Chers lecteurs et lectrices,
Après une parenthèse recueillie la semaine dernière, la chronique Librologique que je vous propose aujourd’hui reprend le cheminement que nous avions entamé, et s’aventure dans le domaine, trollophile s’il en est, des soi-disant libertés numériques[1].
(Cet épisode trahit aussi une de mes habitudes irrépressibles : j’adore me faire des amis un peu partout.)
Bonne lecture, et à la semaine prochaine…
V. Villenave.
Librologie 5 : Troll en libertés
Pas de mythologie digne de ce nom sans troll… en tout cas dans le domaine des communautés d’internautes. Le troll est un rôle traditionnel de toute communication de groupe, amplement favorisé par le confort (anonymat relatif, éloignement,…) des échanges sur Internet : plus ou moins sciemment, un ou plusieurs participants à la discussion mettent en avant une opinion dont la nature ou la formulation bloque le débat à tous les niveaux, le plus souvent sous forme d’une polémique fallacieuse (sur le même sujet, voir également cet article d’un mien collègue). Que l’on puisse les mettre au compte de l’ignorance, d’une pulsion narcissique, d’une volonté de nuire ou du pur opportunisme politique, les comportements de troll nous intéresseront ici moins par leur origine que de par ce qu’ils révèlent de présupposés et, lorsqu’ils fonctionnent à grande échelle, d’imaginaire collectif : ainsi de cette tendance documentée de toute discussion houleuse et trolloïde à dériver vers les figures contemporaines du Mal : Hitler, Staline ou Ben Laden.
Le troll est une composante historique du mouvement du logiciel Libre, où presque chaque programme se définissait par opposition avec un autre, le plus souvent propriétaire (emacs
contre vi
, Linux
contre Minix
, GNOME
contre KDE/Qt
) mais pas toujours (GNU emacs
contre Xemacs
, Guile
contre Tcl
, OpenBSD
contre, hum, le reste du monde, etc.). De nos jours encore, tout Libriste qui se respecte peut posséder une opinion bien tranchée en faveur de tel logiciel plutôt que tel autre, et se répandre en commentaires acerbes : Linus Torvalds n’est pas le dernier à en donner l’exemple.
Est-ce à dire que, de même qu’on a pu parler du christianisme comme d’une « secte qui a réussi », Richard Stallman ne serait qu’un trolleur qui a réussi ? C’est certainement une possibilité à laquelle se prêterait la personnalité volontiers facétieuse de l’intéressé — et de nombreux commentateurs ne se privent pas de le dénoncer comme tel. Et pourtant, débusquer, ou croire débusquer, un troll, ne doit pas servir à éluder de véritables divergences idéologiques : nous avons vu que la rigueur intellectuelle de Richard Stallman, toute folklorique qu’elle se présente, repose sur une pensée précise et méthodique. Comme dans le cas de rms
, la mythologie du troll présente ainsi le danger de faire oublier, sous l’aspect rituel du débat, les présupposés idéologiques qui le sous-tendent : ainsi la dispute terminologique entre open-source et logiciel Libre n’est-elle pas une dissension entre, d’un côté les idéologues, de l’autre les pragmatistes, mais bel et bien entre deux idéologies dont seulement l’une se pense et se revendique comme telle… tandis que l’autre, proche des milieux entrepreneuriaux ou capitalistes, épouse peu ou prou le discours dominant du libéralisme économique.
Dans un même ordre d’idées, un sujet de dissension classique (et donc à fort potentiel trollogène) est l’affrontement entre différentes licences plus ou moins Libres — voire, comme nous l’a montré le trolleur renommé qu’est Linus Torvalds, entre deux versions de la même licence ! Là encore, il est souvent possible de distinguer un affrontement idéologique sous les points d’apparence purement technique — nous y reviendrons prochainement, avec l’application des licences Libres au domaine culturel. En effet, si la substance du troll équivaut en général à un antagonisme de personnes, son essence est d’ordre idéologique : dire « je ne t’aime pas » ne suffit pas, il faut ajouter « je ne t’aime pas car je n’aime pas les apprentis-Staline » pour déplacer le débat sur un champ idéologique.
Cela n’est, cependant, que la première étape de la constitution du troll : la suivante incombe à son public lui-même, lorsque celui-ci entre dans la danse et qu’une polémique se crée — le succès du troll se mesurant au temps et à l’énergie qu’il consomme, directement ou indirectement. D’où la maxime Don’t feed the troll, « prière de ne pas donner de nourriture aux trolls ». L’usage même de cette maxime, au demeurant, pose question : si c’est véritablement d’un troll qu’il s’agit, alors il devrait être suffisamment outrancier pour être aisément désamorcé : dans notre cas la personne à qui l’on s’adresse n’a que très peu de points communs avec un dictateur soviétique, et sera trivial de le démontrer et mettre ainsi fin à la discussion. Cependant cela demande de part et d’autre — outre un minimum de bonne foi — une rigueur conceptuelle, une finesse d’analyse et de compréhension, et une culture politique qui souvent fait, hélas, défaut. C’est donc sur cette faille que s’édifie le troll ; y compris dans le milieu dit de « défense des libertés numériques », sur lequel nous nous arrêterons plus longuement ci-dessous.
La « communauté » des internautes, au sens large, est habituée à recevoir des attaques émanant des classes politiques, médiatiques et, de façon générale, traditionnellement légitimées qui, telles un M. Jourdain se retrouvant sur AOL, « trollent sans le savoir » (certains gouvernants français s’en sont même fait une spécialité) : en général la thématique mise à contribution est celle qui consiste à faire du réseau Internet le repaire des Ennemis de la société : le terroriste, le pédophile, le « pirate », l’islamiste, le nazi, et plus généralement, le jeune (adepte de jeux vidéos violents ou décérébrants, du « tout-gratuit » que j’ai déjà abordé ailleurs…). Ne disposant pas du bagage culturel, juridique et technique qui caractérise la plupart des internautes proches du mouvement Libre, de tels trolleurs-malgré-eux (pour rester chez Molière) n’hésitent pas à s’en prendre à des principes qui, pour le reste des citoyens, relèvent de l’évidence : interopérabilité, neutralité du réseau, liberté de choisir des licences alternatives… Pour officielles qu’elles soient, ces techniques de trollage n’en sont pas moins, parfois, d’une efficacité redoutable : au moment où je rédige ces lignes, les communautés de citoyens, consommateurs, artistes et Libristes de notre pays ont consacré la quasi-totalité de leur énergie et de leur attention, pendant quatre ans, au plus gros Troll administratif de la décennie : j’ai nommé la loi dite « Hadopi », sous ses différents avatars.
On aurait pu penser que des internautes habitués aux dissensions et discussions enflammées sauraient reconnaître, et échapper à, toute manœuvre de troll de la part du gouvernement — technique d’ailleurs bien connue de tous les politiciens, que celle qui consiste à lancer quelques propositions bien choquantes pour faire passer, sous les espèces du compromis, d’autres mesures plus pernicieuses. Mais comme dans tout contexte de lutte, la « communauté » se définit davantage par ce à quoi elle s’oppose ou ce qu’elle moque, que par des valeurs communes (même si elle s’en défend, nous y reviendrons précisément ci-dessous). De là vient qu’elle puisse quelquefois, à ses contempteurs, présenter l’illusion d’un front uni ; il n’en est pourtant rien, et les trolls abondent au sein du mouvement Libre et des « libertés numériques » comme de toute communauté sur Internet — peut-être même davantage, tant les sujets de dissension y sont nombreux et les individualités, disons, peu accommodantes.
Si j’emploie cette expression de « libertés numériques », ce n’est qu’avec la plus grande suspicion. On l’a vue, certes, consciencieusement brandie (et brandée) par le gratin des activistes et entrepreneurs, jusqu’à servir d’unique justification à des groupuscules ou coups publicitaires aux implications politiques parfois fumeuses. Mais que dit-on vraiment lorsque l’on parle « libertés numériques » ? Le mot Liberté est évidemment déjà éminemment chargé d’idéologie, plus encore lorsqu’il est au pluriel : la liberté ne serait donc pas un absolu ? (Un autre collègue me rappelle ici judicieusement qu’il en va de même pour le mot Laïcité, auquel d’aucuns gouvernants réactionnaires ont jugé bon d’adjoindre des adjectifs pour mieux le vider de son sens.)
De quelles libertés parle-t-on alors ? Libertés civiques ? Collectives ? Individuelles ? Rien de tout cela en fait : puisqu’on vous dit qu’il s’agit simplement de libertés « numériques ». Ce qui permet finalement à chacun de regrouper sous un même parapluie ses propres présupposés idéologiques, parfois antinomiques — par exemple entre ceux pour qui la Liberté passe par un État garant de la cohésion sociale à ceux pour qui, au contraire, l’État est une entrave à l’aspiration de liberté individuelle totale. Comme si le domaine numérique n’était pas un moyen (de communication et d’expression, qui ouvre certes des espaces publics ou privés où la Liberté doit certainement être défendue comme partout ailleurs), mais un enjeu en lui-même : politique, commercial, consumériste… peu importe en fait : seul reste le slogan. « Libertés numériques ! »
Un slogan qui, en dernière analyse, ne séduit ni ne convainc… À tel point que je ne puis que me demander si ce n’est vraiment que par effet de mode qu’on l’emploie à l’envi. Le plus intéressant ne serait-il pas ici ce que l’on ne dit pas ? Parler de « libertés numériques », c’est éviter de se référer aux valeurs de Liberté, Égalité, Fraternité (pourtant chères à Richard Stallman), ou encore aux Droits de l’Homme et du Citoyen ? (Cela expliquerait la présence, inexplicable autrement, parmi les défenseurs des « libertés numériques », de sympathisants de formations politiques ou de polémistes réactionnaires qui se plaisent à brocarder ceux qu’ils appellent les « droitsdelhommistes ».) Processus familier, somme toute : les « libertés numériques » sont finalement aux Droits de l’Homme ce que l’open-source est au mouvement Libre.
Pour maladroit ou imprécis qu’il puisse être, le paysage associatif français autour de ces prétendues « libertés numériques » n’en est pas moins un milieu attachant et nécessaire : dans leur grande majorité, ces associations sont mues par des personnes de bonne volonté dont l’éthos et le dévouement vont largement au-delà du troll-de-base. Ce milieu, je le fréquente moi-même depuis de nombreuses années et il m’a été donné d’y contribuer personnellement, en tant que sympathisant de nombreuses associations et, last but not least, spectateur puis animateur de l’un des nids à trolls les plus prometteurs de ces dernières années — et dont nous serons amenés à reparler dans ces chroniques.
Les querelles de chapelles sont monnaie courante dans un tel environnement, qui nous donne chaque semaine de nouveaux exemples de groupes (ou groupuscules) dont la principale raison d’être semble se résumer à taper sur des collectifs ou projets existants. Ces divisions (au sens biologique du terme) peuvent être mises en rapport avec la culture du fork dans le Logiciel Libre, qui permet à n’importe quel développeur de reprendre le code d’un programme pour le faire évoluer dans une direction différente. Si le phénomène n’est pas simple dans le monde informatique (le succès d’un fork dépend de sa qualité, du charisme de son initiateur, de l’éventuel mécontentement des utilisateurs vis-à-vis du projet d’origine…), dans le domaine des idées il touche à l’ésotérisme : entre 2006 et 2010, il m’a été donné de dénombrer pas moins de sept forks différents du Parti Pirate, rien qu’en France !
Dans ce milieu où les discussions s’enflamment vite, le troll n’est donc jamais loin, non seulement d’un groupe à l’autre (nous le voyions à l’instant) mais au sein même du groupe. C’est que la nature des thématiques abordées prête souvent aux confrontations politiques et au trollage idéologique ; à cela s’ajoute ce que je nommerais le « troll structurel », qui me semble ontologiquement propre à ce milieu. En effet, le mode de fonctionnement des communautés en ligne (particulièrement dans le mouvement Libre), que l’on a pu (trop facilement, à mon sens) décrire comme « horizontal », « anarchique » ou « méritocratique », repose sur des règles non-écrites, diffuses, changeantes, et des valeurs inquantifiables telles que la confiance mutuelle, la sympathie ou le degré de conviction qu’inspire chaque membre. À l’inverse, toute association républicaine se doit structurellement de présenter un édifice « vertical », « représentatif » ou « démocratique » : des élections, des assemblées, une hiérarchie de commandement et de responsabilités… Je n’irai pas jusqu’à dire que concilier ces deux modèles est impossible ; je n’hésiterai pas à dire, en revanche, qu’à l’heure actuelle personne, à ma connaissance, n’y est parvenu. L’attitude adoptée par la plupart des responsables associatifs consiste à simplement ignorer le problème, en laissant se développer une « communauté » plus ou moins appariée avec l’association, et qui peut constituer un vivier de ressources bénévoles — à moins que ce ne soit l’association qui se donne pour mission d’« animer » la communauté. Une telle ambigüité ne peut que profiter à l’émergence des trolls, particulièrement dès que croissent le nombre d’adhérents ou les ressources financières. L’embauche d’un salarié permanent constitue, à ce titre, un cap révélateur : dans beaucoup de cas l’association le recrutera parmi ses propres fondateurs, comme en gage d’ancienneté et de reconnaissance, dans d’autres cas l’on recrutera un jeune « battant » issu de Sciences-Po ou d’une école de commerce ; c’est seulement dans le plus rare des cas que l’on recrute parmi la « communauté », au moyen de critères qui ne peuvent que faire question : de quelque façon qu’elle s’y prenne, l’association qui franchit se cap trahit de ce fait son aspiration de légitimitation sociale, et par là les habitus de ses membres même.
Je ne saurais trop souligner la grande diversité de toutes ces structures, qui peuvent aller du groupuscule informel à de véritables institutions, et qu’il serait pour le moins hasardeux de prétendre décrire en quelques phrases. Cependant, quelle que soit leur taille, il me semble pouvoir distinguer quelques traits récurrents : le plus frappant et le plus répandu étant sans doute, leur étrange pudeur sur le plan politique, que l’on peut voir, soit comme un simple manque de courage (j’y reviens dans un instant) soit comme un idéologème caché : nous avons vu combien la parole « dépolitisée » que dénonce Barthes peut masquer une démarche activement réactionnaire (au sens contre-révolutionnaire du terme), et il n’est plus à démontrer qu’apolitique veut dire « de droite ».
Ainsi de cette insistance répétée, largement répandue et, en fin de compte, presque suspecte, qu’a le milieu du logiciel Libre et des « libertés numériques » à… ne pas faire de politique. Dans un exemple frappant, l’Aful, pour critiquer l’April, nous explique-telle doctement qu’elle ne se place pas « sur le plan des principes »… avant, dans la phrase suivante, de faire sienne la notion de « concurrence libre et non faussée », qui a depuis longtemps cessé d’être neutre politiquement ! D’autres associations, si elles se défendent également de faire de la politique, ont des liens plus ou moins ténus avec certaines formations politiques existantes, des sponsors inattendus, une organisation souvent opaque, ou des motivations quelquefois peu claires — au point que l’on soit parfois amené à se demander si dans certains cas, le travail des bénévoles et les (nombreuses et insistantes) campagnes d’appel au don, toujours au nom de l’Intérêt Général, n’ont pas pour finalité véritable de financer les émoluments et ambitions politiques ou entrepreneuriales de quelques individus.
Ambitions qui, je m’empresse de le dire, ne sont pas nécessairement antinomiques d’un engagement par ailleurs sincère et d’un travail de qualité. D’un point de vue intellectuel, l’ambition personnelle ou même le simple besoin de devoir faire bouillir ses spaghettis ne me paraissent pas moins dignes de respect que la défense du Bien Commun — tant que l’on n’invoque pas celui-ci pour masquer celui-là.
Quelle que puisse être la part de calcul, de romantisme ou d’idéalisme de leurs figures de proue, l’effervescence des associations et communautés de l’Internet Libriste ou « citoyen » d’aujourd’hui ne doit pas faire oublier la relative pauvreté de leur réflexion politique et de leur culture idéologique. J’en veux pour illustration la danse du ventre des courants politiques traditionnels qui se pressent devant l’électorat geek : aux partis traditionnels il faut ajouter les formations écologistes, centristes, ultra-libérales, nationalistes… pour ne citer que celles qui se sont acheté une image « libertés numériques-friendly » en s’opposant (au moins en apparence) à ce troll dit « Hadopi » que j’évoquais plus haut. Et le mythe est ici d’autant plus aisé, d’autant plus séduisant, que l’éthos de son « cœur de cible » geek reste mal défini, et sa terminologie, mal conceptualisée.
Ainsi pourrait s’expliquer, également, le succès de certaines personnalités politiques « traditionnelles », qui font à l’occasion l’objet d’un engouement soudain et inattendu auprès des geeks et internautes, quasi indépendamment de leurs valeurs : François Bayrou lors de la fondation du bien-nommé MoDem, Nathalie Kosciusko-Morizet sur Twitter, Michel Rocard sur le logiciel Libre, ou bien sûr l’accession au pouvoir du candidat Obama. Venant d’une communauté habituellement si critique et moqueuse, la chose a de quoi surprendre : j’y verrai même des exemples de trolls positifs.
Ici se trouve sans doute une justification de cette posture « apolitique » que je critiquais plus haut… et qui explique d’ailleurs peut-être le succès de certains discours « ni de gauche, ni de droite » (bien au contraire) tels que celui de François Bayrou en 2007 ou d’Europe-Écologie en 2009 auprès des geeks français) : de même que la grande majorité des Libristes (à l’exception de rms
, nous l’avons vu) et, plus encore, des partisans de l’open-source fuit explicitement toute ambition philosophique ou idéologique, beaucoup de groupements de citoyens sur Internet se détournent avec dégoût ou terreur de la politique en tant que telle. Certes, cela n’est ni nouveau, ni inhérent aux communautés en ligne : les associations traditionnelles (y compris, d’ailleurs, au sein des formations politiques ou syndicales) ne sont pas, pour la plupart, des clubs de réflexion ni des regroupements d’idéologues ou d’intellectuels — nulle raison pour qu’il en soit autrement sur Internet.
Attitude compréhensible, quoiqu’un tantinet hypocrite : comment en effet promouvoir des modèles inédits de diffusion culturelle, de lien social et d’équilibre économique, sans en tirer les conclusions politiques et institutionnelles inévitables ? En évitant, sinon les trolls (nous avons vu que c’est peu ou prou impossible), du moins les « sujets qui fâchent », ne risque-t-on pas d’abdiquer certaines convictions, et de se contenter (comme nous le voyions plus haut) de remâcher en fait le discours idéologique dominant, fût-ce sous une forme dégradée ?
Cette stratégie d’évitement (qu’elle soit assumée ou non) en laquelle je vois une certaine hypocrisie, me frappe d’autant plus qu’elle vient (majoritairement) de classes sociales qui ont pourtant accès à la connaissance (notamment historique), à des sources d’information multiples et à des modes de pensée favorisant l’esprit critique — non seulement vis-à-vis du Système politico-médiatique traditionnel (ce point semble acquis), mais également au sein même de ce nouveau mainstream qu’elles créent, comme nous le mentionnions en préambule de ces chroniques. On a pu souligner l’importance humanitaire de l’éducation dans les pays soumis aux guerres, famines, épidémies ; faudrait-il, dans nos contrées virtuelles ravagées par les trolls — fléau certes autrement moins grave — envisager comme prérequis à l’émergence d’une représentation politique efficace de leurs modèles de société, la nécessité pour les internautes Libristes d’une culture politique et d’une certaine rigueur intellectuelle ?
La chasse au troll n’est donc pas plus neutre idéologiquement que le troll lui-même : tous deux participent d’une même ritualisation des débats d’idées, qui les vide peu à peu de tout contenu politique et de toute aptitude à influer sur l’évolution des choses. Si le troll a un effet parasite et immobilisant, sa répression laisse quant à elle entendre qu’aucune divergence idéologique de fond n’est efficace, justifiée ou même envisageable. La possibilité même d’un débat rigoureux et approfondi, s’étiole : c’est de cet étiolement que le troll est indice.