Les incolmatables fuites de chez WikiLeaks – Portrait de Julian Assange

New Media Days - CC by-saAvec l’avènement d’Internet on parle régulièrement de révolution dès qu’un petit malin trouve le moyen de faire avec des bits d’information ce qu’on faisait jusque là avec des atomes de matière.

Pourtant, sur Internet il se passe parfois de vraies (r)évolutions, quand un petit malin innove réellement et trouve le moyen d’y faire ce qu’on n’y faisait pas avant !

Et c’est précisément le cas de WikiLeaks.org un site savamment mis au point par Julian Assange dès 2006 dans le but de divulguer « de manière anonyme, non identifiable et sécurisée, des documents témoignant d’une réalité sociale et politique, voire militaire, qui nous serait cachée, afin d’assurer une transparence planétaire. Les documents sont ainsi soumis pour analyse, commentaires et enrichissements à l’examen d’une communauté planétaire d’éditeurs, relecteurs et correcteurs wiki bien informés ».

Récemment rendu célèbre en France par la publication d’une vidéo montrant l’armée américaine en pleine bavure contre des civils Irakiens, le site et son créateur sont depuis dans l’œil du cyclone, ayant en effet attiré l’attention d’instances américaines soucieuses de ne pas voir d’autres documents officiels ou officieux ainsi libérés sur le net. L’équipe de WikiLeaks continue pourtant contre vents et marées à publier des vérités.

Portrait d’un homme discret et courageux, aux convictions simples, mais qui lui aussi participe à faire bouger les lignes du monde[1].

Julian Assange, lanceur d’alertes

Julian Assange: the whistleblower

Stephen Moss – 14 juillet 2010 – The Guardian
(Traduction Framalang par : Siltaar, Goofy, Yoann, misc, Julien)

Il se pourrait bien que Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, préfigure l’avenir du journalisme d’investigation. Mais il n’est pas journaliste.

Tout est bizarre dans cette histoire. À commencer par Julian Assange lui-même : fondateur, directeur et porte-parole de Wikileaks, mais aussi guide spirituel de ce réseau planétaire de lanceurs d’alertes. Il est grand, cadavérique, porte des jeans râpés, une veste marron, une cravate noire et des tennis hors d’âge. Quelqu’un a dit qu’il ressemblait à Andy Warhol avec ses cheveux blancs précoces, mais je ne sais plus qui – voilà justement ce qui le mettrait hors de lui, parce qu’il place la précision au-dessus de tout. Il déteste la subjectivité dans le journalisme ; je crains que sa propre subjectivité ne le pousse à détester les journalistes aussi, et que Wikileaks, qui se définit comme « un système généralisé de fuites de documents, impossible à censurer ou pister », soit essentiellement un moyen de tailler en pièces les imbéciles subjectifs dans mon genre.

Si Assange écrivait cet article, il reproduirait ici sa conférence d’une heure et demie à l’université d’été du Centre de journalisme d’investigation à Londres. Sans oublier les dix minutes que nous avons passées à discuter sur le chemin du restaurant – j’ai failli le faire renverser par une BMW lancée à vive allure, ce qui aurait pu changer l’histoire du journalisme d’investigation – et les 20 minutes de bavardage au restaurant avant qu’il ne me fasse sentir courtoisement que le temps qui m’était imparti touchait à sa fin. « Quand vous recevez (sur moi) des informations de seconde main, soyez extrêmement prudent », me dit-il sur le chemin, pointant du doigt des failles d’un article du New Yorker, pourtant très long, très documenté, sans aucun doute archi-vérifié, mais dont l’auteur fait des suppositions sur une activiste de Wikileaks en se basant sur rien moins que le T-shirt qu’elle porte.

« Le journalisme devrait ressembler davantage à une science exacte », me déclare-t-il au restaurant. « Autant que possible, les faits devraient être vérifiables. Si les journalistes veulent que leur profession soit crédible à long terme, ils doivent s’efforcer d’aller dans ce sens. Avoir plus de respect pour leurs lecteurs ». Il aime l’idée qu’un article de 2000 mots devrait s’appuyer sur une source documentaire de 25000 mots, et dit qu’il n’y a aucune raison de ne pas agir ainsi sur Internet. Maintenant que j’y repense, je ne suis pas sûr que la voiture était une BMW, ni même qu’elle fonçait.

Assange a lancé wikileaks.org en janvier 2007 et a sorti des scoops impressionnants pour une organisation constituée d’une poignée de membres, et pratiquement dépourvue de financement. Wikileaks a donné des preuves de la corruption et du népotisme de l’ancien président du Kenya Daniel Arap Moi, a rendu publiques les procédures opérationnelles standard en vigueur au centre de détention de Guantánamo, a même publié le contenu du compte Yahoo de Sarah Palin. Mais ce qui a vraiment propulsé Wikileaks au premier plan des grands médias, c’est la vidéo publiée en avril dans laquelle on voit l’attaque d’un hélicoptère américain sur Bagdad en juillet 2007, qui a fait un certain nombre de victimes parmi les civils irakiens et provoqué la mort de deux employés de l’agence Reuters, Saeed Chmagh et Namir Noor-Eldeen.

La vidéo, publiée dans une version de 39 minutes sans montage et dans un film de 18 minutes intitulé Meutres collatéraux, donne un aperçu glaçant de la désinvolture avec laquelle les militaires américains identifient leurs cibles (les pilotes de l’hélicoptère ont pris les appareils photos des journalistes de Reuters pour des armes), leur acharnement à achever un homme grièvement blessé qui s’efforçait de ramper pour se mettre à l’abri, et l’absence de tout scrupule même pour deux enfants dans une camionnette qui venait récupérer les victimes et qui a été immédiatement attaquée. « C’est de leur faute s’ils ont entraîné deux enfants dans la bataille », dit l’un d’eux. « C’est clair », répond son collègue de façon réaliste. Il s’agissait pourtant d’une des batailles les plus déséquilibrées que vous verrez jamais. Il existe très peu d’appareils photos capables de dégommer un hélicoptère de combat.

Ma thèse, qui sera bientôt réduite en miettes par Assange avec à peu près tout ce que j’avais comme préjugés après mes lectures à son sujet, est que cette vidéo représente un moment décisif pour WikiLeaks. Mais, juste avant que je puisse lui en parler, un bel étudiant barbu qui était à la conférence me devance. « Julian, avant que vous ne partiez, puis-je vous serrer la main, dit-il, car j’aime vraiment ce que vous faites et vous êtes pour moi comme un héros, sincèrement ». Ils se serrent la main. L’icône vivante et l’adorateur. Le parallèle avec Warhol devient de plus en plus flagrant : Assange comme fondateur d’une nouvelle forme d’actualités.

Et voici cette thèse. « Est-ce que la vidéo du mois d’avril a tout changé ? » demandais-je. Il s’agit d’une question rhétorique car je suis quasi-certain que ce fut le cas. « Non » répondit-il. « Les journalistes aiment toujours avoir un prétexte pour n’avoir pas parlé la semaine d’avant de ce dont ils parlent maintenant. Ils aiment toujours prétendre qu’il y a quelque chose de nouveau ». Il lui faut cependant admettre que le champ de diffusion de WikiLeaks est en pleine expansion. Au début de sa conférence, il disait qu’il avait la tête « remplie de beaucoup trop de choses actuellement », comme pour excuser la nature hésitante et déstructurée de son discours. Quelles choses ? « Nous avons essayé de recueillir des fonds pendant les six derniers mois », dit-il, « nous avons donc publié très peu de choses et maintenant nous avons une énorme file d’attente d’informations qui se sont entassées. Nous travaillons sur ces questions ainsi que sur des systèmes informatiques afin d’accélérer notre processus de publication. »

WikiLeaks n’emploie que cinq personnes à plein temps et environ 40 autres qui, selon lui, « réalisent très régulièrement des choses », s’appuyant sur 800 bénévoles occasionnels et 10 000 soutiens et donateurs – une structure informelle, décentralisée, qui pourrait devenir un modèle d’organisation pour les médias à venir, puisque ce que l’on pourrait appeler les « usines à journalisme » sont de plus en plus dépassées et non viables financièrement. C’est un moment délicat dans le développement de ce qu’Assange préfère considérer comme « un mouvement ». « Nous avons tous les problèmes que peut rencontrer une jeune pousse lors de sa création », dit-il, « combinés avec un environnement extrêmement hostile et un espionnage étatique. »

Le danger d’infiltration par les services de sécurité est important. « Il est difficile d’obtenir rapidement de nouvelles recrues, dit-il, parce que chaque personne doit être contrôlée, et cela rend la communication interne très difficile car il faut tout chiffrer et mettre en place des procédures de sécurité. Nous devons d’ailleurs également être prêts à affronter des poursuites judiciaires. » D’un autre côté, positif cette fois, la campagne récente de financement a permis de récolter un million de dollars, principalement auprès de petits donateurs. Les grands groupes industriels eux, se sont tenus à bonne distance de WikiLeaks en raison de soupçons politiques et d’inquiétudes légales sur la publication d’informations confidentielles sur Internet. Sans compter les carences habituelles des organisations financées par l’occident, toujours promptes à dénoncer dans leurs rapports les mauvaises pratiques des pays émergents mais qui sont beaucoup moins prêtes à mettre en lumière les recoins les moins reluisants des pays soi-disant avancés.

WikiLeaks est-il le modèle journalistique de l’avenir ? La réponse qu’il donne est typiquement à côté de la question. « Partout dans le monde, la frontière entre ce qui est à l’intérieur d’une entreprise et ce qui est à l’extérieur est en train d’être gommée. Dans l’armée, le recours à des mercenaires sous contrat indique que la frontière entre militaires et non-militaires tend à disparaître. En ce qui concerne les informations, vous pouvez constater la même dérive – qu’est-ce qui relève du journal et qu’est-ce qui ne l’est déjà plus ? Selon les commentaires publiés sur des sites grand public et militants… » Il semble alors perdre le fil, je le presse donc d’émettre une prédiction sur l’état des médias d’ici une dizaine d’années. « En ce qui concerne la presse financière et spécialisée, ce sera probablement la même chose qu’aujourd’hui – l’analyse quotidienne de la situation économique dont vous avez besoin pour gérer vos affaires. Mais en ce qui concerne l’analyse politique et sociale, des bouleversements sont à prévoir. Vous pouvez déjà constater que c’est en train d’arriver ».

Assange doit faire attention à assurer sa sécurité personnelle. Bradley Manning, 22 ans, analyste des services de renseignement de l’armée américaine a été arrêté et accusé d’avoir envoyé à Wikileaks les vidéos de l’attaque de Bagdad, et les autorités pensent que l’organisation posséde une autre vidéo d’une attaque sur le village afghan de Granai durant laquelle de nombreux civils ont péri. Il y a également eu des rapports controversés selon lesquels Wikileaks aurait mis la main sur 260 000 messages diplomatiques classés, et les autorités américaines ont déclaré vouloir interroger Assange au sujet de ces documents, dont la publication mettrait selon eux en danger la sécurité nationale. Quelques sources ayant des contacts avec les agences de renseignement l’ont prévenu qu’il était en danger, et lui ont conseillé de ne pas voyager vers les USA. Il refuse de confirmer que Manning était la source de la vidéo de Bagdad, mais il dit que celui qui l’a divulguée est « un héros ».

Lors de la conférence, j’ai entendu un homme à coté de moi dire à son voisin: « Est-ce que tu penses qu’il y a des espions ici ? Les USA lui courent après tu sais ? ». Et bien sûr, c’est possible. Mais faire une conférence devant 200 étudiants dans le centre de Londres n’est pas le comportement de quelqu’un qui se sent particulièrement menacé. D’un autre côté, l’organisateur de la conférence me dit qu’Assange s’efforce de ne pas dormir 2 fois d’affilée au même endroit. Est-ce qu’il prend ces menaces au sérieux ? « Quand vous les recevez pour la première fois, vous devez les prendre au sérieux. Certaines personnes très informées m’ont dit qu’il y avait de gros problèmes, mais maintenant les choses se sont décantées. Les déclarations publiques du département d’état des États-Unis ont été pour la plupart raisonnables. Certaines demandes faites en privé n’ont pas été raisonnables, mais le ton de ces déclarations privées a changé au cours du dernier mois et elles sont devenues plus positives ».

Assange, en dépit de ses hésitations, respire la confiance en soi, voire un certain manque de modestie. Lorsque je lui demande si la croissance rapide et l’importance grandissante de WikiLeaks le surprennent, il répond par la négative. « J’ai toujours été convaincu que l’idée aurait du succès, dans le cas contraire, je ne m’y serais pas consacré ou n’aurais pas demandé à d’autres personnes de s’en occuper. » Récemment, il a passé une grande partie de son temps en Islande, où le droit à l’information est garanti et où il compte un grand nombre de partisans. C’est là-bas qu’a été réalisé le laborieux décryptage de la vidéo de Bagdad. Cependant, il déclare qu’il n’a pas de base réelle. « Je suis comme un correspondant de guerre, je suis partout et nulle part » dit-il. « Ou comme ceux qui fondent une société multinationale et rendent visite régulièrement aux bureaux régionaux. Nous sommes soutenus par des militants dans de nombreux pays ».

Assange est né dans le Queensland en 1971 au sein de ce que l’on pourrait appeler une famille très anticonformiste – ici on se fie sur des sources secondaires contre lesquelles il m’a mis en garde, il serait vraiment utile de consulter de la documentation. Ses parents exploitaient une compagnie de théâtre, si bien qu’il est allé dans 37 écoles différentes (selon certains pourtant, comme sa mère estimait que l’école n’apprend qu’à respecter l’autorité, elle lui faisait principalement cours à la maison). Ses parents ont divorcé puis sa mère s’est remariée, mais il y eut une rupture avec son nouveau mari, ce qui les a conduit elle, Julian et son demi-frère à partir sur les routes. Tout cela semble trop wharolien pour être vrai, mais il s’agit sans doute de la vérité. Ce n’est pas le moment de lui demander de raconter sa vie et je ne pense pas qu’il s’y prêterait s’il en avait le temps. En effet, ses réponses sont généralement laconiques et un peu hésitantes. Lorsque je lui demande s’il y a quelque chose que WikiLeaks ne publierait pas, il me répond : « Cette question n’est pas intéressante » avec son doux accent australien, et en reste là. Assange n’est pas quelqu’un qui éprouve le besoin de « combler les blancs » dans une conversation.

Il est tombé littéralement amoureux des ordinateurs dès son adolescence, est rapidement devenu un hacker confirmé et a même fondé son propre groupe nommé « International Subversives » qui a réussi à pirater les ordinateurs du Département de la Défense des États-Unis. Il s’est marié à 18 ans et a rapidement eu un fils, mais le mariage n’a pas duré et une longue bataille pour la garde de l’enfant a, dit-on, augmenté sa haine de l’autorité. Il existe aussi des rumeurs selon lesquelles il se figurait que le gouvernement conspirait contre lui. Nous avons donc ici une image journalistique parfaite : expert informatique, avec plus de 20 ans d’expérience en piratage, une hostilité à l’autorité et des théories conspirationnistes. Le lancement de WikiLeaks au milieu de sa trentaine semblait inévitable.

« Il s’agit plus d’un journaliste qui voit quelque chose et qui essaie de lui trouver une explication » dit-il. « C’est généralement de cette manière qu’on écrit une histoire. Nous voyons quelque chose à un moment donné et nous essayons d’écrire une histoire cohérente pour l’expliquer. Cependant, ce n’est pas comme ça que je vois les choses. Il est vrai que j’avais certaines capacités et que j’avais aussi la chance d’être dans un pays occidental disposant de ressources financières et d’Internet. De plus, très peu de personnes ont bénéficié de la combinaison de capacités et de relations dont je disposais. Il est également vrai que j’ai toujours été intéressé par la politique, la géopolitique et même peut-être le secret, dans une certaine mesure ». Ce n’est pas réellement une réponse, mais c’est tout ce que j’obtiendrai. Encore une fois, comme chez Warhol, le détachement semble presque cultivé.

Dans son discours, Assange a indiqué n’être ni de gauche ni de droite – ses ennemis tentant toujours de lui coller une étiquette pour saper son organisation. Ce qui compte avant tout est de publier l’information. « Les faits avant tout, madame, » est sa manière de me résumer sa philosophie. « Ensuite, nous en ferons ce que nous voudrons. Vous ne pouvez rien faire de sensé sans savoir dans quelle situation vous êtes. » Mais quand il rejette les étiquettes politiques, il précise que Wikileaks cultive sa propre éthique. « Nous avons des valeurs. Je suis un activiste de l’information. Vous sortez les informations pour les donner au peuple. Nous croyons qu’un dossier plus complet, plus précis, plus riche aux plans intellectuel et historique, est un dossier intrinsèquement bon qui donnera aux gens les outils pour prendre des décisions intelligentes ». Il précise qu’une part évidente de leur objectif est de dénoncer les cas de violation des droits de l’Homme, quels qu’en soient les lieux et les auteurs.

Il a décrit la mise au point d’une plateforme sécurisée pour les lanceurs d’alerte (son argument-clé étant la protection des sources) comme une vocation, et je lui demande si cela va rester le point central de sa vie. Sa réponse me surprend. « J’ai plein d’autres idées, et dès que Wikileaks sera suffisamment fort pour prospérer sans moi, je m’en irai réaliser d’autres de ces idées. Wikileaks peut déjà survivre sans moi, mais je ne sais pas s’il continuerait à prospérer. »

Est-ce que l’impact de Wikileaks, quatre ans après sa création, est une critique implicite du journalisme conventionnel ? Nous sommes-nous assoupis au travail ? « Il y a eu un échec scandaleux dans la protection des sources, » indique-t-il. « Ce sont ces sources qui prennent tous les risques. J’étais à une conférence sur le journalisme il y a quelque mois, et il y avait des affiches expliquant qu’un millier de journalistes ont été tués depuis 1944. C’est inacceptable. Combien de policiers ont été tués depuis 1944 ? »

Je ne le comprends pas, pensant qu’il déplore toutes ces morts de journalistes. Son idée, bien au contraire, n’est pas que beaucoup de journalistes soient morts au front, mais qu’il y en ait eu si peu. « Seulement un millier ! » dit-il, haussant un peu le ton lorsqu’il comprend que je n’ai pas saisi où il voulait en venir. « Combien sont morts dans des accidents de voiture depuis 1944 ? Probablement 40 000. Les policiers, qui ont un rôle important à jouer pour stopper des crimes, sont plus nombreux à mourir. Ils prennent leur rôle au sérieux. » dit-il. « La plupart des journalistes morts depuis 1944 le furent en des lieux comme l’Irak. Très peu de journalistes occidentaux y sont morts. Je pense que c’est une honte internationale que si peu de journalistes occidentaux aient été tués ou arrêtés sur le champ de bataille. Combien de journalistes ont été arrêtés l’année dernière aux États-Unis, un pays comptant 300 millions de personnes ? Combien de journalistes ont été arrêtés l’année dernière en Angleterre ? »

Les journalistes, poursuit-il, laissent les autres prendre des risques et s’en attribuent ensuite tout le bénéfice. Ils ont laissé l’état et les gros intérêts s’en tirer trop longtemps, alors un réseau de hackers et de lanceurs d’alertes reposant sur des ordinateurs, donnant du sens à des données complexes, et avec la mission de les rendre publiquement disponibles est maintenant prêt à faire tout simplement mieux. C’est une affirmation qui aurait mérité débat, et je m’y serais fermement engagé s’il n’était pas en train de siroter du vin blanc et sur le point de commander son dîner. Mais une chose que je tiens à souligner : le nombre de journalistes morts depuis 1944 est plus proche de 2000. Après tout, souvenez-vous, la précision, s’en tenir aux faits, présenter la vérité sans fard est tout ce qui compte dans le nouveau monde de l’information.

Notes

[1] Credit photo : New Media Days (Creative Commons By-Sa)




Wired aussi critique Facebook et cherche des alternatives

DB Photography - CC byFacebook est plus que jamais sur la sellette actuellement.

Cela tient à sa croissance impressionnante qui en fait aujourd’hui un « Web dans le Web », mais cela tient également à l’évolution inquiétante de sa politique vis-à-vis des données de ses utilisateurs.

Du coup un certain nombres d’articles ont récemment vu le jour, non seulement pour la critique mais aussi pour tenter de voir comment se sortir de cette situation. Et pour certains, sortir de cette situation c’est carrément sortir de Facebook, ce qui en dit long sur la confiance accordée désormais à la société de Mark Zuckerberg[1].

Parmi les auteurs de ces articles, il y a les défenseurs biens connus des libertés numériques que sont l’EFF (Facebook’s Eroding Privacy Policy: A Timeline – traduit par Owni), Numerama (Peut-on imaginer un Facebook libre et décentralisé ?), ReadWriteWeb (Le projet Diaspora : un anti Facebook), le Standblog (L’après Facebook : Diaspora), sans nous oublier avec la traduction de l’interview d’Eben Moglen (La liberté contre les traces dans le nuage).

Mais on trouve également Le Monde (Réseaux sociaux : une autre vie numérique est possible) et le célèbre magazine Wired qui donne souvent le ton lorsqu’il s’agit des nouvelles technologies.

C’est ce dernier article que nous vous proposons traduit ci-dessous.

Facebook a maintenant des méthodes de voyou… c’est le moment de lancer une alternative libre et ouverte

Facebook’s Gone Rogue; It’s Time for an Open Alternative

Ryan Singel – 7 mai – Epicenter (Wired)
(Traduction Framalang : Goofy, Barbidule et Daria)

Facebook a maintenant un comportement de gangster, ivre des rêves d’hégémonie mondiale de son fondateur Mark Zuckerberg. Il est grand temps que le reste de l’écosystème du Web en prenne conscience et s’active pour le remplacer par un système ouvert et distribué.

Facebook était juste un endroit pour partager des photos et des idées avec les copains et la famille, et puis peut-être pour jouer à quelques jeux idiots dans lesquels on vous laisse croire que vous êtes un parrain de la mafia ou un pionnier. Facebook est devenu un moyen très utile pour communiquer avec vos amis, avec vos copains perdus de vue depuis longtemps, et les membres de votre famille. Même si vous ne désiriez pas vraiment rester en contact avec eux.

Et bientôt tout le monde a eu un profil – même votre oncle André, et aussi ce type que vous détestiez dans votre précédent boulot.

Et puis Facebook s’est rendu compte qu’il était propriétaire du réseau.

Alors Facebook a décidé que « votre » page de profil deviendrait celle de votre identité en ligne, en se disant – avec raison – qu’être le lieu où les gens se définissent procurera du pouvoir et de l’argent. Mais pour y parvenir, les gens de Facebook devaient d’abord s’assurer que les informations que vous donnez seraient publiques.

Et donc en décembre, avec l’aide des experts en vie privée de Beltway récemment engagés, Facebook a renié ses promesses de respecter les données privées : la plupart des informations de votre profil sont devenues publiques par défaut. Ce qui comprend la ville où vous vivez, votre nom, votre photo, les noms de vos amis et les groupes que vous avez rejoints.

Au printemps Facebook a poussé le bouchon encore plus loin. Toutes les éléments que vous indiquez aimer seront publics, et renverront à des pages de profil publiques. Si vous ne voulez pas qu’il en soit ainsi, eh bien vous perdez ces données – bien que Facebook se les garde gentiment dans sa base de données pour permettre aux publicitaires de vous cibler.

Cela comprend vos goûts musicaux, les informations concernant votre travail, ce que vous aimez lire, les établissements scolaires que vous avez fréquentés, etc. Tous les éléments qui constituent votre profil. Tout doit devenir public – avec des liens vers des pages publiques pour le moindre détail – sinon vous n’y avez pas droit du tout. On peut difficilement appeler ça un choix, et tout le système est d’une complexité à rendre fou.

Dans le même temps, l’entreprise a commencé à envoyer les informations recueillies sur votre profil vers Yelp, Pandora et Microsoft – si bien que si vous allez faire un tour sur ces sites pendant que vous êtes encore connecté sur Facebook, les services en question vous proposent une « expérience personnalisée » lorsque vous apparaissez. Vous pouvez essayer l’option de désinscription après coup, mais pour interrompre définitivement ce système vous aurez besoin d’un mastère en bureaucratie facebookienne.

Vous voudriez mettre à jour votre statut pour vos amis ? Facebook envoie par défaut tous les messages à publier à l’Internet tout entier, en les déversant dans l’entonnoir des dix plus importants moteurs de recherche. Vous disposez d’un menu déroulant pour restreindre votre publication, mais il semble que ce soit trop difficile pour Facebook de se souvenir de votre choix lors des connexions suivantes. (Google Buzz, avec toutes les critiques qu’il a essuyées, se souvient tout de même des paramètres de votre dernière publication et les utilise ensuite par défaut).

Supposons maintenant que vous écriviez un message public pour dire « mon patron a eu une idée dingue pour un nouveau produit ». Eh bien vous l’ignorez peut-être, mais il existe une page Facebook consacrée à « mon patron est dingue », et comme vous avez utilisé les mots-clés qui correspondent, votre message apparaît sur cette page. Si vous utilisez les mots « FBI » ou « CIA » vous apparaîtrez sur les pages de la CIA ou du FBI.

Et voici encore le nouveau bouton Facebook « J’aime » qui se répand sur Internet. C’est une bonne idée – mais il est entièrement lié à votre compte Facebook, et vous n’avez aucun contrôle sur la façon dont il est utilisé (non, vous ne pouvez pas déclarer aimer quelque chose sans rendre cet avis totalement public).

Et encore la campagne de Facebook pour contrer les services externes. Il existait un service appelé Web 2.0 suicide machine qui vous permettait de supprimer votre profil en échange de votre mot de passe. Facebook l’a fait fermer.

Une autre entreprise proposait une application pour rassembler tous vos messages des services en ligne – y compris Facebook – , sur un portail central après avoir confié au site votre identifiant de connexion sur Facebook. Eh bien Facebook poursuit en justice cette entreprise au motif qu’elle enfreint les lois en ne respectant pas ses conditions d’utilisation.

Pas étonnant du coup que 14 groupes de défense de la vie privée aient déposé mercredi une plainte contre Facebook pour pratiques commerciales déloyales.

Mathew Ingram de GigaOm a écrit un billet intitulé « Les relations entre Facebook et la vie privée : un véritable sac de nœuds ».

Non, au fond ce n’est pas vrai. Ces relations sont simples : votre conception de la vie privée – c’est-à dire votre pouvoir de contrôle sur les informations qui vous concernent – est tout simplement démodée aux yeux de Facebook. Le grand boss Zuckerberg a déclaré en direct et en public que Facebook se contente d’accompagner l’évolution des mœurs en matière de vie privée, mais sans les modifier – une déclaration de circonstance, mais qui est carrément mensongère.

Dans l’optique de Facebook, tout devrait être public (sauf peut-être votre adresse mail). C’est drôle d’ailleurs, cette histoire d’adresse mail, parce que Facebook préfèrerait vous voir utiliser son propre système de messagerie, qui censure les messages entre utilisateurs.

Ingram continue sur sa lancée : « et peut-être Facebook ne fait-il pas l’effort de transparence nécessaire, pour expliquer ce qui est en jeu ou comment paramétrer au plus juste la maîtrise de nos données privées – mais en même temps certains choix délibérés doivent relever de la responsabilité des usagers eux-mêmes. »

Quoi ? Comment la responsabilité du choix pourrait-elle revenir à l’utilisateur quand le choix n’existe pas réellement ? Je voudrais que ma liste d’amis devienne privée. Impossible.

J’aimerais rendre mon profil visible de mes seuls amis, pas de mon patron. Impossible.

J’aimerais soutenir une association anti-avortement sans que ma mère ou le monde entier le sache. Impossible.

Dans un service en ligne, chacun devrait pouvoir contrôler ses données privées de manière simple. Et si vous trouvez de multiples billets sur des blogs qui expliquent comment utiliser votre système de protection de la vie privée, c’est signe que vous ne traitez pas vos utilisateurs avec respect. Cela signifie que vous les contraignez à faire des choix dont ils ne veulent pas, suivant un plan délibéré. Ça donne la chair de poule.

Facebook pourait démarrer avec une page très simple avec les options suivantes : je suis une personne soucieuse de sa privée, j’aime bien partager certaines choses, j’aime bien exposer ma vie en public. Chacune de ces options commanderait des paramètres différents pour des myriades de choix possibles, et tous les utilisateurs auraient ensuite la possibilité d’accéder au panneau de contrôle pour y modifier leurs préférences. Ce serait une conception respectueuse – mais Facebook ne s’intéresse pas au respect – ce qui l’intéresse c’est redéfinir pour le monde entier la différence entre ce qui est public et ce qui est privé.

Peu importe que vous soyez un adolescent et que vous ne compreniez pas que les bureaux de recrutement des universités vont utiliser votre adresse mail pour trouver des informations – potentiellement embarassantes – sur vous. C’est votre problème, et tant pis pour vous si Facebook a décidé de devenir une plateforme d’identités à l’échelle planétaire, en vous promettant d’abord de garantir votre vie privée, puis en la divulguant à votre insu par la suite. En tout cas, c’est ce que pense l’armée de spécialistes en droit de la vie privée engagés par l’entreprise et grassement payés pour dissimuler les coups fourrés.

Facebook nous a clairement appris plusieurs leçons. Nous voulons partager plus facilement des photos, des liens et nos dernières nouvelles avec nos amis, notre famille, nos collègues et même parfois avec le monde entier.

Mais cela ne signifie nullement que l’entreprise ait gagné le droit de détenir et de définir nos identités.

C’est le moment pour les meilleurs éléments de la communauté techno de trouver un moyen pour que tout le monde puisse contrôler ce qu’il veut partager et comment. Les fonctions de base de Facebook peuvent devenir des protocoles, et tout un éventail de logiciels et de services qui interagissent pourront s’épanouir.

Imaginez que vous ayez la possibilité d’acheter votre propre nom de domaine et d’utiliser de simples logiciels comme Posterous pour créer votre page de profil dans le style qui vous convient. Vous pourriez contrôler ce que les inconnus pourraient voir, tandis que ceux que vous déclarez comme vos amis verraient une page toute différente, plus intime. Ils pourraient utiliser un service gratuit financé par la publicité, qui pourrait être procuré par Yahoo, Google, Microsoft, une foule de startups ou des hébergeurs comme Dreamhost.

Les boutons « J’aime » qui foisonnent sur le Web devraient pouvoir être configurés pour faire exactement ce que vous désirez qu’ils fassent – s’ajouter à un profil protégé, s’ajouter à une liste de vœux sur votre site, ou encore être diffusés par le service de micro-blogging de votre choix. Vous auriez ainsi le contrôle de la présentation de votre propre personne – et comme dans le monde réel, vous pourriez cloisonner les différentes parties de votre vie.

Les gens qui ne veulent pas spécialement quitter Facebook pourraient continuer à jouer avec – pourvu que Facebook arrête une fois pour toutes ses pratiques inquiétantes avec nos données, comme de fournir ces informations à des tierces parties, juste parce qu’un de vos contacts a joué au quiz « Quel personnage de l’île aux naufragés êtes-vous ? » (Si, cela se produit couramment).

Bon d’accord, il n’est pas évident du tout qu’une vague alliance d’entreprises de logiciels et de développeurs puisse transformer les services de base de Facebook en protocoles partagés, pas plus qu’il ne serait facile, pour cette coalition de services en ligne, de rivaliser avec Facebook, compte tenu de ses 500 millions d’utilisateurs. Dont beaucoup acceptent que Facebook redéfinisse leurs repères culturels, ou sont trop occupés ou trop paresseux pour laisser tomber Facebook.

Mais dans l’Internet idéal avec lequel j’aimerais vivre, nous devrions avoir cette possibilité, au lieu de nous retrouver obligés de choisir entre laisser Facebook nous utiliser et être totalement exclus de la conversation.

Notes

[1] Crédit photo : DB Photography (Creative Commons By)




Richard Stallman l’insoumis dans le SVM du mois de mars

Né en 1983 et tiré à plus de 100 000 exemplaires, le mensuel SVM est probablement le plus connu des magazines de la presse informatique française. Certains se souviennent peut-être encore de sa prise de position critique et courageuse vis-à-vis d’Hadopi, avec une pétition qui aura récoltée plus de 50 000 signatures.

Le numéro 290 du SVM de ce mois de mars consacre 3 pleines pages à Richard Stallman (et donc par ricochet au logiciel libre) en publiant notamment quelques extraits de sa biographie autorisée.

« Richard Stallman est l’homme par lequel tout est arrivé : le logiciel libre, Linux, Firefox, Wikipédia. Sa biographie, parue récemment, nous le montre en étudiant renfermé, programmeur génial, missionnaire infatigable de la liberté, philosophe des théories du partage pour certains (…) Pour Stallman, le code c’est du savoir, l’ordinateur un instrument de liberté. Et le savoir doit circuler librement. »

Richard Stallman - SVM 290 mars 2010




Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel – Mediapart

llawliet - CC byReprise du second article de l’enquête de Mediapart sur l’école à l’ère numérique, introduite dans un précédent billet.

« Derrière le ministre de l’éducation, l’ancien secrétaire d’État à l’industrie n’est pas très loin », nous dit Louise Fessard.

Et Microsoft non plus[1].

Mais la journaliste a eu la bonne idée d’en décrypter la présence et l’influence en s’appuyant, une fois n’est pas coutume, sur de nombreux articles de ce blog (cf notes de bas de page). Inutile de vous dire que cette reconnaissance nous honore quand bien même la situation évoquée mérite toujours d’être mise à jour en faveur du Libre.

Remarque : Cet article a été publié juste avant la sortie du rapport Fourgous désormais disponible.

Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel

Louise Fessard – 8 février 2010 – Mediapart
(avec son aimable autorisation)

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En visite au Bett, le salon mondial du numérique éducatif à Londres, le 17 janvier, le ministre de l’éducation, Luc Chatel, a réaffirmé sa volonté de lancer un grand plan numérique pour l’école « dans le cours du premier trimestre 2010 ». Près de 7.000 communes de moins de 2.000 habitants ont déjà bénéficié de subventions de 10.000 euros pour équiper leur école dans le cadre du plan écoles numériques rurales.

Devant une rangée d’industriels français du numérique, il a confirmé la possibilité d’utiliser une partie du grand emprunt à cette fin. Car derrière le ministre de l’éducation, l’ancien secrétaire d’État à l’industrie n’est pas très loin. « Ce sont des réservoirs, des perspectives de croissance très importants que d’avoir des pouvoirs publics qui investissent de manière durable dans ce secteur », lance ainsi Luc Chatel (cf vidéo).

En moyenne, l’école française ne dispose que d’un ordinateur pour 12 élèves (contre un pour 6 en Grande-Bretagne) et moins de 30.000 tableaux blancs interactifs (contre 470.000 en Grande-Bretagne)[2]. Plus préoccupant, il existe une grande disparité d’équipement entre les territoires : un rapport de la Cour des comptes révélait en décembre 2008 que, dans les écoles primaires, le taux d’équipement allait d’« un ordinateur pour 5 élèves à un pour 138 élèves » selon les communes.

La faute à une absence de politique nationale : ce sont les collectivités territoriales (commune pour les écoles, département pour les collèges, région pour les lycées) qui financent ordinateurs, logiciels, connexion au réseau. « C’est bien de venir voir les innovations, se désolait un principal de collège rencontré au salon professionnel Educatice en novembre 2008, mais budgétairement on n’a pas la maîtrise, c’est le conseil général qui décide. »

Aussi le plan écoles numériques rurales, qui a laissé aux écoles candidates le choix des solutions informatiques tout en assurant un financement étatique, a-t-il fait mouche parmi les petites communes[3]. Devant l’afflux des candidatures, Luc Chatel a dû débloquer 17 millions d’euros supplémentaires, en plus de l’enveloppe initiale de 50 millions. « Le fait que l’Etat prenne en charge ce dispositif peut éviter un accroissement des inégalités », se réjouit Gilles Moindrot, secrétaire général du SNUipp, le principal syndicat des professeurs des écoles.

Privilégier ressources et formation

Le matériel n’est pas « forcément le nerf de la guerre », a souligné Luc Chatel le 17 janvier, jugeant en revanche « absolument capitales la question des ressources pédagogiques et la question de la formation »[4]. Le député (UMP) des Yvelines, Jean-Michel Fourgous, doit rendre son rapport sur les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) à Luc Chatel le 15 février. « Si on ne veut pas renouveler les échecs des grands plans informatiques précédents, il faut abandonner l’histoire du 80% pour l’équipement / 20% pour la formation, et passer au 50/50 », explique-t-il.

Les industriels ont déjà largement investi le terrain : les grands groupes ne se contentent plus de vendre du matériel ou des logiciels, ils offrent aux enseignants des espaces d’échange, des forums, des ressources pédagogiques, des formations pour utiliser leur technologie. « Il faut comprendre qu’accrocher une boîte noire au mur, ça n’apporte pas grand-chose, explique Emmanuel Pasquier, directeur général de la société Promethean, leader des tableaux blancs interactifs (TBI) en Europe. Il faut faire un très gros travail avec la communauté éducative et mettre en place un écosystème autour du TBI qui comprenne les tableaux interactifs, les boîtiers d’évaluation, les ardoises mais aussi des logiciels d’aide à la création pédagogique, la formation et l’accompagnement continu des enseignants. » La communauté virtuelle Promethean Planet revendique ainsi plus de 500.000 enseignants dans le monde.

Microsoft « à l’assaut du monde de l’éducation »

Microsoft France a choisi de multiplier les partenariats avec le monde associatif enseignant, en adaptant son programme international « Partners in learning »[5], actif dans une centaine de pays, au contexte français : « Nous apportons un support technologique et financier aux initiatives des enseignants, mais notre plus grosse valeur ajoutée, c’est la mise en réseau entre enseignants », explique Thierry de Vulpillières[6], directeur des partenariats éducation. Microsoft vient ainsi en aide à des projets peu reconnus et relayés par l’institution scolaire. En toute discrétion, se gardant bien de placarder son logo à tout-va.

L’entreprise américaine a ainsi participé à la refonte de la plateforme Internet du Café pédagogique[7], le site d’actualité pédagogique de référence avec ses 222.000 abonnés, « qui craquait de partout », mais se contente d’y animer un forum sur une opération commerciale « Microsoft Office 2007 gratuit pour les enseignants ». Elle a aussi développé une offre de formations à cette suite bureautique et à son « espace de travail numérique » par l’intermédiaire de Projetice[8], une association d’enseignants créée en 2006.

« Au départ, différents enseignants ressentaient comme un manque l’absence d’associations sur les Tice dans le paysage français, raconte Thierry de Vulpillières. Ils sont venus me voir et j’ai participé au financement de la création de l’association. » Une association qui se dit « indépendante » mais vit en partie des commandes commerciales de Microsoft. « Au côté de celles d’Orange, de Texas Instrument, Smart, etc. », nuance Thierry de Vulpillières.

C’est encore Microsoft qui est à l’origine de la tenue du premier forum des enseignants innovants à Rennes en 2008, que l’entreprise finance à hauteur de 30%[9]. « En 2007, Microsoft avait, avec l’Unesco, organisé au Louvre le forum européen des enseignants innovants, raconte Thierry de Vulpillières. J’ai impliqué des enseignants français et ils se sont dit qu’ils allaient organiser quelque chose au niveau national pour récompenser l’innovation pédagogique. »

Microsoft emploie aussi des méthodes plus classiques et massives. Depuis juin 2008, les enseignants peuvent télécharger et installer gratuitement Office 2007 à leur domicile. Pour mener cet « assaut du monde de l’éducation » (voir doc joint), Microsoft et l’agence de communication Infoflash ont créé un site Web spécifique et envoyé des centaines de courriers nominatifs aux enseignants (120.000 aux enseignants et personnels de collège en juin 2008 puis une seconde vague de 350.000, visant aussi les instituteurs, en novembre 2008)[10]. Une performance récompensée en 2009 par l’obtention du grand prix « acquisition et fidélisation clients » du Club des directeurs marketing et communication des TIC (Cmit)[11].

« Un potentiel de 50.000 emplois »

Théoriquement, selon l’accord-cadre signé entre l’éducation nationale et Microsoft en 2003, l’offre n’est pas à proprement parler gratuite puisqu’elle doit être compensée par l’achat de licences par les établissements scolaires. Microsoft « autorise la duplication des logiciels Microsoft Office sur des postes de travail personnel dans la stricte limitation du nombre de licences déployées pour usage professionnel », précise l’avenant signé en 2006 (doc joint). Mais dans les faits, tout enseignant peut télécharger gratuitement Office, même si son établissement n’a pas acheté de licence à Microsoft.

Ce type d’opération est régulièrement dénoncé sur la Toile par des enseignants adeptes du libre comme Jean Peyratout. « Les industriels, et notamment Microsoft, ont une attitude extrêmement offensive mais ils font leur métier, c’est normal, estime cet instituteur de Pessac (Gironde). C’est plutôt du côté des prescripteurs qu’est le problème. »

Même analyse d’Alexis Kauffmann, enseignant de mathématiques, actuellement à Rome, qui dénonce sur son blog « l’influence disproportionnée de Microsoft à l’école ». « Je reproche surtout au ministère de l’éducation de laisser Microsoft rentrer comme dans du beurre dans le système éducatif français, faute d’avoir pris une position volontariste vis-à-vis du logiciel libre, explique-t-il. Alors qu’en Grande-Bretagne, le Becta (l’agence britannique en charge des Tice) n’hésite pas à rédiger de longs rapports[12] déconseillant l’adoption des nouvelles versions de Windows et MS Office en milieu scolaire tout en invitant à découvrir leurs alternatives libres que sont GNU/Linux et OpenOffice. »

Conscient de cette dépendance, Jean-Michel Fourgous propose qu’une partie du grand emprunt aille à « la formation, la simplification des ressources pédagogiques, la clarification du rôle des collectivités locales et une meilleure coordination des acteurs ». « Je pense qu’il y a un potentiel de 50.000 emplois dans les Tice dans les années à venir, prévoit-il. Il faut inciter nos chercheurs français à travailler sur tous les services Tice car il va y avoir une explosion dans ce domaine. »




Le chemin de croix du logiciel libre à l’école – Quand Mediapart mène l’enquête

Vauvau - CC byLe logiciel libre et sa culture n’ont toujours pas la place qu’ils méritent à l’école. Tel est l’un des chevaux de bataille de ce blog, qui a parfois l’impression de donner des coups d’épée dans l’eau tant ce sujet ne donne pas l’impression de passionner les foules.

Dans ce contexte médiatiquement défavorable, nous remercions Mediapart de s’être récemment emparé du sujet à la faveur d’une enquête conséquente sur L’école à l’ère numérique.

Ces enquêtes approfondies sont l’une des marques de fabrique de ce pure player qui contrairement à d’autres ne mise pas sur le couple gratuit/publicité mais sur l’abonnement qui offre un accès privé et réservé à la majorité de ses contenus (si je puis me permettre une petite digression, le modèle utopique idéal serait pour moi un nombre suffisant d’abonnés à qui cela ne poserait pas de problèmes que le site soit entièrement public et sous licence de libre diffusion).

Ce dossier comporte cinq articles : Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel, A Antibes, un collège teste les manuels numériques[1], Thierry de Vulpillières : « Les TICE sont une réponse à la crise des systèmes d’éducation »[2], Nouvelles technologies: remue-ménage dans la pédagogie ![3] et Le chemin de croix du logiciel libre à l’école.

Avec l’aimable autorisation de son auteure, nous avons choisi d’en reproduire le premier dans un autre billet et donc ici le dernier, dans la mesure où nous sommes cités mais aussi et surtout parce qu’ils touchent directement nos préoccupations.

Outre votre serviteur, on y retrouve de nombreux acteurs connus des lecteurs du Framablog. J’ai ainsi particulièrement apprécié la métaphore de la « peau de léopard » imaginée par Jean Peyratout pour décrire la situation actuelle du Libre éducatif en France[4].

Et si ce léopard se métamorphosait doucement mais sûrement en une panthère noire ?

Le chemin de croix du logiciel libre à l’école

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Louise Fessard – 12 février 2010 – Mediapart

Et le libre dans tout ça ?

Des logiciels et des contenus garantissant à tous le droit d’usage, de copie, de modification et de distribution, ne devraient-ils pas prospérer au sein de l’éducation nationale ? Si l’administration de l’éducation nationale a choisi en 2007 de faire migrer 95% de ses serveurs sous le système d’exploitation libre GNU/Linux, la situation dans les établissements scolaires est bien plus disparate.

Le choix dépend souvent de la mobilisation de quelques enseignants convaincus et de la politique de la collectivité locale concernée. « On se retrouve avec des initiatives personnelles, très locales et peu soutenues », regrette l’un de ses irréductibles, Alexis Kauffmann, professeur de mathématiques et fondateur de Framasoft, un réseau d’utilisateurs de logiciels libres.

« La situation ressemble à une peau de léopard, confirme Jean Peyratout, instituteur à Pessac (Gironde) et président de l’association Scideralle. Le logiciel libre est très répandu mais dans un contexte où aucune politique nationale n’est définie. C’est du grand n’importe quoi : il n’y a par exemple pas de recommandation ministérielle sur le format de texte. Certains rectorats vont utiliser la dernière version de Word que d’autres logiciels ne peuvent pas ouvrir. »

A la fin des années 1990, Jean Peyratout a développé avec un entrepreneur, Eric Seigne, AbulEdu, une solution réseau en logiciel libre destinée aux écoles et basée sur GNU/Linux. Selon Eric Seigne, directeur de la société de service et de formation informatique Ryxeo spécialisée dans le logiciel libre, environ 1000 des 5000 écoles visées à l’origine par le plan d’équipement « écoles numériques rurales », lancé à la rentrée 2009 par le ministère de l’éducation nationale, ont choisi d’installer AbulEdu. Faute de bilan national, il faudra se contenter de ce chiffre, qui ne concerne que le premier degré, pour mesurer l’importance du libre dans les établissements scolaires.

Autre exemple significatif, en 2007, le conseil régional d’Ile-de-France a choisi d’équiper 220.000 lycéens, apprentis de CFA et professeurs, d’une clé USB dotée d’un bureau mobile libre – développé par la société Mostick, à partir des projets associatifs Framakey et PortableApps.

« Pourquoi payer des logiciels propriétaires ? »

Le libre à l’école a plusieurs cordes à son arc. Jean Peyratout met en avant son interopérabilité – « Nos élèves sont amenés à utiliser à la maison ce qu’ils utilisent à l’école » –, la souplesse dans la gestion du parc – pas besoin d’acheter une énième licence en cas de poste supplémentaire – et surtout son éthique. « Faire de la publicité à l’école est interdit, plaide-t-il. Il me semble qu’utiliser un logiciel marchand à l’école alors qu’il existe d’autres solutions, c’est faire la promotion de ce logiciel. Pourquoi aller payer des logiciels propriétaires dont le format et le nombre limité de licences posent problème ? »

D’autant, souligne Eric Seigne, « qu’en investissant dans le libre, l’argent reste en local, alors qu’en achetant du propriétaire, la plus grande partie de l’argent part à l’étranger où sont implantés les gros éditeurs ». Reste à convaincre sur le terrain les enseignants, non experts et qui n’ont pas envie de mettre les mains dans le cambouis. A Saint-Marc-Jaumegarde par exemple, Emmanuel Farges, directeur d’une école primaire pourtant très technophile, est sceptique. « Seul notre site Internet repose sur un logiciel libre mais ça bogue souvent et il n’y a pas de suivi quand il y a un problème », explique-t-il.

A côté de la poignée d’enseignants militants du libre, se sont pourtant développés des professionnels. « Le fait que les logiciels soient gratuits éveille paradoxalement les soupçons de mauvaise qualité, note Bastien Guerry, doctorant en philosophie et membre de l’Association francophone des utilisateurs de logiciels libres (Aful). Mais il existe des associations locales de prestation de service en logiciel libre qui peuvent assurer un suivi. »

Des sites collaboratifs

« Aujourd’hui, les enjeux portent moins sur l’installation des postes que la mise à disposition de logiciels libres via l’environnement numérique de travail et des clefs USB », prévoit Bastien Guerry. A travers des sites participatifs comme Les Clionautes (histoire-géographie), WebLettres (français), et créés au début des années 2000, des enseignants s’adonnent avec enthousiasme à cette création de logiciels et surtout de contenus.

L’exemple le plus abouti en est Sésamath dont la liste de diffusion regroupe 8000 enseignants, soit un quart des profs de mathématiques français selon l’un des fondateurs du projet, Sébastien Hache, lui-même enseignant au collège Villars à Denain (Nord).

« Tous les enseignants créaient déjà eux-mêmes leurs ressources mais Internet leur a permis de les partager, explique-t-il. Et, comme il n’y a pas plus seul qu’un prof face à sa classe, ça évite à chacun de réinventer la roue dans son coin. » Grâce à la collaboration d’enseignants travaillant à distance, Sésamath a même édité « le premier manuel scolaire libre au monde ». « Les manuels des éditeurs sont d’ordinaire écrits par deux ou trois profs, nous, nous avons eu la collaboration d’une centaine d’enseignants avec de nombreux retours », se félicite Sébastien Hache.

400.000 exemplaires de ce manuel, qui couvre les quatre niveaux de collège, ont été vendus (11 euros pour financer les salaires des cinq salariés à mi-temps de l’association), la version en ligne étant gratuite et bien entendu modifiable en vertu de sa licence libre. L’autre activité du site consiste à créer des logiciels outils et des exercices s’adaptant aux difficultés des élèves. Beaucoup de professeurs de mathématiques sont aussi par ailleurs des développeurs passionnés!

Un foisonnement que s’efforce de fédérer le pôle de compétences logiciels libres du Scérén coordonné par Jean-Pierre Archambault. L’école doit désormais prendre en compte les « mutations engendrées par l’immatériel et les réseaux: enseignants-auteurs qui modifient le paysage éditorial, partage de la certification de la qualité, validation par les pairs, redistribution des rôles respectifs des structures verticales et horizontales… », jugeait-il en juin 2008.

Pas vraiment gagné, constate Alexis Kauffmann. « Rien ne laisse à penser que le ministère de l’éducation nationale comprend et souhaite encourager cette culture libre qui explose actuellement sur Internet », lance-t-il. Dernier exemple en date, l’Académie en ligne lancée par le Cned en juin 2009 propose des cours, certes gratuits, mais pas libres et donc non modifiables, manifestement uniquement conçus pour être imprimés! Pour la collaboration, il faudra repasser…

Notes

[1] On peut lire l’article A Antibes, un collège teste les manuels numériques dans son intégralité sur le site Sauvons l’Université.

[2] On peut lire l’article Thierry de Vulpillières : « Les TICE sont une réponse à la crise des systèmes d’éducation » dans son intégralité sur le site Sauvons l’Université.

[3] On peut lire l’article Nouvelles technologies: remue-ménage dans la pédagogie ! dans son intégralité sur le site Sauvons l’Université.

[4] Crédit photo : Vauvau (Creative Commons By)




L’âge de faire du développement durable en compagnie du logiciel libre

Coxy - CC by-saL’âge de faire est un mensuel indépendant, sans publicité et à petit prix (1,50 €) qui cherche à sensibiliser un large public aux questions d’écologie, de citoyenneté, de solidarité.

Tiré à 25 000 exemplaires, il utilise un mode de distribution un peu particulier : plutôt qu’une diffusion en kiosque classique (mais coûteuse), ce journal s’appuie sur un réseau d’abonnés, de coopérateurs (invités à revendre leurs exemplaires), et de points relais volontaires.

Pourquoi donc en parler sur le Framablog ?

Parce qu’il existe des ponts naturels entre le logiciel libre et le « développement durable » (pris au sens noble et non marketing du terme).

Il nous arrive du reste d’en parler comme en témoigne notre tag « Écologie » regroupant divers billets autour du sujet[1].

Ponts naturels que l’on pourrait assez paresseusement synthétiser par le diagramme ci-dessous :

Logiciel libre et Développement durable - LL-DD.ch - CC by-nc-sa

Nous constatons par ailleurs que les rencontres et synergies se multiplient.

Ainsi le Festival du Développement Durable 2009 de Genève a accueilli plusieurs associations locales. C’est d’ailleurs à cette occasion et sous leur impulsion qu’est né le fort intéressant site Logiciels libres et développement durable d’où est issue l’illustration ci-dessus (pour l’anecdote on remarquera également cette très jolie Framakey durable en bois).

De même le Salon Primevère de Lyon accorde chaque année une place plus importante au logiciel libre (cette année le thème sera « Le prix de la gratuité » et de nombreuses associations du libre, dont Framasoft, y feront des conférences).

L’âge de faire n°39 février 2010 - Dossier Logiciels Libres

L’autre raison, c’est que le numéro actuel de L’âge de Faire (n°39 – février 2010) propose un excellent petit dossier d’une double page intitulée fort à propos : Et si on passait au libre ?

Suite à notre demande, l’auteur Didier Bieuvelet a tout de suite accepté d’en placer les articles sous licence Creative Commons By-Sa (articles dont les titres sont les suivants : Des logiciels citoyens, Témoignage d’un converti, Informatique libre et solidaire, Quels logiciels libres ?, Simple comme Ubuntu et De la vente liée à la vente forcée)

Vous trouverez donc :

  • Les textes du dossier : au format ODT et au format PDF.
  • Les pages originales du dossier au format PDF telles que vous pouvez les voir sur la copie d’écran : page 12 et page 13 (certaines photos n’étant pas sous licence libre, si un gentil volontaire souhaite refaire un PDF avec d’autres images libres pour diffusion/impression, nous nous ferons un plaisir de l’ajouter ici).

Quant au reste du journal, nous vous encourageons à vous rendre sur leur site pour vous le procurer.

Notes

[1] Crédit photo : Coxy (Creative Commons By-Sa)




Le Monde et Libé main dans la main pour nous pondre des éditos serviles et crétins

Hamed Saber - CC byJe me souviens d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. C’était avant Internet. La presse avait un surnom : le quatrième pouvoir. Et il me plaisait d’y croire à ce contre-pouvoir, face aux autres pouvoirs incarnés par l’État.

Aujourd’hui, j’ai de plus en plus de peine à y croire. Jusqu’à ne plus y croire du tout lorsqu’il s’agit d’aborder « Internet ».

Que Sarkozy s’empare d’un rapport pour venir nous faire une proposition qui frise le ridicule avec sa « taxe Google », nous y sommes malheureusement désormais habitués, Hadopi étant encore (et pour longtemps) dans toutes les mémoires. Mais que des journaux aussi prestigieux que Le Monde et Libération, reprennent le même jour, sans aucun recul, cette proposition, en tentant bien maladroitement de la justifier, c’est nouveau et c’est plus que décevant[1].

Mais qu’est-ce donc que cette « taxe Google » ?

Florent Latrive (journaliste à… Libération !) la résume fort bien dans son excellent et cinglant billet La taxe Google, symbole cache-misère sur son blog Caveat Emptor :

Il n’est surtout nulle part question que cette taxe soit une source de revenus supplémentaires pour les artistes et créateurs. Elle vise simplement à compenser dans le budget de l’Etat une série de dépenses en faveur des industries culturelles, et notamment la carte jeune musique ou l’extension du crédit d’impôt pour la production musicale. Si ces dépenses auront, c’est le minimum, pour effet indirect d’assurer quelques rentrées à la filière, on ne trouve pas là trace d’une nouvelle ligne de recettes susceptibles d’apporter un revenu pérenne et conséquent aux créateurs. On taxe la pub, et on subventionne la vente de musique. Il ne s’agit pas là de rémunérer la filière sur la base d’une nouvelle circulation des oeuvres et de nouveaux partages de la valeur ajoutée, mais d’instaurer un micro-bricolage fiscal, tout en continuant, via Hadopi, la guerre au public et à ses pratiques de partage sur les réseaux.

Et Guillaume Champeau de surenchérir sur Numerama, un brin énervé :

Puisque la France et l’Europe sont incapables de favoriser l’émergence de grands acteurs de l’internet, autant taxer les sucess stories américaines pour financer ses industries vieillissantes.

Ajoutons à cela qu’elle s’annonce techniquement inapplicable (ça ne vous rappelle rien ?), puisque comme nous le précise Rue89, il sera fort délicat, pour ne pas dire impossible, de tout aussi bien choisir les sites à taxer, empêcher l’évasion fiscale et dénombrer les internautes français.

L’idée est donc définitivement mauvaise. Et, même si ça n’est pas forcément agréable à lire, on ne s’étonnera pas de se faire plus ou moins gentiment chambrer par le reste du monde.

Mais nos deux grands quotidiens ont eux décidé de passer outre…

Qu’est-ce que l’éditorial, ou l’édito, d’un journal ? C’est en quelque sorte la « signature » du journal, voire même parfois sa « vitrine idéologique ». Et comme c’est important, on ne va pas en confier la plume à n’importe qui : ce sont souvent les directeurs ou les rédacteurs en chef qui s’y collent.

Or donc ici, c’est rien moins que l’éditorial de ces deux journaux qui est sollicité pour jouer, j’exagère à peine, les porte-paroles du gouvernement. Les titres de l’un comme de l’autre sont évocateurs et en parfaite symbiose : « Juste » pour Libération et « Une taxe juste » pour Le Monde. Le parallèle est saisissant, à croire qu’ils se sont passés le mot.

L’édito de Libération : « Juste »

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Par Laurent Joffrin (directeur du journal) – 8 janvier 2010

Internet, notre ennemi ? Voilà bien la manière la plus niaise de poser le problème de la création et de la presse en ligne. Le réseau mondial porte en lui un tel progrès de civilisation – culture et information à la disposition de tous sur un simple clic – qu’il est ridicule d’invoquer cette dichotomie sommaire.

Ce serait effectivement ridicule, mais alors pourquoi le rappeler en introduction ? On est à la limite de la faute avouée à moitié pardonnée.

Non, l’ennemi est plus insidieux, et plus dangereux : c’est le tout gratuit, en ligne ou ailleurs.

Qu’est-ce que le « tout gratuit » ? Je n’en ai personnellement aucune idée. Toujours est-il que « l’ennemi » est donc désigné et que l’on se trouve face à une autre dichotomie sommaire dans laquelle on souhaiterait nous enfermer : gratuit contre payant. Le refrain est désormais connu, occultons totalement la constitution de biens communs, le partage de ressources sous licences libres et ouvertes (gratuites ou payantes) et les échanges non marchands. C’est pourtant aussi et surtout là qu’Internet est susceptible d’être un « progrès de civilisation ».

Pendant des lustres, les ravis de la fausse modernité nous ont expliqué que la gratuité totale, par des sources principalement publicitaires, créerait son modèle économique. On s’aperçoit aujourd’hui que cette prophétie n’a aucune réalité pour les producteurs de contenus culturels (musique, livres, cinéma, information…)

Merci de cet aveu. Il fallait effectivement être bien naïf pour croire ces « ravis de la fausse modernité » (on veut des noms !).

Quelques géants, agrégateurs comme Google ou fournisseurs d’accès Internet, ont capté l’essentiel des revenus. Le libre marché a créé cette originale répartition des tâches : les créateurs de contenu supportent les dépenses, les diffuseurs perçoivent les recettes.

Mélangeons allègrement deux entités aussi hétéroclites que Google et un fournisseur d’accès pour en faire d’étranges boucs émissaires à qui on reproche d’avoir « capté » les revenus des contenus.

Les premiers subissent déficits, précarité et licenciements, les autres amassent des montagnes d’argent.

Non, non, on ne nous parle pas de la crise des subprimes mais bien de la crise des industries culturelles (qui, contrairement à la première, n’inquiète qu’elles-mêmes). Toujours est-il que « les autres », vautrés sur des montagnes d’argent injustement récolté, sont coupables. Il est alors sain et logique de les punir par une taxe en faveur des pauvres victimes.

Dès lors, le rapport Zelnik est dans le vrai quand il cherche le moyen de rééquilibrer une situation qui mènera sans cela à l’anémie et au formatage des contenus.

Classique. On confond un problème (réel) avec l’une des solutions (plus que discutable) pour le traiter. On ne s’y est pas pris autrement pour justifier l’Hadopi. « Dès lors… », le raisonnement est un peu court et l’affirmation péremptoire. Si vous ne voulez pas d’une presse malade (anémie) et uniforme (formatage des contenus) alors vous ne pouvez qu’adhérer au rapport Zelnik et à sa taxe Google. La ficelle est un peu grosse mais CQFD.

Et ce qui vaut pour la musique vaut, a fortiori, pour l’information, dont le rôle civique est évident.

Journalisme et musique, même combat dans l’adversité, d’où l’existence de cet édito. Et c’est encore pire avec le journalisme dont l’évidence du rôle civique est telle qu’il convient tout de même de le rappeler.

A moins de considérer, dans un rêve ultralibéral, qu’en raison d’un commandement du Saint Marché, créateurs et journalistes doivent désormais vivre d’amour et d’eau fraîche.

J’ai connu Libération moins critique vis-à-vis de l’économie de marché. Mais résumons-nous : Internet tend vers un tout gratuit capté par un Google causant tristesse et désolation dans le monde des « vrais » producteurs de contenus culturels. La taxe est juste, la taxe est la solution.

L’édito du Monde : « Une taxe juste »

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Non signé – 8 janvier 2010

Taxer Google. En prenant position, jeudi 7 janvier, lors de ses voeux à la culture, en faveur d’une fiscalisation des revenus publicitaires en ligne des géants d’Internet, Nicolas Sarkozy fait-il preuve de démagogie ou, au contraire, de cohérence ? Un peu des deux. Il est facile de pointer uniquement le grand méchant loup américain. Les maisons de disques, par exemple, ont longtemps refusé de prendre au sérieux les évolutions technologiques, préférant profiter des revenus considérables qu’elles tiraient du CD.

Départ identique à l’édito précédent (Internet n’est pas l’ennemi, etc.). On est lucide parce qu’on a bien compris la démagogie de la proposition, mais comme c’est aussi de nous, les journalistes et notre avenir dont il s’agit, on va tenter malgré tout de vous en montrer sa cohérence (si possible sans recourir aux forceps).

D’un autre côté, la position des moteurs de recherche, Google en tête – l’immense majorité des internautes français entrent sur la Toile avec lui -, devient intenable.

Intenable pour qui exactement ? On pourrait d’ailleurs faire également le même procès à Microsoft et ses ventes liées (lui aussi basé fiscalement en Irlande soit dit en passant). Ce qui donne alors : « D’un autre côté, la position des systèmes d’exploitation, Windows en tête – l’immense majorité des utilisateurs français entrent en informatique avec lui -, devient intenable ».

Depuis des années, Google profite de contenus qu’il n’a pas créés et qui ne lui appartiennent pas : musiques, films, livres, presse, produits audiovisuels… Google ne paie presque rien et il rend les contenus gratuits. Pire, il capte des pages de publicité, et donc des revenus, qui devraient aller à d’autres.

Pareil que tout à l’heure. Google capte, profite sans donner, et rend tout gratuit. On ne va pas dire que Google est un voleur, mais on en a tout de même fortement envie. « Il est facile de pointer uniquement le grand méchant loup américain », disait-on pourtant en préambule. Que Google pose de nombreuses questions et de nombreux problèmes est une évidence, mais aborder aussi radicalement le débat ne risque pas de faire avancer les choses.

Le résultat est ravageur : hormis le cinéma, qui se porte bien – la magie de la salle opère toujours -, la musique est sinistrée, la presse souffre, le livre est menacé.

Et n’oublions pas aussi qu’en 2012 c’est l’Apocalypse. Et il semblerait, mais c’est à vérifier, que Google n’y soit cette fois-ci pour rien.

Comment convaincre des consommateurs de musique de payer pour un produit qu’ils peuvent trouver gratuitement ? Lorsque l’on a 20 ans, que l’on a grandi une souris à la main, que le plaisir d’un meilleur son ou d’une belle pochette de disque compte moins, la mission paraît impossible.

J’invite l’éditorialiste du Monde, fin connaisseur de la jeunesse, à lire l’article de Jean-Pierre Archambault, Gratuité et prix de l’immatériel, pour constater qu’à l’impossible nul n’est tenu.

Ces dernières années, les gouvernements ont, pour punir les fraudeurs, multiplié les textes de loi et accumulé les maladresses. La filière musicale, elle, a pris beaucoup de retard dans la mise en place d’une offre riche et attractive.

Donc, en toute logique, si on tire les leçons du passé, il n’y a aucune raison de ne pas se trouver en face d’une nouvelle maladresse. Mais pas du tout…

Dès lors, les mesures incitatives, préconisées par le rapport de la mission Création et Internet, présidée par l’éditeur Patrick Zelnik, sont justes. Et juste aussi l’idée de financer celles-ci par une taxe sur la publicité en ligne. Le rapport aurait pu aller plus loin en mettant à contribution les autres grands bénéficiaires du système que sont les fournisseurs d’accès.

Le mimétisme avec Joffrin me laisse songeur. Ils ont dû s’enfermer ensemble dans une pièce commune pour nous rédiger cela, c’est la seule explication. Jusqu’à la même locution « Dès lors… ». En tout cas, le raisonnement (bancal) et la conclusion (partiale) sont en tout point identiques, jusqu’à l’inclusion des fournisseurs d’accès dans le même galère que Google.

Restent deux difficultés. La faisabilité, d’abord. Dans un monde dématérialisé, évaluer les recettes spécifiquement françaises et contraindre des entreprises étrangères à acquitter leur dû fiscal en France ne sera pas simple.

Cette première difficulté est une impossibilité.

Cela suppose aussi de bouleverser la philosophie d’Internet, réseau créé pour permettre la circulation libre du savoir. Pour les artistes et auteurs, ce serait justice. Pour les utilisateurs, ce sera une révolution culturelle.

Pincez-moi ! Suis-je bien en train de lire un éditorial du Monde ? S’en prendre à la libre circulation du savoir sur Internet serait une nouvelle « révolution culturelle » ???

Une partie de moi-même s’en trouve glacé d’effroi ! (surtout la partie « bobo de gauche », qui n’a pas encore totalement disparue)

On pourrait en rire si ça n’était point si grave. Parce que, mine de rien, ces deux éditos, consciemment ou non, nous préparent magnifiquement à l’épisode suivant qui participe du même état d’esprit, à savoir la mise en place du filtrage du Net et la remise en cause de sa neutralité.

La peur est décidément mauvaise conseillère. Monsieur Joffrin, vous aviez raison tantôt de rappeler le rôle civique de la presse, parce qu’il y a des jours, comme ce 8 janvier 2010, où il peut nous être permis d’en douter.

Notes

[1] Crédit photo : Hamed Saber (Creative Commons By)




L’avenir libre de Bernard Stiegler ou gratuit de Jacques Attali ?

Un titre un peu caricatural pour un billet qui met simplement en parallèle deux récentes et intéressantes interviews vidéos, la première de Jacques Attali, la seconde de Bernard Stiegler.

Choisis ton camp camarade ? Pas vraiment, parce que les deux intellectuels n’abordent pas exactement le même sujet, bien qu’il soit à chaque fois question de l’avenir de nos sociétés (on remarquera qu’ils citent tous deux Wikipédia mais pas avec le même dessein).

Jacques Attali

La gratuité – Dans le cade de l’émission Conversation d’avenirs sur Public Sénat
22 décembre 2009 – URL d’origine de la vidéo

Bernard Stiegler

Vers une économie de la contribution – En visite chez Siné-Hebdo
24 novembre 2009 – URL d’origine de la vidéo