Dégooglisons Internet : on publie les chiffres !

Quelques semaines après le lancement de la 3e année de Dégooglisons (et des six nouveaux services qui l’ont accompagné), nous avons fait une photographie des statistiques d’utilisations (anonymisées, rassurez-vous ^^), afin de vous livrer un petit bilan de ce projet…

Des grands classiques qui marchent bien

On ne le cache pas, Framadate, notre alternative à Doodle, est le site le plus visité par chez nous. Avec 591 000 sondages créés depuis son lancement et plus de 1 100 sondages créés par jour, on peut dire que vous aimez planifier des choses en toute liberté !

Framapad (pour écrire collaborativement vos documents) n’est pas en reste. Mais, depuis que les pads que nous hébergeons s’effacent au bout d’un certain temps d’utilisation, il est difficile de donner des chiffres significatifs. Ah si, tiens : MyPads (qui vous permet de créer un compte pour avoir des pads permanents et d’en modérer l’accès), héberge à ce jour plus de 41 500 pads… Autant vous dire qu’on a un serveur en béton (et un admin-sys super-saiyan) !

Luc, gardant son calme face aux nombre de pads sur le serveur MyPads (allégorie) Photo CC-BY-SA Hikaru Kazushime
Luc, gardant son calme face aux nombre de pads sur le serveur MyPads (allégorie)
Photo CC-BY-SA Hikaru Kazushime

À leurs côtés, Framacalc (les feuilles de calcul collaboratives) et Framindmap (pour travailler à plusieurs sur des cartes heuristiques) feraient presque figure d’outsiders. Sauf qu’ils sont respectivement les 4e et 3e services les plus visités de notre réseau, avec plus de 105 000 comptes et 133 000 cartes heuristiques créées par vos soins sur Framindmap !

Des outils pratiques et pratiqués

Ça a été dur de choisir parmi tous les services existants. Donc on a choisi de vous en dire le plus possible. Prêt⋅e⋅s pour une liste à la Prévert (en moins poétique car plus chiffrée…) ?
Ok, c’est parti !

  • Visiblement, vous aimez dessiner sur la géographie, vu qu’il y a eu 403 comptes et plus de 5 800 cartes créées sur Framacarte.
  • Avec 5 084 comptes et 1,1 To de données synchronisées, Framadrive (notre alternative à Dropbox) affiche complet… Mais nous ne désespérons pas de trouver une solution (peut-être même qu’une est en cours de route…). Et, pour plus d’espace disque, vous pouvez toujours prendre un compte chez IndieHosters qui nous aide à maintenir ce service, ou chez un autre des CHATONS
  • Par contre, notre lecteur de flux RSS Framanews ne fera pas mieux : 500 utilisateurs et utilisatrices y synchronisent et consultent déjà plus de 10 800 flux RSS.
  • Avec 11 420 comptes créés, Framabag (l’alternative à Pocket) vous permet de conserver vos articles préférés dans la poche. Pensez à soutenir les créateurs du logiciel Wallabag en prenant directement un compte à prix modique chez eux. Vous pourrez ainsi bénéficier d’une nouvelle version majeure avec plus de fonctionnalités !

    Prenons une pause au milieu de tous ces chiffres pour admirer la carte de vos créations sur notre serveur Framinetest, une alternative à Minecraft
    Prenons une pause au milieu de tous ces chiffres pour admirer la carte de vos créations sur notre serveur Framinetest, une alternative à Minecraft
  • Framadrop est un cas particulier : cette alternative à WeTransfer (le chiffrement en plus) efface automatiquement les fichiers après que vous les aurez partagés. On ne peut donc que vous donner des instantanés ! À l’heure où nous préparons cet article, vous échangez plus de 48 000 fichiers pesant 874 Go…
  • Framapic, notre hébergeur d’images, permet lui aussi un effacement au bout de X temps. Actuellement, c’est plus de 141 800 images qui sont sur nos serveurs.
  • Frama.link raccourcit d’ores et déjà 46 900 URL (adresses web) bien trop longues, et ce, nous l’espérons, de manière aussi fiable que durable.
  • Vous aimez discuter dans vos groupes : Framateam (l’alternative à Slack et aux groupes Facebook) vient de franchir la barre des 10 000 utilisateurs et utilisatrices, se partageant pas loin de 2 770 équipes, et plus de 734 000 messages. Chez Framasoft, nous l’utilisons beaucoup, mais de là à dire que les plus bavard⋅e⋅s d’entre nous seraient à l’origine de 42 % des messages, ce serait un mensonge :p.
  • Enfin Framavox, qui vous sert à prendre des décisions en équipe, compte désormais plus de 1 500 groupes où se répartissent 3 626 personnes. Alors, c’est-y pas jubilatoire d’avoir un outil de prises de décisions transversales ?

Les petits nouveaux ne sont pas en reste !

En septembre, avant de fêter les deux ans de Dégooglisons, nous avons tout de même sorti deux services : Framinetest Édu (une alternative à Minecraft Éducation, dont vous avez vu la carte plus haut), et Framémo. Ce petit tableau pour organiser ses idées collaborativement, en direct et en ligne, remporte une fière adhésion, puisqu’en moins d’un trimestre vous avez déjà créé plus de 5 800 tableaux de notes !

Petit retour sur les chiffres des six nouvelles applications que nous avons lancées durant une folle semaine de début octobre :

  • Il y a aujourd’hui plus de 1 850 listes sur Framalistes, notre alternative à Google Groups, servant près de 1 050 emails par jour à plus de 21 500 utilisateurs et utilisatrices ;
  • Notre alternative à Evernote, Framanotes, héberge aujourd’hui plus de 3 060 comptes, dont les 12 900 notes sont chiffrées de bout en bout, ce qui fait que nous ne pouvons rien savoir de ce qu’elles contiennent ;
  • Près de 1 800 formulaires sont publiés grâce à Framaforms, l’outil qui permet de ne pas transmettre les réponses de vos questionnaires à Google Forms ;
  • Avec une moyenne de 1 000 salons d’audio/visio conférences créés par semaine, Framatalk vous libère de plus en plus de Skype (et ne nécessite aucune installation logicielle) ;
  • Plus de 4 500 d’entre vous se sont libéré⋅e⋅s (délivrééééééééééééé⋅e⋅s) de Google / Apple / Microsoft agenda en se créant un compte sur Framagenda : félicitations !
  • MyFrama, l’alternative à Del.icio.us (qui vous permet en plus de trier et conserver les adresses web des Frama-services que vous utilisez) est utilisé par plus de 2 650 personnes.

Nous n'avons par contre aucun chiffre sur votre chasse aux trolls grâce à Framatroll
Nous n’avons par contre aucun chiffre sur votre chasse aux trolls grâce à Framatroll

Tous ces chiffres nous donnent le tournis, tant ils nous enchantent et nous inquiètent.

Ils nous enchantent car ils renforcent notre conviction qu’une alternative aux services centralisateurs, intrusifs et privatifs des GAFAM est attendue et utilisée. Cela signifie qu’un nombre croissant de personnes sont conscientes des enjeux de la centralisation du web et cherchent à prendre des mesures pour protéger leurs données, leur vie numérique.

Ils nous inquiètent parce que, même si on est à des années-lumière des statistiques d’utilisation de Google et Cie, il existe une possibilité de re-centraliser et concentrer vos données personnelles, ce que nous ne voulons pas. Une initiative moins scrupuleuse que la nôtre pourrait donc en profiter pour peu qu’elle vous propose une certaine éthique, ou du chiffrement, ou du logiciel libre…

Il existe donc une nouvelle « niche de marché » pour conquérir l’or 3.0 que sont vos données, et les géants du Web sont d’ores et déjà en train de s’y attaquer (exemples ici, ou encore ).

Nous ne le répéterons jamais assez, les services que nous proposons sont des démonstrations à grande échelle, et nous ne sommes jamais autant heureux⋅ses que lorsque vous les quittez parce que :

Bref : lorsque votre passage par Framasoft vous a mené vers plus d’indépendance et de liberté dans votre vie numérique !

Le point sur les dons : l’hiver est rude !

Tous ces chiffres ne sont possibles que grâce à vos dons. Nous avons (enfin !) rattrapé notre retard afin de publier nos rapports d’activités 2014 et 2015 agrémentés des données statistiques et financières de l’association (dont les comptes sont, depuis l’exercice 2015, validés par un commissaire aux comptes). À nos yeux (et comme pour tous les membres du collectif CHATONS), la transparence n’est pas négociable : promis, nous ne prendrons pas autant de temps pour publier notre rapport sur 2016 😉

En 2015, plus de 90 % de nos ressources proviennent de votre soutien financier, qui nous offre cette indépendance et cette liberté si chères à nos yeux.

Ces dons servent principalement à financer, dé-précariser et pérenniser les 6 postes des personnes employées par Framasoft. Car, si le bénévolat est essentiel, il ne permet pas tout : la stabilité des services, les développements spécifiques, le suivi des 1 046 demandes (d’aide, de soutien technique, de réponses et d’interventions) reçues ces trois derniers mois, depuis le lancement de l’an 3 de Dégooglisons… mais aussi l’organisation et la logistique derrière tous ces projets : cela demande du temps et du savoir-faire que l’on ne peut exiger de la part de bénévoles (en tous cas, pas sans les épuiser -_-…)

Framasoft essayant d'atteindre son budget 2016 (allégorie.)
Framasoft essayant d’atteindre son budget 2016 (allégorie.)

À ce jour, nous avons du mal à boucler le budget 2016 tel que nous l’envisagions. Sur 205 000 € de budget souhaité pour 2016, nous en sommes à environ 185 000 €. Rien d’alarmant, on ne va pas mettre la clé sous la porte !

Mais de ces financements découleront directement les énergies que nous pourrons mettre dans nos projets pour cette nouvelle année : les derniers services à Dégoogliser (YouTube, Meetup, Twitter, blog, pétitions, voire le mail !), la transmission d’expérience et la promotion du collectif CHATONS, la participation au développement de solutions d’auto-hébergement… ce ne sont pas les envies qui manquent !

Alors une fois encore, nous nous permettons de vous rappeler que vous pouvez participer financièrement à nos actions, par un don ponctuel ou mensuel, déductible des impôts pour les contribuables Français. Par exemple, un don de 100€ ne vous coûtera (après déduction fiscale) que 34€.

Si vous le pouvez et le voulez, rendez-vous donc sur : Soutenir.framasoft.org

Grâce à votre soutien, vos dons et votre amour Trente nouveaux services, de belles mises à jour, Voilà déjà deux ans que nous dégooglisons, Que les vilains GAFAM nous démoralisons ! Mais pour persévérer, fragile est l’équilibre. Face aux géants du web et tous ceux qui nous pistent De nos alternatives, allongeons donc la liste… La route est longue encore, mais la voie reste libre !




Pourquoi Framasoft n’ira plus prendre le thé au ministère de l’Éducation Nationale

Cet article vise à clarifier la position de Framasoft, sollicitée à plusieurs reprises par le Ministère de l’Éducation Nationale ces derniers mois. Malgré notre indignation, il ne s’agit pas de claquer la porte, mais au contraire d’en ouvrir d’autres vers des acteurs qui nous semblent plus sincères dans leur choix du libre et ne souhaitent pas se cacher derrière une « neutralité et égalité de traitement » complètement biaisée par l’entrisme de Google, Apple ou Microsoft au sein de l’institution.

Pour commencer

Une technologie n’est pas neutre, et encore moins celui ou celle qui fait des choix technologiques. Contrairement à l’affirmation de la Ministre de l’Éducation Mme Najat Vallaud-Belkacem, une institution publique ne peut pas être « neutre technologiquement », ou alors elle assume son incompétence technique (ce qui serait grave). En fait, la position de la ministre est un sophisme déjà bien ancien ; c’est celui du Gorgias de Platon qui explique que la rhétorique étant une technique, il n’y en a pas de bon ou de mauvais usage, elle ne serait qu’un moyen.

Or, lui oppose Socrate, aucune technique n’est neutre : le principe d’efficacité suppose déjà d’opérer des choix, y compris économiques, pour utiliser une technique plutôt qu’une autre ; la possession d’une technique est déjà en soi une position de pouvoir ; enfin, rappelons l’analyse qu’en faisait Jacques Ellul : la technique est un système autonome qui impose des usages à l’homme qui en retour en devient addict. Même s’il est consternant de rappeler de tels fondamentaux à ceux qui nous gouvernent, tout choix technologique suppose donc une forme d’aliénation. En matière de logiciels, censés servir de supports dans l’Éducation Nationale pour la diffusion et la production de connaissances pour les enfants, il est donc plus qu’évident que choisir un système plutôt qu’un autre relève d’une stratégie réfléchie et partisane.

Le tweet confondant neutralité logicielle et choix politique.
Le tweet confondant neutralité logicielle et choix politique.

Un système d’exploitation n’est pas semblable à un autre, il suffit pour cela de comparer les deux ou trois principaux OS du marché (privateur) et les milliers de distributions GNU/Linux, pour comprendre de quel côté s’affichent la créativité et l’innovation. Pour les logiciels en général, le constat est le même : choisir entre des logiciels libres et des logiciels privateurs implique une position claire qui devrait être expliquée. Or, au moins depuis 1997, l’entrisme de Microsoft dans les organes de l’Éducation Nationale a abouti à des partenariats et des accords-cadres qui finirent par imposer les produits de cette firme dans les moindres recoins, comme s’il était naturel d’utiliser des solutions privatrices pour conditionner les pratiques d’enseignement, les apprentissages et in fine tous les usages numériques. Et ne parlons pas des coûts que ces marchés publics engendrent, même si les solutions retenues le sont souvent, au moins pour commencer, à « prix cassé ».

Depuis quelque temps, au moins depuis le lancement de la première vague de son projet Degooglisons Internet, Framasoft a fait un choix stratégique important : se tourner vers l’éducation populaire, avec non seulement ses principes, mais aussi ses dynamiques propres, ses structures solidaires et les valeurs qu’elle partage. Nous ne pensions pas que ce choix pouvait nous éloigner, même conceptuellement, des structures de l’Éducation Nationale pour qui, comme chacun le sait, nous avons un attachement historique. Et pourtant si… Une rétrospective succincte sur les relations entre Microsoft et l’Éducation Nationale nous a non seulement donné le tournis mais a aussi occasionné un éclair de lucidité : si, malgré treize années d’(h)activisme, l’Éducation Nationale n’a pas bougé d’un iota sa préférence pour les solutions privatrices et a même radicalisé sa position récemment en signant un énième partenariat avec Microsoft, alors nous utiliserions une partie des dons, de notre énergie et du temps bénévole et salarié en pure perte dans l’espoir qu’il y ait enfin une position officielle et des actes concrets en faveur des logiciels libres. Finalement, nous en sommes à la fois indignés et confortés dans nos choix.

Extrait de l'accord-Cadre MS-EN novembre 2015
Extrait de l’accord-Cadre MS-EN novembre 2015

L’Éducation Nationale et Microsoft, une (trop) longue histoire

En France, les rapports qu’entretient le secteur de l’enseignement public avec Microsoft sont assez anciens. On peut remonter à la fin des années 1990 où eurent lieu les premiers atermoiements à l’heure des choix entre des solutions toutes faites, clés en main, vendues par la société Microsoft, et des solutions de logiciels libres, nécessitant certes des efforts de développement mais offrant à n’en pas douter, des possibilités créatrices et une autonomie du service public face aux monopoles économiques. Une succession de choix délétères nous conduisent aujourd’hui à dresser un tableau bien négatif.

Dans un article paru dans Le Monde du 01/10/1997, quelques mois après la réception médiatisée de Bill Gates par René Monory, alors président du Sénat, des chercheurs de l’Inria et une professeure au CNAM dénonçaient la mainmise de Microsoft sur les solutions logicielles retenues par l’Éducation Nationale au détriment des logiciels libres censés constituer autant d’alternatives fiables au profit de l’autonomie de l’État face aux monopoles américains. Les mots ne sont pas tendres :

(…) Microsoft n’est pas la seule solution, ni la meilleure, ni la moins chère. La communauté internationale des informaticiens développe depuis longtemps des logiciels, dits libres, qui sont gratuits, de grande qualité, à la disposition de tous, et certainement beaucoup mieux adaptés aux objectifs, aux besoins et aux ressources de l’école. Ces logiciels sont largement préférés par les chercheurs, qui les utilisent couramment dans les contextes les plus divers, et jusque dans la navette spatiale. (…) On peut d’ailleurs, de façon plus générale, s’étonner de ce que l’administration, et en particulier l’Éducation Nationale, préfère acheter (et imposer à ses partenaires) des logiciels américains, plutôt que d’utiliser des logiciels d’origine largement européenne, gratuits et de meilleure qualité, qui préserveraient notre indépendance technologique.

L’année suivante, en octobre 1998, le Ministère de l’Éducation Nationale signe avec l’AFUL un accord-cadre pour l’exploitation, le développement et l’expertise de solutions libres dans les établissements. Le Ministère organise même en juillet 1999 une Université d’été « La contribution des logiciels et ressources libres à l’amélioration de l’environnement de travail des enseignants et des élèves sur les réseaux ».

Microsoft : Do you need a backdoor ?
Microsoft : Do you need a backdoor ?

D’autres témoignages mettent en lumière des tensions entre logiciels libres et logiciels privateurs dans les décisions d’équipement et dans les intentions stratégiques de l’Éducation Nationale au tout début des années 2000. En revanche, en décembre 2003, l’accord-cadre1 Microsoft et le Ministère de l’Éducation Nationale change radicalement la donne et propose des solutions clés en main intégrant trois aspects :

  • tous les établissements de l’Éducation Nationale sont concernés, des écoles primaires à l’enseignement supérieur ;
  • le développement des solutions porte à la fois sur les systèmes d’exploitation et la bureautique, c’est-à-dire l’essentiel des usages ;
  • la vente des logiciels se fait avec plus de 50% de remise, c’est-à-dire avec des prix résolument tirés vers le bas.

Depuis lors, des avenants à cet accord-cadre sont régulièrement signés. Comme si cela ne suffisait pas, certaines institutions exercent leur autonomie et établissent de leur côté des partenariats « en surplus », comme l’Université Paris Descartes le 9 juillet 2009, ou encore les Villes, comme Mulhouse qui signe un partenariat Microsoft dans le cadre de « plans numériques pour l’école », même si le budget est assez faible comparé au marché du Ministère de l’Éducation.

Il serait faux de prétendre que la société civile ne s’est pas insurgée face à ces accords et à l’entrisme de la société Microsoft dans l’enseignement. On ne compte plus les communiqués de l’April (souvent conjoints avec d’autres associations du Libre) dénonçant ces pratiques. Bien que des efforts financiers (discutables) aient été faits en faveur des logiciels libres dans l’Éducation Nationale, il n’en demeure pas moins que les pratiques d’enseignement et l’environnement logiciel des enfants et des étudiants sont soumis à la microsoftisation des esprits, voire une Gafamisation car la firme Microsoft n’est pas la seule à signer des partenariats dans ce secteur. Le problème ? Il réside surtout dans le coût cognitif des outils logiciels qui, sous couvert d’apprentissage numérique, enferme les pratiques dans des modèles privateurs : « Les enfants qui ont grandi avec Microsoft, utiliseront Microsoft ».

dm_011_miniature
Et si c’était MacDonald’s qui rentrait dans les cantines scolaires…? Les habitudes malsaines peuvent se prendre dès le plus jeune âge.

On ne saurait achever ce tableau sans mentionner le plus récent partenariat Microsoft-EN signé en novembre 2015 et vécu comme une véritable trahison par, entre autres, beaucoup d’acteurs du libre. Il a en effet été signé juste après la grande consultation nationale pour le Projet de Loi Numérique porté par la ministre Axelle Lemaire. La consultation a fait ressortir un véritable plébiscite en faveur du logiciel libre dans les administrations publiques et des amendements ont été discutés dans ce sens, même si le Sénat a finalement enterré l’idée. Il n’en demeure pas moins que les défenseurs du logiciel libre ont cru déceler chez nombre d’élus une oreille attentive, surtout du point de vue de la souveraineté numérique de l’État. Pourtant, la ministre Najat Vallaud-Belkacem a finalement décidé de montrer à quel point l’Éducation Nationale ne saurait être réceptive à l’usage des logiciels libre en signant ce partenariat, qui constitue, selon l’analyse par l’April des termes de l’accord, une « mise sous tutelle de l’informatique à l’école » par Microsoft.

Entre libre-washing et méthodes douteuses

Pour être complète, l’analyse doit cependant rester honnête : il existe, dans les institutions de l’Éducation Nationale des projets de production de ressources libres. On peut citer par exemple le projet EOLE (Ensemble Ouvert Libre Évolutif), une distribution GNU/Linux basée sur Ubuntu, issue du Pôle de compétence logiciel libre, une équipe du Ministère de l’Éducation Nationale située au rectorat de l’académie de Dijon. On peut mentionner le projet Open Sankoré, un projet de développement de tableau interactif au départ destiné à la coopération auprès de la Délégation Interministérielle à l’Éducation Numérique en Afrique (DIENA), repris par la nouvelle Direction du numérique pour l’éducation (DNE) du Ministère de l’EN, créée en 2014. En ce qui concerne l’information et la formation des personnels, on peut souligner certaines initiatives locales comme le site Logiciels libres et enseignement de la DANE (Délégation Académique au Numérique Éducatif) de l’académie de Versailles. D’autres projets sont parfois maladroits comme la liste de « logiciels libres et gratuits » de l’académie de Strasbourg, qui mélange allègrement des logiciels libres et des logiciels privateurs… pourvus qu’ils soient gratuits.

Les initiatives comme celles que nous venons de recenser se comptent néanmoins sur les doigts des deux mains. En pratique, l’environnement des salles informatiques des lycées et collèges reste aux couleurs Microsoft et les tablettes (réputées inutiles) distribuées çà et là par villes et départements, sont en majorité produites par la firme à la pomme2. Les enseignants, eux, n’ayant que très rarement voix au chapitre, s’épuisent souvent à des initiatives en classe fréquemment isolées bien que créatives et efficaces. Au contraire, les inspecteurs de l’Éducation Nationale sont depuis longtemps amenés à faire la promotion des logiciels privateurs quand ils ne sont pas carrément convoqués chez Microsoft.

Convocation Inspecteurs de l'EN chez Microsoft
Convocation Inspecteurs de l’EN chez Microsoft

L’interprétation balance entre deux possibilités. Soit l’Éducation Nationale est composée exclusivement de personnels incohérents prêts à promouvoir le logiciel libre partout mais ne faisant qu’utiliser des suites Microsoft. Soit des projets libristes au sein de l’Éducation Nationale persistent à exister, composés de personnels volontaires et motivés, mais ne s’affichent que pour mieux mettre en tension les solutions libres et les solutions propriétaires. Dès lors, comme on peut s’attendre à ce que le seul projet EOLE ne puisse assurer toute une migration de tous les postes de l’EN à un système d’exploitation libre, il est logique de voir débouler Microsoft et autres sociétés affiliées présentant des solutions clés en main et économiques. Qu’a-t-on besoin désormais de conserver des développeurs dans la fonction publique puisque tout est pris en charge en externalisant les compétences et les connaissances ? Pour que cela ne se voie pas trop, on peut effectivement s’empresser de mettre en avant les quelques deniers concédés pour des solutions libres, parfois portées par des sociétés à qui on ne laisse finalement aucune chance, telle RyXéo qui proposait la suite Abulédu.

Finalement, on peut en effet se poser la question : le libre ne serait-il pas devenu un alibi, voire une caution bien mal payée et soutenue au plus juste, pour légitimer des solutions privatrices aux coûts exorbitants ? Les décideurs, DSI et autres experts, ne préfèrent-ils pas se reposer sur un contrat Microsoft plutôt que sur le management de développeurs et de projets créatifs ? Les solutions les plus chères sont surtout les plus faciles.

Plus faciles, mais aussi plus douteuses ! On pourra en effet se pencher à l’envi sur les relations discutables entre certains cadres de Microsoft France et leurs postes occupés aux plus hautes fonctions de l’État, comme le montrait le Canard Enchaîné du 30 décembre 2015. Framasoft se fait depuis longtemps l’écho des manœuvres de Microsoft sans que cela ne soulève la moindre indignation chez les décideurs successifs au Ministère3. On peut citer, pêle-mêle :

Cette publicité est un vrai tweet Microsoft. Oui. Cliquez sur l'image pour lire l'article de l'APRIL à ce sujet.
Cette publicité est un vrai tweet Microsoft. Oui.
Cliquez sur l’image pour lire l’article de l’APRIL à ce sujet.

 

Du temps et de l’énergie en pure perte

« Vous n’avez qu’à proposer », c’est en substance la réponse balourde par touittes interposés de Najat Vallaud-Belkacem aux libristes qui dénonçaient le récent accord-cadre signé entre Microsoft et le Ministère. Car effectivement, c’est bien la stratégie à l’œuvre : alors que le logiciel libre suppose non seulement une implication forte des décideurs publics pour en adopter les usages, son efficience repose également sur le partage et la contribution. Tant qu’on réfléchit en termes de pure consommation et de fournisseur de services, le logiciel libre n’a aucune chance. Il ne saurait être adopté par une administration qui n’est pas prête à développer elle-même (ou à faire développer) pour ses besoins des logiciels libres et pertinents, pas plus qu’à accompagner leur déploiement dans des milieux qui ne sont plus habitués qu’à des produits privateurs prêts à consommer.

Au lieu de cela, les décideurs s’efforcent d’oublier les contreparties du logiciel libre, caricaturent les désavantages organisationnels des solutions libres et légitiment la Microsoft-providence pour qui la seule contrepartie à l’usage de ses logiciels et leur « adaptation », c’est de l’argent… public. Les conséquences en termes de hausses de tarifs des mises à jour, de sécurité, de souveraineté numérique et de fiabilité, par contre, sont des sujets laissés vulgairement aux « informaticiens », réduits à un débat de spécialistes dont les décideurs ne font visiblement pas partie, à l’instar du Ministère de la défense lui aussi aux prises avec Microsoft.

Comme habituellement il manque tout de même une expertise d’ordre éthique, et pour peu que des compétences libristes soient nécessaires pour participer au libre-washing institutionnel, c’est vers les associations que certains membres de l’Éducation Nationale se tournent. Framasoft a bien souvent été démarchée soit au niveau local pour intervenir dans des écoles / collèges / lycées afin d’y sensibiliser au Libre, soit pour collaborer à des projets très pertinents, parfois même avec des possibilités de financement à la clé. Ceci depuis les débuts de l’association qui se présente elle-même comme issue du milieu éducatif.

Témoignage usage de Framapad à l'école
Témoignage : usage de Framapad à l’école

Depuis plus de dix ans Framasoft intervient sur des projets concrets et montre par l’exemple que les libristes sont depuis longtemps à la fois forces de proposition et acteurs de terrain, et n’ont rien à prouver à ceux qui leur reprocheraient de se contenter de dénoncer sans agir. Depuis deux décennies des associations comme l’April ont impulsé des actions, pas seulement revendicatrices mais aussi des conseils argumentés, de même que l’AFUL (mentionnée plus haut). Las… le constat est sans appel : l’Éducation Nationale a non seulement continué à multiplier les relations contractuelles avec des firmes comme Microsoft, barrant la route aux solutions libres, mais elle a radicalisé sa position en novembre 2015 en un ultime pied de nez à ces impertinentes communautés libristes.

Nous ne serons pas revanchards, mais il faut tout de même souligner que lorsque des institutions publiques démarchent des associations composées de membres bénévoles, les tâches demandées sont littéralement considérées comme un dû, voire avec des obligations de rendement. Cette tendance à amalgamer la soi-disant gratuité du logiciel libre et la soi-disant gratuité du temps bénévole des libristes, qu’il s’agisse de développement ou d’organisation, est particulièrement détestable.

Discuter au lieu de faire

brick-in-the-wall

À quelles demandes avons-nous le plus souvent répondu ? Pour l’essentiel, il s’agit surtout de réunions, de demandes d’expertises dont les résultats apparaissent dans des rapports, de participation plus ou moins convaincante (quand il s’agit parfois de figurer comme caution) à des comités divers, des conférences… On peut discuter de la pertinence de certaines de ces sollicitations tant les temporalités de la réflexion et des discours n’ont jamais été en phase avec les usages et l’évolution des pratiques numériques.

Le discours de Framasoft a évolué en même temps que grandissait la déception face au décalage entre de timides engagements en faveur du logiciel libre et des faits attestant qu’à l’évidence le marché logiciel de l’Éducation Nationale était structuré au bénéfice des logiques privatrices. Nous en sommes venus à considérer que…

  • si, en treize ans de sensibilisation des enseignants et des décideurs, aucune décision publique n’a jamais assumé de préférence pour le logiciel libre ;
  • si, en treize ans, le discours institutionnel s’est même radicalisé en défaveur du Libre : en 2003, le libre n’est « pas souhaitable » ; en 2013 le libre et les formats ouverts pourraient causer des « difficultés juridiques » ; en 2016, le libre ne pourra jamais être prioritaire malgré le plébiscite populaire4

…une association comme Framasoft ne peut raisonnablement continuer à utiliser l’argent de ses donateurs pour dépenser du temps bénévole et salarié dans des projets dont les objectifs ne correspondent pas aux siens, à savoir la promotion et la diffusion du Libre.

Par contre, faire la nique à Microsoft en proposant du Serious Gaming éducatif, ça c'est concret !
Par contre, faire la nique à Microsoft en proposant du Serious Gaming éducatif, ça c’est concret !

L’éducation populaire : pas de promesses, des actes

Framasoft s’est engagée depuis quelque temps déjà dans une stratégie d’éducation populaire. Elle repose sur les piliers suivants :

  • social : le mouvement du logiciel libre est un mouvement populaire où tout utilisateur est créateur (de code, de valeur, de connaissance…) ;
  • technique : par le logiciel libre et son développement communautaire, le peuple peut retrouver son autonomie numérique et retrouver savoirs et compétences qui lui permettront de s’émanciper ;
  • solidaire : le logiciel libre se partage, mais aussi les compétences, les connaissances et même les ressources. Le projet CHATONS démontre bien qu’il est possible de renouer avec des chaînes de confiance en mobilisant des structures au plus proche des utilisateurs, surtout si ces derniers manquent de compétences et/ou d’infrastructures.

Quelles que soient les positions institutionnelles, nous sommes persuadés qu’en collaborant avec de petites ou grandes structures de l’économie sociale et solidaire (ESS), avec le monde culturel en général, nous touchons bien plus d’individus. Cela sera également bien plus efficace qu’en participant à des projets avec le Ministère de l’Éducation Nationale, qui se révèlent n’avoir au final qu’une portée limitée. Par ailleurs, nous sommes aussi convaincus que c’est là le meilleur moyen de toucher une grande variété de publics, ceux-là mêmes qui s’indigneront des pratiques privatrices de l’Éducation Nationale.

Néanmoins, il est vraiment temps d’agir, car même le secteur de l’ESS commence à se faire « libre-washer » et noyauter par Microsoft : par exemple la SocialGoodWeek a pour partenaires MS et Facebook ; ou ADB Solidatech qui équipe des milliers d’ordinateurs pour associations avec des produits MS à prix cassés.

Page SocialGoodWeek, sponsors
Page SocialGoodWeek, sponsors

Ce positionnement du « faire, faire sans eux, faire malgré eux » nous a naturellement amenés à développer notre projet Degooglisons Internet. Mais au-delà, nous préférons effectivement entrer en relation directe avec des enseignants éclairés qui, plutôt que de perdre de l’énergie à convaincre la pyramide hiérarchique kafkaïenne, s’efforcent de créer des projets concrets dans leurs (minces) espaces de libertés. Et pour cela aussi le projet Degooglisons Internet fait mouche.

Nous continuerons d’entretenir des relations de proximité et peut-être même d’établir des projets communs avec les associations qui, déjà, font un travail formidable dans le secteur de l’Éducation Nationale, y compris avec ses institutions, telles AbulEdu, Sésamath et bien d’autres. Il s’agit là de relations naturelles, logiques et même souhaitables pour l’avancement du Libre. Fermons-nous définitivement la porte à l’Éducation Nationale ? Non… nous inversons simplement les rôles.

Pour autant, il est évident que nous imposons implicitement des conditions : les instances de l’Éducation Nationale doivent considérer que le logiciel libre n’est pas un produit mais que l’adopter, en plus de garantir une souveraineté numérique, implique d’en structurer les usages, de participer à son développement et de généraliser les compétences en logiciels libres. Dans un système déjà noyauté (y compris financièrement) par les produits Microsoft, la tâche sera rude, très rude, car le coût cognitif est déjà cher payé, dissimulé derrière le paravent brumeux du droit des marchés publics (même si en la matière des procédures négociées peuvent très bien être adaptées au logiciel libre). Ce n’est pas (plus) notre rôle de redresser la barre ou de cautionner malgré nous plus d’une décennie de mauvaises décisions pernicieuses.

Si l’Éducation Nationale décide finalement et officiellement de prendre le bon chemin, avec force décrets et positions de principe, alors, ni partisans ni vindicatifs, nous l’accueillerons volontiers à nos côtés car « la route est longue, mais la voie est libre… ».

— L’association Framasoft

Par contre, si c'est juste pour prendre le thé... merci de se référer à l'erreur 418.
En revanche, si c’est juste pour prendre le thé… merci de se référer à l’erreur 418.


  1. Voir aussi sur education.gouv.fr. Autre lien sur web.archive.org.
  2. Mais pas toujours. Microsoft cible aussi quelques prospects juteux avec les établissements « privés » sous contrat avec l’EN, qui bénéficient d’une plus grande autonomie décisionnelle en matière de numérique. Ainsi on trouve de véritables tableaux de chasse sur le site de Microsoft France. Exemple : Pour les élèves du collège Saint Régis-Saint Michel du Puy-en-Velay (43), « Windows 8, c’est génial ! ».
  3. Certes, on pourrait aussi ajouter que, bien qu’il soit le plus familier, Microsoft n’est pas le seul acteur dans la place: Google est membre fondateur de la « Grande École du Numérique » et Apple s’incruste aussi à l’école avec ses tablettes.
  4. On pourra aussi noter le rôle joué par l’AFDEL et Syntec Numérique dans cette dernière décision, mais aussi, de manière générale, par les lobbies dans les couloirs de l’Assemblée et du Sénat. Ceci n’est pas un scoop.



10 trucs que j’ignorais sur Internet et mon ordi (avant de m’y intéresser…)

Disclaimer : Cet article est sous licence CC-0 car les petits bouts de savoir qu’il contient sont autant d’armes d’auto-défense numérique qu’il faut diffuser. En gros, j’espère vraiment que certains d’entre vous en feront un top youtube, une buzzfeederie, une BD, un truc que j’ai même pas encore imaginé, ce que vous voulez… Mais que vous ferez passer les messages.

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

1) Tu ne consultes pas une page Internet, tu la copies

Toute ressemblance avec les métaphores de Terry Pratchett n'est que pure admiration de ma part ;)
Toute ressemblance avec les métaphores de Terry Pratchett n’est que pure admiration de ma part ;)

Un site web, c’est pas une espèce de journal qu’on aurait mis dans le pays magique d’internet pour que ton navigateur aille le consulter comme tu consulterais le quotidien de ton jour de naissance à la médiathèque du coin.

Pour voir une page web, ton navigateur la copie sur ton ordi. Les textes, les images, les sons : tout ce que tu vois ou entends sur ton écran a été copié sur ton ordinateur (vilain pirate !)

Un ordinateur est un photocopieur dont la trieuse serait une méga fourmilière qui peut faire plein de trucs. La bonne nouvelle, c’est que copier permet de multiplier, que ça ne vole rien à personne, parce que si je te copie un fichier tu l’as toujours.

2) Mon navigateur web ne cuisine pas la même page web que le tien.

Sérieux, imagine qu’une page web, c’est une recette de cuisine :

Mettez un titre en gros, en gris et en gras.

Réduisez l’image afin qu’elle fasse un quart de la colonne d’affichage, réservez.

Placez le texte, agrémenté d’une jolie police, aligné à gauche, puis l’image à droite.

Servez chaud.

Le navigateur web (Firefox, Chrome, Safari, Internet Explorer…), c’est le cuisinier. Il va télécharger les ingrédients, et suivre la recette. T’as déjà vu quand on donne la même recette avec les mêmes ingrédients à 4 cuisiniers différents ? Ben ouais, c’est comme dans Top Chef, ça fait 4 plats qui sont pas vraiment pareils.

Surtout quand les assiettes ne sont pas de la même taille (genre l’écran de ton téléphone et celui de ton ordi…) et que pour cuire l’un utilise le four et l’autre un micro-ondes (je te laisse trouver une correspondance métaphorique dans ton esprit, tu peux y arriver, je crois en toi :p !).

Bref : l’article que tu lis aura peu de chance d’avoir la même gueule pour toi et la personne à qui tu le feras passer 😉

  • Préfère Firefox si t’as pas envie de filer tes données à Google-Chrome, Apple-Safari ou Microsoft-Edge
  • Ou sinon Chromium c’est Chrome sans du Google dedans 😉

3) Le streaming n’existe pas

Nope. Le streaming, c’est du téléchargement qui s’efface au fur et à mesure. Parce qu’un ordinateur est une machine à copier.

Le streaming, c’est du téléchargement que tu ne peux (ou ne sais) pas récupérer, donc tu downloades une vidéo ou un son mais juste pour une seule fois, et si tu veux en profiter à nouveau, il faut encore les télécharger et donc encombrer les tuyaux d’internet.

Tu vois les précieux mégas du forfait data de ton téléphone qui te ruinent chaque mois ? Ce sont des textes, images sons, vidéos et informations qui viennent jusqu’à ton ordi (ordinateur ou ordiphone, hein, c’est pareil). La taille de ces mégas, c’est un peu les litres d’eau que tu récupères au robinet d’internet.

Regarder ou écouter deux fois le même truc en streaming, sur YouTube ou Soundcloud par exemple, c’est comme si tu prenais deux fois le même verre d’eau au robinet.

Le streaming (allégorie).
Le streaming (allégorie).

4) Quand tu regardes une page web, elle te regarde aussi.

Mon livre ne me dit pas de le sortir du tiroir de la table de nuit. Il ne sait pas où je suis lorsque je le lis, quand je m’arrête, quand je saute des pages ni vers quel chapitre, quand je le quitte et si c’est pour aller lire un autre livre.

Sur Internet, les tuyaux vont dans les deux sens. Une page web sait déjà plein de choses sur toi juste lorsque tu cliques dessus et la vois s’afficher. Elle sait où tu te trouves, parce qu’elle connaît l’adresse de la box internet à laquelle tu t’es connecté. Elle sait combien de temps tu restes. Quand est-ce que tu cliques sur une autre page du même site. Quand et où tu t’en vas.

Netflix, par exemple, est une application web, donc un site web hyper complexe, genre QI d’intello plus plus plus. Netflix sait quel type de film tu préfères voir lors de tes soirées d’insomnie. À partir de quel épisode tu accroches vraiment à la saison d’une série. Ils doivent même pouvoir déterminer quand tu fais ta pause pipi !

Ouaip : Internet te regarde juste pour pouvoir fonctionner, et souvent plus. Ne t’y trompe pas : il prend des notes sur toi.

5) Pas besoin d’un compte Facebook/Google/etc pour qu’ils aient un dossier sur toi.

Dès qu'on te parle de "service personnalisé" c'est qu'on te vend ça -_-...
Dès qu’on te parle de « service personnalisé » c’est qu’on te vend ça -_-…

Si Internet peut te regarder, ceux qui y gagnent le plus d’argent ont les moyens d’en profiter (logique : ils peuvent se payer les meilleurs spécialistes !)

Tu vois le petit bouton « like » (ou « tweet » ou « +1 » ou…) sur tous les articles web que tu lis ? Ces petits boutons sont des espions, des trous de serrures. Ils donnent à Facebook (ou Twitter ou Google ou…) toutes les infos sur toi dont on parlait juste au dessus. Si tu n’as pas de compte, qu’ils n’ont pas ton nom, ils mettront cela sur l’adresse de ta machine. Le pire, c’est que cela fonctionne aussi avec des choses que tu vois moins (les polices d’écriture fournies par Google et très utilisées par les sites, les framework javascript, les vidéos YouTube incrustées sur un blog…)

Une immense majorité de sites utilisent aussi « Google Analytics » pour analyser tes comportements et mieux savoir quelles pages web marchent bien et comment. Mais du coup, ces infos ne sont pas données qu’à la personne qui a fait le site web : Google les récupère au passage. Là où ça devient marrant, c’est quand on se demande qui décide qu’un site marche « bien » ? C’est quoi ce « bien » ? C’est bien pour qui…?

Oui : avec le blog rank comme avec la YouTube money, Google décide souvent de comment nous devons créer nos contenus.

6) Un email est une carte postale

On a tendance à comparer les emails (et les SMS) à des lettres, le truc sous enveloppe. Sauf que non : c’est une carte postale. Tout le monde (la poste, le centre de tri, ceux qui gèrent le train ou l’avion, l’autre centre de tri, le facteur…), tous ces gens peuvent lire ton message. J’ai même des pros qui me disent que c’est carrément un poster affiché sur tous les murs de ces intermédiaires, puisque pour transiter par leurs ordis, ton email se… copie. Oui, même si c’est une photo de tes parties intimes…

Si tu veux une enveloppe, il faut chiffrer tes emails (ou tes sms).

Gamin, j’adorais déchiffrer les messages codés dans la page jeux du journal de Mickey. Y’avait une phrase faite d’étoiles, carrés, et autre symboles, et je devais deviner que l’étoile c’est la lettre A, le cœur la lettre B, etc. Lorsque j’avais trouvé toutes les correspondances c’était le sésame magique : j’avais trouvé la clé pour déchiffrer la phrase dans la mystérieuse bulle de Mickey.

Imagine la même chose version calculatrice boostée aux amphètes. C’est ça, le chiffrement. Une petit logiciel prend ton email/SMS, applique la clé des correspondances bizarres pour le chiffrer en un brouillard de symboles, et l’envoie à ton pote. Comme vos logiciels se sont déjà échangé les clés, ton pote peut le déchiffrer. Mais comme il est le seul à avoir la clé, lui seul peut le déchiffrer.

Ben ça, ça te fait une enveloppe en plomb que même le regard laser de Superman il peut pas passer au travers pour lire ta lettre.

7) Le cloud, c’est l’ordinateur d’un autre.

Image de nos ami-e-s de la FSFe
Image de nos ami-e-s de la FSFe

Mettre sur le cloud ses fichiers (icloud), ses emails (gmail), ses outils (Office365)… c’est les mettre sur l’ordinateur d’Apple, de Google, de Microsoft.

Alors OK, on parle pas d’un petit PC qui prend la poussière, hein. On parle d’une grosse ferme de serveurs, de milliers d’ordinateurs qui chauffent tellement que des climatiseurs tournent à fond.

Mais c’est le même principe : un serveur, c’est un ordinateur-serviteur en mode Igor, qui est tout le temps allumé, qu’on a enchaîné au plus gros tuyau internet possible. Dès qu’on lui demande une page web, un fichier, un email, une application… on le fouette et il doit répondre au plus vite « Ouiiiiii, Mestre ! »

Tout le truc est de savoir si tu fais confiance aux Igors de savants fous dont le but est de devenir les plus riches et les maîtres du monde, ou au petit Igor du gentil nerd du coin… Voire si tu te paierais pas le luxe d’avoir ton propre Igor, ton propre serveur à la maison.

 

8) Facebook est plus fort que ma volonté.

Moi, après quelques minutes de Facebook (allégorie.)
Moi, après quelques minutes de Facebook (allégorie.)

Ouais, je suis faible. J’ai, encore aujourd’hui, le réflexe « je clique sur facebook entre deux trucs à faire ». Ou Twitter. Ou Tumblr. Ou l’autre truc à la con, OSEF, c’est pareil.

Cinq minutes plus tard, je finis dans état de semi zombie, à scroller de la mollette en voyant mon mur défiler des informations devant mes yeux hypnotisés. Je finis par faire ce qu’on attend de moi : cliquer sur un titre putassier, liker, retwetter une notification et répondre à des trucs dont je n’aurais rien à foutre si une vague connaissance venait m’en parler dans un bar.

Ce n’est pas que je manque de volonté : c’est juste que Facebook (et ses collègues de bureau) m’ont bien étudié. Enfin, ils ont plus étudié l’humain que moi, mais pas de bol : j’en fais partie. Du coup ils ont construit leurs sites, leurs applications, etc. de façon à me piéger, à ce que je reste là (afin de bouffer leur pub), et à ce que j’y retourne.

Ces techniques de design qui hackent notre esprit (genre le « scroll infini », le « bandit manchot des notifications » et les « titres clickbait » dont je parle juste au dessus) sont volontaires, étudiées et documentées. Elles utilisent simplement des failles de notre esprit (subconscient, inconscient, biais cognitifs… je laisse les scientifiques définir tout cela) qui court-circuitent nos volontés. Ce n’est pas en croyant qu’on est maître de soi-même qu’on l’est vraiment. C’est souvent le contraire : le code fait la loi jusque dans nos esprits.

Bref, je suis faible, parce que je suis humain, et donc je suis pas le seul. Et ça, les géants du web l’ont bien compris.

9) Internet est ce que j’en ferai

Juste fais-le.
Juste fais-le.

Si je veux voir d’autres choses dans ma vie numérique, j’ai le choix : attendre que les autres le fassent jusqu’à ce que des toiles d’araignées collent mes phalanges aux touches de mon clavier, en mode squelette… ou bien je peux bouger mes doigts.

Alors ouais, j’ai pas appris à conduire en vingt heures de cours, j’ai raté plein de gâteaux avant de m’acheter les bons ustensiles et la première écharpe que j’ai faite avait pleins de trous. Mais aujourd’hui, je sais conduire, faire des pâtisseries pas dégueu et même me tricoter un pull.

Ben créer et diffuser des contenus sur Internet, c’est pareil, ça s’apprend. On trouve même facilement les infos et les outils sur Internet (dont des cours de tricot !).

Une fois qu’on sait, on peut proposer autre chose : c’est la mode des articles courts, creux et aux titres putassiers ? Tiens, et si je gardais le coup du titre pour faire un top, mais cette fois-ci dans un article blog long, dense, et condensant une tonne de sujets épars…?

Oh, wait.

10) C’est pas la fin du monde, juste le début.

Quand on voit à quel point on a perdu la maîtrise de l’informatique, de nos vies numériques, de notre capacité à simplement imaginer comment on pourrait faire autrement… y’a de quoi déprimer.

Mais avant que tu demandes à ce qu’on t’apporte une corde, une pierre et une rivière, regarde juste un truc : le numérique est une révolution toute jeune dans notre Histoire. C’est comme quand tu découvres le chocolat, le maquillage, ou une fucking nouvelle série qui déboîte : tu t’en fous plein la gueule.

Sociétalement, on vient de se gaver d’ordinateurs (jusqu’à en mettre dans nos poches, ouais, de vrais ordis avec option téléphone !) et de numérique, et là les plus gros marchands de chocolat/maquillage/séries se sont gavés sur notre dos en nous fourguant un truc sucré, gras et qui nous laisse parfois l’estomac au bord des lèvres.

Mais on commence tout juste, et il est encore temps d’apprendre à devenir gourmet, à savoir se maquiller avec finesse, et même à écrire une fan fiction autour de cette nouvelle série.

Il est temps de revenir vers une informatique-amie, à échelle humaine, vers un outil que l’on maîtrise nous ! (et pas l’inverse, parce que moi j’aime pas que mon lave-linge me donne des ordres, nanmého !)

Des gens plus intelligents et spécialistes que moi m’ont dit qu’avec le trio « logiciel libres + chiffrement + services décentralisés », on tenait une bonne piste. J’ai tendance à les croire, et si ça te botte, tu peux venir explorer cette voie avec nous. Cela ne nous empêchera pas d’en cheminer d’autres, ensemble et en même temps, car nous avons un vaste territoire à découvrir.

Alors, t’es prêt pour la terra incognita ?

Allez, viens, on va explorer le monde des possibles !
Allez, viens, on va explorer le monde des possibles !




Des routes et des ponts (11) – Les défis de la maintenance

Dans ce onzième chapitre de son ouvrage Des routes et des ponts que l’équipe Framalang vous traduit semaine après semaine (si vous avez raté le début), Nadia Eghbal aborde le problème endémique des infrastructures numériques open source, leur manque de ressources humaines pérennes : entre ceux qui s’y consacrent à corps perdu et s’arrêtent au bord du burnout, les entreprises qui profitent des ressources sans jamais contribuer en retour, ceux qui se lancent ingénument dans le développement sans notion bien nette de sécurité, ceux qui ne peuvent contribuer que sur un temps libre limité… Des témoignages sur ces situations et d’autres encore ont été recueillis dans ce chapitre.

Comme le souligne l’autrice, cette situation bancale a pour conséquence un coût important en termes d’argent et de sécurité pour l’ensemble de l’industrie numérique qui puise abondamment dans l’infrastructure numérique open source.

 

Négliger les infrastructures a un coût caché

Traduction Framalang : Piup, jums, Penguin, serici, xi, Asta, Diane, glissière de sécurité, Luc, goofy, lyn

Comme nous l’avons vu, l’infrastructure numérique est un constituant essentiel du monde actuel. Notre société repose sur les logiciels, et ces logiciels s’appuient de plus en plus sur une infrastructure qui utilise des méthodologies open source. Dans la mesure où nous prenons peu d’initiatives pour comprendre et pérenniser notre infrastructure numérique, que mettons-nous en péril ?
Ne pas réinvestir dans l’infrastructure numérique présente des dangers que l’on peut classer en deux catégories : les coûts directs et les coûts indirects.

Les coûts directs

Les coûts directs sont les bogues non détectés et les vulnérabilités de sécurité qui peuvent être exploitées à des fins malveillantes, ou qui mènent à des interruptions imprévues dans le fonctionnement des logiciels. Ces coûts sont fortement ressentis et causent des problèmes qui doivent être résolus immédiatement.

Les coûts indirects

Les coûts indirects se traduisent par exemple par la perte de main-d’œuvre qualifiée, ainsi qu’une croissance faible et peu d’innovation. Même si ces coûts ne sont pas immédiatement perceptibles, ils représentent une valeur sociale difficile à évaluer.

Bogues, failles de sécurité et interruptions du service

L’introduction de ce rapport relatait les détails de la faille de sécurité Heartbleed, qui a été découverte en avril 2014 dans une bibliothèque logicielle appelée OpenSSL. Du fait de son usage généralisé, notamment pour le fonctionnement de nombreux sites web majeurs, Heartbleed a largement attiré l’attention du public sur le problème des failles de sécurité des logiciels.

En septembre 2014, une autre faille majeure a été découverte dans un autre outil essentiel appelé Bash. Bash est inclus dans des systèmes d’exploitation populaires tels que Linux et Mac OS, ce qui fait qu’il est installé sur 70 % des machines connectées à internet.

L’ensemble de bugs de sécurité, surnommés « ShellShock », peuvent être exploités pour permettre un accès non autorisé à un système informatique. Les vulnérabilités étaient restées non-détectées pendant au moins une décennie. Bash a été créé à l’origine par un développeur appelé Brian Fox en 1987, mais depuis 1992 il est maintenu par un seul développeur, Chet Ramey, qui travaille comme architecte technique senior à la Case Western University dans l’Ohio.

Un autre projet, OpenSSH, fournit une suite d’outils de sécurité dont l’usage est largement répandu sur internet. Des développeurs ont trouvé de multiples failles dans son code qui ont pu être prises en charge et corrigées, y compris celle de juillet 2015, qui permettait aux attaquants de dépasser le nombre maximal d’essais sur les mots de passe, et celle de janvier 2016, qui laissait fuiter les clefs de sécurité privées.

L’un des aspects du problème est que beaucoup de projets sont des outils anciens, développés au départ par un ou plusieurs développeurs passionnés, qui ont par la suite manqué de ressources pour gérer le succès de leur projet. Avec le temps, les contributions diminuent et les acteurs restants se lassent et s’en vont, mais pour autant le projet est toujours activement utilisé, avec seulement une ou deux personnes tâchant de le maintenir en vie.

Un autre problème croissant dans le paysage des logiciels actuel, où l’on voit tant de jeunes développeurs inexpérimentés, c’est que les concepts de sécurisation ne sont pas enseignés ou pas considérés comme prioritaires. Les nouveaux développeurs veulent simplement écrire du code qui marche. Ils ne savent pas faire un logiciel sécurisé, ou pensent à tort que le code public qu’ils utilisent dans la sécurité de leurs programmes a été vérifiée. Même les bonnes pratiques de divulgation sécurisée ou de gestion des failles ne sont généralement pas enseignées ni comprises. La sécurité ne devient un enjeu que lorsque le code d’un développeur a été compromis.

Christopher Allen a coécrit la première version du protocole de transfert sécurisé TLS (Transport Layer Security), dont les versions successives sont devenues un standard utilisé quasiment universellement en ligne, y compris sur des sites comme Google, Facebook ou YouTube. Bien que le protocole soit devenu un standard, Christophe parle ainsi de ses origines :

« En tant que co-auteur de TLS, je n’aurais pas prédit que 15 ans plus tard la moitié d’Internet utiliserait une implémentation de TLS maintenue par un ingénieur à quart-temps. C’est ce manque de maintenance qui a conduit au bug tristement célèbre de Heartbleed. Je raconte aujourd’hui cette anecdote à mes collègues qui travaillent sur les crypto-monnaies pour les avertir que leur chiffrage, ultra moderne aujourd’hui, pourrait  être ’dépassé’ dans 10 ans et subir le même sort, le projet n’étant plus aussi passionnant, et leur travail acharné risquerait d’être compromis. »

En définitive, la stabilité de nos logiciels repose sur la bonne volonté et la coopération de centaines de développeurs, ce qui représente un risque significatif. La fragilité de notre infrastructure numérique a récemment été démontrée par un développeur nommé Azer Koçulu.
Azer, un développeur Node.js, hébergeait un certain nombre de bibliothèques sur un gestionnaire de paquets nommé npm. Après un conflit avec npm sur la propriété intellectuelle d’un de ses projets, Azer, mécontent de l’issue du conflit, décida de supprimer toutes les publications qu’il avait pu faire sur npm.

L’une de ces bibliothèques, left-pad, avait été réutilisée dans des centaines d’autres projets. Même s’il ne s’agissait que de quelques lignes de code, en supprimant le projet left-pad, Azer a « cassé » les algorithmes d’innombrables protocoles logiciels développés par d’autres. La décision d’Azer a provoqué tant de problèmes que npm a pris la décision sans précédent de republier sa bibliothèque, contre la volonté d’Azer, afin de restaurer les fonctionnalités offertes par le reste de l’écosystème.

Npm a aussi revu sa politique pour qu’il soit plus difficile pour les développeurs de retirer leurs bibliothèques sans avertissement, reconnaissant ainsi que les actions d’un individu peuvent en affecter négativement beaucoup d’autres.

Les logiciels ne reçoivent pas la maintenance nécessaire dont ils ont besoin

Construire une infrastructure numérique de façon désorganisée implique que tout logiciel sera construit plus lentement et moins efficacement. L’histoire de l’infrastructure Python en fournit un bon exemple.

L’un des importants projets d’infrastructure pour les développeurs Python se nomme Setuptools. Setuptools fournit un ensemble d’outils qui rendent le développement en Python plus simple et plus standardisé.
Setuptools a été écrit en 2004, par le développeur PJ Eby. Pendant les quatre années qui ont suivi, l’outil a été largement adopté. Néanmoins, Setuptools était difficile à installer et à utiliser, et Eby était très peu réceptif aux contributions et aux corrections apportées par d’autres, car il voulait, en tant que concepteur, avoir le dernier mot sur Setuptools. En 2008, un groupe de développeurs conduits par Tarek Ziade a décidé de forker le projet pour obliger Eby à faire des améliorations. Ils ont appelé le nouveau projet « Distribute ». En 2013, les deux projets ont fusionné dans Setuptools.
Ce long désaccord a néanmoins souligné à la fois l’état douteux des outils de l’infrastructure de Python, et la difficulté de mettre en œuvre des améliorations, notamment parce que personne ne se consacrait aux problèmes de la communauté ni ne désirait s’en occuper.

Les outils de Python ont commencé à s’améliorer quand le groupe de travail Python Packaging Authority (PyPA) s’est formé pour se consacrer spécifiquement à définir de meilleurs standards pour le paquetage. Un développeur, Donald Stufft, fit des outils de paquetage Python le cœur de son travail et fut engagé par HP (devenu HPE) en mai 2015 pour poursuivre son travail (son parcours sera évoqué plus tard dans ce rapport).

Un autre exemple intéressant est celui de RubyGems.org, un site web utilisé par la plupart des développeurs Ruby pour héberger leurs bibliothèques Ruby. Ruby a été utilisé pour bâtir des sites web majeurs comme Twitter, AirBnB, YellowPages et GitHub lui-même. En 2013, une faille de sécurité de RubyGems.org a été découverte, mais elle ne fut pas réparée avant plusieurs jours, parce que RubyGems.org était entièrement maintenue par des bénévoles. Les bénévoles pensaient régler le problème le week-end, mais pendant ce temps, quelqu’un d’autre a découvert la faille et a piraté le serveur de RubyGems.org. Après l’attaque, les serveurs ont dû être entièrement reconfigurés. Plusieurs bénévoles ont pris sur leur temps de travail, et certains ont même pris des jours de congé, afin de remettre RubyGems.org en état de marche le plus vite possible.

Comme RubyGems.org est un élément d’infrastructure critique, la faille de sécurité affectait par rebond beaucoup de développeurs et d’entreprises. L’incident a mis en lumière le fait qu’un travail fondé uniquement sur la base du volontariat limitait les garanties de sécurité et de fiabilité que l’on pouvait offrir sur une infrastructure logicielle importante. Des dizaines de développeurs se mobilisèrent de façon « bénévole » pendant l’incident parce que le problème affectait directement leur emploi salarié.

Malheureusement, aucun d’entre eux n’avait l’expérience requise pour être utile, et aucun d’entre eux n’a continué à offrir son aide une fois les serveurs réparés. En 2015, une organisation nommée Ruby Together a été formée pour aider à financer la maintenance et le développement de l’infrastructure Ruby, entre autres RubyGems.org, en sollicitant des entreprises comme sponsors.

La perte de main-d’œuvre qualifiée

Comme dans beaucoup de communautés de bénévoles, le « burnout » est commun parmi les contributeurs open source, qui se retrouvent à répondre aux requêtes d’utilisateurs individuels ou d’entreprises, pour un travail sans compensation. Beaucoup de développeurs ont des anecdotes où des entreprises les sollicitaient pour du travail gratuit. Daniel Roy Greenfield, développeur Django et Python, a écrit :

« J’ai personnellement eu des demandes pour du travail non-payé (les discussions pour payer le travail n’aboutissent jamais) par des entreprises à haut profit, grandes ou petites, pour [mes projets]. Si je ne réponds pas dans les temps convenus, si je n’accepte pas une pull request merdique, on va me mettre une étiquette de connard. Il n’y a rien de pire que d’être face à des développeurs du noyau Python/PyPA travaillant pour Redhat [sic], qui exigent de toi un travail non payé tout en critiquant ce qu’ils considèrent comme les insuffisances de ton projet, pour te pourrir ta journée et plomber ta foi en l’open source. »

(Red Hat est une multinationale du logiciel avec un revenu annuel excédant les 2 milliards d’euros, qui vend des logiciels open source à des clients d’entreprise. Du fait de la nature de leur entreprise, les employés de Red Hat utilisent et contribuent à de nombreux projets open source : en un sens, Red Hat est devenu la tête d’affiche de l’open source dans le monde de l’entreprise. Nous reparlerons de son succès financier plus tard dans ce rapport).

Read the Docs, service d’hébergement de documentation technique précédemment mentionné, annonce explicitement sur son site qu’il ne s’occupe pas de l’installation personnalisée dans les entreprises ou chez les particuliers.

L’un des mainteneurs, Eric Holscher, va jusqu’à faire ce commentaire :
« Je suis à peu près sûr que Read the Docs n’a aucun intérêt à être open source, vu que les utilisateurs privés ne contribuent jamais en retour, et se contentent de demander une assistance gratuite. »
Maquess, le contributeur OpenSSL, a tenu un discours acerbe à propos des requêtes récurrentes sur ses posts qui parlent de financement :

« C’est à vous que je pense, entreprises du Fortune 1000. Vous qui incluez OpenSSL dans vos firewall/dispositifs/cloud/produits financiers ou de sécurité, tous ces produits que vous vendez à profit, ou que vous utilisez pour vos infrastructures et communications internes. Vous qui n’avez pas besoin de financer une équipe interne de programmeurs pour se débattre avec du code crypté, puis qui nous harcelez pour obtenir une assistance gratuite quand vous réalisez que vous êtes incapables de l’utiliser. Vous qui n’avez jamais levé le petit doigt pour contribuer à la communauté open source qui vous a fait ce cadeau. Les concernés se reconnaîtront. Certains développeurs choisissent d’arrêter de maintenir leurs projets parce qu’ils n’ont plus assez de temps à y consacrer, et espèrent que quelqu’un d’autre prendra le relais. Pendant ce temps, les entreprises, les gouvernements et les individus dépendent de ces bibliothèques pour leur bon fonctionnement, inconscients des enjeux sous-jacents. »

David Michael Ross, ingénieur manager dans une agence web, a écrit au sujet de son expérience :

« Pour moi, c’est là que le bât blesse.  […] On sait qu’on a créé quelque chose gratuitement, par passion, et on voit ce flux infini de personnes qui crient « plus ! encore plus ! » et qui se mettent en colère quand on ne traite pas leur cas particulier.
Il y avait mon numéro de téléphone sur l’un de mes sites personnels pour que mes amis puissent me joindre. Je l’ai enlevé au bout d’une semaine parce que des gens m’appelaient à toute heure de la journée pour de l’assistance sur les plugins, alors qu’il y a un forum consacré à ça. Il n’y a rien de fondamentalement méchant là-dedans, c’est juste que c’est usant. On se met à avoir peur de vérifier ses mails ou de répondre au téléphone. »

Ryan Bigg, qui écrit de la documentation technique pour le framework Ruby on Rails, a annoncé en novembre 2015 qu’il renonçait à tout travail open source :

« Je n’ai plus le temps ni l’énergie de m’investir dans l’open source. Je ne retire strictement aucun revenu de mon travail open source, ce qui veut dire que le travail que je fais là, c’est du temps que je pourrais consacrer à des activités perso, ou à écrire. Ce n’est pas justifié d’attendre de moi que je travaille encore, en dehors de mon emploi salarié, sans que je sois honnêtement rétribué pour ça (en temps ou en argent). C’est aussi une recette qui a de bonnes chances de me conduire au burnout ou de me rendre juste globalement aigri.

Par ailleurs, la perte de main-d’œuvre qualifiée dans l’open source, ce n’est pas seulement les contributeurs qui démissionnent, c’est aussi ceux qui n’ont jamais contribué du tout. »

Il existe très peu de statistiques sur la démographie des contributeurs open source, ce qui est déjà révélateur en soi. Une analyse récente de GitHub a révélé que seulement 5,4% des contributeurs open source étaient des femmes, qui occupent pourtant environ 15 à 20% des postes techniques dans l’ensemble des entreprises de logiciels.

L’une des raisons qui font que les contributeurs open source sont un groupe remarquablement plus homogène que le secteur de la technologie dans son ensemble, c’est qu’ils ont besoin de temps et d’argent pour apporter dans un premier temps des contributions significatives. Ces contraintes empêchent des contributeurs par ailleurs qualifiés d’entrer dans cet espace.
David Maclver, créateur de Hypothésis, une bibliothèque Python qui sert à tester des applications logicielles, explique pourquoi il a pu passer autant de temps sur le projet :

« J’ai pu le faire seulement parce que j’avais le temps et l’argent pour le faire. J’avais le temps parce que j’étais obsessionnel, je n’avais personne à charge, et je n’avais pas d’emploi. Je pouvais me permettre de ne pas avoir d’emploi parce que j’avais de l’argent. J’avais de l’argent parce que pendant la dernière moitié de l’année passée, je touchais un salaire deux fois plus élevé que d’habitude, en dépensant deux fois moins que d’habitude, et je traversais une dépression qui me rendait trop borderline pour avoir envie de dépenser mon argent dans quoi que ce soit d’intéressant. Ce ne sont pas des conditions qu’on peut raisonnablement exiger de quelqu’un. […] Est-ce qu’on pourrait produire un logiciel de qualité en moins de temps que ça, en ne travaillant que sur du temps libre ? J’en doute. »

6196938171_447ee71493_z
Photo par hiroo yamagata (CC BY 2.0)

Cory Benfield, un développeur pour les fonctions de base de Python, écrit :

« De manière générale, les personnes qui ne sont pas des hommes cisgenres, hétérosexuels, blancs, de classe moyenne, et anglophones sont moins susceptibles de pouvoir assumer les risques financiers accrus associés à l’absence d’emploi stable. Cela signifie que ces personnes ont vraiment besoin d’un salaire régulier pour pouvoir contribuer le plus efficacement possible. Et nous avons besoin de leur contribution : des équipes diversifiées font un meilleur travail que des équipes homogènes. »

Charlotte Spencer, qui contribue au framework logiciel Hoodie et au système de bases de données PouchDB, fait écho à cette opinion :

« Toutes mes contributions sont purement bénévoles. Je n’en retire pas d’argent, même si j’aimerais beaucoup pouvoir. J’ai demandé à des vétérans de l’open source s’ils étaient payés et ce n’est pas le cas, ce qui m’a découragé d’essayer quoi que ce soit (si ces gens-là ne sont pas payés, pourquoi le serais-je ?). J’y consacre la plus grande partie de mon temps libre, mais j’essaie d’en faire moins parce que ça envahissait trop ma vie. »

Jessica Lord, développeuse, a contribué activement à l’open source tout en travaillant à Code for America, une organisation à but non-lucratif qui soutient la technologie dans le secteur public. Urbaniste de formation, elle insiste sur le fait qu’elle n’avait « pas de diplôme en informatique, pas d’expérience formelle en programmation, mais un portfolio GitHub ».

Ses contributions régulières attirèrent l’attention de la plate-forme GitHub elle-même, pour qui elle travaille désormais. Cependant, Jessica note qu’elle a pu contribuer à l’open source grâce à un concours de circonstances « particulier » : elle a accepté une baisse de salaire pour travailler à Code for America, utilisé toutes ses économies, travaillé « presque non-stop » sur des projets open source, et bénéficié d’une communauté de soutiens.

À propos du manque de diversité dans l’open source, Jessica écrit:

« La valeur des savoirs communs ne peut être surestimée. Nous devons faire mieux. Nous avons besoin des idées de tout le monde. C’est le but que nous devrions chercher à atteindre. Il est nécessaire que l’open source soit ouvert à tous. Pas seulement aux privilégiés ou même aux seuls développeurs. »

Ce dernier point soulevé par Jessica Lord est révélateur : permettre à des profils plus divers de participer à l’open source peut aider à pérenniser l’open source en elle-même. D’un point de vue fonctionnel, la grande majorité des contributeurs open source sont des développeurs, mais beaucoup d’autres rôles sont nécessaires pour gérer les projets d’ampleur, comme la rédaction, la gestion de projet ou la communication. Les projets open source ne sont pas différents des autres types d’organisations, y compris les startups où l’on a besoin de personnes se chargeant de l’administration, du marketing, du design, etc., qui sont autant de fonctions nécessaires au fonctionnement de base d’une structure. C’est en partie parce que la culture open source repose principalement sur les développeurs que la pérennité financière est si rarement l’objet de discussions et d’actions concrètes.

Enfin, l’homogénéité des contributeurs open source impacte les efforts en faveur de la diversité dans le monde de la technologie au sens large, puisque l’open source est étroitement lié à l’embauche. En effet, comme nous l’avons remarqué plus haut, beaucoup d’employeurs utilisent les contributions open source, notamment les profils GitHub, pour découvrir leurs futurs employés potentiels ou pour vérifier les qualifications d’un candidat. Les employeurs qui se fient ainsi essentiellement aux preuves de contributions open source ne recrutent que parmi un vivier de candidats extrêmement restreint.

Ashe Dryden, dans un essai important intitulé L’Éthique du travail non payé et la Communauté OSS, expliquait :

« Juger que quelqu’un est un bon programmeur en se basant uniquement sur le code qu’il rend disponible publiquement, c’est exclure bien plus que les gens marginaux. C’est aussi exclure quiconque n’est pas autorisé à publier son code publiquement pour des raisons de licence ou de sécurité. Cela concerne également un grand nombre de travailleurs freelance ou de contractuels qui, pour des raisons légales, n’ont pas le droit de revendiquer publiquement leur participation à un projet (par exemple s’ils ont signé un accord de confidentialité). Dans une industrie où on lutte pour dénicher assez de talents, pourquoi limitons-nous artificiellement le spectre des candidats ? » (source)

Comment atténuer ou éviter certains des coûts qui s’imposent aux personnes qui participent à l’élaboration d’infrastructures numériques aujourd’hui ? Pour commencer, nous analyserons comment les projets d’infrastructure sont actuellement financés.




Un peu d’hygiène numérique

Les quelques conseils qui suivent sont élémentaires et relèvent du bon sens plus que de la technique. Ils doivent cependant être répétés sans cesse tant il nous est facile de passer outre et de négliger ce qui peut pourtant nous rendre un fier service…

Saviez-vous que Mozilla dispose d’une équipe et d’un site Internet Citizen qui publie de semaine en semaine des conseils pour que chacun puisse agir et « Protéger la plus vaste ressource globale partagée » ? C’est sur ce portail que j’ai choisi l’article de M.J. Kelly, à la suite duquel vous trouverez quelques pistes pour aller plus loin. Mais avant d’installer un VPN, de chiffrer notre disque dur ou de créer un nœud Tor, si nous commencions par sécuriser nos mots de passe ?

 

Devez-vous vraiment masquer votre webcam ?

Source : Should you cover your webcam?

par M.J. Kelly

mjkelly2Lorsque les médias nous ont révélé que des personnalités comme le PDG de Facebook Mark Zuckerberg et le directeur du FBI James Comey masquaient leurs webcams, nous avons été amenés à nous demander si nous ne devrions pas tous en faire autant. Mettre un post-it ou un bout de sparadrap sur la caméra peut vous donner l’impression que vous gardez le contrôle en vous protégeant contre l’espionnage d’un pirate. C’est vrai, tant que votre webcam est masquée, on ne peut pas vous voir, mais est-ce une protection efficace pour votre sécurité ?

Marshall Erwin, responsable du département Vie privée et confidentialité chez Mozilla, répond : « — pas tant que ça… »

Masquer votre webcam pourrait en réalité aggraver la situation, précise Erwin. Les pirates pourraient encore vous écouter en utilisant le microphone, par exemple. Si vous avez masqué la caméra et ne voyez pas le voyant lumineux à côté de la lentille, vous ne saurez pas que le pirate a activé la caméra et vous écoute.

Erwin souligne également que votre webcam peut être compromise par d’autres moyens, comme le piratage des appels vidéo, appelé piggybacking(1). Masquer votre webcam n’est pas une défense parfaite.

newsletter_03_bandaid_1-0_blog
Un bout de sparadrap, pourquoi pas, mais…

Avant de la débrancher carrément, il existe de meilleures solutions que de lui coller un pansement ou de la jeter à la poubelle. Vous pouvez faire preuve d’astuce et vous protéger des intrusions de sécurité avant qu’elles ne surviennent

Voici quoi faire :

  • Choisissez des mots de passe forts. Que ce soit pour votre box chez vous ou pour vos comptes sur les réseaux sociaux, choisir des mots de passe robustes est votre meilleure protection contre toutes sortes de menaces sur le Web. C’est avec de bonnes pratiques de sécurité comme celle-là qu’il sera plus difficile de compromettre les appareils que vous utilisez, au passage votre webcam sera protégée elle aussi.
  • Méfiez-vous des liens. Des délinquants utilisent toute sortes d’astuces pour accéder à vos ordinateurs, Ils vous envoient entre autres des liens qui ont l’air inoffensifs. Ils recèlent en réalité des logiciels malveillants ou des virus qui sont ensuite les vecteurs de corruption de votre ordinateur. Si un lien ou un téléchargement ne vous semble pas tout à fait sûr, il ne l’est probablement pas. Vérifiez que tous les logiciels que vous installez proviennent de sources fiables et ne cliquez pas à tout-va sur des ressources qui paraissent vaguement suspectes, même si vous pensez en connaître l’origine.
  • Installez un système de sécurité. Les logiciels antivirus ne vous protégeront pas contre toutes les menaces mais c’est un bon début. Si vous installez un dispositif de sécurité, maintenez-le à jour et utilisez-le pour analyser régulièrement la sécurité de vos appareils. Des entreprises spécialisées gagnent leur vie en combattant les menaces, pour que vous n’ayez pas à le faire.
  • Faites appel à un spécialiste. Si vous pensez que votre webcam a été compromise, c’est-à-dire piratée, vérifiez avec un professionnel expérimenté en informatique pour savoir comment faire. Soyez conscient-e qu’il va vous falloir déployer beaucoup de patience pour que votre appareil soit remis en état.

En définitive, vous n’avez pas vraiment de raisons d’avoir peur d’utiliser des webcams. Elles ne représentent qu’un petit élément parmi une foule de technologies web qui rendent Internet dynamique et plaisant. Restez conscient-e de la possibilité d’avoir une webcam piratée, mais faites preuve de bon sens. Mettez un cache sur votre webcam (une gommette, un postit™, un autocollant avec un chat…) si ça vous fait plaisir, mais ne vous figurez pas que vous tenez là une solution radicale.

Efforcez-vous surtout d’agir en citoyen.ne du numérique avisé.e et conscient.e de sa sécurité en ligne, que la caméra soit ou non activée.

Vous voudrez sûrement aller plus loin :

  • D’autres conseils et astuces pour maîtriser la confidentialité de vos données personnelles, sur le site de Mozilla
  • Le livre //:Surveillance de Tristan Nitot qui conjugue de façon accessible à tous analyse des risques et recommandations utiles
  • L’excellent petit Guide d’hygiène numérique (lien direct vers le .pdf) de l’ami Genma, qui ne demande qu’à être complété ou amélioré sur le Framagit.

 

(1) Voyez l’entrée Piggybacking du glossaire en français du site panoptinet.com




Si Google vous ignore, votre projet est en péril

L’affaire a eu un certain retentissement : une entreprise qui propose du courrier électronique chiffré à ses clients et dont la croissance commence à faire de l’ombre à Gmail disparaît subitement des écrans de radar, ou plutôt des premières pages de la recherche Google, ce qui met en danger son modèle économique.

Aujourd’hui tout est réparé, mais cet épisode illustre une fois de plus le pouvoir de nuisance de Google dans la recherche sur Internet, qui est désormais un tentacule parmi d’autres de la pieuvre Alphabet.

google-search-risk-monopoly
Remerciements particuliers au graphiste James Belkevitz de Glasgow pour cette image

Traduction Framalang : Penguin, goofy, Asta, Rozmador, Lumibd, KoS, xi
Article original sur le site de ProtonMail : Search Risk – How Google Almost Killed ProtonMail

Le risque de la recherche — Comment Google a bien failli faire disparaître ProtonMail

par Andy Yen

andyyenprotonmailcofounder
Andy est un cofondateur de ProtonMail

Ces deux derniers mois, nombre d’entre vous nous ont contactés pour en savoir plus sur le mystérieux tweet que nous avons envoyé à Google en août. Chez ProtonMail, la transparence est une valeur fondamentale, et nous essayons d’être aussi transparents envers notre communauté que possible. Comme beaucoup de gens continuent à nous poser des questions, nous devons être plus transparents à ce sujet pour éviter toute confusion et spéculation. C’est pourquoi nous racontons toute l’affaire aujourd’hui pour clarifier ce qui est arrivé.

Que s’est-il passé ?

Pour faire court, depuis un an Google ne faisait pas apparaître ProtonMail dans les résultats de recherche (NdT : en langue anglaise) sur les requêtes telles que secure email (e-mail sécurisé) et encrypted email (e-mail chiffré). C’était très suspect car ProtonMail a longtemps été le plus important fournisseur de messagerie chiffrée au monde.

Lorsque la version bêta de ProtonMail a été lancée en mai 2014, notre communauté a rapidement grandi tandis que des gens du monde entier se sont réunis et nous ont soutenu dans notre mission de protection de la vie privée à l’ère numérique. Notre campagne de financement collaboratif a battu tous les records en récoltant plus d’un demi-million de dollars des donateurs et nous a fourni les ressources nécessaires afin d’être compétitifs, même contre les plus gros mastodontes du secteur de l’e-mail.

À l’été 2015, ProtonMail avait passé la barre du demi-million d’utilisateurs et était le service sécurisé de courriels le plus connu au monde. ProtonMail était aussi bien classé à l’époque dans les résultats de recherche de Google, sur la première ou la deuxième page pour la plupart des requêtes comme secure email et encrypted email. Pourtant, à la fin du mois d’octobre 2015, la situation avait complètement changé, et ProtonMail n’apparaissait mystérieusement plus dans les résultats de recherche pour nos deux mots-clefs principaux.

Entre le début de l’été et l’automne 2015, ProtonMail a, il faut le souligner, connu beaucoup de changements. Nous avons lancé ProtonMail 2.0, sommes passés complètement en open source, nous avons lancé des applications mobiles en bêta, et nous avons mis à jour notre site, remplaçant notre ancien domaine de premier niveau .ch par .com, plus connu. Nous avons aussi doublé en taille, atteignant près d’un million d’utilisateurs à l’automne. Tous ces changements auraient dû amélioré le classement de ProtonMail dans les résultats de recherche puisque nous offrions une solution de plus en plus pertinente pour davantage d’utilisateurs.

En novembre 2015, nous nous sommes aperçu du problème et avons consulté un certain nombre d’experts en référencement reconnus. Aucun d’entre eux ne pouvait comprendre le problème, en particulier parce que ProtonMail n’a jamais utilisé de tactiques déloyales de référencement, et que nous n’avons jamais observé l’utilisation de ces mêmes techniques contre nous. Mystérieusement, le problème était entièrement restreint à Google, puisque cette anomalie n’était constatée pour aucun autre moteur de recherche. Ci-dessous, le classement dans les résultats de recherche de ProtonMail pour les mots-clefs secure email et encrypted email au début du mois d’août 2016 pour les principaux moteurs de recherche. Nous apparaissons sur la première ou la deuxième page partout sauf pour Google où nous n’apparaissons pas du tout.

protonmail_seo_rank_augustTout au long du printemps 2016, nous avons tenté activement d’établir le contact avec Google. Nous avons créé deux tickets sur leur formulaire de signalement de spam où nous expliquions la situation. Nous avons même contacté le président des Relations Stratégiques EMOA chez Google, mais n’avons ni reçu de réponse ni constaté d’amélioration. Vers cette époque, nous avons aussi entendu parler de l’action liée au droit de la concurrence engagée par la Commission Européenne contre Google, accusant Google d’abuser de son monopole sur les recherches pour abaisser le classement de ses concurrents. Il s’agissait d’une nouvelle inquiétante, car en tant que service de courriels qui valorise d’abord la vie privée des utilisateurs, nous sommes la première alternative à Gmail pour les personnes qui souhaitent que leurs données personnelles restent confidentielles.

En août, à défaut d’autre solution, nous nous sommes tournés vers Twitter pour exposer notre problème. Cette fois, nous avons enfin eu une réponse, en grande partie grâce aux centaines d’utilisateurs de ProtonMail qui ont attiré l’attention sur notre situation et l’ont rendue impossible à ignorer. Quelques jours plus tard, Google nous a informés qu’ils avaient « réparé quelque chose » sans fournir plus de détails. Les résultats ont été visibles immédiatement.

google_protonmail_search_risk

Classement dans les résultats de recherche Google de ProtonMail pour Encrypted Email

Dans le graphique ci-dessus, l’axe des abscisses représente le temps et l’axe des ordonnées le classement dans les résultats (les nombres les plus bas sont les meilleurs). Les dates pour lesquelles il n’y a pas de point correspondent à des moments où nous n’apparaissions pas du tout dans les résultats de Google. Après les quelques changements de Google, le classement de ProtonMail s’est immédiatement rétabli et ProtonMail est maintenant n°1 et n°3 respectivement pour secure email et encrypted email. Sans plus d’explications de la part de Google, nous ne saurons sans doute jamais pourquoi ProtonMail a été déclassé. En tout cas, nous apprécions le fait que Google ait enfin fait quelque chose pour résoudre le problème, nous aurions seulement souhaité qu’ils le fassent plus tôt.

Le risque de la recherche

Cet incident souligne cependant un danger auparavant méconnu que nous appelons maintenant le « Risque de la Recherche ». Le danger est que n’importe quel service comme ProtonMail peut facilement être supprimé par les entreprises qui gèrent les moteurs de recherche, ou le gouvernement qui contrôle ces entreprises. Cela peut même arriver à travers les frontières nationales. Par exemple, même si Google est une société américaine, elle contrôle plus de 90 % du trafic de recherche européen. Dans ce cas précis, Google a directement causé une réduction de la croissance mondiale de ProtonMail de plus de 25 % pendant plus de dix mois.

Cela signifiait que les revenus que Protonmail tirait de ses utilisateurs ont été aussi été réduits de 25 %, mettant de la pression financière sur nos activités. Nous sommes passés  de la capacité à  couvrir toutes nos dépenses mensuelles à la nécessité de puiser de l’argent de notre fonds de réserve d’urgence. La perte de revenus et les dommages financiers consécutifs ont été de plusieurs milliers de francs suisses (1 CHF = 1,01 USD), qui ne seront jamais remboursés.

La seule raison pour laquelle nous avons survécu pour raconter cette histoire est que la majeure partie de la croissance de ProtonMail provient du bouche à oreille, et que notre communauté est trop active pour l’ignorer. Bien d’autres entreprises ne seront pas aussi chanceuses. Cet épisode montre que bien que les risques en matière de recherche internet sont sérieux, et nous soutenons donc maintenant la commission européenne : compte tenu de la position hégémonique de Google sur la recherche web, plus de transparence et de surveillance sont indispensables.

Se défendre contre le risque de la recherche

Cet épisode démontre que pour que ProtonMail réussisse, il est important que nous puissions nous développer indépendamment des moteurs de recherche, de sorte qu’il devienne impossible pour n’importe quelle entreprise qui gère la recherche de nous paralyser sans le vouloir. Plus facile à dire qu’à faire, mais voici une liste d’actions que nous pouvons tous mener pour préserver l’avenir de ProtonMail :

  • Parler de ProtonMail à vos amis et votre famille. Vous en tirerez également un autre avantage : le chiffrement automatique de bout en bout lorsque vous leur enverrez un courriel ;
  • Écrire des billets de blog sur ProtonMail et aidez à diffuser le message sur l’importance de la vie privée en ligne ;
  • Passer à un compte payant ou faites un don afin que nous puissions reconstituer plus rapidement notre fonds de réserve d’urgence épuisé ;
  • Aider ProtonMail à atteindre davantage d’utilisateurs à travers les réseaux sociaux. Vous pouvez tweeter ou partager ProtonMail sur Facebook avec les boutons de partage ci-dessous.

Plus nous diffuserons l’idée que la vie privée en ligne est très importante, plus nous rendrons impossible de supprimer ou interdire les services de messagerie chiffrés tels que ProtonMail, ou d’exercer sur eux une pression quelconque. Nous croyons que la vie privée en ligne est essentielle pour un avenir ouvert, démocratique et libre, et quels que soient les obstacles devant nous, nous allons continuer à élaborer les outils nécessaires pour protéger cet avenir. Nous vous remercions de nous soutenir et de rendre cela possible.

Cordialement,
L’équipe ProtonMail




Des routes et des ponts (7) – pour une infrastructure durable

Une question épineuse pour les projets libres et open source est leur maintenance à long terme, et bien évidemment les ressources, tant financières qu’humaines, que l’on peut y consacrer. Tel est le sujet qu’aborde ce nouveau chapitre de l’ouvrage de Nadia Eghbal Des routes et des ponts que le groupe Framalang vous traduit semaine après semaine (si vous avez raté les épisodes précédents)

Elle examine ici une série de cas de figures en fonction de l’origine de l’origine projet.

Comment les projets d’infrastructure numérique sont-ils gérés et maintenus ?

TraductionFramalang : Diane, Penguin, Asta, Rozmador, Lumibd, jum-s, goofy, salade, AFS, Théo

Nous avons établi que les infrastructures numériques sont aussi nécessaires à la société moderne que le sont les infrastructures physiques. Bien qu’elles ne soient pas sujettes aux coûts élevés et aux obstacles politiques auxquels sont confrontées ces dernières, leur nature décentralisée les rend cependant plus difficiles à cerner. Sans une autorité centrale, comment les projets open source trouvent-ils les ressources dont ils ont besoin ?

En un mot, la réponse est différente pour chaque projet. Cependant, on peut identifier plusieurs lieux d’où ces projets peuvent  émaner : au sein d’une entreprise, via une startup, de développeurs individuels ou collaborant en communauté.

Au sein d’une entreprise

Parfois, le projet commence au sein d’une entreprise. Voici quelques exemples qui illustrent par quels moyens variés un projet open source peut être soutenu par les ressources d’une entreprise :

Go, le nouveau langage de programmation évoqué précédemment, a été développé au sein de Google en 2007 par les ingénieurs Robert Griesemer, Rob Pike, et Ken Thompson, pour qui la création de Go était une expérimentation. Go est open source et accepte les contributions de la communauté dans son ensemble. Cependant, ses principaux mainteneurs sont employés à plein temps par Google pour travailler sur le langage.

React est une nouvelle bibliothèque JavaScript dont la popularité grandit de jour en jour.
React a été créée par Jordan Walke, ingénieur logiciel chez Facebook, pour un usage interne sur le fil d’actualités Facebook. Un employé d’Instagram (qui est une filiale de Facebook) a également souhaité utiliser React, et finalement, React a été placée en open source, deux ans après son développement initial.
Facebook a dédié une équipe d’ingénieurs à la maintenance du projet, mais React accepte aussi les contributions de la communauté publique des développeurs.

Swift, le langage de programmation utilisé pour iOS, OS X et les autres projets d’Apple, est un exemple de projet qui n’a été placé en open source que récemment. Swift a été développé par Apple en interne pendant quatre ans et publié en tant que langage propriétaire en 2014. Les développeurs pouvaient utiliser Swift pour écrire des programmes pour les appareils d’Apple, mais ne pouvaient pas contribuer au développement du cœur du langage. En 2015, Swift a été rendu open source sous la licence Apache 2.0.

Pour une entreprise, les incitations à maintenir un projet open source sont nombreuses. Ouvrir un projet au public peut signifier moins de travail pour l’entreprise, grâce essentiellement aux améliorations de la collaboration de masse.
Cela stimule la bonne volonté et l’intérêt des développeurs, qui peuvent alors être incités à utiliser d’autres ressources de l’entreprise pour construire leurs projets.

Disposer d’une communauté active de programmeurs crée un vivier de talents à recruter. Et parfois, l’ouverture du code d’un projet aide une entreprise à renforcer sa base d’utilisateurs et sa marque, ou même à l’emporter sur la concurrence. Plus une entreprise peut capter de parts de marché, même à travers des outils qu’elle distribue gratuitement, plus elle devient influente. Ce n’est pas très différent du concept commercial de « produit d’appel ».

Même quand un projet est créé en interne, s’il est open source, alors il peut être librement utilisé ou modifié selon les termes d’une licence libre, et n’est pas considéré comme relevant de la propriété intellectuelle de l’entreprise au sens traditionnel du terme. De nombreux projets d’entreprise utilisent des licences libres standard qui sont considérées comme acceptables par la communauté des développeurs telles que les licences Apache 2.0 ou BSD. Cependant, dans certains cas, les entreprises ajoutent leurs propres clauses. La licence de React, par exemple, comporte une clause additionnelle qui pourrait potentiellement créer des conflits de revendications de brevet avec les utilisateurs de React.

En conséquence, certaines entreprises et individus sont réticents à utiliser React, et cette décision est fréquemment décrite comme un exemple de conflit avec les principes de l’open source.

Via une startup

Certains projets d’infrastructures empruntent la voie traditionnelle de la startup, ce qui inclut des financements en capital-risque. Voici quelques exemples :
Docker, qui est peut-être l’exemple contemporain le plus connu, aide les applications logicielles à fonctionner à l’intérieur d’un conteneur. (Les conteneurs procurent un environnement propre et ordonné pour les applications logicielles, ce qui permet de les faire fonctionner plus facilement partout). Docker est né en tant que projet interne chez dotCloud, une société de Plate-forme en tant que service (ou PaaS, pour  platform as a service en anglais), mais le projet est devenu si populaire que ses fondateurs ont décidé d’en faire la principale activité de l’entreprise. Le projet Docker a été placé en open source en 2013. Docker a collecté 180 millions de dollars, avec une valeur estimée à plus d’1 milliard de dollars.

Leur modèle économique repose sur du support technique, des projets privés et des services. Les revenus de Docker pour l’année 2014 ne dépassaient pas 10 millions de dollars.

Npm est un gestionnaire de paquets sorti en 2010 pour aider les développeurs de Node.js à partager et à gérer leurs projets. Npm a collecté près de 11 millions de dollars de financements depuis 2014 de la part de True Ventures et de Bessemer Ventures, entre autres. Leur modèle économique se concentre sur des fonctionnalités payantes en faveur de la vie privée et de la sécurité.

Meteor est un framework JavaScript publié pour la première fois en 2012. Il a bénéficié d’un programme d’incubation au sein de Y Combinator, un prestigieux accélérateur de startups qui a également été l’incubateur d’entreprises comme AirBnB et Dropbox. À ce jour, Meteor a reçu plus de 30 millions de dollars de financements de la part de firmes comme Andreessen Horowitz ou Matrix Partners. Le modèle économique de Meteor se base sur une plateforme d’entreprise nommée Galaxy, sortie en Octobre 2015, qui permet de faire fonctionner et de gérer les applications Meteor.

L’approche basée sur le capital-risque est relativement nouvelle, et se développe rapidement.
Lightspeed Venture Partners a constaté qu’entre 2010 et 2015, les sociétés de capital-risque ont investi plus de 4 milliards de dollars dans des entreprises open source, soit dix fois plus que sur les cinq années précédentes.

Le recours aux fonds de capital-risque pour soutenir les projets open source a été accueilli avec scepticisme par les développeurs (et même par certains acteurs du capital-risque eux-mêmes), du fait de l’absence de modèles économiques ou de revenus prévisibles pour justifier les estimations. Steve Klabnik, un mainteneur du langage Rust, explique le soudain intérêt des capital-risqueurs pour le financement de l’open source :

« Je suis un investisseur en capital-risque. J’ai besoin qu’un grand nombre d’entreprises existent pour gagner de l’argent… J’ai besoin que les coûts soient bas et les profits élevés. Pour cela, il me faut un écosystème de logiciels open source en bonne santé. Donc je fais quoi? … Les investisseurs en capital-risque sont en train de prendre conscience de tout ça, et ils commencent à investir dans les infrastructures. […]
Par bien des aspects, le matériel open source est un produit d’appel, pour que tu deviennes accro…puis tu l’utilises pour tout, même pour ton code propriétaire. C’est une très bonne stratégie commerciale, mais cela place GitHub au centre de ce nouvel univers. Donc pour des raisons similaires, a16z a besoin que GitHub soit génial, pour servir de tremplin à chacun des écosystèmes open source qui existeront à l’avenir… Et a16z a suffisamment d’argent pour en «gaspiller » en finançant un projet sur lequel ils ne récupéreront pas de bénéfices directs, parce qu’ils sont suffisamment intelligents pour investir une partie de leurs fonds dans le développement de l’écosystème. »

GitHub, créé en 2008, est une plateforme de partage/stockage de code, disponible en mode public ou privé, doté d’un environnement ergonomique. Il héberge de nombreux projets open source populaires et, surtout, il est devenu l’épicentre culturel de la croissance explosive de l’open source (dont nous parlerons plus loin dans ce rapport).
GitHub n’a reçu aucun capital-risque avant 2012, quatre ans après sa création. Avant cette date, GitHub était une entreprise rentable. Depuis 2012, GitHub a reçu au total 350 millions de dollars de financements en capital-risque.

nickquaranto_cc-by-2-0
Image par Nick Quaranto (CC BY-SA 2.0)

Andreessen Horowitz (alias a16z), la firme d’investissement aux 4 millards de dollars qui a fourni l’essentiel du capital de leur première levée de fonds de 100 millions de dollars, a déclaré qu’il s’agissait là de l’investissement le plus important qu’elle ait jamais fait jusqu’alors.
En d’autres termes, la théorie de Steve Klabnik est que les sociétés de capital-risque qui investissent dans les infrastructures open source promeuvent ces plateformes en tant que « produit d’appel », même quand il n’y a pas de modèle économique viable ou de rentabilité à en tirer, parce que cela permet de faire croître l’ensemble de l’écosystème. Plus GitHub a de ressources, plus l’open source est florissant. Plus l’open source est florissant, et mieux se portent les startups. À lui seul, l’intérêt que portent les sociétés d’investissement à l’open source, particulièrement quand on considère l’absence de véritable retour financier, est une preuve du rôle-clé que joue l’open source dans l’écosystème plus large des startups.
Par ailleurs, il est important de noter que la plateforme GitHub en elle-même n’est pas un projet open source, et n’est donc pas un exemple de capital-risque finançant directement l’open source. GitHub est une plateforme à code propriétaire qui héberge des projets open source. C’est un sujet controversé pour certains contributeurs open source.

 

Par des personnes ou un groupe de personnes

Enfin, de nombreux projets d’infrastructures numériques sont intégralement développés et maintenus par des développeurs indépendants ou des communautés de développeurs. Voici quelques exemples :

Python, un langage de programmation, a été développé et publié par un informaticien, Guido van Rossum, en 1991.
Van Rossum déclarait qu’il « était à la recherche d’un projet de programmation « passe-temps », qui [le] tiendrait occupé pendant la semaine de Noël. »
Le projet a décollé, et Python est désormais considéré comme l’un des langages de programmation les plus populaires de nos jours.

Van Rossum reste le principal auteur de Python (aussi connu parmi les développeurs sous le nom de « dictateur bienveillant à vie » et il est actuellement employé par Dropbox, dont les logiciels reposent fortement sur Python.

Python est en partie géré par la Python Software Foundation (NdT: Fondation du logiciel Python), créée en 2001, qui bénéficie de nombreux sponsors commerciaux, parmi lesquel Intel, HP et Google.

RubyGems est un gestionnaire de paquets qui facilite la distribution de programmes et de bibliothèques associés au langage de programmation Ruby.
C’est une pièce essentielle de l’infrastructure pour tout développeur Ruby. Parmi les sites web utilisant Ruby, on peut citer par exemple Hulu, AirBnB et Bloomberg. RubyGems a été créé en 2003 et est géré par une communauté de développeurs. Certains travaux de développement sont financés par Ruby Together, une fondation qui accepte les dons d’entreprises et de particuliers.

Twisted, une bibliothèque Python, fut créée en 2002 par un programmeur nommé Glyph Lefkowitz. Depuis lors,  son usage s’est largement répandu auprès d’individus et d’organisations, parmi lesquelles Lucasfilm et la NASA.
Twisted continue d’être géré par un groupe de volontaires. Le projet est soutenu par des dons corporatifs/commerciaux et individuels ; Lefkowitz en reste l’architecte principal et gagne sa vie en proposant ses services de consultant.

Comme le montrent tous ces exemples, les projets open source peuvent provenir de pratiquement n’importe où. Ce qui est en général considéré comme une bonne chose. Cela signifie que les projets utiles ont le plus de chances de réussir, car ils évitent d’une part les effets de mode futiles inhérents aux startups, et d’autre part la bureaucratie propre aux gouvernements. La nature décentralisée de l’infrastructure numérique renforce également les valeurs de démocratie et d’ouverture d’Internet, qui permet en principe à chacun de créer le prochain super projet, qu’il soit une entreprise ou un individu.
D’un autre côté, un grand nombre de projets utiles proviendront de développeurs indépendants qui se trouveront tout à coup à la tête d’un projet à succès, et qui devront prendre des décisions cruciales pour son avenir. Une étude de 2015 menée par l’Université fédérale de Minas Gerai au Brésil a examiné 133 des projets les plus activement utilisés sur Github, parmi les langages de programmation, et a découvert que 64 % d’entre eux, presque les deux tiers, dépendaient pour leur survie d’un ou deux développeurs seulement.

Bien qu’il puisse y avoir une longue traîne de contributeurs occasionnels ou ponctuels pour de nombreux projets, les responsabilités principales de la gestion du projet ne reposent que sur un très petit nombre d’individus.

Coordonner des communautés internationales de contributeurs aux avis arrêtés, tout en gérant les attentes d’entreprises classées au Fortune 500 qui utilisent votre projet, voilà des tâches qui seraient des défis pour n’importe qui. Il est impressionnant de constater combien de projets ont déjà été accomplis de cette manière. Ces tâches sont particulièrement difficiles dans un contexte où les développeurs manquent de modèles clairement établis, mais aussi de soutien institutionnel pour mener ce travail à bien. Au cours d’interviews menées pour ce rapport, beaucoup de développeurs se sont plaints en privé qu’ils n’avaient aucune idée de qui ils pouvaient solliciter pour avoir de l’aide, et qu’ils préféreraient « juste coder ».

Pourquoi continuent-ils à le faire ? La suite de ce rapport se concentrera sur pourquoi et comment les contributeurs de l’open source maintiennent des projets à grande échelle, et sur les raisons pour lesquelles c’est important pour nous tous.




Naissance du collectif CHATONS

Nous l’avions annoncé en février dernier sur le Framablog, nous travaillons depuis quelques mois à faire émerger le Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires… bref : les CHATONS.

Le succès de la campagne Dégooglisons Internet a démontré, à l’ère post-Snowden, un intérêt réel du public pour des services web respectueux de vos données et basés sur du logiciel libre. Le problème, c’est que si les « Frama-bidules » deviennent la réponse par défaut à cette demande, alors nous créerons ce que nous combattons : une centralisation des utilisateurs, une concentration des données aussi dangereuse que douteuse.

Or, nous sommes loin d’être les premiers à proposer de telles solutions. Et de nombreuses associations, SCOP, initiatives, etc. sont prêtes à rejoindre un mouvement de décentralisation pour créer des services mutualisés dans un internet de la proximité et de la confiance. De là, il n’y avait qu’un pas à faire pour créer un collectif des hébergeurs proposant de remettre des valeurs et de l’humain dans vos mails, fichiers, partages et collaborations.

Logo du collectif - CC by-sa @GDjeante
Logo du collectif – CC by-sa @GDjeante

Concrètement, que sont les CHATONS ?

Le plus simple, c’est d’aller voir sur le site web chatons.org. Ce site, c’est avant tout une carte vous montrant où sont les hébergeurs de services les plus proches de chez vous, ce qu’ils proposent (du pad, du framadate, du mail etc.) et sous quelles conditions (adhésion, service payant, etc.).

CHATONS, c’est donc un collectif regroupant ces hébergeurs éthiques, libres et loyaux (que l’on nommera… « chatons » !).

L’avantage c’est que chacun de ces chatons s’est engagé sur une charte et un manifeste communs, qui vous garantissent entre autres :

  • l’utilisation de logiciels libres (et autant que possible la contribution ^^) ;
  • aucun profilage publicitaire (pas de pub autre que mécénat et sponsoring) ;
  • le respect de vos données (droit d’accès, interopérabilité, non-transmission à des tiers) ;
  • la transparence (sur la technique comme sur les finances) ;
  • la neutralité (aucune surveillance ni censure en amont) ;
  • le chiffrement (dès et tant que possible).

Au-delà de l’aspect utilisateur, le fait d’initier ce collectif permettra une solidarité entre ses membres pour échanger sur des aspects techniques, juridiques, d’éducation populaire… et ainsi de faciliter la création de nouveaux chatons près de chez vous !

Comme nous l’expliquions en février dernier, les objectifs du collectif sont multiples : rassembler, mutualiser, décentraliser, donner de la visibilité, fédérer, essaimer, partager… Autant dire que l’ambition est grande.

Voyez chaque chaton comme une AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne), sauf qu’au lieu d’un panier de légumes fourni par un agriculteur, il s’agit de services en ligne fournis par un hébergeur de proximité. Et comme avec une AMAP, vous pouvez rencontrer l’agriculteur/hébergeur, et même partager un verre avec lui 🙂

Un début de cartographie des chatons
Un début de cartographie des chatons

La première portée

La première portée compte 21 membres, dont 14 sont déjà actifs. Parmi ces derniers, vous trouverez notamment des chatons ouverts à tous et couvrant la France entière, comme La Mère Zaclys ou L’Autre.net. Mais aussi des chatons plus « locaux » comme Infini (Brest), Assodev-Marsnet (Marseille) ou G3L (Valence). Certains sont des associations, comme Alolise (Saint-Étienne), d’autres des entreprises, comme IndieHosters. Certains sont de taille conséquente, comme Framasoft (qui dépasse le million de visites par mois), et d’autres ne servent qu’un public bien plus restreint comme roflcopter.fr (Toulouse).

Et les 7 autres ? Ils sont tout simplement en gestation !

D’ailleurs, parmi ceux-là, Framasoft va accompagner trois d’entre eux :

  • Le mouvement Colibris, qui est un mouvement humaniste et écologiste, qui souhaite « sortir de Google ». Une sensibilisation des acteurs du mouvement Colibris permettra de toucher une population sensible aux questions du bien commun et du « faire ensemble ».
  • Le collectif « Bertel Numérique », situé sur la lointaine île de la Réunion (lointaine pour nous qui grelottons en métropole ^^), a ceci de particulier qu’il associe la volonté d’un grand réseau d’éducation populaire (les CÉMÉA) et les compétences d’une petite entreprise locale spécialisée dans le logiciel libre. La mission du collectif est bien évidemment de proposer de l’hébergement local (pourquoi faire parcourir 18 000 km à un email si c’est pour écrire à son voisin de bureau ?)
  • La Fédération Française des Motards en Colère est, avouons-le, un (futur) chaton atypique, puisque sa mission semble bien éloignée des questions informatiques ! En fait, la fédération a toujours eu très à cœur la protection de la vie privée de ses adhérent-e-s, mais doutait d’avoir les compétences en interne pour gérer un certain nombre de services. À nous de lui prouver que c’est possible !

Évidemment, tous les chatons en gestation pourront profiter de l’aide des membres du collectif, sur la base du bon vieux principe « Si tu ne sais pas, demande. Si tu sais, partage ». Framasoft prêtera juste une attention particulière à ces trois-là, vous tiendra informés par des billets de blog réguliers indiquant l’avancement de ces projets, sans masquer les inévitables difficultés rencontrées, afin que ces expériences croisées puissent servir à tou-te-s.

Par ailleurs, nous annoncerons régulièrement de nouvelles « portées » sur ce blog, afin que chacun puisse trouver chaton à son pied 🙂

La première portée
La première portée

Des « chapéros » pour fêter ça !

Pour fêter l’événement, plusieurs chatons ont souhaité organiser un (ch)apéro dans leur ville.

Vous pourrez donc retrouver des chatons à :

  • Paris : le mercredi 12 octobre 2016 de 19h00 à 22h30,
  • Lyon : le mercredi 12 octobre 2016 de 19h00 à 21h00,
  • Brest : le vendredi 14 octobre 2016 de 18h30 à 22h00,
  • Marseille : le vendredi 21 octobre 2016 de 18h30 à 22h00.

Comme tout cela est très spontané et mouvant, il est conseillé de se référer directement à l’agenda du libre, avec le tag chatons.

C'est l'heure du chapéro ?
C’est l’heure du chapéro ?

Les CHATONS version 1.0 !

Alors voilà, ce mercredi 12 octobre, nous annonçons donc la naissance des CHATONS. Bien entendu, le projet est encore jeune, et de nombreux CHATONS sont encore en cours de création : c’est un travail sur le long terme avant que d’arriver à avoir un maillage géographique complet ;).

Si vous êtes simple utilisatrice ou utilisateur de services, ne vous attendez donc pas à une révolution aujourd’hui : il s’agit juste de l’annonce officielle du collectif. Ce sont en quelque sorte les premiers mètres d’un marathon qui durera probablement plusieurs années. Ne soyez donc pas frustré-e-s de ne pas trouver LE chaton correspondant à vos besoins. Cela viendra !

Si nous avons appelé de nos vœux la création de ce collectif, Framasoft est et ne restera qu’un chaton parmi les autres : c’est le collectif (et lui seul) qui gérera son fonctionnement et son avenir.

Pour tout vous avouer, nous envisageons ce collectif comme un logiciel libre : c’est une proposition qui évoluera selon les décisions de sa communauté de contributeurs, une espèce de v.1 ouverte aux participations, contributions, échanges…

Chef, je crois que j'ai trouvé le bouton « off » de Google !
Chef, je crois que j’ai trouvé le bouton « off » de Google !

Ainsi, le collectif est géré comme un projet logiciel, en utilisant une liste de diffusion et une plateforme de développement logiciel, sur laquelle sont rédigés et « patchés » les documents fondateurs du collectif. C’est aussi grâce à cet outil que vous pouvez suivre l’évolution des propositions (ou en faire de nouvelles vous-mêmes). Et si vous n’êtes pas satisfait-e de son fonctionnement, vous pourrez tout simplement forker le projet, et monter votre propre collectif ou fédération avec vos règles, sans pour autant devoir repartir de zéro.

Différentes extensions sont d’ores et déjà prévues, comme la fabrication d’un Mooc pour apprendre à maîtriser les différents aspects de la création d’un chaton (enjeux, aspects juridiques, aspects techniques), et bien évidemment une internationalisation. Nos amis québécois de FACiL nous ont déjà rejoints, des chatons belges et suisses devraient apparaître sous peu sur la carte, et d’autres pays se sont montrés intéressés (Espagne, Italie, Pays-Bas, Allemagne, etc.). Mais ne mettons pas les matous avant les chatons : il nous faut déjà sortir de notre panière !

Si nous nous adressions à des informaticien-ne-s, nous pourrions dire qu’aujourd’hui est le premier commit du projet CHATONS, et qu’il comporte nécessairement des bugs, mais que – ensemble – nous le ferons évoluer dans le temps, de version en version, jusqu’à ce qu’il remplisse son objectif : permettre à celles et ceux qui le souhaitent de pouvoir quitter les services centralisateurs.

Membre du collectif CHATONS qui tente sa mise en prod.
Membre du collectif CHATONS qui tente sa mise en prod.

Car pour reprendre ce que nous disions il y a quelques mois, et qui reste toujours valable :

Face à ce mouvement de concentration, qui pourrait bien transformer Internet en Googleternet ou Facebookternet, nous ne voyons qu’une seule voie (si vous en avez d’autres à proposer, on prend !) : décentraliser Internet en faisant en sorte qu’il demeure tel qu’il a été conçu. Neutre. Ouvert. Interopérable. Libre.

Si nous voulons une économie qui soit aussi sociale et solidaire, il va nous falloir un internet qui soit aussi social et solidaire. Et cela passera entre autre par une diversité d’acteurs indépendants proposant des services web libres, éthiques et respectueux de vos données, décentralisés et solidaires.

Pour aller plus loin :