Détruire le capitalisme de surveillance (2)

Voici une deuxième partie de l’essai que consacre Cory Doctorow au capitalisme de surveillance (si vous avez raté les épisodes précédents.) Il y aborde les diverses techniques de manipulation et captation de l’internaute-client utilisées sans vergogne par les grandes entreprises hégémoniques. Celles-ci se heurtent cependant à une sorte d’immunité acquise générale à ces techniques, ne faisant de victimes à long terme que parmi les plus vulnérables.

Billet original sur le Medium de OneZero : How To Destroy Surveillance Capitalism

Traduction Framalang : goofy, jums, Mannik, Pierre-Emmanuel Largeron, Sphinx

Ne vous fiez pas à ce qu’ils vous disent

par Cory Doctorow

Vous avez probablement déjà entendu dire : « si c’est gratuit, c’est vous le produit ». Comme nous le verrons plus loin, c’est vrai, mais incomplet. En revanche, ce qui est absolument vrai, c’est que les annonceurs sont les clients des géants de la tech accros à la pub et que les entreprises comme Google ou Facebook vendent leurs capacités à vous convaincre d’acheter. La came des géants de la tech, c’est la persuasion. Leurs services (réseaux sociaux, moteurs de recherche, cartographie, messagerie, et tout le reste) ne sont que des moyens de fournir cette persuasion.

La peur du capitalisme de surveillance part du principe (justifié) que tout ce que les géants de la tech racontent sur eux-mêmes est sûrement un mensonge. Mais cette critique admet une exception quand il s’agit des prétentions émises par les géants de la tech dans leurs documentations marketing, plus précisément leur matraquage continu autour de l’efficacité de leurs produits dans les présentations destinées à de potentiels annonceurs numériques en ligne, ainsi que dans les séminaires de technologies publicitaires : on considère qu’ils sont aussi doués pour nous influencer qu’ils le prétendent lorsqu’ils vendent leurs systèmes de persuasion aux clients crédules. C’est une erreur, car les documents marketing ne sont pas un indicateur fiable de l’efficacité d’un produit.

Le capitalisme de surveillance considère qu’au vu de l’important volume d’achat des annonceurs auprès des géants de la tech, ces derniers doivent sûrement vendre quelque chose pour de bon. Mais ces ventes massives peuvent tout aussi bien être le résultat d’un fantasme généralisé ou de quelque chose d’encore plus pernicieux : un contrôle monopolistique sur nos communications et nos échanges commerciaux.

Être surveillé modifie notre comportement et pas pour le meilleur. La surveillance crée des risques pour notre progrès social. Le livre de Zuboff propose des explications particulièrement lumineuses de ce phénomène. Mais elle prétend aussi que la surveillance nous dérobe littéralement notre liberté : ainsi, lorsque nos données personnelles sont mélangées avec de l’apprentissage machine, cela crée un système de persuasion tellement dévastateur que nous sommes démunis face à lui. Autrement dit, Facebook utilise un algorithme qui analyse des données de votre vie quotidienne, extraites sans consentement, afin de personnaliser votre fil d’actualité pour vous pousser à acheter des trucs. On dirait un rayon de contrôle mental sorti tout droit d’une BD des années 50, manipulé par des savants fous dont les supercalculateurs leur assurent une domination totale et perpétuelle sur le monde.

Qu’est-ce que la persuasion ?

Pour comprendre pourquoi vous ne devriez pas vous inquiéter du rayon de contrôle mental, mais bien plutôt de la surveillance et des géants de la tech, nous devons commencer par décortiquer ce que nous entendons par « persuasion ».

Google, Facebook et les autres capitalistes de la surveillance promettent à leurs clients (les annonceurs) qu’en utilisant des outils d’apprentissage machine entraînés sur des jeux de données de taille inimaginable, constitués d’informations personnelles récoltées sans consentement, ils seront capables de découvrir des moyens de contourner les capacités de rationalisation du public et de contrôler le comportement de ce dernier, provoquant ainsi des cascades d’achats, de votes ou autres effets recherchés.

L’impact de la domination excède de loin celui de la manipulation et devrait être central dans notre analyse et dans tous les remèdes que nous envisageons.

Mais il existe peu d’indices pour prouver que cela se déroule ainsi. En fait, les prédictions que le capitalisme de surveillance fournit à ses clients sont bien moins impressionnantes qu’elles ne le prétendent. Plutôt que de chercher à passer outre votre rationalité, les capitalistes de la surveillance comme Mark Zuckerberg pratiquent essentiellement une au moins des trois choses suivantes :

1. Segmentation

Si vous êtes vendeur de couches-culottes, vous aurez plus de chance d’en vendre en démarchant les personnes présentes dans les maternités. Toutes les personnes qui entrent ou sortent d’une maternité ne viennent pas d’avoir un bébé et toutes celles qui ont un bébé ne sont pas consommatrices de couches. Mais avoir un bébé est fortement corrélé avec le fait d’être un consommateur de couches et se trouver dans une maternité est hautement corrélé avec le fait d’avoir un bébé. Par conséquent, il y a des publicités pour les couches autour des maternités (et même des démarcheurs de produits pour bébés qui hantent les couloirs des maternités avec des paniers remplis de cadeaux).

Le capitalisme de surveillance, c’est de la segmentation puissance un milliard. Les vendeurs de couches peuvent aller bien au-delà des personnes présentes dans les maternités (bien qu’ils puissent aussi faire ça avec, par exemple, des publicités mobiles basées sur la géolocalisation). Ils peuvent vous cibler selon que vous lisiez des articles sur l’éducation des enfants, les couches-culottes ou une foule d’autres sujets, et l’analyse des données peut suggérer des mots-clés peu évidents à cibler. Ils peuvent vous cibler sur la base d’articles que vous avez récemment lus. Ils peuvent vous cibler sur la base de ce que vous avez récemment acheté. Ils peuvent vous cibler sur la base des e-mails ou des messages privés que vous recevez concernant ces sujets, et même si vous mentionnez ces sujets à voix haute (bien que Facebook et consorts jurent leurs grands dieux que ce n’est pas le cas, du moins pour le moment).

C’est franchement effrayant.

Mais ce n’est pas du contrôle mental.

Cela ne vous prive pas de votre libre-arbitre. Cela ne vous leurre pas.

Pensez à la manière dont le capitalisme de surveillance fonctionne en politique. Les entreprises du capitalisme de surveillance vendent aux professionnels de la politique la capacité de repérer ceux qui pourraient être réceptifs à leurs argumentaires. Les candidats qui font campagne sur la corruption du secteur financier sont à la recherche de personnes étranglées par les dettes, ceux qui utilisent la xénophobie recherchent des personnes racistes. Ces communicants ont toujours ciblé leurs messages, peu importe que leurs intentions soient honorables ou non : les syndicalistes font leurs discours aux portes des usines et les suprémacistes blancs distribuent leurs prospectus lors des réunions de l’association conservatrice John Birch Society.

Mais c’est un travail imprécis, et donc épuisant. Les syndicalistes ne peuvent pas savoir quel ouvrier approcher à la sortie de l’usine et peuvent perdre leur temps avec un membre discret de la John Birch Society ; le suprémaciste blanc ne sait pas quels membres de la Birch sont tellement délirants qu’assister à une réunion est le maximum qu’ils peuvent faire, et lesquels peuvent être convaincus de traverser le pays pour brandir une torche de jardin Tiki dans les rues de Charlottesville, en Virginie.

Comme le ciblage augmente le rendement des discours politiques, il peut bouleverser le paysage politique, en permettant à tous ceux qui espéraient secrètement le renversement d’un autocrate (ou juste d’un politicien indéboulonnable) de trouver toutes les personnes qui partagent leurs idées, et ce, à un prix dérisoire. Le ciblage est devenu essentiel à la cristallisation rapide des récents mouvements politiques tels que Black Lives Matter ou Occupy Wall Street, ainsi qu’à des acteurs moins présentables comme les mouvements des nationalistes blancs d’extrême-droite qui ont manifesté à Charlottesville.

Il est important de différencier ce type d’organisation politique des campagnes de communication. Trouver des personnes secrètement d’accord avec vous n’est en effet pas la même chose que de convaincre des gens de le devenir. L’essor de phénomènes comme les personnes non-binaires ou autres identités de genres non-conformistes est souvent décrit par les réactionnaires comme étant le résultat de campagnes en ligne de lavage de cerveaux qui ont pour but de convaincre des personnes influençables qu’elles sont secrètement queer depuis le début.

Mais les témoignages de ceux qui ont fait leur coming-out racontent une tout autre histoire, dans laquelle les personnes qui ont longtemps gardé secret leur genre étaient encouragées par celles qui en avaient déjà parlé. Une histoire dans laquelle les personnes qui savaient qu’elles étaient différentes (mais qui manquaient de vocabulaire pour parler de ces différences) apprenaient les termes exacts à utiliser grâce à cette manière bon marché de trouver des personnes et de connaître leurs idées.

2. Tromperie

Les mensonges et les tromperies sont des pratiques malsaines, et le capitalisme de surveillance ne fait que les renforcer avec le ciblage. Si vous voulez commercialiser un prêt sur salaire ou hypothécaire frauduleux, le capitalisme de surveillance peut vous aider à trouver des personnes à la fois désespérées et peu averties, qui seront donc réceptives à vos arguments. Cela explique la montée en puissance de nombreux phénomènes, tels que la vente multi-niveau, dans laquelle des déclarations mensongères sur des gains potentiels et l’efficacité des techniques de vente ciblent des personnes désespérées, avec de la publicité associée à leurs recherches qui indiquent, par exemple, qu’elles se débattent contre des prêts toxiques.

Le capitalisme de surveillance encourage également la tromperie en facilitant le repérage d’autres personnes qui ont été trompées de la même manière. Elles forment ainsi une communauté de personnes qui renforcent mutuellement leurs croyances. Pensez à ces forums où des personnes victimes de fraudes commerciales à plusieurs niveaux se réunissent pour échanger des conseils sur la manière d’améliorer leur chance de vendre le produit.

Parfois, la tromperie en ligne consiste à remplacer les convictions correctes d’une personne par des croyances infondées, comme c’est le cas pour le mouvement anti-vaccination, dont les victimes sont souvent des personnes qui font confiance aux vaccins au début mais qui sont convaincues par des preuves en apparence plausibles qui les conduisent à croire à tort que les vaccins sont nocifs.

Mais la fraude réussit beaucoup plus souvent lorsqu’elle ne doit pas se substituer à une véritable croyance. Lorsque ma fille a contracté des poux à la garderie, l’un des employés m’a dit que je pouvais m’en débarrasser en traitant ses cheveux et son cuir chevelu avec de l’huile d’olive. Je ne savais rien des poux et je pensais que l’employé de la crèche les connaissait, alors j’ai essayé (ça n’a pas marché, et ça ne marche pas). Il est facile de se retrouver avec de fausses croyances quand vous n’en savez pas suffisamment et quand ces croyances sont véhiculées par quelqu’un qui semble savoir ce qu’il fait.

C’est pernicieux et difficile (et c’est aussi contre ce genre de choses qu’Internet peut aider à se prémunir en rendant disponibles des informations véridiques, en particulier sous une forme qui expose les débats sous-jacents entre des points de vue très divergents, comme le fait Wikipédia) mais ce n’est pas un lavage de cerveau, c’est de l’escroquerie. Dans la majorité des cas, les personnes victimes de ces campagnes de ces arnaques comblent leur manque d’informations de la manière habituelle, en consultant des sources apparemment fiables. Si je vérifie la longueur du pont de Brooklyn et que j’apprends qu’il mesure 1 770 mètres de long, mais qu’en réalité, il fait 1 825 mètres de long, la tromperie sous-jacente est un problème, mais c’est un problème auquel il est possible de remédier simplement. C’est un problème très différent de celui du mouvement anti-vax, où la croyance correcte d’une personne est remplacée par une fausse, par le biais d’une persuasion sophistiquée.

3. Domination

Le capitalisme de surveillance est le résultat d’un monopole. Le monopole est la cause, tandis que le capitalisme de surveillance et ses conséquences négatives en sont les effets. Je rentrerai dans les détails plus tard, mais, pour le moment, je dirai simplement que l’industrie technologique s’est développée grâce à un principe radicalement antitrust qui a permis aux entreprises de croître en fusionnant avec leurs rivaux, en rachetant les concurrents émergents et en étendant le contrôle sur des pans entiers du marché.

Prenons un exemple de la façon dont le monopole participe à la persuasion via la domination : Google prend des décisions éditoriales quant à ses algorithmes qui déterminent l’ordre des réponses à nos requêtes. Si un groupe d’escrocs décide de faire croire à la planète entière que le pont de Brooklyn mesure 1700 mètres et si Google élève le rang des informations fournies par ce groupe pour les réponses aux questions du type « Quelle est la longueur du pont de Brooklyn ? » alors les 8 ou 10 premières pages de résultats fournies par Google pourront être fausses. Sachant que la plupart des personnes ne vont pas au-delà des premiers résultats (et se contentent de la première page de résultats), le choix opéré par Google impliquera de tromper de nombreuses personnes.

La domination de Google sur la recherche (plus de 86 % des recherches effectuées sur le Web sont faites via Google) signifie que l’ordre qu’il utilise pour classer les résultats de recherche a un impact énorme sur l’opinion publique. Paradoxalement, c’est cette raison que Google invoque pour dire qu’il ne peut pas rendre son algorithme transparent : la domination de Google sur la recherche implique que les résultats de son classement sont trop importants pour se permettre de pouvoir dire au monde comment il y parvient, car si un acteur malveillant découvrait une faille dans ce système, alors il l’exploiterait pour mettre en avant son point de vue en haut des résultats. Il existe un remède évident lorsqu’une entreprise devient trop grosse pour être auditée : la diviser en fragments plus petits.

Zuboff parle du capitalisme de surveillance comme d’un « capitalisme voyou » dont les techniques de stockage de données et d’apprentissage machine nous privent de notre libre arbitre. Mais les campagnes d’influence qui cherchent à remplacer les croyances existantes et correctes par des croyances fausses ont un effet limité et temporaire, tandis que la domination monopolistique sur les systèmes d’information a des effets massifs et durables. Contrôler les résultats des recherches du monde entier signifie contrôler l’accès aux arguments et à leurs réfutations et, par conséquent, contrôler une grande partie des croyances à travers le monde. Si notre préoccupation est de savoir comment les entreprises nous empêchent de nous faire notre propre opinion et de déterminer notre propre avenir, l’impact de la domination dépasse de loin celui de la manipulation et devrait être au centre de notre analyse et de tous les remèdes que nous recherchons.

4. Contournement de nos facultés rationnelles

Mais voici le meilleur du pire : utiliser l’apprentissage machine, les techniques du dark UX, le piratage des données et d’autres techniques pour nous amener à faire des choses qui vont à l’encontre de nos principes. Ça, c’est du contrôle de l’esprit.

Certaines de ces techniques se sont révélées d’une efficacité redoutable (ne serait-ce qu’à court terme). L’utilisation de comptes à rebours sur une page de finalisation de commande peut créer un sentiment d’urgence incitant à ignorer la petite voix interne lancinante qui vous suggère d’aller faire vos courses ou de bien réfléchir avant d’agir. L’utilisation de membres de votre réseau social dans les publicités peut fournir une « justification sociale » qu’un achat vaut la peine d’être fait. Même le système d’enchères mis au point par eBay est conçu pour jouer sur nos points faibles cognitifs, nous donnant l’impression de « posséder » quelque chose parce que nous avons enchéri dessus, ce qui nous encourage à enchérir à nouveau lorsque nous sommes surenchéris pour s’assurer que « nos » biens restent à nous.

Les jeux sont très bons dans ce domaine. Les jeux « d’accès gratuit » nous manipulent par le biais de nombreuses techniques, comme la présentation aux joueurs d’une série de défis qui s’échelonnent en douceur de difficulté croissante, qui créent un sentiment de maîtrise et d’accomplissement, mais qui se transforment brusquement en un ensemble de défis impossibles à relever sans une mise à niveau payante. Ajoutez à ce mélange une certaine pression sociale – un flux de notifications sur la façon dont vos amis se débrouillent – et avant de comprendre ce qui vous arrive, vous vous retrouvez à acheter des gadgets virtuels pour pouvoir passer au niveau suivant.

Les entreprises ont prospéré et périclité avec ces techniques, et quand elles échouent cela mérite que l’on s’y attarde. En général, les êtres vivants s’adaptent aux stimuli : une chose que vous trouvez particulièrement convaincante ou remarquable, lorsque vous la rencontrez pour la première fois, le devient de moins en moins, et vous finissez par ne plus la remarquer du tout. Pensez au bourdonnement énervant que produit le réfrigérateur quand il se met en marche, qui finit par se fondre tellement bien dans le bruit ambiant que vous ne le remarquez que lorsqu’il s’arrête à nouveau.

C’est pourquoi le conditionnement comportemental utilise des « programmes de renforcement intermittent ». Au lieu de vous donner des encouragements ou des embûches, les jeux et les services gamifiés éparpillent les récompenses selon un calendrier aléatoire – assez souvent pour que vous restiez intéressé, et de manière assez aléatoire pour que vous ne trouviez jamais le schéma toujours répété qui rendrait la chose ennuyeuse.

Le « renforcement intermittent » est un outil comportemental puissant, mais il représente aussi un problème d’action collective pour le capitalisme de surveillance. Les « techniques d’engagement » inventées par les comportementalistes des entreprises du capitalisme de surveillance sont rapidement copiées par l’ensemble du secteur, de sorte que ce qui commence par un mystérieux changement de conception d’un service – comme une demande d’actualisation ou des alertes lorsque quelqu’un aime vos messages ou des quêtes secondaires auxquelles vos personnages sont invités alors qu’ils sont au beau milieu de quêtes principales – tout cela devient vite péniblement envahissant. L’impossibilité où l’on est de maîtriser et faire taire les incessantes notifications de son smartphone finit par générer en un mur de bruit informationnel monotone, car chaque application et chaque site utilise ce qui semble fonctionner à ce moment-là.

Du point de vue du capitalisme de surveillance, notre capacité d’adaptation est une bactérie nocive qui la prive de sa source de nourriture – notre attention – et les nouvelles techniques pour capter cette attention sont comme de nouveaux antibiotiques qui peuvent être utilisés pour briser nos défenses immunitaires et détruire notre autodétermination. Et il existe bel et bien des techniques de ce genre. Qui peut oublier la grande épidémie de Zynga, lorsque tous nos amis ont été pris dans des boucles de dopamine sans fin et sans intérêt en jouant à FarmVille ? Mais chaque nouvelle technique qui attire l’attention est adoptée par l’ensemble de l’industrie et utilisée si aveuglément que la résistance aux antibiotiques s’installe. Après une certaine dose de répétitions, nous développons presque tous une immunité aux techniques les plus puissantes – en 2013, deux ans après le pic de Zynga, sa base d’utilisateurs avait diminué de moitié.

Pas tout le monde, bien sûr. Certaines personnes ne s’adaptent jamais aux stimuli, tout comme certaines personnes n’arrêtent jamais d’entendre le bourdonnement du réfrigérateur. C’est pourquoi la plupart des personnes qui sont exposées aux machines à sous y jouent pendant un certain temps, puis passent à autre chose, pendant qu’une petite mais tragique minorité liquide le pécule mis de côté pour la scolarité de ses enfants, achète des couches pour adultes et reste scotchée devant une machine jusqu’à s’écrouler de fatigue.

Mais les marges du capitalisme de surveillance sur la modification des comportements sont nulles. Tripler le taux de conversion en achats d’un truc semble un succès, sauf si le taux initial est bien inférieur à 1 % avec un pourcentage de progression… encore inférieur à 1 %. Alors que les machines à sous tirent des bénéfices en centimes de chaque jeu, le capitalisme de surveillance ratisse en fractions de centimes infinitésimales.

Les rendements élevés des machines à sous signifient qu’elles peuvent être rentables simplement en drainant les fortunes de la petite frange de personnes qui leur sont pathologiquement vulnérables et incapables de s’adapter à leurs astuces. Mais le capitalisme de surveillance ne peut pas survivre avec les quelques centimes qu’il tire de cette tranche vulnérable – c’est pourquoi, lorsque la Grande épidémie de Zynga s’est enfin terminée, le petit nombre de joueurs encore dépendants qui restaient n’ont pas suffi à en faire encore un phénomène mondial. Et de nouvelles armes d’attention puissantes ne sont pas faciles à trouver, comme en témoignent les longues années qui se sont écoulées depuis le dernier succès de Zynga. Malgré les centaines de millions de dollars que Zynga doit dépenser pour développer de nouveaux outils pour déjouer nos capacités d’adaptation, l’entreprise n’a jamais réussi à reproduire l’heureux accident qui lui a permis de retenir toute notre attention pendant un bref instant en 2009. Les centrales comme Supercell se sont un peu mieux comportées, mais elles sont rares et connaissent beaucoup d’échecs pour un seul succès.

La vulnérabilité de petits segments de la population à une manipulation sensible et efficace des entreprises est une préoccupation réelle qui mérite notre attention et notre énergie. Mais ce n’est pas une menace existentielle pour la société.




Détruire le capitalisme de surveillance (1)

Le capitalisme de surveillance tel qu’analysé ici par Cory Doctorow est une cible agile, mouvante et surtout omnipotente et omniprésente. Comment maîtriser le monstre, à défaut de le détruire ?

La longue analyse de Doctorow, publiée sur OneZero, comprend plusieurs chapitres que Framalang vous traduira par étapes. Voici dans un premier temps un examen des luttes des militants du numérique et les limites de leurs actions.

Un point important : C. Doctorow nous a autorisés à traduire et publier dans les termes de la même licence : CC-NC-ND (pas d’utilisation commerciale et pas de travaux dérivés). Par principe nous sommes opposés à ces restrictions de libertés, pour les éditions Framabook où nous publions seulement du copyleft (voir les explications détaillées dans cette page qui précise la politique éditoriale de Framabook). Nous faisons ici une exception en limitant la publication à ce blog, avec l’accord explicite de l’auteur naturellement.

Billet original sur le Medium de OneZero : How To Destroy Surveillance Capitalism

Traduction Framalang : Alain (Mille), Barbidule, draenog, Fabrice, Goofy, Juliette, Lumibd, Laure, LaureR, Mannik,

Comment détruire le capitalisme de surveillance (1)

Cory Doctorow CC-BY-SA Jonathan Worth

PAR CORY DOCTOROW

Note de l’éditeur
Le capitalisme de surveillance est partout. Mais ce n’est pas le résultat d’une malencontreuse dérive ou d’un abus de pouvoir des entreprises, c’est le système qui fonctionne comme prévu. Tel est le propos du nouvel essai de Cory Doctorow, que nous sommes ravis de publier intégralement ici sur OneZero. Voici comment détruire le capitalisme de surveillance.

La Toile aux mille mensonges

Le plus surprenant dans la renaissance au 21e siècle des partisans de la Terre plate c’est l’étendue des preuves contre leur croyance. On peut comprendre comment, il y a des siècles, des gens qui n’avaient jamais pu observer la Terre d’un point suffisamment élevé pour voir la courbure de la Terre aient pu en arriver à la croyance « pleine de bon sens » que la Terre, qui semblait plate, était effectivement plate.

Mais aujourd’hui, alors que les écoles primaires suspendent régulièrement des caméras GoPro à des ballons-sondes et les envoient assez haut pour photographier la courbure de la Terre – sans parler de la même courbure devenue banale à voir depuis le hublot d’un avion – il faut avoir une volonté de fer pour maintenir la croyance que le monde est plat.

Il en va de même pour le nationalisme blanc et l’eugénisme : à une époque où l’on peut devenir une simple donnée de la génomique computationnelle en prélevant un échantillon d’ADN dans sa joue et en l’envoyant à une entreprise de séquençage génétique avec une modeste somme d’argent, la « science des races » n’a jamais été aussi facile à réfuter.

Nous vivons un âge d’or où les faits sont à la fois aisément disponibles et faciles à nier. Des conceptions affreuses qui étaient demeurées à la marge pendant des décennies, voire des siècles, se sont répandues du jour au lendemain, semble-t-il.

Lorsqu’une idée obscure gagne du terrain, il n’y a que deux choses qui puissent expliquer son ascension : soit la personne qui exprime cette idée a bien amélioré son argumentation, soit la proposition est devenue plus difficile à nier face à des preuves de plus en plus nombreuses. En d’autres termes, si nous voulons que les gens prennent le changement climatique au sérieux, nous pouvons demander à un tas de Greta Thunberg de présenter des arguments éloquents et passionnés depuis des podiums, gagnant ainsi nos cœurs et nos esprits, ou bien nous pouvons attendre que les inondations, les incendies, le soleil brûlant et les pandémies fassent valoir leurs arguments. En pratique, nous devrons probablement faire un peu des deux : plus nous bouillirons et brûlerons, plus nous serons inondés et périrons, plus il sera facile aux Greta Thunberg du monde entier de nous convaincre.

Les arguments en faveur de croyances ridicules en des conspirations odieuses, comme ceux des partisans anti-vaccination, des climato-sceptiques, des adeptes de la Terre plate ou de l’eugénisme ne sont pas meilleurs que ceux de la génération précédente. En fait, ils sont pires parce qu’ils sont présentés à des personnes qui ont au moins une connaissance basique des faits qui les réfutent.

Les anti-vaccins existent depuis les premiers vaccins, mais les premiers anti-vaccins s’adressaient à des personnes moins bien équipées pour comprendre les principes de base de la microbiologie et qui, de plus, n’avaient pas été témoins de l’éradication de maladies meurtrières comme la polio, la variole ou la rougeole. Les anti-vaccins d’aujourd’hui ne sont pas plus éloquents que leurs prédécesseurs, et ils ont un travail bien plus difficile.

Ces théoriciens conspirationnistes farfelus peuvent-ils alors vraiment réussir grâce à des arguments supérieurs ?

Certains le pensent. Aujourd’hui, il est largement admis que l’apprentissage automatique et la surveillance commerciale peuvent transformer un théoricien du complot, même le plus maladroit, en un Svengali capable de déformer vos perceptions et de gagner votre confiance, ce grâce au repérage de personnes vulnérables, à qui il présentera des arguments qu’une I.A. aura affinés afin de contourner leurs facultés rationnelles, transformant ainsi ces gens ordinaires en platistes, en anti-vaccins ou même en nazis.
Lorsque la RAND Corporation accuse Facebook de « radicalisation » et lorsque l’algorithme de Facebook est tenu pour responsable de la diffusion de fausses informations sur les coronavirus, le message implicite est que l’apprentissage automatique et la surveillance provoquent des changements dans notre conception commune de ce qui est vrai.

Après tout, dans un monde où les théories de conspiration tentaculaires et incohérentes comme le Pizzagate et son successeur, QAnon, ont de nombreux adeptes, il doit bien se passer quelque chose.

Mais y a-t-il une autre explication possible ? Et si c’étaient les circonstances matérielles, et non les arguments, qui faisaient la différence pour ces lanceurs de théories complotistes ? Et si le traumatisme de vivre au milieu de véritables complots tout autour de nous – des complots entre des gens riches, leurs lobbyistes et les législateurs pour enterrer des faits gênants et des preuves de méfaits (ces complots sont communément appelés « corruption ») – rendait les gens vulnérables aux théories du complot ?

Si c’est ce traumatisme et non la contagion – les conditions matérielles et non l’idéologie – qui fait la différence aujourd’hui et qui permet une montée d’une désinformation détestable face à des faits facilement observables, cela ne signifie pas que nos réseaux informatiques soient irréprochables. Ils continuent à faire le gros du travail : repérer les personnes vulnérables et les guider à travers une série d’idées et de communautés toujours plus extrémistes.

Le conspirationnisme qui fait rage a provoqué de réels dégâts et représente un réel danger pour notre planète et les espèces vivantes, des épidémies déclenchées par le déni de vaccin aux génocides déclenchés par des conspirations racistes en passant par l’effondrement de la planète causé par l’inaction climatique inspirée par le déni. Notre monde est en feu et nous devons donc l’éteindre, trouver comment aider les gens à voir la vérité du monde, au-delà des conspirations qui les ont trompés.

Mais lutter contre les incendies est une stratégie défensive. Nous devons prévenir les incendies. Nous devons nous attaquer aux conditions matérielles traumatisantes qui rendent les gens vulnérables à la contagion conspirationniste. Ici aussi, la technologie a un rôle à jouer.

Les propositions ne manquent pas pour y remédier. Du règlement de l’UE sur les contenus terroristes, qui exige des plateformes qu’elles contrôlent et suppriment les contenus « extrémistes », aux propositions américaines visant à forcer les entreprises technologiques à espionner leurs utilisateurs et à les tenir pour responsables des discours fallacieux de leurs utilisateurs, il existe beaucoup d’énergie pour forcer les entreprises technologiques à résoudre les problèmes qu’elles ont créés.

Il manque cependant une pièce essentielle au débat. Toutes ces solutions partent du principe que les entreprises de technologie détiennent la clé du problème, que leur domination sur l’Internet est un fait permanent. Les propositions visant à remplacer les géants de la tech par un Internet plus diversifié et pluraliste sont introuvables. Pire encore : les « solutions » proposées aujourd’hui exigent que les grandes entreprises technologiques restent grandes, car seules les très grandes peuvent se permettre de mettre en œuvre les systèmes exigés par ces lois.

Il est essentiel de savoir à quoi nous voulons que notre technologie ressemble si nous voulons nous sortir de ce pétrin. Aujourd’hui, nous sommes à un carrefour où nous essayons de déterminer si nous voulons réparer les géants de la tech qui dominent notre Internet, ou si nous voulons réparer Internet lui-même en le libérant de l’emprise de ces géants. Nous ne pouvons pas faire les deux, donc nous devons choisir.

Je veux que nous choisissions judicieusement. Dompter les géants de la tech est essentiel pour réparer Internet et, pour cela, nous avons besoin d’une action militante pour nos droits numériques.

Le militantisme des droits numériques après un quart de siècle

Le militantisme pour les droits numériques est plus que trentenaire à présent. L’Electronic Frontier Foundation a eu 30 ans cette année ; la Free Software Foundation a démarré en 1985. Pour la majeure partie de l’histoire du mouvement, la plus grande critique à son encontre était son inutilité : les vraies causes à défendre étaient celle du monde réel (repensez au scepticisme qu’a rencontré la Finlande en déclarant que l’accès au haut débit est un droit humain, en 2010) et le militantisme du monde réel ne pouvait exister qu’en usant ses semelles dans la rue (pensez au mépris de Malcolm Gladwell pour le « clictivisme »).

Mais à mesure de la présence croissante de la tech au cœur de nos vies quotidiennes, ces accusations d’inutilité ont d’abord laissé place aux accusations d’insincérité (« vous prêtez attention à la tech uniquement pour défendre les intérêts des entreprises de la tech », puis aux accusations de négligence (« pourquoi n’avez-vous pas prévu que la tech pourrait être une force aussi destructrice ? »). Mais le militantisme pour des droits numériques est là où il a toujours été : prêter attention aux êtres humains dans un monde où la tech prend inexorablement le contrôle.

La dernière version de cette critique vient sous la forme du « capitalisme de surveillance », un terme inventé par la professeure d’économie Shoshana Zuboff dans son long et influent livre de 2019, The Age of Surveillance Capitalism : The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power (à paraître en français le 15/10/2020 sous le titre L’Âge du capitalisme de surveillance). Zuboff avance que le « capitalisme de surveillance » est une créature unique de l’industrie de la tech et qu’au contraire de toute autre pratique commerciale abusive dans l’histoire, elle est « constituée par des mécanismes d’extraction imprévisibles et souvent illisibles, de marchandisation et de contrôle qui éloignent en réalité les personnes de leur comportement propre, tout en créant de nouveaux marchés de prédiction et de modification comportementales. Le capitalisme de surveillance défie les normes démocratiques et s’écarte de manière décisive de l’évolution du capitalisme de marché au cours des siècles ». C’est une forme nouvelle et mortelle du capitalisme, un « capitalisme scélérat », et notre manque de compréhension de ses capacités et dangers sans précédents représente une menace existentielle pour l’espèce entière. Elle a raison sur la menace que représente actuellement le capitalisme pour notre espèce, et elle a raison de dire que la tech pose des défis uniques à notre espèce et notre civilisation, mais elle se trompe vraiment sur la manière dont la tech est différente et sur la façon dont elle menace notre espèce.

De plus, je pense que son diagnostic incorrect nous mènera dans une voie qui finira par renforcer les géants de la tech, au lieu de les affaiblir. Nous devons démanteler les géants et, pour cela, nous devons commencer par identifier correctement le problème.

L’exception de la tech, hier et d’aujourd’hui

Les premiers critiques du mouvement des droits numériques, dont les meilleurs représentants sont peut-être les organisations militantes comme l’Electronic Frontier Foundation, la Free Software Foundation, Public Knowledge ou d’autres, qui mettent l’accent sur la préservation et l’amélioration des droits humains dans un environnement numérique, ont diabolisé les militants en les accusant de défendre « une exception technologique ». Au tournant du nouveau millénaire, les gens sérieux ridiculisaient toute affirmation selon laquelle les réglementations sur la tech pouvaient avoir un impact sur « le monde réel ». Les craintes exprimées sur la possibilité que les réglementations de la tech aient des conséquences sur les libertés d’expression, d’association, de vie privée, sur les fouilles et saisies, les droits fondamentaux et les inégalités, tout cela était qualifié de grotesque, comme une prétention à faire passer les inquiétudes de tristes nerds se disputant à propos de Star Trek sur des forums au-dessus des luttes pour les droits civiques, des combats de Nelson Mandela et du soulèvement du Ghetto de Varsovie.

Au cours des décennies suivantes, les accusations d’« exception technologique » n’ont fait que s’affûter alors que le rôle de la tech dans la vie quotidienne s’est affirmé : maintenant que la tech s’est infiltrée dans tous les recoins de nos vies et que notre présence en ligne a été monopolisée par une poignée de géants, les défenseurs des libertés numériques sont accusés d’apporter de l’eau au moulin des géants de la tech pour couvrir les négligences (ou pire encore, leurs manœuvres malfaisantes) qui servent leurs propres intérêts.

De mon point de vue, le mouvement pour les droits numériques est resté immobile alors que le reste du monde a progressé. Depuis sa naissance, la préoccupation principale du mouvement était les utilisateurs, ainsi que les créateurs d’outils numériques qui fournissaient le code dont ils avaient besoin pour concrétiser les droits fondamentaux. Les militants pour les droits numériques ne se sentaient concernés par les entreprises que dans la mesure où elles agissaient pour faire respecter les droits des utilisateurs (ou, tout aussi souvent, quand les entreprises agissaient de manière tellement stupide qu’elles menaçaient d’adopter de nouvelles règles qui rendraient plus difficile pour les bons élèves d’aider les utilisateurs).

La critique du « capitalisme de surveillance » a remis en lumière les militants pour les droits numériques : non pas comme des alarmistes qui surestiment l’importance de leurs nouveaux joujoux, ni comme des complices des géants de la tech, mais plutôt comme des brasseurs d’air tranquilles dont le militantisme de longue date est un handicap qui les empêche de discerner de nouvelles menaces, alors qu’ils continuent de mener les combats technologiques du siècle dernier.

Mais l’exception de la tech est une lourde erreur, peu importe qui la commet.

illustration de Shira Inbar




Sepia Search : our search engine to promote PeerTube

Today we are opening a new door on PeerTube, making it easier to discover videos that are published in a federation that is growing every day.

PeerTube is the alternative we are developing so that everyone can emancipate their videos from YouTube and the likes. Except that unlike YouTube, PeerTube is not a single platform.

PeerTube is a software that specialists can install on a server to create multiple video platforms (called « instances »), which can be linked together within a federation.

Opening the door on a diverse federation

The problem with federation is that it is much more varied and complex than a one-website platform. It’s all well and good to decentralize to prevent the creation of new web giants, but where’s the front door?

Do we really need to explain the notion of instance? Insist on the need to find one’s own and therefore to learn about the federation policies of each instance? … to someone who simply asks :

But… I just wanted to watch videos!



The solution would be to create a search engine for all the videos published through PeerTube.

If you open a single gateway to the federation, then the structure that holds the keys to that gate gets great powers. They get the power to decide what will be accepted (or rejected) in the search directory. They get the power to record who searched for what, when, from where. And they get the power to intervene in the order and display of the results.

It is on such power mechanisms that Google has built its monopoly. Obviously, at Framasoft, we do not seek to be in a position of power… and even less to follow Google’s (bad) example! Nevertheless, we want to show the emancipating potential of this software which allows to reclaim the means to stream videos.

We therefore take the responsibility of opening Sepia Search, our gateway to videos and videomakers on PeerTube. It’s a door we open while limiting as much as possible the power we’d get, to keep respecting your attention as well as your browsing.

Presenting PeerTube without monopolizing attention

In the federation universe, the « fediverse », there are many PeerTube instances where people can sign up and create as many channels as they want, channels where they can upload their videos.

Our goal with Sepia Search is not to present all of this content. We simply want to show you the space of autonomy that PeerTube opens up, respecting the values of transparency, openness and freedom that we have been defending for more than 16 years.

Here is Sepia, PeerTube’s mascot – Illustration CC-By David Revoy

A publicly auditable indexing tool (transparency)

Behind Sepia Search, there are two softwares.

The first one is the engine: it is the software where you enter a search, it compares this search with the list of contents in its directory, and then gives the matching results.

The second one is the bodywork, the chassis: it is the software that will present the search bar, receive the request you typed, and show you the results, specifying in orange where you will go when you click on « Go and watch this video ».

The source code, the « recipe » of each of these softwares, is transparent. We publish it on our software forge. Anyone who is able to read this code can do so, and determine if there are tools to cheat with the results display, or others to spy on your behavior.

We already know that these codes are ethical and do not spy on you. We have a good reason: as stated in our TOS, we are really, really not interested in your data!

An a posteriori moderated search engine (openness)

Not all PeerTube instances will be referenced on Sepia Search. This search engine will be based on the list of instances we maintain at instances.joinpeertube.org.

We recently announced a change in the indexing policy for this list, to align with the policy for all of the services we offer:

Thus, if we are notified of an instance where contents explicitly condone terrorism or promote historical revisionism, we will remove it from the index (non-compliance with French laws, which we insist on in our TOS). Such removal will eliminate all videos hosted by that instance from the search results.

On the other hand, if one or more people come to abuse the time of our moderators with inappropriate and abusive reports, their word will be discredited and ignored (as indicated in our moderation policy (FR)).

This moderation, which we hope will be as light as possible, will allow us to limit the results offered by Sepia Search to videomakers who upload original content and to channels (or even instances) that contribute to emancipate.

Illustration CC-By David Revoy

A reproducible tool, adaptable to your conditions (freedom)

It may sound paradoxical to talk about openness in order to detail the conditions under which we close Sepia Search to certain content (especially illegal content).

However, at Framasoft, we believe in the paradox of tolerance, and therefore that openness can only be maintained if the limits of this openness are honestly defined and defended.

We are aware that this is a point of view we get from our French culture (or even from Western European culture). It may, for example, shock people from a North American culture (where unconditional Free Speech is a cultural norm) or from « official » Chinese culture (where, currently, the government sets strict limits on freedom of expression).

We don’t want to impose our culture, nor do we want to deny it. This is why we made sure, legally and technically, that everyone is free to set and host their own instance list, indexing engine and search site, by copying and adapting what we have created.

Sepia Search is just our gateway to PeerTube. This site aims to introduce you to the emancipatory PeerTube we work for, with our culture, activism and subjectivity.

Expecting an actor to do everything, all by theirself, is in fact a reflex of submission to the internet of platforms. It is up to you to take the power (and responsibilities) by hosting your search engine, set up according to your culture, your indexing policy and your values!

Illustration CC-By David Revoy

What Sepia Search can do for you

If we’ve done a good work , Sepia Search will allow you to discover videos and therefore channels (or even PeerTube instances) that will interest you!

The Sepia Search site has been designed to inform you while respecting your attention:

  • The results will be the same for everyone, based only on your search (and the language of your browser’s language), and absolutely not pre-sorted according to a profile (because there is no profiling, here!);
  • The results are presented in a clear and detailed way, to avoid the attention war leading to clickbait thumbnails and all caps over-the-top titles;
  • Search filters give you the power to sort the results out and display those you really want;
  • If you want to see a video from the results, Sepia Search will redirect you directly to the instance where it is hosted (since we have no interest in locking you into the search engine’s website). This is a way to help anyone experience and understand the notion of federation.

The 2 first results when you type « Talk » in.

The search engine that runs Sepia Search is a free « libre » software, which means that it is open to modifications and adaptations. More advanced uses (through what is called an API) will very quickly allow even more emancipation.

For example, Internet users using Firefox will be able to add Sepia Search to the list of search engines in their browser directly from the site. Likewise, our engine (or another installation of the same engine) will be a tool for extensions that notify you when a YouTube video is also available on PeerTube, and will probably contribute to their efficiency.

A Community Funded Tool

Sepia Search is an additional and necessary step in the roadmap to PeerTube v3, for which a crowdfunding is still underway.

Being able to search for videos in the federation was in high demand, which is why we made it the first step in our roadmap. Prior to PeerTube v2.3, when using the search bar for an instance, results were limited to the videos in the federation bubble of that instance.

Thanks to your donations which have funded our work, we released version 2.3 of PeerTube at the end of July. Since then, the same search can now display results from all PeerTube instances listed in a « Search PeerTube » search engine, including the one we provide.

However, the usage surveys conducted by Marie-Cécile (the designer who has been working with us on this roadmap to improve PeerTube) and the feedback we have received from you has made us realize that this was not enough: we also needed a specific web site to promote this search engine.

Click to try SepiaSearch

Your donations fund our freedom of action: we understood the need, so we announced in mid-August that we were going to rearrange our workload and free some time up to fulfill the need, which we felt was a priority. This is how Sepia Search was born.

Last stop before the live!

There is now one big straight line on our roadmap to PeerTube v3: implementing live, peer-to-peer video streaming! As we announced, this will be a first implementation of this feature, and it will be very spartan (no chat module, no filters, no emoticons).

Illustration CC-By David Revoy

At the time of writing, nearly 1,000 people have funded €42,000 of the €60,000 needed to fully develop this v3. While the world is facing a pandemic, we did not find it decent to condition these developments to your donations. Whether we collect the €60,000 or not, we will produce this v3, even if we have to do it on our own funds (which we did for the v2).

We still hope that some of you will share our values and our approach, and that by talking about this project as widely as possible, we will manage to raise this sum (and not to overstretch our budget for next year!).

To support PeerTube, please consider sharing the roadmap page where anyone can make a donation!

 

Learn more

Learn even more (experts)




Sepia Search : notre moteur de recherche pour découvrir PeerTube

Nous ouvrons aujourd’hui une nouvelle porte d’entrée vers PeerTube, pour faciliter la découverte des vidéos qui sont publiées dans une fédération qui grandit de jour en jour.

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

PeerTube, c’est l’alternative que nous développons pour que chacun·e puisse émanciper ses vidéos des YouTube et autres TikTok. Sauf qu’à l’inverse de YouTube, Peertube n’est pas une plateforme unique.

PeerTube est un logiciel que des spécialistes peuvent installer sur un serveur pour créer de nombreuses plateformes vidéos (des « instances »), qui peuvent se relier entre elles au sein d’une fédération.

Une porte d’entrée vers une fédération diverse

Le problème, avec les fédérations, c’est qu’elles sont beaucoup plus variées et complexes qu’une plateforme à guichet unique. C’est bien joli de décentraliser pour empêcher la création de nouveaux géants du Web, mais elle est où la porte d’entrée ?

Doit-on vraiment expliquer la notion d’instance ? Insister sur le besoin de trouver la sienne et donc de se renseigner sur les politiques de fédération de chaque instance ? … à une personne qui demande simplement :

Mais… moi, je voulais juste regarder des vidéos !

La solution serait de créer un moteur de recherche pour toutes les vidéos publiées grâce à PeerTube.

Si l’on ouvre une porte d’entrée unique vers la fédération, alors la structure qui détient les clés de cette porte prend le pouvoir. Elle prend le pouvoir de décider ce qui sera accepté (ou refusé) dans l’annuaire de recherche, elle prend le pouvoir de noter qui a cherché quoi, quand, depuis où, et elle prend le pouvoir d’intervenir dans l’affichage et l’ordre des résultats.

C’est sur de tels mécanismes de pouvoir que Google a construit son monopole. Autant vous dire que, chez Framasoft, nous ne cherchons pas à être en situation de pouvoir… et encore moins à suivre le (mauvais) exemple de Google ! Pour autant, nous voulons montrer le potentiel émancipateur de ce logiciel qui permet de se réapproprier les moyens de diffusion.

Nous prenons donc la responsabilité de vous ouvrir Sepia Search, notre porte d’entrée vers des vidéos et des vidéastes sur PeerTube… Une porte que nous ouvrons en limitant au maximum les pouvoirs qui lui sont associés, pour respecter votre attention comme votre navigation.

Présenter PeerTube sans monopoliser les attentions

Dans l’univers de la fédération, le « fédiverse », on trouve de nombreuses instances PeerTube où des personnes s’inscrivent pour créer autant de chaînes qu’elles veulent, des chaînes où ces personnes peuvent publier leurs vidéos.

Notre objectif, avec Sepia Search, n’est pas de présenter l’intégralité de ces contenus. Nous voulons simplement vous montrer l’espace d’autonomie qu’ouvre PeerTube, en respectant les valeurs de transparence, d’ouverture et de liberté que nous défendons depuis plus de 16 ans.

Voici Sepia, læ mascotte de PeerTube – Illustration de David Revoy (CC-By)

Un outil d’indexation publiquement auditable (transparence)

Derrière Sepia Search, il y a deux logiciels.

Le premier, c’est le moteur : c’est le logiciel dans lequel on entre une recherche, qui compare cette recherche avec la liste des contenus de son annuaire, et qui donne les résultats correspondants.

Le deuxième, c’est la carrosserie : c’est le logiciel qui va présenter la barre de recherche, recevoir la demande que vous avez saisie, et vous afficher les résultats en précisant bien en orange où vous vous rendrez lorsque vous cliquerez sur « Aller voir cette vidéo ».

Le code source, la « recette de cuisine » de chacun de ces logiciels, est publié en toute transparence sur notre forge logicielle. N’importe quelle personne sachant lire ce code peut l’examiner, et déterminer s’il existe des outils pour tricher dans l’affichage des résultats, ou d’autres pour espionner vos comportements.

Nous, nous savons déjà que ces codes sont éthiques et ne vous espionnent pas. Nous avons une bonne raison : comme c’est marqué dans nos CGU, vos données ne nous intéressent vraiment, mais alors vraiment pas !

Un moteur de recherche modéré a posteriori (ouverture)

Toutes les instances PeerTube ne seront pas référencées sur Sepia Search. Ce moteur de recherche opèrera sur la liste d’instances que nous maintenons sur instances.joinpeertube.org.

Nous avons récemment annoncé un changement dans la politique d’indexation de cette liste afin qu’elle s’aligne sur la politique de l’ensemble des services que nous proposons :

Ainsi, si l’on nous signale une instance dont les contenus font explicitement l’apologie du terrorisme ou promeuvent le révisionnisme historique, nous la retirerons de l’index (non-respect des lois françaises, sur lequel nous insistons dans nos CGU), ce qui éliminera des résultats de recherche toutes les vidéos hébergées par cette instance.

A contrario, si une ou des personnes viennent abuser du temps de nos modérateur⋅ices par des signalements intempestifs et sans fondement, leur parole sera discréditée et ignorée (comme l’indique notre charte de modération).
Cette modération nous permettra de limiter les résultats proposés par Sepia Search aux vidéastes qui font des créations originales et aux chaînes (voire aux instances) qui contribuent à émanciper les esprits. Nous souhaitons qu’elle soit aussi légère que possible.

Illustration de David Revoy (CC-By)

Un outil reproductible, adaptable à vos conditions (liberté)

Il peut sembler paradoxal de parler d’ouverture pour détailler dans quelles conditions nous fermons Sepia Search à certains contenus (notamment illégaux).

Pourtant, à Framasoft, nous croyons au paradoxe de la tolérance, et donc que l’ouverture ne peut perdurer que si les limites de cette ouverture sont honnêtement définies et défendues.

Nous avons conscience qu’il s’agit là d’un point de vue venant de notre culture française, voire d’Europe de l’ouest. Il peut, par exemple, choquer des personnes de culture nord-américaine (où se pratique un Free Speech inconditionnel) ou de culture chinoise « officielle » (où, actuellement, le gouvernement pose des limites strictes à la liberté d’expression).

Nous ne voulons ni imposer notre culture, ni la renier. C’est pourquoi nous avons fait en sorte, légalement comme techniquement, que chacun·e soit libre d’éditer sa propre liste d’instances, son moteur d’indexation et son site de recherche, en copiant et adaptant ce que nous avons créé.

Sepia Search n’est que notre porte d’entrée vers PeerTube. Ce site a pour objectif de vous présenter le PeerTube émancipateur pour lequel nous travaillons, avec notre culture, notre militance et notre subjectivité.

Attendre d’un acteur qu’il fasse tout, tout seul, c’est finalement un réflexe de soumission à l’Internet des plateformes. Libre à vous de prendre le pouvoir (et les responsabilités) en hébergeant votre moteur de recherche, paramétré selon votre culture, votre politique d’indexation et vos valeurs !

Illustration de David Revoy (CC-By)

Ce que Sepia Search peut faire pour vous

Si nous avons bien travaillé, Sepia Search va vous permettre de découvrir des vidéos, donc des chaînes (voire des instances PeerTube) qui vous intéresseront !

Le site Sepia Search a été conçu pour vous informer en respectant votre attention :

  • Les résultats seront les mêmes pour tout le monde, en fonction uniquement de votre recherche (et de la langue de votre navigateur), et absolument pas pré-triés selon un profil (parce qu’il n’y a pas de profilage !) ;
  • Les résultats sont présentés de manière claire et détaillée, afin d’éviter la course à la vignette putassière et aux titres criards tout en majuscules ;
  • Les filtres de recherches vous donnent le pouvoir de trier l’affichage des résultats de manière avancée ;
  • Si vous voulez voir la vidéo, Sepia Search vous redirigera directement sur l’instance où elle est hébergée (puisque nous n’avons aucun intérêt à vous enfermer dans le site web du moteur de recherche). Cela permet au passage de montrer concrètement la notion de fédération.

Les 2 premiers résultats de la recherche du mot « critique », en filtrant pour ne garder que des vidéos en langue française.

Le moteur de recherche qui fait tourner Sepia Search est un logiciel libre, ce qui signifie qu’il est ouvert aux modifications et adaptations. Des usages plus poussés (passant par ce qu’on appelle une API) vont très vite permettre encore plus d’émancipation.

Par exemple, les internautes utilisant Firefox pourront ajouter Sepia Search à la liste des moteurs de recherche de leur navigateur directement depuis le site. De même, notre moteur (ou une autre installation du même moteur) pourra servir aux extensions qui permettent de signaler quand une vidéo YouTube est aussi disponible sur PeerTube, afin de les rendre plus performantes.

Un outil financé par la communauté

Sepia Search est une étape supplémentaire et nécessaire à la feuille de route vers la v3 de PeerTube, pour laquelle une collecte est toujours en cours.

Le fait de pouvoir rechercher des vidéos dans la fédération était très demandé : c’est pourquoi nous en avons fait la première étape de notre feuille de route. En effet, avant la version 2.3 de PeerTube, lorsqu’on utilisait la barre de recherche d’une instance, les résultats se limitaient aux vidéos dans la bulle de fédération de cette instance.

Grâce à vos dons qui ont financé notre travail, nous avons publié fin juillet la version 2.3 de PeerTube. Depuis, la même recherche peut désormais afficher les résultats de toutes les instances PeerTube listées dans un moteur de recherche « Search PeerTube », dont celui que nous mettons à disposition.

Cependant, les enquêtes d’utilisation menées par Marie-Cécile (la designer qui s’est engagée avec nous sur cette feuille de route afin d’améliorer PeerTube) et les retours dont vous nous faites part nous ont permis de comprendre que c’était insuffisant : il fallait, en plus, un site web spécifique, faisant office de moteur de recherche.

Cliquez pour découvrir SepiaSearch

Vos dons financent notre liberté d’action : nous avons vu ce manque, et nous avons annoncé mi-août que nous allions réaménager notre plan d’action et dégager du temps pour y remédier, ce qui nous semblait prioritaire. Voici comment est né Sepia Search.

Dernier arrêt avant le live !

Il reste désormais une seule et grosse ligne droite sur notre feuille de route vers la v3 de PeerTube : implémenter la diffusion de vidéos en direct et en pair à pair ! Comme nous l’avons annoncé, il s’agira là d’une première version de cette fonctionnalité, et elle sera très spartiate (sans module de tchat, ni filtres, ni réactions émoticonées).

Illustration de David Revoy (CC-By)

À l’heure où nous écrivons ces lignes, près de 1 000 personnes ont financé 42 000 € sur les 60 000 € nécessaires au développement complet de cette v3. Alors que le monde entier fait face à une pandémie, nous n’avons pas trouvé décent de conditionner ces développements à vos dons. Que nous récoltions les 60 000 € ou non, nous produirons cette v3, quitte à le faire sur nos fonds propres (ce que nous avions déjà fait pour la v2).

Nous espérons malgré tout que certain·es d’entre vous partagerons nos valeurs et notre démarche, et qu’en parlant de ce projet le plus largement possible, nous parviendrons à réunir cette somme (et à ne pas gréver notre budget pour l’an prochain !).

Pour soutenir PeerTube, pensez à partager la page de la feuille de route sur laquelle vous pouvez faire un don !

 

Pour aller plus loin

Pour aller encore plus loin (expert·es)




Liiibre, une solution complète pour vos projets collaboratifs

Hier, mardi 15 septembre, les copains et copines de Indie Hosters (structure membre du Collectif des Hébergeurs Alternatifs Transparents Ouverts Neutres et Solidaires) ont officiellement mis en ligne leur nouvelle solution : Liiibre. Iels nous avaient parlé de ce projet pendant la période de confinement et au sein de Framasoft, on les avait encouragé⋅es dans cette voie. En effet, chez Framasoft, nous  accompagnons depuis plusieurs années les organisations qui prennent conscience de la nécessité de mettre en cohérence leurs outils numériques et leurs valeurs. Avec cette solution, c’est dorénavant bien plus simple pour elles de migrer sur des outils libres et émancipateurs. Nous vous proposons donc une petite présentation de cette solution en mode interview.

 


Alors, c’est quoi exactement Liiibre ?
Liiibre, c’est un espace sécurisé avec un compte pour chaque usager·e donnant accès aux meilleurs outils libres pour collaborer en ligne dans une seule interface unifiée : stockage de données, agendas partagés (Nextcloud), édition de documents (OnlyOffice), messagerie instantanée (RocketChat) et visioconférence (Jitsi). Avec un seul mot de passe, chaque usager·e accède facilement à l’ensemble des outils.

Illustrations originales de Thibault Daumain sous licence CC BY-NC-SA 4.0

Nous sommes partis du constat que sensibiliser à l’usage des outils libres sur de petites infrastructures locales (comme le font les CHATONS) c’est très important, mais qu’il devient indispensable, encore plus depuis la crise de la COVID19 où les besoins de collaborer en ligne se sont multipliés massivement, de proposer un service professionnel robuste et à plus grande échelle. C’est pourquoi nous avons choisi de déployer Liiibre avec Kubernetes, une infrastructure technique qui permet ce passage à l’échelle.

Qui est à l’origine de ce projet ?
C’est l’association IndieHosters. Nous sommes un collectif de personnes provenant d’horizons divers, dotées de compétences/réseaux spécifiques, qui développent un regard transversal sensible aux enjeux humains, écologiques, techniques, économiques, pédagogiques, artistiques, juridiques et politiques et mues par le désir d’inscrire l’association dans l’avenir des communs numériques. Depuis 2016, IndieHosters s’est spécialisé dans la mise à disposition d’outils en ligne répondant à toute une variété d’usages allant du blog au forum, en passant par le réseau social Mastodon ou encore la collaboration en ligne.

Conscients de la nécessité de s’émanciper collectivement des GAFAM, retrouver la maîtrise de nos données et raviver l’utopie concrète que porte en ses gènes l’idée même d’Internet, nous nous sommes donné pour mission de faciliter la transition vers un numérique éthique. Pour tenter d’avancer plus loin dans cette voie, nous nous sommes dernièrement constitué·es en association à but non lucratif et avons choisi de concentrer nos efforts à répondre au besoin le plus pressant aujourd’hui pour les organisations : la collaboration en ligne. Car travailler ensemble à fabriquer l’avenir, nécessite aussi d’utiliser des outils cohérents avec ses idées et valeurs.

Cette aventure a aussi été l’occasion d’étoffer le collectif : de deux personnes, nous sommes passés à six membres dans le collège de l’association. De nombreux contributeur⋅ices nous ont également rejoints, notamment pour mettre en place une équipe dédiée à l’accompagnement, en lien avec un réseau national de formateur⋅ices et de facilitateur⋅ices. Nous pensons en effet que dans un cadre collectif, ce qui va amener chacun·e à tirer les fruits des outils collaboratifs est lié à la qualité de l’animation qui relie l’équipe.

C’est pour qui ?
En mars dernier, alors que toute la France s’est retrouvée confinée, nous nous sommes demandé comment nous pouvions être utiles dans ce contexte inédit, conscients que les tissus coopératifs et associatifs allaient être touchés de plein fouet par la crise.

Durant cette période, les particuliers comme les entreprises se sont mis massivement à recourir à des solutions leur permettant de travailler en ligne. Pour certain⋅es, ce fut l’occasion de découvrir de nouveaux outils, et surtout de nouvelles manières de collaborer. Seulement ces outils nécessitent d’être hébergés quelque part. S’il est possible de faire appel à des hébergeurs éthiques comme les CHATONS pour quelques utilisateur⋅ices, il nous a semblé qu’il était temps de proposer une solution professionnelle et fiable aux entreprises et associations afin qu’elles puissent s’organiser avec des outils respectueux de leurs données et de leur autonomie.

Illustrations originales de Thibault Daumain sous licence CC BY-NC-SA 4.0

Liiibre est donc destiné aux organisations allant d’une trentaine à plusieurs centaines de personnes qui ne souhaitent pas héberger elles-mêmes leurs outils sans pour autant lâcher leur souveraineté sur les données. Si un groupe démarre dans la collaboration en ligne, nous les accompagnons dans la prise en main des outils et surtout dans la découverte des méthodologies de travail à distance en groupe. Et si ce sont des usager·es exigeant·es habitué·es à Google Drive, Slack, et consorts, mais souhaitant reprendre le contrôle sur leurs données, Liiibre s’adresse aussi à elleux.

Pas besoin de se préoccuper de l’hébergement des outils et des données, nous nous en chargeons, en garantissant que nous n’exploiterons jamais les données, ni les métadonnées. Nos outils étant sous licence libre et open source, les usager·es restent également libre de migrer Liiibre chez un autre hébergeur ou sur leurs propres serveurs à tout moment.

Quel est le modèle économique ?
Chez IndieHosters, il n’y a pas de client·e⋅s et nous ne sommes pas prestataires. Ensemble, nous permettons la mise à disposition d’une ressource dont la gestion suit un code social précis qui organise sa pérennité et son statut de commun à long terme sans que cela n’entrave jamais nos libertés, ni la maîtrise de nos données en tant que contributeur·ices.

Illustrations originales de Thibault Daumain sous licence CC BY-NC-SA 4.0

En utilisant Liiibre, non seulement un⋅e usager·e a l’assurance que ses données seront respectées, mais en devenant contributeur⋅ice, iel participe aussi à prouver qu’un modèle économique à échelle locale et humaine où l’on se fait confiance en bonne intelligence est possible sur Internet. Plutôt que de consommer un produit, vous devenez partie prenante d’une ressource commune et de la communauté qui en prend soin.

C’est donc sur ces principes que nous avons calculé le montant de base (8€ par mois pour chaque usager·ère au sein d’une organisation), de manière à ce qu’il permette une viabilité économique tout en étant juste pour les usager·ères. Ce montant est directement lié au coût en infrastructure technique et temps de travail de notre côté, et ne vise pas à faire du profit, seulement à pérenniser les services rendus.

Et parce que chez IndieHosters, c’est l’humain qui passe avant tout, ce montant peut-être réévalué sur la base d’un contrat de réciprocité dans lequel les usager·ères s’engagent à contribuer à la ressource par des moyens différents de la monnaie, ce qui permet à des collectifs d’accéder aux outils sans se ruiner financièrement. De même, si une organisation a les moyens de contribuer en versant le tarif plein, elle soutient en même temps d’autres groupes en leur facilitant l’accès aux outils libres. Elle n’est ainsi pas “cliente” mais bien contributrice de la communauté elle aussi.

En bref, nous gérons la complexité liée à l’hébergement d’outils libres, et nous structurons un modèle économique basé sur les communs qui privilégie le partage et la pérennité des ressources que nous mettons à disposition.




Annuaire des acteurs et actrices de l’accompagnement au numérique libre

En octobre 2019, nous avons publié un article signalant notre besoin d’identifier les acteurs et actrices de l’accompagnement au libre dans lequel nous proposions à toutes celles et ceux qui exercent une activité de médiation numérique (bénévole et/ou professionnelle) autour des logiciels libres de répondre à un questionnaire en ligne.

L’objectif : recenser les personnes, structures et organisations réalisant des accompagnements au numérique libre et publier leurs coordonnées dans un annuaire pour celles qui le désirent. Nous souhaitions d’une part pouvoir estimer la taille de l’écosystème dans lequel nous nous inscrivons, d’autre part pouvoir réorienter les demandes que nous recevons vers d’autres acteur·ices, plus disponibles, plus localisé·es ou plus spécialisé·es que nous.

Une publication retardée pour cause de pandémie mondiale

Nous avons confié ce travail à La dérivation, un collectif d’éducation populaire composé de Mélissa et Lunar, deux camarades de longue date de Framasoft. Nous avons reçu 402 réponses à ce questionnaire. Et après avoir supprimé les réponses vides, les doublons et celles hors du périmètre de l’enquête, nous avons retenu 371 réponses, dont 293 ont choisi de figurer dans l’annuaire.

Nous avions prévu de publier cet annuaire au printemps, mais la diffusion d’un tel recensement au beau milieu d’une pandémie et d’un confinement général ne nous a pas semblé pertinente. Merci pour votre patience concernant ce délai entre l’enquête et la publication des résultats. La « photo » prise par ces documents est de fait déjà un peu datée au moment de sa sortie. Nous espérons cependant qu’elle permettra à celles et ceux qui recherchent un accompagnement dans ce domaine de trouver des contacts adéquats vers lesquels se tourner.

Nous avons fait le choix de ne pas faire figurer dans cet annuaire les structures proposant des accompagnements dédiés à un logiciel ou à une solution technique précise. Notre raisonnement étant que les personnes cherchant un accompagnement sur un outil bien spécifique seront mieux renseignées par une requête type « formations Dolibarr » dans un moteur de recherche.

L’annuaire des acteurs et actrices de l’accompagnement au numérique libre

L’annuaire des accompagnements présente plusieurs moyens de découvrir les données récoltées par ce questionnaire. L’annuaire alphabétique diffuse les informations de chaque répondant⋅e et plusieurs index (type de public, domaine d’intervention, format d’intervention, zone géographique) permettent d’y référer. Diffusé au format .pdf, cet annuaire est à considérer comme un instantané : les informations qui y sont indiquées ne sont peut-être plus à jour et méritent donc d’être vérifiées.

Framasoft menant de front de nombreux projets, nous ne nous lancerons pas dans la mise à jour régulière des données qui composent cet annuaire. Mais en publiant les données brutes, nous permettons à la communauté d’en prendre connaissance pour proposer des modalités de recherche différentes et/ou la création de nouvelles interfaces y donnant accès, et potentiellement permettant de les mettre à jour.

Ces données brutes sont disponibles sous 2 formats. Le fichier Accompagner_au_numérique_donnees_brutes.csv contient les données brutes (séparateur : points virgules ; séparateur de chaînes de caractères : guillemets doubles). Le fichier Accompagner_au_numérique_donnees_brutes.ods est un fichier LibreOffice Calc reprenant ces mêmes données brutes, accompagnées d’un onglet « Glossaire », qui détaille les différentes réponses des questions à choix multiples (séparées par des virgules). Nous avons rédigé un document annexe à destination des personnes souhaitant exploiter les données brutes du questionnaire dans lequel nous avons précisé quelques aspects concernant leur utilisation.

La synthèse des réponses à l’enquête

Les résultats de l’enquête sont présentés dans une synthèse explicative des réponses. Ce sont les grandes tendances que nous avons saisies concernant le statut des intervenant·es, les publics touchés, ainsi que les domaines, formats et zones géographiques des interventions.

Les personnes ayant répondu à ce questionnaire sont pour  39% des bénévoles, pour 33% des professionnels et 27% pratiquent les deux formes d’intervention. Les accompagnements recensés s’adressent plutôt aux néophytes et aux utilisateur·ices quotidien·nes. Les domaines d’intervention les plus souvent cités font écho aux axes principaux d’actions de Framasoft : les alternatives aux GAFAM, les logiciels libres sur ordinateur personnel (plutôt que sur plateformes mobiles) et les outils collaboratifs. Les ateliers pratiques et les accompagnements personnalisés sont les formats d’intervention les plus recensés. Et nous savons désormais que 39% des répondant⋅es ont indiqué proposer des accompagnements en ligne, ce qui, dans le contexte actuel, est une information très utile.

Framasoft tient à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont participé à cette enquête. Nous vous incitons vivement à faire connaître ce document en le partageant au sein de vos communautés. Et nous serions ravi⋅es que d’autres s’emparent à leur tour de cette question et envisagent, en utilisant les données brutes, de proposer des interfaces qui permettraient de mettre à jour facilement cet outil qui répond à une demande forte.




L’Atelier du Chat Perché et les outils libres

Il y a quelques mois, avant que la covid19 ne vienne chambouler notre quotidien, Angie faisait le constat que nous n’avions finalement que très peu documenté sur ce blog les démarches de passage à des outils libres réalisées au sein des organisations. Celles-ci sont pourtant nombreuses à s’être questionnées et à avoir entamé une « degooglisation ». Il nous a semblé pertinent de les interviewer pour comprendre pourquoi et comment elles se sont lancées dans cette aventure. Ce retour d’expérience est, pour Framasoft, l’occasion de prouver que c’est possible, sans ignorer les difficultés et les freins rencontrés, les écueils et erreurs à ne pas reproduire, etc. Peut-être ces quelques témoignages parviendront-ils à vous convaincre de passer au libre au sein de votre structure et à la libérer des outils des géants du Web ?

N’hésitez pas à consulter les autres articles de cette série consacrée à l’autonomisation numérique des organisations.

L’Atelier du Chat Perché est un atelier vélo participatif qui propose des permanences conviviales de mécanique vélo à ses adhérent⋅e⋅s. Lors des permanences, les adhérent⋅e⋅s peuvent venir entretenir et apprendre à réparer leurs bicyclettes. L’atelier vend aussi des vélos d’occasion qui ont été entièrement révisés. L’association participe à de nombreux événements dans Lyon et aux alentours, avec ses vélos bizarres, et propose des ateliers mobiles d’initiation et de formation à la mécanique vélo pour tous publics et toutes structures (écoles, centres sociaux, MJC, collectivités, entreprises).

Nous avons demandé à l’un de ses membres de nous parler de sa démarche de passage à des outils libres.

Bonjour, peux-tu te présenter ? Qui es-tu ? Quel est ton parcours ?
Bonjour, je suis Quentin. Dans le civil, je suis professeur des écoles. Je suis adhérent et bénévole à l’Atelier du Chat Perché depuis 2015. Entre 2016 et 2019, j’ai été membre de la collégiale qui administre l’association et j’ai pris en charge et coordonné la démarche d’autonomisation numérique de l’association. Je n’ai aucune formation en informatique. Je suis un simple sympathisant libriste, sans compétence particulière. Je me considère plutôt comme un utilisateur averti.

Tu nous parles de ton association ?
« Mécanique vélo et Autogestion » sont les mots inscrits sur le logo de l’association. L’Atelier du Chat Perché est donc un atelier de mécanique vélo où l’on vient pour entretenir soi-même sa bicyclette. En mettant des outils à disposition et en proposant une aide bénévole, l’association vise l’autonomie des cyclistes dans l’entretien de leur moyen de transport.

L’association compte 3 salariées et une grosse vingtaine de bénévoles y tient les permanences de mécanique. L’Atelier est géré en collégiale et vise une organisation autogérée. C’est donc un collectif de gestion qui gère l’association en se réunissant une fois par mois pour prendre toutes les décisions. Des commissions et des groupes de travail gèrent des missions particulières et/ou ponctuelles. Une équipe bénévole accueille et organise les permanences de mécanique vélo. Les membres de l’organisation (salarié⋅es et bénévoles) sont plutôt à l’aise avec le numérique, bien qu’il y ait des différences d’un individu à l’autre.

Avant de vous lancer dans cette démarche de dégooglisation, vous utilisiez quels outils / services numériques ?
L’Atelier du Chat Perché proposait un site web hébergé chez Free comme principal moyen de communication externe et utilisait des listes de diffusion (hébergées elles aussi chez Free) pour les échanges entre les membres du collectif de gestion, entre les bénévoles et pour communiquer des informations aux adhérent·es. Nous utilisions aussi quelques Framapad, Framadate et Framacalc pour nous organiser. Pour ce qui est de sa présence sur les réseaux sociaux, l’atelier du Chat Perché n’a jamais utilisé Facebook. Son utilisation a parfois été proposée puis discutée mais toujours rejetée. Les valeurs portées par l’association et celles de Facebook semblent ne pas être compatibles. En revanche, en plus de son infolettre, l’asso utilise les réseaux sociaux diaspora et mastodon pour diffuser automatiquement les publications de son blog.

A l’époque, nous n’avions pas de connexion Internet dans l’atelier. Les services tournaient plutôt bien mais posaient deux problèmes principaux. Tout d’abord, nous étions face à une incohérence : les valeurs de l’association prônent l’autogestion et on avait confié l’hébergement de nos services à un acteur privé. Et puis la gestion de ces outils était totalement centralisée : une seule personne en avait la charge.

Vous avez entamé  une démarche en interne pour migrer vers des outils numériques plus éthiques. Qu’est-ce qui est à l’origine de cette démarche ?
La première motivation était d’être davantage en cohérence avec les valeurs de l’association. Il était évident qu’il nous fallait migrer notre site web et nos listes de diffusion pour ne pas dépendre d’un acteur tel que Free. A titre personnel, j’étais aussi très motivé par cette démarche parce qu’elle allait me permettre d’apprendre à mettre de nouveaux outils en place. J’allais donc enrichir mon expérience et mes compétences, ce qui est totalement en accord avec les valeurs de l’association.

Nous avons donc lancé plusieurs chantiers :

  • mettre en place un nouveau site web afin qu’il soit plus facile à prendre en main par les bénévoles ;
  • réorganiser les contenus d’information qui y étaient publiés pour que ce soit plus clair ;
  • utiliser un service d’auto-hébergement dans la mesure du possible ;
  • transférer certains services (listes de diffusion) ;
  • mettre en place d’autres services (mail, partage de fichiers, infolettres).

Quels sont les moyens humains qui ont été mobilisés sur la démarche ?
Une personne bénévole, en l’occurrence moi-même, ayant peu de compétences techniques mais une expérience d’utilisateur averti, a été chargée de la coordination et de l’administration des services. J’ai fait appel au support bicloud de l’Heureux Cyclage (une sorte de chatons pour le réseau des ateliers vélos) lorsque nous avons eu besoin de compétences techniques. Migrer tous nos outils sur des services libres nous a pris entre deux et trois mois.

logo et contact de l’asso L’heureux cyclage

Peux-tu expliciter les différentes étapes de cette démarche ?
Tout a commencé par une présentation du projet à l’association. La collégiale m’a ensuite chargé de coordonner le projet et m’a transmis toutes les informations nécessaires pour cela (accès aux outils). Conscient de la limite de mes compétences techniques, je me suis rapidement rapproché du bicloud pour me renseigner sur les services proposés. C’est en échangeant avec eux que j’ai pu choisir les outils les plus adaptés aux services numériques dont nous avions besoin. Par exemple, il a fallu choisir quel CMS nous souhaitions utiliser pour notre site web. En revanche, pour les listes de diffusion, le bicloud proposait uniquement le logiciel Sympa et pour le stockage/partage de fichiers, uniquement le logiciel Sparkleshare. Les instances de ces logiciels ont été installées par l’équipe du bicloud. Je n’ai alors plus eu qu’à les configurer.

Avez-vous organisé un accompagnement des utilisateur⋅ices pour la prise en main de ces nouveaux outils ?
Oui, une fois les outils installés et configurés, il a été nécessaire de former les membres du collectif de gestion afin qu’iels puissent publier en autonomie des contenus sur le site web et rédiger l’infolettre. Pour cela, on a proposé des rendez-vous individuels à celleux qui le souhaitaient afin de leur faire la démonstration des nouveaux outils. Et on a aussi programmé un temps de présentation avec questions-réponses pour 4/5 personnes intéressées. Mais je fais le constat que globalement les personnes ne viennent pas bénévoler dans un atelier de mécanique vélo pour gérer des outils informatiques. Il est donc difficile de recruter des bénévoles pour ces tâches qui peuvent paraître loin du cœur de l’activité. D’ailleurs, certaines personnes ont fait un pas de côté et ne se sont pas investies dans les outils informatiques. Mais d’autres se sont remonté les manches et ont pris la mission informatique en main lorsque j’ai quitté le collectif de gestion. Ces personnes ont même déployé d’autre services par la suite (remplacement du Sparkleshare par un Nextcloud).

Quelles difficultés / freins avez-vous rencontrées ?
On a rencontré pas mal de freins : des Cantilever, des V-Brake, des freins à disques, à tambour, à rétropédalage ^^. Plus sérieusement, le frein le plus important, ça a été de maintenir la continuité de ces services. Il est en effet essentiel de penser l’après afin que la personne qui a lancé le processus d’installation des services puisse rapidement transmettre ses compétences à d’autres personnes. Le risque, c’est qu’une fois que les services sont installés, le collectif (qui a d’autres chats à fouetter) s’appuie complètement sur une seule personne pour les faire tourner au quotidien. Et cela peut devenir usant pour ce bénévole qui devient alors indispensable à l’utilisation de ces nouveaux outils.

Et l’avenir ? L’association envisage-t-elle de continuer cette démarche pour l’appliquer à d’autres aspects de son organisation ?
L’association envisage de se doter d’un outil pour communiquer en interne (pour le moment on utilise le mail). On a utilisé le logiciel loomio via le service Framavox pendant un temps, mais peut-être faudrait-il qu’on teste le logiciel Mattermost (Framateam). On verra aussi en fonction de ce que propose le bicloud.

Quels conseils donneriez-vous à d’autres organisations qui se lanceraient dans la même démarche ?
Le premier conseil, ce serait de prendre son temps et d’accepter que ça prenne du temps. Il vaut mieux y aller au fur et à mesure, un ou deux services à la fois. Il est essentiel de réaliser un diagnostic des outils et de leurs usages à un temps T et de s’interroger sur ce qui est réellement utile ou inutile afin de pouvoir définir ensemble ce que l’on veut. Il convient aussi de planifier et prévoir la transmission des connaissances en terme d’utilisation et d’administration des services. Et puis, ça peut être bien de ne pas laisser une seule personne être en charge de la sélection et de l’installation des outils, mais de travailler à plusieurs.

Le mot de la fin, pour donner envie de migrer vers les outils libres ?
Il me semble nécessaire que les associations militantes prennent le temps de mettre en cohérence leurs valeurs et leurs pratiques numériques. Si les associations militantes ne font pas le saut dans le libre, qui va le faire ? Choisir le numérique libre et quitter les GAFAM, c’est comme choisir la bicyclette et se débarrasser de sa bagnole : c’est faire le choix de la résilience, de la convivialité et de l’émancipation.

graf’ sur un mur avec un vélo : la cris epassera, le plaisir restera

Si vous aussi, vous faites partie d’une organisation qui s’est lancée dans une démarche similaire et que vous souhaitez être interviewé, n’hésitez pas à nous envoyer un message pour nous le faire savoir. On sera ravi d’en parler ici !




La dégooglisation de WebAssoc

Il y a quelques mois, avant que la covid19 vienne chambouler notre quotidien, Angie faisait le constat que nous n’avions finalement que très peu documenté sur ce blog les démarches de passage à des outils libres réalisées au sein des organisations. Celles-ci sont pourtant nombreuses à s’être questionnées et à avoir entamé leur « degooglisation ». Il nous a semblé pertinent de les interviewer pour comprendre pourquoi et comment elles se sont lancées dans cette aventure. Ce retour d’expérience est, pour Framasoft, l’occasion de prouver que c’est possible, tout en ne niant pas les difficultés et les freins rencontrés, les écueils à ne pas reproduire, etc. Peut-être arriveront-elles ainsi à vous convaincre de passer au libre au sein de votre structure et à la libérer des outils des géants du web.

N’hésitez pas à consulter les autres articles de cette série consacrée à l’autonomisation numérique des organisations.

Logo de WebAssoc

WebAssoc est une pépite du monde associatif, qui déploie une énergie incroyable pour aider les autres associations à utiliser les outils numériques. Cela fait 2 ans que cette structure a engagé une réflexion sur l’adoption d’outils libres. Nous avons demandé à l’un de ses membres de nous parler de la dégooglisation de cette dynamique association.

Bonjour, peux-tu te présenter ? Qui es-tu ? Quel est ton parcours ?

Bonjour Framasoft. Je suis Jean-Luc, geek de longue date (j’ai débuté sur un ZX81) sans que ce soit mon taf (je bosse dans le tuyau). Je suis arrivé à WebAssoc il y deux ans. Comme je suis branché sur le Libre depuis longtemps, Raphaëlle, notre présidente, m’a demandé de développer son usage dans l’association.

Tu nous parles de ton association ?

Chez WebAssoc, nous sommes plus de 1600 bénévoles et nous avons fait, en 2019, plus de 1 300 actions auprès des associations qui nous sollicitent. Nous mettons en relation des associations humanitaires, d’environnement ou de solidarité avec des bénévoles du numérique qui les forment ou apportent des renforts personnalisés.

Combien de salariées avez-vous ?

Aucun salarié, nous n’avons même pas de compte en banque ! Sur les 1600 qui interviennent ponctuellement, 40 font tourner la machine (recevoir les demandes, les analyser, les proposer, organiser les formations, alimenter les réseaux sociaux, notre site…) et nous sommes 5 dans le bureau.Jean-Luc Mahé

Où se trouvent vos membres ?

Un peu partout, même si nous sommes concentrés sur Paris et les métropoles puisque issus du monde numérique.

En termes d’organisation, y a-t-il une seule entité ? Plusieurs groupes de travail distincts ?

Nous fonctionnons par bulles dans lesquelles nous pouvons avoir plusieurs équipes de 4-5 personnes, C’est très informel et cela nous correspond. Par exemple, je suis en charge de la bulle « tech » qui comporte les équipes « front », « back », « crm » et « cloud », nous assurons toute la partie infrastructure et logiciels.

Tu dirais que les membres de l’association sont plutôt à l’aise avec le numérique ?

Oui, tout le monde est à l’aise. En revanche, nous n’avons pas tous un profil technique, bien au contraire.

Quelles sont les valeurs portées par l’association ?

La joie de donner son savoir et son temps sans se prendre la tête. Avec l’idée que lorsque nous n’apporterons plus rien, nous passerons à autre chose. Mais les événements récents ont montré qu’il reste du chemin pour que les associations soient à l’aise dans leurs choix numériques.

Avant de lancer cette démarche, vous utilisiez quels outils ou services numériques ?

GSuite (Gmail, Gdrive), Google Analytics, Slack, Trello, Word, Excel, nos photos sur Flickr, notre site sous WordPress.

Comment est configuré le système d’information et les différentes applications ?

Euh, vous pouvez répéter la question ? 🙂

Plus sérieusement, à mon arrivée, nous utilisions WordPress et CiviCRM sur un espace prêté. Le reste était basé sur des outils propriétaires en mode SAAS.

Qu’est-ce qui fonctionnait bien ? Qu’est-ce qui posait problème ?

La première faiblesse était que nous utilisions la machine d’un bénévole. Le reste de nos informations étaient chez d’autres (Google pour nos documents, Gmail pour nos échanges avec l’externe, GAnalytics pour notre trafic, Flickr, Doodle…). Cela marchait, mais nous étions fragiles et nous ne maîtrisions pas nos données, pas top !

Vous avez entamé une démarche en interne pour migrer vers des outils numériques plus éthiques. Qu’est-ce qui est à l’origine de cette démarche ?

Une volonté, appliquer à soi-même pour mieux expliquer.

D’où est venue l’idée, qu’est-ce qui vous a motivé⋅e⋅s ?

WebAssoc avait déjà mis en avant les solutions libres lors d’interventions. Mais il nous manquait l’expérience et la légitimité, « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais » ne marche pas bien. 🙂

Quels sont les objectifs ? Les résultats attendus ?

Notre feuille de route reprend quatre thèmes. Ils sont totalement cloisonnés pour proposer notre expérience sur l’un sans requérir les autres, d’où (on le verra plus loin) le choix de prendre un hébergeur propre à chacun d’eux :

Pour la planète, mettre en avant le réemploi

Nous avons fait notre journée annuelle en janvier sur un PC acheté 50 € sur le … qui tournait sur Emmabuntüs (Linux Debian). Nous adorons cette distribution qui comprend tous les logiciels nécessaires à un bénévole, et qui a permis de belles actions comme Yovotogo.

Proposer un espace pour le bureau regroupant tous les outils

Avec NextCloud et ses applications (partage de fichiers, édition avec Collabora, visio-conférence à quelques-uns, tableau de tâches, gestion des mots de passe partagés et plein, plein d’autres choses).

L’association sur le Web

Avec un blog (WordPress), des photos (Piwigo), un wiki tout simple (DokuWiki), un Framadate, un Wallabag… C’est un espace que nous considérons public donc pas de données sensibles.

Avec l’œil RGPD

Suivre notre trafic avec Matomo, gérer nos contacts et campagnes mails avec CiviCRM, faire des webinaires libre avec BigBlueButton et bientôt des vidéos avec Peertube (merci Framasoft !)

Quel est le lien avec les valeurs de WebAssoc ?

Le libre et son sens des communs correspond bien à nos valeurs. Il a le mérite de scinder hébergeur et logiciel. Ce qui est une garantie pour les associations : changer d’abri (si d’aventure, les besoins évoluent) sans recommencer à zéro la formation des bénévoles. C’est la liberté de choix en somme, c’est évident quand on en parle et pourtant c’est tellement facile de céder aux sirènes opposées.

Quels sont les moyens humains mobilisés sur la démarche ?

Pas vraiment de moyens dédiés, nous sommes allés à notre vitesse, en parallèle de nos anciens usages sans imposer la bascule. Mais le constat qui m’a moi-même surpris, c’est que tout le monde s’y est mis naturellement. Quelques usages restent (comme notre tchat sur Slack en attendant un équivalent fonctionnel intégré à NextCloud).

Y a-t-il une équipe dédiée au projet ? Ou plutôt une personne seule ?

En fait c’est Raphaëlle et le bureau du début qui m’ont poussé dans la piscine. J’ai proposé des expériences avec ça ou ça.
Plusieurs bénévoles (des vrais pros) se sont investis sur chaque thème. Heureusement, parce que pour moi DNS voulait dire « Dîner Nocturne Sympathique » !

Quelles compétences ont été nécessaires ?

Rien pour Emmabuntus : y’a qu’à suivre les tutos.

 

Framasoft, WebAssoc, Emmabuntüs. Crédit photo : Anne Devillers

 

NextCloud pour le collaboratif : juste installer et configurer des applis comme sur son smartphone.

PHP pour les services Web : mais pas obligatoire de développer en acceptant une esthétique simple.

Adminsys pour gérer les VM (virtual machine). C’est le plus technique et ardu à tenir dans le temps, mais pas grave si cela plante, nous n’y conservons pas d’archivage.

Combien de temps ça vous a pris ?

Je dirais une année, mais ce n’est pas fini. Il reste des pistes à explorer.

Ça vous a coûté de l’argent ?

Comme expliqué plus haut, rien. Mais c’est de toute façon abordable : 60€/an pour NextCloud sur une instance dédiée et 80€/an pour nos services Web. Ce qui couvre déjà les besoins de la plupart des associations. Pour rester dans le concept de transposer nos expériences, il fallait que cela soit accessible.

50 + 60 + 80, à moins de 200€, une association peut tout avoir sur un PC, basculer de GDrive à NextCloud, avoir à côté du site des sous-domaines comme celui-ci. En fait, une totale autonomie avec des données chez des locaux. Par exemple, j’ai rencontré notre hébergeur NextCloud à Niort, c’est sympa quand même.

Bien sûr, pour de l’envoi de mails en masse ou avoir son propre service de visio-conférence, c’est plus conséquent. Mais cela va de pair avec la taille de l’association et ses moyens. C’est comme le bio, il faut payer un peu plus pour savoir d’où ça vient et sincèrement, les fraises ont un autre goût.

Quelles étapes avez-vous suivi lors de cette démarche, au début, par exemple ?

C’est tout bête, j’ai pris la liste de Degooglisons sans avoir recours aux « Framatrucs ». Vu les annonces, j’ai cherché des équivalents sur NextCloud ou autres services Web.

Ensuite, nous avons démarché des hébergeurs pour nous accueillir, https://yourownnet.net/ pour NextCloud, https://www.o2switch.fr/ pour nos services web, https://www.alinto.com/ pour nos envois de mails et tout récemment https://www.gandi.net pour BigBlueButton.
Nous les remercions tous énormément.

Les étapes intermédiaires ?

Pas vraiment, l’équipe « tech » met à disposition, chacun membre est libre d’utiliser ces nouveaux services. Et par exemple, NextCloud avec l’édition en ligne peut s’utiliser sans rien installer sur son PC.

À ce jour, on en est où ?

Il reste des choses à fiabiliser, par exemple la gestion des droits sur les dossiers, mais rien de rédhibitoire.

Combien de temps entre la décision et le début des actions ?

Le temps de trouver des gentils hébergeurs et des gentils bénévoles.

Avant de migrer, avez-vous testé plusieurs outils au préalable ?

Nous avons profité de la mise à disposition d’instances pendant le confinement, nous avions déjà Talk/NextCloud pour échanger à quelques-uns et nous avons retenu BigBlueButton plutôt que Jitsi pour sa tenue à la charge sur nos webinaires.
Et maintenant, on peut piloter BigBlueButton depuis NextCloud, c’est cool.

Avez-vous organisé un accompagnement des utilisateur⋅ices ?

Certain⋅e⋅s connaissaient déjà, d’autres découvraient en connaissant des équivalents propriétaires. Nous avons laissé venir les questions.

Sous quelle forme avez-vous répondu à ces questions ?

Un wiki où nous avons commencé à mettre des tutos, nous avons aussi récupéré ceux des autres.
Et nous avons fait un webinaire dédié NextCloud.

Quels ont été les retours ?

Globalement positifs. Nous prévoyons quelques séances de visio-partage pour s’améliorer ensemble.

Quels sont les moyens de « l’équipe projet » ?

Par thème, chaque équipe varie de 2 à 4 personnes au gré du temps.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Parfois des détails, avoir des étiquettes entre Thundebird et RoundCube comme sur Gmail. Retrouver nos enregistrements sur BigBlueButton. Il y a un temps de rodage à ne pas négliger.

Il y aussi une difficulté plus importante de formation des équipes pour les aider à basculer et à prendre en main les nouveaux outils. C’est simplement une question d’habitude en réalité, les fonctionnalités des outils étant proches, mais les habitudes sont parfois lourdes à changer : c’est pourquoi un soutien du bureau est utile sur ces enjeux, pour pousser au changement. En fait, y aller en premier pour que les autres suivent.

Envisagez-vous de poursuivre cette démarche pour l’appliquer à d’autres aspects de votre association ?

Nous souhaitons mettre nos webinaires en ligne avec PeerTube, avoir un annuaire des membres avec des accès SSO via OAuth, remplacer Slack en restant dans NextCloud.

Mais surtout, développer l’usage de CiviCRM que nous exploitons à 10 % de ses capacités faute d’un écosystème suffisant en France. L’effet de boule de neige du Libre manque, davantage d’utilisateurs et utilisatrices en amène davantage encore.

Quels conseils donneriez-vous à d’autres organisations qui se lanceraient dans la même démarche ?

  • Oser sauter le pas, via un hébergeur pour ne pas galérer au départ, y mettre quelques euros.
  • Basculer thème par thème en gardant l’ancienne solution quelques temps.
  • Accepter le moins « joli » en se recentrant sur ses besoins qui sont souvent largement couverts.

Le mot de la fin, pour donner envie de migrer vers les outils libres ?

Nous ne sommes pas des libristes à fond, la preuve dans la liste de nos formations qui sont encore pas mal orientées GAFAM. À WebAssoc, nous ne vous dirons pas que le libre c’est bien, mais que c’est mieux (moins cher, moins de dépendance, plus performant, plus respectueux de vos données). Alors allons-y ensemble. 🙂

À l’inverse, si vous maîtrisez NextCloud, ou si vous connaissez CiviCRM ou voulez le découvrir, ou encore si vous avez des compétences OAuth, SSO…, enfin si vous savez installer Peertube et d’autres trucs, venez nous rejoindre, l’ambiance est SUPER sympa.

Pour aller plus loin :