Geektionnerd : Loppsichopate
PrĂ©parez vos mouchards, la Loppsi arrive đ
(Au fait, vous connaissiez cette chansonnette de la Parisienne Libérée ?)
Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)
PrĂ©parez vos mouchards, la Loppsi arrive đ
(Au fait, vous connaissiez cette chansonnette de la Parisienne Libérée ?)
Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)
En dĂ©cembre dernier nous vous annoncions la crĂ©ation d’un Centre de Formation Logiciels Libres (ou CF2L) dans le cadre de l’UniversitĂ© numĂ©rique Paris Ăle-de-France (UNPIdF), par l’entremise de Thierry StĆhr interviewĂ© pour l’occasion.
C’est dĂ©sormais chose faite. Il y a un un site (www.cf2l.unpidf.fr), un mail (cf2l AT unpidf.fr) mais surtout un programme qui commence demain avec la DĂ©couverte d’une plate-forme libre, GNU/Linux[1].
Il reste encore des places, alors n’hĂ©sitez pas Ă faire tourner l’information (sur twitticabook et ailleurs), a fortiori si vous connaissez de prĂšs ou de loin du personnel des universitĂ©s franciliennes.
Pour s’inscrire et obtenir de plus amples informations, rendez-vous sur le site dĂ©diĂ© Ă la formation.
[1] Crédit photo : Jean-Baptiste Yunes
« Depuis le printemps 2008, l’Union europĂ©enne, les Ătats-Unis, le Japon, le Canada, la CorĂ©e du Sud, l’Australie ainsi qu’un certain nombre d’autres pays nĂ©gocient secrĂštement un accord commercial destinĂ© Ă lutter contre la contrefaçon (Anti-Counterfeinting Trade Agreement ou ACTA). Suite Ă des fuites de documents confidentiels, il apparaĂźt clairement que l’un des buts principaux de ce traitĂ© est de forcer les pays signataires Ă mettre en place des mesures de rĂ©pression de partage d’Ćuvre sur Internet sous la forme de riposte graduĂ©e et de filtrage du Net.
Alors que d’importants dĂ©bats ont lieu sur la nĂ©cessitĂ© d’adapter le droit d’auteur Ă l’Ăšre numĂ©rique, ce traitĂ© cherche Ă contourner les processus dĂ©mocratiques afin d’imposer, par la gĂ©nĂ©ralisation de mesures rĂ©pressives, un rĂ©gime juridique fondamentalement dĂ©passĂ©. »
Ainsi s’ouvre la rubrique ACTA du site de La Quadrature du Net qui nous demande aujourd’hui d’Ă©crire Ă nos reprĂ©sentants pour appuyer une initiative de quatre eurodĂ©putĂ©s s’opposant Ă l’accord.
Sur le fond comme dans la forme, cet accord s’apparente Ă un pur scandale. Ces petites nĂ©gociations entre amis seraient passĂ©es comme une lettre Ă la poste il y a Ă peine plus de dix ans. Mais aujourd’hui il y a un caillou dans les souliers de ceux qui estiment bon de garder le secret[1]. Un caillou imprĂ©vu qui s’appelle Internet. Raison de plus pour eux de le museler et pour nous de rĂ©sister…
Pour Ă©voquer cela nous avons choisi de traduire un article de Cory Doctorow qui rĂ©sume bien la (triste) situation et comment nous pouvons tous ensemble tenter d’y remĂ©dier.
Copyright Undercover: ACTA & the Web
Cory Doctorow – 17 fĂ©vrier 2010 – InternetEvolution.com
(Traduction Framalang : Tinou, Psychoslave, Barbidule, Goofy et Don Rico)
Le septiĂšme round de nĂ©gociations secrĂštes sur l’ACAC (Accord commercial anti-contrefaçon, en anglais ACTA) s’est achevĂ© le mois dernier Ă Guadalajara (Mexique). Le silence radio sur ces nĂ©gociations est quasi-total : tels les kremlinologues de l’Ăšre soviĂ©tique, nous devons nous contenter d’interprĂ©ter les maigres indices qui transpirent au-delĂ des portes closes.
Voici ce que nous savons : l’idĂ©e que des traitĂ©s fondamentaux sur le droit d’auteur puissent ĂȘtre nĂ©gociĂ©s secrĂštement est en train de perdre du terrain partout dans le monde. Les lĂ©gislateurs des pays participant aux nĂ©gociations exigent que ce processus soit ouvert Ă la presse, aux activistes et au public.
Pour leur rĂ©pondre, les nĂ©gociateurs soutiennent â de maniĂšre surprenante â que le traitĂ© ne modifiera en rien les lois de leur pays, et que seuls les autres Ă©tats devront faire Ă©voluer leur droit (comme tous ces pays ont des lĂ©gislations fonciĂšrement divergentes en matiĂšre de droits d’auteur, quelqu’un ment forcĂ©ment. Je parie qu’il mentent tous).
Nous connaissons enfin l’attitude des promoteurs de l’ACAC Ă l’Ă©gard du dĂ©bat public : au cours de la terne « rĂ©union publique » tenue avant que les nĂ©gociations ne dĂ©butent, une activiste a Ă©tĂ© expulsĂ©e pour avoir Ă©bruitĂ© sur Twitter un compte-rendu des promesses faites verbalement par les intervenants Ă la tribune. Alors qu’on l’emmenait, elle a Ă©tĂ© huĂ©e par les lobbyistes qui peuvent participer Ă ce traitĂ© dont sont exclus les simples citoyens.
Cette situation embarrasse toutes les parties concernĂ©es, mettant Ă nu une attitude pro-capitaliste dont l’intĂ©rĂȘt dĂ©passe largement le cadre du copyright. Cela doit cesser. Nous verrons dans cet article comment nous en sommes arrivĂ©s lĂ , et ce que vous pouvez faire pour mettre un terme Ă cette menace.
Un peu d’histoire, pour ceux Ă qui les Ă©pisodes sous-mĂ©diatisĂ©s prĂ©cĂ©dents auraient Ă©chappĂ© : les traitĂ©s internationaux sur le droit d’auteur Ă©manent Ă l’origine d’une agence des Nations Unies appelĂ© l’OMPI, l’Organisation Mondiale de la PropriĂ©tĂ© Intellectuelle. Au dĂ©part, il s’agissait d’une agence privĂ©e crĂ©Ă©e pour servir de bras armĂ© aux grandes « industries de la propriĂ©tĂ© intellectuelle » (musique, films, produits pharmaceutiques, tĂ©lĂ©vision, etc.). Elle a pris forme en tant que consortium d’industries du privĂ©, puis a ultĂ©rieurement gagnĂ© une lĂ©gitimitĂ© lors de son intĂ©gration Ă l’ONU.
La prise en compte par l’ONU a donnĂ© un pouvoir Ă©norme aux intĂ©rĂȘts privĂ©s qui ont fondĂ© l’OMPI, mais dans le mĂȘme temps cela signifiait qu’ils devaient suivre les rĂšgles de l’ONU, c’est-Ă -dire que les organismes non-gouvernementaux et la presse Ă©tait autorisĂ©s Ă assister aux nĂ©gociations, Ă en rendre compte et mĂȘme Ă y participer. Au dĂ©but des annĂ©es 2000, le groupement d’intĂ©rĂȘt public Knowledge Ecology International a commencĂ© Ă embrigader d’autres organisations pour suivre les actions de l’OMPI.
Ah, au fait, j’Ă©tais l’un des dĂ©lĂ©guĂ©s qui a rejoint cette vague, au nom de l’Electronic Frontier Foundation. Les militants prĂ©sents Ă l’OMPI ont tuĂ© dans l’Ćuf le traitĂ© en cours de nĂ©gociation, le TraitĂ© de TĂ©lĂ©diffusion, et l’ont remplacĂ© par un autre destinĂ© Ă aider les personnes aveugles et handicapĂ©es, les archivistes et les Ă©ducateurs. Pas vraiment les actions prioritaires pour les grosses multinationales du divertissement.
Ils ont donc dĂ©placĂ© leurs forums. Depuis 2006, divers pays riches â les Ătats-Unis, le Canada, le Japon, l’Union EuropĂ©enne, l’Australie et d’autres â ont tenu une sĂ©rie de sĂ©ances de rĂ©daction de traitĂ© en comitĂ© privĂ©, sous le sceau de la non-divulgation.
Tout secret connu de deux personnes ou plus finit toujours par s’Ă©venter, aussi de nombreuses divulgations nous donnent-elles un aperçu du chapitre « Internet » du traitĂ©, oĂč des dispositions ont Ă©tĂ© prises sur la gouvernance et les restrictions imposĂ©es au rĂ©seau mondial. Lisez donc la suite.
ArrĂȘtons-nous un instant pour parler des concepts de copyright, d’Internet, et de gouvernance. Historiquement, les lois sur le copyright ont Ă©tĂ© Ă©crites par et au bĂ©nĂ©fice des prestataires de l’industrie du divertissement. Les rĂšgles du copyright n’ont pas Ă©tĂ© pensĂ©es pour contrĂŽler de façon appropriĂ©e un quelconque autre domaine: on n’essaie pas de caser des morceaux du code du travail, des lois sur la finance, l’Ă©ducation, la santĂ© ou les campagnes Ă©lectorales dans le systĂšme du copyright.
Mais dĂšs que vous transfĂ©rez ces activitĂ©s Ă Internet, le copyright devient la premiĂšre mĂ©thode de contrĂŽle, faisant autoritĂ© sur tout. Il est impossible de faire quoi que ce soit sur Internet sans faire de copie (vous venez de crĂ©er entre 5 et 50 copies de cet article rien qu’en suivant le lien qui vous y a amenĂ©). Et comme le copyright rĂ©git la copie, toute rĂšgle qui touche Ă la copie touchera Ă©galement Ă ces domaines.
Et c’est bien ce qui dĂ©range dans le secret qui entoure l’ACAC, mĂȘme quand on ne se prĂ©occuppe pas de copyright, d’utilisation Ă©quitable (NdT : « fair use »), ou de tout autre sujet biscornu.
Divers brouillons de l’ACAC ont inclus l’obligation pour les FAI d’espionner leurs clients et d’interdire quoi que ce soit qui ressemble Ă une violation de copyright. (Cela signifie-t-il qu’on vous empĂȘchera d’enregistrer une publicitĂ© trompeuse ou mensongĂšre et de l’envoyer Ă votre dĂ©putĂ© ?) L’ACAC a Ă©galement soutenu la fouille des supports multimĂ©dia aux postes frontiĂšres pour y chercher des infractions au copyright (Les secrets professionnels de votre ordinateur portable, les donnĂ©es clients confidentielles, des correspondances personnelles, votre testament, vos coordonnĂ©es bancaires et les photos de vos enfants prenant leur bain pourraient ĂȘtre fouillĂ©es et copiĂ©es la prochaine fois que vous partez en voyage d’affaires).
L’ACAC a en outre appelĂ© Ă la crĂ©ation de procĂ©dures simplifiĂ©es pour couper l’accĂšs Ă Internet d’un foyer entier si l’un de ses membres est accusĂ© d’une infraction (ainsi, votre Ă©pouse perdra la capacitĂ© de contacter par e-mail un praticien gĂ©riatre au sujet de la santĂ© de grand-papa si votre enfant est soupçonnĂ© d’avoir tĂ©lĂ©chargĂ© trop de fichiers par poste-Ă -poste (P2P).
Ce n’est pas tout, mais ce sont lĂ quelques exemples des propositions principales des sommets secrets de l’ACAC.
Je pense par ailleurs que toutes les Ă©bauches de l’ACAC sont Ă©galement mauvaises pour le copyright et les crĂ©ations qu’il protĂšge. Je suis l’un des nombreux artistes qui gagnent leur vie en ligne, et qui profitent d’un Internet libre et ouvert. Mes livres sont disponibles au tĂ©lĂ©chargement gratuit le jour mĂȘme oĂč mes Ă©diteurs le mettent en rayon. Mon premier roman pour jeunes adultes â Little Brother (NdT : « Petit FrĂšre ») â a atteint le classement des meilleurs ventes du New York Times grĂące Ă cette stratĂ©gie.
Mais mĂȘme si vous vous fichez Ă©perdument de la musique, des films, des jeux ou des livres, vous devez prĂȘter attention Ă l’ACAC.
Ceci dit, le fait est que nous ne savons presque rien de la façon dont s’est dĂ©roulĂ©e la septiĂšme rĂ©union. Elle a assez mal dĂ©marrĂ© : lors d’une rĂ©union d’information publique, les organisateurs de l’ACAC ont tentĂ© de faire signer Ă l’assistance un accord de non-divulgation (lors d’une rĂ©union publique !), et ont ensuite fait sortir une activiste qui Ă©bruitait des notes sur les Ă©lĂ©ments publiĂ©s â elle a Ă©tĂ© Ă©vincĂ©e manu militari sous les huĂ©es des lobbyistes prĂ©sents, outrĂ©s que le public puisse assister Ă la rĂ©union.
Pendant la rĂ©union, des membres de diverses reprĂ©sentations parlementaires de par le monde se sont levĂ©s au sein de leur institution, et ont exigĂ© de prendre connaissance des dĂ©tails du traitĂ© qui Ă©tait nĂ©gociĂ© par le dĂ©partement du commerce de leur pays, sans la supervision de leur sĂ©nat ni de leur parlement. Les lĂ©gislateurs de toute l’Europe, les membres des parlements canadien et australien, et les reprĂ©sentants du CongrĂšs des Ătats-Unis se sont vu opposer un silence de marbre et de vagues garanties.
Ces assurances Ă©tant les seules informations publiques visibles que nous ayons sur la question, elles mĂ©ritent notre attention : l’Union EuropĂ©enne, les Ătats-Unis et le Canada ont tous affirmĂ© que rien dans l’ACAC n’aura d’impact sur le droit national dont les reprĂ©sentants Ă©lus sont responsables.
Au lieu de cela, ils prĂ©tendent que l’ACAC ne fait qu’incarner les lois nationales dans un accord international, ce qui dans les faits oblige tout le monde Ă s’aligner sur les lois existantes.
Cette absurditĂ© â pourquoi nĂ©gocier un traitĂ© qui ne changerait rien ? â devient encore plus ridicule lorsque l’on considĂšre que l’Union EuropĂ©enne, le Canada et les Ătats-Unis ont des rĂšgles de droit d’auteur diffĂ©rentes et incompatibles sur les questions en discussion Ă l’ACAC. Il est littĂ©ralement impossible pour l’ACAC de parvenir Ă un ensemble de rĂšgles qui n’entraĂźnerait pas de modifications pour tout le monde.
Certes, nous pourrions tous constater par nous-mĂȘmes ce qui a Ă©tĂ© proposĂ©, si seulement l’ACAC Ă©tait ouvert au public, comme tous les autres traitĂ©s sur le copyright mondial le sont depuis l’avĂšnement d’Internet.
LĂ encore, voici une sĂ©rie de dĂ©clarations contradictoires sur lesquelles nous creuser la tĂȘte : le dĂ©lĂ©guĂ© en chef du commerce Ătats-Unien dit que le secret est une condition requise par les partenaires des Ătats-Unis. Or, la dĂ©claration sur la confidentialitĂ© qui a Ă©tĂ© divulguĂ©e provient clairement des Ătats-Unis. De nombreux Ătats de l’UE sont sur le point de lancer un appel officiel pour la transparence de l’ACAC.
Pour ma part, je parie sur les Ătats-Unis. L’industrie mondiale du divertissement a plus d’emprise lĂ -bas que dans toute autre nation, et l’administration Obama est allĂ©e jusqu’Ă nier la loi sur la libertĂ© de l’information (NdT « Freedom of Information Act ») pour le traitĂ© en prĂ©textant des raisons de sĂ©curitĂ© nationale. (Oui, la sĂ©curitĂ© nationale ! Ceci est un traitĂ© de droit d’auteur, pas une liste des codes de lancement de missiles.) Et le Bureau du ReprĂ©sentant Ătat-Unien au Commerce (ndt : « United States Trade Representative », USTR) a dĂ©clarĂ© clairement que l’administration Obama prĂ©voit de ratifier l’ACAC par dĂ©cret, sans la faire passer par le CongrĂšs.
Le prochain sommet de l’ACAC se dĂ©roulera en Nouvelle-ZĂ©lande en avril, et les militants se prĂ©parent pour la bataille. En Nouvelle-ZĂ©lande, les opposants au copyright (NdT : « copyfighters ») sont aguerris et prĂȘts Ă en dĂ©coudre, ayant rĂ©cemment repoussĂ© le rĂšglement 92A qui aurait permis aux producteurs de cinĂ©ma et de musique de couper l’accĂšs Ă Internet sur simple accusation â sans preuve â de violation de copyright.
Impliquez-vous. Appelez votre sĂ©nateur, votre dĂ©putĂ©, votre euro-dĂ©putĂ©. Dites-leur que vous voulez que l’ACTA soit nĂ©gociĂ© de façon ouverte, avec la participation du public et de la presse.
Refusez que des rĂšgles affectant les moindres recoins de votre vie en ligne soient dĂ©cidĂ©es en douce par ceux qui ne dĂ©fendent que les intĂ©rĂȘts de leur portefeuille.
Cory Doctorow
Militant de l’Internet, blogueur – Co-rĂ©dacteur en chef de Boing Boing
[1] Crédit photo : Raïssa Bandou (Creative Commons By)
François Elie est co-fondateur et prĂ©sident de l’Adullact[1] ainsi que vice-prĂ©sident de l’Aful[2], professeur agrĂ©gĂ© de philosophie et Ă©lu de la ville et de l’agglomĂ©ration d’AngoulĂšme dont il a Ă©tĂ© longtemps en charge des nouvelles technologies.
Vous comprendrez alors aisĂ©ment pourquoi lorsqu’a Ă©tĂ© mis en ligne le rapport Fourgous RĂ©ussir lâĂ©cole numĂ©rique[3] (dont nous avons publiĂ© ici-mĂȘme quelques libres extraits), nous lui avons demandĂ© son avis, qui a pris la forme d’une note de lecture que nous vous proposons ci-dessous.
François Elie est Ă©galement l’auteur du livre Ăconomie du logiciel libre[4] dont la premiĂšre phrase annonce la couleur : « Cet ouvrage s’adresse Ă ceux qui font, vendent, utilisent ou achĂštent du logiciel libre, c’est-Ă -dire tĂŽt ou tard… Ă tout le monde ».
Et puis l’on se souvient de sa lettre aux candidats Ă l’Ă©lection prĂ©sidentielle de 2007[5]. Elle reste plus que jamais d’actualitĂ©. Mais nous en sommes dĂ©jĂ Ă mi-mandat et le constat est lĂ . « En vous demandant de prendre la mesure des enjeux du dĂ©veloppement du logiciel libre pour la France, j’Ă©cris ces mots en tremblant: l’avenir en effet nous jugera. Ceux qui pouvaient agir et ne l’auront pas fait porteront une lourde responsabilitĂ© devant l’histoire ».
Le rapport Fourgous est une belle occasion d’agir, a fortiori si l’on prend ces quelques notes en considĂ©ration.
Remarque : Vous pouvez Ă©galement voir sur le Framablog cette interview de François Elie rĂ©alisĂ©e par Intelli’n TV Ă l’occasion de la sortie de son livre.
MĂȘme si je suis un geek, trĂšs loin d’ĂȘtre un technophobe, je crois pour d’assez fortes raisons comme Alain que « l’enseignement doit ĂȘtre rĂ©solument retardataire »[6] (relire les Propos sur l’Ă©ducation). On ne commence pas par la fin !
Pour ce qui nous occupe, ce qu’il faut craindre, ce sont les sĂ©ductions du numĂ©rique. Apprendre le clavier avant de savoir Ă©crire ? Non ! L’Ă©cole doit Ă©clairer et exercer l’esprit. Elle doit nous rendre libres, et non nous habituer/enchaĂźner Ă telle ou telle interface. Alors on aurait peut-ĂȘtre du parler de l’Ă©cole Ă l’Ăšre du numĂ©rique. Mais cela n’a pas d’importance si ce n’est qu’affaire de mots. Disons qu’il faut vraiment craindre l’Ă©cole numĂ©risĂ©e.
Je n’ai pas vu que le rapport dĂ©finisse le numĂ©rique. En philosophie nous avons tendance Ă nous mĂ©fier des fausses Ă©vidences. Le numĂ©rique, tout le monde saist ce que c’est ! Pas si sĂ»r. Alors je dĂ©veloppe un instant. Car au fait, c’est quoi le numĂ©rique ?
La codification digitale de l’information sur des supports informatiques a deux consĂ©quences Ă©normes.
La premiĂšre consĂ©quence : lĂ oĂč l’imprimerie avait Ă©difiĂ© une interface de pouvoir entre celui qui Ă©crit et celui qui lit, l’internet rend Ă chacun le pouvoir d’Ă©crire. L’Ă©cole Ă l’Ăšre du numĂ©rique n’est pas une Ă©cole oĂč l’on apprend surtout Ă lire, mais une Ă©cole oĂč l’on apprend aussi Ă Ă©crire.
Le rapport le mentionne, 41% des jeunes ont un blog. Pensera-t-on Ă l’inclure dans leur e-portfolio ? Apprend-on aux enfants Ă Ă©crire dans WikipĂ©dia? Est-ce le pays qui a fait naĂźtre l’EncyclopĂ©die de Diderot (et oĂč Arago a rachetĂ© le brevet du daguerrĂ©otype pour le donner au monde) doit aider au financement de WikipĂ©dia ? Mais je pose peut-ĂȘtre de mauvaises questions. Le rapport mentionne la crĂ©ation, la participation, comme ingrĂ©dient et adjuvant des enseignements, sans doute. L’Ă©cole numĂ©rique peut ĂȘtre plus enthousiasmante: elle peut ĂȘtre le lieu oĂč l’on accĂšde au savoir, oĂč l’on apprend Ă le produire et Ă le partager.
La seconde consĂ©quence : dans le monde du numĂ©rique, copier n’est pas reproduire[7]. La diffusion du savoir peut se faire Ă coĂ»t marginal nul.
Cela change tout (ou devrait tout changer) de la façon dont l’Ă©cole se situe par rapport aux Ă©diteurs de contenu. Cela bouscule les systĂšmes juridiques, les modĂšles Ă©conomiques. On sent comme une hĂ©sitation dans le rapport sur ce point. J’y reviendrai.
Analogie avec l’arrivĂ©e de la tĂ©lĂ©vision â J’appartiens Ă la gĂ©nĂ©ration qui a vu se dĂ©velopper la tĂ©lĂ©vision: on ne s’en est pas servi ou si peu ou si mal Ă l’Ă©cole. Il y aurait eu lĂ un instrument formidable pour accompagner la massification. Il y avait lĂ aussi une menace terrible. L’Ă©cole n’a pas rĂ©ussi Ă en faire un instrument, sans doute faut-il le regretter. Elle a su rĂ©sister Ă s’en faire l’instrument. Il faut s’en fĂ©liciter. Il y aura deux maniĂšres de rater l’Ă©cole numĂ©rique : ne pas rĂ©ussir Ă intĂ©grer le numĂ©rique dans les situations d’enseignement, rĂ©duire le systĂšme Ă©ducatif Ă n’ĂȘtre qu’un client pour des industries numĂ©riques. Nous devons craindre davantage ce second danger.
La France qui Ă©tait un gĂ©ant de l’informatique est devenue un nain. Elle a retardĂ© par exemple son entrĂ©e de plain pied dans l’internet grĂące/Ă cause du minitel. Il me semble qu’il faut considĂ©rer cela comme un Ă©lĂ©ment de contexte. Parmi les freins: notre aptitude Ă nous tirer des balles dans le pied, Ă ne pas voir nos atouts. Que serait une ligne Maginot numĂ©rique ?
Sur la mĂ©thode. Il est toujours important de regarder ce qui se fait ailleurs. mais attention à « l’herbe est toujours plus verte ailleurs ». Il faut aussi regarder ici, d’ailleurs. Regarder ailleurs ce qu’on nous envie! On s’extasie Ă l’Ă©tranger sur le dĂ©veloppement du logiciel libre en France et sur SĂ©samath (Serons-nous les derniers Ă nous en apercevoir, et Ă miser vraiment, rĂ©ellement sur nos atouts, pas sur ceux que nous envions aux autres). Et puis on ne gagne pas les guerres avec les armes de la prĂ©cĂ©dente.
Il me semble qu’il faut fixer des objectifs, Ă©valuer. Comment mesurer si les mesures prĂ©conisĂ©es ont Ă©tĂ© efficaces ? Finalement, plutĂŽt que d’expĂ©rimenter sans Ă©valuer, je me demande s’il ne suffirait pas parfois de seulement mesurer… On gagnerait du temps !
On mentionne l’AcadĂ©mie en ligne. Dispose-t-on d’une Ă©valuation de ses premiers rĂ©sultats ?
Ce n’est pas toujours trĂšs lisible, trop d’items, oĂč l’on trouve mĂ©langĂ©s des dĂ©tails d’Ă©quipement et des principes. Sans doute la loi du genre.
J’ai tendance Ă penser qu’il faut rĂ©flĂ©chir aux buts avant de rĂ©flĂ©chir aux moyens. J’observe que le rapport commence par mesurer que le haut dĂ©bit n’est pas assez utilisĂ© en France et l’on y parle d’abord « Ă©quipement ». Revenons aux fondamentaux: aux frontons de nos Ă©coles figure la devise de la RĂ©publique: libertĂ©, Ă©galitĂ©, fraternitĂ©. Regardons comment le numĂ©rique pourrait aider l’Ă©cole Ă redevenir ou rester l’Ă©cole.
Je suis un peu surpris que dans un rapport d’un tel niveau on prĂ©conise en mesure 2 le dĂ©ploiement d’un outil particulier.
D’autant que les videoprojecteurs intĂšgrent dĂ©sormais cette fonction[8] ! Mais pas exactement au mĂȘme prix…
Ces matĂ©riels doivent ĂȘtre interopĂ©rables ! Actuellement ce n’est pas le cas. Il y a des Ă©tablissements avec des TBI de plusieurs marques diffĂ©rentes, incompatibles et a fortiori non interopĂ©rables.
Mon inquiĂ©tude, c’est que l’Ă©cole soit vue aprĂšs ce rapport par les industriels comme un simple marchĂ© pour leurs produits. L’Ă©cole vaut mieux que cela. Oui au « serious game » ! Mais par exemple le critĂšre d’Ă©valuation ne sera pas la santĂ© de l’industrie du serious game, mais le progrĂšs des Ă©lĂšves. Si l’on voulait faire du serious game libre, avec des systĂšmes-auteurs Ă libre disposition ce serait possible! Mais est-ce cela que l’on veut ?
Je vais prendre un exemple plus parlant.
La situation des personnes handicapĂ©es en matiĂšre de nouvelles technologies est alarmante. Oui, les nouvelles technologies sont un formidable instrument d’accessibilitĂ©. Mais Ă quel prix ? Dans cette niche les marchands ne sont pas exactement des philanthropes. Vous savez combien coĂ»te un systĂšme mĂ©canique pour tourner les pages d’un livre ? Est-ce qu’il serait utile de financer un systĂšme de visio-confĂ©rence libre ? Vous imaginez les consĂ©quences pour le dĂ©veloppement du tĂ©lĂ©travail ? Le frein, ce n’est pas l’usage des outils, c’est le coĂ»t exhorbitant des outils ! Il faut choisir entre promouvoir les usages et promouvoir les outils.
Promouvoir vraiment les usages (et l’Ă©conomie qui va avec) c’est libĂ©rer les outils !
PlutĂŽt que d’aider les gens Ă se payer des logiciels… libĂ©rons les logiciels. L’Ă©conomie autour des usages est plus rentable que le commerce sur les outils.
C’est une trĂšs bonne chose ! Au sein du groupe ITIC[9], j’ai suivi ce dossier. C’est une chose qui me tient Ă coeur. Mais s’est-on demandĂ© pourquoi cet enseignement n’existait pas, avait Ă©tĂ© supprimĂ© ?
Il faut aller au bout des choses: crĂ©er une inspection d’informatique, proposer un concours, avec une certification ouverte Ă la VAE[10]. Tout cela est bel et bon.
L’enjeu de fond reste toujours quand mĂȘme : faut-il enseigner Ă utiliser ou Ă maĂźtriser. Je ne suis pas rassurĂ© sur ce point. Faut-il enseigner à « maĂźtriser l’utilisation » ? La Finlande, c’est le pays oĂč sont nĂ©s Linux et Nokia. Excusez du peu. Il faut croire qu’ils ont du chercher Ă vraiment comprendre comment ça marchait !
Sur les langues j’ai Ă©crit[11] l’an dernier Ă tous les dĂ©partements, toutes les rĂ©gions, au ministĂšre, pour leur dire qu’il serait intelligent d’investir dans le dĂ©veloppement d’LLSOLL[12], le labo de langue libre qu’avait commencĂ© la ville de GenĂšve.
Je suis un peu dĂ©sabusĂ©, mĂȘme si j’observe qu’en matiĂšre de langues on met le paquet dans la rĂ©forme de la seconde (avec une inquiĂ©tude sur l’enseignement de l’allemand, mais c’est une autre histoire…).
Le logiciel qui renforce l’estime de soi « bravo, continue ». Les enfants ne sont pas dupes… Pour parler philosophie, disons que le dĂ©sir de reconnaissance d’un sujet n’est pas exactement le dĂ©sir d’ĂȘtre reconnu par un objet.
L’idĂ©e d’une structure de coordination nationale est-elle une bonne idĂ©e ? Cela me rappelle la formule de ClĂ©menceau : « Quand on veut enterrer un problĂšme, on crĂ©e une commission ».
Va pour l’Agence pour l’Accompagnement au DĂ©veloppement du NumĂ©rique dans l’Education (ADNE). La vraie question c’est: que devra-t-elle faire ?
Ce serait l’occasion pour faire du collaboratif entre acteurs de l’Ă©cole, pour donner l’exemple : on n’enseigne que ce qu’on est !
Accompagnement à la scolarité. Il faut impliquer les enseignants, en profiter pour transformer les relations avec les élÚves. Sinon les élÚves iront chercher tous chercher ailleurs.
Il manque une offre logicielle de qualitĂ© en la matiĂšre ? Il faut faire dĂ©velopper, la mettre en libre et distribuer partout. Il y a 70.000 Ă©tablissements scolaires. On paie 1 fois le dĂ©veloppement en amont et on Ă©conomise 70.000 licences. Cela devrait s’appeler de l’efficience non ?
Ă moins que l’on se prĂ©pare Ă faire payer 70.000 fois ceci, et 70.000 cela.
Le dĂ©veloppement des ENT[13] a Ă©tĂ© un poĂšme… On aurait voulu qu’ils ne se dĂ©veloppent pas ou le plus lentement possible qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Passons…
Au lieu de se mettre autour d’une table et de financer en mutualisant un systĂšme libre qui puisse 1) ĂȘtre dĂ©ployĂ© vite et bien et 2) ĂȘtre maintenu correctement partout, on a laissĂ© chacun se dĂ©brouiller, et on y est encore…
La rĂ©gion Ile de France vient de notifier un marchĂ© pour un ENT libre. I had a dream…
Si les enseignants doivent rentrer leurs notes, pourquoi l’Institution ne dĂ©velopperait pas en libre (ou ne racheterait pas un logiciel de notes pour le mettre sous licence libre), pour une ergonomie commune.
La forge de l’Adullact[14] l’accueillera avec plaisir.
C’est trĂšs bien de mettre du trĂšs haut dĂ©bit partout. Mais il faudra aller au bout de la dĂ©marche. Est-ce que cela va nous conduire Ă nous dĂ©placer… pour avoir tout Ă disposition, comme dans le tĂ©lĂ©travail, qui existe dĂ©jĂ : on se dĂ©place… pour tĂ©lĂ©travailler ! Le rapport le mentionne : le temps et le lieu de l’Ă©cole vont devoir changer. DĂ©cidement le haut dĂ©bit pour tous, ça touche Ă tout !
L’Ă©cole numĂ©rique ce n’est pas l’Ă©cole + le haut dĂ©bit…
Comme suppléant de Bernard Lang au Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistisque[15], je crains que voter une exception pédagogique en urgence ne soit une contradiction dans les termes. Le test en trois étapes peut-il passer ?
Il y a pourtant une solution simple et trĂšs rapide Ă mettre en place : miser vraiment sur les ressources libres et ouvertes (logiciels et ressources documentaires).
Je n’ai pas compris le but. Ou alors il n’est pas lisible. Mutualisation ?
Dommage qu’il ne soit pas question des dĂ©veloppements logiciels d’ENT (Ă partir de la souche de Dijon par exemple[16]).
Ă premiĂšre vue c’est formidable. Mais la mesure prĂ©cĂ©dente, la 22, est un fonds pour soutenir l’Ă©dition propriĂ©taire. Doit-on comprendre alors que l’on va encourager/favoriser les ressources libres… sans argent.
Pourtant elles sont comme les logiciels : elle sont gratuites une fois qu’elles ont Ă©tĂ© payĂ©es… Dire (tandis qu’on finance par ailleurs les marchands) Ă ceux qui produisent bĂ©nĂ©volement un patrimoine libre avec le souci du bien commun « Bravo, merci, continuez », ce n’est pas vraiment les y encourager !
SĂ©samath est prĂ©sentĂ© comme une rĂ©fĂ©rence (son influence sur d’autres associations professionnnelles dans d’autres matiĂšres que les mathĂ©matiques en atteste assez). Le rapport encourage-t-il l’Institution Ă promouvoir Ă grande Ă©chelle cette exception française ? Et dans toutes les matiĂšres ?
Il y a comme une hĂ©sitation dans le rapport. Il faudrait que les enseignants collaborent, coopĂšrent, surtout pour se former. Le fait qu’ils aillent jusqu’Ă produire des contenus, et les plus adaptĂ©s, semble un peu embĂȘtant…
Comment dire aux enseignants: collaborez, tandis que les contenus et les logiciels s’achĂšteraient ailleurs. Ca va forcĂ©ment clocher quelque part.
Une certitude: ce sont les collectivitĂ©s qui paieront. Habituellement c’est celui qui paie qui finalement dĂ©cide. (C’est celui met la piĂšce dans le juke-box qui choisit la musique).
Il y a deux scénarios possibles:
Dans les deux cas l’industrie du numĂ©rique se dĂ©veloppera… mais dans le second cas l’Ă©cole numĂ©rique sera une autre Ă©cole.
Le rapport parle de la mise en place de plate-formes collaboratives. Plus que des lieux de rencontre, ce sont des lieux de production: les places de marchés sont là , pas ailleurs !
C’est lĂ que se produisent les ressources (logicielles et documentaires).
Pourvu qu’on ne soit pas en train de passer Ă cĂŽtĂ© d’une opportunitĂ© formidable, en se trompant sur ce qu’est l’Economie NumĂ©rique. On risque de dĂ©placer un modĂšle de l’Ă©dition (d’outils et de contenus) qui est totalement inadaptĂ©, et qui va se fonder sur des modĂšles instables et transitoires. Cela fera peut-ĂȘtre la fortune de quelques habiles, mais l’Ă©cole en tirera-t-elle bĂ©nĂ©fice? C’est ce que je saurais dire…
Ce que j’espĂšre ? Que les collectivitĂ©s, qui vont payer, aillent vers la mutualisation, pour produire ensemble des resssources libres. Mais je ne sais pas si ce choix sera fait, car il n’est pas simple d’organiser cette mutualisation et d’inventer. Mais Ă coup sĂ»r nous aurions lĂ une Ă©cole Ă donner au monde !
De toutes maniĂšres, nous aurons l’Ă©cole numĂ©rique que nous mĂ©ritons.
[1] Association des DĂ©veloppeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour l’Administration et les CollectivitĂ©s Territoriales : http://adullact.org et http://adullact.net
[2] Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres : http://aful.org
[3] Le rapport Fourgous dans son intégralité + brochure de synthÚse
[4] Ăconomie du logiciel libre – François Elie – Ăditions Eyrolles – Novembre 2008
[5] Lettre aux candidats Ă lâĂ©lection prĂ©sidentielle de 2007 – François Elie – FĂ©vrier 2007
[6] Voir cette formule reprise par André Maurois
[7] Pour le dire d’un mot: pour reproduire une automobile dans le monde rĂ©el, il faut en construire une; mais copier une ressource numĂ©rique ou un logiciel n’est pas le reconstruire, c’est le copier, et la copie du logiciel fonctionne aussi, et le livre est en deux exemplaires! Il est Ă©vident qu’on ne peut pas penser l’articulation de la production et de la diffusion des objets numĂ©riques comme dans le monde de choses !
[8] Voir Deux nouveaux vidéoprojecteurs « révolutionnaires» présentés au Bett 2010
[9] Groupe de travail ITIC au sein de l’ASTI
[10] VAE pour la Validation des Acquis de l’ExpĂ©rience
[11] La lettre au sujet de la mutualisation du projet LLSOLL
[12] LLSOLL (Laboratoire de langues en Standards Ouverts et Logiciels Libres)
[13] ENT pour Espace numérique de travail
[15] Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique
Reprise du second article de l’enquĂȘte de Mediapart sur l’Ă©cole Ă l’Ăšre numĂ©rique, introduite dans un prĂ©cĂ©dent billet.
« DerriĂšre le ministre de lâĂ©ducation, lâancien secrĂ©taire dâĂtat Ă lâindustrie nâest pas trĂšs loin », nous dit Louise Fessard.
Et Microsoft non plus[1].
Mais la journaliste a eu la bonne idĂ©e d’en dĂ©crypter la prĂ©sence et l’influence en s’appuyant, une fois n’est pas coutume, sur de nombreux articles de ce blog (cf notes de bas de page). Inutile de vous dire que cette reconnaissance nous honore quand bien mĂȘme la situation Ă©voquĂ©e mĂ©rite toujours d’ĂȘtre mise Ă jour en faveur du Libre.
Remarque : Cet article a été publié juste avant la sortie du rapport Fourgous désormais disponible.
Louise Fessard – 8 fĂ©vrier 2010 – Mediapart
(avec son aimable autorisation)
En visite au Bett, le salon mondial du numĂ©rique Ă©ducatif Ă Londres, le 17 janvier, le ministre de lâĂ©ducation, Luc Chatel, a rĂ©affirmĂ© sa volontĂ© de lancer un grand plan numĂ©rique pour lâĂ©cole « dans le cours du premier trimestre 2010 ». PrĂšs de 7.000 communes de moins de 2.000 habitants ont dĂ©jĂ bĂ©nĂ©ficiĂ© de subventions de 10.000 euros pour Ă©quiper leur Ă©cole dans le cadre du plan Ă©coles numĂ©riques rurales.
Devant une rangĂ©e dâindustriels français du numĂ©rique, il a confirmĂ© la possibilitĂ© dâutiliser une partie du grand emprunt Ă cette fin. Car derriĂšre le ministre de lâĂ©ducation, lâancien secrĂ©taire dâĂtat Ă lâindustrie nâest pas trĂšs loin. « Ce sont des rĂ©servoirs, des perspectives de croissance trĂšs importants que dâavoir des pouvoirs publics qui investissent de maniĂšre durable dans ce secteur », lance ainsi Luc Chatel (cf vidĂ©o).
En moyenne, lâĂ©cole française ne dispose que dâun ordinateur pour 12 Ă©lĂšves (contre un pour 6 en Grande-Bretagne) et moins de 30.000 tableaux blancs interactifs (contre 470.000 en Grande-Bretagne)[2]. Plus prĂ©occupant, il existe une grande disparitĂ© dâĂ©quipement entre les territoires : un rapport de la Cour des comptes rĂ©vĂ©lait en dĂ©cembre 2008 que, dans les Ă©coles primaires, le taux dâĂ©quipement allait dâ« un ordinateur pour 5 Ă©lĂšves Ă un pour 138 Ă©lĂšves » selon les communes.
La faute Ă une absence de politique nationale : ce sont les collectivitĂ©s territoriales (commune pour les Ă©coles, dĂ©partement pour les collĂšges, rĂ©gion pour les lycĂ©es) qui financent ordinateurs, logiciels, connexion au rĂ©seau. « Câest bien de venir voir les innovations, se dĂ©solait un principal de collĂšge rencontrĂ© au salon professionnel Educatice en novembre 2008, mais budgĂ©tairement on nâa pas la maĂźtrise, câest le conseil gĂ©nĂ©ral qui dĂ©cide. »
Aussi le plan Ă©coles numĂ©riques rurales, qui a laissĂ© aux Ă©coles candidates le choix des solutions informatiques tout en assurant un financement Ă©tatique, a-t-il fait mouche parmi les petites communes[3]. Devant lâafflux des candidatures, Luc Chatel a dĂ» dĂ©bloquer 17 millions dâeuros supplĂ©mentaires, en plus de lâenveloppe initiale de 50 millions. « Le fait que lâEtat prenne en charge ce dispositif peut Ă©viter un accroissement des inĂ©galitĂ©s », se rĂ©jouit Gilles Moindrot, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du SNUipp, le principal syndicat des professeurs des Ă©coles.
Le matĂ©riel nâest pas « forcĂ©ment le nerf de la guerre », a soulignĂ© Luc Chatel le 17 janvier, jugeant en revanche « absolument capitales la question des ressources pĂ©dagogiques et la question de la formation »[4]. Le dĂ©putĂ© (UMP) des Yvelines, Jean-Michel Fourgous, doit rendre son rapport sur les technologies de lâinformation et de la communication pour lâenseignement (TICE) Ă Luc Chatel le 15 fĂ©vrier. « Si on ne veut pas renouveler les Ă©checs des grands plans informatiques prĂ©cĂ©dents, il faut abandonner lâhistoire du 80% pour lâĂ©quipement / 20% pour la formation, et passer au 50/50 », explique-t-il.
Les industriels ont dĂ©jĂ largement investi le terrain : les grands groupes ne se contentent plus de vendre du matĂ©riel ou des logiciels, ils offrent aux enseignants des espaces dâĂ©change, des forums, des ressources pĂ©dagogiques, des formations pour utiliser leur technologie. « Il faut comprendre quâaccrocher une boĂźte noire au mur, ça nâapporte pas grand-chose, explique Emmanuel Pasquier, directeur gĂ©nĂ©ral de la sociĂ©tĂ© Promethean, leader des tableaux blancs interactifs (TBI) en Europe. Il faut faire un trĂšs gros travail avec la communautĂ© Ă©ducative et mettre en place un Ă©cosystĂšme autour du TBI qui comprenne les tableaux interactifs, les boĂźtiers dâĂ©valuation, les ardoises mais aussi des logiciels dâaide Ă la crĂ©ation pĂ©dagogique, la formation et lâaccompagnement continu des enseignants. » La communautĂ© virtuelle Promethean Planet revendique ainsi plus de 500.000 enseignants dans le monde.
Microsoft France a choisi de multiplier les partenariats avec le monde associatif enseignant, en adaptant son programme international « Partners in learning »[5], actif dans une centaine de pays, au contexte français : « Nous apportons un support technologique et financier aux initiatives des enseignants, mais notre plus grosse valeur ajoutĂ©e, câest la mise en rĂ©seau entre enseignants », explique Thierry de VulpilliĂšres[6], directeur des partenariats Ă©ducation. Microsoft vient ainsi en aide Ă des projets peu reconnus et relayĂ©s par lâinstitution scolaire. En toute discrĂ©tion, se gardant bien de placarder son logo Ă tout-va.
Lâentreprise amĂ©ricaine a ainsi participĂ© Ă la refonte de la plateforme Internet du CafĂ© pĂ©dagogique[7], le site dâactualitĂ© pĂ©dagogique de rĂ©fĂ©rence avec ses 222.000 abonnĂ©s, « qui craquait de partout », mais se contente dây animer un forum sur une opĂ©ration commerciale « Microsoft Office 2007 gratuit pour les enseignants ». Elle a aussi dĂ©veloppĂ© une offre de formations Ă cette suite bureautique et Ă son « espace de travail numĂ©rique » par lâintermĂ©diaire de Projetice[8], une association dâenseignants crĂ©Ă©e en 2006.
« Au dĂ©part, diffĂ©rents enseignants ressentaient comme un manque lâabsence dâassociations sur les Tice dans le paysage français, raconte Thierry de VulpilliĂšres. Ils sont venus me voir et jâai participĂ© au financement de la crĂ©ation de lâassociation. » Une association qui se dit « indĂ©pendante » mais vit en partie des commandes commerciales de Microsoft. « Au cĂŽtĂ© de celles dâOrange, de Texas Instrument, Smart, etc. », nuance Thierry de VulpilliĂšres.
Câest encore Microsoft qui est Ă lâorigine de la tenue du premier forum des enseignants innovants Ă Rennes en 2008, que lâentreprise finance Ă hauteur de 30%[9]. « En 2007, Microsoft avait, avec lâUnesco, organisĂ© au Louvre le forum europĂ©en des enseignants innovants, raconte Thierry de VulpilliĂšres. Jâai impliquĂ© des enseignants français et ils se sont dit quâils allaient organiser quelque chose au niveau national pour rĂ©compenser lâinnovation pĂ©dagogique. »
Microsoft emploie aussi des mĂ©thodes plus classiques et massives. Depuis juin 2008, les enseignants peuvent tĂ©lĂ©charger et installer gratuitement Office 2007 Ă leur domicile. Pour mener cet « assaut du monde de lâĂ©ducation » (voir doc joint), Microsoft et lâagence de communication Infoflash ont crĂ©Ă© un site Web spĂ©cifique et envoyĂ© des centaines de courriers nominatifs aux enseignants (120.000 aux enseignants et personnels de collĂšge en juin 2008 puis une seconde vague de 350.000, visant aussi les instituteurs, en novembre 2008)[10]. Une performance rĂ©compensĂ©e en 2009 par lâobtention du grand prix « acquisition et fidĂ©lisation clients » du Club des directeurs marketing et communication des TIC (Cmit)[11].
ThĂ©oriquement, selon lâaccord-cadre signĂ© entre lâĂ©ducation nationale et Microsoft en 2003, lâoffre nâest pas Ă proprement parler gratuite puisquâelle doit ĂȘtre compensĂ©e par lâachat de licences par les Ă©tablissements scolaires. Microsoft « autorise la duplication des logiciels Microsoft Office sur des postes de travail personnel dans la stricte limitation du nombre de licences dĂ©ployĂ©es pour usage professionnel », prĂ©cise lâavenant signĂ© en 2006 (doc joint). Mais dans les faits, tout enseignant peut tĂ©lĂ©charger gratuitement Office, mĂȘme si son Ă©tablissement nâa pas achetĂ© de licence Ă Microsoft.
Ce type dâopĂ©ration est rĂ©guliĂšrement dĂ©noncĂ© sur la Toile par des enseignants adeptes du libre comme Jean Peyratout. « Les industriels, et notamment Microsoft, ont une attitude extrĂȘmement offensive mais ils font leur mĂ©tier, câest normal, estime cet instituteur de Pessac (Gironde). Câest plutĂŽt du cĂŽtĂ© des prescripteurs quâest le problĂšme. »
MĂȘme analyse dâAlexis Kauffmann, enseignant de mathĂ©matiques, actuellement Ă Rome, qui dĂ©nonce sur son blog « lâinfluence disproportionnĂ©e de Microsoft Ă lâĂ©cole ». « Je reproche surtout au ministĂšre de lâĂ©ducation de laisser Microsoft rentrer comme dans du beurre dans le systĂšme Ă©ducatif français, faute dâavoir pris une position volontariste vis-Ă -vis du logiciel libre, explique-t-il. Alors quâen Grande-Bretagne, le Becta (lâagence britannique en charge des Tice) nâhĂ©site pas Ă rĂ©diger de longs rapports[12] dĂ©conseillant lâadoption des nouvelles versions de Windows et MS Office en milieu scolaire tout en invitant Ă dĂ©couvrir leurs alternatives libres que sont GNU/Linux et OpenOffice. »
Conscient de cette dĂ©pendance, Jean-Michel Fourgous propose quâune partie du grand emprunt aille à « la formation, la simplification des ressources pĂ©dagogiques, la clarification du rĂŽle des collectivitĂ©s locales et une meilleure coordination des acteurs ». « Je pense quâil y a un potentiel de 50.000 emplois dans les Tice dans les annĂ©es Ă venir, prĂ©voit-il. Il faut inciter nos chercheurs français Ă travailler sur tous les services Tice car il va y avoir une explosion dans ce domaine. »
[1] Crédit photo : llawliet (Creative Commons By)
[2] Voir à ce sujet sur le Framablog : Tableau numérique interactif et interopérabilité.
[3] Cinq millions d’euros qu’on eĂ»t pu dĂ©penser autrement.
[4] L’acadĂ©mie en ligne ou la fausse modernitĂ© de l’Ăducation nationale.
[5] L’Ă©cole ChĂąteaudun d’Amiens ou le pion français de la stratĂ©gie planĂ©taire Microsoft.
[6] RĂ©ponse Ă Thierry de VulpilliĂšres de Microsoft France Education.
[7] En réponse au Café Pédagogique.
[8] Projetice ou le cas exemplaire d’un partenariat trĂšs privilĂ©giĂ© entre Microsoft et une association d’enseignants.
[9] Du premier Forum des Enseignants Innovants et du rĂŽle exact de son discret partenaire Microsoft et Forum des Enseignants Innovants suite et fin.
[10] L’accĂšs au fichier professionnel des enseignants : l’exemple Microsoft.
[11] Quand le marketing Microsoft cible l’Ă©ducation et ses enseignants clients.
[12] Vista et MS Office 2007 – Rapport Becta – Extraits et Recommandations.
Nous avons dĂ©jĂ eu l’occasion de le signaler dans notre billet sur Le Petit Prince. Fixer arbitrairement Ă une trĂšs longue pĂ©riode de 70 ans la durĂ©e des droits patrimoniaux aprĂšs la mort de l’auteur au bĂ©nĂ©fice des ayants droit est devenu quelque peu problĂ©matique Ă l’Ăšre du rĂ©seau.
Ce qui se voulait au départ un équilibre équitable entre les droits du public et celui du créateur penche désormais trÚs clairement en faveur du second (et de sa progéniture) sans autre réelle justification que le contrÎle et le profit.
D’ailleurs Ă ce propos une petite parenthĂšse mathĂ©matique. Sans remonter le temps juste aprĂšs la RĂ©volution française oĂč cette durĂ©e n’Ă©tait que de 10 ans, on peut faire remarquer qu’en 1900 la durĂ©e Ă©tait de 50 ans mais avec une espĂ©rance de vie dĂ©passant Ă peine les 40 ans. Or aujourd’hui on a non seulement rallongĂ© la durĂ©e des droits Ă 70 ans, mais l’espĂ©rance de vie approche les 80 ans[1].
Conclusion : Les ayants droit ont gagnĂ© en un siĂšcle 20+40, soit 60 ans de plus en moyenne pour exploiter les Ćuvres !
Tout ceci n’est guĂšre raisonnable. D’autant que cela aiguise les appĂ©tits des enfants et petits-enfants du crĂ©ateur dans ce qui peut devenir lĂ une source de revenus suffisante pour bien vivre, sans autre travail que de veiller jalousement au patrimoine du gĂ©nie de la famille.
Cela leur fait mĂȘme parfois un peu tourner la tĂȘte. Nous avions Ă©voquĂ© briĂšvement le cas de l‘anarchiste LĂ©o FerrĂ©, qui doit s’en retourner dans sa tombe. Mais la palme revient peut-ĂȘtre aux ayants droit de Tintin, ou plutĂŽt de son papa HergĂ©, enfin surtout de ses hĂ©ritiers, en l’occurrence sa veuve et son nouveau mari par l’entremise de la SociĂ©tĂ© Moulinsart chargĂ©e de l’exploitation commerciale de l’Ćuvre du cĂ©lĂšbre dessinateur.
Cette sociĂ©tĂ© a l’honneur d’un article sur WikipĂ©dia. Extrait :
La gestion de l’Ćuvre d’HergĂ© reste trĂšs controversĂ©e par certains tintinophiles qui l’estiment parfois trop stricte, trop commerciale, voire maladroite. Le prix Ă©levĂ© des produits dĂ©rivĂ©s, le contrĂŽle rigoureux des sites internet amateurs ou encore les ratĂ©s de certains projets (l’adaptation de Tintin au cinĂ©ma et le musĂ©e HergĂ© par exemple) sont souvent pointĂ©s du doigt. Ainsi, en octobre 2009, Moulinsart SA a fait condamner en appel le romancier Bob Garcia Ă une amende de plus de 48 000 euros pour des vignettes qu’il avait citĂ©es dans un ouvrage pour enfants Ă©ditĂ©s Ă seulement 500 exemplaires, voire pour des vignettes qui n’Ă©taient pas citĂ©es du tout dans les ouvrages de l’auteur. Celui-ci n’Ă©tant pas solvable, la sociĂ©tĂ© n’hĂ©sitera pas Ă faire saisir sa maison.
Pour en savoir plus sur cette sombre histoire, voir Moulinsart lâa tuĂ©, presque sur La rĂ©publique des livres, le blog de Pierre Assouline (l’un des biographes d’HergĂ© soit dit en passant).
Il faut bien comprendre que la moindre reproduction de vignettes est interdite par les avocats de Moulinsart : « une vignette de bande dessinĂ©e est une Ćuvre Ă part entiĂšre, or une Ćuvre Ă part entiĂšre ne peut pas ĂȘtre citĂ©e (…) il y a environ mille vignettes par album, il y a donc mille dessins protĂ©gĂ©s par des droits dâauteur » (source JDD).
Impossible donc a priori de faire Ă©tat d’un « droit de courte citation graphique ». Ainsi les quelques imagettes qui illustrent ce billet, d’un Capitaine Haddock abasourdi par la situation, sont en thĂ©orie illĂ©gales, sauf Ă penser qu’elles ne sont que des parties de vignettes et donc en quelque sorte des citations de vignettes (qu’elles proviennent indĂ»ment d’une photo d’exposition placĂ©e sous Creative Commons n’arrange Ă©videmment rien Ă l’affaire).
Mais il n’y a pas que Bob Garcia qui ait eu Ă subir la vindicte de Moulinsart SA. On peut citer Ă©galement les difficultĂ©s actuelles des Ă©ditions BĂ©dĂ©story.
BĂ©dĂ©Story publie sous le titre gĂ©nĂ©rique « Comment HergĂ© a créé⊠» des Ă©tudes portant sur la genĂšse de lâĆuvre d’HergĂ© : Comment HergĂ© a crĂ©Ă© Tintin au Congo, Comment HergĂ© a crĂ©Ă© Tintin en AmĂ©rique, et ainsi de suite.
Des titres proches des originaux, quelques vignettes reprises çà et lĂ , et c’est la sanction : Moulinsart SA attaque pour rien moins que contrefaçon ! Heureusement le tribunal (d’Ăvry) a logiquement dĂ©boutĂ© et condamnĂ© Moulinsart pour procĂ©dure abusive et ordonnĂ© la main-levĂ©e des ouvrages.
Mais cela n’a pas suffit. Ils ont en effet fait pression sur les distributeurs dont la FNAC et Amazon, pour qu’ils ne proposent plus la dite collection dans leur catalogue, une lettre non Ă©quivoque de Moulinsart Ă la FNAC ayant Ă©tĂ© interceptĂ©e. BĂ©dĂ©Story s’en insurge : « Nous tenons Ă dĂ©noncer avec force les mĂ©thodes commerciales scandaleuses utilisĂ©es par Moulinsart pour nous Ă©liminer du marchĂ© sans le moindre jugement dĂ©favorable Ă notre encontre, ainsi que lâattitude lamentable de la FNAC qui nâa pas daignĂ© rĂ©pondre Ă notre demande dâexplication. »
L’ironie de l’histoire c’est que BĂ©dĂ©Story a Ă©galement publiĂ© tout rĂ©cemment un album aux Ă©ditions « Parodisiaques » (histoire que ce soit bien clair) dont le titre, dans ce contexte, ne passe pas inaperçu : L’affaire copyright.
En voici sa prĂ©sentation, parce que je ne vais pas me gĂȘner pour en faire la publicitĂ© (la couverture, tout en haut, et la page de garde, tout en bas, sont de Piccolo) :
Dix scĂ©naristes et dessinateurs de bande dessinĂ©e (Calza, Chabaud, Di Martino, Domas, Fortin, MibĂ©, Piccolo, Sen et Roulin) rendent hommage Ă HergĂ© Ă travers de courtes histoires parodiques (Brocante Ă Moulinsart, Tartarin et les cent dalles du pharaon, On a zappĂ© sur Saturne, Cauchemar Ă Moulinbar, Remue-mĂ©nage Ă Moul1sard, Crincrin au chĂŽmage, Crincrin chez le psychanalyste, Les Aventures de Crincrin, Pinpin et la fin de lâor noir) en 52 pages quadri Ă©tonnantes dâimagination et dâhumour. Ce recueil est le premier album parodique exclusivement consacrĂ© Ă Tintin.
Or, cette fois-ci, l’ouvrage ne va pas ĂȘtre retirĂ© de la circulation, il ne va tout simplement pas ĂȘtre rĂ©fĂ©rencĂ© !
Ces petits rĂ©cits (dont la plupart ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© publiĂ©es prĂ©cĂ©demment avec l’accord Ă©crit de Moulinsart). ne constituent pas des suites des Aventures de Tintin. Elles sont des hommages trĂšs respectueux Ă lâĆuvre de HergĂ© et Ă Tintin, rĂ©alisĂ©es avec passion et talent par une dizaine dâauteurs vraiment tintinophiles. Elles ne contiennent aucune violence, ni racisme, ni allusion politique, etc. et ne peuvent en aucun cas faire de tort Ă lâimage de Tintin. Elles sâinscrivent parfaitement dans le strict droit de lâexception de parodie.
Or, la Fnac (et la plupart des grandes librairies bĂ©dĂ©, sites de vente en ligne, etc.) refusent purement et simplement de rĂ©fĂ©rencer lâouvrage « suite aux pressions et menaces de Moulinsart ». Donc, cette fois Moulinsart fait lâĂ©conomie dâun procĂšs. Il suffit que leurs avocats envoient des lettres types de menace pour que commercialisation de cet ouvrage â parfaitement lĂ©gal â soit dĂ©finitivement compromise.
Faute de trouver une meilleure solution pour lâinstant, BĂ©dĂ©Story a dĂ©cidĂ© de proposer cet ouvrage en vente directe Ă nos quelques clients fidĂšles et aux quelques libraires qui ont encore un peu de dignitĂ©.
Cet album vous intéresse ? Un message de soutien ?
Vous pouvez leur Ă©crire Ă : bedestory AT gmail.com.
Tiens, il me vient en mĂ©moire ce chinois qui, un sabre Ă la main, poursuivait Tintin dans Le lotus bleu : « Il faut trouver la voie ! Moi je lâai trouvĂ©e. Il faut donc que vous la trouviez aussi⊠Je vais dâabord vous couper la tĂȘte. Ensuite, vous trouverez la vĂ©ritĂ© ! ».
Ce chinois Ă©tait devenu fou. Lui aussi.
Triste (et scandaleux) Ă©pilogue : Cet article a Ă©tĂ© mis en ligne le 22 fĂ©vrier 2010. Une semaine plus tard, la SociĂ©tĂ© Moulinsart gagnait un nouveau procĂšs et obligeait BĂ©dĂ©Story a mettre dĂ©finitivement la clĂ© sous la porte…
Le logiciel libre et sa culture n’ont toujours pas la place qu’ils mĂ©ritent Ă l’Ă©cole. Tel est l’un des chevaux de bataille de ce blog, qui a parfois l’impression de donner des coups d’Ă©pĂ©e dans l’eau tant ce sujet ne donne pas l’impression de passionner les foules.
Dans ce contexte mĂ©diatiquement dĂ©favorable, nous remercions Mediapart de s’ĂȘtre rĂ©cemment emparĂ© du sujet Ă la faveur d’une enquĂȘte consĂ©quente sur L’Ă©cole Ă l’Ăšre numĂ©rique.
Ces enquĂȘtes approfondies sont l’une des marques de fabrique de ce pure player qui contrairement Ă d’autres ne mise pas sur le couple gratuit/publicitĂ© mais sur l’abonnement qui offre un accĂšs privĂ© et rĂ©servĂ© Ă la majoritĂ© de ses contenus (si je puis me permettre une petite digression, le modĂšle utopique idĂ©al serait pour moi un nombre suffisant d’abonnĂ©s Ă qui cela ne poserait pas de problĂšmes que le site soit entiĂšrement public et sous licence de libre diffusion).
Ce dossier comporte cinq articles : Les industriels lorgnent le futur grand plan numĂ©rique de Luc Chatel, A Antibes, un collĂšge teste les manuels numĂ©riques[1], Thierry de VulpilliĂšres : « Les TICE sont une rĂ©ponse Ă la crise des systĂšmes d’Ă©ducation »[2], Nouvelles technologies: remue-mĂ©nage dans la pĂ©dagogie ![3] et Le chemin de croix du logiciel libre Ă l’Ă©cole.
Avec l’aimable autorisation de son auteure, nous avons choisi d’en reproduire le premier dans un autre billet et donc ici le dernier, dans la mesure oĂč nous sommes citĂ©s mais aussi et surtout parce qu’ils touchent directement nos prĂ©occupations.
Outre votre serviteur, on y retrouve de nombreux acteurs connus des lecteurs du Framablog. J’ai ainsi particuliĂšrement apprĂ©ciĂ© la mĂ©taphore de la « peau de lĂ©opard » imaginĂ©e par Jean Peyratout pour dĂ©crire la situation actuelle du Libre Ă©ducatif en France[4].
Et si ce léopard se métamorphosait doucement mais sûrement en une panthÚre noire ?
Louise Fessard – 12 fĂ©vrier 2010 – Mediapart
Et le libre dans tout ça ?
Des logiciels et des contenus garantissant Ă tous le droit d’usage, de copie, de modification et de distribution, ne devraient-ils pas prospĂ©rer au sein de l’Ă©ducation nationale ? Si lâadministration de lâĂ©ducation nationale a choisi en 2007 de faire migrer 95% de ses serveurs sous le systĂšme d’exploitation libre GNU/Linux, la situation dans les Ă©tablissements scolaires est bien plus disparate.
Le choix dĂ©pend souvent de la mobilisation de quelques enseignants convaincus et de la politique de la collectivitĂ© locale concernĂ©e. « On se retrouve avec des initiatives personnelles, trĂšs locales et peu soutenues », regrette lâun de ses irrĂ©ductibles, Alexis Kauffmann, professeur de mathĂ©matiques et fondateur de Framasoft, un rĂ©seau dâutilisateurs de logiciels libres.
« La situation ressemble Ă une peau de lĂ©opard, confirme Jean Peyratout, instituteur Ă Pessac (Gironde) et prĂ©sident de lâassociation Scideralle. Le logiciel libre est trĂšs rĂ©pandu mais dans un contexte oĂč aucune politique nationale nâest dĂ©finie. Câest du grand nâimporte quoi : il nây a par exemple pas de recommandation ministĂ©rielle sur le format de texte. Certains rectorats vont utiliser la derniĂšre version de Word que dâautres logiciels ne peuvent pas ouvrir. »
A la fin des annĂ©es 1990, Jean Peyratout a dĂ©veloppĂ© avec un entrepreneur, Eric Seigne, AbulEdu, une solution rĂ©seau en logiciel libre destinĂ©e aux Ă©coles et basĂ©e sur GNU/Linux. Selon Eric Seigne, directeur de la sociĂ©tĂ© de service et de formation informatique Ryxeo spĂ©cialisĂ©e dans le logiciel libre, environ 1000 des 5000 Ă©coles visĂ©es Ă lâorigine par le plan dâĂ©quipement « Ă©coles numĂ©riques rurales », lancĂ© Ă la rentrĂ©e 2009 par le ministĂšre de lâĂ©ducation nationale, ont choisi dâinstaller AbulEdu. Faute de bilan national, il faudra se contenter de ce chiffre, qui ne concerne que le premier degrĂ©, pour mesurer lâimportance du libre dans les Ă©tablissements scolaires.
Autre exemple significatif, en 2007, le conseil rĂ©gional dâIle-de-France a choisi dâĂ©quiper 220.000 lycĂ©ens, apprentis de CFA et professeurs, dâune clĂ© USB dotĂ©e d’un bureau mobile libre â dĂ©veloppĂ© par la sociĂ©tĂ© Mostick, Ă partir des projets associatifs Framakey et PortableApps.
Le libre Ă lâĂ©cole a plusieurs cordes Ă son arc. Jean Peyratout met en avant son interopĂ©rabilitĂ© â « Nos Ă©lĂšves sont amenĂ©s Ă utiliser Ă la maison ce quâils utilisent Ă lâĂ©cole » â, la souplesse dans la gestion du parc â pas besoin dâacheter une Ă©niĂšme licence en cas de poste supplĂ©mentaire â et surtout son Ă©thique. « Faire de la publicitĂ© Ă lâĂ©cole est interdit, plaide-t-il. Il me semble quâutiliser un logiciel marchand Ă lâĂ©cole alors quâil existe dâautres solutions, câest faire la promotion de ce logiciel. Pourquoi aller payer des logiciels propriĂ©taires dont le format et le nombre limitĂ© de licences posent problĂšme ? »
Dâautant, souligne Eric Seigne, « quâen investissant dans le libre, l’argent reste en local, alors qu’en achetant du propriĂ©taire, la plus grande partie de l’argent part Ă l’Ă©tranger oĂč sont implantĂ©s les gros Ă©diteurs ». Reste Ă convaincre sur le terrain les enseignants, non experts et qui nâont pas envie de mettre les mains dans le cambouis. A Saint-Marc-Jaumegarde par exemple, Emmanuel Farges, directeur d’une Ă©cole primaire pourtant trĂšs technophile, est sceptique. « Seul notre site Internet repose sur un logiciel libre mais ça bogue souvent et il nây a pas de suivi quand il y a un problĂšme », explique-t-il.
A cĂŽtĂ© de la poignĂ©e dâenseignants militants du libre, se sont pourtant dĂ©veloppĂ©s des professionnels. « Le fait que les logiciels soient gratuits Ă©veille paradoxalement les soupçons de mauvaise qualitĂ©, note Bastien Guerry, doctorant en philosophie et membre de lâAssociation francophone des utilisateurs de logiciels libres (Aful). Mais il existe des associations locales de prestation de service en logiciel libre qui peuvent assurer un suivi. »
« Aujourdâhui, les enjeux portent moins sur lâinstallation des postes que la mise Ă disposition de logiciels libres via lâenvironnement numĂ©rique de travail et des clefs USB », prĂ©voit Bastien Guerry. A travers des sites participatifs comme Les Clionautes (histoire-gĂ©ographie), WebLettres (français), et crĂ©Ă©s au dĂ©but des annĂ©es 2000, des enseignants sâadonnent avec enthousiasme Ă cette crĂ©ation de logiciels et surtout de contenus.
Lâexemple le plus abouti en est SĂ©samath dont la liste de diffusion regroupe 8000 enseignants, soit un quart des profs de mathĂ©matiques français selon lâun des fondateurs du projet, SĂ©bastien Hache, lui-mĂȘme enseignant au collĂšge Villars Ă Denain (Nord).
« Tous les enseignants crĂ©aient dĂ©jĂ eux-mĂȘmes leurs ressources mais Internet leur a permis de les partager, explique-t-il. Et, comme il nây a pas plus seul quâun prof face Ă sa classe, ça Ă©vite Ă chacun de rĂ©inventer la roue dans son coin. » GrĂące Ă la collaboration dâenseignants travaillant Ă distance, SĂ©samath a mĂȘme Ă©ditĂ© « le premier manuel scolaire libre au monde ». « Les manuels des Ă©diteurs sont d’ordinaire Ă©crits par deux ou trois profs, nous, nous avons eu la collaboration dâune centaine dâenseignants avec de nombreux retours », se fĂ©licite SĂ©bastien Hache.
400.000 exemplaires de ce manuel, qui couvre les quatre niveaux de collĂšge, ont Ă©tĂ© vendus (11 euros pour financer les salaires des cinq salariĂ©s Ă mi-temps de lâassociation), la version en ligne Ă©tant gratuite et bien entendu modifiable en vertu de sa licence libre. Lâautre activitĂ© du site consiste Ă crĂ©er des logiciels outils et des exercices sâadaptant aux difficultĂ©s des Ă©lĂšves. Beaucoup de professeurs de mathĂ©matiques sont aussi par ailleurs des dĂ©veloppeurs passionnĂ©s!
Un foisonnement que sâefforce de fĂ©dĂ©rer le pĂŽle de compĂ©tences logiciels libres du ScĂ©rĂ©n coordonnĂ© par Jean-Pierre Archambault. LâĂ©cole doit dĂ©sormais prendre en compte les « mutations engendrĂ©es par lâimmatĂ©riel et les rĂ©seaux: enseignants-auteurs qui modifient le paysage Ă©ditorial, partage de la certification de la qualitĂ©, validation par les pairs, redistribution des rĂŽles respectifs des structures verticales et horizontales… », jugeait-il en juin 2008.
Pas vraiment gagnĂ©, constate Alexis Kauffmann. « Rien ne laisse Ă penser que le ministĂšre de lâĂ©ducation nationale comprend et souhaite encourager cette culture libre qui explose actuellement sur Internet », lance-t-il. Dernier exemple en date, lâAcadĂ©mie en ligne lancĂ©e par le Cned en juin 2009 propose des cours, certes gratuits, mais pas libres et donc non modifiables, manifestement uniquement conçus pour ĂȘtre imprimĂ©s! Pour la collaboration, il faudra repasser…
[1] On peut lire l’article A Antibes, un collĂšge teste les manuels numĂ©riques dans son intĂ©gralitĂ© sur le site Sauvons lâUniversitĂ©.
[2] On peut lire l’article Thierry de VulpilliĂšres : « Les TICE sont une rĂ©ponse Ă la crise des systĂšmes d’Ă©ducation » dans son intĂ©gralitĂ© sur le site Sauvons lâUniversitĂ©.
[3] On peut lire l’article Nouvelles technologies: remue-mĂ©nage dans la pĂ©dagogie ! dans son intĂ©gralitĂ© sur le site Sauvons lâUniversitĂ©.
Quel sera le futur format vidĂ©o du Web ? Certainement plus le Flash dont les jours sont comptĂ©s. Mais quel nouveau format va alors s’imposer, un format ouvert au bĂ©nĂ©fice de tous ou un format fermĂ© dont le profit Ă court terme de quelques-uns se ferait au dĂ©triment des utilisateurs ?
Un acteur, Ă lui seul, possĂšde semble-t-il la rĂ©ponse ! Et c’est une fois encore de Google qu’il s’agit. Une rĂ©ponse que la Free Software Foundation attend au tournant car elle en dira long sur les rĂ©elles intentions de la firme de Moutain View.
Tentative de résumé de la situation.
Faute de mieux, et alors qu’il n’avais pas Ă©tĂ© spĂ©cialement conçu pour jouer les premiers rĂŽles, le format Flash Video d’Adobe (.flv) s’est imposĂ© pendant des annĂ©es comme format standard de fait de la vidĂ©o en lecture continue (ou streamĂ©e) sur Internet, comme par exemple sur le site emblĂ©matique YouTube.
Pour le lire il nĂ©cessitait la prĂ©sence d’un player Flash sur son ordinateur, ce qui a toujours posĂ© problĂšme aux Linuxiens puisque la technologie Flash est propriĂ©taire et (en partie) fermĂ©e et qu’il n’est donc pas possible de l’inclure dans les distributions libres de GNU/Linux (ceux qui juste aprĂšs une installation ont recherchĂ© comment lire ce satanĂ© format comprendront fort bien ce que je veux dire). Un problĂšme si important que la FSF n’a pas hĂ©sitĂ© Ă le placer au top de ses prioritĂ©s logicielles avec son projet de lecteur libre Gnash (juste en dessous d’un lecteur alternatif pour le format PDF, autre format problĂ©matique).
Mais tout ceci sera bientĂŽt du passĂ© car la nouvelle version du format des pages Web, le HTML5, est en train de changer la donne avec l’introduction de la balise <video> (cf cet article du Framablog pour en savoir plus : Building the world we want, not the one we have).
Exit le Flash donc dans nos vidĂ©os du Web. D’ailleurs, coup de grĂące, il ne figurera pas dans l’iPad et Steve Jobs aurait dĂ©clarĂ© « ne pas vouloir perdre du temps sur une technologie dĂ©passĂ©e aussi ringarde que les disquettes » !
ConsĂ©quence et grand progrĂšs, on peut donc potentiellement lire directement les vidĂ©os sur tout navigateur qui implĂ©mente le HTML5 (actuellement Firefox 3.5+, Safari 4+, Chrome 3+). Plus besoin de tĂ©lĂ©charger de plugins (Flash, QuickTime ou autre). Sauf que comme le dit Tristan Nitot « la spĂ©cification HTML5 prĂ©cise comment un navigateur doit interprĂ©ter l’Ă©lĂ©ment video, mais pas sur le format dans lequel doit ĂȘtre publiĂ©e la vidĂ©o en question ».
Or justement deux formats sont les principaux candidats Ă la succession, l’un ouvert, que nous connaissons bien, le Ogg Theora (adoptĂ© notamment sur les projets Wikimedia), et l’autre fermĂ© le H.264. Tristan Nitot expose avec la clartĂ© qu’on lui connaĂźt, la situation, ses contraintes et ses menaces, dans son billet VidĂ©o dans le navigateur : Theora ou H.264 ?.
Il en rajoute une couche sur Rue89 dans Firefox refuse que YouTube devienne « un club de riches » :
« Si le Web est si participatif, c’est parce qu’il n’y a pas de royalties pour participer et crĂ©er un contenu. (Faire le choix du H.264) serait hypothĂ©quer l’avenir du Web. On crĂ©erait un Ăźlot technologique, un club de riches : on pourrait produire du texte ou des images gratuitement, mais par contre, pour la vidĂ©o, il faudrait payer. »
En effet, il en coĂ»terait plusieurs millions par an Ă Mozilla si elle voulait intĂ©grer le H.264 dans Firefox. Ce qu’elle ne pourrait pas se permettre et du coup si YouTube adoptait dĂ©finitivement ce format (que la cĂ©lĂšbre plate-forme teste actuellement), nous serions face Ă un choix cornĂ©lien : Firefox sans YouTube (et tous les autres sites de vidĂ©os qui auront alors suivi YouTube, gageons qu’ils seront nombreux) ou YouTube sans Firefox.
Ceux qui pensent, comme Stallman, qu’on « ne brade pas sa libertĂ© pour de simples questions de convenances » feront peut-ĂȘtre le premier choix. Mais pour le grand public, rien n’est moins sĂ»r (c’est mĂȘme sĂ»r qu’il fera le choix inverse).
Or c’est un feuilleton Ă Ă©pisodes car un tout dernier Ă©vĂšnement est venu semer le trouble en apportant son lot de spĂ©culations. Un Ă©vĂšnement passĂ© un peu inaperçu Ă cause du buzz (nĂ©gatif) engendrĂ© par la sortie simultanĂ©e de Google Buzz : le rachat par Google de la sociĂ©tĂ© On2 Technologies pour un peu plus de cent millions de dollars.
On2 Technologies est justement spĂ©cialisĂ©e dans la crĂ©ation de formats vidĂ©os, dont un, le VP3, a d’ailleurs Ă©tĂ© libĂ©rĂ© et est directement Ă l’origine de l’Ogg Theora. Mais c’est le tout dernier de la gamme, le VP8 qui focalise l’attention de par ses qualitĂ©s (cf prĂ©sentation et comparaison sur le site d’On2).
Ce rachat a quelque peu attĂ©nuĂ© les craintes des observateurs, Ă commencer par Mozilla (cf cet article de Numerama : Codec vidĂ©o : Google rachĂšte On2 et rassure Mozilla). Pourquoi en effet dĂ©bourser une telle somme puisque le H.264 est lĂ ? Peut-ĂȘtre pour le remplacer par le VP8. Mais alors aura-t-on un VP8 Ă©galement fermĂ© (et peut-ĂȘtre aussi payant) ou bien ouvert pour l’occasion ?
La balle est dans le camp de Google.
Soit la sociĂ©tĂ© fait le choix du H.264. Firefox ne peut pas suivre et alors il y a fort Ă parier que cela profitera au navigateur Google Chrome (nombre d’utilisateurs ne pouvant dĂ©sormais concevoir le Web sans YouTube). Comme de plus l’essentiel des revenus de Mozilla provient de l’accord avec Google sur le moteur de recherche par dĂ©faut de Firefox, et que cet accord ne court que jusqu’en 2011, on voit bien que Google peut en thĂ©orie si ce n’est tuer Firefox, tout du moins participer directement Ă freiner son ascension.
Soit la sociĂ©tĂ© oublie le H.264 en optant pour le VP8 d’On2. Mais reste alors Ă savoir quelle sera la nature de ce format. Si Google dĂ©cide de le libĂ©rer en donnant le la en l’installant sur YouTube, c’est non seulement Firefox qui en profitera mais le Web tout entier.
Le choix est important, parce qu’au-delĂ de l’avenir de la vidĂ©o sur le Web, c’est l’avenir de Google dont il est question. Et aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, l’avenir de Google rejoint souvent l’avenir du Web tout court, ce qui en dit long sur sa puissance et son influence actuelles sur le rĂ©seau.
Il est bien Ă©vident que le H.264 ou le VP8 fermĂ© serait Ă priori la meilleure option pour Google en tant que multinationale cotĂ©e en bourse avec des actionnaires qui rĂ©clament leurs dividendes. Mais ce serait la plus mauvaise pour les partisans d’un Web libre et ouvert. « Google is not evil » nous dit le slogan, alors qu’elle le prouve en faisant le bon choix, celui de l’intĂ©rĂȘt des utilisateurs. Google en tirerait alors l’avantage de conserver une image positive de plus en plus Ă©cornĂ©e ces derniers temps. Dans le cas contraire le masque serait dĂ©finitivement levĂ©[1] et le bĂ©nĂ©fice du doute ne serait plus permis.
Tel est en substance le message lancé par la FSF que nous avons traduit ci-dessous.
Open letter to Google: free VP8, and use it on YouTube
Holmes – 19 fĂ©vrier 2010 – FSF Blogs
(Traduction Framalang : Don Rico et Goofy)
AprĂšs son acquisition d’On2, entreprise spĂ©cialisĂ©e en technologie de compression vidĂ©o, le 16 fĂ©vrier 2010, Google est Ă prĂ©sent en position de standardiser les formats vidĂ©o libres et ainsi libĂ©rer le Web Ă la fois du Flash et du codec propriĂ©taire H.264.
Cher Google,
AprĂšs votre rachat d’On2, vous possĂ©dez dĂ©sormais le plus important site de vidĂ©os au monde (YouTube) et tous les brevets dĂ©posĂ©s pour un nouveau codec vidĂ©o de haute performance, le VP8. Imaginez ce que vous pouvez accomplir si vous rendez disponible, de façon irrĂ©vocable, le codec VP8 sous une licence libre de royalties, et le proposez aux utilisateurs de YouTube ? Vous pouvez mettre un terme Ă la dĂ©pendance du Web aux formats vidĂ©o criblĂ©s de brevets et aux logiciels propriĂ©taires tel que Flash.
Garder le secret sur les spĂ©cifications de cette technologie ou ne l’utiliser que comme levier de nĂ©gociation desservirait le monde du Libre, en n’apportant dans le meilleur des cas que des bĂ©nĂ©fices Ă court terme Ă votre entreprise. LibĂ©rer le code du VP8 sans recommander ce format aux utilisateurs de YouTube constituerait une occasion manquĂ©e et nuirait au navigateurs libres tel que Firefox. Nous voulons tous que vous fassiez le bon choix. LibĂ©rez le code de VP8, et utilisez-le pour YouTube !
Le monde disposerait alors d’un nouveau format libre affranchi de brevets logiciels. Internautes, crĂ©ateurs de vidĂ©o, dĂ©veloppeurs de logiciels libres, constructeurs de matĂ©riel informatique, tout le monde pourrait distribuer de la vidĂ©o sans se soucier des brevets, des droits d’utilisation et des restrictions. Le format vidĂ©o libre Ogg Theora est au moins aussi performant pour la vidĂ©o sur le web (voir comparatif) que son concurrent fermĂ©, le H.264, et jamais nous n’avons approuvĂ© les objections que vous opposiez Ă son utilisation. Puisque vous avez pris la dĂ©cision d’acquĂ©rir le VP8, on peut nĂ©anmoins supposer que ce format ne soulĂšve pas selon vous les mĂȘmes objections, et que l’implĂ©menter dans YouTube est un jeu d’enfant.
Vous avez le pouvoir de faire de ce format libre un standard planĂ©taire. Si YouTube, qui hĂ©berge la quasi totalitĂ© des vidĂ©os numĂ©riques jamais conçues, proposait un format libre en option, ce simple changement vous vaudrait le soutien d’une plĂ©thore de fabricants d’appareils et d’applications numĂ©riques.
Cette capacitĂ© Ă proposer un format libre sur YouTube n’est toutefois qu’une partie infime de votre vĂ©ritable pouvoir. On passera aux choses sĂ©rieuses quand vous encouragerez les navigateurs des utilisateurs Ă prendre en charge les formats libres. Il existe un tas de moyens de s’y prendre. La meilleure, Ă nos yeux, serait que YouTube abandonne le Flash au profit des formats libres et du HTML, et propose Ă ses utilisateurs Ă©quipĂ©s de navigateurs obsolĂštes un plug-in ou un navigateur moderne (un logiciel libre, bien sĂ»r). Apple a eu le cran de mettre au rebut le Flash pour l’iPhone et l’iPad (mĂȘme si leurs raisons sont suspectes et leurs mĂ©thodes dĂ©testables les DRM), et cette dĂ©cision pousse les dĂ©veloppeurs Web Ă crĂ©er des alternatives sans Flash de leurs pages. Vous pourriez faire de mĂȘme avec YouTube, pour des raisons plus nobles, ce qui porterait un coup fatal Ă la prĂ©dominance de Flash dans le secteur des vidĂ©os en ligne.
MĂȘme des actions de moindre envergure porteraient leur fruits. Vous pourriez par exemple susciter l’intĂ©rĂȘt des utilisateurs avec des vidĂ©os HD disponibles sous format libre, ou inciter fortement les utilisateurs Ă mettre Ă niveau leur navigateur (plutĂŽt que de mettre Flash Ă jour). De telles mesures sur YouTube porteraient la prise en charge des formats libres par les navigateurs Ă un niveau de 50% et plus, et elles augmenteraient lentement le nombre d’internautes qui ne prendraient pas la peine d’installer un plug-in Flash.
Si le logiciel libre et l’internet libre vous tiennent Ă cĆur (un mouvement et un mĂ©dium auxquels vous devez votre rĂ©ussite), vous devez prendre des mesures drastiques pour remplacer Flash par des standards ouverts et des formats libres. Les codecs vidĂ©o brevetĂ©s ont dĂ©jĂ fait un tort immense au Web et Ă ses utilisateurs, et cela continuera tant que nous n’y mettrons pas un terme. Parce qu’il Ă©tait coĂ»teux d’implĂ©menter des standards bardĂ©s de brevets dans les navigateurs, un logiciel privateur aussi lourd qu’inadaptĂ© (le Flash) est devenu le standard de facto pour la vidĂ©o en ligne. Tant que nous ne passerons pas aux formats libres, la menace des actions en justice pour violation de brevet et des royalties Ă verser pĂšsera sur tous les dĂ©veloppeurs de logiciel, les crĂ©ateurs de vidĂ©o, les fabricants de matĂ©riel informatique, les sites Internet et les entreprises du Web, vous y compris.
Vous pouvez utiliser votre acquisition d’On2 comme simple levier de nĂ©gociation pour apporter votre propre solution au problĂšme, mais ce serait Ă la fois un faux-fuyant et une erreur stratĂ©gique. Si vous ne faites pas du VP8 un format libre, ce ne sera jamais qu’un codec vidĂ©o de plus. Ă quoi servirait un Ă©niĂšme format vidĂ©o souffrant d’une compatibilitĂ© avec les navigateurs limitĂ©e par des brevets ? Vous devez au public et Ă l’Internet de rĂ©soudre ce problĂšme ; vous le devez Ă nous tous, et pour toujours. Des organisation telles que Xiph, Mozilla, Wikimedia, la FSF et On2 elle-mĂȘme mettent l’accent sur la nĂ©cessitĂ© d’imposer les formats libres et se battent corps et Ăąme pour rendre cela possible. Ă votre tour, maintenant. Si vous en dĂ©cidez autrement, nous saurons que vous avez Ă cĆur non pas la libertĂ© des utilisateurs mais seulement le rĂšgne sans partage de Google.
Nous voulons tous que vous preniez la bonne décision. Libérez le code du VP8 et utilisez-le sur Youtube !
[1] Crédit photo : Diegosaldiva (Creative Commons By)