Deux traductions pour s’interroger ensemble sur le concept de « ville Open Source ».
Il s’agit de voir ici la ville comme une plateforme, une plaque tournante, un incubateur, bref un lieu privilégié où peuvent s’épanouir les entreprises et start-up qui placent l’open source au cœur de leur stratégie et de leur développement.
Les villes de Raleigh (USA) et Montréal (Canada) souhaitent apparemment poser candidature et ont, semble-t-il, de bons arguments.
Encore faudrait-il définir ce qu’est ou peut être une « ville Open Source », et se demander si il est pertinent de vouloir créer, favoriser ou labelliser de telles villes[1].
L’un des auteurs nous propose ainsi trois critères : la volonté de partager, la volonté d’être informé, et une attitude ouverte à l’innovation, à la créativité et aux expérimentations de toutes sortes.
Et en France, me direz-vous ? Cela bouge du côté de l’Open Data (Rennes, Paris…) mais au delà, je ne sais pas. Des avis et des liens sur la question ?
PS : Nous avions déjà évoqué la chose dans un billet sur une autre ville canadienne Vancouver : S’il te plaît… dessine-moi une ville libre.
1. Raleigh, Caroline du nord – la première ville open source au monde
Raleigh, NC—the world’s first open source city
Jason Hibbets – 21 février 2011 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : Khyl, Naar, Cheval boiteux et Goofy)
J’ai commencé à méditer sur les qualités qui devaient définir une ville open source il y a quelques mois, quand mon ami Tom Rabon m’en a fait mention au détour d’une conversation. J’étais curieux de voir de quelle façon la ville dans laquelle j’habite, Raleigh, en Caroline du nord, pouvait attirer d’autres entreprises open source et en être un incubateur mondial, pour en devenir un exemple phare de gouvernance. Comment Raleigh pouvait-elle devenir la capitale du monde de l’open source, à l’instar de ce que sont la Silicon Valley pour la technologie et Paris pour la romance ?
Je pense que la réponse peut être trouvée à la fois par le gouvernement et par la population. D’abord, nos dirigeants doivent être partants pour adopter l’open source au quotidien. Ils doivent faire preuve de transparence dans leur gestion des affaires et dans l’encouragement à la participation citoyenne. Les citoyens, quant à eux, doivent être prêts à participer et à contribuer en donnant de leur temps et de leurs connaissances. Les deux ont besoin d’adopter un prototypage rapide pour explorer de nouvelles idées et des solutions innovantes.
Mais en quoi Raleigh se distingue-t-elle des autres villes ? En quoi est-elle plus apte à être une ville open source que New York, San Francisco, Londres, Paris ou Pékin ? J’ai rencontré autour d’une table le maire de Raleigh, Charles Meeker, pour discuter de ce qui faisait qu’une ville pouvait devenir open source.
Le maire Meeker a été élu en 2001 et s’est familiarisé avec l’open source, principalement en s’intéressant à Red Hat et au modèle de développement open source. En tant qu’avocat, il n’est pas étonnant que le maire Meeker comprenne les avantages de la collaboration et du partage des connaissances. Voyons pourquoi la ville de Raleigh est prête à revendiquer son titre de première ville open source au monde.
Quel grand chantier, en dehors de la technologie, a la meilleure chance d’être abordé par la voie open source (c’est-à-dire au moyen de la collaboration, de la transparence, du partage, de la méritocratie, du prototypage rapide, d’une communauté, etc.) ?
Dans une zone de la ville de Raleigh, l’accent a été mis sur l’utilisation d’un éclairage plus éco-énergétique dont nous pouvons mesurer les résultats. Nous nous activons à la promotion et au partage de nos expériences avec les autres municipalités, notamment pour tester notre consommation d’électricité et la qualité de la lumière produite. Le partage de cette information est un élément majeur de notre expérience.
La ville de Raleigh dispose de quarante installations en LED avec une économie moyenne de 200 000 €/an sur les coûts en électricité. Le retour sur investissement est généralement de l’ordre de 3 à 5 ans (en considérant les coûts du capital). C’est une excellente option pour les parkings éloignés. Vous pouvez facilement installer quelques panneaux solaires et ne pas avoir à ajouter de nouvelles lignes ou changer d’infrastructure. La possibilité pour les villes du monde entier d’adopter l’éclairage éco-énergétique est une véritable chance qui s’offre à elles. La ville de Raleigh veut prendre part à l’aventure et être reconnue comme précurseur dans l’adoption de cette technologie. Propager la bonne parole sur l’éclairage par LED avec l’aide de notre partenaire, Cree, est important pour nous.
Quelles sont vos réflexions à propos d’un gouvernement ouvert ou gouv’ 2.0 et que peut faire la ville de Raleigh pour avoir un gouvernement plus ouvert et transparent vis-à-vis de ses citoyens ?
Tout d’abord, toutes nos réunions sont ouvertes au public, à quelques exceptions près. Le véritable défi est de savoir profiter de l’expertise de chacun de nos citoyens. Il y a beaucoup de compétences de haut niveau qui peuvent servir à résoudre les vrais problèmes de la ville.
Une solution se situe au niveau des nouveaux comités, comme le nouveau comité ferroviaire que nous avons mis en place, et la façon dont leurs conseils et leurs recommandations sont pris en compte par la ville. Les questions autour des frais de gestion des eaux pluviales nous ont conduits à puiser dans l’expertise de nos citoyens pour apporter les meilleures solutions.
Le ferroviaire est un domaine qui sera opérationnel pour les 3 ou 4 prochaines années. Nous avons beaucoup de personnes expérimentées dans ce domaine prêtes à partager leur savoir et à mettre en application leurs connaissances pour aider à prendre les futures décisions.
Montrer au public ce que nous faisons et expliquer les bonnes pratiques sont des atouts qui restent sous-utilisés, mais nous avons eu du succès, notamment quand le comité de gestion des eaux pluviales a fait part de son avis sur la façon de mieux gérer les inondations. Le conseil municipal a ainsi été en mesure de mettre à profit l’expertise du comité pour prendre les meilleures mesures politiques à ce sujet.
Quelles sont les qualités requises pour devenir une ville open source ?
Trois critères me viennent à l’esprit :
- la volonté de partager ;
- la volonté d’être informé ;
- une attitude ouverte à l’innovation, à la créativité et aux expérimentations de toutes sortes.
Les citoyens doivent se tenir prêts à adopter le futur. L’open source est une stratégie que nous appliquons pour aller de l’avant.
Pourquoi Raleigh s’est amorcée à devenir la première ville open source au monde ?
Nos citoyens sont prêts faire avancer Raleigh et à être plus concentrés sur la démarche open source. Raleigh est disposée à devenir son incubateur mondial.
L’avantage de Raleigh se situe au niveau de sa croissance et des emplois. Nous aimerions voir le Centre des congrès accueillir plus de conférences sur l’open source. Nous serions honorés de voir un tas de petits Chapeaux Rouges (NdT : référence faite à la distribution GNU/Linux Red Hat), et que des start-up et sociétés bien établies viennent dans notre région parce que nous avons fait le choix de ce modèle de développement.
Les partenaires sont aussi une grande partie de la réponse. Le Centre des congrès, le Syndicat d’Initiative, la Chambre du Commerce et les autres partenaires doivent adopter l’open source et le mettre en évidence dans le cadre de notre stratégie de développement économique.
Comment mettre en œuvre la démarche open source dans votre vie quotidienne ?
Au cabinet juridique pour lequel je travaille, j’ai essayé de fournir des informations à de jeunes avocats. Une sorte de partage des secrets commerciaux pour les aider à réussir plus rapidement, et, pour être franc, l’une des choses les plus difficiles pour toute personne de la fonction publique, c’est l’écoute. J’ai remarqué que l’écoute représente 70 à 80 % du travail. Vous devez pleinement comprendre ce qu’il se passe pour prendre la décision adéquate.
2. Montréal peut-il devenir un incubateur de start-up open source ?
Can Montreal Become an Open Source Startup Hub?
Evan Prodromou – 21 février 2011 – NextMontreal.com
(Traduction Framalang : Khyl, Naar, Cheval boiteux et Goofy)
« Le premier prix est une Cadillac El Dorado. Le deuxième prix est un lot de couteaux à viande. Le troisième prix est votre licenciement. »- Blake, Glengarry Glen Ross
Seth Godin indique, dans son fabuleux ouvrage The Dip (NdT : Un petit livre qui vous enseignera quand renoncer et quand persévérer), que la seule position qui compte dans les affaires, c’est la première. Quand les lois du pouvoir et les effets de réseau sont nécessaires, la première place du classement est la seule où il faut être. Vous devrez être « le meilleur du monde » dans quelque chose, ou bien vous feriez mieux de laisser tomber et de faire autre chose.
Les écosystèmes technologiques – la plupart des marchés d’affaires, en fait – ont des effets de réseau, et cela veut dire que la seule position à avoir, en tant qu’écosystème, est la première. Être le meilleur au monde.
Quelle est la zone la mieux classée au monde dans les start-up du Web ? La baie de San Francisco. Quelle est la deuxième ? Probablement New-York City. Qui a le troisième prix ? Qui s’en soucie ? Le troisième prix, c’est votre licenciement.
Si nous nous soucions de la croissance de notre écosystème local, peut-être que nous aurions besoin d’arrêter notre course à la 14e ou la 29e place du classement dans le monde des start-up orientées Web et réfléchir à construire quelque chose d’autre. Un domaine dans lequel nous serions les meilleurs et sur lequel personne d’autre n’a encore vraiment travaillé. Là où nous pourrions être les meilleurs au monde – pas les 14e, pour ensuite laisser tomber.
Montréal a la capacité d’offrir le meilleur écosystème au monde pour les start-ups centrées sur le développement de logiciels open source. Nous fournissons un bon cadre pour les entrepreneurs qui ont de l’expérience dans la mise en place d’entreprises tournées vers ce secteur économique, nous avons des investisseurs qui ont bien compris le processus d’investissement et d’encouragement de ce type de compagnies et nous avons un très précieux vivier de talents qui ont contribué à cette évolution.
Plus important, il n’y a aucune autre ville autant tournée vers l’open source sur le globe. San Francisco et Boston accueillent quelques sociétés, mais ne sont absolument pas des incubateurs. Le paysage commercial de l’open source se propage beaucoup plus à travers le monde, de Londres à l’Utah en passant par l’Allemagne et Austin.
Plus que tout, c’est sa commercialisation qui est difficile. Demandez à n’importe quelle personne impliquée dans une entreprise open source. La difficulté se trouve dans l’élaboration d’un modèle de travail. Il n’y a pas de solution simple. Les techniques des start-up pour les autres types d’affaires, tels que l’investissement et les stratégies de commercialisation, ne semblent pas s’appliquer aussi bien. Cela signifie qu’il existe un obstacle à l’entrée d’autres écosystèmes, dont un que nous pouvons exploiter.
En ce moment, j’ai connaissance d’au moins cinq start-up open source dans la ville :
- StatusNet – J’ai lancé cette entreprise ici-même en 2008. Nous avons levé 2,3M $ de fonds à Montréal et New-York. Nous enregistrons environ 5 000 téléchargements par mois et dénombrons 45 000 sites fonctionnant sur notre SaaS. Nous comptons actuellement 9 salariés à Montréal et San Fransisco (NdT : StatusNet est un logiciel libre de microblogging sur lequel repose Identi.ca).
- Vanilla Forums – Le meilleur système de gestion de forums au monde. Il tourne sur plusieurs centaines de milliers de sites et inclut un service SaaS de haute performance.
- Bookoven – Cette plateforme sociale de publication s’est tournée vers un modèle de logiciel open source. Dirigée par Hugh McGuire, créateur de Librivox, le très populaire projet de livre audio à contenus ouverts.
- Stella – Cette société à forte croissance a rendu ses logiciels open source.
- Subgraph – Startup orientée sur la sécurité développant Vega, logiciel open source d’évaluation des vulnérabilités.
Au rang des investisseurs, deux des plus importants groupes financiers de la ville (iNovia Capital et Real Ventures) tentent l’expérience des start-ups open source. Real Ventures (ou plutôt son prédécesseur, MSU) a déjà investi dans trois entreprises open source locales.
En ce qui concerne le potentiel des employés talentueux… c’est plus difficile. Il y a beaucoup de techniciens compétents dans la ville, et les sociétés open source qui en sont en dehors, comme Canonical ont des équipes techniques locales qui peuvent suivre le bassin des start-up de talent. Quid du personnel d’entreprise talentueux ayant une expérience open source ? Ils sont rares sur le terrain. Heureusement, les gens qui ont travaillé dans les sociétés mentionnées plus haut constituent aussi un bon noyau de ce bassin.
Je crois que les conditions sont réunies pour que Montréal prenne sa place dans le monde des technologies en tant qu’incubateur de start-up open source. La semaine prochaine, je dévoilerai ce que je pense être un projet potentiel pour que Montréal devienne le fer de lance de ce marché.