont pas là non plus pour détruire les institutions universitaires et prendre le pouvoir. Ils ont leurs propres programmes, imperfections et partis pris, comme les scientifiques universitaires. Une meilleure prise de conscience de ces partis pris peut améliorer la qualité de leur travail. Chaque débat sur la qualité doit être respectueux et ouvert, et tenir compte des limites de la science citoyenne et de ses pratiquants. Nous savons que les citoyens ne prennent pas toujours la bonne décision quand ils votent, ne votent pas ou achètent quelque chose. Donc pourquoi devrait-on compter sur eux pour résoudre les problèmes de la société ? On ne doit rien attendre de personne, mais nous devons impliquer toute l’aide disponible, et si les gens sont intrinsèquement motivés, nous ne devons pas les marginaliser

Bien que les groupes qui utilisent la science citoyenne pour résoudre les problèmes, dont à leur avis les institutions ne s’occupent pas, soient encore petits, l’intérêt qu’ils reçoivent des autres et la disponibilité des outils et des infrastructures faciles à utiliser peuvent conduire à des groupes plus nombreux et plus grands, et à un réseau plus fort d’individus. Ce que nous voyons actuellement est une tendance à l’indépendance des personnes qui pensent et qui font. Ils développeront peut-être un jour leurs propres institutions, mais risquent aussi de rester des groupes faiblement liés d’individus isolés.

C’est la même chose en ce qui concerne la transition vers une société de pair à pair. La transition est en cours. Elle n’a pas besoin d’une révolution mais elle croît à côté du système actuel. Elle accélère là où le système actuel échoue. Elle a besoin de cet élan, et si le système actuel résout soudain les problèmes, ou si le système P2P n’y arrive pas, cette tendance pourrait s’arrêter. Pour le moment, ça grandit.

Les citoyens ont envie de contribuer à trouver des solutions aux problèmes que le système néo-libéral échoue à résoudre, comme les problèmes d’environnement, de représentation démocratique (publiclab.org). Les citoyens partagent de plus en plus pour la prise de décision à mesure que notre société évolue vers un modèle P2P (Public Laboratory, 2016).

Les citoyens ont prouvé qu’ils étaient capables de formuler leurs propres thèmes de recherche, de monter leurs propres projets, de se former et de gérer des projets complexes. Il est temps de les prendre au sérieux.

Les scientifiques contribuent déjà à l’émancipation des citoyens en développant par exemple de nouvelles technologies et licences, mais celles-ci découlent de la connaissance scientifique. Il est aussi nécessaire de partager la connaissance elle-même. Si les scientifiques veulent que leurs résultats soient utiles, ils doivent les rendre accessibles aux citoyens.

Les connaissances créées par les citoyens peuvent être très utiles aux chercheurs universitaires. Néanmoins, l’initiative de donner quelque chose en retour à la communauté doit être prise par les chercheurs universitaires qui s’engagent dans des projets de science citoyenne.

Nous ne sommes pas loin de nous débarrasser de tout ce qui entrave la voie de la production collaborative de connaissances utiles. Il faudra des ajustements de part et d’autre pour rassembler la science citoyenne et la science universitaire, mais nous pouvons joindre nos efforts afin de rendre possible cette transition durable.

Comment ? En collaborant, on te dit, mon chaton !

Bibliographie

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Le « gouvernement ouvert » à la française : un leurre ?

Alors que la France s’apprête à accueillir le Sommet mondial du Partenariat pour un Gouvernement Ouvert, plusieurs associations pointent les contradictions du gouvernement. Certaines ne s’y rendront pas.

Bilan du gouvernement ouvert à la française (9 pages), co-signé par les associations et collectifs suivants : April, BLOOM, DemocracyOS France, Fais ta loi, Framasoft, La Quadrature du Net, Ligue des Droits de l’Homme, Regards Citoyens, République citoyenne, SavoirsCom1.

Derrière un apparent « dialogue avec la société civile », la France est loin d’être une démocratie exemplaire

Le « gouvernement ouvert » est une nouvelle manière de collaborer entre les acteurs publics et la société civile, pour trouver des solutions conjointes aux grands défis auxquels les démocraties font face : les droits humains, la préservation de l’environnement, la lutte contre la corruption, l’accès pour tous à la connaissance, etc.

Soixante-dix pays se sont engagés dans cette démarche en adhérant au Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO), qui exige de chaque État la conception et la mise en œuvre d’un Plan d’action national, en collaboration étroite avec la société civile.

La France a adhéré au Partenariat pour un Gouvernement Ouvert en avril 2014, et publié son premier Plan d’action national en juillet 2015. Depuis octobre 2016, le gouvernement français co-préside le PGO, avec l’association américaine WRI (World Resource Institute) et la France accueille le Sommet mondial du PGO à Paris, du 7 au 9 décembre 2016, présenté comme la « COP 21 de la démocratie ».

En tant que « pays des droits de l’Homme », nation co-présidente et hôte du Sommet mondial du PGO, on pourrait attendre de la France qu’elle donne l’exemple en matière de gouvernement ouvert.

Hélas, à ce jour, les actes n’ont pas été à la hauteur des annonces, y compris dans les trois domaines que la France elle-même considère prioritaires (1. Climat et développement durable ; 2. Transparence, intégrité et lutte contre la corruption ; 3. Construction de biens communs numériques) et ce, malgré l’autosatisfaction affichée du gouvernement. Pire, certaines décisions et pratiques, à rebours du progrès démocratique promu par le Partenariat pour un gouvernement ouvert, font régresser la France et la conduisent sur un chemin dangereux.

Les associations signataires de ce communiqué dressent un bilan critique et demandent au gouvernement et aux parlementaires de revoir certains choix qui s’avèrent radicalement incompatibles avec l’intérêt général et l’esprit du PGO, et de mettre enfin en cohérence leurs paroles et leurs actes.

Lire le bilan complet (9 pages).

Les co-signataires

L’April est la principale association de promotion et de défense du logiciel libre dans l’espace francophone. La mobilisation de ses bénévoles et de son équipe de permanents lui permet de mener des actions nombreuses et variées en faveur des libertés informatiques.

BLOOM, Fondée en 2005 par Claire Nouvian, BLOOM est entièrement dévouée aux océans et à ceux qui en vivent. Sa mission est d’œuvrer pour le bien commun en mettant en œuvre un pacte durable entre l’homme et la mer.

DemocracyOS France est une association qui promeut l’usage d’une plateforme web open source permettant de prendre des décisions de manière transparente et collective.

Fais Ta Loi est un collectif qui a pour but d’aider les publics les plus éloignés du débat démocratique à faire entendre leur voix au Parlement.

Framasoft est un réseau dédié à la promotion du « libre » en général et du logiciel libre en particulier.

Ligue des Droits de l’Homme : agit pour la défense des droits et libertés, de toutes et de tous. Elle s’intéresse à la citoyenneté sociale et propose des mesures pour une démocratie forte et vivante, en France et en Europe.

La Quadrature du Net : La Quadrature du Net est une association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet.

Regards Citoyens est un collectif transpartisan né en 2009 qui promeut la transparence démocratique et l’ouverture des données publiques pour alimenter le débat politique. Il est a l’initiative d’une douzaine d’initiatives dont NosDeputés.fr et LaFabriqueDeLaLoi.fr.

République citoyenne est une association, créée en 2013, qui a pour but de stimuler l’esprit critique des citoyens sur les questions démocratiques et notamment sur le gouvernement ouvert.

SavoirsCom1 est un collectif dédié à la défense de politiques publiques en faveur des Communs de la connaissance.

 

Crédit image : Marie-Lan Nguyen (CC BY 2.0)




Pourquoi Framasoft n’ira plus prendre le thé au ministère de l’Éducation Nationale

Cet article vise à clarifier la position de Framasoft, sollicitée à plusieurs reprises par le Ministère de l’Éducation Nationale ces derniers mois. Malgré notre indignation, il ne s’agit pas de claquer la porte, mais au contraire d’en ouvrir d’autres vers des acteurs qui nous semblent plus sincères dans leur choix du libre et ne souhaitent pas se cacher derrière une « neutralité et égalité de traitement » complètement biaisée par l’entrisme de Google, Apple ou Microsoft au sein de l’institution.

Pour commencer

Une technologie n’est pas neutre, et encore moins celui ou celle qui fait des choix technologiques. Contrairement à l’affirmation de la Ministre de l’Éducation Mme Najat Vallaud-Belkacem, une institution publique ne peut pas être « neutre technologiquement », ou alors elle assume son incompétence technique (ce qui serait grave). En fait, la position de la ministre est un sophisme déjà bien ancien ; c’est celui du Gorgias de Platon qui explique que la rhétorique étant une technique, il n’y en a pas de bon ou de mauvais usage, elle ne serait qu’un moyen.

Or, lui oppose Socrate, aucune technique n’est neutre : le principe d’efficacité suppose déjà d’opérer des choix, y compris économiques, pour utiliser une technique plutôt qu’une autre ; la possession d’une technique est déjà en soi une position de pouvoir ; enfin, rappelons l’analyse qu’en faisait Jacques Ellul : la technique est un système autonome qui impose des usages à l’homme qui en retour en devient addict. Même s’il est consternant de rappeler de tels fondamentaux à ceux qui nous gouvernent, tout choix technologique suppose donc une forme d’aliénation. En matière de logiciels, censés servir de supports dans l’Éducation Nationale pour la diffusion et la production de connaissances pour les enfants, il est donc plus qu’évident que choisir un système plutôt qu’un autre relève d’une stratégie réfléchie et partisane.

Le tweet confondant neutralité logicielle et choix politique.
Le tweet confondant neutralité logicielle et choix politique.

Un système d’exploitation n’est pas semblable à un autre, il suffit pour cela de comparer les deux ou trois principaux OS du marché (privateur) et les milliers de distributions GNU/Linux, pour comprendre de quel côté s’affichent la créativité et l’innovation. Pour les logiciels en général, le constat est le même : choisir entre des logiciels libres et des logiciels privateurs implique une position claire qui devrait être expliquée. Or, au moins depuis 1997, l’entrisme de Microsoft dans les organes de l’Éducation Nationale a abouti à des partenariats et des accords-cadres qui finirent par imposer les produits de cette firme dans les moindres recoins, comme s’il était naturel d’utiliser des solutions privatrices pour conditionner les pratiques d’enseignement, les apprentissages et in fine tous les usages numériques. Et ne parlons pas des coûts que ces marchés publics engendrent, même si les solutions retenues le sont souvent, au moins pour commencer, à « prix cassé ».

Depuis quelque temps, au moins depuis le lancement de la première vague de son projet Degooglisons Internet, Framasoft a fait un choix stratégique important : se tourner vers l’éducation populaire, avec non seulement ses principes, mais aussi ses dynamiques propres, ses structures solidaires et les valeurs qu’elle partage. Nous ne pensions pas que ce choix pouvait nous éloigner, même conceptuellement, des structures de l’Éducation Nationale pour qui, comme chacun le sait, nous avons un attachement historique. Et pourtant si… Une rétrospective succincte sur les relations entre Microsoft et l’Éducation Nationale nous a non seulement donné le tournis mais a aussi occasionné un éclair de lucidité : si, malgré treize années d’(h)activisme, l’Éducation Nationale n’a pas bougé d’un iota sa préférence pour les solutions privatrices et a même radicalisé sa position récemment en signant un énième partenariat avec Microsoft, alors nous utiliserions une partie des dons, de notre énergie et du temps bénévole et salarié en pure perte dans l’espoir qu’il y ait enfin une position officielle et des actes concrets en faveur des logiciels libres. Finalement, nous en sommes à la fois indignés et confortés dans nos choix.

Extrait de l'accord-Cadre MS-EN novembre 2015
Extrait de l’accord-Cadre MS-EN novembre 2015

L’Éducation Nationale et Microsoft, une (trop) longue histoire

En France, les rapports qu’entretient le secteur de l’enseignement public avec Microsoft sont assez anciens. On peut remonter à la fin des années 1990 où eurent lieu les premiers atermoiements à l’heure des choix entre des solutions toutes faites, clés en main, vendues par la société Microsoft, et des solutions de logiciels libres, nécessitant certes des efforts de développement mais offrant à n’en pas douter, des possibilités créatrices et une autonomie du service public face aux monopoles économiques. Une succession de choix délétères nous conduisent aujourd’hui à dresser un tableau bien négatif.

Dans un article paru dans Le Monde du 01/10/1997, quelques mois après la réception médiatisée de Bill Gates par René Monory, alors président du Sénat, des chercheurs de l’Inria et une professeure au CNAM dénonçaient la mainmise de Microsoft sur les solutions logicielles retenues par l’Éducation Nationale au détriment des logiciels libres censés constituer autant d’alternatives fiables au profit de l’autonomie de l’État face aux monopoles américains. Les mots ne sont pas tendres :

(…) Microsoft n’est pas la seule solution, ni la meilleure, ni la moins chère. La communauté internationale des informaticiens développe depuis longtemps des logiciels, dits libres, qui sont gratuits, de grande qualité, à la disposition de tous, et certainement beaucoup mieux adaptés aux objectifs, aux besoins et aux ressources de l’école. Ces logiciels sont largement préférés par les chercheurs, qui les utilisent couramment dans les contextes les plus divers, et jusque dans la navette spatiale. (…) On peut d’ailleurs, de façon plus générale, s’étonner de ce que l’administration, et en particulier l’Éducation Nationale, préfère acheter (et imposer à ses partenaires) des logiciels américains, plutôt que d’utiliser des logiciels d’origine largement européenne, gratuits et de meilleure qualité, qui préserveraient notre indépendance technologique.

L’année suivante, en octobre 1998, le Ministère de l’Éducation Nationale signe avec l’AFUL un accord-cadre pour l’exploitation, le développement et l’expertise de solutions libres dans les établissements. Le Ministère organise même en juillet 1999 une Université d’été « La contribution des logiciels et ressources libres à l’amélioration de l’environnement de travail des enseignants et des élèves sur les réseaux ».

Microsoft : Do you need a backdoor ?
Microsoft : Do you need a backdoor ?

D’autres témoignages mettent en lumière des tensions entre logiciels libres et logiciels privateurs dans les décisions d’équipement et dans les intentions stratégiques de l’Éducation Nationale au tout début des années 2000. En revanche, en décembre 2003, l’accord-cadre1 Microsoft et le Ministère de l’Éducation Nationale change radicalement la donne et propose des solutions clés en main intégrant trois aspects :

  • tous les établissements de l’Éducation Nationale sont concernés, des écoles primaires à l’enseignement supérieur ;
  • le développement des solutions porte à la fois sur les systèmes d’exploitation et la bureautique, c’est-à-dire l’essentiel des usages ;
  • la vente des logiciels se fait avec plus de 50% de remise, c’est-à-dire avec des prix résolument tirés vers le bas.

Depuis lors, des avenants à cet accord-cadre sont régulièrement signés. Comme si cela ne suffisait pas, certaines institutions exercent leur autonomie et établissent de leur côté des partenariats « en surplus », comme l’Université Paris Descartes le 9 juillet 2009, ou encore les Villes, comme Mulhouse qui signe un partenariat Microsoft dans le cadre de « plans numériques pour l’école », même si le budget est assez faible comparé au marché du Ministère de l’Éducation.

Il serait faux de prétendre que la société civile ne s’est pas insurgée face à ces accords et à l’entrisme de la société Microsoft dans l’enseignement. On ne compte plus les communiqués de l’April (souvent conjoints avec d’autres associations du Libre) dénonçant ces pratiques. Bien que des efforts financiers (discutables) aient été faits en faveur des logiciels libres dans l’Éducation Nationale, il n’en demeure pas moins que les pratiques d’enseignement et l’environnement logiciel des enfants et des étudiants sont soumis à la microsoftisation des esprits, voire une Gafamisation car la firme Microsoft n’est pas la seule à signer des partenariats dans ce secteur. Le problème ? Il réside surtout dans le coût cognitif des outils logiciels qui, sous couvert d’apprentissage numérique, enferme les pratiques dans des modèles privateurs : « Les enfants qui ont grandi avec Microsoft, utiliseront Microsoft ».

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Et si c’était MacDonald’s qui rentrait dans les cantines scolaires…? Les habitudes malsaines peuvent se prendre dès le plus jeune âge.

On ne saurait achever ce tableau sans mentionner le plus récent partenariat Microsoft-EN signé en novembre 2015 et vécu comme une véritable trahison par, entre autres, beaucoup d’acteurs du libre. Il a en effet été signé juste après la grande consultation nationale pour le Projet de Loi Numérique porté par la ministre Axelle Lemaire. La consultation a fait ressortir un véritable plébiscite en faveur du logiciel libre dans les administrations publiques et des amendements ont été discutés dans ce sens, même si le Sénat a finalement enterré l’idée. Il n’en demeure pas moins que les défenseurs du logiciel libre ont cru déceler chez nombre d’élus une oreille attentive, surtout du point de vue de la souveraineté numérique de l’État. Pourtant, la ministre Najat Vallaud-Belkacem a finalement décidé de montrer à quel point l’Éducation Nationale ne saurait être réceptive à l’usage des logiciels libre en signant ce partenariat, qui constitue, selon l’analyse par l’April des termes de l’accord, une « mise sous tutelle de l’informatique à l’école » par Microsoft.

Entre libre-washing et méthodes douteuses

Pour être complète, l’analyse doit cependant rester honnête : il existe, dans les institutions de l’Éducation Nationale des projets de production de ressources libres. On peut citer par exemple le projet EOLE (Ensemble Ouvert Libre Évolutif), une distribution GNU/Linux basée sur Ubuntu, issue du Pôle de compétence logiciel libre, une équipe du Ministère de l’Éducation Nationale située au rectorat de l’académie de Dijon. On peut mentionner le projet Open Sankoré, un projet de développement de tableau interactif au départ destiné à la coopération auprès de la Délégation Interministérielle à l’Éducation Numérique en Afrique (DIENA), repris par la nouvelle Direction du numérique pour l’éducation (DNE) du Ministère de l’EN, créée en 2014. En ce qui concerne l’information et la formation des personnels, on peut souligner certaines initiatives locales comme le site Logiciels libres et enseignement de la DANE (Délégation Académique au Numérique Éducatif) de l’académie de Versailles. D’autres projets sont parfois maladroits comme la liste de « logiciels libres et gratuits » de l’académie de Strasbourg, qui mélange allègrement des logiciels libres et des logiciels privateurs… pourvus qu’ils soient gratuits.

Les initiatives comme celles que nous venons de recenser se comptent néanmoins sur les doigts des deux mains. En pratique, l’environnement des salles informatiques des lycées et collèges reste aux couleurs Microsoft et les tablettes (réputées inutiles) distribuées çà et là par villes et départements, sont en majorité produites par la firme à la pomme2. Les enseignants, eux, n’ayant que très rarement voix au chapitre, s’épuisent souvent à des initiatives en classe fréquemment isolées bien que créatives et efficaces. Au contraire, les inspecteurs de l’Éducation Nationale sont depuis longtemps amenés à faire la promotion des logiciels privateurs quand ils ne sont pas carrément convoqués chez Microsoft.

Convocation Inspecteurs de l'EN chez Microsoft
Convocation Inspecteurs de l’EN chez Microsoft

L’interprétation balance entre deux possibilités. Soit l’Éducation Nationale est composée exclusivement de personnels incohérents prêts à promouvoir le logiciel libre partout mais ne faisant qu’utiliser des suites Microsoft. Soit des projets libristes au sein de l’Éducation Nationale persistent à exister, composés de personnels volontaires et motivés, mais ne s’affichent que pour mieux mettre en tension les solutions libres et les solutions propriétaires. Dès lors, comme on peut s’attendre à ce que le seul projet EOLE ne puisse assurer toute une migration de tous les postes de l’EN à un système d’exploitation libre, il est logique de voir débouler Microsoft et autres sociétés affiliées présentant des solutions clés en main et économiques. Qu’a-t-on besoin désormais de conserver des développeurs dans la fonction publique puisque tout est pris en charge en externalisant les compétences et les connaissances ? Pour que cela ne se voie pas trop, on peut effectivement s’empresser de mettre en avant les quelques deniers concédés pour des solutions libres, parfois portées par des sociétés à qui on ne laisse finalement aucune chance, telle RyXéo qui proposait la suite Abulédu.

Finalement, on peut en effet se poser la question : le libre ne serait-il pas devenu un alibi, voire une caution bien mal payée et soutenue au plus juste, pour légitimer des solutions privatrices aux coûts exorbitants ? Les décideurs, DSI et autres experts, ne préfèrent-ils pas se reposer sur un contrat Microsoft plutôt que sur le management de développeurs et de projets créatifs ? Les solutions les plus chères sont surtout les plus faciles.

Plus faciles, mais aussi plus douteuses ! On pourra en effet se pencher à l’envi sur les relations discutables entre certains cadres de Microsoft France et leurs postes occupés aux plus hautes fonctions de l’État, comme le montrait le Canard Enchaîné du 30 décembre 2015. Framasoft se fait depuis longtemps l’écho des manœuvres de Microsoft sans que cela ne soulève la moindre indignation chez les décideurs successifs au Ministère3. On peut citer, pêle-mêle :

Cette publicité est un vrai tweet Microsoft. Oui. Cliquez sur l'image pour lire l'article de l'APRIL à ce sujet.
Cette publicité est un vrai tweet Microsoft. Oui.
Cliquez sur l’image pour lire l’article de l’APRIL à ce sujet.

 

Du temps et de l’énergie en pure perte

« Vous n’avez qu’à proposer », c’est en substance la réponse balourde par touittes interposés de Najat Vallaud-Belkacem aux libristes qui dénonçaient le récent accord-cadre signé entre Microsoft et le Ministère. Car effectivement, c’est bien la stratégie à l’œuvre : alors que le logiciel libre suppose non seulement une implication forte des décideurs publics pour en adopter les usages, son efficience repose également sur le partage et la contribution. Tant qu’on réfléchit en termes de pure consommation et de fournisseur de services, le logiciel libre n’a aucune chance. Il ne saurait être adopté par une administration qui n’est pas prête à développer elle-même (ou à faire développer) pour ses besoins des logiciels libres et pertinents, pas plus qu’à accompagner leur déploiement dans des milieux qui ne sont plus habitués qu’à des produits privateurs prêts à consommer.

Au lieu de cela, les décideurs s’efforcent d’oublier les contreparties du logiciel libre, caricaturent les désavantages organisationnels des solutions libres et légitiment la Microsoft-providence pour qui la seule contrepartie à l’usage de ses logiciels et leur « adaptation », c’est de l’argent… public. Les conséquences en termes de hausses de tarifs des mises à jour, de sécurité, de souveraineté numérique et de fiabilité, par contre, sont des sujets laissés vulgairement aux « informaticiens », réduits à un débat de spécialistes dont les décideurs ne font visiblement pas partie, à l’instar du Ministère de la défense lui aussi aux prises avec Microsoft.

Comme habituellement il manque tout de même une expertise d’ordre éthique, et pour peu que des compétences libristes soient nécessaires pour participer au libre-washing institutionnel, c’est vers les associations que certains membres de l’Éducation Nationale se tournent. Framasoft a bien souvent été démarchée soit au niveau local pour intervenir dans des écoles / collèges / lycées afin d’y sensibiliser au Libre, soit pour collaborer à des projets très pertinents, parfois même avec des possibilités de financement à la clé. Ceci depuis les débuts de l’association qui se présente elle-même comme issue du milieu éducatif.

Témoignage usage de Framapad à l'école
Témoignage : usage de Framapad à l’école

Depuis plus de dix ans Framasoft intervient sur des projets concrets et montre par l’exemple que les libristes sont depuis longtemps à la fois forces de proposition et acteurs de terrain, et n’ont rien à prouver à ceux qui leur reprocheraient de se contenter de dénoncer sans agir. Depuis deux décennies des associations comme l’April ont impulsé des actions, pas seulement revendicatrices mais aussi des conseils argumentés, de même que l’AFUL (mentionnée plus haut). Las… le constat est sans appel : l’Éducation Nationale a non seulement continué à multiplier les relations contractuelles avec des firmes comme Microsoft, barrant la route aux solutions libres, mais elle a radicalisé sa position en novembre 2015 en un ultime pied de nez à ces impertinentes communautés libristes.

Nous ne serons pas revanchards, mais il faut tout de même souligner que lorsque des institutions publiques démarchent des associations composées de membres bénévoles, les tâches demandées sont littéralement considérées comme un dû, voire avec des obligations de rendement. Cette tendance à amalgamer la soi-disant gratuité du logiciel libre et la soi-disant gratuité du temps bénévole des libristes, qu’il s’agisse de développement ou d’organisation, est particulièrement détestable.

Discuter au lieu de faire

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À quelles demandes avons-nous le plus souvent répondu ? Pour l’essentiel, il s’agit surtout de réunions, de demandes d’expertises dont les résultats apparaissent dans des rapports, de participation plus ou moins convaincante (quand il s’agit parfois de figurer comme caution) à des comités divers, des conférences… On peut discuter de la pertinence de certaines de ces sollicitations tant les temporalités de la réflexion et des discours n’ont jamais été en phase avec les usages et l’évolution des pratiques numériques.

Le discours de Framasoft a évolué en même temps que grandissait la déception face au décalage entre de timides engagements en faveur du logiciel libre et des faits attestant qu’à l’évidence le marché logiciel de l’Éducation Nationale était structuré au bénéfice des logiques privatrices. Nous en sommes venus à considérer que…

  • si, en treize ans de sensibilisation des enseignants et des décideurs, aucune décision publique n’a jamais assumé de préférence pour le logiciel libre ;
  • si, en treize ans, le discours institutionnel s’est même radicalisé en défaveur du Libre : en 2003, le libre n’est « pas souhaitable » ; en 2013 le libre et les formats ouverts pourraient causer des « difficultés juridiques » ; en 2016, le libre ne pourra jamais être prioritaire malgré le plébiscite populaire4

…une association comme Framasoft ne peut raisonnablement continuer à utiliser l’argent de ses donateurs pour dépenser du temps bénévole et salarié dans des projets dont les objectifs ne correspondent pas aux siens, à savoir la promotion et la diffusion du Libre.

Par contre, faire la nique à Microsoft en proposant du Serious Gaming éducatif, ça c'est concret !
Par contre, faire la nique à Microsoft en proposant du Serious Gaming éducatif, ça c’est concret !

L’éducation populaire : pas de promesses, des actes

Framasoft s’est engagée depuis quelque temps déjà dans une stratégie d’éducation populaire. Elle repose sur les piliers suivants :

  • social : le mouvement du logiciel libre est un mouvement populaire où tout utilisateur est créateur (de code, de valeur, de connaissance…) ;
  • technique : par le logiciel libre et son développement communautaire, le peuple peut retrouver son autonomie numérique et retrouver savoirs et compétences qui lui permettront de s’émanciper ;
  • solidaire : le logiciel libre se partage, mais aussi les compétences, les connaissances et même les ressources. Le projet CHATONS démontre bien qu’il est possible de renouer avec des chaînes de confiance en mobilisant des structures au plus proche des utilisateurs, surtout si ces derniers manquent de compétences et/ou d’infrastructures.

Quelles que soient les positions institutionnelles, nous sommes persuadés qu’en collaborant avec de petites ou grandes structures de l’économie sociale et solidaire (ESS), avec le monde culturel en général, nous touchons bien plus d’individus. Cela sera également bien plus efficace qu’en participant à des projets avec le Ministère de l’Éducation Nationale, qui se révèlent n’avoir au final qu’une portée limitée. Par ailleurs, nous sommes aussi convaincus que c’est là le meilleur moyen de toucher une grande variété de publics, ceux-là mêmes qui s’indigneront des pratiques privatrices de l’Éducation Nationale.

Néanmoins, il est vraiment temps d’agir, car même le secteur de l’ESS commence à se faire « libre-washer » et noyauter par Microsoft : par exemple la SocialGoodWeek a pour partenaires MS et Facebook ; ou ADB Solidatech qui équipe des milliers d’ordinateurs pour associations avec des produits MS à prix cassés.

Page SocialGoodWeek, sponsors
Page SocialGoodWeek, sponsors

Ce positionnement du « faire, faire sans eux, faire malgré eux » nous a naturellement amenés à développer notre projet Degooglisons Internet. Mais au-delà, nous préférons effectivement entrer en relation directe avec des enseignants éclairés qui, plutôt que de perdre de l’énergie à convaincre la pyramide hiérarchique kafkaïenne, s’efforcent de créer des projets concrets dans leurs (minces) espaces de libertés. Et pour cela aussi le projet Degooglisons Internet fait mouche.

Nous continuerons d’entretenir des relations de proximité et peut-être même d’établir des projets communs avec les associations qui, déjà, font un travail formidable dans le secteur de l’Éducation Nationale, y compris avec ses institutions, telles AbulEdu, Sésamath et bien d’autres. Il s’agit là de relations naturelles, logiques et même souhaitables pour l’avancement du Libre. Fermons-nous définitivement la porte à l’Éducation Nationale ? Non… nous inversons simplement les rôles.

Pour autant, il est évident que nous imposons implicitement des conditions : les instances de l’Éducation Nationale doivent considérer que le logiciel libre n’est pas un produit mais que l’adopter, en plus de garantir une souveraineté numérique, implique d’en structurer les usages, de participer à son développement et de généraliser les compétences en logiciels libres. Dans un système déjà noyauté (y compris financièrement) par les produits Microsoft, la tâche sera rude, très rude, car le coût cognitif est déjà cher payé, dissimulé derrière le paravent brumeux du droit des marchés publics (même si en la matière des procédures négociées peuvent très bien être adaptées au logiciel libre). Ce n’est pas (plus) notre rôle de redresser la barre ou de cautionner malgré nous plus d’une décennie de mauvaises décisions pernicieuses.

Si l’Éducation Nationale décide finalement et officiellement de prendre le bon chemin, avec force décrets et positions de principe, alors, ni partisans ni vindicatifs, nous l’accueillerons volontiers à nos côtés car « la route est longue, mais la voie est libre… ».

— L’association Framasoft

Par contre, si c'est juste pour prendre le thé... merci de se référer à l'erreur 418.
En revanche, si c’est juste pour prendre le thé… merci de se référer à l’erreur 418.


  1. Voir aussi sur education.gouv.fr. Autre lien sur web.archive.org.
  2. Mais pas toujours. Microsoft cible aussi quelques prospects juteux avec les établissements « privés » sous contrat avec l’EN, qui bénéficient d’une plus grande autonomie décisionnelle en matière de numérique. Ainsi on trouve de véritables tableaux de chasse sur le site de Microsoft France. Exemple : Pour les élèves du collège Saint Régis-Saint Michel du Puy-en-Velay (43), « Windows 8, c’est génial ! ».
  3. Certes, on pourrait aussi ajouter que, bien qu’il soit le plus familier, Microsoft n’est pas le seul acteur dans la place: Google est membre fondateur de la « Grande École du Numérique » et Apple s’incruste aussi à l’école avec ses tablettes.
  4. On pourra aussi noter le rôle joué par l’AFDEL et Syntec Numérique dans cette dernière décision, mais aussi, de manière générale, par les lobbies dans les couloirs de l’Assemblée et du Sénat. Ceci n’est pas un scoop.



Le libre a sa place à la Fête de l’Huma

C’est devenu quasiment une tradition : la Fête de l’Humanité accueille un espace dédié à la culture libre, aux hackers et aux fablabs.

L’occasion est belle pour les associations de montrer au grand public ce que produit concrètement le monde du libre.

C’est l’œuvre de l’infatigable Yann Le Pollotec et de quelques militants acharnés qui, chaque année se démènent pour faire renaître cette initiative.

L’espace Logiciel Libre / Hackers / Fablabs de la fête de l’Huma 2015


Yann, peux-tu nous dire ce qu’il y aura de nouveau cette année, au-delà des habituels stands ?

Yann Le Pollotec : Les nouveaux de cette année seront « le petit fablab de Paris » qui proposera de construire collectivement une machine infernale interactive, le Journal du Hacker qui a pour ambition de présenter l’activité des hackers francophones, du mouvement du Logiciel Libre et open source en langue française, LinuxJobs.fr qui est le site d’emploi de la communauté du Logiciel Libre et Open Source, le camion AMI des Villages, fablab itinérant de Trira (initiation Informatique et Internet, permanences d’écrivain public numérique, package numérique social, ateliers bidouilles, fablab R2D2 (Récupération et Réemploi pour le Développement Durable… en Rhône-Alpes), et enfin la Fondation Gabriel Péri qui présentera son projet de recherche sur le travail et le numérique.

Par ailleurs trois grands débats rythmeront, la vie de l’Espace : le vendredi 9 septembre à 17h30 « Faire de Plaine Commune dans le 9-3 un territoire numérique apprenant et participatif avec la création d’un revenu contributif » avec Bernard Stiegler et Patrick Braouzec, le samedi 10 septembre à 10h30 « Les tiers lieux sont-ils des espaces du travail émancipé ? » avec Michel Lallemand, et Laurence Allard, et Emmanuel Gilloz, et à 18h30 « Les plateformes numériques et l’avenir du travail » avec Coopaname. Et bien sûr on retrouvera les stands de tous les habitués : April, Apedec/Ecodesign-Fablab, Collectif Emmabuntüs, FDN, Franciliens.net, Framasoft, Mageia, Les Ordis Libres, La Mouette (Libre Office), Licence Creative Commons France, Ubuntu-fr…

Collectif Emmabuntüs : Autre nouveauté cette année nous avons un projet d’affiche qui nous est réalisé gracieusement par notre ami dessinateur Péhä, fervent défenseur du logiciel libre. Cette affiche a pour but de créer une identité visuelle pour le public de la Fête, afin qu’il comprenne le titre de notre Espace : logiciel libre, hackers, fablabs, et les associe à des mots qu’il connaît mieux : « Liberté-Egalité-Fraternité ». Nous espérons que cette affiche sera adoptée par le public et les bénévoles de notre Espace, car nous avons dû la faire un peu dans l’urgence. 🙁

En exclusivité pour les lecteurs du Framablog, un crayonné d'une partie de l'affiche pour l'Espace du logiciel libre, des hackers et des fablabs de la fête de l'Huma par Péhä.
En exclusivité pour les lecteurs du Framablog, un crayonné d’une partie de l’affiche pour l’Espace du logiciel libre, des hackers et des fablabs de la fête de l’Huma par Péhä.

 

Collectif Emmabuntüs : Et aussi, sur notre stand, nous allons durant toute la Fête inviter des associations humanitaires : Ailleurs-Solidaires, YovoTogo, RAP2S avec qui nous avons travaillé cette année sur des projets d’équipement d’écoles, de centre de formation, des dispensaires pour qu’elles animent notre stand et qu’elles parlent aux visiteurs de cas concrets et réels d’utilisation d’ordinateurs de réemploi sous GNU/Linux, et de l’apport de ceux-ci à leur projet au Népal, Togo, Côte d’Ivoire. L’autre but est d’avoir nos associations partenaires sur notre stand afin d’échanger avec les membres de notre collectif sur des pratiques utilisation de Linux, et aussi et surtout de se connaître et de partager ce grand moment convivial qu’est la Fête de l’Huma.

Nous aurons aussi notre ami François de Multisystem & de OpenHardware qui reviendra cette année sur notre espace pour présenter la suite de son robot pendulaire libre Bidule, et qui nous fera des démonstrations de celui-ci dans les allées autour de l’Espace.


Quel bilan tires-tu des précédentes éditions ? Est-ce que cet espace est désormais un acquis ou est-ce qu’il te faut convaincre l’organisation de la Fête de l’Huma chaque année ?

Yann Le Pollotec : Il y a une vrai rencontre entre le public de la fête de l’Huma et les acteurs du logiciel libre et des fablabs, avec un gros brassage et une grande diversité allant de celui qui « découvre la lune », aux bidouilleurs avertis ou aux professionnels en passant par le curieux, le militant du libre, l’amateur éclairé. L’Espace est devenu à la fois un lieu de débat citoyen, de découverte par le faire, d’éducation populaire où se mêlent jeunes, militant-e-s, enseignant-e-s, technophiles et élu-e-s. On voit d’ailleurs d’une année sur l’autre un public de plus en plus averti et ayant une culture numérique de plus en plus étendue ce qui va nous pousser à faire évoluer l’Espace dans les années qui viennent pour le rendre encore plus participatif. Pourquoi pas pour la prochaine édition un hackathon.

L’Espace a certes conquis ses lettres de noblesse à la fête de l’Huma, mais il ne doit pas s’endormir sur ses lauriers, d’autant que les conditions économiques de tenue de la Fête sont de plus en plus difficiles.

Collectif Emmabuntüs : Nous partageons le point de vue de Yann, sur le ressenti du public, et il faut aussi que notre Espace se mette plus en avant avec des démonstrations à faire partager au public, comme cette année avec la construction collaborative d’une machine infernale interactive par le Petit Fablab de Paris, la réalisation d’une carte mentale avec le public par la Fondation Gabriel Péri, et les ateliers bidouilles de Trira sur la construction de Jerry. Nous espérons que le public sera conquis par plus de participation de sa part, et comprendra que le logiciel libre, les hackers et les fablabs ne sont pas réservés qu’à des geeks barbus 😉 mais que cela concerne tout le monde puisqu’ils portent dans leur philosophie le message de notre société démocratique : « Liberté-Egalité-Fraternité ». D’où l’idée de le mettre sur notre affiche pour que le public comprenne que notre message n’est pas seulement un message technique, et qu’il est aussi politique pour repenser la société technique et humaine de demain.

C’est aussi un moment privilégié pour les libristes qui se retrouvent après la parenthèse de l’été. Qu’est-ce qu’on attend des bénévoles ?

Yann Le Pollotec : On attend tout d’eux ! En fait ils sont les médiateurs essentiels entre le public quel qu’il soit et ce qui est présenté, montré, exposé, mis à disposition dans l’espace. Il s’agit d’impliquer le public, et même de le rendre acteur. Le combat pour le logiciel libre, la protection des données personnelles, la défense des communs numériques, l’open data, il se mène aussi au quotidien dans les entreprises, les administrations, l’école, les associations, et par son comportement de citoyen et de consommateur… Pour caricaturer, je crois que le numérique, c’est 90% d’humain et 10% de technique. Car même derrière les robots, les algos, les IA, il y a toujours des cerveaux et des mains humaines, avec leur créativité, leur génie mais aussi avec le « côté obscur de la force ».

J’ai en général beaucoup de retour positif de la part des bénévoles même si en fin de fête, ils sont souvent très fatigués, ce qui est normal.

Collectif Emmabuntüs : Sans les bénévoles et les associations qu’ils représentent, cet espace n’existerait pas, et ce sont eux qui animent l’Espace, qui est de plus en plus apprécié du public, ainsi que de la direction de la Fête de l’Humanité qui soutient notre mouvement de liberté, partage et d’égalité pour le logiciel et la connaissance technique. C’est la raison pour laquelle, elle nous donne l’opportunité d’être présents à l’une des plus grandes fêtes populaires au sens noble du terme en France, et nous savons que les libristes, hackers, que nous sommes, seront encore cette année à la hauteur d’une grande Fête de l’Huma et du Libre.

Tu parles des « conditions économiques » de la Fête. C’est encore plus difficile cette année de trouver des fonds pour faire tourner cet espace geek au milieu de l’immense Fête, si j’ai bien compris ?

Yann Le Pollotec : C’est plus difficile parce que structures et associations sont en difficulté économique car l’argent public comme le mécénat se font de plus en plus rares tandis que les particuliers ne voient pas leur revenu croître. Le Journal l’Humanité organisateur de la Fête, comme toute la presse indépendante des grands groupes industriels et financiers, connaît de très graves difficultés financières. Les coûts de la fête sont de plus affectés par le renchérissement des assurances et l’obligation de prendre de nouvelles mesures de sécurité à l’entrée et à l’intérieur de la fête en raison des événements dramatiques qu’a connu notre pays.

L’équation est aussi plus dure car le propriétaire de la halle augmente régulièrement substantiellement ses tarifs de location et de prestations (électricité, mobilier, parking…), ce qui nous a amené à porter le financement participatif sur https://fr.ulule.com/fablabs-fete-de-lhuma/ de 2000 € à 2100 €. De plus nous tenons à garder l’esprit d’une péréquation entre ceux qui ont le plus de moyen et ceux qui en ont le moins, ceux qui viennent de loin et ceux qui sont à côté. Au 15 août donc à 21 jours de la fin de la collecte nous en sommes à 79% de l’objectif, alors un petit effort de tous car comme on dit les petits ruisseaux font les grands fleuves.

Collectif Emmabuntüs : Nous sommes confiants dans la mobilisation de nos bénévoles et nos associations pour aider notre Espace et notre Mouvement pour la promotion du Logiciel Libre, du Partage et de l’Égalité vis à vis de la technique, et comme dit un proverbe Africain : « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin » donc nous savons que les membres et lecteurs de Framasoft nous soutiennent et que « la route est longue mais la voie est Libre ».

Un grand merci à Framasoft pour votre présence et votre soutien pour L’Espace du Logiciel Libre, des Hackers et des FabLabs à la Fête de l’Humanité 2016.

L’espace Logiciel Libre / Hackers / Fablabs de la fête de l’Huma 2015 [Exposition les Ordis Libres](http://www.lesordislibres.fr/)
L’espace Logiciel Libre / Hackers / Fablabs de la fête de l’Huma 2015
Exposition les Ordis Libres
 




Il faut libérer Nuit Debout !

Chez Framasoft on aime bien quand les gens utilisent nos services « Dégooglisons ». C’est pour ça que quand on a vu que le mouvement Nuit Debout utilise l’outil Framacarte et l’intègrer sur son site officiel notre première réaction ça a été : « Chouette ! ». Notre deuxième ça a été : « Et si on interviewait ce joyeux geek qui a repris la Framacarte pour lui demander ce qu’il en pense ? ».

Séance de vote à Nuit Debout
Séance de vote à Nuit Debout

On s’est donc mis à la recherche du mystérieux développeur qui avait créé la Framacarte de Nuit Debout pour lui poser nos questions. Autant vous dire que ça n’a pas été facile ! Pas de mail ou de formulaire de contact sur leur site, pas de service presse ou communication et encore moins d’organigramme pour retrouver qui fait quoi chez eux. Bilan de l’enquête, tout ce qu’on a obtenu, c’est un pseudo, « Pea », le libriste concepteur de la Framacarte de Nuit Debout. Mais nos recherches nous ont amené à discuter avec tout plein de geeks qui collaborent à Nuit Debout et qui ont tenté de nous donner le point de vue du mouvement concernant les logiciels libres, la surveillance d’Internet, le libre accès à l’information, etc.
On a donc décidé de vous faire une petite synthèse de tous ces échanges qui peuvent constituer, non pas un point de vue officiel de Nuit Debout, mais au moins la tendance générale du mouvement.

« Pea », quant à toi, si tu existes vraiment, n’hésite pas à te manifester, car on ne perd pas espoir de t’interviewer !

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Nuit Debout n’est pas indifférent à la question des logiciels libres et même à la culture libre en général. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller faire un tour sur le site wiki, et plus précisément à la page Numérique. Nuit Debout essaie, quand c’est possible, de favoriser l’utilisation de logiciels libres ou au moins open-source. Ils utilisent par exemple le tchat Rocket, Mediawiki pour leur wiki et même pas mal d’outils Framasoft comme les framapads, framacalcs, etc. Pierre Lalu, un des administrateurs du tchat de Nuit Debout a d’ailleurs confirmé que la question des logiciels libres et open-source était « centrale » pour Nuit Debout. En discutant avec les nuit-deboutistes (ça se dit, ça ?), on se rend rapidement compte que, comme nous, ils ne portent pas particulièrement les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) dans leurs cœurs. Ils dénoncent unanimement le modèle de société proposé par ces grands groupes. C’est même une de leurs préoccupations, même s’ils voudraient que le sujet soit plus abordé au cours de leurs assemblées générales : « De toute façon nous n’avons fait qu’effleurer les problématiques liées au numérique dans la société… Nous n’avons pas encore évoqué par exemple les sociétés comme Uber ou les livraisons de repas qui participent à un modèle de société où chacun est son propre petit patron exploité, et ça fait partie de la société que nous rejetons (je crois) » me disait @mex. Au-delà des logiciels libres, de nombreux sujets touchant au numérique le préoccupent :
« – Veut-on du modèle de société que nous apportent Uber/Blablacar/Airbnb/Deliveroo, etc. ?
– La place des femmes dans l’informatique ;
– La robotisation VS la perte d’emplois ;
– Bientôt, les questions de singularité et de transhumanisme ».

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Stand de Libre@Toi* – Fourni par OliCat

Dans son fonctionnement, Nuit Debout a adopté nombre de solutions issues de la philosophie libriste. L’autogestion prônée par le mouvement rappelle celle qui gouverne la conception de nombreux logiciels libres. Certains geeks rencontrés m’ont d’ailleurs confiés collaborer fréquemment au développement de logiciels libres. Nuit Debout s’est d’ailleurs tournée vers La Quadrature Du Net qui, au nom de ces valeurs communes, a accepté d’héberger son chat et d’autres sites rattachés au mouvement. Ces sites, ainsi que leur contenu, sont pour la plupart sous licence libre, à l’exception du logo de Nuit Debout.

EDIT 26/04/2016 : Ce n’est pas La Quadrature Du Net qui héberge les services de Nuit Debout, mais une personne membre de LQDN qui exerce par ailleurs une activité d’hébergeur. Pardon à nos ami-e-s de La Quadrature d’avoir entretenu la confusion.

Alors, le Libre a-t-il vraiment conquis Nuit Debout ? Eh bien malheureusement, pas vraiment. Si les membres de Nuit Debout utilisent volontiers des outils libres quand ils sont disponibles, ils n’ont pas de problème à utiliser des logiciels propriétaires, voir les services des affreux GAFAM, faute de mieux. C’est ce que me disait Pierre Lalu : « Tant qu’on peut faire de l’open source et du libre, on le fait. S’il est indispensable d’utiliser du propriétaire, on le fait. Mais pour l’instant, rien n’entrave notre faim du logiciel libre. »

Un exemple concret de ce problème est le choix d’un système pour les votes par Internet. Les organisateurs de Nuit Debout cherchent depuis le début un moyen pour permettre à ceux qui ne sont pas présents physiquement de prendre part aux assemblées générales. Après plusieurs essais, la solution la plus globalement retenue est l’application Loomio, créée pour le mouvement Occupy Wall Street et sous licence libre (et dont Framasoft sortira une version relocalisée dans le cadre de sa campagne Dégooglisons Internet. Mais devant la difficulté à faire adopter Loomio au grand public, beaucoup de rassemblements se sont finalement rabattus sur Google Hangouts. De même pour la communication, Facebook est un outil essentiel du mouvement.

En fait, Nuit Debout rencontre ici un problème qu’on connaît bien à Framasoft : si les avertis sont convaincus de l’intérêt des logiciels libres, il reste très compliqué de convaincre le grand public. Comme me le dit Pierre Lalu, « avant de parler de logiciels libres, il y a besoin que des gens se forment à des outils très simples ». À Framasoft on répondra que les logiciels libres peuvent être simples et le sont souvent, mais on sait aussi que le simple terme en effraie plus d’un. Le tout est donc d’aborder la question avec pédagogie afin de convaincre le plus grand nombre, non seulement de l’intérêt des logiciels libres, mais aussi de leur facilité d’utilisation. Sauf que, comme l’ont dit plusieurs organisateurs, dans les nombreux stands existants place de la République, on ne trouve pas encore de stand pour promouvoir la philosophie libriste. En fait, le seul stand que j’ai trouvé qui portait un panneau « 100% logiciel libre » est celui de nos copains de la webradio Libre@Toi* que nous avions déjà interviewés en septembre dernier. Je suis donc retourné voir OliCat, l’un des animateurs de la radio, pour savoir ce qu’il pensait de l’utilisation des logiciels libres à Nuit Debout.

Stand de Libre@Toi* – Photos par OliCat

Salut OliCat, même si à Framasoft on connaît bien Libre@Toi*, rappelle nous un peu qui tu es et ce que tu fais.
Libre@Toi* est une structure transmédia d’Éducation Populaire. Son but est d’initier un réseau pair à pair et open source où chacun se réapproprie les outils, les techniques et les concepts, les redistribue et contribue ainsi au bien commun. Libre@Toi* articule l’ensemble de son action autour des quatre principes énoncés comme des libertés par le mouvement du logiciel libre : utiliser, comprendre / analyser, redistribuer, modifier.

Je t’ai rencontré par hasard place de la République un soir, on peut savoir ce que tu faisais là-bas ?
Comme depuis plusieurs jours, nous y produisons en direct une émission qu’on a appelée « La place aux gens ». En retrait des AG, notre envie était tout simplement de recueillir la parole des gens sur place en leur demandant ce qu’ils faisaient à Nuit Debout. Une bonne entrée en matière pour verbaliser les craintes, mais aussi et surtout les espoirs.
Par ailleurs, nous nous faisons également l’écho des quelques poches de résistance présentes sur la place ou d’initiatives sympas qui prennent forme bien loin du tumulte des assemblées générales. Par exemple, nous aimons diffuser les prises de paroles de la commission Santé.
Nous avons également tendu nos micros et quelques casques aux participants d’une lecture / débat organisée à la sauvage autour d’un bouquin de Lordon. Ça a donné lieu à une émission de très bonne facture à laquelle a d’ailleurs participé Judith Bernard qui passait par là et s’est assise avec Thomas, l’instituteur qui avait lancé cet atelier pour finalement l’animer avec lui.

Qu’est-ce qui vous a poussé à installer Libre@Toi* au milieu de la Nuit Debout ? Il existe déjà une radio-debout non ? Vous apportez quoi de différent ?
Ta question est étonnante mais très révélatrice de l’ambiance sur place. Les gens veulent faire la révolution mais ont besoin des modèles qui constituent le monde qu’ils sont sensés rejeter avec ce mouvement. Nous ne comptons pas le nombre de ceux qui, à juste titre ou par pur fantasme s’estimant détenteurs de la « bonne parole » concernant Nuit Debout, commencent par nous demander si nous sommes Radio Debout. Et la plupart, évidemment préfère aller leur parler. En gros, ils cherchent le TF1 ou le BFMTV de la place de la République. C’est finalement plutôt amusant. Alors, qu’est-ce qu’on apporte de différent ? Ben précisément ça : un média alternatif.

C’est quoi le rapport entre Nuit Debout et la culture libre pour toi ?
S’il s’agit bien, à Nuit Debout, d’initier le mouvement vers le monde d’après, alors la Culture Libre est – ou devrait – être au cœur des structures qui organisent la lutte. C’est en effet pour Libre@Toi* une exigence, un mot d’ordre assez évident.

En parlant avec des gars de Nuit Debout j’ai bien vu qu’ils sympathisaient avec la philosophie du Libre sans pour autant faire grand-chose à ce sujet, c’est quelque chose que tu as remarqué aussi ?
C’est assez tardivement (sans doute aussi un peu par provocation) que nous avons accroché à notre stand une pancarte « 100% Logiciels Libres ». Et du coup, en effet, on a été contraint d’expliquer ce positionnement aux uns aux autres. Le moment drôle, c’est quand Radio Debout est venue nous demander de parler logiciels libres sur leur antenne. Ce que nous n’avons évidemment pas fait : ils peuvent venir quand ils veulent, à notre micro, causer logiciels libres avec nous en revanche ! 😀
Donc, pour te répondre : les Nuits Debouts sentent bien une pression au sujet du logiciel libre puisque d’autres que nous, La Quadrature par exemple, ont tenté de les y sensibiliser. Mais c’est clairement quelque chose de lointain. Un truc auquel ils n’ont pas pensé et dont la logique politique leur échappe complètement.

 

une interview sur le place de la République
une interview sur le place de la République

 

Est-ce que vous profitez de votre présence place de la République pour sensibiliser les gens aux logiciels libres ? Est-ce qu’on vient vous en parler d’ailleurs ?
J’ai un peu répondu au-dessus. La raison de notre présence à Nuit Debout, ce n’est pas de faire de l’évangélisation, mais bien de donner « leur place aux gens » en libérant leur parole, sans le théâtre des assemblées générales et autres commissions. La promotion du logiciel libre, nous la faisons par ailleurs chez Libre@Toi*, mais je ne t’apprends rien.

Et d’ailleurs vous avez donné des coups de main pour « libérer » Nuit Debout ?
Notre premier choc, ça a été le lancement de Radio Debout qui impose à chacun pour les écouter, la présence d’un lecteur Flash sur leur ordinateur. Ainsi, ceux qui venaient porter la voix de la « révolution » utilisaient Mixlr. Avec du recul, c’est risible. Sur ce la Quadrature est arrivée avec la promesse de « libérer Radio Debout » sur l’initiative de Benjamin Sonntag. Cette tentative ayant échoué, j’ai proposé et à plusieurs reprises de fournir un serveur Icecast. On a juste été snobés. Alors est-ce qu’on donne un coup de main pour libérer Nuit Debout ? Oui, en portant sa voix, différemment.


Ce qu’on peut donc dire de Nuit Debout c’est que le terreau pour accueillir les logiciels libres est fertile. Certains ont même déjà commencé à planter quelques graines. Mais ils sont en manque cruel de jardinier pour les former et faire croître la philosophie Libre chez eux. Il reste donc à trouver les volontaires prêts à ouvrir les stands Libre-Debout dans tous les rassemblements de France afin que les logiciels libres ne soient plus seulement un vœu pieux de Nuit Debout mais bien une réalité.

Pour celles et ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur les aspects techniques « derrière » Nuit Debout, nous les renvoyons à la lecture de l’article « #NuitDebout : comment l’orchestre participatif s’est organisé » de Rue89 (où l’on apprend que Nuit Debout utilise a aussi utilisé un Framadate à 367 participants) et « Mais qui contrôle le site nuitdebout.fr » de Numérama.

Merci à Pierre Lalu, @mex, @pm56, @lili et à tous ceux qui ont répondu à mes questions sur le chat de Nuit Debout.