Remarquable intervention d’Isabelle Attard aux États Généraux de l’Open Source

Les États Généraux de l’Open Source étaient réunis le 6 mars dernier pour une convention de synthèse. Nous avons choisi d’en reproduire ci-dessous la remarquable conclusion de la députée Isabelle Attard.

Si tous nos parlementaires partageaient en la matière ses compétences et son état d’esprit, nous n’en sérions pas là mais beaucoup plus loin.

À qui la faute ? À eux, bien sûr, mais également à nous. Alors continuons notre travail pour que sa « proposition 0 » infuse toujours plus la société. Et merci au passage pour la précieuse et pertinente analogie de l’école publique construite par une entreprise privée.

Remarque : Nous avons déjà évoqué Isabelle Attard lors de la triste histoire législative du DRM dans les livres numérique ainsi que sur la question du domaine public sur Romaine Lubrique.

Isabelle Attard

Isabelle Attard – Conférence de clôture – États Généraux de l’Open Source

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Merci Michel Isnard et Alexandre Zapolsky de m’avoir invitée à cette après-midi consacrée à l’open source.

Bravo pour tout ce qui a été accompli au sein des groupes de travail durant l’année. Juste un petit bémol : je constate qu’aucune femme n’est venue s’exprimer sur scène mais je compte sur vous pour faire mieux l’année prochaine.

Vous savez que le logiciel libre me tient à cœur. Pas pour des raisons idéologiques ou parce que « c’est à la mode », mais parce que c’est un vrai enjeu de société. Oui, je sais que je conclus les États Généraux de l’Open Source. Je sais aussi que la distinction entre logiciels Open Source et logiciels Libres est un débat virulent entre les partisans de chaque dénomination. Ces distinctions me paraissent trop peu importantes pour faire l’objet d’une argumentation. D’ailleurs, le deuxième groupe de travail aujourd’hui utilise « Open Source », et le quatrième « logiciel libre ».

Mais au quotidien, à l’Assemblée nationale, ce sont les mots « logiciel libre » qui ont ma préférence. Déjà parce qu’ils sont français. C’est un premier critère d’acceptabilité important pour être entendus de mes collègues députés. Ensuite, parce qu’ils mettent en avant la liberté, et c’est bien ce qui caractérise ces logiciels : les libertés offertes à leurs usagers. Enfin, parce que ces libertés aboutissent aux trois grands avantages majeurs des logiciels libres : coût, sécurité, pérennité.

Le premier ministre Jean-Marc Ayrault a insisté sur ces avantages dans sa fameuse circulaire sur l’usage du logiciel libre dans l’administration.

Et pourtant, pourtant, toutes mes tentatives de favoriser le logiciel libre dans la loi se sont heurtées à de grandes résistances. Lors du projet de loi refondation de l’école. Lors du projet de loi enseignement supérieur et recherche. Lors du projet de loi de finances 2014.

Mes collègues députés, je suis gênée de le dire, ont pour beaucoup fait preuve d’ignorance. Ces sujets sont complexes, et tous les parlementaires ne font pas le choix de s’y intéresser. Ils ont aussi, pour certains, cédé aux lobbies du logiciel propriétaire. Le chantage à l’emploi des grands éditeurs est une réalité.

Pourtant, je suis confiante dans l’avenir. La prise de conscience des donneurs d’ordre est une réalité, qu’ils soient des secteurs publics ou privés. De mon côté, j’ai utilisé les questions écrites aux ministères pour leur faire réaliser le bilan de leurs actions, suite à la circulaire sur le logiciel libre. Les premières réponses ont montré qu’il y avait de bons élèves, et de moins bons. Voire des silencieux.

C’est pourquoi je renverrai cette année la même série de questions. L’évolution des réponses nous permettra, à vous comme à moi, de mesurer la réalité du changement de pratique au sein de l’administration publique. Un problème récurrent au sein des ministères est l’absence d’outils de contrôle de gestion distinguant entre les dépenses liées aux logiciels libres et celles liées aux logiciels propriétaires. Je déposerai donc une autre série de question sur la mise en place de cette distinction dans la comptabilité publique.

En parallèle, je continuerai à promouvoir les nombreux avantages du logiciel libre auprès des ministres et lors des débats parlementaires.

La moitié des propositions de vos groupes de travail requiert la bonne volonté du gouvernement et/ou du Parlement pour aboutir. Les voici :

  • Modifications du Crédit Impôt Recherche
  • Financement par « l’État client »
  • Modification au sein du programme France Université Numérique
  • Adoption d’un code des marchés publics en faveur du libre, suivant le modèle italien.
  • Modification du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de techniques de l’information et de la communication, le CCAG-TIC. Ainsi, bien sûr, que son articulation avec le cahier des clauses administratives générales applicables aux prestations intellectuelles, le CCAG-PI.
  • Modification des règles des marchés publics pour imposer interopérabilité et standards ouverts.
    • Petite parenthèse. Je suis bien évidemment d’accord avec cette proposition. Mais lorsque j’ai essayé de donner, je cite : « un encouragement à l’usage de logiciels libres et de formats ouverts pour les ressources pédagogiques dans l’enseignement supérieur », on m’a répondu les choses suivantes. Je cite à nouveau : « les logiciels libres sont déjà très présents dans la communauté universitaire. C’est une culture extrêmement répandue. Il n’est donc pas important de faire figurer cela dans la loi. » Ces phrases ont été prononcées par le député Vincent Feltesse et la ministre Geneviève Fioraso. Je compte d’ailleurs beaucoup sur la ministre Fleur Pellerin pour faire de la pédagogie auprès de ses collègues en leur expliquant les avantages du logiciel libre. Je reviendrai plus tard sur la résistance au changement.
  • Intégrer le recours au logiciel libre dans les critères RSE.
  • Imposer la communication par l’État de son patrimoine logiciel.
  • Réglementer le lobbying
  • Libération de tout code produit par un agent public.
  • Création d’un centre de compétence Open Source de l’administration
  • Dégrouper dans 100% des cas l’acquisition de matériel et de logiciel.
    • Deuxième parenthèse : le groupe écologiste a tenté d’introduire dans le projet de loi Consommation, non pas le dégroupage de la vente, mais une simple information obligatoire des prix respectifs du matériel et des logiciels qui composent un ordinateur. Le ministre Benoît Hamon a refusé. Imaginez si nous avions proposé l’interdiction de vendre ces produits ensemble !
  • Dispositif fiscal de déduction des achats passés auprès des JEI et/ou PME Innovantes

Je partage assez largement ces propositions. Mais je pense qu’il en manque une, qui est un préalable à toutes celles-ci. Vous me permettrez, je l’espère, de suggérer une proposition 0. Elle s’intitulerait : « rendre le logiciel libre évident pour les décideurs politiques ». Par évident, j’entends à la fois l’aspect « solution à beaucoup de problèmes », et l’aspect « sujet simple dont je peux débattre sans passer d’abord un brevet d’aptitude ».

Aujourd’hui, à part quelques experts dans les administrations ministérielles, et une dizaine de députés, qui considère le logiciel libre comme une évidence ?

Le sujet est complexe, technique, c’est pourquoi nous devons tous faire un effort de vulgarisation. Je vous propose l’analogie suivante :

Imaginez une école publique, construite par une entreprise privée. Qui trouverait normal que l’entreprise ne fournisse par les plans à la mairie qui a payé la construction ? Qui trouverait normal que l’entreprise impose d’être la seule autorisée à réparer l’école ? Qui trouverait normal que l’entreprise interdise d’agrandir ou de modifier l’école sans son accord ?

C’est pourtant ce que les éditeurs des logiciels propriétaires payés par le secteur public imposent.

C’est, je le crois, avec des exemples simples, des analogies parlantes, que nous pourrons faire avancer la compréhension des enjeux du logiciel libre.

Le Conseil d’État l’a rappelé, le logiciel libre est un modèle de service. Ce n’est pas un choix technologique, contrairement à ce que prétendent les lobbyistes du logiciel propriétaire. Les collectivités locales ont donc parfaitement le droit d’imposer le libre dans leurs appels d’offre et dans leurs pratiques.

Il nous reste à le leur faire savoir, aussi souvent que nécessaire. Mais nous sommes tous d’accord à ce sujet, n’est-ce pas ?

Isabelle Attard




Les Communs, candidats aux municipales : 16 propositions pour tout de suite

A l’automne dernier le Réseau francophone autour des biens communs avait organisé avec succès la manifestation collective Villes en Biens Communs à laquelle Framasoft avait massivement participé.

A l’approche des élections municipales le réseau a produit une plateforme comportant 16 propositions afin de sensibiliser le politique sur le sujet (lien direct vers le pdf). On remarquera que « Faire le choix des logiciels libres » fait partie du lot.

« Ni État, ni marché, on parle beaucoup des biens communs, voire des communs tout court actuellement. Ils fournissent en effet une pertinente grille de lecture et de rassemblement pour une partie émergente de la société qui, dans un monde en crise, pousse vers plus de coopération et de partage.
C’est pourtant une notion qui n’est pas toujours bien comprise, parce qu’elle se différencie du « bien public » et qu’il n’existe pas de bien commun en soi. On parlera en effet de communs lorsqu’une communauté décide de gérer une ressource de manière collective dans une optique d’accès et d’usages équitables et durables.
Ainsi la gestion de l’eau ne peut être un bien commun quand, dans un territoire donné, elle est confiée par un acteur public à un acteur privé. Ainsi le logiciel ne peut être considéré comme un commun que lorsqu’il est libre. »

Citation extraite de l’article Pour que le domaine public soit pleinement un bien commun sur Romaine Lubrique.

Pour aller plus loin nous vous suggérons la lecture de La Renaissance des Communs, dont nous avons mis en ligne la préface.

Et puisqu’on parle de biens communs, voici une vidéo réalisée à Montréal en avril dernier, intitulée Internet bien commun, une utopie nécessaire à notre imaginaire collectif, en présence, pour nous, d’Alexis Kauffmann (qui avait raconté son périple ici).

Les Communs, candidats aux municipales : 16 propositions pour tout de suite

Le Réseau francophone autour des biens communs relie des acteurs qui défendent les Communs. Ceux-ci représentent à la fois une alternative et un complément aux approches pilotées par le marché et/ou par la puissance publique. Les Communs sont le fruit de l’action collective, quand les citoyens s’engagent et se responsabilisent.

A l’occasion des élections municipales, le réseau ouvre une première série de 16 propositions dont les candidats sont invités à s’emparer. Chaque proposition est illustrée par quelques exemples qui montrent que c’est possible ici et maintenant. Le réseau a organisé en octobre dernier le mois des Communs dont vous trouverez le site ici : http://villes.bienscommuns.org/. et qui peut être contacté à contact.vebc@bienscommuns.org.

N’hésitez pas à les relayer autour de vous et à les faire connaître à vos candidats.

Introduction

Les Communs existent quand l’action collective vient transformer une ressource en un moteur de cohabitation, de démocratie et de co-construction d’un futur partagé.

En proposant de ne pas réduire la lecture du monde à une approche binaire entre marché et puissance publique, les Communs ouvrent une nouvelle perspective politique. En s’appuyant sur la capacité des communautés, collectifs citoyens, à porter de l’innovation et de la transformation sociale, les Communs sont susceptibles d’enrichir nos démocraties représentatives et de contribuer aux transitions que nos sociétés doivent inventer.

Les Communs sont porteurs d’une vision d’une société solidaire et créative. Ils offrent aussi des outils pour l’action dans les territoires.

Les municipalités constituent un espace privilégié d’expérimentation concrète de l’apport des Communs dans la société. Une politique des Communs à l’échelle des villes, c’est accentuer la participation des habitants et créer une dynamique collective pour agir et décider ensemble. Les 16 propositions qui suivent constituent des briques élémentaires, issues d’expériences qui méritent d’être étendues. Elles peuvent aider à définir, appuyer ou intensifier une politique des Communs à l’échelle des villes.

Ni programme, ni revendications, les propositions suivantes ont pour raison d’être de montrer le dynamisme de communautés existantes, et de souligner combien une politique publique pourrait créer un terreau favorable à son extension. Elles sont structurées en trois ensembles, selon le rôle que peut jouer la municipalité dans cette mise en action des Communs. Chaque proposition est illustrée d’exemples, tirés d’une liste bien plus longue d’initiatives municipales.

Nous invitons les candidats aux Municipales à s’emparer de ces propositions dans leurs programmes électoraux et les futurs élus à convertir ces propositions en actions. Nous invitons les citoyens à utiliser ces propositions pour faire leur choix électoral, et dans tous les cas pour s’emparer ici et maintenant de ces idées de pratiques collaboratives.

A/ La municipalité productrice de Communs

La municipalité peut activement contribuer à nourrir une sphère des Communs, ensemble de ressources qui ne sont ni la propriété de la puissance publique à proprement parler, ni soumise à un régime de propriété privée propre à la sphère du marché, mais régies par un bouquet de droits distribués entre les différents acteurs de la société.

De plus, les municipalités ont en gestion le domaine public. En faire partager l’usage, la maintenance et la promotion par des citoyens actifs permet de faire vivre ce domaine public, de le transformer en Commun, garantissant ainsi qu’il sera bien au service de tous.

1. Des archives et des fonds de bibliothèques et de musées du domaine public numérisés en libre accès

Contexte :

Certaines bibliothèques et musées disposent de fonds patrimoniaux dans le domaine public qui sont de plus en plus souvent numérisés. Il en va de même pour les oeuvres conservées par les services d’archives. Cette numérisation donne tout son sens aux politiques culturelles puisqu’elle allie une logique de conservation à un impératif de diffusion en permettant à tout un chacun d’accéder à distance à des contenus depuis n’importe quel point du globe. Tous ces contenus numériques sont autant de biens communs lorsqu’ils sont appropriés par des communautés locales et/ou en ligne. Le travail de médiation sur place et à distance peut alors s’appuyer sur ces communautés pour rendre le patrimoine vraiment commun.

Proposition :

La véritable valorisation du patrimoine, des archives locales et du domaine public numérisé passe par la capacité des citoyens à s’en emparer, faire circuler la culture et partager les savoirs. Mettre de tels documents numérisés librement en ligne et en faire l’objet de politiques de médiation active sont nécessaires à cette valorisation. Le domaine public ne peut faire l’objet de droit nouveaux ; ce qui est dans le domaine public doit y rester dans sa version numérisée. Les municipalités peuvent s’en porter garant en utilisant dans les institutions culturelles qui dépendent de sa gestion des instruments qui ne rajoutent pas de nouvelles couches de droits sur le domaine public numérisé. Cela signifie que toutes les formes de réutilisation doivent être autorisées, y compris dans un cadre commercial pour enrichir un fonds commun. Il s’agit de favoriser une appropriation la plus large possible des biens communs issu du domaine public.

Exemple :

Le site Les Tablettes rennaises, bibliothèque numérique diffusant le patrimoine numérisé de la Ville de Rennes (fr) est ouvert. Les utilisateurs sont désormais autorisés à partager et réutiliser librement les documents numérisés, par le biais de la Marque du Domaine Public, indiquant que les oeuvres ne sont plus protégées par le droit d’auteur.

2. Des contenus produits par la municipalité réutilisables librement pour nourrir les Communs volontaires


Contexte :

Une municipalité produit une multitude de contenus (photographies, films, textes…) pour ses activités régulières (journal municipal, site web de la ville, événements…). Restreindre la circulation de ces contenus par un régime de droits réservés, est à la fois incohérent au vu de leur mode de financement sur fonds publics, et inefficace en termes économiques et culturels : ils privent la société de ressources sur lesquelles bâtir de nouvelles productions, et les citoyens de moyens de vivre leur ville en faisant circuler et en adaptant les contenus municipaux.

Proposition :

Une fois leur fonction première remplie et sans attendre que les droits d’auteur associés s’épuisent, les œuvres produites par ou pour la municipalité peuvent être libérées avec une licence de type Creative Commons, enrichissant ainsi les Communs volontaires.

Exemple :

La ville de Brest publie ses contenus écrits en Creative Commons

3. Une politique active d’ouverture de données sous licence partage à l’identique

Contexte :

De nombreuses municipalités françaises ont lancé une politique d’ouverture de données, mettant à disposition de réutilisateurs – entreprises, citoyens, associations, administrations… – des informations à forte valeur sociale et économique. Ces données ouvertes contribuent à nourrir un espace de données en Communs.

Proposition :

Nous invitons les villes qui n’ont pas encore mis en place une politique d’ouverture des données à franchir le pas et à choisir une mise à disposition accompagnée d’une licence incluant une obligation de partage à l’identique. Une telle licence permet à chacun d’utiliser et de modifier ces données, à condition d’en citer la source, et de garantir que les données modifiées resteront elles aussi ouvertes. Cette obligation permet d’éviter que les données soient enfermées dans des services propriétaires et assure que cet ensemble de données « en Commun » continue de s’enrichir. À l’heure ou la question de la donnée devient un enjeu central à la fois en termes économiques et de libertés, il est essentiel qu’une sphère de la donnée partagée et réutilisable soit protégée et enrichie. Quand les données sont produites par un prestataire sur une commande publique, il est nécessaire de mentionner la licence dès la rédaction des appels d’offre.

Exemples :
  • La Ville de Rennes a été la première en France à lancer une politique d’ouverture des données. Aujourd’hui de nombreux jeux de données sont à disposition des tiers (transport, espaces verts, équipements…). La municipalité a fait le choix de la licence OdBL qui impose une réutilisation à l’identique.
  • Le département de Saône-et-Loire a ouvert ses données et a été plus loin en intégrant des outils de visualisation qui permettent aux citoyens d’en comprendre le sens et d’en produire leur propre interprétation.

4. Favoriser la circulation des informations par la mise à disposition d’accès internet ouverts dans les espaces et bâtiments publics

Contexte :

L’accès à internet a été reconnu par le conseil constitutionnel comme un droit fondamental. Ouvrir un tel accès à tous, gratuitement, dans les lieux publics est une garantie d’équité sociale. Il favorise également l’entraide et la collaboration entre usagers pour pallier les difficultés et le manque d’expérience. Hors de leur domicile, les habitants ont de plus en plus besoin de se connecter pour accéder aux applications en ligne, échanger et produire des informations et accéder à une multitude de services publics ou privés.

Proposition :

Faciliter l’accès de tous à l’internet via des accès ouverts. Les accès filaires peuvent être mis à disposition par les municipalités dans les espaces et bâtiments publics. Quand l’accès wifi est choisi, l’utilisation d’émetteurs de faible puissance est à privilégier pour limiter les effets sur la santé.

Exemple :

La ville de Bordeaux a équipé ses rues et bâtiments publics d’un réseau wifi ouvert et gratuit.

B/ La municipalité coproductrice de communs avec les citoyens

Les habitants ne sont pas uniquement des « consommateurs » de services publics ou privés, mais peuvent être coproducteurs à la fois de la conception du développement de leur ville, mais aussi de ses facilités essentielles. En voici trois exemples.

5. Un espace public co-designé avec les habitants, pilier d’une gouvernance contributive

Contexte :

Alors que le principe de la participation des habitants a fait son entrée dans la politique française dès 1988, et vient d’être réaffirmé et renforcé dans la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine adoptée en novembre dernier, on observe une difficulté récurrente à rendre ce principe effectif, au-delà d’une simple consultation. L’espace public, espace en commun par essence, et plus globalement les projets de développement urbain, peuvent faire l’objet d’une co-conception, en s’appuyant sur des outils numériques, en ligne et hors ligne.

Propositions :
  • Systématiser les dispositifs de co-construction des projets de développement urbain, de manière à ce que l’espace public soit véritablement coproduit par la municipalité et ses habitants.
  • Considérer les habitants comme des forces de proposition, soit par leur activité dans les périodes de consultation, soit par l’analyse de leurs pratiques quotidiennes pour s’approprier l’espace public.
  • Développer les budgets participatifs.
Exemples :
  • IMakeRotterdam : la municipalité de Rotterdam a invité les habitants à des projets pour la revitalisation de la ville qui ont, après présélection, été soumis au vote des citoyens.
  • La ville d’Unieux (42) et son système d’écoute citoyenne pour optimiser les doléances des habitants, en lien avec les services municipaux :
  • Le réaménagement de la Place de la République à Paris s’est appuyé sur une concertation durant les trois années du projet avec les usagers de la Place et les habitants des 4 arrondissements limitrophes

6. Une information sur la ville coproduite avec les habitants

Contexte :

De longue date, les municipalités tendent à produire de façon centralisée (ex : bulletin municipal) pendant que les citoyens construisent des médias alternatifs (radios et télés locales…) pour refléter leurs préoccupations, l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et de leur ville, et créer du lien social. Une troisième voie envisage la fourniture d’information sur la ville comme une coproduction municipalités/habitants, en dépassant les logiques de silos. Il peut s’agir d’informations cartographique, de mise en valeur d’un territoire, de rendre accessibles les informations sur la qualité de l’air ou la détection de problèmes. Cette information coproduite est un Commun.

Proposition :

Généraliser les espaces et les outils numériques permettant de coproduire de l’information sur la ville par les habitants et la municipalité.

Exemples :
  • Wiki – Brest, site collaboratif du patrimoine et du vivre ensemble à Brest et au Pays de Brest
  • FixMystreet, expérience anglaise, permet de faire remonter les problèmes urbains et territoriaux aux institutions municipales, une idée reprise au Sénégal par Nanuyeggle
  • Le medialab de la ville de Madrid héberge le projet The Data Citizen Driven City qui permet aux habitants de produire de l’information sur la qualité de l’air de leur ville
  • La région Nord Pas de Calais a réalisé des fiches, donnant des exemples d’outils numériques à même de favoriser une participation démocratique citoyenne

7. Renforcer l’investissement citoyen face au changement climatique

Contexte :

Le changement climatique global va profondément modifier notre environnement et nos modes de vie. Déjà des épisodes extrêmes et désordonnés ont des effets repérables (inondations, sècheresses, tempêtes…). L’impact économique du changement climatique est sensible au lendemain de chaque épisode majeur.

Les municipalités peuvent intervenir pour favoriser l’action des citoyens afin d’atténuer les changements climatiques (nouvelles formes de production et de consommation d’énergie) et nous permettre de nous adapter au nouveau régime climatique (évacuation des eaux en cas de fortes précipitation, éviter les pics d’ozone, rendre la ville supportable lors de canicules,…).

De plus, Les habitants en direct ou via des outils de finance citoyenne, les collectivités, des opérateurs privés, des banques issues de l’ESS (économie sociale et citoyenne) s’associent pour se réapproprier la production d’énergie renouvelables sur leur territoire

Propositions :
  • Associer habitants, collectivités, entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire dans des projets de production énergétique renouvelable et locale, dans une démarche de décentralisation de la production et des décisions. Utiliser des formes de financement innovantes et participatives pour engager les profonds changements nécessaires.
  • Développer l’éducation populaire pour favoriser la prise de conscience des enjeux du climat et le transformer en un Commun afin que tous aient à cœur d’en protéger le caractère tempéré.
  • Favoriser les circuits courts dans toutes les activités dépendant de la municipalité, mettre en œuvre le partage des moyens de transport et les transports publics.
Exemples :
  • Création du parc éolien des Landes du Mené, centre Bretagne. La municipalité avec les habitants utilise un financement participatif avec la mise en place de Cigales
  • Energie Partagée est un mouvement qui accompagne, finance et fédère les projets citoyens de production d’énergies renouvelables et de maîtrise de l’énergie.
  • Les « Villes en Transition » adoptent une démarche pour passer « de la dépendance au pétrole à la résilience locale » http://villesentransition.net/ Au Pays Basque, l’association Bizi a présenté un “Pacte de transition énergétique” avec des propositions concrètes. Il a été validé par plus de 30 listes pour les municipales de 2014

8. Des jardins partagés au “guerilla gardening” : remettre la nature en Commun dans la ville

Contexte

Les habitants se mobilisent de plus en plus pour ouvrir dans leurs quartiers, leurs villages, des espaces naturels – jardins partagés, potagers dans des bacs en ville, murs et toits végétalisés… Certaines démarches sont portées par des associations, d’autres impulsées par les municipalités, d’autres encore poussées par les habitants comme une forme de résistance civique. Tous contribuent à leur manière à réintroduire la nature comme Commun dans l’espace urbain.

Propositions :
  • Officialiser l’autorisation pour les habitants d’investir les espaces abandonnés, ou négligés de la ville pour les transformer en jardins, aussi petits soient ces espaces.
  • Développer l’éducation populaire autour des jardins partagés (méthodes culturales, alimentation liée aux saisons…).
Exemples :

9. Des réseaux d’accès à internet collaboratifs et ouverts

Contexte :

Si dans les grandes villes, le marché a su offrir une couverture territoriale assez complète en réseau haut débit, de nombreuses villes secondaires et zones rurales restent peu ou mal desservies, créant des inégalités de développement entre les territoires, problématique qui risque de se renouveler avec l’arrivée du très haut débit. Dans certaines villes, les habitants s’auto organisent pour partager de la ressource réseau et proposent ainsi une offre alternative, complémentaire, gérée sur un mode collectif de l’accès à internet.

Proposition :

Reconnaître ces réseaux d’accès citoyens comme des opérateurs à part entière, leur garantir un raccordement aux backbones nationaux, et participer à leur cofinancement. Au-delà des réseaux, les municipalités peuvent prendre part à l’offre de services : fermes de services permettant aux habitants et associations de disposer d’adresse courriel, de listes de diffusion, de blogs, d’hébergement multimédia (cf. Maison du libre) et de lieux d’accès publics de proximité.

Exemples :
  • Guifi.net est un réseau de télécommunications communautaire, libre, ouvert et neutre, principalement sans-fil, lancé en Catalogne. Les nœuds du réseau sont créés par des individus, des entreprises et des administrations sur la base du volontariat. Le réseau est auto-organisé et s’appuie sur des liaisons sans fil et des liaisons optiques ouvertes. Guifi.net a le statut d’opérateur reconnu par l’autorité de régulation espagnole et est soutenu par certaines municipalités.
  • La fédération FDN qui regroupe des Fournisseurs d’Accès à Internet associatifs – par exemple à Toulouse Montataire qui a fibré sa commune, proposé aux habitants un réseau moins cher que le FAI privés

10. Soutenir l’émergence citoyenne de monnaies complémentaires

Contexte :

« Pour relever les défis sociaux et environnementaux de notre époque, le système monétaire devrait être fondé sur le principe de la complémentarité des monnaies. Une telle organisation serait plus résiliente aux tempêtes spéculatives que la « monoculture monétaire » actuelle, et plus à même de soutenir le développement endogène des territoires. » (Wojtek Kalinowski – Institut Veblen)

La monnaie locale complémentaire est à la fois un bien commun et un outil de transformation sociale à l’échelle locale. De nombreuses collectivités territoriales et collectifs associatifs locaux désireux de renforcer le lien social et la participation citoyenne dans l’économie territoriale s’en saisissent.

Propositions :

Initier un processus consultatif sur l’économie locale et le rôle qu’une monnaie complémentaire pourrait jouer pour la renforcer. Impliquer toutes les parties prenantes : associations, entreprises locales, experts… Animer le débat local sur la monnaie comme un bien commun. Au terme des consultations avec les parties prenantes, et si les résultats sont positifs, inscrire dans le budget local une expérimentation de création d’une monnaie locale. Prévoir et voter un budget de cautionnement par la municipalité.


Exemples :
  • Le WIR en Suisse utilisé par 50 000 PME et autorisé par l’Etat avec le statut d’institution bancaire. Son effet contra-cyclique a été démontré : confrontées au resserrement du crédit et à la crise de liquidité, les PME suisses augmentent leurs transactions en WIR ; lorsque la conjoncture s’améliore, elles reviennent au franc suisse.
  • Les monnaies locales créées par les collectivités : le SOL Violette à Toulouse, bientôt le “SoNantes” à Nantes, le Torekes à Gand (Belgique)… ;/ ;
  • Les Accorderies au Québec et maintenant en France : exemple de monnaie temps et de banque temps. Chaque Accordeur dispose d’un « compte-temps » qui comptabilise au débit les dépenses, c’est-à-dire les services reçus, et au crédit les recettes par les services rendus.
  • Les SEL– systèmes d’échanges locaux http://selidaire.org/spip/

C/ La municipalité, soutien et facilitatrice des Communs

Les actions portées par les Communs et celles portées par les acteurs publics ne sont pas antinomiques, bien au contraire. Les uns et les autres participent d’une co construction de l’intérêt général et peuvent s’épauler mutuellement. La puissance publique a souvent intérêt à soutenir les acteurs des Communs qui s’auto organisent plutôt qu’à porter les actions en direct ou à les déléguer à des acteurs du marchés qui répondent à d’autres logiques.

11. Faire le choix des logiciels libres

Contexte :

De plus en plus de municipalités ont fait le choix de s’équiper de logiciels métiers en logiciel libre. Ce choix leur permet de s’affranchir de fournisseurs pour lesquels ils doivent payer des licences annuelles, dont les solutions propriétaires interdisent ou limitent fortement les migrations en cas de meilleure offre ou de faillite du fournisseur. De plus cela permet aux municipalités de mutualiser les coûts d’investissement pour le développement de nouveaux logiciels. Au-delà des logiciels métiers, les suites bureautiques libres (Open Office, Libre Office…) répondent généralement aux besoins d’une administration. En faisant le choix du libre, les municipalités participent également au développement de Communs immatériels.

Proposition :

Systématiser la migration des logiciels des villes vers le logiciel libre lorsque des offres de qualité équivalente ou supérieure aux offres propriétaires existent et les commandes publiques groupées entre plusieurs villes de nouveaux logiciel afin de réaliser des économies d’échelles. Inclure autant que possible une clause en ce sens dans les appels d’offres, de manière à ce qu’un logiciel financé par une collectivité crée du bien commun. Un accompagnement des fonctionnaires par de la formation aux outils libres doit être prévu.

Exemple :
  • Adullact, association travaillant à la mutualisation de solutions libres pour les collectivités territoriales françaises
  • L’April relance sa campagne Candidats.fr pour les élections municipales 2014 avec le Pacte du Logiciel Libre, qui référence plusieurs initiatives

12. Utiliser et alimenter des fonds cartographiques ouverts

Contexte :

Les fonds cartographiques sont couramment utilisés sur le Web. Aujourd’hui le marché est dominé par un acteur privé en situation quasi monopolistique qui a construit son modèle économique sur le recueil de données et leur monétisation, et qui ne permet pas aux internautes d’améliorer l’outil. Une alternative libre existe, qui permet au contraire la coproduction d’informations par les utilisateurs, OpenStreetMap.

Proposition :

Une politique municipale en matière cartographique peut s’appuyer sur 3 piliers :

  • diffuser les cartes produites par la ville sous licences libres et en formats ouverts
  • rendre accessibles et utilisables les données cartographiques telles que toponymie, inventaire patrimonial, emplacements des établissements recevant du public, dispositifs liés à la sécurité comme les défibrillateurs ou bornes à incendie
  • Soutenir l’essor d’OpenStreetMap en incitant les acteurs de la ville (employés municipaux, habitants, gendarmerie…) à contribuer à améliorer la carte, en encourageant les cartoparties qui forment les habitants à la contribution à OpenStreetMap, et en utilisant systématiquement la solution libre dans les sites Web des villes.
Exemples :
  • Cartopartie de la ville de Montpellier http://tinyurl.com/o6rkvlb
  • Utilisation d’OpenStreetMap par la ville de Metz
  • Carte de Plouarzel enrichie par les pompiers
  • Dessine ta ville à Digne-les-Bains
  • Projet Sanikart – FunLab Tours : enrichissement des données OpenStreetMap avec les citoyens, modélisation en 3d sous blender, importation sur tuxcart (mario kart libre sous linux), puis jeu projeté sur la façade d’un immeuble du quartier, et joué par les habitants

13. Mailler le territoire de tiers-lieux susceptibles d’accueillir et faire fructifier l’innovation sociale et le débat citoyen

Contexte :

Les initiatives citoyennes porteuses d’innovation sociale, capables de répondre à des besoins auxquels ni le marché ni la puissance publique ne sont en mesure de fournir des solutions satisfaisantes, fleurissent dans les territoires. Porteuses de sens, elles participent de la création de lien social, de débat public et de valeur qui, pour être le plus souvent non monétisable, n’en est pas moins essentielle. Ce faisant, elles participent à la construction de Communs. Ces initiatives auto organisées, formelles (associations, coopératives…) ou informelles ont besoin de s’appuyer sur des lieux partagés dans lesquels faire grandir leurs initiatives. Ces tiers-lieux sont aussi le lieu de nouveaux apprentissages pour permettre aux habitants d’être plus actifs et impliqués dans la vie de leur ville.

Propositions :
  • Multiplier l’ouverture de lieux métissés (fablabs, livinglabs, EPN…) ou utiliser des lieux existants et prisés d’un large public (bibliothèques, piscines, musées, maisons pour tous…) pour expérimenter et se former. Dans de tels lieux vont se croiser acteurs associatifs, makers, créateurs d’entreprise, coworkers…
  • Les pratiques élaborées dans ces lieux peuvent se diffuser auprès des populations par des démarches « hors les murs » (ex : bibliothèques de rues, de squares…)
  • Soutenir la multiplication des ateliers participatifs, formations, susceptibles de participer à une montée en compétence des habitants en dehors des espaces formels d’apprentissage, dans une logique de renouvellement de l’éducation populaire à l’heure numérique, s’appuyant le cas échéant sur des dispositifs d’enseignement collaboratif à distance.
  • Favoriser la mise en réseau des innovations sociales d’un territoire, en encourageant leur réutilisation (recettes libres) et le remix (biblioremix, museormix, copy party…)
  • Participer à la diffusion d’une culture des communs et des droits d’usages élargis dans le cadre de la politique d’éducation populaire de la formation du personnel municipal et de l’accompagnement des associations.
Exemples :

14. Développer l’habitat participatif et groupé

Contexte :

Aujourd’hui, les municipalités et les aménageurs cèdent le foncier à des promoteurs pour produire des copropriétés et des lotissements de maisons individuelles et à des bailleurs sociaux pour créer des logements sociaux. Ces 2 types d’habitat peinent à créer du lien social et produisent un urbanisme qui tend à s’uniformiser et des villes qui s’étendent sur des terres agricoles en accentuant la consommation énergétique.

Proposition :

Réserver une partie du foncier constructible à l’habitat participatif, tiers secteur de production du logement. Intermédiaire en termes de prix, générateur de liens sociaux, l’habitat participatif permet également une forte amélioration de la qualité architecturale grâce à la conception réfléchie entre les habitants et les professionnels, qui s’appuie sur l’intelligence collective.

Exemples :
  • En Europe du nord : Oslo (40% d’habitat participatif), de nombreuses villes allemandes dont Fribourg et Tübingen (100% de la construction neuve en habitat participatif). ;
  • En France : Strasbourg, Montpellier, Bordeaux, Montreuil Sous-bois, Lille…

15. Permaculture et circuits courts : nourrir les villes autrement

Contexte :

L’extension des villes et du réseau routier grignote régulièrement les espaces cultivables, tout en accentuant le réchauffement climatique. L’alimentation est de plus en plus déconnectée des usages de la nature, des saisons et des particularités locales. Des méthodes culturales nouvelles permettent de favoriser la permaculture sur de petits espaces, tout en diminuant les intrants chimiques. Les circuits courts, qui construisent du lien direct entre les habitants et les producteurs sont plébiscités à chaque fois qu’ils sont mis en œuvre (AMAP, marchés paysans…).

Propositions :
  • Favoriser les circuits courts dans toutes les structures alimentaires dépendant des municipalités (cantines, restaurants administratifs…). Associer les usagers, notamment les parents d’élèves et les enfants, pour défendre un régime alimentaire qui ne soit pas dépendant des plats préparés et de la consommation de sodas sucrés dans les services municipaux.
  • Développer l’éducation populaire sur les questions de goût, d’équilibre alimentaire et de saisonnalité des produits.
Exemples :

Veytaux veut encourager ses habitants à jardiner

16. Soutenir les dispositifs participatifs dans la gestion des ressources naturelles

Contexte :

Actuellement la gestion des ressources naturelles se fait sans concertation avec les habitants. Pourtant, en particulier dans les communes rurales, ceux-ci possèdent une connaissance approfondie de leur territoire, de l’eau, des parcs naturels, des zones côtières, des forets, des pâturages et des terres agricoles. Cette absence d’investissement citoyen conduit à une perte de conscience de leurs responsabilités écologiques.

Par ailleurs, toutes les études environnementales sur la qualité de l’eau montrent la nécessité d’agir pour préserver la ressource en eau. La Directive cadre 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 s’inscrit dans une logique de résultats : stopper toute dégradation et atteindre le bon état des eaux et des milieux aquatiques d’ici 2015. Cette échéance pousse tous les acteurs de l’eau à réfléchir à des solutions alternatives afin de respecter cette norme

Propositions :
  • Instituer des instances constituées d’habitants d’un territoire qui délimitent l’accès à la ressource à la fois en termes d’espace (territoire) et de temps (saisons, périodes), définissent des règles et des sanctions et instaurent des mécanismes de résolution de conflits. Ces instances sont soutenues par des institutions publiques ou semi publiques et engagent des actions de remunicipalisation de l’eau avec investissement des citoyens.
  • Instaurer des communautés qui mutualisent leurs ressources financières pour reprendre la gestion des terres agricoles qui ne sont plus exploitées, avec l’aide des municipalités.
  • Action préventive par des mesures incitatives de mise en place d’une agriculture biologique sur les zones de captage d’eau.
  • Fonder auprès de chaque conseil municipal un observatoire de l’eau, composé de représentants des conseils de quartier, des Conseils syndicaux de copropriété pour favoriser les conditions de passage à la régie, soit sous forme de structure de l’économie sociale et solidaire (ESS) soit municipale. Cette régie, outre l’économie qu’elle permettrait de réaliser pour les consommateurs aurait un rôle d’éducation à la consommation et à l’écologie. Elle serait un interlocuteur pour renforcer la responsabilisation des propriétaires et des occupants.
  • Développer l’éducation populaire sur les économies en eau (Atelier Coopératif d’Education Populaire à une Autre Consommation et Production), et les bonnes pratiques en matière d’utilisation de l’eau.
Exemples :
  • La Ville de Lons-le-Saunier a aidé les agriculteurs locaux pour développer une agriculture raisonnée, au profit de démarches bio. Ceci a contribué à rétablir la qualité de l’eau et développé des filières bios dont le débouché est assuré par la cuisine centrale de Lons.
  • Afin d’obtenir une eau de qualité et réduire les processus coûteux de traitement, la ville de Munich (.pdf) a décidé d’agir en amont. Depuis 1991, elle encourage l’agriculture biologique sur les 2 250 hectares de terres agricoles situées à proximité des captages d’eau potable,
  • Le Programme Re-Sources : Initiatives pour préserver la qualité de l’eau en Poitou-Charentes tant superficielle que souterraine
  • L’IPHB dans le Haut Béarn, Terre de liens : Certaines collectivités on céder des terres agricoles / fermes / bâtis pour permettre l’installation de producteurs locaux. Il s’agit d’un travail entre région, municipalité et fondation qui vise à protéger des terres cultivables pour une durée “infinie”.



En toute logique on devrait interdire les bibliothèques publiques

Le titre de ce billet est volontairement provocateur.

Mais, comme le souligne Rick Falkvinge ci-dessous, pourquoi ne retrouve-t-on pas les mêmes libertés de partage de la culture entre une bibliothèque et… Internet !

Brewbooks - CC by-sa

L’exemple des bibliothèques publiques prouve que le partage de la culture n’aurait jamais dû être interdit a priori

Public Libraries Show Why Sharing Culture Should Never Have Been Banned in the First Place

Rick Falkvinge – 14 janvier 2014 – TorrentFreak
(Traduction : Kookoo, AmarOk1412, Mooshka, Sky, Asta, Savage, Penguin, KoS, Omegax)

Vous aurez du mal à trouver un fondamentaliste du droit d’auteur qui défende l’idée que les bibliothèques publiques devraient être interdites. Ce serait un suicide politique ; alors ils préfèrent mentir en expliquant pourquoi ce n’est pas la même chose que le partage en ligne. Regardons ceci d’un peu plus près.

Il y a un concept de plus en plus utilisé, consistant à définir des « Droits à l’Équivalence Analogique ». La culture et la connaissance devraient être aussi disponibles dans l’espace numérique que dans l’espace physique. Nous devrions bénéficier d’exactement les mêmes droits concernant notre vie privée et nos libertés civiles en ligne que déconnectés. Ce concept est tout à fait raisonnable, et n’est pas particulièrement sorcier. C’est une notion extrêmement utile, puisqu’elle permet aux juristes et autres législateurs de réfléchir aux libertés qu’ils sont en train de réduire à néant pour leurs enfants, parfois suivi d’un choc mental lorsqu’ils s’aperçoivent grâce à leurs approbations silencieuses.

Quand vous mettez au défi un lobbyiste de l’industrie du droit d’auteur autour du concept de bibliothèque publique, et que vous lui demandez s’ils sont opposés à ce que des gens aient accès à la culture et à la connaissance sans avoir à payer, ils sont assez intelligents pour ne pas tourner en ridicule les bibliothèques publiques – car ceci ébranlerait considérablement leur stature politique. Cependant, le partage de la culture et du savoir en ligne est le Droit à l’Équivalent Analogique des bibliothèques publiques dont nous avons profité pendant 150 ans. Les lobbyistes vont parfois essayer de changer de sujet, ou, mentir en utilisant trois mythes récurrents. Voici ces mythes et mensonges, et pourquoi ils sont faux :


Mensonge de lobbyiste : la bibliothèque achète tous ses livres. Ce n’est donc pas comparable avec le partage en ligne de la culture.

Réalité : la loi dans la plupart des pays indique que pour chaque livre publié, l’éditeur doit envoyer un certain nombre d’exemplaires de ce livre à ses frais, afin qu’il soit disponible gratuitement pour le public (NdT : le dépôt légal obligatoire est de 4 exemplaires en France).

Lorsque les industries du droit d’auteur se plaignent qu’elles « ne peuvent pas accepter » des lois qui les obligent à « distribuer leurs produits gratuitement », comme elles ont tendance à le formuler, il est avisé de souligner que ces lois existent déjà, et ont plus d’un siècle. La différence majeure entre le partage en ligne est que le mécanisme analogue équivalent ne coûtera rien aux éditeurs, ce qui devrait être vu comme un fait positif, tant d’un point de vue politique que de celui de la publication.

De toute évidence, il est vrai que beaucoup, sinon la plupart des bibliothèques achètent des livres supplémentaires et des copies de livres. Cependant, le point essentiel ici est qu’il existe déjà des lois sur les livres qui disent que chaque livre publié doit être fourni à une bibliothèque, afin d’être à la disposition du public gratuitement.

En outre, ceci ignore le fait que l’industrie du droit d’auteur n’a pas à choisir « d’accepter » ou de « ne pas accepter » les lois. Ils gèrent une entreprise dans un environnement légal particulier ou ne le font pas, et c’est là que leurs prérogatives commencent et s’arrêtent. Sur un marché équitable et libre de fonctionnement, les entrepreneurs n’ont pas et ne devraient pas avoir leur mot à dire sur ce à quoi l’environnement juridique devrait ressembler. (Nous avons encore du chemin à faire sur ce point en remplaçant les hommes politiques stupides et dangereux qui disent oui à tout.)

Mensonge de lobbyiste : L’ayant-droit est payé quand un livre est emprunté dans une bibliothèque.

Réalité : Il s’agit d’un mythe sur deux fronts – ce que nous appelons une « double faute » dans des sports populaires tels que Counter-Strike.

Il est vrai que, sous certaines conditions et dans plusieurs pays, une contribution est envoyée à quelqu’un lorsqu’un livre est emprunté dans une bibliothèque. Cependant, ce quelqu’un qui reçoit l’argent n’est pas l’ayant-droit, et ce n’est pas une compensation pour une vente perdue. Dans la plupart des pays européens, il s’agit d’une subvention de la culture gouvernementale ayant pour but d’augmenter la disponibilité de la culture dans la langue locale. Par conséquent, et ce contexte est particulièrement important, cette rétribution n’a rien à voir avec les droits exclusifs du monopole du copyright. Il s’agit d’une subvention gouvernementale unilatérale pour la culture qui est basée sur les statistiques des bibliothèques.

Si un livre en suédois est emprunté dans une bibliothèque suédoise, alors la personne qui l’a rendu disponible en suédois reçoit une faible compensation, à condition qu’il atteigne un seuil minimum et ne dépasse pas un seuil maximum. Parfois, il arrive que ce soit un auteur qui rédige directement en suédois, mais il est plus courant que ce soit quelqu’un qui ait traduit un livre en suédois. D’autres pays ont des arrangements similaires.

À savoir : Quand quelqu’un emprunte la traduction suédoise d’Harry Potter dans une bibliothèque suédoise, J.K Rowling, l’ayant-droit, ne reçoit pas un penny pour ça. Dans tous les cas, ce mythe est faux.

Mensonge de lobbyiste : Une bibliothèque peut prêter un livre à une seule personne à la fois, donc cette limite doit être artificiellement imposée à l’âge numérique.

Réalité : Il s’agissait d’une limitation physique, non pas une limitation conceptuelle. Si une bibliothèque pouvait prêter ses livres à plusieurs personnes, elle l’aurait fait volontiers depuis longtemps. Prétendre que cette limitation physique indésirable devrait constituer une base pour limiter la législation dans un nouvel environnement où cette limitation n’existe pas est pire qu’une erreur logique ; cela n’a de sens à aucun niveau.

Le but de la bibliothèque publique n’est pas et n’a jamais été de « prêter des livres », comme il est affirmé dans ce mythe. Il a été et est, de « donner accès à la connaissance et à la culture au plus grand nombre et à moindre frais ». Ce qui est possible pour un bien plus grand nombre de personnes avec le partage en ligne et il est normal que nous profitions de ce potentiel fantastique.

Le partage en ligne de la culture et de la connaissance constitue la plus formidable bibliothèque publique jamais inventée. Et la possibilité pour toute l’humanité de prendre part à toute culture et connaissance 24h sur 24 et 7 jours sur 7 est sans doute une des plus grandes avancées de la civilisation de ce siècle. Toutes les technologies ont déjà été inventées, tous les outils ont déjà été déployés, la possibilité de les utiliser a déjà été répandue à toute l’humanité : personne n’a besoin de dépenser un centime pour que cela arrive. Tout ce dont nous avons besoin de faire est de nous débarrasser de l’interdiction stupide de pouvoir effectivement l’utiliser.

Ce que nous devons faire est de remplacer les politiciens béni-oui-oui qui se laissent manipuler par une industrie obsolète mais lucrative afin de faire ce grand saut de civilisation. Souvent, la simple mesure visant à remplacer ces politiciens est suffisante pour que cette mauvaise politique change en un clin d’œil.

Crédit photo : Brewbooks (Creative Commons By-SA)




Libre Accès : quand l’UNESCO montre l’exemple

Excellente nouvelle, l’UNESCO montre l’exemple et fait elle-même ce qu’elle préconise aux autres en rendant disponibles ses propres publications sous licence Creative Commons.

Elle vient ainsi d’annoncer la création d’un portail regroupant déjà plus de 300 documents. Choix sera fait de privilégier la plus libre des licence Creative Commons, la CC By-SA, qui, on le sait, est la mieux adaptée au secteur éducatif (financé sur fonds publics).

3 exemples au hasard : S’adapter au changement climatique et éduquer pour le développement durable, Établir une proposition d’inscription au patrimoine mondial et Un référentiel TIC de compétences pour les enseignants.

UNESCO - REL

L’UNESCO lance son dépôt Open Access sous licence Creative Commons

UNESCO launches Open Access Repository under Creative Commons

Cable Green – 18 décembre 2013 – Creative Commons Blog
(Traduction : Aurélien Pierre)

L’UNESCO a annoncé l’ouverture d’un nouveau dépôt Open Access (NdT : Open Access ou Libre Accès) rendant disponibles plus de 300 rapports numériques, livres et articles, sous licences Creative Commons IGO (Intergovernmental Organizations).

D’après le communiqué de presse de l’UNESCO :

Actuellement, le dépôt contient des travaux dans 12 langues, incluant des rapports majeurs de l’UNESCO et des publications de recherches. De même que les 300 publications en accès libre déjà présents, l’UNESCO va proposer en ligne des centaines d’autres titres et rapports importants. Couvrant un large spectre de sujets en provenance de toutes les régions du monde, ces connaissances peuvent à présent être partagées au grand public, aux professionnels, aux chercheurs, aux étudiants et aux responsables politiques… sous une licence libre.

L’UNESCO va continuer à élargir sa bibliothèque de ressources libres avec certaines anciennes publications et avec tous les nouveaux travaux suivant l’adoption de sa politique Open Access, en avril 2013. Depuis le 31 juillet 2013, toutes les nouvelles publications de l’UNESCO sont libérées avec l’une des licences CC IGO et seront envoyées sur le dépôt Open Access. La majorité des ressources de l’UNESCO seront libérées sous licence CC By-SA (Paternité – Partage à l’identique).

Mention spéciale également à l’UNESCO pour avoir implémenté la plupart des recommandations dans sa Déclaration des Ressources Éducatives Libres, en 2012 à Paris :

d. Promouvoir la compréhension et l’utilisation de dispositifs d’octroi de licences ouvertes.
g. Encourager le développement et l’adaptation des REL dans une grande diversité de langues et de contextes culturels.
i. Faciliter la recherche, la récupération et le partage des REL.
j. Encourager l’octroi de licences ouvertes pour les matériels éducatifs produits sur fonds publics.

En ouvrant ses publications sous licence libre, l’UNESCO ne rend pas seulement accessibles et gratuites les connaissances qu’elle créé, mais elle plus importante encore elle donne ainsi l’exemple et montre la voie à suivre pour ses 195 nations membres (et 9 membres associés), dans les débats politiques actuels pour le partage sous licences libres des ressources financées sur fonds publics. Le message est clair : c’est une bonne idée que d’adopter des politiques d’ouverture des contenus qui augmentent l’accès et réduisent les coûts des ressources éducatives, scientifiques et culturelles.

Félicitations UNESCO !




Un livre libre pour mieux comprendre les contrats pétroliers

Il y a un peu moins d’un an était rédigé collaborativement, lors d’un booksprint le livre Oil Contracts – How to read and understand them à l’initiative d’Open Oil.

En forçant un peu le trait on pourrait dire qu’il a pour objectif d’aider les autochtones à ne pas se faire arnaquer par les compagnies pétrolières (et leurs gouvernements), ce qui a pu se produire par le passé.

Ce livre est accessible à tous sous licence libre CC By-SA et est en cours de traduction en plusieurs langues dont le français.

Oil Contracts - Cover

Voici un livre qui n’existait pas il y a une semaine : « Comment comprendre un contrat pétrolier »

Here is to a book that did not exist a week ago – “How to understand an oil contract”

Mirko Boehm – Novembre 2012 – Creative-Destruction.me
(Traduction : Mogmi, Sphinx, mokas01 + anonymes)

Cette semaine, le projet « Open Oil » (NdT : Open Pétrole) a réalisé un véritable exploit : le « booksprint » des contrats pétroliers.

Johnny West, Zara Rahman et ceux qui les soutiennent ont réuni des experts de contrats pétroliers du monde entier à Schloss Neuhausen pour parvenir à quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant : créer un livre qui explique comment comprendre un contrat pétrolier. Non seulement un tel livre n’existait pas, mais ils ont aussi publié ce livre sous licence Creative Commons CC By-SA. Et comme cela ne représentait pas un défi suffisant, ils ont fait tout ça en une semaine.

Les contrats pétroliers déterminent les parts respectives de revenus liés au pétrole attribuées aux compagnies pétrolières, au pays qui possède le pétrole et aux autres parties. Un extrait du livre explique ce fonctionnement :

« Ce sont les contrats sur le pétrole qui expriment la façon dont l’argent est partagé et qui expliquent qui en tirera des bénéfices. Dans ces mêmes contrats, on déterminera qui devra gérer les opérations, comment sera géré l’environnement, le développement économique local, et les droits des communautés. Le cours des actions ExxonMobil, la responsabilité de l’affaire Deepwater Horizon, la faculté de l’Ouganda à stopper ses importations pétrolières, le coût nécessaire au chauffage ou à l’éclairage de millions de foyers… Toutes ces questions dépendent directement des clauses de ces contrats, signés entre les gouvernements du monde et les compagnies pétrolières. Pendant plus de 150 ans de production pétrolière, ces contrats sont restés dans l’ombre, maintenus dans un secret touchant chaque facette de l’industrie. Ils ne sont pas rendus publics, soit parce que les gouvernements invoquent la sécurité nationale, soit parce que les entreprises veulent défendre un atout stratégique. »

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Les personnes ayant déjà participé à un hackathon Open Source remarqueront que le bureau sur la photo ressemble assez à un des leurs. Un « booksprint » applique les outils et techniques de l’Open Source au monde de la rédaction de livres. Réunir les personnes adéquates, les placer dans un environnement limitant les distractions, et leur permettre de se concentrer sur la production de quelque chose qui les passionne. Comme pour les logiciels, les résultats sont impressionnants. Les outils d’édition collaborative sont utilisés pour coordonner les auteurs, les éditeurs et les illustrateurs, de la même façon que le contrôle de versions. Il est également intéressant de noter que parmi les experts ayant participé, tous l’ont fait sur une base de volontariat ou comme une part de leur métier.

Le livre « Comment comprendre un contrat pétrolier » est une bonne lecture même pour les personnes qui ne s’intéressent que de loin à la politique du pétrole. La manière dont le livre a été créé est un bon exemple de la méthode Open Source adoptée par d’autres secteurs moins liés à la technologie. Et si le livre contribue à rendre les contrats pétroliers plus compréhensibles et plus comparables, le monde en sera devenu un peu meilleur.




Geektionnerd : Article 13 de la LPM

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Source :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Saint-Joseph de La Réunion, la très libre ville la plus australe d’Europe

Cet été, Framasoft était invité à participer aux Rencontres Mondiales Décentralisées du Logiciel Libre (RMLLd), qui se déroulaient dans la commune de St-Joseph, sur l’île de la Réunion.

En dehors d’un cadre on ne peut plus propice à la randonnée (sur les sentiers parfois escarpés du logiciel libre, évidemment), nous avons été impressionnés par la capacité d’une commune d’une taille modeste à mobiliser non seulement ses services, mais aussi les acteurs public locaux (comme par exemple les étudiants du BTS informatique pour la mise en place du réseau WiFi).

La ville ne s’est pas contentée d’accueillir ces rencontres mondiales, elle en a été l’un des moteurs. Par ailleurs, la commune a fait le choix (encore trop rare aujourd’hui) de publier sous licence libre les logiciels qu’elle a elle-même développés. Permettant ainsi à d’autres collectivités de ne pas réinventer la roue, tout en faisant faire des économies aux contribuables.

Nous avons souhaité poser quelques questions au dynamique Directeur Informatique de la ville de St-Joseph, Dominique Leperlier.

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Bonjour Dominique, peux-tu te présenter et nous dire quelques mots sur ton parcours ?


Je suis ingénieur territorial et directeur informatique en charge des projets numériques à la Ville de Saint-Joseph de la Réunion, située à l’extrême sud de l’île (37 000 hab.) – C’est d’ailleurs la ville la plus australe d’Europe. A la sortie des mes études en 1990, j’ai intégré la mairie de Saint-Joseph en tant que responsable. A l’époque, le service se résumait à moi seul ! Après un intermède d’un an dans une autre collectivité je suis revenu en 2001 dans ma ville de cœur avec de nouveaux projets et une nouvelle dynamique. Aujourd’hui la direction informatique c’est 8 agents à temps plein dont 4 titulaires et 3 CDI.

Comme tu le vois, je suis de la génération Microsoft, de la grande époque du passage de MSDOS à Windows 3.11.

La commune de St-Joseph semble avoir une démarche très active en faveur du logiciel libre. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?

Même si dès mon retour en 2001, nous avions déjà effectué quelques changements avec la généralisation de Firefox ou l’installation de Nagios, le choix du logiciel libre s’est véritablement opéré en 2008. L’idée est venue lorsque la commune a mis en œuvre pour les services techniques « l’entreprise municipale », un service à part entière composé de plusieurs corps de métier et qui réalisent divers grands travaux (aménagement routier, construction de bâtiments publics, etc) sur les projets qui ne sont plus financés.

En tant que cadre, tu es force de proposition et à Saint-Joseph, nous avons cette chance d’être aussi écouté. L’idée était de construire cette fois-ci une entreprise municipale du numérique avec pour idée directrice de nous réapproprier notre système d’information.

Nous avions déjà anticipé cette évolution, un an plus tôt, en recrutant 2 agents pour créer une équipe de développement au sein de la direction. Toutefois, le point de départ reste selon moi la note de service signée du Député-Maire en novembre 2008, où il est clairement dit que la collectivité fait le choix du logiciel libre et oriente désormais son système d’information en ce sens, à commencer par la migration vers OpenOffice. Le fonds du message a bien été compris par les agents. Cependant, quand tu portes un projet aussi transversal que la migration d’une suite bureautique et qui va de surcroît bouleverser certaines habitudes, tu te heurtes tout naturellement à certaines résistances (surtout en pleine phase transitoire). Mais la grande majorité des agents ont joué le jeu. Cette note de service a vraiment fait la différence. Il ne s’agissait pas d’une lubie de quelques informaticiens, c’était un choix stratégique approuvé par l’autorité territoriale. Cela ne te dédouane pas non plus d’accompagner ce changement. Nous avons pour cela créé un comité de pilotage, un comité technique avec des référents dans les services.

Nous avons aussi organisé des demi-journées de transition. Pour information, le projet s’est étalé sur une année pour environ 300 postes. Derrière cela, il faut aussi l’avouer, il y a avait une dimension économique. Nous économisions près de 30 000 euros par an. Enfin, cela nous permettait dorénavant de valoriser les compétences internes, en investissant sur des hommes et non plus sur des licences. Le libre a pour avantage de favoriser les initiatives locales et j’espère par ailleurs que les entreprises de la Réunion vont davantage se tourner vers ce modèle économique.

Quelles sont les principales actions mises en œuvre par la commune ?

Nous avons depuis quelques années une politique numérique assez active, avec une certaine notoriété dans le département. Sans toutes les citer, nous avons notamment été à l’origine de plusieurs initiatives novatrices à l’échelle de l’île :

  • première commune à ouvrir des zones WIFI dans les espaces publics avec un certain succès d’ailleurs, puisque nous comptabilisons en moyenne 4 000 connexions mensuelles sur les 3 sites déployés ;
  • première commune de l’ile à ouvrir une WebTV avec plusieurs reportages hebdomadaires mais aussi des retransmissions en direct (tous les conseils municipaux, des pièces de théâtres, des concerts, …) ;
  • première aussi à installer une borne interactive de consultation dans un cimetière de la ville (projet encore au stade expérimental avant déploiement dans 2 autres cimetières) ;
  • Seul site internet public de l’ile accessible, labellisé en 2010 AccessiWeb Argent ;
  • première commune à dématérialiser la convocation des conseils municipaux ainsi que la transmission dossiers (tous les conseillers disposent d’une tablette).

Enfin , il ne faut pas oublier que la ville a ouvert 5 espaces publics numériques d’une dizaine de postes en moyenne (tous sous des systèmes libres). Deux autres devraient s’ouvrir dans les deux prochaines années.

Pour en revenir au logiciel libre, comme je te l’ai dit, nous avons officiellement basculé avec la migration vers OpenOffice. Et étrangement c’est Microsoft qui nous a facilité cette mutation avec l’arrivée d’Office 2007 et son interface totalement remaniée. C’était une opportunité que nous ne pouvions laisser passer. On a donc abandonné la suite propriétaire, ce qui nous a obligé aussi à changer notre client de messagerie pour Thunderbird. Parallèlement, nous avons décidé d’abandonner Microsoft Exchange pour OBM à l’époque (nous sommes depuis passés sous Zimbra). Nous avons bien entendu mené d’autres projets comme l’informatisation de toutes nos écoles avec la solution AmonEcole, la ré-informatisation de la bibliothèque avec PhpMyBibli (PMB) que nous avons légèrement adapté à nos besoins.

Outre le fait d’être un utilisateur de logiciels libres, nous sommes aussi devenu des contributeurs depuis 2 ans, puisque nous avons mis en libre sur la forge de l’Adullact plusieurs logiciels développés en interne :

  • CIEL-PMB (Catalogue Informatisé En Ligne) : c’est la version accessible de l’OPAC de PMB qui permet la consultation et la réservation des ouvrages en ligne.
  • ADEL (Accompagnement des DEmandeurs de Logement) : logiciel de gestion des demandes de logement et de l’amélioration de l’habitat
  • ParkPool : logiciel de réservation des ressources et moyens en mode pool. Même si il existe de très bon logiciel de gestion de ressources, nous n’en avons pas trouvé qui s’appuie sur un fonctionnement de type pool.
  • Papangue : une plateforme d’envoi de SMS à partir de plusieurs téléphones recyclés connectés en WIFI et sur lesquels nous avons installé Cyanogen.

Les 2 premières sont disponibles depuis 2011 dans leur version stable. Les 2 dernières le sont depuis peu, mais nous devrions publier prochainement une version nettement améliorée, surtout pour Papangue.

RMLLd 2013

Utilisateurs, contributeurs, nous sommes aussi devenus promoteurs depuis notre rencontre avec les CEMEA de la Réunion en organisant les Rencontres Mondiales du Logiciel Libre décentralisées en 2011 et 2013. Nous ne voulions pas être une simple ville hôte. Nous voulions prendre au part au projet, parce que cela a du sens, au regard des actions que nous avions déjà mené sur le libre. C’est la première chose qui surprend pour les habitués des RMLL nationales, voir ainsi la ville qui accueille s’impliquer totalement et notamment dans l’organisation. Nous ne voulions pas que d’un rendez-vous de passionnés ou de convaincus, mais une manifestation qui s’ouvre sur la société. Ce public hétérogène c’est vraiment particulier aux RMLLd.

Et pourtant, le pari n’était pas gagné d’avance… surtout quand tu organises une manifestation autour d’un thème encore très peu connu du grand public (parfois même de certaines administrations), dans une commune rurale et à l’opposé des centres d’affaires. Nous avons réussi, malgré tout, à mobiliser le grand public venu de toute l’île, des agents de collectivités territoriales, le monde associatif, le monde de l’éducation, les acteurs économiques ainsi que la presse écrite et audiovisuelle. On a certes parlé de Saint-Joseph au cours de ces 4 journées, mais on a surtout beaucoup parlé du libre. Et tout cela est rendu possible grâce évidemment aux CEMEA, à la mobilisation d’une dizaine de services communaux (que je tiens vraiment à remercier !) mais aussi à d’autres partenaires tels que le BTS SIO de Saint-Joseph et Libre974.

Utilisez-vous à Saint-Joseph d’autres logiciels libres développés par d’autres communes ? Et, à l’inverse – as-tu connaissance de l’utilisation de “vos” logiciels dans d’autres villes ?

Nous n’avons pas réellement trouvé de logiciels développés par d’autres communes et qui présentent pour le moment un intérêt pour nous. Toutefois, nous avons depuis mars 2013 ouvert notre portail citoyen, qui permet aux usagers de disposer d’un compte famille pour effectuer des demandes d’actes d’état civil et de payer la restauration scolaire en ligne. Cette plate-forme, CapDemat, a été conçue par le conseil général du Val d’Oise. Nous avons fait appel à une entreprise locale pour son déploiement. Nous suivons aussi de près le logiciel de gestion des marchés publics EPM mise en code source libre par la Ville de Paris.

En ce qui concerne les logiciels que nous avons développé, je sais que ADEL par exemple a été repris par une commune de l’est de la Réunion qui a d’ailleurs intégré un module SSO pour ses propres besoins, mais qui ne l’a malheureusement pas publié sur la forge. Je pense qu’avec Papangue et ParkPool, on pourrait avoir de belles surprises et pas seulement du coté des administrations… à suivre donc !

Que dirais-tu (ou que dis-tu déjà !) lorsque tu rencontre un Directeur Informatique d’une autre commune (de la Réunion ou de métropole) pour le convaincre d’utiliser des logiciels libres ?

C’est la question piège celle-là. Beaucoup utilisent déjà des logiciels libres, mais sur un périmètre très limité et déjà très balayé comme la sécurité du SI ou la supervision des équipements, du très banal quoi. Mais bon, ça reste invisible de l’utilisateur, c’est un truc d’informaticien. A mon sens tu franchis vraiment le pas quand tu t’attaques à des secteurs déjà bien établis. La suite bureautique en est une, le système encore un autre. Quand tu dois faire face à plusieurs dizaines d’années de pratiques comme cette « logique microsoft» qui veut que pour formater une page, tu dois passer par le menu fichier… c’est là que les choses se compliquent ! Je ne connais pas beaucoup de directeurs informatiques qui ne soient pas convaincu par le libre. C’est d’ailleurs une décision qui n’est pas de leur seul ressort, c’est un choix stratégique (peut être même politique) qui doit être validé au plus haut. Je me sens au final pas très à l’aise et encore moins légitime pour convaincre qui que ce soit. Chacun doit faire face à son environnement et ses contraintes. Au mieux, je ne pourrais que témoigner de mon expérience.

RMLLd 2013

La ville de St-Joseph a accueilli les RMLLd en 2011 et 2013, vous pensez rempiler en 2015 ?

Quand tu vois une responsable d’association venir le samedi s’informer et participer aux différents ateliers, faire le ménage sur son ordinateur toute la nuit et revenir le lendemain pour qu’on lui installe les logiciels qu’elle a repéré, je te répondrai tout de suite « oui ! ». D’ailleurs le Député-Maire, lors du discours inaugural, a déjà donné rendez-vous pour 2015. Mais cela ne pourrait se faire qu’avec les CEMEA qui portent depuis bien plus longtemps que nous la voix du libre. C’est un partenaire incontournable, c’est aussi leur décision, et la ville de Saint-Joseph ne pourrait anticiper celle-ci. Après les RMLLd 2013, le plus important à l’heure actuelle est de ne pas laisser retomber le soufflet. Nous avons déjà des pistes, notamment à l’échelle de notre territoire, pour continuer dans cette dynamique.

Un petit mot pour la fin ?

Pour la ville de Saint-Joseph, les projets ne s’arrêtent pas là. Nous sommes en pleine dématérialisation des processus comptables. Nous avons d’ores et déjà fais le choix du logiciel libre pour ce projet, à travers i-parapheur, pour la mise en place d’un parapheur électronique, ou Nuxeo pour la partie gestion électronique de documents Nous avons aussi entamé le déploiement d’Ubuntu sur la base du volontariat dans certains services, notamment ceux qui n’ont pas de contraintes liées à leur applicatif métier. Cela reste encore marginal, mais Saint-Joseph a vraiment mis le cap sur le libre. À notre rythme, nous avançons, inébranlablement, mais, comme tu le sais, même si la route est longue, parfois semée d’embûches, la voie, elle, est plus que jamais libre 😉

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Livre numérique : DRM gouvernemental contre l’amendement Attard !

Lecteurs contre les DRM

Livre numérique : DRM gouvernemental contre l’amendement Attard !

Jeudi dernier, l’Assemblée nationale approuvait un amendement à la loi rectificative de finances pour 2013, écrit par la députée Isabelle Attard et présenté par le groupe EELV.

Cet amendement constitue une réponse appropriée à plusieurs graves dérives du marché du livre numérique.

Il tire les pleines conséquences de la modification du statut économique du livre numérique « verrouillé », par des mesures techniques de protection (MTP ou DRM). Un livre que son lecteur ne peut consulter sur tous les appareils, ni céder, ni revendre ne constitue pas une propriété, tout au plus une licence d’utilisation. L’usage fait l’objet : un livre « infirmé », qui ne respecte pas les droits fondamentaux du lecteur, ne peut être qualifié de livre, ni recevoir les avantages matériels et fiscaux qu’accompagne cette qualification. C’est pourquoi il était proposé que les livres numériques vendus sans DRM et dans des formats ouverts se voient appliquer un taux de TVA favorable de 5,5%, alors que les livres verrouillés auraient été soumis à un taux de 19,6%.

Cette solution contribue à réguler les pratiques problématiques de nouveaux intermédiaires. Amazon se donne ainsi les moyens de pratiquer des prix inférieurs au marché en recourant à une politique d’optimisation fiscale intensive. Face aux difficultés qu’ils posaient aux consommateurs, Apple de son côté a abandonné les DRM sur les fichiers musicaux, mais pas pour les eBooks. Les mesures de protection de type DRM et les formats propriétaires étant privilégiés par ces nouveaux acteurs de l’économie numérique, une telle mesure fiscale serait de nature à rééquilibrer le marché.

Enfin, l’amendement pourrait faciliter les négociations actuellement en cours entre la France et l’Union Européenne autour de la fiscalité du livre. Pour l’Union Européenne, le livre numérique verrouillé serait assimilé à un service : il ne pourrait ainsi bénéficier d’une TVA réduite.

L’amendement n’a pas tenu 24 heures.

Dès vendredi le gouvernement appelait à le supprimer, au motif qu’il « existe un risque d’entraîner la condamnation de la France pour l’application du taux réduit de TVA au livre numérique ». L’amendement fragiliserait la position de la France vis-à-vis de la commission européenne, alors qu’il constitue justement une bonne piste de compromis. Le gouvernement souligne également que « la modulation de la TVA n’est pas le bon moyen » pour parvenir à réfréner les tendances monopolistiques du marché du livre numérique. Or, aucune mesure alternative n’est évoquée. En repoussant cet amendement, le gouvernement aura finalement défendu les DRM « au nom de l’accès pour tous à la culture et du livre ». Est-ce cela la conception française de l’exception culturelle ?

Cette intervention du gouvernement a manifestement eu lieu sous la pression de grands éditeurs français. Car bien que ces derniers soient prompts à se plaindre des acteurs comme Amazon ou Apple, ils ne sont pas plus respectueux des droits des utilisateurs et vendent leurs livres numériques verrouillés par des DRM. L’amendement ne visait pas spécifiquement Amazon ou Apple, il défendait le droit de lire, comme un bien commun, et l’attitude de ces éditeurs est instructive à cet égard.

La réaction du gouvernement n’est pas seulement infondée sur le fond. Elle constitue un déni de démocratie sur la forme. Voté par l’Assemblée nationale en pleine connaissance de cause, au terme d’un débat assez animé, l’amendement est retiré en toute discrétion. Le retrait a été proposé in extremis à la fin de la session de vendredi soir aux quelques députés présents. Il n’a fait l’objet d’aucun débat, ni même d’aucune présentation orale. Aucun nouvel argument n’a été apporté : le gouvernement s’est contenté de répéter une postion qui n’avait pas emporté l’adhésion la veille. Ajoutons que la Ministre de la Culture et de la Communication déclarait pourtant le 7 novembre dernier vouloir « mettre le public au cœur de l’acte de création, lui donner sa place dans l’espace numérique. Il s’agit de passer d’une politique de l’accès aux ressources culturelles numériques à une politique des usages ». Quelle ironie !

Dans un pays qui se targue d’être un modèle de démocratie, il n’est pas concevable que la moindre mesure allant à l’encontre des intérêts de quelques grands éditeurs soit immédiatement court-circuitée, au mépris des principes élémentaires du débat démocratique. Les députés, par leur vote, et la société civile, par ses nombreuses réactions favorables, montrent que cette mesure répond à une attente forte. Les évolutions accélérées de l’économie du livre appellent une révision rapide du cadre législatif existant, qui jusqu’à maintenant n’a pas eu lieu. Le levier fiscal est celui qui doit être privilégié pour réguler les rapports entre les acteurs du livre numérique et aboutir à une plus juste répartition de la valeur, plutôt que de passer par des mesures qui rognent sur les droits des utilisateurs, comme par exemple la remise en cause de la revente d’occasion qui a été annoncée récemment.

Le rapport Lescure lui-même, qui rappelons-le portait sur l’exception culturelle, considère que « le manque d’interopérabilité lié aux DRM limite les droits du consommateur et peut nuire au développement de l’offre licite de contenus culturels ». Il ajoute qu’ « en contribuant à la constitution d’écosystèmes fermés et oligopolistiques, il constitue une barrière à l’entrée, une entrave à la concurrence et un frein à l’innovation ». En repoussant cet amendement, le gouvernement socialiste et les députés qui l’ont suivi ont privé la France d’une solution pour remédier à ces problèmes, qui nuisent depuis trop longtemps à la culture.

Le débat sur la loi rectificative de finances va à présent se poursuivre au Sénat. SavoirsCom1, Framasoft, Vecam, April, La Quadrature du Net et l’Association des Bibliothécaires de France signataires de cette déclaration commune, appelons les sénateurs attachés au débat démocratique à réintroduire cet amendement afin qu’il puisse être discuté à nouveau. Nous invitons le gouvernement à ne pas entraver de nouveau un débat nécessaire. Nous appelons également tous les collectifs, associations et acteurs de l’édition numérique, soucieux de défendre les droits fondamentaux des lecteurs et l’accès à la culture, à se joindre à cette déclaration.