Détruire le capitalisme de surveillance (1)

Le capitalisme de surveillance tel qu’analysé ici par Cory Doctorow est une cible agile, mouvante et surtout omnipotente et omniprésente. Comment maîtriser le monstre, à défaut de le détruire ?

La longue analyse de Doctorow, publiée sur OneZero, comprend plusieurs chapitres que Framalang vous traduira par étapes. Voici dans un premier temps un examen des luttes des militants du numérique et les limites de leurs actions.

Un point important : C. Doctorow nous a autorisés à traduire et publier dans les termes de la même licence : CC-NC-ND (pas d’utilisation commerciale et pas de travaux dérivés). Par principe nous sommes opposés à ces restrictions de libertés, pour les éditions Framabook où nous publions seulement du copyleft (voir les explications détaillées dans cette page qui précise la politique éditoriale de Framabook). Nous faisons ici une exception en limitant la publication à ce blog, avec l’accord explicite de l’auteur naturellement.

Billet original sur le Medium de OneZero : How To Destroy Surveillance Capitalism

Traduction Framalang : Alain (Mille), Barbidule, draenog, Fabrice, Goofy, Juliette, Lumibd, Laure, LaureR, Mannik,

Comment détruire le capitalisme de surveillance (1)

Cory Doctorow CC-BY-SA Jonathan Worth

PAR CORY DOCTOROW

Note de l’éditeur
Le capitalisme de surveillance est partout. Mais ce n’est pas le résultat d’une malencontreuse dérive ou d’un abus de pouvoir des entreprises, c’est le système qui fonctionne comme prévu. Tel est le propos du nouvel essai de Cory Doctorow, que nous sommes ravis de publier intégralement ici sur OneZero. Voici comment détruire le capitalisme de surveillance.

La Toile aux mille mensonges

Le plus surprenant dans la renaissance au 21e siècle des partisans de la Terre plate c’est l’étendue des preuves contre leur croyance. On peut comprendre comment, il y a des siècles, des gens qui n’avaient jamais pu observer la Terre d’un point suffisamment élevé pour voir la courbure de la Terre aient pu en arriver à la croyance « pleine de bon sens » que la Terre, qui semblait plate, était effectivement plate.

Mais aujourd’hui, alors que les écoles primaires suspendent régulièrement des caméras GoPro à des ballons-sondes et les envoient assez haut pour photographier la courbure de la Terre – sans parler de la même courbure devenue banale à voir depuis le hublot d’un avion – il faut avoir une volonté de fer pour maintenir la croyance que le monde est plat.

Il en va de même pour le nationalisme blanc et l’eugénisme : à une époque où l’on peut devenir une simple donnée de la génomique computationnelle en prélevant un échantillon d’ADN dans sa joue et en l’envoyant à une entreprise de séquençage génétique avec une modeste somme d’argent, la « science des races » n’a jamais été aussi facile à réfuter.

Nous vivons un âge d’or où les faits sont à la fois aisément disponibles et faciles à nier. Des conceptions affreuses qui étaient demeurées à la marge pendant des décennies, voire des siècles, se sont répandues du jour au lendemain, semble-t-il.

Lorsqu’une idée obscure gagne du terrain, il n’y a que deux choses qui puissent expliquer son ascension : soit la personne qui exprime cette idée a bien amélioré son argumentation, soit la proposition est devenue plus difficile à nier face à des preuves de plus en plus nombreuses. En d’autres termes, si nous voulons que les gens prennent le changement climatique au sérieux, nous pouvons demander à un tas de Greta Thunberg de présenter des arguments éloquents et passionnés depuis des podiums, gagnant ainsi nos cœurs et nos esprits, ou bien nous pouvons attendre que les inondations, les incendies, le soleil brûlant et les pandémies fassent valoir leurs arguments. En pratique, nous devrons probablement faire un peu des deux : plus nous bouillirons et brûlerons, plus nous serons inondés et périrons, plus il sera facile aux Greta Thunberg du monde entier de nous convaincre.

Les arguments en faveur de croyances ridicules en des conspirations odieuses, comme ceux des partisans anti-vaccination, des climato-sceptiques, des adeptes de la Terre plate ou de l’eugénisme ne sont pas meilleurs que ceux de la génération précédente. En fait, ils sont pires parce qu’ils sont présentés à des personnes qui ont au moins une connaissance basique des faits qui les réfutent.

Les anti-vaccins existent depuis les premiers vaccins, mais les premiers anti-vaccins s’adressaient à des personnes moins bien équipées pour comprendre les principes de base de la microbiologie et qui, de plus, n’avaient pas été témoins de l’éradication de maladies meurtrières comme la polio, la variole ou la rougeole. Les anti-vaccins d’aujourd’hui ne sont pas plus éloquents que leurs prédécesseurs, et ils ont un travail bien plus difficile.

Ces théoriciens conspirationnistes farfelus peuvent-ils alors vraiment réussir grâce à des arguments supérieurs ?

Certains le pensent. Aujourd’hui, il est largement admis que l’apprentissage automatique et la surveillance commerciale peuvent transformer un théoricien du complot, même le plus maladroit, en un Svengali capable de déformer vos perceptions et de gagner votre confiance, ce grâce au repérage de personnes vulnérables, à qui il présentera des arguments qu’une I.A. aura affinés afin de contourner leurs facultés rationnelles, transformant ainsi ces gens ordinaires en platistes, en anti-vaccins ou même en nazis.
Lorsque la RAND Corporation accuse Facebook de « radicalisation » et lorsque l’algorithme de Facebook est tenu pour responsable de la diffusion de fausses informations sur les coronavirus, le message implicite est que l’apprentissage automatique et la surveillance provoquent des changements dans notre conception commune de ce qui est vrai.

Après tout, dans un monde où les théories de conspiration tentaculaires et incohérentes comme le Pizzagate et son successeur, QAnon, ont de nombreux adeptes, il doit bien se passer quelque chose.

Mais y a-t-il une autre explication possible ? Et si c’étaient les circonstances matérielles, et non les arguments, qui faisaient la différence pour ces lanceurs de théories complotistes ? Et si le traumatisme de vivre au milieu de véritables complots tout autour de nous – des complots entre des gens riches, leurs lobbyistes et les législateurs pour enterrer des faits gênants et des preuves de méfaits (ces complots sont communément appelés « corruption ») – rendait les gens vulnérables aux théories du complot ?

Si c’est ce traumatisme et non la contagion – les conditions matérielles et non l’idéologie – qui fait la différence aujourd’hui et qui permet une montée d’une désinformation détestable face à des faits facilement observables, cela ne signifie pas que nos réseaux informatiques soient irréprochables. Ils continuent à faire le gros du travail : repérer les personnes vulnérables et les guider à travers une série d’idées et de communautés toujours plus extrémistes.

Le conspirationnisme qui fait rage a provoqué de réels dégâts et représente un réel danger pour notre planète et les espèces vivantes, des épidémies déclenchées par le déni de vaccin aux génocides déclenchés par des conspirations racistes en passant par l’effondrement de la planète causé par l’inaction climatique inspirée par le déni. Notre monde est en feu et nous devons donc l’éteindre, trouver comment aider les gens à voir la vérité du monde, au-delà des conspirations qui les ont trompés.

Mais lutter contre les incendies est une stratégie défensive. Nous devons prévenir les incendies. Nous devons nous attaquer aux conditions matérielles traumatisantes qui rendent les gens vulnérables à la contagion conspirationniste. Ici aussi, la technologie a un rôle à jouer.

Les propositions ne manquent pas pour y remédier. Du règlement de l’UE sur les contenus terroristes, qui exige des plateformes qu’elles contrôlent et suppriment les contenus « extrémistes », aux propositions américaines visant à forcer les entreprises technologiques à espionner leurs utilisateurs et à les tenir pour responsables des discours fallacieux de leurs utilisateurs, il existe beaucoup d’énergie pour forcer les entreprises technologiques à résoudre les problèmes qu’elles ont créés.

Il manque cependant une pièce essentielle au débat. Toutes ces solutions partent du principe que les entreprises de technologie détiennent la clé du problème, que leur domination sur l’Internet est un fait permanent. Les propositions visant à remplacer les géants de la tech par un Internet plus diversifié et pluraliste sont introuvables. Pire encore : les « solutions » proposées aujourd’hui exigent que les grandes entreprises technologiques restent grandes, car seules les très grandes peuvent se permettre de mettre en œuvre les systèmes exigés par ces lois.

Il est essentiel de savoir à quoi nous voulons que notre technologie ressemble si nous voulons nous sortir de ce pétrin. Aujourd’hui, nous sommes à un carrefour où nous essayons de déterminer si nous voulons réparer les géants de la tech qui dominent notre Internet, ou si nous voulons réparer Internet lui-même en le libérant de l’emprise de ces géants. Nous ne pouvons pas faire les deux, donc nous devons choisir.

Je veux que nous choisissions judicieusement. Dompter les géants de la tech est essentiel pour réparer Internet et, pour cela, nous avons besoin d’une action militante pour nos droits numériques.

Le militantisme des droits numériques après un quart de siècle

Le militantisme pour les droits numériques est plus que trentenaire à présent. L’Electronic Frontier Foundation a eu 30 ans cette année ; la Free Software Foundation a démarré en 1985. Pour la majeure partie de l’histoire du mouvement, la plus grande critique à son encontre était son inutilité : les vraies causes à défendre étaient celle du monde réel (repensez au scepticisme qu’a rencontré la Finlande en déclarant que l’accès au haut débit est un droit humain, en 2010) et le militantisme du monde réel ne pouvait exister qu’en usant ses semelles dans la rue (pensez au mépris de Malcolm Gladwell pour le « clictivisme »).

Mais à mesure de la présence croissante de la tech au cœur de nos vies quotidiennes, ces accusations d’inutilité ont d’abord laissé place aux accusations d’insincérité (« vous prêtez attention à la tech uniquement pour défendre les intérêts des entreprises de la tech », puis aux accusations de négligence (« pourquoi n’avez-vous pas prévu que la tech pourrait être une force aussi destructrice ? »). Mais le militantisme pour des droits numériques est là où il a toujours été : prêter attention aux êtres humains dans un monde où la tech prend inexorablement le contrôle.

La dernière version de cette critique vient sous la forme du « capitalisme de surveillance », un terme inventé par la professeure d’économie Shoshana Zuboff dans son long et influent livre de 2019, The Age of Surveillance Capitalism : The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power (à paraître en français le 15/10/2020 sous le titre L’Âge du capitalisme de surveillance). Zuboff avance que le « capitalisme de surveillance » est une créature unique de l’industrie de la tech et qu’au contraire de toute autre pratique commerciale abusive dans l’histoire, elle est « constituée par des mécanismes d’extraction imprévisibles et souvent illisibles, de marchandisation et de contrôle qui éloignent en réalité les personnes de leur comportement propre, tout en créant de nouveaux marchés de prédiction et de modification comportementales. Le capitalisme de surveillance défie les normes démocratiques et s’écarte de manière décisive de l’évolution du capitalisme de marché au cours des siècles ». C’est une forme nouvelle et mortelle du capitalisme, un « capitalisme scélérat », et notre manque de compréhension de ses capacités et dangers sans précédents représente une menace existentielle pour l’espèce entière. Elle a raison sur la menace que représente actuellement le capitalisme pour notre espèce, et elle a raison de dire que la tech pose des défis uniques à notre espèce et notre civilisation, mais elle se trompe vraiment sur la manière dont la tech est différente et sur la façon dont elle menace notre espèce.

De plus, je pense que son diagnostic incorrect nous mènera dans une voie qui finira par renforcer les géants de la tech, au lieu de les affaiblir. Nous devons démanteler les géants et, pour cela, nous devons commencer par identifier correctement le problème.

L’exception de la tech, hier et d’aujourd’hui

Les premiers critiques du mouvement des droits numériques, dont les meilleurs représentants sont peut-être les organisations militantes comme l’Electronic Frontier Foundation, la Free Software Foundation, Public Knowledge ou d’autres, qui mettent l’accent sur la préservation et l’amélioration des droits humains dans un environnement numérique, ont diabolisé les militants en les accusant de défendre « une exception technologique ». Au tournant du nouveau millénaire, les gens sérieux ridiculisaient toute affirmation selon laquelle les réglementations sur la tech pouvaient avoir un impact sur « le monde réel ». Les craintes exprimées sur la possibilité que les réglementations de la tech aient des conséquences sur les libertés d’expression, d’association, de vie privée, sur les fouilles et saisies, les droits fondamentaux et les inégalités, tout cela était qualifié de grotesque, comme une prétention à faire passer les inquiétudes de tristes nerds se disputant à propos de Star Trek sur des forums au-dessus des luttes pour les droits civiques, des combats de Nelson Mandela et du soulèvement du Ghetto de Varsovie.

Au cours des décennies suivantes, les accusations d’« exception technologique » n’ont fait que s’affûter alors que le rôle de la tech dans la vie quotidienne s’est affirmé : maintenant que la tech s’est infiltrée dans tous les recoins de nos vies et que notre présence en ligne a été monopolisée par une poignée de géants, les défenseurs des libertés numériques sont accusés d’apporter de l’eau au moulin des géants de la tech pour couvrir les négligences (ou pire encore, leurs manœuvres malfaisantes) qui servent leurs propres intérêts.

De mon point de vue, le mouvement pour les droits numériques est resté immobile alors que le reste du monde a progressé. Depuis sa naissance, la préoccupation principale du mouvement était les utilisateurs, ainsi que les créateurs d’outils numériques qui fournissaient le code dont ils avaient besoin pour concrétiser les droits fondamentaux. Les militants pour les droits numériques ne se sentaient concernés par les entreprises que dans la mesure où elles agissaient pour faire respecter les droits des utilisateurs (ou, tout aussi souvent, quand les entreprises agissaient de manière tellement stupide qu’elles menaçaient d’adopter de nouvelles règles qui rendraient plus difficile pour les bons élèves d’aider les utilisateurs).

La critique du « capitalisme de surveillance » a remis en lumière les militants pour les droits numériques : non pas comme des alarmistes qui surestiment l’importance de leurs nouveaux joujoux, ni comme des complices des géants de la tech, mais plutôt comme des brasseurs d’air tranquilles dont le militantisme de longue date est un handicap qui les empêche de discerner de nouvelles menaces, alors qu’ils continuent de mener les combats technologiques du siècle dernier.

Mais l’exception de la tech est une lourde erreur, peu importe qui la commet.

illustration de Shira Inbar




Quand les tribunaux nourrissent les trolls

Les Patent Trolls ou « chasseurs de brevets » sont des sociétés parasites qui tirent profit d’un portefeuille de brevets dont elles ont fait le plus souvent des dépôts abusifs. Elles sont particulièrement néfastes aux USA où elles multiplient les menaces de procédures judiciaires pour extorquer de l’argent aux entreprises.

Quand des sociétés ne vivent que de failles du système et qu’elles utilisent les tribunaux pour museler leurs victimes ça donne ce que vous allez lire… Avec L’Electronic Frontier Foundation, rediffusons largement sur nos réseaux les tracas subis par Mycroft puisqu’on veut les empêcher d’en parler, justement !

Les commentaires, comme toujours sur ce blog, sont ouverts et modérés.

Page originale sur le site de l’EFF : Courts Shouldn’t Stifle Patent Troll Victims’ Speech

Traduction Framalang : Cyrille Préaux, goofy, lumibd, tykayn, mo, Delaforest, Bromind, Pierre-Emmanuel Largeron, serici

Les tribunaux ne devraient pas réprimer la parole des victimes de trolls de brevets

Aux États-Unis, nous n’attendons pas des fonctionnaires – y compris les juges – qu’ils régulent la parole, et nous ne leur en accordons pas l’autorisation. Les tribunaux ne sont autorisés à restreindre la liberté d’expression que dans les circonstances les plus rares, sous réserve de limitations strictes. Nous avons donc été troublés d’apprendre qu’un juge du Missouri a rendu une ordonnance bâillonnant la parole d’une petite entreprise qui a choisi de s’exprimer au sujet d’un procès intenté contre elle par un troll de brevets.

Mycroft AI, une entreprise de neuf employés qui développe des technologies vocales open source, a publié le 5 février, un article de blog pour décrire comment la compagnie a été traitée par un troll de brevet qui s’appelle Voice Tech Corporation. Comme tous les trolls de brevet, Voice Tech n’offre ni services ni produits. L’entreprise détient simplement les brevets qu’elle a acquis grâce à plus d’une décennie d’argumentation sans contradicteur avec l’Office américain des brevets.

Les deux brevets de Voice Tech ne décrivent rien d’autre que l’usage des commandes vocales, avec un appareil mobile, pour exécuter des commandes par un ordinateur. Rien de plus. C’est le simple énoncé d’une idée, sans aucun détail sur sa mise en œuvre. Cette idée est présente dans la science-fiction depuis plus de 50 ans : l’entreprise s’appelle en fait Mycroft d’après le superordinateur du roman de Robert Heinlein «Révolte sur la lune» . Lorsque Voice Tech a utilisé ces brevets pour, d’une part, menacer puis, d’autre part, poursuivre en justice Mycroft AI, les dirigeants de la société ont refusé de payer les 30 000$ réclamés par ces brevets ridicules. Tout au contraire, ils se sont battus – et ont demandé l’aide de leur communauté.

« Les mathématiques ne sont pas brevetables et les logiciels ne devraient pas l’être non plus », écrit Joshua Montgomery, directeur de Mycroft, sur le blog. « Je n’ai pas l’habitude de demander ça, mais j’aimerais que toutes les personnes qui pensent que les trolls de brevets sont néfastes à l’open source, repostent, mettent en lien, tweetent et/ou partagent cet article. »

Montgomery a également déclaré qu’il a « toujours voulu être un chasseur de trolls » et qu’à son avis, face à de telles situations, « il vaut mieux être agressif et les « poignarder, fusiller et les pendre », puis les dissoudre dans de l’acide ». Il a inclus un lien vers une loi de l’État à laquelle il s’est opposé l’année dernière, où il avait utilisé la même citation.
Ce langage cru a attiré l’attention et l’histoire est devenue virale sur des forums comme reddit et Hacker News. Le procès et l’article ont également été couverts par des publications techniques telles que The Register et Techdirt. Selon Mycroft, cela a conduit à un afflux de soutien bien nécessaire.

Et sinon, vous pouvez faire la chasse aux trolls grâce à Framatroll

Le tribunal intervient

Cependant, selon Voice Tech, cela a conduit à du harcèlement. La société a réagi en demandant au juge qui supervise l’affaire, le juge de district américain Roseann Ketchmark du district ouest du Missouri, d’intervenir. Voice Tech a laissé entendre que l’article avait conduit à la fois à un harcèlement de son avocat et à une tentative de piratage. Mycroft a vigoureusement nié tout harcèlement ou piratage et a déclaré qu’il «admonesterait et nierait» toute attaque personnelle.

Malheureusement, le juge Ketchmark a non seulement accepté l’argument de Voice Tech concernant le harcèlement, mais il a également ordonné à Mycroft de supprimer des parties du billet de blog. Pire encore, il a ordonné à Mycroft de cesser de solliciter le soutien de sa propre communauté open source. Mycroft a reçu l’ordre spécifique de supprimer la demande que «toute personne de notre communauté qui pense que les trolls de brevets sont mauvais pour l’open source» poste à nouveau et rediffuse la nouvelle.

Pour être clair, si les allégations sont vraies, l’avocat de Voice Tech a le droit de répondre à ceux qui le harcèlent réellement. Cette décision est toutefois profondément troublante. Il ne semble pas qu’il y ait eu suffisamment de preuves pour que le tribunal estime que l’article cru de Mycroft ait conduit directement au harcèlement — une exigence essentielle (bien que non suffisante) avant d’interdire à une partie de partager ses opinions sur une affaire.

Cependant le public a le droit de savoir ce qui se passe dans cette affaire et Mycroft a le droit de partager cette information, même si elle est formulée dans un langage un peu cru. Le fait que certains membres du public aient pu réagir négativement au message, ou même tenter de pirater Voice Tech, ne justifie pas de passer outre à ce droit sans preuves solides montrant un lien direct entre le message de Mycroft et le harcèlement de l’avocat de Voice Tech.

Patent troll
« Troll under the Bridge » – Fremont Troll à Seattle

Les chasseurs de brevets et la censure

Mais il y a pire. Renforcée par son succès initial, Voice Tech continue à faire pression pour davantage de censure. En juin, Mycroft a publié une mise à jour de son produit MARK II. Alors qu’elle comptait sur sa sortie en 2021, Montgomery a écrit que «L’avancement dépendait du recrutement et des distractions telles que les trolls de brevets» et a fait référence à un article de Techdirt. Voice Tech a rapidement réagi et demande au travers d’une note à MyCroft de supprimer le lien et d’amender l’article :

«Voice Tech demande que Mycroft supprime le lien vers l’article TECHDIRT et mette à jour l’article original sur le forum de la communauté Mycroft au plus tard avant la fermeture des bureaux le 22 juillet 2020. Si Mycroft n’obtempère pas, Voice Tech n’aura d’autre choix que de porter plainte auprès du tribunal pour diffamation.»

Mycroft a supprimé le lien. VoiceTech a également cherché à censurer les journalistes indépendants sur l’affaire, tels que ceux qui ont publié sur Techdirt.

C’est déjà choquant que de petites entreprises telles que Mycroft AI soient sujettes à des menaces et des litiges concernant des brevets, qui dépassent à peine de la science-fiction, fournis par une bureaucratie défaillante. Mais il est encore plus inadmissible qu’elles ne puissent pas en parler librement. Aucune entreprise ne devrait avoir à souffrir en silence des dommages causés par les chasseurs de brevets à son activité, à sa communauté, et au public au sens large. Nous espérons que le juge Ketchmark reconsidérera clairement et rapidement sa censure et l’annulera. Nous sommes heureux de la démarche de Mycroft AI d’enclencher une action en justice pour combattre ces brevets clairement invalides.

 

 




Pour une page web qui dure 10 ans ?

Des pages web légères et moins gourmandes en ressources, du « low-tech » c’est plus écologique probablement, mais c’est aussi une des conditions pour rendre durables des contenus qui ont une fâcheuse tendance à se volatiliser… Jeff Huang est professeur d’informatique et dans la page que Framalang a traduite pour vous, il fait le pari que son contenu sera encore accessible dans dix ans au moins, tout en proposant 7 recommandations pour créer des pages web pérennes.

Il ne s’agit pas de solutions miracles, mais plutôt d’incitations à l’action et au débat, comme il l’écrit :

Cet article est destiné à provoquer et à susciter une action individuelle, et non à proposer une solution complète pour soigner le Web en déclin

Donc il est clair que les conseils qu’il donne sont peut-être incomplets ou critiquables. Certain⋅e⋅s (comme un de nos traducteurs) vont par exemple sursauter de lire que les polices Google peuvent être utilisées car elles sont « probablement déjà dans le cache ». D’autres vont regretter que le recours à l’archivage ne soit pas assez mis en avant comme le fait cipherbliss dans cet article… bref, n’hésitez pas à ajouter des critiques constructives.

N’hésitez pas non plus à nous dire s’il existe vraiment des contenus web qui méritent selon vous d’être maintenus dix ans ou plus, et lesquels (créations et expressions personnelles, ressources des Communs, etc.), ou bien si vous acceptez avec fatalisme ou satisfaction que les pages web, comme tout le reste, finissent par disparaître…

Les commentaires, comme toujours sur ce blog, sont ouverts et modérés.

 

Page originale : This Page is Designed to Last, A Manifesto for Preserving Content on the Web
Traduction Framalang : goofy, Côme, mo, wisi_eu, retrodev, tykayn

Un manifeste pour la pérennité des contenus sur le Web

Cette page est conçue pour durer

par Jeff Huang

Pour un professeur, la fin de l’année est l’occasion de faire le ménage et de se préparer pour le semestre à venir. Je me suis retrouvé à effacer de vieux marque-pages, eh oui, des marque-pages : cette fonctionnalité des navigateurs autrefois si appréciée qui paraît avoir perdu la bataille contre la « complétion automatique dans la barre d’adresse ». Mais ce geste nostalgique de nettoyage a fini par me déprimer.

Les uns après les autres, les marque-pages m’ont mené vers des liens morts. Disparus, de superbes écrits de kuroShin sur la culture technologique ainsi qu’une série de puzzles mathématiques et les discussions associées des universitaires que mon père m’avait présentés ; disparus aussi les tutoriels d’ingénierie inverse de Woodman qui datent de mes années d’étude, avec lesquels j’ai découvert le sentiment d’avoir le pouvoir sur les logiciels ; même mes plus récents marque-pages ont disparu, une série d’articles exposant sur Google+ la non-conformité des chargeurs usb-c avec les normes…

Ce n’est pas seulement une question de liens fichus, c’est le problème de la difficulté croissante de maintenir en vie des contenus indépendants sur le Web, conduisant à une dépendance à des plateformes et à des formats de publication qui s’empilent de façon chronologique (blogs, fils, tweets…)

Bien sûr j’ai moi aussi contribué au problème. Un article que j’ai publié il y a sept ans comprend un résumé initial dans lequel un lien vers une démo a été remplacé par une page de spam avec une image de citrouille. C’est en partie à cause de la flemme de devoir renouveler et de maintenir une application web fonctionnelle année après année.
J’ai recommandé à mes étudiants de publier des sites web avec Heroku et des portfolios avec Wix. Mais toute plateforme au contenu irremplaçable meurt un jour. Geocities, LiveJournal, what.cd, maintenant Yahoo Groups. Un jour, Medium, Twitter et même les services d’hébergement comme GitHub Pages seront pillés puis jetés lorsqu’ils ne pourront plus se développer ou n’auront pas trouvé de modèle économique viable.

C’est un problème de nature plurielle.
Tout d’abord, maintenir du contenu demande du travail. Le contenu peut avoir besoin d’être mis à jour pour rester pertinent et devra éventuellement être ré-hébergé. Une grande partie du contenu – ce qui était autrefois la grande majorité du contenu – a été mise en place par des individus. Mais les particuliers (peut-être vous ?) finissent par se désintéresser, si bien qu’un jour, vous ne voudrez peut-être plus vous occuper de la migration d’un site web vers un nouvel hébergeur.

Deuxièmement, le nombre croissant de bibliothèques et de frameworks rend le Web plus sophistiqué, mais également plus complexe. Il y a d’abord eu jquery, puis bootstrap, npm, angular, grunt, webpack, et bien d’autres. Si vous êtes un développeur web qui se tient au courant des dernières nouveautés, alors ce n’est pas un problème.

Mais dans le cas contraire, vous êtes peut-être programmeur de systèmes embarqués, directeur technique d’une start-up, un développeur Java d’entreprise ou un doctorant de chimie. Vous avez sans doute trouvé le moyen de mettre en place un serveur web et sa chaîne d’outils, mais continuerez-vous à le faire d’une année à l’autre, d’une décennie à l’autre ? Probablement pas ! Et lorsque, l’année suivante, vous rencontrerez un problème de dépendance à un paquet ou que vous découvrirez comment régénérer vos fichiers html, vous pourriez abandonner et zipper les fichiers pour vous en occuper « plus tard ».

Même les piles technologiques simples comme les générateurs de sites statiques (par exemple, Jekyll) nécessitent du travail et cesseront de fonctionner à un moment donné. Vous tombez dans l’enfer des dépendances aux paquets NPM, et vous oubliez la commande pour réaliser un déploiement. Et avoir un site web avec plusieurs pages html est complexe ; comment savoir comment chaque page est liée aux autres : « index.html.old », une copie de « about.html » « index.html (1) », « nav.html » ?

Troisièmement, et cela a déjà été rapporté par d’autres (et même réfuté), la disparition du Web « public » au profit du mobile et des applications web, des jardins clos (telles que les pages Facebook), du chargement en temps réel des WebSockets et de l’AMP diminue la proportion même de la toile dans la toile mondiale, qui ressemble désormais davantage à une toile continentale qu’à une « toile mondiale » (World Wide Web).

Alors, face à ces problèmes, que pouvons-nous faire ? Ce n’est pas un problème si simple qu’il puisse être résolu dans cet article. La Wayback Machine et archive.org permettent de conserver certains contenus plus longtemps. Et il arrive qu’un individu altruiste relocalise le contenu ailleurs.

Mais la solution se trouve sur plusieurs fronts. Comment créer un contenu web qui puisse durer et être maintenu pendant au moins dix ans ? Étudiant l’interaction homme-machine, je pense naturellement aux parties prenantes que nous n’aidons pas : actuellement, la mise en ligne de contenu web est optimisée soit pour le développeur web professionnel (qui utilise les derniers frameworks et flux de travail), soit pour l’utilisateur non averti (qui utilise une plateforme).

Mais je pense que nous devrions considérer à la fois 1) le « responsable » occasionnel du contenu web, quelqu’un qui ne reste pas constamment à jour avec les dernières technologies web, ce qui signifie que le site web doit avoir de faibles besoins de maintenance ; 2) et les robots d’indexation qui préservent le contenu et les archiveurs personnels, « archiveur » implique que le site web doit être facile à sauvegarder et à interpréter.

Ma proposition consiste donc en sept lignes directrices non conventionnelles sur la manière dont nous traitons les sites web conçus pour être informatifs, pour les rendre faciles à entretenir et à préserver. Ma suggestion est que le responsable de la maintenance s’efforce de maintenir le site pendant au moins 10 ans, voire 20 ou 30 ans. Il ne s’agit pas nécessairement de points de vue controversés, mais d’aspirations qui ne sont pas courantes − un manifeste pour un site web durable.

1. Revenez à du HTML/CSS « Vanilla » (NdT : le plus simple, sans JavaScript) – Je pense que nous avons atteint le point où le html/css est plus puissant et plus agréable à utiliser que jamais. Au lieu de commencer avec un modèle obèse bourré de fichiers « .js », il est maintenant possible de simplement écrire en HTML, à partir de zéro. Les CSS « Flexbox » et « Grid », le canvas, les Selectors, le box-shadow, l’élément vidéo, le filtre, etc. éliminent une grande partie du besoin de bibliothèques JavaScript. Nous pouvons éviter le jQuery et le Bootstrap, car ils deviennent de toute façon moins pertinents. Plus il y a de bibliothèques intégrées au site web, plus celui-ci devient fragile. Évitez les polyfills et les préfixes CSS, et n’utilisez que les attributs CSS qui fonctionnent sur tous les navigateurs. Et validez fréquemment votre HTML ; cela pourrait vous éviter un mal de tête à l’avenir lorsque vous rencontrez un bogue.

2. Ne réduisez pas ce HTML. Réduire (compresser) votre HTML et les CSS/JS associés vous semblera peut-être une précieuse économie de bande passante, et toutes les grandes entreprises le font. Pourquoi ne pas le faire ? Eh bien, vous n’économisez pas beaucoup parce que vos pages web doivent être compressées avant d’être envoyées sur le réseau, donc la réduction préventive de votre contenu compte probablement très peu dans l’économie de bande passante, voire pas du tout. Mais même si cela permettait d’économiser quelques octets (ce n’est après tout que du texte), vous devez maintenant avoir un processus de construction et l’ajouter à votre flux de travail, de sorte que la mise à jour d’un site web devient plus complexe. En cas de bogue ou d’incompatibilité future dans le HTML, le format minimisé est plus difficile à déboguer. De plus, il est peu convivial pour vos utilisateurs ; de nombreuses personnes commencent à utiliser le HTML en cliquant sur « Voir la source »1, et la réduction de votre HTML empêche cet idéal d’apprentissage en regardant ce qui est fait. Réduire le HTML ne préserve pas sa qualité pédagogique, et ce qui est archivé n’est que le tas de code résultant.

3. Préférez maintenir une page plutôt que plusieurs. Plusieurs pages sont difficiles à maintenir. Vous pouvez oublier quelle page renvoient à quoi, et cela nécessite également la mise en place de modèles pour limiter les redondances. Combien de pages une personne peut-elle réellement maintenir ? Avoir un seul fichier, probablement juste un « index.html », est simple et facile à retenir. Profitez de ce défilement vertical infini. Vous n’aurez jamais besoin de fouiller dans vos fichiers ou de faire du grep pour voir où se trouve un certain contenu. Et comment gérer les multiples versions de ce fichier ? Devriez-vous utiliser git ? Les placer dans un dossier « old/ » ? J’aime l’approche simple qui consiste à nommer les anciens fichiers avec la date à laquelle ils ont été retirés, comme index.20191213.html. L’utilisation du format ISO de la date permet de trier facilement, et il n’y a pas de confusion entre les formats de date américain et européen. Si j’ai plusieurs versions en une journée, j’utiliserais un style similaire à celui qui est habituel dans les fichiers journaux, index.20191213.1.html. Un effet secondaire agréable est que vous pouvez alors accéder à une version plus ancienne du fichier si vous vous souvenez de la date, sans vous connecter à la plateforme d’hébergement web.

4. Mettez fin à toutes les formes de liaison automatique (hotlinking). Ce mot d’avertissement semble avoir disparu du vocabulaire internet, mais c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai vu un site web parfaitement bon s’effondrer sans raison. Cessez d’inclure directement des images provenant d’autres sites web, cessez d’« emprunter » des feuilles de style en vous contentant de créer des liens vers celles-ci, et surtout cessez de créer des liens vers des fichiers JavaScript, même ceux qui sont hébergés par les développeurs d’origine. Les liaisons automatiques sont généralement considérées comme impolies car vos visiteurs utilisent la bande passante de quelqu’un d’autre, elles ralentissent l’expérience utilisateur, permettent un autre site web de pister vos utilisateurs et, pire encore, si l’endroit auquel vous vous connectez modifie la structure de ses dossiers ou se déconnecte tout simplement, la panne se répercute également sur votre site web. Google Analytics est inutile ; stockez vos propres journaux de serveur et configurez GoAccess ou découpez-les comme vous le souhaitez, ce qui vous donnera des statistiques plus détaillées. Ne donnez pas vos journaux à Google gratuitement.

5. N’utilisez que les 13 polices de caractères adaptées au Web – nous nous concentrons d’abord sur le contenu, comprenez : les caractères décoratifs et inhabituels sont complètement inutiles. Maintenez un petit éventail et les 13 polices de caractères adaptées au Web. Peut-être avez-vous vraiment besoin d’une police de caractères néo-grotesque qui ne soit pas Arial/Helvetica, ou d’une police de caractères géométriques. Dans ce cas, utilisez le minimum nécessaire, comme Roboto (pour le néo-grotesque) et Open Sans (pour le géométrique) ; ce sont les deux polices les plus populaires de Google Fonts, il est donc probable qu’elles soient déjà en cache sur l’ordinateur de vos utilisateurs. Outre ces polices, votre objectif doit être de fournir le contenu à l’utilisateur de manière efficace et de faire en sorte que le choix de la police soit invisible, plutôt que de flatter votre ego en matière de conception. Même si vous utilisez les polices Google, elles n’ont pas besoin d’être liées automatiquement (hotlink). Téléchargez le sous-ensemble dont vous avez besoin et fournissez-les localement à partir de vos propres dossiers.

6. Compressez vos images de manière obsessionnelle. Ce sera plus rapide pour vos utilisateurs, moins gourmand en espace d’archivage et plus facile à maintenir lorsque vous n’avez pas à sauvegarder un énorme dossier. Vos images peuvent avoir la même haute qualité, mais être plus petites. Minimisez vos SVG, compressez sans perte vos PNG, générez des JPEG pour qu’ils correspondent exactement à la largeur de l’image. Cela vaut la peine de passer du temps à trouver la meilleure façon de compresser et de réduire la taille de vos images sans perte de qualité. Et une fois que WebP sera pris en charge par Safari, passez à ce format. Réduisez impitoyablement la taille totale de votre site web et gardez-la aussi petite que possible. Chaque Mo peut coûter cher à quelqu’un ; en effet mon opérateur de téléphonie mobile (Google Fi) facture un centime (de dollar) par Mo de données. Ainsi, un site web de 25 Mo, assez courant de nos jours, coûte lui-même 25 centimes, soit à peu près autant qu’un journal quand j’étais enfant.

7. Éliminez le risque de rupture d’URL. Il existe des services de contrôle qui vous indiqueront quand votre URL est en panne, ce qui vous évitera de réaliser un jour que votre page d’accueil ne charge plus depuis un mois et que les moteurs de recherche l’ont désindexée. Car 10 ans, c’est plus long que ce que la plupart des disques durs ou des systèmes d’exploitation sont censés durer. Mais pour éliminer le risque de panne totale d’une URL, mettez en place un second service de contrôle. En effet, si le premier s’arrête pour une raison quelconque (passage à un modèle payant, fermeture, oubli de renouvellement, etc.), vous recevrez toujours une notification lorsque votre URL est hors service, puis vous réaliserez que l’autre service de surveillance est hors service parce que vous n’avez pas reçu la deuxième notification. N’oubliez pas que nous essayons de maintenir un service pendant plus de 10 ans (idéalement bien plus longtemps, même 30 ans), donc beaucoup de services vont s’arrêter pendant cette période, donc deux services de surveillance, c’est plus sûr…
Après avoir fait cela, placez un texte dans le pied de page, « La page a été conçue pour durer », avec un lien vers cette page expliquant ce que cela signifie. Ces quelques mots attestent que le responsable fera de son mieux pour suivre les idées de ce manifeste.

Avant que vous ne protestiez, il est évident que cela n’est pas adapté pour les applications web. Si vous créez une application, alors créez votre application web ou mobile avec le flux de travail dont vous avez besoin. Je ne connais pas une seule application web qui ait fonctionné de manière identique pendant 10 ans (sauf le tutoriel python de Philip Guo, en raison de sa stratégie minimaliste de maintenance), donc cela semble être une cause perdue de toute façon. Ce n’est pas non plus adapté pour les sites web maintenus par une organisation comme Wikipédia ou Twitter. Vous faites votre truc, et le salaire d’une équipe informatique est probablement suffisant pour maintenir quelque chose en vie pendant un certain temps.
En fait, il n’est même pas si important de suivre strictement les 7 « règles », car ce sont plus des incitations que des règles impératives.

Mais admettons qu’une petite partie du Web commence à concevoir des sites web dont le contenu est censé durer. Que se passe-t-il alors ? Eh bien, les gens préféreront peut-être créer des liens vers ces sites car leur accès est garanti à l’avenir. Plus généralement, les gens peuvent être plus soucieux de rendre leurs pages plus permanentes. Et les utilisateurs et utilisatrices ainsi que les robots qui archivent économisent de la bande passante lorsqu’ils visitent et stockent ces pages.

Les effets sont à long terme, mais les réalisations sont progressives et peuvent être mises en œuvre par les propriétaires de sites web sans dépendre de quiconque ni attendre un effet de réseau. Vous pouvez le faire dès maintenant pour votre site web, et ce serait déjà un résultat positif. C’est comme utiliser un sac de courses recyclé au lieu d’un sac en plastique, c’est une petite action individuelle.

Cet article est destiné à provoquer et à susciter une action individuelle, et non à proposer une solution complète au déclin de la Toile. Il s’agit d’un petit pas simple pour un système sociotechnique complexe. J’aimerais donc voir cela se produire. J’ai l’intention de maintenir cette page pendant au moins 10 ans.

Merci à mes étudiants en doctorat Shaun Wallace, Nediyana Daskalova, Talie Massachi, Alexandra Papoutsaki, mes collègues James Tompkin, Stephen Bach, mon assistante d’enseignement Kathleen Chai et mon assistant de recherche Yusuf Karim pour leurs commentaires sur les versions précédentes.

Voir les discussions sur Hacker News et reddit/r/programming

Cette page est conçue pour durer.

un vieux bonhomme avec canne s’adresse à son épouse également âgée qui est assise devant son ordinateur. Pourquoi tu veux faire une page web qui dure 10 ans ? demande-t-il. Elle répond : pas pour toi en tout cas. c’est pour nos petits-enfants. je vais l’appeler index(old).html
Image réalisée avec https://framalab.org/gknd-creator/




Un coup de pouce de Sourcehut pour financer vos débuts sur PeerTube ?

Pour la culture libre, le problème du financement est souvent crucial. Voici la proposition d’une sorte de petite bourse de « débutant sur PeerTube » qui nous fait plaisir et que nous vous invitons à considérer.

Sourcehut qui fait cette offre est une communauté qui propose à prix raisonnable une suite d’outils libres et open source et une plateforme de développement avec des dépôts Git et Mercurial, des listes de diffusion, du suivi de bug, l’intégration continue etc. Le tout sans traqueurs ni publicité (oui en revanche, nous leur faisons un peu de promo ici, donc).

Séduits par PeerTube, Sourcehut souhaite en augmenter les contenus disponibles en vous aidant à en réaliser…

Article original : The PeerTube content bootstrap fund

Traduction Framalang : FranBAG, draenog, goofy, mo, Ellébore

Un fonds de démarrage pour le contenu sur PeerTube

par Drew DeVault

Peertube est un excellent projet qui vise à créer un « tube » vidéo ouvert et décentralisé pour héberger des contenus vidéo dont la gouvernance est distribuée et le développement piloté par la communauté. Chocobozzz, avec l’aide de dizaines de contributeurs, a fait le difficile travail d’ingénierie pour construire une belle plateforme, et maintenant nous nous voulons y voir du contenu !

Fédération, CC-By SA LILA

 

Pour contribuer à cette opération, SourceHut offre 5000$ à titre d’amorçage pour fournir du contenu sur le réseau PeerTube. Cet argent sera utilisé pour aider de nouveaux créateurs de contenus à faire des vidéos pour PeerTube. Nous financerons de l’équipement pour vous aider à vous lancer : caméras, microphones, cartes de capture vidéo et ainsi de suite, quoi que ce soit d’approprié au genre de vidéos que vous voulez faire, avec un budget supplémentaire de 200$ à dépenser à votre guise pour les premières vidéos. Besoin d’une caméra sympa ? De quelques micros adaptés pour mener une interview ? D’un drone pour faire des prises de vues ? On y va ! Un compte sera aussi configuré pour vous sur Liberapay pour que votre public puisse vous aider à vivre de façon convenable.

Si vous avez un loisir intéressant à partager, un sujet à enseigner que vous connaissez sur le bout des doigts, un talent que vous aimeriez montrer, ou tout autre super idée à laquelle nous n’avons pas pensé, envoyez-nous un courriel à sir@cmpwn.com avec le sujet : “PeerTube bootstrap application: [votre nom ici] « . [NOTE DE FRAMASOFT : Écrivez votre message en anglais, évidemment ! 🙂 ]. Ajoutez quelques lignes pour vous présenter, dire pourquoi vous postulez, et préciser quel genre de vidéos vous voudriez réaliser. Indiquez-nous aussi pourquoi la culture libre est importante pour vous !

Sepia, la mascotte de PeerTube, par David Revoy (CC-By)

Voici les conditions à remplir :

  • Vous ne devez pas déjà être un habitué de la diffusion vidéo sur d’autres plateformes. Nous cherchons à financer de nouveaux créateurs de contenu. Pas ceux qui le sont déjà2.
  • Vous ne pouvez publier des vidéos que sur PeerTube — pas sur YouTube ni où que ce soit d’autre.
  • Vos vidéos doivent être sous licence Creative Commons, par exemple CC-BY-NC-SA.
  • Nous attendons de vous que vous fassiez au moins 5 vidéos. Si vous décidez par la suite que la création vidéo, ce n’est pas pour vous, nous reprendrons l’équipement et vous serez libéré⋅e (de votre engagement).
  • À partir du moment où vous gagnerez 20$ / mois via Liberapay, nous partagerons les coûts d’hébergement à parts égales entre tous les créateurs : ils se montent à 45$ / mois pour le moment. Vous ne nous serez jamais redevable d’un montant supérieur à 25 % de vos rentrées Liberapay ; SourceHut prendra le reste en charge.

Notre instance est sur spacepub.space. Nous nous chargerons de l’administration technique du serveur et nous vous fournirons l’aide nécessaire pour démarrer. Ensemble, nous bâtirons une communauté de créateurs de culture libre qui s’entraident pour un bien commun enthousiasmant. Faisons de PeerTube une plateforme grandiose !

 




Framaconfinement semaine 4 – tout parler pour repartir sur des bases saines

Cette fois-ci, c’est moi, Pouhiou, qui raconte la semaine avant-dernière. Parce ouais, j’ai pris du retard. J’ai beau me dire bavard professionnel du clavier, y’a des moments, ça sort pas tout de suite.

Il faut dire que la période que l’on vit invite à peser sur pause, à prendre un indispensable recul sur nos manières d’agir, de réagir. Et c’est un peut tout cela qui me saute au yeux alors qu’on commence à y voir plus clair au sein de Framasoft…

Ce récit est donc basé sur notre histoire vraie, vécue entre le 6 et le 12 avril ;).

L’accès à l’ensemble de nos articles « framaconfinement » : https://framablog.org/category/framasoft/framaconfinement/

Ne nous laissez pas un clavier entre les mains…

Cette semaine, à la technique, ils ont érodé des touches et usé leurs mulots. Ça a très très mal commencé pour Luc. Dimanche soir, un serveur est tombé en rade, entraînant dans sa chute une bonne dizaine de sites et services importants (dont notre blog, notre forum, etc.). C’est la panne mécanique bête et méchante d’un serveur vieillissant, qui a demandé à Luc une bonne grosse journée de boulot (du genre 6h-21h) pour tout remonter. C’est ce que les technicien·nes appellent, dans leur jargon spécialisé, un bon gros lundi de merde.

Résumé des faits, selon Luc.

Durant cette semaine, Chocobozzz a, entre autres, travaillé à améliorer Etherpad (le logiciel qui fait tourner nos Framapads). Je comprends pas trop ce que ça veut dire, mais il paraît que suite à son ajout d’une fonction à l’API d’Etherpad Lite, Luc a mis à jour son module Perl Etherpad puis a créé une sonde Munin qui exploite cette nouvelle fonction. Ce que je comprends, c’est que grâce à eux on pourra mieux voir quand une horde de scribes vient écrire des Framapads, et qu’il faut qu’on assure pour accueillir cette montée en charge.

Theo, c’est notre stagiaire qui s’est attaqué à l’amélioration de Framaforms, un service que tout le monde utilise mais un code auquel personne ne contribue. Enfin, jusqu’à son arrivée messianique. D’ailleurs il parait que spf, qui voit augmenter le nombre de demandes d’aides face aux bugs de Framaforms, brûle secrètement des cierges à l’effigie de Théo. Mais faut pas le dire. Bref, cette semaine, notre héros a vaillamment essayé de réinventer un module Drupal avant d’apprendre qu’il existait. La morale de notre conte : même quand t’es héros, y’a des jours, c’est pas ton jour…

Par soucis d’équité, nous publions ce résumé des faits, mais cette fois-ci selon les serveurs eux-mèmes.

…on risquerait de s’en servir

Non parce que y’a pas que du code qui est sorti de nos claviers. Avec ce confinement, nous enchaînons les articles Framablog comme d’autres enchaînent les pains-cocotte au levain maison. Moi-même, je suis rentré d’une semaine de congés-Animal-Crossing pour direct lâcher sur un pad 2500 mots d’un article très intime sur les solutions technologiques vues comme autant de baguettes magiques.

Je sais que quand un texte va chercher dans mon expérience profonde, intime, dans le vécu un peu dur à sortir, c’est que le propos est d’autant plus important pour moi. Ben là, franchement, même moi j’ai été surpris d’à quel point j’avais besoin de dénoncer cette diversion de merde qu’est StopCovid. Plus on avance et plus j’ai l’impression que ce projet est utilisé pour montrer « qu’on fait quelque chose » parce que « il vaut mieux ça que rien » (demandez aux fab-labs et collectifs #VisièresSolidaires si y’a rien à faire, qu’on rigole).

Mon retour de congés, allégorie.

A priori, je ne suis pas le seul que ce solutionnisme technologique titille. Sur le Framablog, Framalang s’active à traduire les recommandations de l’association Algorithmwatch et la BD explicative de Nicky Case. Pyg et Goofy se démènent pour reprendre l’article d’Hubert Guillaud (InternetActu.net), démontrant les risques de signose et de glissement. Pendant ce temps chez la #TeamChauves, Framatophe replace cette crise et ses « révélations » dans le contexte de la surveillance généralisée et du Capitalisme de Surveillance.

Alors qu’Angie combat sa leucosélophobie afin d’écrire notre journal de la semaine précédente, elle participe, en plus et sur son temps libre, à l’encadrement du Libre Cours de Stph sur la culture libre. Stph, qui, en plus de son libre cours, propose deux articles à ajouter dans les tuyaux du Framablog. Et c’est là que Marien arrive avec l’idée d’une interview factice de la #TeamMemes afin d’organiser un lâcher de conneries sauvages sur le Framablog.

Faut pas nous laisser un clavier entre les mains, j’vous dis. C’est une grande règle chez Framasoft : si on a un clavier et du temps, on va s’en servir !

Business as unusual

C’était bien mon problème, lorsque je suis rentré d’une semaine de confinement sur mon île vidéoludique : les potes de Framasoft se sont servi⋅es de leurs claviers, genre… beaucoup. Pour rattraper le fil, y’a deux écoles : soit tu lis tout (toutes les listes de diffusion, les canaux de notre framateam, les articles blogs, etc.), soit tu ne lis rien, en mode Yolo.

Sauf que j’ai pas mon CACES.

C’est plus fort que moi : j’ai tout lu. J’ai lu le gentil message qui rappelait que Le Monde a Changé©, et donc en ce moment plus que jamais, on s’autorisait à ne rien relire, en mode Yolo. J’ai aussi lu l’échange entre Pyg (notre directeur) et le comité RH (pour « relations humaines ») qui nous enjoint de travailler moins pour travailler mieux, parce que le monde a changé, parce qu’on s’inquiète pour nos proches, parce qu’on fait la queue au supermarché.

J’ai enfin lu la proposition de Maiwann de faire une framapapote, plébiscitée par le reste de l’asso. On lance donc un framadate pour choisir quel soir de la semaine prochaine on se retrouvera, sur notre Mumble, pour papoter. Non pas pour bosser ou pour imaginer des actions… Mais juste pour être ensemble. Maiwann nous propose d’y exprimer ce qu’on veut, dont ce qui nous énerve. Parce que oui, entre nous on s’aime et on se fait des câlins, mais en ce moment la vie c’est pas forcément youpi-les-petits-oiseaux-cuicui.

Sauf dans le puit de jour de mon immeuble, où ça nidifie tranquillou.

S’autoriser à ne pas être à la page sur tout ce qui se passe en interne, s’autoriser à prioriser le soin de soi et des siens sur le boulot, s’autoriser à partager notre convivialité comme nos colères… Putain, je suis privilégié dans mon boulot. Je dis pas qu’on a trouvé le secret qui fait que « les DRH les détestent !!!! », d’ailleurs je suis moi-même déjà allé trop loin dans mon investissement pour Framasoft…

Mais si d’autres se demandent comment avec une toute petite équipe de 35 membres dont 9 salariées on abat tout ce boulot, je pense que la première piste à explorer c’est ce soin apporté aux humain·es, cette confiance en nos autonomies, ce respect de chacun·e qui s’exprime dans beaucoup de détails. Je me demande sincèrement pourquoi y’a en pas plus qui copient ce modèle : il marche. Même d’un point de vue bassement « productiviste » : faire passer l’humain en preums, ça marche.

On cherche pas la productivité, à Framasoft. Je dis pas qu’on produit rien, hein… Je dis que c’est pas l’but !

Parler, parler encore, puis on en reparle

S’il n’y a pas de « méthode Framasoft », nous avons tout de même acquis des manières de faire qui nous ressemblent. Cette semaine, un des gros travaux de fond a été de re-imaginer ce que nous allons faire en 2020, et comment, sachant que Le Monde a Changé© et que les conséquences de cette pandémie (qui risque fort de durer longtemps) sont encore imprévisibles.

Nous entamons cette réflexion dès le lundi avec un appel de 2h entre Pyg et moi (après les 2h30 de réunion sur Mumble avec les collègues Salariés). Notre duo est bien rôdé : l’un lance des idées, l’autre tente de les démonter, on regarde ce qui tient debout et on recommence. Après deux heures de papote créative à jouer au mutatis mutandis, (et près de 5h de réunion dans la journée), nous sommes rincés.

Un jour, il faudra qu’on raconte comment toute notre AG de février 2020 a été commentée par des mèmes.

Le lendemain, je padifie nos élucubrations pour en rendre compte aux collègues. Quel projet serait retardé, quelle action transfigurée, comment on sent la fin de l’année, est-ce qu’on changerait pas notre fusil d’épaule sur cette idée… Toutes ces notes sont ensuite passées aux collègues pour qu’iels les lisent le mardi et qu’on en discute ensemble mercredi.

Le mercredi matin, réunion Mumble avec les collègues que ça intéresse pour présenter nos propositions. C’est parti pour un nouveau tour de mutatis mutandis : Pyg et moi affichons les idées, tout le monde joue à les démonter, on voit ce qui nous enthousiasme, ce que l’on modifie et ce qui n’est pas du tout mûr, pas prêt dans nos têtes… et on note tout cela au clair.

L’après-midi même, Pyg présente ce plan d’action par un email sur la liste asso, qui sera l’opportunité d’un dernier tour du jeu du « ce qui doit changer changera ». Vu qu’il s’agit d’un échange par email incluant des bénévoles (qui ne contribuent pas au même rythme que des salarié·es), on laisse en général une semaine (dont le temps d’un week-end) pour que naissent les réponses et remarques.

J’aime observer nos mécaniques

On va pas se la péter : Framasoft n’a rien inventé. Procéder par itération, en élargissant à chaque tour le cercle de paroles et d’avis, c’est pas nouveau. Le jeu du Mutatis Mutandis, qui sert à éliminer ce qui est foireux, édifier ce qui va et acter ce qui n’est pas prêt, c’est relativement proche de la méthode scientifique.

Je vois bien, que pour chaque action que nous menons, même lorsque les personnes au cœur de l’initiative sont différentes (et elles changent pour chaque action), nous procédons ainsi, de manière quasi intuitive. Parce que nous sentons que c’est efficace.

Faux, ô sire Loth, il s’agit du refrain lithanique dans une magnifique chanson de Juliette Nouredine !

C’est un autre point qui nous rassemble, dans cette association. Nous avons toustes une expérience préalable des collaborations collectives, nous nous sommes toustes mangé les écueils du travail en groupe, donc nous savons qu’un collectif sera forcément soumis à des lois, relevant a priori de la psychologie sociale (la loi de futilité de Parkinson, par exemple, est bien identifiée, dans l’asso).

C’est justement en admettant l’existence de ces mécaniques de groupe et en acceptant que l’on est pas au-dessus de tout cela qu’on peut essayer de les repérer quand ça nous arrive, et de les déconstruire pour ensuite mettre en place les balises et manières de faire qui nous éviterons de tomber dans le panneau la prochaine fois.

On sait que la route est longue. Alors si on peut éviter de buter deux fois sur chaque caillou qui se dresse, autant se faciliter le cheminement !




Juste un autre article sur les licences libres

Dans le cadre du librecours Libre Culture qui a ouvert ses portes le 6 avril 2020 j’ai été amené à produire une synthèse sur les licences libres que je vous livre ici.

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

Le droit d’auteur et les licences libres forment un cadre général qui offre plusieurs régimes possibles pour le contenu publié sur le Web.

Je propose ici une classification en six grandes catégories :

  • contenus à péage monétaire ou publicitaire
  • contenus en accès gratuit tous droits réservés
  • contenus en libre accès quelques droits réservés
  • contenus libres et ouverts avec copyleft
  • contenus libres et ouverts sans copyleft
  • contenus « zéro restriction » (au plus près, voire au-delà, du domaine public)

dessin humoristique de gégé, le Geektionnerd generator : un gars présnte une vaste liste écrite et dit "Auijourd’hui je vous explique les licences libres". Un groupe de personnes lui tourne le dos et s’en va dans l’autre sens

Contenus à péage monétaire ou publicitaire (non FLOSS, non Open Access, all right reserved)

On appelle sites à péage (paywall) les sites mis à disposition par des organisations qui restreignent l’accès au contenu qu’elles publient. Ce sont en général des ayants droit, c’est-à-dire des personnes physiques ou morales qui disposent d’un accord de cession de droits patrimoniaux avec des auteurs.

L’accès au contenu est réservé aux personnes qui acceptent de verser une contrepartie. Usuellement on appelle contenus à péage ceux qui demandent une contrepartie monétaire, mais je propose également d’inclure ceux qui exposent de la publicité et donc demandent une contrepartie attentionnelle. L’accès n’est pas payé en monnaie, il est payé en temps (passé à regarder de la publicité).

On distingue donc :

  • les contenus à péage monétaire : il est nécessaire de payer pour consulter les contenus
  • les contenus à péage publicitaire : il est nécessaire de consulter de la publicité pour consulter les contenus

Le régime de ces contenus est strictement celui du droit d’auteur :

  • L’utilisateur seulement le droit de consulter le contenu (une fois le péage acquitté).
  • Il n’est pas possible de copier le contenu (en dehors des exceptions prévues, comme le droit de citation ou l’exception pédagogique par exemple).

Exemple de sites à péage monétaire (que je consulte) :

  • site à péage monétaire : Médiapart, NextInpact
  • site à péage publicitaire : Numérama

Considérations personnelles sur les sites à péage

« La documentation secrète est une injure faite à la documentation (Briet4, 1951) ». Je souhaite un monde dans lequel tous les documents sont librement accessibles, mais le fonctionnement économique de nos sociétés fait que certains éditeurs ont du mal à proposer d’autres solutions que les péages.

À titre personnel je ne consulte quasiment jamais volontairement de sites à péage publicitaire. J’utilise un bloqueur de publicité et je ne le désactive que très rarement. J’utilise un bloqueur de publicité non pas pour consulter du contenu sans payer le péage publicitaire, mais parce que la structure du Web fait que je suis régulièrement renvoyé vers de tels contenus. J’adopterais volontiers un système qui marquerait mes recherches ou mes liens de telle façon que je puisse choisir de ne pas consulter de sites à péage publicitaire.

Je suis en revanche abonné à quelques sites à péage monétaire.

strip de Nina Paley en 3 images où échangent Mimi et Eunice. "Mon œuvre est libre… sauf pour un usage commercial, c’est le mal, je l’interdis !" dit Eunice en montrant les dents. dans la dernière image toutefois "plus tard", il pleurniche "Ouin ! personne n’arrive à gagner de l’argent sur Internet ! "
extrait de Mimi & Eunice par Nina Paley – Traduction Framalang – Copyheart

Contenus en accès gratuit (non FLOSS, gratis Open Access, all right reserved)

Tout contenu publié sur le Web (sans être associé à une licence) entre dans cette catégorie.

Il s’agit de contenus publics pour lesquels s’applique le droit d’auteur :

  • Chacun peut librement le consulter.
  • Il n’est pas autorisé de le copier sans autorisation de l’auteur ou de l’ayant droit.

Quelques exemples et contre-exemples :

  • C’est le cas de la majorité des contenus publiés par des entreprises privées sur leurs sites web.
  • C’est le cas de la majorité des contenus publiés par les individus sur des supports tels que les blogs, posts de réseaux sociaux, sites personnels, etc.
  • C’est partiellement le cas des archives scientifiques ouvertes comme HAL, dont certains articles sont sous licence libre et d’autres non.
  • Ce n’est la plupart de temps pas le cas des sites publics qui ont de plus en plus obligation de publier leurs données sous des licences libres.
  • Ce n’est pas le cas de Wikipédia qui propose une licence libre.

Considérations personnelles sur l’accès gratuit

Une partie significative, sinon la totalité, de nos documents numériques devraient être a minima disponibles en accès gratuit. Le coût est quasi nul et le bénéfice du partage de l’information très important pour l’humanité.

Cela devrait être le cas notamment :

  • de la totalité des contenus pédagogiques
  • de la totalité des contenus scientifiques
  • de la totalité des contenus relatifs aux lois
  • de la totalité des contenus techniques liées à l’usage des machines
  • etc.

Contenu en libre accès (non FLOSS, libre Open Access, some right reserved)

Les mouvements Creative Commons1(principalement issu du domaine culturel) et Open Access2 (principalement issu du domaine scientifique) ont permis de proposer des licences intermédiaires entre les licences libres (FLOSS3) et les restrictions par défaut imposées par le droit d’auteur.

Les deux principales limites d’usage introduites par les Creative Commons sont :

  • la non autorisation de l’usage commercial (non commercial)
  • la non autorisation de la modification de l’œuvre (non dérivative)

On parle aussi de licences dites some right reserved (quelques droits réservés). On note qu’il ne s’agit pas d’une interdiction d’usage, mais d’une non autorisation à priori. Il est toujours possible d’établir un autre contrat avec l’auteur ou les ayants droit en dehors des droits libérés par la licence.

Exemples :

  • Les licences Creative Commons CC BY-NC, CC BY-ND, CC BY-NC-ND et CC BY-SA-NC comportent la clause non commercial et ou non derivative.
  • La licence éé (Édition Équitable) proposée par C&F Édition autorise la copie au sein du cercle familial et amical, mais ne permet pas la rediffusion massive à des inconnus.
  • À noter que certaines initiatives explorent la notion de licences éthiques, dont l’objectif est de ne pas autoriser certains usages à priori antagonistes avec le cadre éthique des auteurs (industries polluantes, industries de l’armement, partis politiques, etc.) ou d’autoriser uniquement les usages dans des cadres prévus à priori (protection de l’environnement, humanitaire, etc.)

Considérations personnelles sur le libre accès

Le libre accès est un intermédiaire, il en a les avantages et les défauts : c’est une réponse imparfaite à une question mal posée.

On notera que l’initiative éé ou certains projets de licences éthiques sont intéressants pour tenter de concilier volonté de diffusion et tentative de préservation de son modèle économique ou de ses valeurs. Mais ce sont dans les faits plus des projets de communication que des solutions légales, il sera très difficile de les défendre en dehors de cas emblématiques.

Comment définir un cadre « commercial » sur le Web ? Que se passe-t-il si une Scop fait une formation rémunérée pour une association loi 1901 avec des contenus en NC ? Comment décider de ce qui est une modification ou pas ? Que se passe-t-il pour le transcodage d’une vidéo sous licence ND ? On ne peut pas changer la résolution source d’une image sous NC, mais l’utilisateur peut changer la taille de l’image en utilisant le zoom de son navigateur ?

En fin de compte :

  • C’est plus ou moins équivalent à des licences libres pour lesquelles l’auteur aurait affiché : « je libère mon contenu, mais je souhaite qu’il ne soit pas utilisé pour ça et ça ».
  • C’est plus ou moins équivalent à des licences non libres pour lesquelles l’auteur aurait affiché : « je ne libère pas mon contenu, mais si vous êtes dans ce cadre, je suis content que vous l’utilisiez et je ne vous embêterai pas ».

dialogue entre Mimi artiste-peintre devant son chevalet et Eunice avec attaché-case : « le droit d’auteur favorise la création — La création de quoi ? — de procès ! »
extrait de Mimi & Eunice par Nina Paley – Traduction Framalang – Copyheart

Contenus libres avec copyleft (FLOSS, Open Access, copyleft)

Le mouvement libriste est né avec la licence libre copyleft. Cette licence promue par la Free Software Foundation pose les quatre règles fondatrices du logiciel libre (exécuter, étudier, copier, améliorer) dans la mesure où ces règles restent préservées. Il n’est typiquement pas autorisé de procéder à une redistribution qui n’autorise pas elle-même la copie selon les mêmes termes.

Le terme copyleft est un double jeu de mot, dérivation de copyright, droit d’auteur, en « gauche d’auteur » et « laisser copier ».

  • La licence historique de ce mouvement est la licence GPL, largement utilisée dans le monde du logiciel libre.
  • Pour les contenus culturels on peut citer la licence CC BY-SA, pour share-alike ou la Licence Art Libre (LAL).

À noter qu’un logiciel ou contenu libre n’est pas nécessairement gratuit, même si la possibilité de le copier tend en général à des formes de distribution gratuites. On peut avoir à payer un support pour se procurer un livre imprimé par exemple, ou un service, pour bénéficier de l’hébergement d’un service web. La liberté de copier n’est pas en cause, vous pouvez ré-imprimer le livre ou héberger le service par vos propres moyens.

Considérations personnelles sur le copyleft

Il s’agit de la licence que j’utilise le plus couramment, mes cours sont sous CC BY-SA, mon roman sous LAL et les quelques petits bouts de code que j’écris sous GPL.

 

couverture du Framabook de Stéphane Crozat > Traces
NDLR : le roman de Stéphane est beaucoup plus drôle que cet article. ^^

 

Il y a un débat historique entre les licences avec ou sans copyleft. Une terminologie s’est mise en place pour distinguer les logiciels « libres », qui seraient ceux avec copyleft, des logiciels « open source », qui seraient sans copyleft. Cette terminologie est née du fait que les premiers sont promus par la FSF et les seconds par l’OSI (Open Source Initiative). Mais c’est une terminologie discutable, car :

  • avec ou sans copyleft les logiciels sont bien open source,
  • la notion de liberté est ici et ailleurs toujours compliquée à cerner.

Certains argumenteront qu’un logiciel sans copyleft impose moins de restrictions et donc est plus libre ; d’autres que donner la liberté de priver de liberté c’est contraire à la liberté. C’est un débat intense au sein des communautés, je me contente ici de donner mon point de vue.

  • Je considère à priori que moins de règles, c’est mieux, donc j’aurais tendance à préférer en première approche une licence sans copyleft, mais il y a un rapport de force en place qui est problématique. Des acteurs puissants (éditeurs de logiciels et éditeurs de contenus culturels) ont la possibilité de se rapproprier les contributions libres et d’en faire bénéficier leur économie, dont acte. Mais s’ils ont la possibilité en plus d’améliorer ces contributions sans en reverser les améliorations, cela signifie qu’ils peuvent systématiquement prendre des objets libres, les améliorer et les distribuer sans licence libre. Cela aura comme conséquence d’affaiblir les solutions libres et de renforcer les solutions non libres, ce qui est l’exact contraire de l’objectif visé initialement.
    Encore une fois c’est un débat complexe et les opposants au copyleft feront également valoir des arguments intéressants comme le fait que ces éditeurs gardent un intérêt à repartager pour continuer de bénéficier des améliorations apportées par les communautés libristes ou par d’autres éditeurs.
  • Je fais le parallèle avec la notion de discrimination positive, ce n’est pas un choix de conviction, c’est un choix pragmatique, qui va plutôt à l’encontre de l’idée de base (liberté d’usage ou égalité de traitement) mais qui, dans un rapport de force défavorable, paraît nécessaire à l’établissement de la liberté ou l’égalité visées.
  • On a coutume de dire que le terme logiciel libre est mal choisi : ce n’est pas le logiciel qui est libre, mais l’humain qui l’utilise. On peut considérer que le copyleft donne moins de liberté à l’humain, mais plus à l’humanité.

Contenus libres sans copyleft (FLOSS, Open Access, non copyleft)

Les licences libres sans copyleft autorisent tous les usages à priori à condition que l’auteur, ainsi en général que la source et la licence, soient mentionnées. Cela autorise donc en particulier l’intégration d’un code logiciel dans un logiciel propriétaire ou un contenu culturel dans un ouvrage non libre.

  • Les licences MIT ou BSD sont des exemples de licences sans copyleft pour les logiciels libres.
  • La licence CC BY est la licence sans copyleft la plus commune pour les contenus culturels.

comic strip 3 images de Nina Paley avec les deux personnages Mimi et Eunice. Mimi veut retirer sa brique personnelle du mur que vinet de bâtir Mimi avec de la récup et du recyclage. "C’est MA brique" ! Résultat : le mur s’effondre dans la dernière image tandis qu’Eunice s’en va satisfait avec SA brique à la main
Extrait de Mimi & Eunice par Nina Paley – Traduction Framalang – Copyheart (à partager avec <3).

Considérations personnelles sur les licences sans copyleft

Je considère les licences sans copyleft lorsque j’évalue que :

  1. le copyleft peut bloquer ou ralentir des usages que je n’ai pas envie d’empêcher ;
  2. le contenu n’est pas facilement améliorable de toute façon.

Par exemple la vidéo d’une conférence ou d’un cours sera selon moi plus facilement diffusable sous CC BY parce que je n’imagine pas en quoi il est vraiment possible d’améliorer la vidéo. On peut imaginer une coupe d’un segment non pertinent, ou l’incrustation d’éléments complémentaires intéressants, mais on est dans des pratiques très marginales.

Contenus « zéro restriction » (ou Do What The Fuck You Want)

Certaines licences comme la licence Creative Commons Zero (CC0) consistent pour l’auteur à autoriser les usages les plus larges possible dans la limite de la loi. Cela équivaut à mettre volontairement son œuvre dans le domaine public.

La loi empêche dans certains pays, dont la France, de lever toute restriction sur le contenu. Ainsi le droit moral est inaliénable, il n’est donc pas légalement possible d’y renoncer et d’autoriser quelqu’un à utiliser son contenu sans a minima être cité en tant qu’auteur. Le domaine public français consiste en l’épuisement des droits patrimoniaux uniquement, on ne peut donc pas jouer un opéra de Mozart sans dire qu’il est de Mozart.

Techniquement cela revient à dire que des licences comme la CC BY sont les licences les plus permissives possible en France et donc que des licences comme la licence CC-0 sont équivalentes. Notons que c’est vrai pour le moment, mais qu’une évolution future du droit d’auteur vers plus de liberté d’usage (ce qui n’est pas la tendance historique) pourrait permettre aux licences zéro restriction d’ouvrir de nouveau droits.

On notera l’existence de licences « zéro restriction » plus poétiques que la CC0 :

La Copyheart dont le résumé est : Copying is an act of love, please copy, (« Copier est un acte d’amour, veuillez copier »)

La Do What The Fuck You Want to Public License, dont la seule clause, numérotée 0 est : « You just DO WHAT THE FUCK YOU WANT TO » (« Faites exactement ce que vous voulez, bordel ! »)

 

Considérations personnelles sur les licences « zéro restriction »

Ces licences n’ayant pas de valeur légale aujourd’hui différente des licences sans copyleft, leur usage relève avant tout d’un militantisme visant une réforme radicale du droit d’auteur (qu’à titre personnel je partage, considérant que le droit d’auteur fait en réalité plus de mal que de bien, rémunérant trop mal les auteurs, trop bien les éditeurs, entraînant des restrictions d’accès néfastes pour l’accès aux savoirs, et conduisant à une répression inadaptée).

Néanmoins je ne les utilise pas, car elles informent moins bien sur les devoirs de l’utilisateur : en particulier un utilisateur peu averti pourra croire qu’il est effectivement autorisé à faire ce qu’il a envie de faire, ce qui n’est pas vrai.

Mais la plupart du temps, je suis plutôt d’accord : just do what the fuck you want to!

Précision : la loi avant le contrat

Les licences sont des contrats passés dans le cadre juridique du droit d’auteur. La loi étant supérieure aux contrats, les licences libres restent soumises au régime du droit d’auteur. On notera l’adresse de leurs promoteurs qui ont réussi malgré tout à rendre possible une prise de distance d’avec les restrictions imposées par le droit d’auteur, pour ceux qui le souhaitent.

Conclusion : pour interdire il faut une bonne raison et une certaine détermination

Je ne suis pas contre toutes les interdictions en principe, mais je pense que pour interdire quelque chose, il faut une bonne raison et une volonté de faire appliquer l’interdiction. Si vous dites à quelqu’un : ne fais pas ça, alors que vous n’avez pas vraiment d’argument pour interdire et qu’en plus vous ne prenez aucune mesure s’il transgresse votre interdiction… la plupart du temps l’autorisation aurait été plus simple. Le fait pour un créateur de ne pas associer de licence à son contenu équivaut à maintenir les interdictions prévues par le droit d’auteur. Le fait de choisir une licence restrictive équivaut également à interdire quelque chose.

Les licences sont des outils légaux, donc pour choisir une licence avec des restrictions, il faudrait être prêt à poursuivre en justice ceux qui ne les respectent pas. C’est possible, et les associations de promotions des logiciels libres peuvent aider à cela. Mais il faut être prêt à le faire.

Si on n’est pas prêt à le faire, il faut au moins être prêt à dénoncer publiquement l’irrespectueux qui outrepassera les interdictions. C’est également possible. Mais il faut être prêt à le faire.

Si l’on n’est prêt ni pour l’un ni pour l’autre, le choix du cadre le plus permissif est certainement le plus adapté.

 

Merci à Pouhiou de ses retours qui m’ont permis de compléter la fin de l’article.

 

  1. CC (Creative Commons) : Creative Commons est une association à but non lucratif dont la finalité est de proposer une solution alternative légale aux personnes souhaitant libérer leurs œuvres des droits de propriété intellectuelle standard de leur pays.»
  2. OA (Open Access) : Le terme Open Access désigne la possibilité de consulter sans restriction un contenu publié sur le web. Il s’oppose aux contenus soumis à péage (paywall) pour lesquels il existe une contrepartie à la consultation du contenu.

    Pris dans sa généralité l’OA et synonyme de gratis OA et n’implique pas nécessairement le doit de recopier le contenu en Open Access, ce qui est prévu par le libre OA.

  3. FLOSS (free/libre/open-source software) : Le terme FLOSS désigne l’ensemble des logiciels libres au sens de la FSF (par exemple la GPL) et open source au sens de l’OSI (par exemple la BSD). Cela permet de désigner globalement cette classe de logiciels sans entrer dans le détail de leurs licences. Le terme de logiciel libre est souvent utilisé pour désigner globalement les logiciels FLOSS.
    On pourra l’utiliser par extension pour des contenus libres plutôt que des logiciels libres (par exemple les licences CC BY et CC BY-SA).

    On utilise parfois le terme FOSS (free and open-source software) : le terme français libre parait un peu étrange dans l’acronyme anglais, mais il résulte du fait que free est polysémique en anglais et qu’il signifie à la fois libre et gratuit (or c’est ici le sens libre est qui est visé et non gratuit, un logiciel ou contenu libre n’est pas forcément gratuit).
    Gratis OA (Gratis Open Access) : Le terme gratis Open Access désigne la possibilité pour chacun de consulter un contenu sans restriction, et en particulier sans avoir à verser aucune contre partie monétaire ou d’une autre nature.
    En revanche il n’implique pas le droit de copier et redistribuer le contenu, par opposition au libre Open Access qui prévoit ce droit en plus.
    Le terme gratis est préféré en anglais à free qui signifie à la fois libre et gratuit.
    Libre OA (Libre Open Access) : Le terme libre Open Access désigne la possibilité pour chacun de consulter un contenu sans restriction, ainsi que le droit de copier le contenu selon des termes prévus par une licence plus ou moins permissive. Le terme libre est préféré en anglais à free qui signifie à la fois libre et gratuit.

  4. Briet, 1951 : Briet Suzanne. 1951. Qu’est-ce que la documentation ?. Éditions documentaires, industrielles et techniques. http://martinetl.free.fr/suzannebriet/questcequeladocumentation.

 




StopCovid : le double risque de la “signose” et du “glissement”

Nous sommes aujourd’hui très honoré⋅e⋅s de pouvoir publier cet article d’Hubert Guillaud. Depuis de nombreuses années, Hubert Guillaud publie des analyses précieuses autour du numérique sur le site InternetActu.net dont il est le rédacteur en chef (nous vous invitons vivement à découvrir ce site si vous ne le connaissiez pas, et pas seulement parce qu’il est soutenu par nos ami⋅e⋅s de la Fing).

Nous republions ici avec son accord un article initialement publié sur Medium, qui interroge les risques autour de l’application StopCovid.

C’est donc le troisième article que le Framablog publie aujourd’hui sur cette application. Le premier, traduit par le (fabuleux) groupe de traduction Framalang, reprenait les arguments en une dizaine de points de l’organisation AlgorithmWatch. Le second, rédigé par Christophe Masutti, administrateur de Framasoft et auteur de « Affaires Privées, au sources du capitalisme de surveillance », faisait le lien entre (dé)pistage et capitalisme de surveillance.

Pourquoi un troisième article, alors ? D’abord, parce qu’Hubert Guillaud prend le problème de StopCovid sous un autre angle, celui du risque de « faire de la médecine un travail de police », comme le dit l’écrivain Alain Damasio. Mais aussi parce qu’il pose clairement la problématique de notre acceptation de « solutions techniques », en tant qu’individu comme en tant que société. Cette acceptation est d’ores et déjà facilitée (préparée ?) par de nombreux médias grands publics qui présentent StopCovid comme une solution pour sortir plus vite du confinement, à grands coups de sondages auprès d’une population sur-angoissée et mal-informée. « Les algorithmes ne sont pas l’ennemi. Le vrai problème réside dans notre paresse à nous gouverner », nous dit la chercheuse Antoinette Rouvroy, citée dans cet article. Assurons nous de faire l’effort de ne pas être paresseux.

Accéder aux articles déjà publiés dans notre dossier StopCovid

 



L’application StopCovid sera donc basée sur le volontariat et le respect des données personnelles, comme l’expliquaient le ministre de la Santé, Olivier Véran, et le secrétaire d’État au numérique, Cédric O, au Monde. Très bien ! C’est la loi !, a rappelé la CNIL. L’application de pistage massif des Français sera chiffrée et les données complètement anonymisées complète Mediapart. Elle sera une “brique” de déconfinement parmi d’autres (qui n’ont pas été annoncées). On nous l’assure !

Soit ! Mais pour combien de temps ? Quelle sera la durée de cette assurance ? Que dirons-nous quand mi-mai, fin mai, mi-juin, nous n’aurons toujours ni masques ni tests en quantité suffisante (les autres “briques”, je suppose ?) ?

Le risque face à une absence de masques et de tests qui est là pour durer est que cette brique logicielle devienne un peu le seul outil à notre disposition pour “déconfiner”. Que StopCovid, de “brique incertaine” devienne le seul outil prêt à être utilisé, tout comme aujourd’hui l’attestation dérogatoire de déplacement est devenue le seul outil de maîtrise du confinement qu’on renforce d’arrêtés municipaux ou nationaux (quand ce n’est pas d’appréciations liberticides des agents) sans réelle motivation sanitaire (comme l’interdiction de courir ou de faire du vélo ou la fermeture des parcs ou pire encore des marchés : alors qu’on peut organiser des marchés voir des commerces non essentiels comme des accès aux espaces verts avec des règles de distanciations sociales). Et donc que tout le monde souhaite le renforcer : en le rendant peut-être obligatoire et pire peut-être en le rendant accessible au contrôle policier ! Et dans l’urgence et le dénuement, pour sortir d’une crise qui se révèle chaque jour plus dramatique, nul doute que nombreux seront prêt à s’y précipiter !

Le problème principal de StopCovid, c’est de ne reposer sur aucune science ! La seule étude disponible sur le sujet dans Science estime que ce type d’application doit accueillir 60% de la population pour être efficace et être associée à une politique de dépistage — dont nous ne disposons pas !

À Singapour, l’application TraceTogether, qui rassemblait 15% de a population, pourtant couplée au dépistage n’a pas suffi, comme le rappelle Olivier Tesquet pour Télérama ou Margot Clément depuis Hong Kong pour Mediapart : c’est certainement le signe (pas assez fort pourtant) que ce n’est pas une solution.

L’entrepreneur et spécialiste de l’intelligence artificielle Rand Hindi a très clairement exposé le fonctionnement d’une application de ce type, dans un thread sur Twitter !

Il semble y avoir beaucoup de confusion au sujet de l’efficacité et confidentialité de l’app #StopCovid. Je vais ici tenter d’expliquer la techno DP3T sous jacente et pourquoi dépendre du volontariat n’apportera pas les résultats espérés. #privacy #covid19 @cedric_o @olivierveran

— Rand Hindi (@randhindi) April 9, 2020

À lire ce thread (lisez-le !), chacun comprendra que la confidentialité des données ne devrait pas être le problème de cette application si elle respecte les développements prévus ! On semble plutôt là devant une technologie “privacy by design”, conçue pour préserver la vie privée ! Et le déploiement d’un outil aussi respectueux des individus devrait être salué ! Mais les bons points en matière technique ne suffiront pas à pallier les deux risques d’usages que masque StopCovid.

Le risque de la “signose” : “prendre le signal pour la chose” !

Comme s’en désespère la philosophe du droit Antoinette Rouvroy, le coeur du problème de nos outils d’analyse de données, c’est de relever bien plus d’une “signose” plutôt que d’une diagnose. Une signose consiste à “prendre le signal pour la chose”. C’est-à-dire transformer le signe (la barbe) en signal (la radicalisation) ! Souvenez-vous ! C’est le problème fondamental qui se cache dans les outils d’analyse automatisés et que dénoncent sans relâche nombre de spécialistes du sujet, comme la mathématicienne Cathy O’Neil ou Kate Crawford par exemple.

StopCovid transforme la proximité avec un malade (le signe) en signal (vous avez été infecté) pour déclencher une alerte nécessitant un traitement (confinement, test).

Image : illustration schématique du fonctionnement de StopCovid par LeMonde.fr.

Son inverse, la “diagnose”, elle transforme des symptômes (fièvre, test) en diagnostic (positif ou négatif) pour déclencher un traitement (confinement, prescription médicale, soins…).

Le problème de StopCovid comme d’autres solutions de backtracking proposées, c’est de transformer une notion de proximité en alerte. Or, être à proximité d’un malade ne signifie pas le devenir automatiquement ! La médecine a besoin de suivre et confiner les malades, ceux qu’ils contaminent et ceux qui les ont contaminés. Mais cela ne peut pas se faire sur la base de conjoncture, de corrélation, d’approximation, de proximité et de localisation.

Très souvent, le coeur des problèmes des systèmes réside dans les données utilisées et dans les décisions très concrètes qui sont prises pour décider ! Ici, tout le problème de cette proximité réside dans sa définition, sa qualification. Comment est définie la proximité par l’application ? Quelle durée ? Quelle distance ? Quelles conditions ? Quel contexte est pris en compte ? Et pour chacun de ces critères avec quelle précision et quelle fiabilité ? Pour reprendre les termes de Rand Hindi, le fait que Bob ait été à proximité d’Alice ne signifie pas qu’il ait été contaminé ! Si on ne peut pas apprécier les conditions de cette proximité, celle-ci risque d’être peu pertinente ou de déclencher beaucoup de faux positifs. Ou de refléter bien autre chose que l’exposition virus : des conditions sociales inégalitaires : une caissière de supermarché aura bien plus de chance de croiser un malade qu’un cadre qui va pouvoir continuer à limiter ses interactions sociales et ses déplacements. Pourtant, celle-ci est peut-être protégée par un plexiglas, des gants, des masques… des mesures de distanciation pris par son employeur : elle aura croisé des malades sans qu’ils la contaminent, quand le cadre aura pu croiser l’enfant d’un ami (sans téléphone) qui lui aura toussé dessus. Bref, StopCovid risque surtout de sonner bien plus pour certains que pour d’autres ! Toujours les mêmes !

En réduisant le contexte à une distance, à une proximité, StopCovid risque surtout d’être un outil approximatif, qui risque de renvoyer la plupart d’entre nous, non pas à notre responsabilité, mais à des injonctions sans sens. À nouveau, proximité n’est pas contamination : je peux avoir été dans la file d’attente d’un magasin à côté d’un malade ou avoir parlé à un ami malade en gardant les gestes barrières et sans avoir été infecté !

Le risque bien sûr, vous l’aurez compris, est que StopCovid produise énormément de “faux positifs” : c’est-à-dire des signalements anxiogènes et non motivés ! Dont il ne nous présentera aucun contexte : on ne saura pas ni qui, ni quand nous avons été à proximité d’un malade, donc incapable d’apprécier la situation, de lui rendre son contexte pour l’apprécier. Nous serons renvoyés à l’injonction du signal ! Sans être capable de prendre une décision informée (dois-je me confiner ? me faire tester — pour autant que ce soit possible !?).

En fait, quand on regarde un questionnaire d’enquête épidémiologique — par exemple, dans une forme très simple, prenons celui-ci proposé pour des cas de co-exposition au virus, on se rend compte que la proximité n’est pas le seul critère évalué. Les dates, les symptômes, l’état de santé de l’exposé, le degré de relation et sa description sont essentiels. Ils permettent notamment d’évaluer très vite un niveau de risque : faible, modéré ou élevé. Une enquête épidémiologique consiste à répondre à des questions sur ses relations, les lieux qu’on a fréquentés, les gens qu’on côtoie plus que ceux que l’on croise, ceux dont on est proche : qu’on touche et embrasse… L’important n’est pas que le questionnaire comme vous diront tous ceux qui mènent des enquêtes, c’est également la relation, la compréhension d’un mode de vie, d’un niveau de risque (respectez-vous les gestes barrières : assidûment ou pas du tout ?). Bref, l’important, c’est aussi d’introduire du rapport humain dans le suivi épidémique. Ce qu’une appli ne peut pas faire sauf, comme vous le diront leurs promoteurs, en collectant toujours plus de données, en étant toujours plus liberticides, pour qualifier toujours mieux le signe en signal !

Le risque des “glissements liberticides et discriminatoires” : de la contrainte à l’obligation !

Le risque c’est qu’en l’absence de tests, de masques (et cette absence va durer !), StopCovid devienne le seul recours d’une politique sanitaire de catastrophe. Le risque est — comme toujours — de “glisser” d’une signose à une politique. Ce que j’appelle “le glissement”, c’est le changement de finalité et l’évolution des autorisations d’accès. C’est le moteur de l’innovation technologique (une manière de pivoter dirait-on dans le monde entrepreneurial, c’est-à-dire de changer la finalité d’un produit et de le vendre pour d’autres clients que son marché originel). Mais le glissement est aussi le moteur de la surveillance, qui consiste bien souvent à transformer des fonctions simples en fonctions de surveillance : comme quand accéder à vos outils de télétravail permet de vous surveiller. Le risque du glissement consiste à faire évoluer dans l’urgence les finalités de l’application StopCovid, qu’elles soient logicielles ou d’usage. C’est ce dont s’inquiète (.pdf) très justement le comité consultatif national d’éthique en prévenant du risque de l’utilisation de l’application pour du contrôle policier ou du contrôle par l’employeur. Même inquiétude pour La Quadrature du Net et l’Observatoire des libertés numériques : le risque c’est qu’une “telle application finisse par être imposée pour continuer de travailler ou pour accéder à certains lieux publics”.

Or, il n’existe aucune garantie contre ces “glissements”… d’autant plus quand la colère et la crainte, la crise économique, le manque de tests et de masques, la durée du confinement, vont rendre le déconfinement encore plus pressant et l’exaspération encore plus réactive. Le risque le plus évident bien sûr est que votre employeur demande à voir votre application sur votre smartphone chaque matin ! Les commerçants, les bars, les policiers, les voisins… Que StopCovid devienne le “certificat d’immunité”, qu’évoquait dans son plan de déconfinement — tout à fait scandaleusement il me semble — la maire de Paris, Anne Hidalgo (sans compter qu’elle l’évoque comme un moyen de contrôle par l’employeur qu’elle représente, la Ville de Paris !). Le “glissement” le plus insidieux c’est que StopCovid devienne une application non pas obligatoire, mais injonctive. Que la santé de chacun soit à la vue de tous : employeurs, voisins, police ! Que nous devenions tous des auxiliaires de police plutôt que des auxiliaires de santé !

L’autre risque du certificat d’immunité, comme le souligne Bloomberg, c’est de faire exploser nos systèmes de santé par un déconfinement total, massif, calculé, où le seul sésame pour participer au monde de demain serait d’avoir survécu au virus ! Un calcul bien présomptueux à ce stade : Pourquoi ? Parce que pour l’instant, on évalue le nombre de Français immunisés par le virus à 10–15% pour les évaluations les plus optimistes, d’autres à 1,5 million soit seulement 2% de la population (et encore bien moins si on rapporte le taux de létalité de 0,37% au nombre de morts). Arriver à 60% d’immunité n’est pas le meilleur pari à prendre à court ou moyen terme !

Dans sa note (.pdf) (complète et intéressante) recensant les différentes techniques de pistage existantes, l’inénarrable Mounir Mahjoubi, ex-Secrétaire d’État au numérique, concédait un autre glissement : celui de l’obligation à utiliser une application comme StopCovid. Pour atteindre le taux d’usage de 60% de la population, Mahjoubi soulignait que “les autorités pourraient être ainsi être tentées de recourir à des mesures coercitives pour motiver l’installation”. Dans son analyse l’entrepreneur Rand Hindi arrivait à la même conclusion, en pire : rendre l’application obligatoire et faire que les autorités puissent accéder aux personnes qui reçoivent une alerte pour leur “appliquer” un confinement strict ! C’est-à-dire lever la confidentialité de l’état de santé, rien de moins.

L’application — pourtant “privacy by design” — n’est pas encore déployée que déjà on nous prépare aux glissements, autoritaires ou contraints ! Le risque bien sûr est de passer d’un contrôle des attestations à un contrôle de l’application ! Un élargissement continu de la pratique du contrôle par la police qui a tendance à élargir les dérives… Ou, pour le dire avec la force d’Alain Damasio : “faire de la médecine un travail de police”.

Le risque enfin c’est bien sûr de faire évoluer l’application par décrets et modification successive du code… pour finir par lui faire afficher qui a contaminé qui et quand, qui serait le meilleur moyen d’enterrer définitivement nos libertés publiques !

Le risque du glissement, c’est de croire qu’en lançant StopCovid nous pourrons toujours l’améliorer. C’est de croire, comme toujours avec le numérique, qu’il suffit de plus de données pour avoir un meilleur outil. C’est de continuer à croire en la surenchère technologique, sans qu’elle ne produise d’effets autres que la fin des libertés publiques, juste parce que c’est la seule solution qui semble rationnelle et qui s’offre à nous !

Le risque, finalement est de continuer à croire que l’analyse de mauvaises données fera pour moins cher ce que seule la science peut faire : mais avec du temps et de l’argent. Le risque, c’est de croire, comme d’habitude que le numérique permet de faire la même chose pour moins cher, d’être un soin palliatif de la médecine. On sait où cette politique de baisse des coûts nous a menés en matière de masques, de lits et de tests. Doit-on encore continuer ?

Le risque c’est de croire qu’une application peut faire le travail d’un médecin, d’un humain : diagnostiquer, traiter, enquêter, apaiser… Soigner et prendre soin. Le risque c’est de rendre disponible des informations de santé de quelque nature qu’elles soient en dehors du circuit de santé et de soin !

Faire de la science !

Face à cette crise, face aux défauts de l’industrie et de la mondialisation qu’elle a révélée tout cru, face à des flux trop tendus, à une compétition encore plus acharnée que jamais, et en attendant que l’industrie parvienne à nouveau à répondre à nos besoins mondiaux, notre seul recours reste la débrouille et la science ! La débrouille, car il risque de falloir faire longtemps avec ce qu’on a. Ou plutôt ce qu’on n’a pas : ni masques, ni tests, ni vaccins !

L’application ne soignera pas. Il va falloir retourner au contact ! Trouver les malades. Les diagnostiquer. Les traiter, enquêter pour remonter les contaminations. “Je ne sais pas faire porter un masque à un point” dit très justement l’épidémiologue Renaux Piarroux. Le confinement va nous donner un répit. Il va nous permettre de faire ce que nous aurions dû faire depuis le début : diagnostiquer et traiter, surveiller et isoler, enquêter pour trouver les personnes en contact… Pour cela, nous ne partirons pas de rien : nous avons Covidom et les techniques de l’enquête épidémiologique. Faire un lent et patient travail que le numérique ne peut pas faire. Modestement. Courageusement. Patiemment.

****

Le numérique ne peut pas tout ! Alors qu’on y a recours comme jamais depuis le confinement, cette crise nous montre que le numérique ne livre pas les produits des Drive, ni n’assure la continuité pédagogique. Il ne repère pas non plus les malades ni ne le soigne. Pour cela aussi, nous avons encore besoin des hommes, des femmes, des premiers de cordée, ceux qui sont aux avant-postes, ceux qui sont essentiels, les irremplaçables («la responsabilité suppose une exigence d’irremplaçabilité”, disait la philosophe Cynthia Fleury).

La fin du confinement est l’occasion d’un recommencement stratégique. Recommençons convenablement : suivons les cas, isolons-les, enquêtons sur leurs relations. Trouvons-les asymptotiques. Surveillons les températures. Testons si c’est possible ! Revenons-en à la science, c’est la seule qui ait fait ses preuves ! Faisons confiance à la débrouille et accueillons là au mieux.

Ce que nous devons garantir en tant que société : c’est que les informations de santé demeurent des informations de santé. Que l’état de chacun face au Covid n’a pas à être communiqué : ni aux entreprises, ni à la police, ni aux employeurs, ni aux voisins ! La santé doit rester à la médecine et la médecine ne doit pas devenir la police. Devant un homme malade, on ne doit pas mettre une application, mais bien un soignant.

Il va nous falloir accepter que tous nos remèdes contre le virus soient imparfaits, qu’aucun ne soit radical. Il va nous falloir apprendre à vivre avec les mauvaises herbes des coronavirus. Il va nous falloir faire avec, car nous n’aurons pas de solutions magiques et immédiates : ni tests à foison, ni masques, ni application magique !

Nous avons besoin de science, d’intelligence, de coopération et de réassurance. Il faut arrêter de terroriser les gens par des discours changeants, mais les aider à grandir et comprendre, comme le souligne, énervé, François Sureau. Ni les injonctions, ni la peur, ni le moralisme ne nous y aideront.

Une chose me marque beaucoup depuis le début de cette pandémie, c’est la colère et l’angoisse des gens, non seulement face à un confinement inédit, face à l’inquiétude d’une crise sans précédent qui s’annonce, mais surtout terrifié par la crainte de chopper ce terrible virus dont on leur parle en continu. Une inquiétude qui n’a cessé d’être aggravée par les injonctions contradictoires des autorités, par les changements de stratégies, les annonces démenties, les promesses non tenues, les retards dans les prises de décision… et plus encore les décisions infantilisantes, sans explications, voire prises en dépit du bon sens épidémique. Une population inquiète parce ce que nous savons que cette crise va durer longtemps et que nous n’avons aucune solution facile et immédiate à disposition. Une population angoissée par la perspective que la pandémie puisse faire 20 millions de morts sur la planète, 230 000 personnes en France (selon le taux de létalité de 0,37% : 230 000 morts, c’est ⅓ de la mortalité annuelle du pays — 600 000 morts par an). Une population rongée à l’idée de se retrouver seule et démunie à l’image de nos aînés, dont les derniers moments nous sont cachés, confisqués à leurs proches, d’une manière foncièrement inhumaine.

Nous avons besoin de décisions claires et sincères, d’explications qui aident à grandir et à comprendre. Nous en sommes loin ! Beaucoup trop loin ! Et j’avoue que de semaine en semaine, c’est ce qui m’inquiète le plus !

Hubert Guillaud




Technologies de crise, mais avec la démocratie

Le scénario d’une accentuation dramatique de la surveillance de masse est déjà sur la table, il suffit de jeter un œil à l’actualité planétaire de la pandémie pour s’en rendre compte.

Accéder aux articles déjà publiés dans notre dossier StopCovid

Pistage des déplacements géolocalisés, reconnaissance faciale, restriction des droits individuels les plus élémentaires, la technopolice qui partout se déploie est d’autant plus inquiétante qu’elle se légitime par la nécessité d’une lutte contre la crise sanitaire. Dès qu’il s’agit de sauver des vies (et la nôtre en particulier) il semble que tout passe au second plan. Après la pédopornographie, le cyberharcèlement, le terrorisme, c’est aujourd’hui la crise sanitaire qui est le cheval de Troie de la surveillance.

Pourtant, comme le montre la prise de position de l’association sans but lucratif Algorithmwatch que nous avons traduite ci-dessous, la démocratie et le respect de la vie privée ne sont nullement incompatibles avec le déploiement de technologies dédiées à la lutte contre la crise sanitaire. Cela nécessite cependant une résistance citoyenne coordonnée…

Article original : Automated decision-making systems and the fight against COVID-19 – our position

Traduction Framalang : CLC, goofy, jums, Barbidule

Les systèmes automatisés de prise de décision et la lutte contre le COVID-19 : notre position

par AlgorithmWatch

Alors que la pandémie de COVID-19 fait rage partout dans le monde, nombreux sont ceux qui se demandent s’il faut mettre en œuvre des systèmes automatisés de prise de décision (N.D.T. : en français, on parle de SIAD) pour y mettre un frein et, si oui, selon quelles modalités.
Différentes solutions sont proposées et mises en œuvre, qui vont des mesures autoritaires de contrôle de la population prises par la Chine jusqu’à des solutions décentralisées, orientées vie privée, comme l’application Safe Path du MIT.
Ci-après nous présentons un ensemble de principes possibles et de réflexions pouvant servir de base à une réflexion utile, démocratique et bien informée sur l’utilisation de systèmes SIAD dans le cadre de l’actuelle pandémie.

silhouettes de continents avec des zones ciblées en cercles concentriques rouges et vert suggérant l’étendue de la pandémie selon les zones géographiques

1. Le COVID-19 n’est pas un problème technologique. L’étude des réponses concrètes à la pandémie montre que les interventions efficaces prennent toujours racine dans des politiques de santé publique globales. Singapour, la Corée du Sud et Taïwan, fréquemment cités en exemple pour leur gestion de l’épidémie, avaient chacun un plan d’action en place, souvent conçu après l’épidémie de SRAS de 2003. Être prêt à affronter une épidémie va bien au-delà des seules solutions techniques : cela suppose des ressources, des compétences, de la planification, ainsi que la volonté politique et la légitimité pour les déployer lorsque c’est nécessaire.

2. Il n’y a pas de solution toute faite pour répondre à l’épidémie de COVID-19. Pour gagner le combat contre le virus, il faut combiner tests, traçage des contacts et confinement. Cependant, chaque contexte est unique. Un pays dans lequel le virus a circulé pendant des mois sans être détecté (comme l’Italie) n’est pas dans la même situation qu’un pays qui a identifié très tôt les porteurs du virus (comme la Corée du Sud). Les différences sociales, politiques et culturelles jouent également un rôle important lorsqu’on cherche à faire appliquer des politiques de santé publique. Cela signifie que la même solution peut aboutir à des résultats très différents selon les contextes.

3. Par conséquent, il n’y a aucune urgence à mettre en place une surveillance numérique de masse pour lutter contre le COVID-19. Il ne s’agit pas que d’une question de vie privée – quoique la vie privée soit un droit fondamental qui mérite d’être protégé. Avant même d’envisager les conséquences des applications de traçage numérique des contacts, par exemple en termes de protection des données personnelles, nous devrions nous demander : est-ce que cela fonctionne ? Or les résultats tirés de la littérature scientifique sur les épidémies antérieures sont mitigés, et dépendent éminemment du contexte. La protection des droits doit être mise en regard des bénéfices attendus (sauver des vies). Mais sacrifier nos libertés fondamentales est inutile si l’on n’en retire aucun bénéfice.

4. Les mesures de confinement devront prendre fin à un moment ou à un autre. Nous devons essayer d’imaginer comment revenir à la « normale ». La plupart des scénarios impliquent une sorte de surveillance numérique qui paraît indispensable si l’on prend en considération les aspects spécifiques du COVID-19 : existence de patients asymptomatiques pouvant être contagieux, période d’incubation de 14 jours, absence de tout remède ou vaccin à l’heure actuelle. Les acteurs de la société civile doivent être prêts à participer à la discussion sur les solutions de surveillance envisagées, afin de favoriser l’émergence d’approches appropriées.

5. La protection contre le COVID-19 et la protection de la vie privée ne s’excluent pas l’une l’autre. Les solutions comme celle que le MIT a développée (les Safe Paths) ou la plate-forme baptisée PEPP-PT (Pan-European Privacy Preserving Proximity Tracing) permettront un « contact tracing » numérique dans le cadre d’une approche ouverte et décentralisée, plus respectueuse des droits des personnes. C’est la solution que certains pays comme Singapour ont retenue pour traiter la question (via l’appli “TraceTogether”) contrairement à l’approche qui a été choisie par la Corée du Sud et Israël.

6. Toute solution doit être mise en œuvre d’une manière respectueuse de la démocratie. La démocratie n’est pas un obstacle à la lutte contre la pandémie : c’est au contraire le seul espoir que nous ayons de prendre des mesures rationnelles et qui respectent les droits de chacun. La plus haute transparence est nécessaire en ce qui concerne 1) les solutions technologiques à l’étude, 2) les équipes d’experts ou les institutions ad hoc créées pour les étudier, 3) les preuves qui justifient leur mise en œuvre, 4) les acteurs chargés de les implémenter et les déployer, en particulier si ce sont des acteurs privés. Seule une parfaite transparence pourra garantir que la société civile et les parlementaires sont en mesure de contrôler l’exécutif.

7. L’usage massif des données qui résulte du développement de systèmes automatisés d’aide à la décision dans le cadre de la lutte contre le virus va conduire à discriminer de nouvelles catégories sociales. Les pouvoirs publics doivent empêcher toute stigmatisation des personnes qui seraient classées dans les mauvaises catégories et veiller au respect des droits de ceux qui n’obtiennent pas de scores suffisamment élevés sur les échelles qui sont utilisées, notamment pour ce qui est du tri dans le système de santé.

8. Même si les systèmes de surveillance numérique prouvent leur utilité, ils doivent être mis en œuvre dans le strict respect des principes de protection des données : comme le Comité européen de la protection des données l’a précisé récemment, il convient de respecter les principes de nécessité, de proportionnalité, de pertinence et du droit en général même en cas d’urgence de santé publique. Tout citoyen doit être en mesure de faire appel d’une décision prise par un système automatique concernant le COVID-19 (en particulier les applications qui déterminent si une personne a été en contact avec une personne contaminée et si celle-ci doit être mise en quarantaine). Les gouvernements et les entreprises qui contractualisent avec eux doivent respecter le RGPD.

9. Les systèmes automatisés d’aide à la décision qui existent déjà ne devraient pas être adaptés pour être mis en œuvre dans le cadre de la pandémie actuelle. En effet, ces systèmes, qui reposent sur des données d’apprentissage anciennes, ne peuvent pas, de ce fait, supporter un changement soudain des conditions dans lesquelles ils sont déployés. La police prédictive, l’aide automatisée aux juges, l’évaluation de la solvabilité et les évaluations issues d’autres SIAD pourraient produire des résultats beaucoup éloignés des intervalles habituels (par exemple en raison des taux d’erreur). Il faudrait de toute urgence les vérifier, voire en suspendre l’utilisation.

10. Par définition, une pandémie touche la planète entière. Il est nécessaire d’y répondre à l’aide d’un ensemble de réponses globales, diverses et coordonnées. Ces réponses devraient être surveillées par un réseau mondial d’organisations de la société civile travaillant main dans la main. Les précédentes crises ont montré que les situations d’urgence fournissent à certains leaders politiques peu scrupuleux une excuse pour légitimer la mise en place d’infrastructures de surveillance de masse qui violent, inutilement et indéfiniment, les droits des citoyens. La résistance (partiellement) victorieuse n’a été possible que lorsque celle-ci a été globale, coordonnée et bien construite, avec des précisions et des preuves solides de notre côté.

11. Et enfin, nous devons nous assurer que ce débat sur la surveillance pendant le COVID-19 ne se déroule pas dans le vide. Certains SIAD, en particulier la reconnaissance faciale, ont déjà prouvé qu’ils étaient problématiques. L’état d’urgence sanitaire actuel ne peut pas être invoqué pour justifier leur déploiement : bien au contraire, tous les problèmes signalés « en temps ordinaire » – le manque de précision, les biais systématiques dans leur mise en œuvre, des préoccupations plus larges concernant les abus possibles de données biométriques, etc. – deviennent encore plus aigus lors de moments exceptionnels, quand la santé et la sécurité de chacun sont en jeu. Nous devons non seulement veiller à ce que ce débat crucial ne soit pas confisqué par les technologues ou les technologies, mais aussi nous assurer que les technologies concernées aient prouvé qu’elles profitent à la société. La mise entre parenthèses des communications en chair et en os donne une occasion de procurer en ligne encore plus de services sociaux et autres services de base, là où les SIAD remplacent souvent les travailleurs sociaux. Cela pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour les citoyens qui n’ont pas d’accès aux outils numériques ou aucun moyen de les comprendre avec un recul critique. Nous devons nous assurer que cela n’arrivera pas.

 

Auteur principal : Fabio Chiusi, avec la collaboration de Nicolas Kayser-Bril