Ce que récolte Google : revue de détail

Le temps n’est plus où il était nécessaire d’alerter sur la prédation opérée par Google et ses nombreux services sur nos données personnelles. Il est fréquent aujourd’hui d’entendre dire sur un ton fataliste : « de toute façon, ils espionnent tout »

Si beaucoup encore proclament à l’occasion « je n’ai rien à cacher » c’est moins par conviction réelle que parce que chacun en a fait l’expérience : « on ne peut rien cacher » dans le monde numérique. Depuis quelques années, les mises en garde, listes de précautions à prendre et solutions alternatives ont été largement exposées, et Framasoft parmi d’autres y a contribué.

Il manquait toutefois un travail de fond pour explorer et comprendre, une véritable étude menée suivant la démarche universitaire et qui, au-delà du jugement global approximatif, établisse les faits avec précision.

C’est à quoi s’est attelée l’équipe du professeur Douglas C. Schmidt, spécialiste depuis longtemps des systèmes logiciels, chercheur et enseignant à l’Université Vanderbilt, qui livre au public une étude d’une cinquantaine de pages intitulée Google Data Collection. Cette étude, qui nous semble pouvoir servir de référence, a retenu l’attention du groupe Framalang qui vous en livre ci-dessous l’executive summary, c’est-à-dire une sorte de résumé initial, qui en donne un aperçu programmatique.

Si vous trouvez un intérêt à cette traduction et souhaitez que Framalang vous propose la suite nous ferons de notre mieux…

Traduction Framalang : Alain, fab, FranBAG, Goofy, jums, Khrys, Mika, Piup, serici

La collecte de données de Google

Un premier aperçu

1.
Google est la plus grosse agence de publicité numérique du monde 1. Elle fournit aussi le leader des navigateurs web 2, la première plateforme mobile 3 ainsi que le moteur de recherche le plus utilisé au monde 4. La plateforme vidéo de Google, ses services de mail et de cartographie comptent 1 milliard d’utilisateurs mensuels actifs chacun 5. Google utilise l’immense popularité de ses produits pour collecter des données détaillées sur le comportement des utilisateurs en ligne comme dans la vie réelle, données qu’il utilisera ensuite pour cibler ses utilisateurs avec de la publicité payante. Les revenus de Google augmentent significativement en fonction de la finesse des technologies de ciblage des données.

2.
Google collecte les données utilisateurs de diverses manières. Les plus évidentes sont « actives », celles dans lesquelles l’utilisateur donne
directement et consciemment des informations à Google, par exemple en s’inscrivant à des applications très populaires telles que YouTube, Gmail, ou le moteur de recherche. Les voies dites « passives » utilisées par Google pour collecter des données sont plus discrètes, quand une application devient pendant son utilisation l’instrument de la collecte des données, sans que l’utilisateur en soit conscient. On trouve ces méthodes de collecte dans les plateformes (Android, Chrome), les applications (le moteur de recherche, YouTube, Maps), des outils de publication (Google Analytics, AdSense) et de publicité (AdMob, AdWords). L’étendue et l’ampleur de la collecte passive de données de Google ont été en grande partie négligées par les études antérieures sur le sujet 6.

3.
Pour comprendre les données que Google collecte, cette étude s’appuie sur quatre sources clefs :
a. Les outils Google « Mon activité » (My Activity) 7 et « Téléchargez vos données » (Takeout) 8, qui décrivent aux utilisateurs l’information collectée lors de l’usage des outils Google.
b. Les données interceptées lors de l’envoi aux serveurs de Google pendant l’utilisation des produits Google ou d’autres sociétés associées.
c. Les règles concernant la vie privée (des produits Google spécifiquement ou en général).
d. Des recherches tierces qui ont analysé les collectes de données opérées par Google.

Histoire naturelle, générale et particulière, des mollusques, animaux sans vertèbres et à sang blanc. T.2. Paris,L’Imprimerie de F. Dufart,An X-XIII [1802-1805]. biodiversitylibrary.org/page/35755415

4.
Au travers de la combinaison des sources ci-dessus, cette étude montre une vue globale et exhaustive de l’approche de Google concernant la collecte des données et aborde en profondeur certains types d’informations collectées auprès des utilisateurs et utilisatrices.
Cette étude met en avant les éléments clés suivants :

a. Dans une journée d’utilisation typique, Google en apprend énormément sur les intérêts personnels de ses utilisateurs. Dans ce scénario d’une journée « classique », où un utilisateur réel avec un compte Google et un téléphone Android (avec une nouvelle carte SIM) suit sa routine quotidienne, Google collecte des données tout au long des différentes activités, comme la localisation, les trajets empruntés, les articles achetés et la musique écoutée. De manière assez surprenante, Google collecte ou infère plus de deux tiers des informations via des techniques passives. Au bout du compte, Google a identifié les intérêts des utilisateurs avec une précision remarquable.

b. Android joue un rôle majeur dans la collecte des données pour Google, avec plus de 2 milliards d’utilisateurs actifs mensuels dans le monde 9. Alors que le système d’exploitation Android est utilisé par des fabricants d’équipement d’origine (FEO) partout dans le monde, il est étroitement connecté à l’écosystème Google via le service Google Play. Android aide Google à récolter des informations personnelles sur les utilisateurs (nom, numéro de téléphone, date de naissance, code postal et dans beaucoup de cas le numéro de carte bancaire), les activités réalisées sur le téléphone (applications utilisées, sites web consultés) et les coordonnées de géolocalisation. En coulisses, Android envoie fréquemment la localisation de l’utilisateur ainsi que des informations sur l’appareil lui-même, comme sur l’utilisation des applications, les rapports de bugs, la configuration de l’appareil, les sauvegardes et différents identifiants relatifs à l’appareil.

c. Le navigateur Chrome aide Google à collecter des données utilisateurs depuis à la fois le téléphone et l’ordinateur de bureau, grâce à quelque 2 milliards d’installations dans le monde 10. Le navigateur Chrome collecte des informations personnelles (comme lorsqu’un utilisateur remplit un formulaire en ligne) et les envoie à Google via le processus de synchronisation. Il liste aussi les pages visitées et envoie les données de géolocalisation à Google.

d. Android comme Chrome envoient des données à Google même en l’absence de toute interaction de l’utilisateur. Nos expériences montrent qu’un téléphone Android dormant et stationnaire (avec Chrome actif en arrière-plan) a communiqué des informations de localisation à Google 340 fois pendant une période de 24 heures, soit en moyenne 14 communications de données par heure. En fait, les informations de localisation représentent 35 % de l’échantillon complet de données envoyés à Google. À l’opposé, une expérience similaire a montré que sur un appareil iOS d’Apple avec Safari (où ni Android ni Chrome n’étaient utilisés), Google ne pouvait pas collecter de données notables (localisation ou autres) en absence d’interaction de l’utilisateur avec l’appareil.

e. Une fois qu’un utilisateur ou une utilisatrice commence à interagir avec un téléphone Android (par exemple, se déplace, visite des pages web, utilise des applications), les communications passives vers les domaines de serveurs Google augmentent considérablement, même dans les cas où l’on n’a pas utilisé d’applications Google majeures (c.-à-d. ni recherche Google, ni YouTube, pas de Gmail ni Google Maps). Cette augmentation s’explique en grande partie par l’activité sur les données de l’éditeur et de l’annonceur de Google (Google Analytics, DoubleClick, AdWords) 11. Ces données représentaient 46 % de l’ensemble des requêtes aux serveurs Google depuis le téléphone Android. Google a collecté la localisation à un taux 1,4 fois supérieur par rapport à l’expérience du téléphone fixe sans interaction avec l’utilisateur. En termes d’amplitude, les serveurs de Google ont communiqué 11,6 Mo de données par jour (ou 0,35 Go / mois) avec l’appareil Android. Cette expérience suggère que même si un utilisateur n’interagit avec aucune application phare de Google, Google est toujours en mesure de recueillir beaucoup d’informations par l’entremise de ses produits d’annonce et d’éditeur.

f. Si un utilisateur d’appareil sous iOS décide de renoncer à l’usage de tout produit Google (c’est-à-dire sans Android, ni Chrome, ni applications Google) et visite exclusivement des pages web non-Google, le nombre de fois où les données sont communiquées aux serveurs de Google demeure encore étonnamment élevé. Cette communication est menée exclusivement par des services de l’annonceur/éditeur. Le nombre d’appels de ces services Google à partir d’un appareil iOS est similaire à ceux passés par un appareil Android. Dans notre expérience, la quantité totale de données communiquées aux serveurs Google à partir d’un appareil iOS est environ la moitié de ce qui est envoyé à partir d’un appareil Android.

g. Les identificateurs publicitaires (qui sont censés être « anonymisés » et collectent des données sur l’activité des applications et les visites des pages web tierces) peuvent être associés à l’identité d’un utilisateur ou utilisatrice de Google. Cela se produit par le transfert des informations d’identification depuis l’appareil Android vers les serveurs de Google. De même, le cookie ID DoubleClick (qui piste les activités des utilisateurs et utilisatrices sur les pages web d’un tiers) constitue un autre identificateur censé être anonymisé que Google peut associer à celui d’un compte personnel Google, si l’utilisateur accède à une application Google avec le navigateur déjà utilisé pour aller sur la page web externe. En définitive, nos conclusions sont que Google a la possibilité de connecter les données anonymes collectées par des moyens passifs avec les données personnelles de l’utilisateur.




Framinetest Edu, et maintenant ?

Deux ans après son lancement, il est temps de dresser un premier bilan de l’aventure Framinetest. Souvenez-vous, le jour de la rentrée des enseignants, septembre 2016, nous écrivions ceci :

 

« Le Framachin de la rentrée est un jeu… Sérieux. » en présentant dans la foulée les intérêts et les possibilités pédagogiques.

Mais qu’en est-il aujourd’hui ?

Combien d’utilisateurs se sont connectés ? Notre initiative a-t-elle réussi à faire ses chatons ? Autant de questions auxquelles nous vous proposons de répondre dans ce premier bilan public. Et avouons-le, si nous avons attendu avant de partager, c’est avant tout parce que nous n’avons pas eu une seconde à nous. Mais que d’aventures et de chemin parcourus depuis son lancement !

Commençons par un nombre

Forcément, lorsqu’on parle de bilan et d’une plateforme en ligne, vient à un moment la question : « c’est qui qui y va, sur ton bouzin ? Et combien c’est-y qui sont à y aller ? »

Voici la réponse… Le nombre total d’utilisateurs qui se sont connectés au moins une fois est de (tadaaa) : plus de 10 000. Après, on a arrêté de compter.

 

Qui se connecte, ou s’est connecté pour découvrir le jeu ?

Des élèves du premier et du second degré, des étudiants, des enseignants du premier et du second degré de toutes disciplines, des universitaires, des inspecteurs et des parents ! Oui, vous avez bien lu, des parents aussi. Et pourquoi pas, après tout ? Personnellement, j’y vois à minima un intérêt : la transparence des outils et de l’enseignement.

Autant dire que Framinetest a été un franc succès ! Mais alors que se passe-t-il en ce moment ?

Eh bien, Contributopia est passée par là !

Retour sur notre démarche

Année 1 : on joue ! (oups, on bosse !)

Dans ce contexte, le premier, et non le moindre, des défis était de trouver une solution de modération qui ne demanderait pas aux modérateurs de rester en ligne 24h/24 et 7j/7. La solution que nous avons donc choisie est celle des privilèges différenciés entre les joueurs. En résumé, plus on est sérieux, attentif aux autres et actif, plus on gagne de privilèges. Solution simple mais particulièrement efficace puisque dès que les élèves sont arrivés sur la plateforme, le nombre de modérateurs a tout simplement triplé !

 

Le second défi à relever fut assez rapidement celui de l’entrée dans le jeu. En effet, lorsqu’on utilise un serveur Minetest public, le nombre de joueurs (français comme étrangers) peut rapidement devenir un problème, en particulier lorsque se glissent parmi eux quelques petits plaisantins aimant jouer avec le feu et la lave (« Ah, cool, j’y suis, je vais pouvoir jou… » Froutch !).

C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place un quiz d’entrée. En résumé, chaque nouveau joueur arrivant dans le jeu possède des privilèges très limités (qui ne permettent pas le grief) et est invité à passer le quiz s’il veut en gagner davantage. Simple, mais particulièrement efficace !

Souvenez-vous : améliorations, évolutions…

  • Septembre 2016 : l’entrée dans le jeu est (donc) modifiée (construction du quiz, mise en place du spawn).
  • Fin novembre 2016 : la carte interactive est mise en place.
  • Décembre 2016 : l’accès aux blocs de lave devient un privilège (a pus, froutch).
  • Octobre-janvier : les mods utilisés sont adaptés et traduits.
  • Janvier : le serveur est mis à jour de la version 0.4.14 vers 0.4.15, ce qui ajoute de nouvelles fonctionnalités et corrige de nombreux bogues.
  • Janvier-février : les élèves testent et installent la « prison » de ré-éducation (on en reparle plus bas).
  • Décembre-février : de nouveaux mods sont testés, et parfois installés (dont « shérif » et véhicules).
  • Février-mars 2017 : l’entrée dans le jeu est encore améliorée avec la mise en place d’un nouveau quiz.

Année 2 : on a montré que c’était possible, maintenant il faut faire des chatons !

OK, c’est cool, mais un tel serveur, avec autant de joueurs, est-ce viable sur le long terme ? La question mérite d’être posée, en particulier après quelques nuits blanches à éteindre des incendies (j’en ris tout seul derrière mon clavier ; seuls les joueurs de la première heure et amis comprendront !).

Il fallait poser les choses : Framinetest n’a pas vocation à accueillir toutes les demandes ! Car elles étaient nombreuses et très diverses, pour ne pas dire toutes différentes. Oui, il faut que je vous explique : quand on vient de l’univers Minecraft, on a la fâcheuse tendance à imaginer son monde à soi, sans penser nécessairement qu’on n’est pas le seul joueur en ligne… CQFD. C’est là que la décentralisation trouve son intérêt, afin que chacun trouve chaussure à son pied.

Et puis soyons honnêtes, ce n’était pas humainement possible, franchement déraisonnable. Il fallait décentraliser ! Bref, peut-être encore plus que pour les autres framachins, le discours se devait d’être clair : « on vous a montré la voie, maintenant, à vous de jouer ! ».

Bien entendu, nous avons guidé aidé, conseillé… Et Framinetest est retourné à sa source : un bac à sable, un lieu d’essai où l’erreur est humaine, mais où on se fait plaisir ! Et des essais, des bugs… il y en a eu un paquet !

  • Octobre 2017 : nous participons au hackathon du Gamixlab !
  • Octobre 2017 à aujourd’hui : nous accompagnons des projets pédagogiques proposés par les enseignants sur Framinetest.

Souvenirs, anecdotes et retours d’expérience

Framinetest est basé sur Minetest, un logiciel libre, moteur de l’innovation pédagogique et favorisant l’élargissement du champ des possibles pour les utilisateurs.

Les administrateurs du serveur ont la possibilité d’ajouter, modifier, optimiser, l’ensemble du jeu : autant dire qu’un enseignant pourra s’y sentir libre, d’un point de vue pédagogique ! Les élèves deviennent force de proposition et d’amélioration du jeu ; c’est motivant et formateur.

 

Le jeu est une société miniature, avec ses évolutions, de l’idée à la réalisation… en passant par l’utopie ! Quelques exemples :

  • EnzoJP et sa prison, où comment rééduquer les joueurs ne respectant pas les règles ! Devant les joueurs les moins sérieux, enzoJP, jeune modérateur et accessoirement l’un de mes élèves, nous a un jour fait part de son idée au cours d’une partie : « monsieur Sangokuss, plutôt que de bannir ces joueurs-là, je pense qu’il serait mieux de les mettre en prison et d’essayer de les ré-éduquer. Est-ce que vous êtes d’accord ? » Bon, là, j’avoue, il y a un moment d’absence dans mon cerveau… Mais après réflexion, je lui dis que c’est envisageable s’il argumente et qu’il respecte la règle du « c’est celui qui dit qui fait ». Réponse d’enzoJP : « monsieur, ne vous inquiétez pas, on ne les tapera pas ! Mais quand ils font une bêtise, on les envoie en prison et un modérateur-psychologue s’en occupe pour le ré-éduquer ». Intérieurement, je me dis que cela devient intéressant (de quoi philosopher et débattre pendant longtemps…) et je réponds « OK, on essaie ». Quinze jours plus tard, la prison est construite et les premiers prisonniers y sont enfermés. Reste à savoir s’ils ressortiront un jour…  Bref, restez sérieux !
  • Reproduire la vraie vie : travailler, dormir, faire ses courses, se cultiver.

 

 

 

  • « Promis monsieur, on ne se bat pas ! Mais on stocke des armes au cas où… ». Euh, ouais, il va falloir en parler, quand même.
  • Le lâcher prise : une posture pas si simple pour l’enseignant, et pourtant une nécessité.
  • L’apprentissage de la démocratie, les scrutins, les décisions communes.

Au fond, c’est une véritable réflexion sur notre société que le jeu permet et facilite pour les joueurs. Sans pour autant aboutir à un résultat idéal, il y a là des pistes intéressantes, parfois surprenantes ou amusantes, parfois politiquement incorrectes, mais toujours dans un esprit de co-construction et d’ouverture.

 

  • Je l’ai déjà évoqué, mais travailler l’entrée dans le jeu est une absolue nécessité ! En effet, lorsqu’un tel serveur est ouvert 24h/24, on remarque inévitablement des problèmes apparaître, plus particulièrement l’arrivée d’intrus qu’il convient de filtrer / cadrer… Mais il y a encore plus important dans un contexte pédagogique : faire prendre conscience aux joueurs (ici, des élèves), de l’importance de respecter certaines règles élémentaires. Et voici les solutions et pistes de réflexions qui ont été proposées par les intervenants eux-mêmes :
    • Forcer les joueurs à lire la charte ! D’où l’idée lancée de construire un labyrinthe dont seul le joueur qui lira les articles de la charte trouvera la sortie. Simple, mais très efficace !
    • Limiter les privilèges au minimum à l’entrée dans le jeu, tout en expliquant qu’il y a moyen d’en gagner, sous condition de respecter les règles du serveur.
    • Avantage important : cela libère du temps au(x) modérateur(s) ou enseignant(s) qui gèrent le serveur puisque l’entrée dans le jeu se fait en autonomie, alors qu’auparavant il fallait prêter une grande attention à cette étape cruciale..
  • Sur un serveur ouvert, au delà de l’entrée dans le jeu, un autre point de vigilance doit être abordé : l’encadrement. D’où la logique des privilèges croissants.
    • Ne deviennent « modo » que ceux qui disposent des privilèges associés, donc ceux qui respectent les règles.
    • Les déplacements sont également facilités par les téléporteurs qui permettent aux participants de se rendre rapidement d’un point à un autre de la map sans pour autant avoir le privilège dédié.
  • La responsabilisation progressive permet d’apprendre la coopération.
    • Retour vers le futur : le privilège du roll-back, c’est-à-dire pouvoir revenir à une situation précédente (soit restaurer le jeu à un point de sauvegarde).
    • Shérif, fait moi peur ! Ou tout simplement l’idée d’un élève de développer une police dans le jeu. Simple à dire, mais si difficile à mettre en place si l’on souhaite que cela se fasse avec calme et légitimité. D’où la notion de vote. Les participants ont, s’ils le souhaitent, la possibilité d’élire un (ou plusieurs) shérif dont les privilèges seront différenciés en fonction de son nombre de bulletins !
    • L’usage de surnom et le respect ne sont pas antagonistes, ce qui surprend parfois les collègues.
    • Le rôle des modérateurs  est indispensable pour favoriser le développement de l’autonomie : accueillir, expliquer, former, faciliter les échanges, et si nécessaire… sanctionner. Comme dans la vraie vie, sauf que dans le jeu certains modérateurs sont eux aussi des participants, parfois plus jeunes que les joueurs « modérés ».
  • De nouveaux usages, ou plutôt des usages inattendus, ont vu le jour :
    • L’inauguration ;
    • L’organisation d’évènements festifs : pour Noël…etc. ;
    • La photo de classe.

Pourquoi pousser le libre dans l’éducation ?

Au-delà du discours libriste global, la fermeture du logiciel Minecraft rend difficile, pour ne pas dire impossible toutes personnalisation profonde du jeu par l’enseignant et donc encore moins par les élèves ! Jouer, dans un tel contexte, c’est davantage être utilisé qu’être utilisateur, pour reprendre une expression de Richard M. Stallman à propos de Facebook. Par conséquent, comment imaginer une démarche pédagogique de formation au numérique ? Car oui, former au numérique c’est former des utilisateurs éclairés, capables (ou du moins ayant la possibilité) de plier l’outil pour répondre à leurs besoins. Or, dans Minetest, cette voie est ouverte aux utilisateurs et les élèves ne s’y trompent pas ; à partir du moment où ils comprennent que tout n’est que dossiers et fichiers, ils personnalisent, adaptent, et créent même leurs propres serveurs.

Bref, ils deviennent indépendants. Libres. Et le devoir de l’école est accompli !

Et demain ?

Framinetest restera. Le projet se poursuit et nous sommes loin d’avoir épuisé l’imagination de nos joueurs et modérateurs ! Figurez-vous que pas plus tard que le week-end dernier, de grosses mises à jour ont été poussées sur Framinetest !

Mais les serveurs doivent se multiplier… Et de fait ils le font, avec de nouvelles expérimentations qu’il est toujours passionnant de suivre tant le jeu est riche de libertés. Si j’en crois ce que j’observe sur les médias sociaux, nous avons fait déjà un joli bout de chemin !

Tout est résumé dans un mot : Contributopia ! Il s’agit d’encourager les nouveaux serveurs pédagogiques et de les accompagner.

Le succès de Framinetest n’est pas passé inaperçu et mon petit doigt me dit que cette histoire n’est pas terminée…

Rendez-vous prochainement pour le troisième volet de l’aventure Framinetest.

Pour aller plus loin




Intimité numérique : le Truc a fait mouche

Paris, Lyon, Toulouse, Bordeaux… et quelques autres métropoles régionales sont animées par des associations libristes actives et efficaces : réunions régulières, actions de terrain, conférences et rencontres… Mais dans les villes moyennes ça bouge aussi.

À l’ouest par exemple, entre Nantes, Quimper ou Brest, beaucoup de projets et d’initiatives sont déjà en place et parfois depuis longtemps. Mais ce sont les habitants de Lannion qui ont récemment pu bénéficier d’un premier Café Vie Privée, un événement qui a connu un beau succès (oui, l’évènement était accueilli au Truc café, ça ne s’invente pas…). Bravo aux organisateurs et organisatrices !

Parmi les interventions :

… et puis il y avait aussi la conférence de Clochix, dont il avait préparé le détail sur son blog Gribouillis dans les marges et que nous reprenons ici avec son accord.

Comme il est modeste, il nous signalait ne rien mentionner d’original, et en effet on retrouvera ici des indications et recommandations dont sont familiers les conférenciers libristes. Cependant, il nous a semblé qu’il abordait une question cruciale classique (comment protéger sa vie privée numérique) selon une démarche plus originale : il commence en effet par tracer les contours de notre intimité numérique avant de définir le « modèle de menace » auquel chacun⋅e s’expose potentiellement. La liste de ses exemples est assez riche… C’est seulement alors que peuvent venir les mesures ou plutôt contre-mesures dont nous pouvons disposer, et pas seulement à titre individuel, en ayant pleine conscience de leurs limites.


Hygiène et écologisme numérique

Avatar de Monsieur Clochix
Avatar de Clochix

Remarque liminaire : je préfère parler plutôt d’intimité que de vie privée. On a parfois l’impression que la vie privée ne concerne que les personnes publiques ou les gens qui ont des choses à cacher. En parlant d’intimité, j’espère que davantage de gens se sentent concerné·e·s.

En réfléchissant à ce que j’allais conseiller pour protéger son intimité, je me suis rendu compte que j’abordais le problème à l’envers. Parler de techniques et d’outils pour protéger son intimité n’est que la dernière étape du processus, avant d’en arriver là, il faut d’abord réfléchir à ce que l’on veut protéger et de qui ou quoi on veut le protéger.

Qu’est-ce que l’intimité numérique et pourquoi la protéger ?

L’intime est ce qui nous définit en tant qu’individus et motive une grande partie de nos actes.

L’intimité, c’est un endroit où l’on est seul avec soi-même (ou avec un nombre très restreint de personnes en qui on a confiance), et qui nous permet, à l’abri de tout regard, de tout jugement externe, de se construire, d’exister, de prendre des décisions, etc.

L’intimité, ce sont aussi nos rêves, et les carnets où parfois on les note. Ce sont nos projets fous que l’on élabore dans notre tête longtemps avant d’oser en parler à quiconque. Et qui ne pourraient pas naître à la lumière.

L’intimité n’a rien à voir avec des actions illicites.

L’intimité, ce sont aussi des choses sans conséquence mais dont on a un peu honte. Se curer le nez, roter, ce sont des choses que l’on s’autorise lorsqu’on est seul chez soi, mais qu’on peut avoir honte de voir exposer sur la place publique. Imaginez l’inconfort d’être dans une cellule de prison où vous devez faire vos besoins au vu et au su de vos co-détenu·e·s. Être privé⋅e d’intimité déshumanise, affecte l’image que l’on a de soi.

Dernier exemple de lieu intime : l’isoloir. Il est depuis longtemps acquis que le secret du vote est important dans une démocratie. Il est vital d’avoir la possibilité que certaines choses restent secrètes.

L’intimité numérique, ce sont toutes les traces de notre intimité sur des outils numériques. C’est naturellement notre correspondance, les informations qui révèlent directement nos pensées intimes. Mais c’est aussi tout ce qui, de manière plus large, permet indirectement, par des recoupements, d’accéder à notre intimité. Nos recherches en ligne, nos achats, nos rendez-vous médicaux, nos errances dans la rue (« tiens, il fait souvent un détour pour passer dans la rue où habite X, cherche-t-il à lae croiser ? »). Nos téléphones qui suivent chacune de nos activités permettent de savoir si nous fréquentons un lieu de culte, un local syndical ou un bar, et à quelle fréquence…

L’intimité est un besoin vital pour les humains, en être privé nous prive d’une partie de notre humanité. En être privé, être toujours sous la menace du regard et du jugement d’autrui, c’est perdre la capacité de penser par soi-même, d’exister, de se comporter en tant qu’individu indépendant, autonome. Priver les citoyen·ne·s d’intimité est une des caractéristiques des régimes totalitaires qui cherchent à nier les individualités pour ne gérer que des robots déshumanisés.

Protéger son intimité est donc essentiel. Mais il faut aussi veiller à ce que la société garantisse à chacun et chacune le droit à l’intimité.

Ok, mais de qui ou de quoi faut-il la protéger ?

Les menaces sur notre droit à l’intimité sont très nombreuses, selon les contextes. Attention, il ne faut pas croire que sont uniquement le fait de gens qui cherchent explicitement à nous nuire. En fait, l’essentiel des risques n’est pas lié à la malveillance, mais à la simple utilisation de nos données pour influencer notre vie. Petite liste non exhaustive :

  • votre employeur actuel : pour avoir certaines conversations avec des collègues, mieux vaut éviter d’utiliser les outils internes de l’entreprise ;
  • vos futurs employeurs : celleux-ci pourraient apprécier de différentes manières de découvrir sur notre fil Facebook que l’on participe à toutes les journées de grève et applaudit aux actions des syndicats 😉
  • vos proches : compagnon ou compagne qui pourrait être blessé·e de découvrir que l’on discute encore avec ses « ex ». Ados ne souhaitant pas que leurs parents écoutent leurs conversations avec leurs potes ou connaissent les sites qu’ils consultent (« pourquoi as-tu fait des recherches sur la contraception ??? ») ;
  • le harcèlement : le phénomène est de plus en plus courant, dans les cours de récréation comme parmi les adultes. Si pour une raison quelconque vous devenez la cible de harcèlement, toutes les informations disponibles en ligne sur vous pourront être utilisées contre vous. Votre adresse, pour vous menacer. Vos proches, pour s’en prendre à elleux… Personne n’est à l’abri, et ça peut être très violent ;
  • des escrocs : les informations que l’on peut trouver en ligne sur nous peuvent permettre à des escrocs d’usurper notre identité, pour nous faire payer leurs amendes, pour souscrire des services à notre place, pour escroquer nos proches en se faisant passer pour nous, etc ;
  • du marketing : plus quelqu’un nous connait, plus iel sera en mesure d’influencer nos actes, voire nos opinions, par exemple pour nous pousser à acheter une marchandise dont on n’avait pas forcément besoin, ou à voter pour un·e candidat·e dont on n’avait pas forcément besoin ;
  • des décisions nous concernant prises en se fondant sur ce que l’on sait ou croit savoir de nous (« gouvernance algorithmique »). Si vous avez été malade et avez évoqué cette maladie sur Internet, une banque pourra des années plus tard vous refuser un prêt, une assurance pourra vous faire payer des primes supérieures… Imaginez qu’un site collecte l’ensemble de nos rendez-vous médicaux, imaginez le nombre de décisions qui pourraient être prises à notre insu à partir de ces informations par un employeur (« elle vient de tomber enceinte, ne lui proposons pas de CDI »), un banquier (« il consulte un psy donc n’est pas stable, refusons-lui ce prêt »)…
  • de l’état : avoir un aéroport ou une usine chimique qui veut s’installer dans notre jardin, ça peut arriver à tout le monde. Tout le monde peut avoir un jour ou l’autre besoin de devenir ZADiste et de s’organiser contre le pouvoir en place, pas besoin d’habiter en Chine pour cela ;

Chacun de ces exemples appelle une réponse particulière et certaines réponses sont parfois contradictoires. Par exemple, GMail offre un bon niveau de protection des correspondances contre les attaques de gens de notre entourage, employeur, conjoint·e, etc. En revanche, il sera obligé de répondre aux demandes de la justice. Héberger ses courriels chez des potes peut-être une bonne idée si on participe à une ZAD. Par contre selon leurs compétences en informatique, la sécurité sera peut-être moindre. Et en cas d’embrouille avec elleux, iels pourraient accéder à nos informations.

Donner de fausses informations en ligne peut relativement nous protéger des tentatives d’influencer nos actes. Mais peut aussi nous nuire le jour où des décisions nous concernant seront prises en se basant sur ces informations.

Et pour protéger son intimité, il faut adopter quelques règles d’hygiène. Mais pour cela il faut d’abord définir son « modèle de menace », c’est à dire ce qui selon vous menace le plus votre intimité, afin de choisir des solutions qui répondent à vos besoins.

Hygiène pour vous… et pour les autres

L’hygiène n’est pas qu’une pratique égoïste. On ne se lave pas les mains juste pour éviter de tomber malade, mais aussi pour éviter de contaminer les autres. Il en va de même pour l’hygiène numérique. Même si vous ne vous sentez pas concerné·e, peut-être aurez-vous envie d’adopter certaines règles d’hygiène par respect ou affection pour vos proches qui se sentent concerné. Par exemple, si vous permettez à une application ou un site Web d’accéder à votre carnet d’adresse, vous divulguez sans leur consentement des données personnelles sur vos proches. Si un·e ami⋅e m’a référencé dans son répertoire téléphonique en tant que Clochix et un·e autre en tant que Papa-de-XXXX, un site accédant à ces deux répertoires pourra faire le lien entre mes différentes identités et anéantir les efforts que je fais pour me protéger.
Si vous mettez en ligne des photos de vos proches, vous perdez le contrôle sur ces photos et ne savez pas quels usages pourront en être faits demain.

Avoir de l’hygiène, c’est donc aussi protéger ses proches, ses collègues…

De l’hygiène individuelle à l’écologisme

Parmi les risques évoqués plus haut, certains nous concernent directement. D’autres affectent plus globalement la société dans son ensemble, par exemple lorsque nos informations sont utilisées à grande échelle pour influencer nos votes. Il est possible que les élections d’Obama et de Trump, entre autres, aient été influencées par des outils se basant sur la masse d’informations que nous laissons en ligne.

La surveillance de masse, qu’elle soit réelle ou supposée, nous pousse à l’auto-censure. Est-ce que si je cherche « Daesh » sur Internet, je ne vais pas devenir suspect ? Est-ce qu’une opinion exprimée aujourd’hui sur Twitter dans un certain contexte ne pourra pas être exhumée demain, dans un autre contexte, et me nuire ? Tout cela pousse à l’auto-censure et sclérose peu à peu le débat démocratique.
Un autre risque est ce que l’on appelle les bulles de filtres, même si leur existence fait débat. Une bulle de filtres, c’est lorsque tous les sites que nous consultons détectent les informations qui nous plaisent et ne nous affichent plus que celles-ci. Cela nous donne du monde une vision biaisée.

Ces enjeux dépassent donc largement nos situations individuelles.

Lorsqu’on parle d’hygiène, on pense d’abord à des mesures de protection individuelles, comme se laver les mains ou bloquer les cookies. Mais il ne faut pas oublier que l’hygiène est aussi un enjeu collectif : « l’hygiène est un enjeu de santé publique, l’accès à un environnement propre et sain étant une condition première du développement durable. » (Wikipédia). L’hygiène numérique ne peut donc se limiter à des actions reposant sur les individus, ça n’est pas seulement de notre responsabilité. Il faut aussi penser ces questions et prendre des mesures au niveau de la collectivité. Et, de manière plus globale, il faudrait réfléchir à la notion d’écologisme numérique. L’espace numérique fait partie intégrante de l’environnement dans lequel évolue l’espèce humaine, et comme tel doit être protégé.

Ok et à présent, qu’est-ce qu’on fait ?

Il n’y a pas d’outils magiques. Utiliser des outils sans avoir un minimum de compréhension du contexte technique, c’est se tirer pratiquement à coup sûr une balle dans le pied. Un faux sentiment de sécurité incite à l’imprudence. C’est comme croire qu’une fois la porte fermée on peut se promener à poil chez soi, parce qu’on ignore l’existence des fenêtres.

La meilleure des protections, c’est l’éducation. C’est acquérir une compréhension du fonctionnement des outils numériques. Connaître les techniques qui permettent de porter atteinte à notre intimité. Les techniques qui, à partir de nos informations intimes, permettent de nous influencer ou de décider de nos vies. Donc : éduquons-nous !

Il ne faut pas se le cacher, se protéger demande une vigilance de tous les instants, souvent épuisante. Il faut donc être convaincu·e de l’importance d’adopter une certaine discipline.

La seule information qui ne pourra pas être utilisée, c’est celle qui n’existe pas (et encore…). Il faut donc selon moi essayer de réduire au maximum son empreinte, les traces que l’on laisse. Le numérique permet de compiler une foule d’informations insignifiantes pour en extraire du sens. Avoir accès à un de vos tickets de caisse ne dit pas forcément grand-chose de vous. Avoir accès à tous vos tickets de caisse permet de connaître votre situation familiale (« tiens, iel achète des gâteaux pour enfants une semaine sur deux ») ou financière, vos convictions (« iel a arrêté d’acheter de la viande de porc et de l’alcool, signe de radicalisation… »). C’est donc une gymnastique quotidienne pour essayer de réduire au maximum ce que l’on dévoile : bloquer systématiquement tous les cookies sauf pour les sites sur lesquels c’est indispensable (et c’est là qu’on en vient à la nécessaire compréhension du fonctionnement), refuser si possible les cartes de fidélité, désactiver le Wifi et le Bluetooth sur son téléphone lorsqu’on ne les utilise pas… C’est une gymnastique contraignante.

Essayez aussi de compartimenter : si vous tenez un carnet Web sur un sujet polémique, essayez d’éviter qu’on puisse faire le lien avec notre état civil (sur le long terme, c’est très très difficile à tenir). A minima, avoir plusieurs profils / plusieurs adresses mail, etc, et ne pas les lier entre elles permet de réduire les risques. Quelqu’un qui vous ciblera pourra faire le lien, mais les programmes de collecte automatique de données ne chercheront pas forcément à recouper.

Compartimentez aussi vos outils : par exemple, utilisez deux navigateurs différents (ou un navigateur avec deux profils) : dans l’un, bloquez tout ce qui permet de vous pister et accédez aux sites qui n’ont pas besoin de savoir qui vous êtes. Utilisez l’autre, moins protégé, uniquement pour les sites nécessitant une connexion (webmail, réseaux sociaux, etc.).

Méfiez-vous comme de la peste des photos et des vidéos. De vous, de vos proches, de quiconque. Demain, en cherchant votre nom, il sera possible de vous identifier sur cette photo prise voilà 20 ans où vous montriez vos fesses. Avez-vous vraiment envie que vos enfants vous voient ainsi ? Demain, en cherchant le nom de votre enfant, ses camarades de classe pourront retrouver une vidéo de ellui à deux ans sur le pot. Hier vous trouviez cette photo adorable, aujourd’hui elle va lui valoir des torrents de moqueries.

Contre la malveillance, il faut naturellement utiliser des pratiques et outils qui relèvent davantage de la sécurité informatique : par exemple des mots de passe complexes, différents pour chaque service.

Pour aller plus loin, je vous encourage à vous renseigner sur le chiffrement : de vos communications, de vos données. Attention, le chiffrement est un sujet relativement complexe, ça n’est à utiliser qu’en ayant une idée précise de ce que vous faites.

Et, naturellement, portez en toutes circonstances un chandail à capuche noir et une cagoule, histoire de rester discret.

Et pour terminer, parce que nous ne sommes que des nains sur l’épaule de géants, une citation que je vous laisse méditer :

Benjamin Bayart
Benjamin Bayart, photo volée au site de l’April

« la solution est forcément dans une articulation entre politique (parce que c’est un problème de société) et technique (parce que les outils actuels le permettent). Et il faut bien les deux volets, un seul, ça ne sert à rien. »

(Benjamin Bayart).




Changer le monde, un octet à la fois

Cette année, comme les précédentes, Framasoft fait appel à votre générosité afin de poursuivre ses actions.

Depuis 14 ans : promouvoir le logiciel libre et la culture libre

L’association Framasoft a 14 ans. Durant nos 10 premières années d’existence, nous avons créé l’annuaire francophone de référence des logiciels libres, ouvert une maison d’édition ne publiant que des ouvrages sous licences libres, répondu à d’innombrables questions autour du libre, participé à plusieurs centaines d’événements en France ou à l’étranger, promu le logiciel libre sur DVD puis clé USB, accompagné la compréhension de la culture libre, ou plutôt des cultures libres, au travers de ce blog, traduit plus de 1 000 articles ainsi que plusieurs ouvrages, des conférences, et bien d’autres choses encore !

Depuis 4 ans, décentraliser Internet

En 2014, l’association prenait un virage en tentant de sensibiliser non seulement à la question du libre, mais aussi à celle de la problématique de la centralisation d’Internet. En déconstruisant les types de dominations exercées par les GAFAM (dominations technique, économique, mais aussi politique et culturelle), nous avons pendant plusieurs années donné à voir en quoi l’hyperpuissance de ces acteurs mettait en place une forme de féodalité.

Et comme montrer du doigt n’a jamais mené très loin, il a bien fallu initier un chemin en prouvant que le logiciel libre était une réponse crédible pour s’émanciper des chaînes de Google, Facebook & co. En 3 ans, nous avons donc agencé plus de 30 services alternatifs, libres, éthiques, décentralisables et solidaires. Aujourd’hui, ces services accueillent 400 000 personnes chaque mois. Sans vous espionner. Sans revendre vos données. Sans publicité. Sans business plan de croissance perpétuelle.

Parfois, Framasoft se met au vert. Parce qu’il y a un monde par-delà les ordinateurs…

 

 

Mais Framasoft, c’est une bande de potes, pas la #startupnation. Et nous ne souhaitions pas devenir le « Google du libre ». Nous avons donc en 2016 impulsé le collectif CHATONS, afin d’assurer la résilience de notre démarche, mais aussi afin de « laisser de l’espace » aux expérimentations, aux bricolages, à l’inventivité, à l’enthousiasme, aux avis divergents du nôtre. Aujourd’hui, une soixantaine de chatons vivent leurs vies, à leurs rythmes, en totale indépendance.

Il y a un an : penser au-delà du code libre

Il y a un an, nous poursuivions notre virage en faisant 3 constats :

  1. L’open source se porte fort bien. Mais le logiciel libre (c-à-d. opensource + valeurs éthiques) lui, souffre d’un manque de contributions exogènes.
  2. Dégoogliser ne suffit pas ! Le logiciel libre n’est pas une fin en soi, mais un moyen (nécessaire, mais pas suffisant) de transformation de la société.
  3. Il existe un ensemble de structures et de personnes partageant nos valeurs, susceptibles d’avoir besoin d’outils pour faire advenir le type de monde dont nous rêvons. C’est avec elles qu’il nous faut travailler en priorité.

Est-ce une victoire pour les valeurs du Libre que d’équiper un appareil tel que le drone militaire MQ-8C Fire Scout ?
Nous ne le pensons pas.
Cliché
Domaine public – Wikimedia

 

Face à ces constats, notre feuille de route Contributopia vise à proposer des solutions. Sur 3 ans (on aime bien les plans triennaux), Framasoft porte l’ambition de participer à infléchir la situation.

D’une part en mettant la lumière sur la faiblesse des contributions, et en tentant d’y apporter différentes réponses. Par exemple en abaissant la barrière à la contribution. Ou, autre exemple, en généralisant les pratiques d’ouvertures à des communautés non-dev.

D’autre part, en mettant en place des projets qui ne soient pas uniquement des alternatives à des services de GAFAM (aux moyens disproportionnés), mais bien des projets engagés, militants, qui seront des outils au service de celles et ceux qui veulent changer le monde. Nous sommes en effet convaincu·es qu’un monde où le logiciel libre serait omniprésent, mais où le réchauffement climatique, la casse sociale, l’effondrement, la précarité continueraient à nous entraîner dans leur spirale mortifère n’aurait aucun sens pour nous. Nous aimons le logiciel libre, mais nous aimons encore plus les êtres humains. Et nous voulons agir dans un monde où notre lutte pour le libre et les communs est en cohérence avec nos aspirations pour un monde plus juste et durable.

Aujourd’hui : publier Peertube et nouer des alliances

Aujourd’hui, l’association Framasoft n’est pas peu fière d’annoncer la publication de la version 1.0 de PeerTube, notre alternative libre et fédérée à YouTube. Si vous souhaitez en savoir plus sur PeerTube, ça tombe bien : nous venons de publier un article complet à ce sujet !

Ce n’est pas la première fois que Framasoft se retrouve en position d’éditeur de logiciel libre, mais c’est la première fois que nous publions un logiciel d’une telle ambition (et d’une telle complexité). Pour cela, nous avons fait le pari l’an passé d’embaucher à temps plein son développeur, afin d’accompagner PeerTube de sa version alpha (octobre 2017) à sa version bêta (mars 2018), puis à sa version 1.0 (octobre 2018).

Le crowdfunding effectué cet été comportait un palier qui nous engageait à poursuivre le contrat de Chocobozzz, le développeur de PeerTube, afin de vous assurer que le développement ne s’arrêterait pas à une version 1.0 forcément perfectible. Ce palier n’a malheureusement pas été atteint, ce qui projetait un flou sur l’avenir de PeerTube à la fin du contrat de Chocobozzz.

Garder sa singularité tout en étant relié aux autres, c’est ça la force de la fédération PeerTube.
Notre article complet sur PeerTube

 

Nous avons cependant une excellente nouvelle à vous annoncer ! Bien que le palier du crowdfunding n’ait pas été atteint, l’association Framasoft a fait le choix d’embaucher définitivement Chocobozzz (en CDI) afin de pérenniser PeerTube et de lui donner le temps et les moyens de construire une communauté solide et autonome. Cela représente un investissement non négligeable pour notre association, mais nous croyons fermement non seulement dans le logiciel PeerTube, mais aussi et surtout dans les valeurs qu’il porte (liberté, décentralisation, fédération, émancipation, indépendance). Sans parler des compétences de Chocobozzz lui-même qui apporte son savoir-faire à l’équipe technique dans d’autres domaines.

Nous espérons que vos dons viendront confirmer que vous approuvez notre choix.

D’ici la fin de l’année, annoncer de nouveaux projets… et une campagne de don

Comme vous l’aurez noté (ou pas encore !), nous avons complètement modifié notre page d’accueil « framasoft.org ». D’une page portail plutôt institutionnelle, décrivant assez exhaustivement « Qu’est-ce que Framasoft ? », nous l’avons recentrée sur « Que fait Framasoft ? » mettant en lumière quelques éléments clefs. En effet, l’association porte plus d’une cinquantaine de projets en parallèle et présenter d’emblée la Framagalaxie nous semblait moins pertinent que de « donner à voir » des actions choisies, tout en laissant la possibilité de tirer le fil pour découvrir l’intégralité de nos actions.

Nous y rappelons brièvement que Framasoft n’est pas une multinationale, mais une micro-association de 35 membres et 8 salarié⋅es (bientôt 9 : il reste quelques jours pour candidater !). Que nous sommes à l’origine de la campagne « Dégooglisons Internet » (plus de 30 services en ligne)… Mais pas seulement ! Certain⋅es découvriront peut-être l’existence de notre maison d’édition Framabook, ou de notre projet historique Framalibre. Nous y mettons en avant LE projet phare de cette année 2018 : PeerTube. D’autres projets à court terme sont annoncés sur cette page (en mode teasing), s’intégrant dans notre feuille de route Contributopia.

Framasoft n’est pas une multinationale, mais une micro-association

Enfin, nous vous invitons à faire un don pour soutenir ces actions. Car c’est aussi l’occasion de rappeler que l’association ne vit quasiment que de vos dons ! Ce choix fort, volontaire et assumé, nous insuffle notre plus grande force : notre indépendance. Que cela soit dans le choix des projets, dans le calendrier de nos actions, dans la sélection de nos partenaires, dans nos prises de paroles et avis publics, nous sommes indépendant⋅es, libres, et non-soumis⋅es à certaines conventions que nous imposerait le système de subventions ou de copinage avec les ministères ou toute autre institution.

Ce sont des milliers de donatrices et donateurs qui valident nos actions par leur soutien financier. Ce qu’on a fait vous a plu ? Vous pensez que nous allons dans le bon sens ? Alors, si vous en avez l’envie et les moyens, nous vous invitons à faire un don. C’est par ce geste que nous serons en mesure de verser les salaires des salarié⋅es de l’association, de payer les serveurs qui hébergent vos services préférés ou de continuer à intervenir dans des lieux ou devant des publics qui ont peu de moyens financiers (nous intervenons plus volontiers en MJC que devant l’Assemblée Nationale, et c’est un choix assumé). Rappelons que nos comptes sont publics et validés par un commissaire aux comptes indépendant.

En 2019, proposer des outils pour la société de contribution

Fin 2018, nous vous parlerons du projet phare que nous souhaitons développer pendant l’année 2019, dont le nom de code est Mobilizon. Au départ pensé comme une simple alternative à Meetup.com (ou aux événements Facebook, si vous préférez), nous avons aujourd’hui la volonté d’emmener ce logiciel bien plus loin afin d’en faire un véritable outil de mobilisation destiné à celles et ceux qui voudraient se bouger pour changer le monde, et s’organiser à 2 ou à 100 000, sans passer par des systèmes certes efficaces, mais aussi lourds, centralisés, et peu respectueux de la vie privée (oui, on parle de Facebook, là).

Évidemment, ce logiciel sera libre, mais aussi fédéré (comme Mastodon ou PeerTube), afin d’éviter de faire d’une structure (Framasoft ou autre), un point d’accès central, et donc de faiblesse potentielle du système. Nous vous donnerons plus de nouvelles dans quelques semaines, restez à l’écoute !

Éviter de faire d’une structure (Framasoft ou autre), un point d’accès central

D’autres projets sont prévus pour 2019 :

  • la sortie du (apparemment très attendu) Framapétitions ;
  • la publication progressive du MOOC CHATONS (cours en ligne gratuit et ouvert à toutes et tous), en partenariat avec la Ligue de l’Enseignement et bien d’autres. Ce MOOC, nous l’espérons, permettra à celles et ceux qui le souhaitent, de comprendre les problématiques de la concentration des acteurs sur Internet, et donc les enjeux de la décentralisation. Mais il donnera aussi de précieuses informations en termes d’organisation (création d’une association, modèle économique, gestion des usager⋅es, gestion communautaire, …) ainsi qu’en termes techniques (quelle infrastructure technique ? Comment la sécuriser ? Comment gérer les sauvegardes, etc.) ;
  • évidemment, bien d’autres projets en ligne (on ne va pas tout vous révéler maintenant, mais notre feuille de route donne déjà de bons indices)

Bref, on ne va pas chômer !

Dans les années à venir : se dédier à toujours plus d’éducation populaire, et des alliances

Nous avions coutume de présenter Framasoft comme « un réseau à géométrie variable ». Il est certain en tout cas que l’association est en perpétuelle mutation. Nous aimons le statut associatif (la loi de 1901 nous paraît l’une des plus belles au monde, rien que ça !), et nous avons fait le choix de rester en mode « association de potes » et de refuser — en tout cas jusqu’à nouvel ordre — une transformation en entreprise/SCOP/SCIC ou autre. Mais même si nous avons choisi de ne pas être des super-héro⋅ïnes et de garder l’association à une taille raisonnable (moins de 10 salarié⋅es), cela ne signifie pas pour autant que nous ne pouvons pas faire plus !

La seconde année de Contributopia
Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

 

 

Pour cela, de la même façon que nous proposons de mettre nos outils « au service de celles et ceux qui veulent changer le monde », nous sommes en train de créer des ponts avec de nombreuses structures qui n’ont pas de rapport direct avec le libre, mais avec lesquelles nous partageons un certain nombre de valeurs et d’objectifs.

Ainsi, même si leurs objets de militantisme ou leurs moyens d’actions ne sont pas les mêmes, nous aspirons à mettre les projets, ressources et compétences de Framasoft au service d’associations œuvrant dans des milieux aussi divers que ceux de : l’éducation à l’environnement, l’économie sociale et solidaire et écologique, la transition citoyenne, les discriminations et oppressions, la précarité, le journalisme citoyen, la défense des libertés fondamentales, etc. Bref, mettre nos compétences au service de celles et ceux qui luttent pour un monde plus juste et plus durable, afin qu’ils et elles puissent le faire avec des outils cohérents avec leurs valeurs et modulables selon leurs besoins.

Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. Nous pensons que le temps est venu de faire ensemble.

Framasoft est une association d’éducation populaire (qui a soufflé « d’éducation politique » ?), et nous n’envisageons plus de promouvoir ou de faire du libre « dans le vide ». Il y a quelques années, nous évoquions l’impossibilité chronique et structurelle d’échanger de façon équilibrée avec les institutions publiques nationales. Cependant, en nous rapprochant de réseaux d’éducation populaire existants (certains ont plus de cent ans), nos positions libristes et commonistes ont été fort bien accueillies. À tel point qu’aujourd’hui nous avons de nombreux projets en cours avec ces réseaux, qui démultiplieront l’impact de nos actions, et qui permettront — nous l’espérons — que le milieu du logiciel libre ne reste pas réservé à une élite de personnes maîtrisant le code et sachant s’y retrouver dans la jungle des licences.

Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. Nous pensons que le temps est venu de faire ensemble.

Nous avons besoin de vous !

Un des paris que nous faisons pour cette campagne est « d’informer sans sur-solliciter ». Et l’équilibre n’est pas forcément simple à trouver. Nous sommes en effet bien conscient⋅es qu’en ce moment, toutes les associations tendent la main et sollicitent votre générosité.

Nous ne souhaitons pas mettre en place de « dark patterns » que nous dénonçons par ailleurs. Nous pouvions jouer la carte de l’humour (si vous êtes détendu⋅es, vous êtes plus en capacité de faire des dons), celle de la gamification (si on met une jauge avec un objectif de dons, vous êtes plus enclin⋅es à participer), celle du chantage affectif (« Donnez, sinon… »), etc.

Le pari que nous prenons, que vous connaissiez Framasoft ou non, c’est qu’en prenant le temps de vous expliquer qui nous sommes, ce que nous avons fait, ce que nous sommes en train de faire, et là où nous voulons vous emmener, nous parlerons à votre entendement et non à vos pulsions. Vous pourrez ainsi choisir de façon éclairée si nos actions méritent d’être soutenues.

« Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose. Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer. » — Antoine de Saint-Exupéry

Nous espérons, à la lecture de cet article, vous avoir donné le désir de co-construire avec nous le Framasoft de demain, et que vous embarquerez avec nous.

 

Faire un don pour soutenir les actions de Framasoft

 

 




Directive copyright : pourquoi l’échec, comment lutter

Oui, le vote de la directive Copyright est encore un violent coup contre les libertés numériques chères aux libristes. Notre mobilisation a-t-elle manqué de vigueur pour alerter les députés européens et faire pression sur leur vote ? 

Ont-ils été plus réceptifs une fois encore au puissant lobbying combiné de l’industrie du divertissement, des médias traditionnels et des ayants droit ? Outre ces hypothèses et sans les exclure, Cory Doctorow, militant de longue date (dont nous traduisons les articles depuis longtemps) pense qu’il existe chez les eurodéputés une sorte d’ignorance doublée d’une confiance naïve dans les technologies numériques.

Dans l’article dont Framalang vous propose la traduction, il expose également les conséquences concrètes de la calamiteuse Directive Copyright12 pour tous les internautes, et particulièrement les créateurs indépendants. Enfin, sans en masquer le niveau de difficulté, il indique les points d’appui d’une lutte qui demeure possible, et qui doit être incessante, au-delà des prétendues « victoires » et « défaites ».

Aujourd’hui, L’Europe a perdu Internet. Maintenant, nous contre-attaquons.

par Cory Doctorow

Article original sur le site de l’EFFToday, Europe Lost The Internet. Now, We Fight Back.

Traduction Framalang : rama, Sonj, FranBAG, goofy, hello, Util-Alan, dr4Ke, Savage, david, Piup

La semaine dernière, lors d’un vote qui a divisé presque tous les grands partis de l’Union européenne, les députés européens ont adopté toutes les terribles propositions de la nouvelle directive sur le droit d’auteur et rejeté toutes les bonnes, ouvrant la voie à la surveillance de masse automatisée et à la censure arbitraire sur Internet : cela concerne aussi bien les messages – comme les tweets et les mises à jour de statut sur Facebook – que les photos, les vidéos, les fichiers audio, le code des logiciels – tous les médias qui peuvent être protégés par le droit d’auteur.

 

Trois propositions ont été adoptées par le Parlement européen, chacune d’entre elles est catastrophique pour la liberté d’expression, la vie privée et les arts :

1. Article 13 : les filtres de copyright. Toutes les plateformes, sauf les plus petites, devront adopter défensivement des filtres de copyright qui examinent tout ce que vous publiez et censurent tout ce qu’ils jugent être une violation du copyright.

2. Article 11 : il est interdit de créer des liens vers les sites d’information en utilisant plus d’un mot d’un article, à moins d’utiliser un service qui a acheté une licence du site vers lequel vous voulez créer un lien. Les sites d’information peuvent faire payer le droit de les citer ou le refuser, ce qui leur donne effectivement le droit de choisir qui peut les critiquer. Les États membres ont la possibilité, sans obligation, de créer des exceptions et des limitations pour réduire les dommages causés par ce nouveau droit.

3. Article 12a : pas d’affichage en ligne de vos propres photos ou vidéos de matchs sportifs. Seuls les « organisateurs » d’événements sportifs auront le droit d’afficher publiquement tout type d’enregistrement d’un match. Pas d’affichage de vos selfies sur fond de spectacle, ou de courtes vidéos de pièces de théâtre passionnantes. Vous êtes le public, votre travail est de vous asseoir là où on vous le dit, de regarder passivement le match et de rentrer chez vous.

Au même moment, l’UE a rejeté jusqu’à la plus modeste proposition pour adapter le droit d’auteur au vingt-et-unième siècle :

1. Pas de « liberté de panorama ». Quand nous prenons des photos ou des vidéos dans des espaces publics, nous sommes susceptibles de capturer incidemment des œuvres protégées par le droit d’auteur : depuis l’art ordinaire dans les publicités sur les flancs des bus jusqu’aux T-shirts portés par les manifestants, en passant par les façades de bâtiments revendiquées par les architectes comme étant soumises à leur droit d’auteur. L’UE a rejeté une proposition qui rendrait légal, à l’échelle européenne, de photographier des scènes de rue sans craindre de violer le droit d’auteur des objets en arrière-plan ;

2. Pas de dispense pour les « contenus provenant des utilisateurs », ce qui aurait permis aux États membres de l’UE de réserver une exception au droit d’auteur à l’utilisation d’extraits d’œuvres pour « la critique, la revue, l’illustration, la caricature, la parodie ou le pastiche. »

J’ai passé la majeure partie de l’été à discuter avec des gens qui sont très satisfaits de ces négociations, en essayant de comprendre pourquoi ils pensaient que cela pourrait être bon pour eux. Voilà ce que j’ai découvert.

Ces gens ne comprennent rien aux filtres. Vraiment rien.

L’industrie du divertissement a convaincu les créateurs qu’il existe une technologie permettant d’identifier les œuvres protégées par le droit d’auteur et de les empêcher d’être montrées en ligne sans une licence appropriée et que la seule chose qui nous retient est l’entêtement des plateformes.

La réalité, c’est que les filtres empêchent principalement les utilisateurs légitimes (y compris les créateurs) de faire des choses légitimes, alors que les véritables contrefacteurs trouvent ces filtres faciles à contourner.

En d’autres termes : si votre activité à plein temps consiste à comprendre comment fonctionnent les filtres et à bidouiller pour les contourner, vous pouvez devenir facilement expert⋅e dans ce domaine. Les filtres utilisés par le gouvernement chinois pour bloquer les images, par exemple, peuvent être contournés par des mesures simples.

Cependant, ces filtres sont mille fois plus efficaces que des filtres de copyright, parce qu’ils sont très simples à mettre en œuvre, tandis que leurs commanditaires ont d’immenses moyens financiers et techniques à disposition.

Mais si vous êtes un photographe professionnel, ou juste un particulier qui publie son propre travail, vous avez mieux à faire que de devenir un super combattant anti-filtre. Quand un filtre se trompe sur votre travail et le bloque pour violation du copyright, vous ne pouvez pas simplement court-circuiter le filtre avec un truc clandestin : vous devez contacter la plateforme qui vous a bloqué⋅e, vous retrouvant en attente derrière des millions d’autres pauvres gogos dans la même situation que vous.

Croisez les doigts et espérez que la personne surchargée de travail qui prendra votre réclamation en compte décidera que vous êtes dans votre droit.

Bien évidemment, les grosses entreprises du divertissement et de l’information ne sont pas inquiétées par ce résultat : elles ont des points d’entrée directe dans les plateformes de diffusion de contenus, des accès prioritaires aux services d’assistance pour débloquer leurs contenus quand ceux-ci sont bloqués par un filtre. Les créateurs qui se rallieront aux grandes sociétés du divertissement seront ainsi protégés des filtres – tandis que les indépendants (et le public) devront se débrouiller seuls.

Ils sous-estiment lourdement l’importance de la concurrence pour améliorer leur sort.

La réalisation des filtres que l’UE vient d’imposer coûtera des centaines de millions de dollars. Il y a très peu d’entreprises dans le monde qui ont ce genre de capital : les géants de la technologie basés aux États-Unis ou en Chine et quelques autres, comme VK en Russie.

L’obligation de filtrer Internet impose un seuil plancher à l’éventuel fractionnement des grandes plateformes par les régulateurs anti-monopole : puisque seules les plus grandes entreprises peuvent se permettre de contrôler l’ensemble du réseau à la recherche d’infractions, elles ne pourront pas être forcées à se séparer en entités beaucoup plus petites. La dernière version de la directive prévoit des exemptions pour les petites entreprises, mais celles-ci devront rester petites ou anticiper constamment le jour où elles devront elles-mêmes endosser le rôle de police du droit d’auteur. Aujourd’hui, l’UE a voté pour consolider le secteur des technologies, et ainsi pour rendre beaucoup plus difficile le fonctionnement des créateurs indépendants. Nous voyons deux grandes industries, faisant toutes deux face à des problèmes de compétitivité, négocier un accord qui fonctionne pour elles, mais qui diminuera la concurrence pour le créateur indépendant pris entre les deux. Ce qu’il nous fallait, c’était des solutions pour contrer le renforcement des industries de la technologie comme de celles de la création : au lieu de cela, nous avons obtenu un compromis qui fonctionne pour elles, mais qui exclut tout le reste.

Comment a-t-on pu en arriver à une situation si désastreuse ?

Ce n’est pas difficile à comprendre, hélas. Internet fait partie intégrante de tout ce que nous faisons, et par conséquent, chaque problème que nous rencontrons a un lien avec Internet. Pour les gens qui ne comprennent pas bien la technologie, il y a un moyen naturel de résoudre tout problème : « réparer la technologie ».

Dans une maxime devenue célèbre, Arthur C. Clarke affirmait que « toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie ». Certaines réalisations technologiques semblent effectivement magiques, il est naturel d’être témoin de ces miracles du quotidien et d’estimer que la technologie peut tout faire.

L’incapacité à comprendre ce que la technologie peut ou ne peut pas faire est la source d’une infinité d’erreurs : depuis ceux qui affirment hâtivement que les machines à voter connectées peuvent être suffisamment sécurisées pour être utilisées lors d’une élection nationale ; aux officiels qui claironnent qu’il est possible de créer un système de chiffrement qui empêche les truands d’accéder à nos données, mais autorise la police à accéder aux données des truands ; en passant par la croyance que le problème de la frontière irlandaise post-Brexit peut être « solutionné » par de vagues mesures techniques.

Dès que quelques puissants décideurs des industries du divertissement ont été persuadés que le filtrage massif était possible et sans conséquence néfaste, cette croyance s’est répandue, et quand les spécialistes (y compris les experts qui font autorité sur le sujet) disent que ce n’est pas possible, ils sont accusés d’être bornés et de manquer de vision, pas d’apporter un regard avisé sur ce qui est possible ou non.

C’est un schéma assez familier, mais dans le cas de la directive européenne sur le copyright, il y a eu des facteurs aggravants. Lier un amendement sur les filtres de copyright à une proposition de transfert de quelques millions d’euros des géants de l’informatique vers les propriétaires de médias a garanti une couverture médiatique favorable de la part de la presse, qui cherche elle-même une solution à ses problèmes.

Enfin, le problème est qu’Internet favorise une sorte de vision étriquée par laquelle nous avons l’illusion que la petite portion du Net que nous utilisons en constitue la totalité. Internet gère des milliards de communications publiques chaque jour : vœux de naissance et messages de condoléances, signalement de fêtes et réunions prochaines, campagnes politiques et lettres d’amour. Un petit bout, moins d’un pour cent, de ces communications constitue le genre de violation du droit d’auteur visé par l’article 13, mais les avocats de cet article insistent pour dire que le « but premier » de ces plateformes est de diffuser des œuvres protégées par le droit d’auteur.

Il ne fait aucun doute que les gens de l’industrie du divertissement interagissent avec beaucoup d’œuvres de divertissement en ligne, de la même façon que la police voit beaucoup de gens qui utilisent Internet pour planifier des crimes, et les fashionistas voient beaucoup de gens qui utilisent Internet pour montrer leurs tenues.

L’Internet est plus vaste qu’aucun⋅e d’entre nous ne peut le concevoir, mais cela ne signifie pas que nous devrions être indifférent⋅e⋅s à tous les autres utilisateurs d’Internet et à ce qu’ils perdent lorsque nous poursuivons nos seuls objectifs, aux dépens du reste du monde numérique.

Le vote récent de la directive sur le copyright ne rend pas seulement la vie plus difficile aux créateurs, en donnant une plus grande part de leurs revenus à Big contenus et Big techno – il rend la vie plus difficile pour nous tous. Hier, un spécialiste d’un syndicat de créateurs dont je suis membre m’a dit que leur travail n’est pas de « protéger les gens qui veulent citer Shakespeare » (qui pourraient être bloqués par l’enregistrement bidon de ses œuvres dans les filtres du droit d’auteur) – mais plutôt de protéger les intérêts des photographes du syndicat dont l’œuvre est « volée ». Non seulement l’appui de mon syndicat à cette proposition catastrophique ne fait aucun bien aux photographes, mais il causera aussi d’énormes dommages à ceux dont les communications seront prises entre deux feux. Même un taux d’erreur de seulement un pour cent signifie encore des dizaines de millions d’actes de censure arbitraire, chaque jour.

Alors, que faut-il faire ?

En pratique, il existe bien d’autres opportunités pour les Européens d’influencer leurs élu⋅es sur cette question.

* Tout de suite : la directive rentre dans une phase de « trilogues » , des réunions secrètes, à huis clos, entre les représentants des gouvernements nationaux et de l’Union européenne ; elles seront difficiles à influencer, mais elles détermineront le discours final présenté au parlement pour le prochain vote (difficulté : 10/10).

* Au printemps prochain, le Parlement européen votera sur le discours qui ressort de ces trilogues. Il est peu probable qu’ils puissent étudier le texte plus en profondeur, on passera donc à un vote sur la directive proprement dite. Il est très difficile de contrecarrer la directive à ce stade (difficulté : 8/10).

* Par la suite les 28 États membres devront débattre et mettre en vigueur leurs propres versions de la législation. Sous bien des aspects, il sera plus difficile d’influencer 28 parlements distincts que de régler le problème au niveau européen, quoique les membres des parlements nationaux seront plus réceptifs aux arguments d’internautes isolés, et les victoires obtenues dans un pays peuvent être mises à profit dans d’autres (« Tu vois, ça a marché au Luxembourg. On n’a qu’à faire la même chose. ») (difficulté : 7/10).

* À un moment ou à un autre : contestations judiciaires. Étant donné l’ampleur de ces propositions, les intérêts en jeu et les questions non résolues sur la manière d’équilibrer tous les droits en jeu, nous pouvons nous attendre à ce que la Cour de justice européenne soit saisie de cette question. Malheureusement, les contestations judiciaires sont lentes et coûteuses (difficulté : 7/10).

En attendant, des élections européennes se profilent, au cours desquelles les politiciens de l’UE devront se battre pour leur emploi. Il n’y a pas beaucoup d’endroits où un futur membre du Parlement européen peut gagner une élection en se vantant de l’expansion du droit d’auteur, mais il y a beaucoup d’adversaires électoraux potentiels qui seront trop heureux de faire campagne avec le slogan « Votez pour moi, mon adversaire vient de casser Internet » ;

Comme nous l’avons vu dans le combat pour la neutralité du Net aux USA, le mouvement pour protéger l’Internet libre et ouvert bénéficie d’un large soutien populaire et peut se transformer en sujet brûlant pour les politiciens.

Écoutez, on n’a jamais dit que notre combat se terminerait par notre « victoire » définitive – le combat pour garder l’Internet libre, juste et ouvert est toujours en cours.

Tant que les gens auront :

a) des problèmes,

b) liés de près ou de loin à Internet,

il y aura toujours des appels à casser/détruire Internet pour tenter de les résoudre.

Nous venons de subir un cuisant revers, mais cela ne change pas notre mission. Se battre, se battre et se battre encore pour garder Internet ouvert, libre et équitable, pour le préserver comme un lieu où nous pouvons nous organiser pour mener les autres luttes qui comptent, contre les inégalités et les trusts, les discriminations de race et de genre, pour la liberté de la parole et de la légitimité démocratique.

Si ce vote avait abouti au résultat inverse, nous serions toujours en train de nous battre aujourd’hui. Et demain. Et les jours suivants.

La lutte pour préserver et restaurer l’Internet libre, équitable et ouvert est une lutte dans laquelle vous vous engagez, pas un match que vous gagnez. Les enjeux sont trop élevés pour faire autrement.

*   *   *

Pour donner suite à cette lecture, nous vous recommandons l’article de Calimaq dont le titre est un peu à contre-courant : La directive Copyright n’est pas une défaite pour l’Internet Libre et Ouvert !




Bye bye Twitter, hello Masto !

C’est dans l’air du temps et c’est tant mieux. Comme à chaque fois que Twitter (ou Facebook) se signale par ses errements manifestes (et comment pourrait-il en être autrement ?), s’ensuit une vague de migrations.

Voici par exemple Laura Kalbag. Cette designeuse britannique qui est la moitié de indie.ie avec Aral Balkan et qui a publié le guide Accessibility for everyone a récemment pris ses distances avec Twitter pour expérimenter Mastodon au point de piloter sa propre instance…

Elle explique ses raisons et sa démarche au long de deux articles successifs sur son blog que Framalang s’est fait un plaisir de traduire tous les deux pour vous : What is wrong with Twitter et What is Mastodon and Why should I use it.

Bonne lecture… et à bientôt peut-être sur Mastodon, le réseau social qui vous redonne le contrôle ? Si vous êtes déjà convaincu⋅e, faites lire ce double article à vos ami⋅e⋅s qui hésitent encore.

Traduction Framalang : audionuma, Juliette, jums, goofy, Elodie, sonj, draenog, Nexofs, sonj + 4 anonymes

Quel est le problème avec Twitter ?

 par Laura Kalbag

Il y a quelques semaines j’ai publié une brève note pour signaler que j’ai désormais ma propre instance Mastodon. Mais commençons par le commencement : pourquoi ?

J’ai l’intention d’utiliser Mastodon comme alternative à Twitter. Bien que Mastodon ne soit pas l’équivalent de Twitter, nombre de ses fonctionnalités sont semblables. Et je cherche une solution alternative à Twitter parce que Twitter n’est pas bon pour moi.

Parfois, il m’arrive de croire qu’en disant : « Twitter n’est pas bon pour moi » je n’ai pas besoin d’expliquer davantage, mais ce n’est pas une opinion tellement répandue. Cela vaut la peine d’être expliqué un peu plus en détail :

Le capitalisme de surveillance

En bref, le problème avec Twitter c’est le capitalisme de surveillance. Au cas où ce terme vous serait étranger, le capitalisme de surveillance est le modèle économique dominant en matière de technologie grand public. La technologie nous traque, observe nos actions : c’est l’aspect surveillance. Cette information est alors utilisée afin de mieux nous vendre des biens et services, souvent par le biais de la publicité « pertinente », c’est l’aspect capitalisme. Pour dire les choses clairement, Aral Balkan appelle cela le people farming que l’on peut traduire par « élevage humain».

Nous sommes la plupart du temps conscient⋅e⋅s du fait que les publicités que nous voyons sur les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter financent leurs services. En revanche, nous sommes moins conscient⋅e⋅s du fait que des algorithmes affectent les articles ou billets que nous voyons dans les fils d’information de nos réseaux sociaux, et nous ne savons pas quelle information nourrit ces algorithmes ; ni comment ces algorithmes et leurs interfaces sont conçus pour manipuler notre interaction avec le service. Nous sommes largement inconscient⋅e⋅s de la manière dont la plupart des technologies utilisent le traçage et leurs propres algorithmes pour nous rendre dépendant⋅e⋅s et pour manipuler notre comportement d’une manière qui leur est financièrement bénéfique.

Si tout cela semble tiré par les cheveux, jetez un coup d’œil à la version blog de ma conférence intitulée : « Digital Assistants, Facebook Quizzes, et Fake News ! Vous n’allez pas croire ce qui va se passer ensuite. »

Qu’est-ce qui ne va pas avec Twitter, au juste ?

Le modèle économique de capitalisme de surveillance de Twitter a un impact sur chaque décision prise par Twitter. Twitter récompense les comportements abusifs à travers les algorithmes utilisés pour son historique car la controverse entraîne « l’engagement ». Twitter construit des cultes de la célébrité (qu’il s’agisse des individus ou des mèmes) parce que davantage de personnes s’inscriront sur une plateforme pour suivre l’actualité et éviter la peur de passer à côté.

À travers ses algorithmes Twitter décide de ce que vous voyez

Tout comme l’a fait Facebook auparavant, la décision de Twitter d’utiliser des algorithmes pour vous dicter ce que vous voyez dans votre fil au lieu de vous montrer les messages dans leur ordre chronologique signifie que vous ne pouvez pas faire confiance au flux pour vous afficher les messages des personnes que vous suivez (le contournement consiste à utiliser les « Listes », mais pour cette raison, je soupçonne Twitter de vouloir se débarrasser des listes à un moment ou à un autre…)

Vous ignorez si vos messages sont vus ou si vous voyez ceux de vos amis, puisque vous n’avez aucune idée de ce que fait l’algorithme. il semble que cet algorithme favorise les comptes et les tweets populaires et/ou viraux, ce qui fait de la viralité l’aspiration ultime des vedettes expérimenté⋅e⋅s des réseaux sociaux, au-delà du nombre spectaculaire d’abonné⋅e⋅s. (je ne porte pas de jugement… je décide moi aussi de suivre ou non une personne en fonction de son nombre d’abonné⋅e⋅s, pas vous ?)

En réalité, Twitter encourage les agressions

Twitter permet aux agressions et au harcèlement de continuer parce que l’engagement des utilisateurs prospère grâce à la polémique. Des trolls haineux qui chassent en meute ? C’est ça, l’engagement ! Des femmes et des personnes de groupes marginalisés sont harcelées sur Twitter ? Mais tous ces trolls sont si engageants ! Qu’est-ce que ça peut faire qu’une femme quitte Twitter si la polémique a pour résultat qu’un plus grand nombre de personnes vont tweeter, ou même s’inscrire pour avoir leur mot à dire sur la question ? Pourquoi Twitter, Inc. devrait-il se soucier des gens alors que les chiffres sont tout ce qui compte pour les investisseurs, et que ce sont eux qui gardent la mainmise sur les projecteurs ? Tout ce que les entreprises de réseaux sociaux ont à faire, c’est de maintenir un équilibre délicat pour ne pas mettre trop de gens en colère et à ne pas les aliéner au point de les faire quitter la plateforme en masse. Et étant donné qu’un si grand nombre de ces gens sont tellement engagés dans Twitter (est-ce nécessaire de mentionner que « engagement » n’est probablement qu’un euphémisme pour « addiction »), ils ont du mal à en sortir. C’est mon cas. Pas vous ?

Si Twitter se conformait rigoureusement à une politique stricte contre le harcèlement et les agressions, il y aurait moins de tweets. Si Twitter nous donnait des outils efficaces pour modérer nos propres fils, réponses et messages, il est probable que cela impacterait ce que l’algorithme choisit de nous montrer, et impacterait le modèle économique de Twitter qui monétise ce que l’algorithme met en priorité dans le flux des messages.

Twitter ne gère pas efficacement les cas d’agression

Il n’est pas facile de modérer les agressions. Décider de ce qui constitue une agression et de la façon de la traiter de manière appropriée est un problème pour toutes les plateformes de publication et tous les réseaux sociaux. Ce sont aussi des problèmes systémiques auxquels sont confrontées les communautés locales et le système judiciaire. Problèmes qui sont généralement traités (encore souvent de manière inadéquate) par ces communautés et systèmes judiciaires. Mais nous devons être conscients que la technologie amplifie les problèmes, en facilitant le ciblage d’un individu et la possibilité d’une attaque de manière anonyme. Et comme nous utilisons les plateformes de grandes entreprises, nous déléguons au contrôle de l’entreprise la responsabilité des décisions sur la manière de gérer les agressions.

Les personnels de ces entreprises technologiques ne devraient pas être ceux qui décident de ce qui relève de la liberté d’expression et de la censure sur ce qui est devenu notre infrastructure sociale mondiale. Les personnes qui ont des intérêts financiers dans le chiffre d’affaires ne devraient pas être en mesure de prendre des décisions concernant nos droits et ce qui constitue la liberté d’expression.

Nuances

Bien sûr, il y a aussi des situations diverses et certains choix de conception d’algorithmes de flux pour gérer le harcèlement et des agressions ne sont pas principalement destinés à servir le capitalisme de surveillance. Il se peut qu’il y ait des personnes qui travaillent dans l’entreprise et qui ont des intentions bienveillantes. (J’en ai rencontré quelques-unes, je n’en doute pas !)

Mais comme le modèle d’affaires de Twitter est concentré sur l’extraction de l’information des gens, les décisions de conception qui servent le modèle économique auront toujours la priorité. Les cas de comportements bienveillants sont des exceptions et ne prouvent pas que le modèle entier repose sur le principe de « l’attention bienveillante malgré tout ». De tels gestes de bonté sont malheureusement accomplis, ou plutôt consentis, pour améliorer les relations publiques.

Mon usage de Twitter

Quand je me demande sincèrement pourquoi j’utilise encore Twitter, je trouve de bonnes raisons et aussi des prétextes. Toutes mes bonnes raisons sont probablement des prétextes, tout dépend du degré de complaisance envers moi-même dont je suis capable tel ou tel jour. Je suis comme prise dans un tourbillon entre mes convictions et mon amour-propre.

Twitter me donne les nouvelles

C’est sur Twitter que je vais d’abord pour m’informer des actualités internationales et locales. Il est difficile de trouver un organe de presse qui couvre l’actualité et les questions qui me tiennent à cœur sans publier également du putaclic, des listes attrape-cons et des bêtises calculées avec du SEO. Malheureusement, c’est en grande partie parce que la publicité sur le Web (qui repose avant tout sur la surveillance) est le modèle économique de la publication de nouvelles. Je me tiens donc au courant des actualités en suivant quelques organes d’information et beaucoup de journalistes individuels.

Il existe une stratégie de contournement : suivre des comptes et des listes Twitter sur Feedbin, à côté des autres flux RSS auxquels je suis abonnée. Tous les tweets sont à disposition, mais l’algorithme ou les applications ne tentent pas de manipuler votre comportement.

Il s’agit d’une solution de contournement temporaire, car Twitter peut trouver un moyen d’interdire ce type d’utilisation. (Peut-être que d’ici là, nous pourrons passer au RSS comme principal moyen de publication ?) Et de toute évidence, cela ne servira pas à grand-chose et ne résoudra pas le problème de la dépendance des médias d’information au capitalisme de surveillance comme modèle économique.

Les abonnés

Beaucoup de personnes dans l’industrie Web ont accumulé un grand nombre d’abonnés sur Twitter, et il est difficile à abandonner (mon nombre d’abonnés est relativement modeste mais assez grand pour flatter mon ego lors d’une mauvaise journée). La façon positive de voir les choses, c’est que vous vous sentez responsable envers les gens qui vous suivent de les tenir au courant des nouvelles de l’industrie, et que vous avez une plateforme et une influence pour promouvoir les enjeux qui vous tiennent à cœur.

La façon plus cynique de voir les choses est la suivante : quelqu’un remarquerait-il vraiment si j’arrêtais de tweeter ? Je suis une goutte d’eau dans l’océan. Est-ce qu’un décompte de mes abonnés est juste devenu une autre façon de flatter mon ego et de prouver ma propre valeur parce que je suis accro à la dopamine d’une notification qui me signale que quelqu’un pense que je vaux un petit clic sur le bouton « suivre » ? Peut-être que me suivre n’est pas l’expérience heureuse que j’imagine avec autosatisfaction. Il n’y a pas d’autre solution que de s’améliorer et de devenir moins obsédé⋅e par soi-même. En tant que personne issue de la génération millénium dans une société dominée par le capitalisme, je me souhaite bonne chance.

Le cercle des ami⋅e⋅s

Malgré ce modèle suivre/être suivi de Twitter, j’ai des amis sur Twitter. J’ai déjà parlé d’amitié en ligne. Je me suis aussi fait des ami⋅e⋅s sur Twitter et je l’utilise pour rester en contact avec des gens que je connais personnellement. Je veux savoir comment vont mes amis, ce qu’ils font, à quoi ils s’intéressent. Je veux aussi pouvoir bavarder et échanger des inepties avec des inconnu⋅e⋅s, partager mon expérience jusqu’à ce que nous devenions ami⋅e⋅s.

Une solution : Mastodon. Un réseau social loin d’être parfait mais bien intentionné.

 

Qu’est-ce que Mastodon et pourquoi l’utiliser ?

Mastodon a démarré comme une plateforme de microblogging similaire à Twitter, mais a évolué avec davantage de fonctionnalités qui montrent une orientation éthique, progressiste et inclusive. À la place de tweets, vos billets sur Mastodon sont appelés des pouets (NdT : en anglais c’est amusant aussi, des “toots”).

l’éléphant de Mastodon soutenu en l’air par de petits oiseauxPourquoi utiliser Mastodon et pas un autre réseau social nouveau ?

Maintenant que vous savez pourquoi je quitte Twitter, vous avez probablement une vague idée de ce que je recherche dans un réseau social. Mastodon est unique pour plusieurs raisons :

Mastodon est fédéré

« Mastodon n’est pas seulement un site web, c’est une fédération – pensez à Star Trek. Les milliers de communautés indépendantes qui font tourner Mastodon forment un réseau cohérent, où, bien que chaque planète soit différente, il suffit d’être sur l’une pour communiquer avec toutes les autres. »

La fédération signifie qu’il y a beaucoup de communautés différentes faisant tourner le logiciel Mastodon, mais chaque individu de chaque communauté peut parler à un autre utilisateur de Mastodon. Chaque domaine où Mastodon tourne est appelé une « instance ».

Fédération vs centralisation

Dans mon billet à propos de Twitter, je mentionnais « comme nous utilisons les plateformes de grandes entreprises, nous déléguons la responsabilité des décisions sur la manière de gérer les agressions au contrôle de l’entreprise. » Cette manière dont le pouvoir est tenu par un individu ou un petit groupe est une forme de centralisation.

La centralisation se manifeste à travers le Web de diverses façons, mais pour les plateformes comme Twitter, la centralisation veut dire que la plateforme tourne sur un serveur appartenant à une entreprise et contrôlé par elle. Donc pour utiliser Twitter, vous devez aller sur Twitter.com, ou utiliser un service ou une application qui communique directement avec Twitter.com. Ceci signifie que Twitter a un contrôle absolu sur son logiciel, la manière dont les gens s’en servent, ainsi que le profil et les données de comportement de ces personnes. Aral explique ceci en disant que ces plateformes ne sont pas comme des parcs, mais comme des centres commerciaux. Vous pouvez entrer gratuitement, rencontrer vos ami⋅e⋅s là-bas, avoir des conversations et acheter des trucs, mais vous êtes assujetti⋅e⋅s à leurs règles. Ils peuvent observer ce que vous faites avec des caméras de surveillance, vous entourer de publicités, et vous mettre dehors s’ils n’aiment pas ce que vous faites ou dites.

L’inverse de la centralisation, c’est la décentralisation. Une alternative décentralisée à la publication sur Twitter consiste à poster de petites mises à jour de votre statut sur votre blog, comme je le fais avec mes Notes. De cette manière je suis propriétaire de mes propres contenus et je les contrôle (dans les limites de mon hébergeur web). Si tout le monde postait son statut sur son blog, et allait lire les blogs des autres, ce serait un réseau décentralisé.

logo de Indie.ie
Logo d’Indie.ie

Mais poster des statuts sur son blog passe à côté de l’intérêt… social des réseaux sociaux. Nous n’utilisons pas seulement les réseaux sociaux pour crier dans le vide, mais nous les utilisons pour partager des expériences avec les autres. Aral et moi travaillons sur des manières de le faire avec nos sites personnels, mais nous n’y sommes pas encore. Et c’est là que la fédération rentre en jeu.

J’ai ma propre instance Mastodon, mastodon.laurakalbag.com où je suis seule (avec Oskar).

Oskar, le chien de Laura
Oskar nous dit : « wooOOof ! Abonnez-vous à mon compte Mastodon @gigapup@mastodon.laurakalbag.com »

On peut appeler ça une « mono-instance ». Elle est hébergée sur mon propre domaine, donc j’en suis propriétaire et contrôle tout ce que je poste dessus, mais parce que j’ai Mastodon installé, je peux voir ce que les autres gens postent sur leurs instances Mastodon, et leur répondre avec des mentions,  des boosts (équivalents d’un retweet) de leurs pouets, bien qu’ils soient sur des instances différentes. C’est comme avoir mon propre Twitter qui puisse discuter avec les autres Twittos, mais où c’est moi qui décide des règles.

Mastodon est éthique

Vous pouvez trouver cette formule à propos de la conception de Mastodon sur la page Rejoindre Mastodon :

« Mastodon est un logiciel gratuit, libre, que chacun peut installer sur un serveur. »

Mastodon est libre et gratuit, c’est pour cela que nous pouvons avoir nos propres instances avec nos propres règles. Cela veut aussi dire que si Eugen Rochko, qui fait Mastodon, va dans une direction que les gens n’aiment pas, nous (suivant nos compétences) pouvons le forker et réaliser notre propre version.

« En utilisant un ensemble de protocoles standards, les serveurs Mastodon peuvent échanger de l’information entre eux, permettant aux utilisateurs d’interagir sans heurts… Grâce aux protocoles standards, le réseau n’est pas limité aux serveurs Mastodon. Si un meilleur logiciel apparaît, il peut continuer avec le même graphe social. »

Mastodon utilise des protocoles standards, ce qui signifie que vous pouvez vous fédérer avec Mastodon même si vous n’utilisez pas Mastodon vous-même. Ceci signifie que vous n’êtes pas enfermé⋅e dans Mastodon, vu qu’il est interopérable, mais aussi qu’une autre technologie peut marcher avec vos pouets à l’avenir.

« Il n’y a pas de publicité, monétisation, ni capital-risque. Vos donations soutiennent directement le développement à plein temps du projet. »

Voilà qui est important. Mastodon est financé par des donations, pas par de la publicité ou autre astuce néfaste de monétiser vos informations, et pas non plus par des investisseurs de capital-risque. Cela signifie qu’il n’y a pas de conseil d’administration qui décidera qu’ils doivent commencer à faire des choses pour vous monétiser afin d’obtenir un retour sur leur investissement, ou pour “croître”. Cela signifie que nous dépendons de la bonne volonté et de la générosité d’Eugen. Mais, comme je l’ai mentionné plus haut, puisque Mastodon est libre et ouvert, si Eugen devient un monstre (cela semble improbable), nous pouvons forker Mastodon et faire une version différente qui fonctionne pour nous, à notre goût.

Mastodon est inclusif

Un des plus gros problèmes de Twitter est la modération (ou plutôt l’absence de modération) du harcèlement et des agressions. Dans un article intitulé Cage the Mastodon (NdT : mettre en cage le mastodonte) Eugen explique comment Mastodon est conçu pour empêcher le harcèlement autant que possible, et vous donner des outils pour vous assurer que votre fil et vos réponses ne contiennent que ce que vous souhaitez voir.

« Mastodon est équipé d’outils anti-harcèlement efficaces pour vous aider à vous protéger. Grâce à l’étendue et à l’indépendance du réseau, il y a davantage de modérateurs auxquels vous pouvez vous adresser pour obtenir une aide individuelle, et des instances avec des codes de conduite stricts. »

Bien sûr, Mastodon est loin d’être parfait – cette critique constructive de Nolan Lawson aborde certaines des plus grandes questions et plusieurs approches possibles – mais Mastodon accorde la priorité aux outils anti-agressions et les gens qui travaillent sur Mastodon accordent la priorité aux décisions de conception qui favorisent la sécurité. Par exemple, vous ne pouvez pas simplement rechercher un mot-clé sur Mastodon. Cela signifie que les gens qui cherchent à déclencher une bagarre ou une attaque en meute ne peuvent pas se contenter de chercher des munitions dans les pouets d’autres personnes. Si vous voulez que les mots-clés de vos pouets puissent être recherchés, vous pouvez utiliser des #hashtags, qui peuvent être recherchés.

Une autre de mes fonctionnalités favorites de Mastodon, c’est que par défaut, vous pouvez apporter un texte de description alternatif pour les images, sans que l’option soit cachée dans un menu « Accessibilité ». Par défaut, une zone de saisie vous est montrée au bas de l’image avec la mention « Décrire pour les malvoyants »

un pouet de mastodon avec une image sur laquelle figurent la mention "décrire pour les malvoyants"C’est une façon astucieuse pour Mastodon de dire aux gens qu’ils doivent rendre leurs images accessibles à leurs amis.

Comment utiliser Mastodon

Je ne suis pas une experte et j’en suis à mes premiers pas sur Mastodon. Alors voici une liste des meilleurs guides d’utilisation réalisés par des personnes qui connaissent bien mieux que moi comment fonctionne Mastodon :

En français :

En anglais :

  • Un guide de Mastodon des plus exhaustifs par @joyeusenoelle – guide écrit de manière simple et suivant le format de la FAQ. Utile si vous voulez trouver une réponse à une question en particulier.
  • Guide du pouet : Introduction à Mastodon par Ginny McQueen – Couvre toutes les bases d’introduction à Mastodon dans le but de vous protéger.
  • Qu’est-ce que c’est que Mastodon et pourquoi est-ce mieux que Twitter par Nolan Lawson – Une introduction détaillée à Mastodon et à son histoire.
    • Le Mastodon apprivoisé par Eugen Rochko – Un aperçu des caractéristiques pour gérer les abus et le harcèlement, qui explique également les décisions prises dans les coulisses de Mastodon en termes de design.
    Comment fonctionne Mastodon ? Par Kev Quirk—Introduit des comparaisons entre Mastodon et Twitter à travers des exemples qui permettent d’améliorer la compréhension.
    La confidentialité des posts de Mastodon – Un pouet qui explique qui peut voir ce que vous pouettez sur Mastodon selon les différents paramétrages choisis.
    La liste ultime – Un guide pratique des apps et des clients web à utiliser avec Mastodon au-delà de son interface par défaut. D’autres points sont également référencés, tels les outils d’affichage croisé notamment.

Rejoignez une petite instance, ou créez la vôtre

Si vous êtes intéressé⋅e par Mastodon, vous pouvez choisir l’instance que vous souhaiteriez rejoindre, ou vous pouvez créer la vôtre. Je suis partisane de l’instance unique pour soi-même, mais si vous souhaitez juste tester, ou si vous avez eu de mauvaise expérience de harcèlement sur les réseaux sociaux ailleurs, je vous recommande de choisir une petite instance avec le code de bonne conduite qui vous convient.

Beaucoup de gens (moi incluse) commencent par se créer un compte sur mastodon.social, mais je vous le déconseille. C’est la plus grande instance anglophone mise en place par les développeurs de Mastodon, avec notamment Eugen Rochko (@gargron). Ils ont des règles anti-nazis et semblent être plutôt bienveillants. Toutefois, beaucoup de gens utilisent mastodon.social. La dernière fois que j’ai regardé, ils étaient 230 000. Cela veut dire beaucoup de pression sur les modérateurs, et sur le serveur, et ça contrevient grandement au concept de fédération si tout le monde rejoint la même instance. Rappelez-vous, vous pouvez facilement communiquer avec des personnes de n’importe quelle autre instance de Mastodon. Si des personnes insistent pour que vous veniez sur leur instance alors que ce n’est ni pour le code de conduite ni pour la modération, à votre place je m’interrogerais sur leurs motivations.

Soyez conscient⋅e que l’administrateur d’une instance peut lire vos messages privés. L’administrateur de l’instance de l’utilisateur avec qui vous communiquez peut aussi lire vos échanges. Cela vient du fait que les messages privés ne sont pas chiffrés de bout en bout. Même si je ne pense pas que ce soit catastrophique pour Mastodon (c’est tout aussi vrai pour vos messages sur Twitter, Facebook, Slack, etc.), [çà nous rappelle que l’on doit vraiment faire confiance à notre administrateur d’instance/un rappel sur la nécessité de pouvoir se fier à l’administrateur de votre instance]. Aussi, si vous souhaitez envoyer des messages de manière vraiment sécurisée, je conseille de toujours utiliser une application de messagerie chiffrée, comme Wire.

Pourquoi Ind.ie ne propose pas d’instance ?

Quelques personnes nous ont encouragés, Aral et moi, à lancer notre propre instance. Nous ne le ferons pas, parce que :

Avant tout : la décentralisation est notre objectif. Nous ne voulons pas la responsabilité de détenir et contrôler vos contenus, même si vous nous faites confiance (vous ne devriez pas !).
De plus, nous serions de piètres modérateurs. Les modérateurs et modératrices devraient être formé⋅e⋅s et avoir une expérience significative. Ils sont la principale défense contre le harcèlement et les agressions. Les modérateurs se doivent d’être des arbitres impartiaux en cas de désaccord, et faire respecter leur Code de Conduite. C’est une activité à temps plein, et je crois que ça ne peut être efficace que sur de petites instances.

Ma mono-instance

J’ai d’abord rejoint Mastodon.social fin 2016. Alors que j’étais assez active sur les comptes @Better et @Indie, mon propre compte était très calme. Mastodon.social était déjà plutôt grand, et je voulais avoir ma propre instance, et ne pas m’investir trop pour un compte qui pourrait finalement cesser d’exister.

Mais je ne voulais pas héberger et maintenir une instance Mastodon toute seule. C’est un logiciel vaste et complexe, et je ne suis pas développeuse backend de grande envergure ni adminsys. De plus, je n’ai tout simplement pas le temps d’acquérir les compétences requises, ni même de mettre à jour les nouvelles versions et faire les mises à jour de sécurité.

Alors quand Masto.host, un hébergeur pour « un hébergement de Mastodon entièrement géré » m’a été recommandé, j’ai su que c’était ce dont j’avais besoin pour franchir le pas pour l’hébergement de ma propre instance.

Pourquoi mettre en place une mono-instance ?

Tout ce que je publie est sous mon contrôle sur mon serveur. Je peux garantir que mon instance Mastodon ne va pas se mettre à tracer mon profil, ou à afficher de la pub, ou à inviter des Nazis dans mon instance, car c’est moi qui pilote mon instance. J’ai accès à tout mon contenu tout le temps, et seuls mon hébergeur ou mon fournisseur d’accès à Internet peuvent bloquer mon accès (comme pour tout site auto-hébergé). Et toutes les règles de blocage et de filtrage sont sous mon contrôle – Vous pouvez filtrer les personnes que vous voulez sur l’instance d’autres personnes, mais vous n’avez pas votre mot à dire sur qui/ce qu’ils bloquent pour toute cette instance.

Vous pouvez aussi créer des emojis personnalisés pour votre propre instance Mastodon que chaque autre instance pourra voir et/ou partager.

Pourquoi ne PAS mettre en place une mono-instance ?

Dans un billet précédent sur les niveaux de décentralisation qui se trouvent au-delà de mes moyens, j’ai examiné les facteurs qui nous permettent, ou non, de posséder et contrôler nos propres contenus. Il en va de même pour les réseaux sociaux, surtout en termes de sécurité. Parfois nous ne voulons pas, ou nous ne pouvons pas, modérer notre propre réseau social.

Je suis une personne privilégiée parce que je peux faire face au faible taux de harcèlement que je reçois. Ce n’est pas un indicateur de ma force mentale, c’est seulement que le pire que je reçois sont des pauvres types qui me draguent par MP (messages privés), et certains individus qui insultent notre travail à Ind.ie de manière non-constructive et/ou blessante. Ce n’est pas infini, c’est gérable avec les outils de blocage et de sourdine usuels. (Je suis également fan du blocage préventif, mais ce sera un billet pour un autre jour). Je n’ai pas (pas encore ?!) été victime d’une attaque en meute, de harcèlement ciblé, ou d’agression plus explicite.

Parce que beaucoup de gens sont victimes de ce type de harcèlement et d’abus, et ils ne peuvent pas s’attendre à maintenir leur propre instance. Parce que pour être en mesure de bloquer, mettre en sourdine et modérer efficacement les personnes et les choses malfaisantes, il faut voir ces personnes et ces choses malfaisantes.

De la même manière qu’à mon avis le gouvernement devrait fournir des filets de sécurité pour les personnes vulnérables et marginalisées de la société, le web devrait fournir également des filets de sécurité pour les personnes vulnérables et marginalisées du web. Je vois des petites instances comme ces filets de sécurité. Idéalement, je vous conseillerais de connaître votre administrateur d’instance en personne. Les instances devraient être comme des familles (entretenant de saines relations) ou des petits clubs du monde hors-ligne. Dans ces situations, vous pouvez avoir quelqu’un qui représente le groupe en tant que leader lorsque c’est nécessaire, mais que ce soit une hiérarchie horizontale sinon.

Connaître de bonnes personnes qui vous protègent est un sacré privilège, alors peut-être qu’une recommandation par du bouche-à-oreille pour une petite instance d’une personne que vous connaissez pourrait suffire. Je ne me suis pas retrouvée dans cette situation, alors prenez ma suggestion avec des pincettes, je veux seulement souligner les potentielles répercussions négatives lorsque vous décidez qui peut contrôler votre vie sociale en ligne. (Prenez en compte les exemples de ceux qui ont été confrontés aux répercussions de Twitter ou Facebook pour décider jusqu’où une agression raciste est acceptable ou  quel est leur véritable nom.)

Comment mettre en place une mono-instance

Si, comme moi, vous n’êtes pas un bon adminsys, ou si vous n’avez simplement pas le temps de maintenir votre propre instance Mastodon, je vous recommande masto.host. Hugo Gameiro vous fera l’installation et l’hébergement d’une petite instance Mastodon pour 5 €/mois. La procédure est la suivante :

  • Acheter un nom de domaine (si vous n’en avez pas déjà un à utiliser)
  • S’inscrire sur masto.host et donnez à Hugo votre nom de domaine. J’ai mis le mien en place à mastodon.laurakalbag.com ce qui est plutôt long, mais il apparaît clairement que c’est mon instance rien que par le nom.
  • Mettre en place les réglages DNS. Masto.host vous enverra alors quelques changements que vous devez effectuer sur votre configuration DNS. La plupart des fournisseurs de nom de domaine ont une page pour le faire. Puis, signalez à Masto.host une fois que vous avez effectué ces changements.
  • Créer votre compte Mastodon. Masto.host va installer votre instance Mastodon. Vous recevrez alors un message vous demandant de créer votre compte Mastodon. Créez le compte Mastodon pour votre administrateur/administratrice. Puis, indiquez à Masto.host que c’est celui que vous avez choisi comme compte administrateur. Masto.host vous donnera alors les droits administrateur/adminstratrice sur ce compte.
  • Modeler votre instance Mastodon à votre guise pour qu’elle corresponde à ce que vous souhaitez. Dès que vous avez les droits d’administration, vous pouvez personnaliser votre instance Mastodon de la manière qui vous plaît. Vous souhaiterez probablement commencer par fermer l’enregistrement aux autres personnes.

La procédure entière sur Masto.host a pris environ une heure pour moi. Mais gardez à l’esprit que c’est une procédure qui nécessite quelques interventions manuelles, ça peut donc prendre un peu plus de temps. Masto.host est géré par un seul véritable humain (Hugo), pas une société quelconque, il a besoin de dormir, manger, vivre sa vie, et maintenir d’autres instances, donc, si vous vous inscrivez à Masto.host, soyez sympas et polis s’il vous plaît !

Mais, mais, mais…

À partir du moment où vous commencez à recommander un réseau social alternatif, les gens auront leurs raisons pour vous dire en quoi ce n’est pas fait pour eux. C’est très bien. Tant que la critique est fondée. Comme l’a résumé Blain Cook sur Twitter…

Bien que j’aie réfléchi et travaillé à ce problème depuis le tout début de Twitter, je n’ai pas eu beaucoup de succès pour y remédier. Pas plus que n’importe qui d’autre.
Ce sont des problèmes difficiles. La critique facile d’efforts acharnés ne nous mènera nulle part. Ce n’est pas pour dire que la critique n’est pas fondée. De nombreux problèmes se posent. Mais si l’argument par défaut revient à « Il ne nous reste qu’à rester et nous plaindre de Twitter », cela sabote sérieusement la légitimité de toute critique.

— Blaine Cook sur Twitter

Cela dit, il y a quelques arguments qui valent la peine d’être rapidement évoqués :

– Tous mes amis / les gens sympas / les discussions intéressantes sont sur Twitter…

Tous vos amis, les gens sympas et les discussions intéressantes étaient-elles sur Twitter lorsque vous l’avez rejoint ? Voyez Mastodon comme une chance de nouveau départ, trouver de nouvelles personnes à suivre, peut-être même saisir l’occasion de suivre un groupe plus diversifié de personnes… ! Vous pouvez cross-poster sur Twitter et Mastodon s’il le faut. Évitez juste de cross-poster les retweets et @réponses, le rendu est moche et illisible.

Je m’abonne à des comptes et des listes sur Twitter en utilisant RSS avec Feedbin, ce qui me permet de garder un œil sur Twitter tout en me désintoxiquant.

– Je n’ai pas le temps de rejoindre un autre réseau social

Créer ma propre instance ne m’a pris qu’une heure. Rejoindre une instance existante prend moins de 30 secondes une fois que vous avez décidé laquelle rejoindre. Instances.social peut vous aider à trouver une petite instance qui vous convient. Assurez-vous d’avoir lu leur Code de Conduite !

Rejoignez-moi !

Si vous lisez ce billet et vous inscrivez à Mastodon, pouettez-moi ! Je serai heureuse de vous suivre et de répondre aux questions que vous vous posez à propos de Mastodon ou du lancement de votre propre instance (ou les booster lorsque je ne connais pas la réponse !)

Laura boit à son mug et son chien Oskar se lèche les babines dans l’image suivante
Oskar pense que l’accessibilité du mug c’est pour lui aussi (photos Laura Kalbag)

 

Mastodon ne sera peut-être pas notre solution optimale définitive en tant que réseau social, mais ce sera peut-être une étape sur le chemin. C’est une véritable alternative à ce qui existe déjà. Nous sommes actuellement bloqués avec des plateformes qui amplifient les problèmes structurels de notre société (racisme, sexisme, homophobie, transphobie) parce que nous n’avons pas d’alternatives. Nous ne pouvons pas échapper à ces plateformes, parce qu’elles sont devenues notre infrastructure sociale.

Nous devons essayer des solutions de rechange pour voir ce qui fonctionne et, en tant que personnes qui travaillent quotidiennement dans le domaine du Web, nous devrions nous charger de trouver une technologie sûre que nous pouvons partager avec nos proches.




Les logiciels libres meurent lentement sans contributions

Dans une récente conférence où il présentait Contributopia, le projet pluriannuel de Framasoft, sous son angle politique, Pierre-Yves Gosset s’attachait à déboulonner quelques mensonges avec lesquels se rassurent les libristes. Le nombre présumé des contributeurs et contributrices, en particulier, était ramené à sa juste proportion :

Bien sûr, tout le monde ne peut pas envoyer des commits de code, mais l’exemple est symptomatique : le Logiciel Libre c’est surtout des consommateurs et consommatrices.

C’est ce que souligne également Carl Chenet, plume invitée ci-dessous. Il pointe en particulier le risque sérieux d’étiolement voire de disparition pure et simple des équipes parfois minuscules qui maintiennent des FOSS (Free and Open Source Software, appellation œcuménique qui joint Les logiciels libres et open source). Il en appelle à une contribution minimale qui consisterait au moins à faire connaître les projets et encourager les créateurs à continuer. Chez Framasoft, nous sommes tout à fait en phase avec cet appel, voyez par exemple cet article sur le Contribution Camp qui propose quelques pistes pour « avancer ensemble vers la contribution ».


Logiciels libres et open source : le consumérisme passif tue la communauté
Par Carl CHENET

article aussi publié en anglais sur mon blog

En bref : ne soyez pas un consommateur passif de logiciels libres. Cela va tuer la communauté FOSS ou lui nuire. Contribuez de n’importe laquelle des manières décrites dans cet article, même la plus élémentaire, mais contribuez quotidiennement ou de façon très régulière.

petite photo de l’auteur de l’article, carl Che

Je suis ingénieur système depuis plus de 10 ans maintenant et je travaille presque exclusivement avec des systèmes GNU/Linux. Je suis aussi profondément impliqué dans la communauté des logiciels libres et open source (FOSS) depuis longtemps et je passe beaucoup de temps sur les réseaux sociaux (surtout Twitter et Mastodon ces jours-ci). Et certains comportements m’énervent toujours autant.

Le consommateur se croit plus intelligent et plus efficace que les autres

De nombreux professionnels de l’informatique qui utilisent les logiciels libres affichent un comportement de pure consommation dans leur relation avec les logiciels libres. Par exemple ils essaient souvent d’utiliser un logiciel dans un environnement très spécifique (version spécifique d’une distribution GNU/Linux, version spécifique d’un logiciel). Ils ne réussissent pas à l’utiliser dans cet environnement ? Ce logiciel est évidemment de la merde, il devrait fonctionner avec les paramètres par défaut, sinon il n’est pas convivial. La documentation est disponible ? Qui lit le doc ? J’ai besoin de réponses maintenant, je n’ai pas le temps de lire la documentation ! Et qui a écrit cette merde d’ailleurs ?

Si la réponse n’est pas le premier lien StackOverFlow de la première recherche Google, je laisse tomber cette merde. Mon temps est précieux donc je vais essayer un autre logiciel (et perdre 2 fois plus de temps) ou mieux le coder moi-même (100 fois plus de perte de temps) et de telle manière qu’il sera impossible de le réutiliser bien sûr.

Les consommateurs passifs n’envoient jamais un rapport de bogue. C’est une perte de temps, qui réclame des efforts. Qui a le temps de l’écrire sauf les pigeons ? Pas même un ping au mainteneur ou au développeur principal du projet (ils devraient savoir, ils ont écrit cette merde !) Ok, je l’ai appelé sur Twitter il y a 2 minutes. Les gens ne répondent pas en une minute ? Allez vous faire foutre, bande de losers juste bons à perdre votre temps ! Je m’en tape qu’il soit 2h du matin pour lui.

Ok, ok, ok, c’est bon, je vais écrire un rapport de bug si les ouin-ouins insistent : ÇA MARCHE PAS BOUGEZ-VOUS LE CUL BANDE DE CONNARDS, CORRIGEZ ÇA MAINTENANT !

Faire un don au développeur ou à la développeuse ? Pour quoi faire ?

Même avec des logiciels qu’ils aiment et utilisent tous les jours et qui fonctionnent parfaitement, avec des mises à jour régulières parfaites, la plupart des professionnels de l’informatique ont exactement ce même comportement de consommation passive.

Ça fait 5 ans que ce logiciel alimente toute l’informatique, ce qui aide l’entreprise à gagner beaucoup d’argent ? Tout à fait. Le développeur principal demande de l’argent / de la reconnaissance par le biais des réseaux sociaux ? Sale clodo ! Il a besoin d’argent ? Moi aussi ! Cette personne a-t-elle un Patreon ? On s’en fout ! Ce type me doit d’utiliser son logiciel, il me casse les pieds, il adore coder gratuitement de toute façon ce pigeon.

L’aider en achetant une licence professionnelle pour ce logiciel ? MDR pour quoi faire ? Mon patron va se marrer en entendant ça. Personne ne paie pour les logiciels (sauf les pigeons). C’est gratuit, comme dans bière gratuite bébé !

Je vais même lui demander de modifier la licence parce que je ne peux pas utiliser ce logiciel (qu’il maintient gratuitement le con) dans ma propre suite logicielle propriétaire. Il devrait me remercier de l’aider à développer son logiciel, ce futur Marc Zuckerberg. Je suis presque sûr qu’il a gagné masse de thunes de toute façon. Il en aura pas par moi, pas question.

Et bien sûr, ce comportement de consommation passive a des impacts négatifs sur l’écosystème des logiciels libres. Vraiment. Habituellement, après quelques années, le développeur principal abandonne le projet. À ce moment-là, vous pouvez généralement lire ce genre de commentaires furieux sur son blog ou dans les rapports de bug « Espèce de branleur t’as plus mis à jour ton logiciel depuis des années, feignant va, des gens sérieux l’utilisent, réponds ou je laisse des milliers de commentaires insultants ! J’ai tout misé sur ton code, tu devrais me remercier à genoux. Espèce de communiste branleur, j’enlèverais mon étoile sur ton repo Gihub/Gitlab si je l’avais mis en vedette. Mais bien sûr que non, je ne vais pas mettre en vedette tous les projets que j’utilise, qu’est-ce que tu crois ? Contribuer d’une façon ou d’une autre ? Allez, faut grandir un peu, et faire avec. La vie est dure. »

Promouvoir les projets que vous utilisez et interagir avec eux

Afin de ne pas ressembler aux tristes personnages décrits plus haut, merci d’aider les projets que vous utilisez. Si votre entreprise gagne de l’argent grâce aux FOSS et que vous êtes chef d’entreprise, financer ou bloquer du temps pour que vos développeurs donnent un coup de main pour au moins un projet que vous utilisez quotidiennement semble un objectif raisonnable et démontre une certaine compréhension de l’écosystème FOSS.

Si vous êtes un employé d’une entreprise utilisant des FOSS, une étape très importante est de faire savoir à votre chef ou votre patron que des parties de votre infrastructure mourront à court terme (quelques années) si vous n’aidez pas ce projet de quelque façon que ce soit.

99,9 % des projets FOSS sont des projets maintenus par une seule personne. Cette petite bibliothèque JavaScript que le frontend du site web de votre entreprise utilise ou ce petit script de sauvegarde de base de données dont tout le monde se fout mais qui vous a déjà sauvé la vie 2 fois.

Si l’argent n’entre pas en jeu dans votre utilisation des FOSS et si vous fournissez un service gratuit à d’autres personnes, faites savoir aussi largement que possible que vous utilisez des FOSS et n’hésitez pas à remercier certains projets de temps en temps. Le simple fait de dire aux personnes par le biais de Mastodon ou Twitter que vous utilisez leurs logiciels peut leur remonter sacrément le moral. Mettez en vedette leurs projets sur Gitlab ou Github pour leur faire savoir (ainsi qu’aux autres) que ce projet est utile.

Quelques manières de contribuer

Voici une liste d’excellents moyens de contribuer :

• Faites savoir aussi largement que possible via les réseaux sociaux que votre dernière mise à jour de tel ou tel logiciel s’est déroulée sans problèmes. Faites passer le mot autour de vous.
• Rédigez un billet de blog décrivant vos expériences et la valeur ajoutée que ce grand projet FOSS a apportée à votre entreprise ou à vos projets. Suivez les développeurs principaux de différents projets sur Mastodon ou Twitter et retweetez/likez/pouétez… leurs dernières nouvelles de temps en temps.
• Écrivez un commentaire de remerciement sur le blog du projet ou sur le blog du développeur principal. La lecture de votre commentaire sera un rayon de soleil dans la journée du développeur de ce projet.

Mettez une étoile au projet feed2toot sur Gitlab

Ne soyez plus un consommateur passif

Ne soyez plus un consommateur passif de logiciels libres et open source. Le niveau moyen nécessaire pour contribuer à un projet et les attentes des créateurs de logiciels libres et open source augmentent de jour en jour dans un monde où la complexité et les interactions s’accroissent rapidement. Il n’y a souvent qu’une toute petite équipe (d’une seule à 5 personnes) qui est au cœur du développement fondamental des FOSS.

copie d’écran twit de Chent où il parle de la dernière version d’elastic stack
Je parle tous les jours des FOSS sur mes comptes Twitter et Mastodon

 

Contribuez de n’importe quelle manière décrite dans cet article, même la plus élémentaire, mais contribuez quotidiennement ou de façon très régulière. Vous aurez ainsi une participation concrète et fournirez de bonnes vibrations et d’excellents apports aux projets FOSS. Vos contributions changeront vraiment les choses, encourageront et (re)motiveront les personnes impliquées. C’est bon pour vous, vous allez améliorer vos compétences, acquérir des connaissances sur la communauté FOSS et de la visibilité pour votre entreprise ou vos projets. Et c’est une bonne chose pour la communauté FOSS que d’avoir de plus en plus de personnes qui contribuent par n’importe quelle action positive.

À propos de l’auteur

Carl Chenet, passionné de logiciels libres, auteur du Courrier du hacker, la lettre d’information hebdomadaire résumant l’actualité francophone du Logiciel Libre et Open Source




Retour sur le Fédérathon, le hackathon de la fédération

L’objectif de cette rencontre durant ces quelques jours était de réfléchir ensemble à des problématiques propres aux réseaux fédérés : ces alternatives éthiques et distribuées aux médias sociaux centralisés.

Étaient présents des développeurs et des UX designers ainsi que des étudiants, tous intéressés par le principe de fédération :

  • Séba, développeur Python ;
  • Moutmout, étudiante en mathématiques (mais qui fait aussi du Python) ;
  • Agate, principale développeuse de Funkwhale (plateforme de musique fédérée) ;
  • Maiwann, UX-designeuse ;
  • tcit, développeur et adminsys chez Framasoft ;
  • Natouille, UX-designeuse ;
  • Narf, stagiaire au sein de Framasoft qui réalise un mémoire scientifique sur le principe de la fédération (surtout ActivityPub*) et un mémoire philosophique sur les formes d’organisation non centralisées;
  • Renon, également contributeur de Funkwhale ;
  • Bat, développeur de Plume (blogs fédérés) qui contribue aussi un peu sur Funkwhale ;
  • Nathanaël, hébergeur de ce séjour et aussi membre de Framasoft.

*ActivityPub est un langage utilisé par les services fédérés pour communiquer entre eux.

Petite introduction

Nous avons commencé par un petit tour de présentation, pendant lequel nous en avons profité pour faire part à tout le monde nos souhaits et les activités que l’on proposait pour ce séjour.

Vue d'ensemble de la table avec les participants autour

 

Cela a été facilité par le fait qu’un dépôt sur Framagit a été ouvert quelques semaines plus tôt, sur lequel chacun était invité à proposer des activités et repas (le séjour reposant sur le principe d’auto-gestion).

Capture d'écran de la gestion des tickets sur Framagit
Oui oui, on ouvre des tickets sur GitLab pour faire des cookies véganes et des pizzas, yolo.

 

Nous avons ainsi pu mieux les lister et définir (avec une méthode sponsorisée par 3M*).

Réflexion autour des fiches ateliers

*3M, c’est la marque des post-its (oui si on ne sait pas, on ne peut pas comprendre la référence).

On a donc rapidement plein de petites fiches d’activités, de quoi bien nous occuper pendant le séjour :

Multiples post-its

Ensuite, nous nous sommes inscrits dans chaque activité que nous souhaitions afin de les prioriser, avec des petits motifs que chacun s’est attribués.

Petite astuce donnée par les designeuses : pour retirer un post-it, il faut le faire par le coté et pas par en bas. Comme ça il collera plus longtemps, parce que la surface de collage sera moins pliée et donc davantage en contact avec le mur. 😉

Nous avons clos cette première journée par un petit cours d’astronomie à l’œil nu proposé par Moutmout.

Design et Ergonomie

Nous avons fait un fishbowl sur le thème de l’ergonomie des logiciels, notamment comment savoir si son interface est utilisable.

Personnes assises écoutant et participant au Fishbowl

Un fishbowl (ou bocal à poissons) est un processus de communication permettant d’échanger sur un sujet particulier. Au départ, nous plaçons 4 chaises au centre de la pièce et nous invitons 3 personnes maximum à s’asseoir sur celles-ci pour prendre la parole, les autres sont invités à écouter sans intervenir. Lorsqu’une personne qui s’est exprimée se rend compte qu’elle n’a plus rien à ajouter, elle libère une place et une autre personne peut s’asseoir et discuter à son tour. Si une personne en dehors du cercle veut prendre la parole, elle s’assied sur une chaise libre (il y en a toujours une, vu qu’il y a 4 chaises pour 3 orateurs max.), et invite de fait un orateur à libérer sa place. Ce fonctionnement permet d’améliorer la dynamique de la conversation et de faciliter la prise de parole pour tout le monde.

Plus tard, Maiwann nous a présenté sa conférence Designers et Logiciels libres: et si on collaborait ?, qu’elle avait faite à Mixit quelques mois plus tôt.

Conférence Maïwann à Mixit

C’est quoi la fédération ?

Agate (qui développe Funkwhale) nous a présenté la conférence qu’elle avait faite aux RMLL quelques jours plus tôt. Cela a permis à certains de comprendre ce qu’il se passe sous le capot d’un projet utilisant ActivityPub, et à d’autres, d’avoir des idées pour mieux expliquer.

Après différents échanges, un sketch-note en est ressorti :

sketchnote d'un réseau fédéré avec ActivityPub

Partant de là, nous avons réfléchi brièvement à comment expliquer la fédération à M. ou Mme Tout-le-monde.

Nous avons ensuite fait appel à la communauté, en demandant sur Mastodon comment expliquer le principe de fédération. De nombreuses suggestions ont été proposées :

Post-its fédération

Note post-fédérathon (Nathanaël) : 2 semaines plus tard, je suis revenu avec mes frères dans la même maison, les post-its étaient encore accrochés. Alors qu’ils ne connaissaient pas le principe de fédération, je leur ai fait deviné la question qu’on avait posé, sans donner plus d’indices. Sans se concerter ils se sont tous deux mis d’accord sur cette question : * »Comment se mettre d’accord quand on est différents ? »*. Je trouve que celle-ci est au final une des meilleure réponse (et ce concept de « brainstorming inversé » est assez amusant). Et c’est vrai, c’est un peu ça la fédération.

Schéma problèmes aux réseaux fédérés

Nous avons également noté que le terme instance pouvait faire un peu peur aux néophytes.

Post-its instances Nous avons donc, une fois de plus, fait appel à la communauté Mastodon pour trouver un terme équivalent. Une foule d’idées en est ressortie (certaines nous ont bien fait rire).

N’hésitez pas à piocher dans la liste pour vos prochaines explications. 😉

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les identités nomades

Une des Fiches Activités qui a eu du succès concernait les identités nomades. Nous n’étions en fait pas tout à fait d’accord sur ce que ce terme signifiait et son intérêt principal.

C’est pourquoi nous avons fait un échange en groupe afin d’identifier les problématiques auxquelles peuvent être confronté·e·s les utilisateur·ice·s d’un système fédéré actuellement :

  • « J’ai un identifiant et mot de passe pour chaque service. »
  • « Comment interagir avec un contenu qui n’est pas sur mon instance ? »
  • « Si mon instance est hors-ligne je n’accède pas à mon compte. »
  • « Quand je déménage je ne veux pas perdre mes données. »
  • « Je veux qu’on me retrouve sur mes différents services. », également lié à :
  • « Je ne veux pas qu’on usurpe mon identité. »

Discussion sur les identités nomades

Nous avons ensuite listé les différentes solutions possibles à chaque problématique, en nous basant notamment sur celles déjà existantes sur certains projets comme Pleroma, KeyBase ou Diaspora.

Post-its identités nomades

Financement des créateurs

Comme proposé sur une autre Fiche Activité, nous avons discuté d’une plateforme pour faciliter le financement des créateurs présents sur le Fediverse. La problématique se rapproche de celle de l’identité évoquée plus haut.

Cette plateforme aurait pour but de trouver le contenu avec lequel l’utilisateur interagit (visualisation, like, écoute, …) afin de comptabiliser la somme à donner à chaque créateur, puis rediriger le donateur vers les plateformes choisies par le créateur (Tipeee, Liberapay, monnaie libre, …).

Il en est ressorti quelques schémas et illustrations représentant l’idée :

Schéma financement des créateurs

Ainsi que quelques sketch-notes…

sketchnote 1 financement

sketchnote 2 financement

Gouvernance

Nous avons réalisé un autre fishbowl, cette fois-ci sur le thème de la gouvernance au sein de la fédération : qu’elle se situe au niveau de la gestion des instances et de leur modération, ou bien au niveau du projet et de son développement.

Discussion gouvernance

Durant le fishbowl nous avons abordés de nombreux sujets.

Le fait par exemple que la manière de gérer un groupe dépend de sa taille : un état, un logiciel ou une entreprise ne peuvent pas s’organiser de la même manière. Il en serait donc de même pour les instances du Fediverse, où leur gouvernance pourrait être pensée vis à vis de leur taille.

sketchnote gouvernance

 

Nous avons également abordé des notions d’inclusivité et d’accessibilité, des différentes façon de gérer cela comme l’élaboration d’un code de conduite où la manière de modérer les instances.

Notre discussion s’est ensuite étendue à la gouvernance au sens large et comment celle-ci est gérée dans les groupes qui sont sensibles aux notions d’égalité (associations, squats, communautés, etc.). On note que même dans une volonté de gouvernance horizontale, une hiérarchie peut se mettre en place naturellement : simplement parce que bien souvent l’investissement des membres n’est pas le même, ce qui peut avoir un impact sur les décisions prises.

Tests utilisateurs

Si un jour vous vous retrouvez entre passionnés du libre, partants pour contribuer sans trop savoir comment et qu’un développeur de projet est avec vous, faites des tests utilisateurs.

Les tests utilisateurs sont à la contribution au libre ce que le houmous est aux repas en auberge espagnole : c’est simple à faire, c’est rapide, accessible à tous et surtout très efficace.

 

— Un fédérathoniste

Nous les avons expérimentés pendant le séjour sur plusieurs sessions, pour les logiciels Funkwhale et Plume par plusieurs personnes.

Première étape : on met quelqu’un devant un logiciel en lui donnant une mission (la moins guidée possible). En fonction de ce que l’on veut tester, ça peut être un utilisateur connaissant le logiciel ou ne l’ayant jamais vu. L’utilisateur commente tout ce qu’il fait et également ce qu’il ressent, les autres écoutent silencieusement.

Oui, pour une fois les utilisateurs peuvent ouvertement pester contre telle ou telle fonctionnalité qui n’est pas pratique, on peut se lâcher (bon, pas trop quand même hein, les développeurs sont aussi nos amis).

Deuxième étape : pendant ce temps, le ou les développeurs prennent plein de notes :
– les actions qu’ils n’avaient pas prévues dans la manière d’utiliser l’outil ;
– ce qui frustre l’utilisateur, ou au contraire le satisfait ;
– ce que les utilisateurs comprennent et ce qu’ils espéraient ;
– ce qui manque ;
– les bugs éventuels pouvant survenir.

Pour notre part, nous avons abattu environ l’équivalent d’un arbre en papier :

Diverses Notes Test utilisateurs

Troisième étape : un échange est fait avec les développeurs et UX-designeuses présentes ici, pour voir comment améliorer certains points. Si vous n’avez pas de star d’UX parmi vous, vous pouvez demander autour de vous (sur Mastodon par exemple).

Dernière étape : transformez ces notes en tickets* sur les dépôts des projets en question !

* Dans le développement logiciel, les tickets sont des propositions de modification du code. Cela peut être par exemple pour améliorer l’interface, signaler un bug ou suggérer des fonctionnalités.

Côté Funkwhale, près de 50 tickets ont été ouverts suite à ces tests.

Sur Plume, environ autant.

(c’est beaucoup).

Tous ces tickets sont quelque chose de très concret pour l’amélioration du logiciel, d’autant plus si c’est un des développeurs qui les ouvre : on passe d’une petite gêne remarquée dans l’utilisation en un truc noté sur la TODO-list du projet.

Du côté du futur projet Framameet (nom Framasoft d’un projet de site de partage d’événements fédéré), nous avons pu tester et prendre des notes sur les projets propriétaires concurrents, afin de mieux concevoir l’ergonomie du projet.

Initiations

 

Notes sur Rust

Certains d’entre nous ont proposé des initiations à des notions qu’ils maîtrisaient : tcit sur le langage Elixir, bat sur le langage Rust.

Plus brièvement, Docker et le déploiement ont aussi été abordés.

Ce n’était pas des cours mais plutôt un moyen de nous faire découvrir et aimer (ou pas) ces technos et se laisser le temps, plus tard, d’étudier plus profondément le sujet.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La suite

 

Capture d'écran du botAvec le joyeux groupe que nous étions, le séjour était assez riche en blagues en tout genre… Notamment la phrase « C’est un peu ça la fédération », sortait assez régulièrement les derniers jours (en réponse à un phrase adaptée).

En revenant du séjour, Moutmout a donc mis les doigts au clavier pour coder un petit bot Mastodon C’est quoi la fédération, répondant à des pouets aléatoires.

L’élaboration de ce compte-rendu à plusieurs nous a également permis d’en garder une trace et de vous le partager.

Nous avons également ouvert un autre Framapad dédié à l’après-séjour. Sur ce dernier, chacun d’entre nous pouvait partager des remarques et suggestion, ou bien donner son avis sur ce qui était bien, ou ce qu’il faudrait améliorer pour une prochaine fois.

 

 

 

 

 

Burgers végéIl en ressort globalement que nous étions très satisfaits du séjour : notamment, les tests utilisateurs et les fishbowls en ont conquis plus d’un (mais pas autant que les burgers végé :P).

Il y a également quelques petites idées pour une prochaine fois, comme le fait d’ouvrir un framapad dédié au compte-rendu en début du séjour et de le compléter ensemble tous les jours.

On note également le fait que les ateliers plus « concrets » niveau contribution étaient moins présents que nous l’envisagions, dû au fait qu’ils se font en petits groupes, alors que nous avions tous envie de faire des choses ensemble et que les ateliers en grands groupes intéressaient tout le monde. Bref, il faut accepter qu’on ne puisse pas tout faire.

Nous essayons petit à petit de voir comment poursuivre nos discussions par des actions plus concrètes : par exemple nous sommes en train de monter un groupe de discussion ouvert concernant les identités nomades et son implémentation, en espérant que cela débouche sur des propositions de modification sur des logiciels fédérés. Les thème de la gouvernance et du financement des créateurs subiront sans doute le même sort. Si par ailleurs vous êtes intéressés par ces sujets, vous pouvez me contacter (sur Mastodon : roipoussiere(@)mastodon·tetaneutral·net ou par mail : nathanael(@)framasoft·org) pour prendre part aux groupes de discussion existants.

Ah, et on raconte que certain·e·s participant·e·s ont toujours la musique de Put a banana in your ear dans la tête. On ne sait pas pourquoi.

Ce séjour était en tout cas une expérience très enrichissante pour nous toutes et tous. Et toutes ces discussions pourraient bien un jour faire germer, dans nos petites têtes de libristes, de nouveaux projets.

 

Capture d'écran de la vidéo Charlie The Unicorn