La translittératie numérique, objet de la médiation numérique (seconde partie)

Toujours dans le cadre de la série « Lots in médiation », on retrouve aujourd’hui Corine Escobar, Nadia Oulahbib et Amélie Turet pour la suite de l’article qu’elles ont publié la semaine dernière dans lequel elles ont commencé à partager avec nous leur analyse d’une expérimentation qu’elles ont menée lors d’une recherche-action. Pour une meilleure compréhension de ce qui va suivre, nous vous conseillons vivement de prendre connaissance de la première partie. Bonne lecture !

Corine Escobar est enseignante chercheure depuis plus de 40 ans, au service de l’égalité des chances. Institutrice en France, puis professeure de français en Espagne, suède et Allemagne, elle a expérimenté différentes pédagogies holistiques. Une thèse de doctorat en sciences de l’éducation lui a permis d’observer et d’évaluer la puissance associative au service des plus faibles. Déléguée du préfet depuis plus de 10 ans, elle accompagne les associations investies auprès des publics des quartiers prioritaires notamment sur la remobilisation éducative.
Nadia Oulahbib est chercheure et analyste clinique du travail en santé mentale, observatrice des scènes de travail dans le monde de la fonction publique, l’entreprise associative, coopérative, industrielle et également liés aux métiers du social. Elle apporte son soutien à la parole sur le travail pour entretenir le dialogue collectif. Elle est aussi maîtresse de conférences associée pour l’UPEC.
Amélie Turet est docteure qualifiée en sciences de l’information et de la communication, chercheure associée à la Chaire UNESCO « Savoir Devenir » et au MICA, enseignante à l’UPEC sur le numérique dans l’éducation populaire et l’ESS, spécialiste de l’appropriation socio-technique des dispositifs liés au numérique. Membre de l’ANR Translit, elle a présenté ses travaux sur la médiation numérique lors des rencontres EMI de l’UNESCO à RIGA en 2016. CIFRE, diplômée de l’université Paris-Jussieu en sociologie du changement, elle a conduit des projets de R&D dans le secteur privé puis au service de l’État sur la transformation numérique, la démocratie participative, l’inclusion numérique, la politique de la ville et l’innovation.

La translittératie numérique, objet de la médiation numérique.
Analyse d’une expérimentation : remobilisation scolaire et articulation de médiations.

Deuxième partie : Articulations et mises en synergies des médiations

2.1. La confusion entre actions de médiations et types de médiateurs

La médiation numérique a été mobilisée durant le premier confinement de la « crise COVID » pour accélérer, via un « numéro vert », l’acculturation au numérique pour tous. L’expérimentation confirme que la médiation numérique, la médiation sociale, la médiation culturelle et la médiation éducative ne portent pas sur les mêmes objets mais peuvent concerner les mêmes personnes et un même projet d’intervention : ici la remobilisation scolaire. Ces deux constats permettent d’interroger la prévalence supposée de la médiation sociale devant la médiation numérique ; cette question se pose de manière similaire s’agissant de la médiation culturelle (notamment scientifique et technique) et de la médiation éducative (voire scolaire).

schéma de l'articulation entre les différentes formes de médiation
Articulation, Juxtaposition,
Distinction et Confusion entre médiations

Ces hiérarchisations entre médiations renvoient à des représentations culturelles institutionnalisées et ancrées dans des considérations idéologiques qui pèsent sur les priorités de l’action publique. Selon les situations, sont privilégiées des options politiques plus ou moins favorables aux libertés publiques : socialisation, contrôle social et émancipation sociale. L’analyse des sources de confusion entre ces médiations au-delà des populations ciblées s’impose donc.

2.1.1. Limites de la médiation numérique dans l’intervention sociale et limites de la médiation sociale en ligne et hors ligne…

En 2011, un rapport interministériel œuvre pour la reconnaissance des métiers de la médiation sociale : l’objet annoncé de la médiation sociale est « un mode original et efficace de résolution des tensions et d’amélioration des relations entre les populations des quartiers en difficulté et les institutions » (CIV, 20111). Sept champs d’intervention de la médiation sociale sont inventoriés : habitat, transport, santé, éducation, intervention sociale, tranquillité publique, accès aux services publics.

Le champ du travail social s’envisage à l’origine, dans une perspective réparatrice au bénéfice des personnes et des familles à soigner, à éduquer, à adapter : il ne s’inscrit pas d’emblée dans une logique de médiation. La médiation sociale apparaît à titre bénévole (femmes relais, correspondants de nuit) dans les années 80 ; elle est utilisée pour négocier les interventions des institutions et des travailleurs sociaux auprès des populations bénéficiaires. Elle naît explicitement en 1997 avec la circulaire interministérielle sur les contrats locaux de sécurité pour la prévention de la délinquance (CIV, Annexe 5, 2011).

Des médiateurs sociaux sont placés en appui des travailleurs sociaux grâce aux emplois aidés : « les grands frères », les emplois jeunes, les adultes relais… N’y apparaissent pas les éducateurs spécialisés qui opèrent dans les quartiers prioritaires, travailleurs sociaux porteurs depuis leur création de médiation sociale auprès des jeunes qu’ils accompagnent et souvent vers le droit commun. Les dispositifs publics de médiateurs sociaux, nouveaux entrants dans le travail social au statut précarisé s’additionnent. Ils permettent d’ouvrir les moyens d’intervention tout en limitant les budgets et en fluidifiant les corporatismes des travailleurs sociaux : rémunérations, conventions collectives, secret professionnel, niveaux de qualification, périmètres d’intervention.

Les objectifs des pouvoirs publics sont de faciliter la prise en charge sociale face à des situations interculturelles complexes et face à la montée du chômage notamment des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il s’agit d’en maîtriser les risques : égalité des chances, discriminations, insécurité, insalubrité, … Le rôle des médiateurs sociaux est d’intermédier, à la faveur de leur situation de proximité géographique et socio-professionnelle avec les groupes de populations visées (âge, habitat, précarité, origine sociale, sexe…). Leurs compétences attendues d’acculturation aux logiques interculturelles (bilinguisme, leadership, négociation…), sont censées faciliter les relations entre les bénéficiaires visés et les dispositifs publics du champ des politiques sociales. Ils permettent la mise en lien de personnes issues de cultures urbaines, rurales et également proches par la langue avec les structures associatives porteuses des dispositifs publics. Cette proximité enclave aussi une médiation sociale qui permettrait de sortir des recours habituels du quartier ou du territoire. L’expérimentation a montré que la médiation numérique et la médiation culturelle sont des leviers d’ouverture sur d’autres horizons.

Les premiers médiateurs numériques bénéficient des mêmes emplois aidés pour œuvrer sur les territoires : la création du premier Point Information Multiservices (PIMMS) à Lyon en 1995, les animateurs multimédias ainsi que les cyber-médiateurs qui existent réglementairement depuis 1999 pour porter ce qui deviendra la médiation numérique.

Rappelons quelques éléments repères sur l’histoire de la constitution de la médiation numérique en termes de valeurs, de principes et d’objectifs. En 2015, l’ensemble des réseaux de la médiation numérique se réunissent sous la bannière d’un logo commun. Ce rassemblement s’est opéré à la faveur des résultats de la consultation nationale de la médiation numérique, organisée par la Délégation aux Usages de l’Internet de juin à octobre 2014. Ce logo national de la médiation numérique a été proposé par le ministère du numérique, en concertation avec les acteurs de la médiation numérique, lors de l’inauguration du site gouvernemental mediationnumerique.fr en octobre 2015.

Logo gouvernemental de la médiation numérique
Logo gouvernemental de la médiation numérique

L’analyse des concepts constituant ce logo (innover, coopérer, réfléchir, accompagner, découvrir et échanger) montre que les champs d’action de la médiation numérique ont une dimension sociétale, avec une approche d’éducation populaire assumée : découvrir, réfléchir, coopérer…. De fait, la médiation numérique traverse les champs d’intervention de la médiation sociale (CIV, 2011), par effets de dématérialisation progressive des interactions bénéficiaires/institutions : accès aux services publics, santé, habitat…

Quand on parle de médiation numérique soluble dans la médiation sociale, dépasse-t-on les attendus des formulaires administratifs ? (Lequesne-Roth, 20212) S’agit-il d’intervenir sur les écueils de la conditionnalité et de la vulnérabilité numériques ? de trouver des solutions de formation aux logiques administratives pour éviter l’hybridation de l’accès aux services publics (accueil physique, accueil téléphonique et accueil numérique) ? En 2022, la Défenseure des droits préconise l’hybridation des modes d’accueils face à l’échec de la généralisation des « compétences numériques de base ». Après plus de 20 ans de dématérialisation, et 16,5% de personnes touchées par l’illectronisme (INSEE, 2021), l’objectif réitéré de l’administration est la dématérialisation de 250 services publics.

L’éducation de proximité au numérique sur les territoires est très contrastée dans ses objectifs. La CAF (Caisse d’allocations familiales) est un financeur historique de la médiation numérique dans les centres sociaux, en politique de la ville. Elle finance également des interventions des « Promeneurs du Net » (CNAF, 20183). Depuis les années 2010, « Les promeneurs du Net » pratiquent du dialogue en ligne en direct avec les jeunes. Encore plus ancien, « SOS fil info santé jeunes » anime des tchats entre jeunes et médecins avec des réseaux sociaux de soutien psychologique. Comme pour « SOS fil info santé jeunes », les « promeneurs du net » ont accès aux jeunes qui sont déjà dans une pratique particulière du numérique. Ainsi les jeunes les plus éloignés d’un usage « éducatif » du numérique sont ici comme ailleurs « intouchables » (Têtard, 20104). C’est le cas par exemple, des enfants et des adolescents observés et accompagnés dans le cadre de l’expérimentation : ils ont un usage récréatif du numérique via les réseaux sociaux tels que tiktok et snapchat.

Ainsi, malgré un environnement du « tout numérique », la médiation sociale en ligne peine à « toucher » les bénéficiaires les plus éloignés des pratiques sociétales actuelles et des plus innovantes.

2.1.2. « Fractures / Inclusions » : slogans communs et prévalence associative

La première source de confusion entre médiation sociale et médiation numérique, semble liée à l’analogie politique historique (car intrinsèque au programme des élections présidentielles de Jacques Chirac) entre « réduction de la fracture sociale » et « réduction de la fracture numérique » (Vandeninden, 20075). La dénonciation de la fracture sociale a été antérieure à la dénonciation de la fracture numérique. Cette confusion apparaît précisément au moment où le numérique est l’apanage des pionniers de l’Internet, une élite aisée et instruite. Le sujet ciblé concerne l’accès financier aux outils. Dans un deuxième temps, cette confusion a été confortée par l’utilisation généralisée des terminologies européennes : le terme choisi d’inclusion pour remplacer celui de fracture est plus propice à une vision constructive des politiques d’intervention publiques (Toledano Laredo, 20226). L’inclusion sociale a en quelque sorte embarqué l’inclusion numérique (Hue, 20197). Ces locutions ont remplacé les expressions de fractures mais aussi d’exclusions sociales et numériques. Pourtant et pendant tout ce temps, les difficultés de littératie numérique étaient tout autant socio-économiques, générationnelles, que culturelles et/ou physiologiques et cognitives (handicap).

La deuxième source de confusion peut provenir de la proximité des institutions et des acteurs eux-mêmes car les acteurs de la médiation numérique et de la médiation sociale s’inscrivent tous dans le secteur de l’économie sociale et solidaires (ESS) et dans les administrations de la fonction publique territoriale. Comme pour le champ du travail social, le champ de la médiation numérique, de la formation et de l’éducation au numérique, est l’apanage du secteur associatif, des collectivités territoriales et des services publics. A ce titre, la médiation numérique a donc été l’objet dès son lancement dans les années 2000, d’une politique publique socio-économique de réduction de la fracture numérique soutenue par des emplois aidés « les Emplois Jeunes ». Ces animateurs multimédia, médiateurs cyber-jeunes, (etc.) sont venus se juxtaposer à grand renfort de précautions juridiques sur les périmètres d’intervention à l’offre privée préexistante : les Cybercafés. Ils ont renouvelé laborieusement cette première offre pédagogique et andragogique de lutte contre l’illectronisme, centrée sur l’accès aux outils numériques, le dépannage ponctuel, le soutien individuel et les cours collectifs.

Cette réduction publique ou privée de la fracture numérique se limite donc à l’origine à mettre à disposition du matériel informatique connecté en état de marche, et à donner quelques conseils individuels d’utilisation et de manipulation. Le modèle du service à la carte du réseau du label Cyber-base (Turet, 20188) a établi une évaluation positive du service offert, en cas d’absence de nouvelle sollicitation des publics sur un même sujet. Ce modèle relevait de cette même démarche de soutien ponctuel sans qu’une recherche d’autonomie numérique globale de la personne soit engagée.

L’actuelle offre publique « France Services » encourage pour une grande part ce service ponctuel à la demande, centré sur l’accueil individuel. Les formations et les certifications des Conseillers Numériques France Service (CNFS) prennent toutefois en compte des besoins plus larges et des compétences d’accompagnement collectifs. Ces formations ne se référent pas totalement à la charte nationale9 de la médiation numérique (2015), issue de la consultation nationale sur la médiation numérique10. Elles n’englobent pas non plus la charte des Espaces Publics Numériques en vigueur de 2011 à 2016 (Turet, 201811).

2.2. La clarification des champs d’intervention des médiations

Pour clarifier les périmètres d’intervention des médiations, il faut donc déterminer précisément leurs champs d’action à partir de leur objet d’existence. Les recherches interdisciplinaires de l’ANR Translit ont permis d’identifier l’objet de la médiation numérique qui jusque-là semblait s’emparer de multiples sujets. Cette multiplication des sujets numériques ont créé des frictions et des interrogations sur la nécessité de former les travailleurs sociaux au numérique mais aussi les enseignants au C2i2e. L’Éducation nationale choisit d’abandonner la logique du C2i2e au profit de l’autoformation par PIX et le travail social accentue la formation de ses cadres et de ses intervenants aux compétences numériques. L’expérimentation apporte de nouveaux angles de réflexion sur la pertinence du croisement des médiations.

2.2.1. Translittératie numérique et identité professionnelle des médiateurs numériques

Les professionnels de la médiation numérique ont pris la mesure de leur impact malgré les vagues successives de nouveaux entrants chez les commanditaires (élus, administrateurs) et chez les acteurs de terrain (services civiques, emplois d’avenir, …) au petit bonheur de la variété des politiques publiques et des acceptions locales des missions attendues. Les jurys successifs du « Label Ville, Villages et Territoires Internet » œuvrent à comparer les efforts des collectivités locales dans leur offre de médiation numérique. La transmission d’une culture numérique (Voirol, 201112) devient progressivement incontournable au-delà de la maîtrise du « socle des compétences numériques de base » définies par la Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (DGEFP).

Des tensions existent entre les injonctions de mise en conformité aux commandes publiques, financièrement incitatives issues des politiques nationales, et les contrats européens de financement : certains appels à projets favorisent une inclusion numérique qui relève davantage des valeurs de la formation aux utilisations civiques. D’autres, plus rares soutiennent des valeurs plus émancipatrices et critiques proches de l’éducation populaire. Les institutions phares de l’éducation populaire tardent à se positionner face aux orientations de développement du numérique. Elles n’ont pas d’offre politique concernant les besoins corrélés de la population : une vision globale des enjeux, une capacité d’orientation et de choix d’émancipation et de développement personnel pour être un citoyen libre et égal en droits face au numérique. Il s’agit de surcroît, d’usages personnels mais aussi des usages des personnes dont on a la charge : enfants, ascendants, personnes en situation de handicap.

Les médiateurs numériques doivent être capables d’initier la population pour faire reculer l’illectronisme quels que soient les critères socio-économiques et culturels en jeux : ils sont donc généralement dotés non seulement des connaissances techniques (outils) liées à des technologies en perpétuelle évolution mais aussi informationnelles et médiatiques (réseaux sociaux, fake news…). Ils doivent aussi faire relais, coopération ou partenariat avec les spécialistes de champs particuliers : l’administration, le social, l’emploi, l’entreprise, le commerce, etc. Ils sont au cœur de la translittératie numérique qui elle, se déploie dans tous les champs de la société.

Dans le cadre de l’expérimentation auprès des enfants, la convocation d’un médiateur numérique s’est avérée incontournable face au manque de culture numérique transversale des autres médiateurs scolaires, sociaux, culturels, économiques. Le médiateur numérique est porteur d’une mise en intelligibilité socio-technique : il a besoin de s’acculturer pour éviter le biais de « la suprématie » et confisquer le pouvoir d’agir. Il s’est retrouvé chargé de mettre en place des ateliers non seulement pour les enfants mais aussi pour quelques adultes référents de l’expérimentation.

2.2.1.1. L’écrivain public numérique : figure croisée de médiations

L’écrivain public numérique est une figure de l’autonomie, de l’émancipation et de la citoyenneté retrouvées à l’heure de l’indispensable maîtrise des écritures numériques. Il s’agit aussi de la compréhension de la logique des algorithmes (AFFELNET13, Parcours Sup). Le médiateur du cybercafé aide à l’accès, aide parfois « à faire » quand l’écrivain public numérique fait à la place, tel le secrétaire de mairie ou le scribe des temps reculés. Il s’agit là de la méthode et de la limite de la médiation : jusqu’à quels niveaux d’émancipation et de socialisation, les clés de connaissances et de compétences sont-elles transférées ?

La vision aujourd’hui répandue d’un « médiateur numérique-administratif » est centrée sur la levée des blocages de l’utilisateur à l’utilisation des applications et des formulaires de l’eAdministration. Elle renvoie à l’image initiale du médiateur numérique centré sur l’accès aux matériels informatiques. Elle relève pourtant majoritairement d’un besoin de médiation administrative liée à la non maîtrise de la culture administrative : permettre de comprendre les attendus du formulaire opposable à l’administré. C’est le cas de la réplique célèbre du film Le père Noël est une ordure (Jean-Marie Poiré, 1982) concernant le remplissage d’un formulaire CERFA de la sécurité sociale14 : quand Josette, la protagoniste ne peut pas dire si elle travaille ou non, alors qu’il faut remplir le formulaire par oui ou par non. Elle n’est pas d’accord puisqu’elle veut écrire sa réalité mouvante par « ça dépend » mais elle constate que « ça dépend, ça dépasse » des cases à cocher. Pour remplir correctement un formulaire, il faut connaître l’approche administrative et développer une stratégie administrative. Cette logique de l’administré est niée par l’administrateur qui veut pouvoir préjuger d’une réalité fiable à partir de ses propres indicateurs non explicités à l’administré. L’administrateur, gestionnaire de l’optimisation des critères, ne saurait prendre en compte une réalité aménagée par l’administré en fonction de ses propres attendus. Le dialogue, voire la négociation, encore rendus possibles par une communication orale ou manuscrite au guichet physique, permettait cette médiation administrative. Dans un cadre informatisé non médié, cette médiation est de facto supprimée.

L’écrivain public, le « donneur de mots » pour ceux qui n’en ont pas…15 est une figure tutélaire du médiateur administratif : auparavant complémentaire, il est aujourd’hui supplétif du fonctionnaire d’accueil au guichet des administrations. De profession libérale parfois, (227 recensés en 2011 pour toute la France), il est le plus souvent bénévole (Ollivier, 200916). La profession n’étant pas réglementée, toute personne peut se déclarer écrivain public bénévole. Il est lié à la médiation sociale : il exerce souvent dans les centres sociaux. Il maîtrise à la fois les fondamentaux du savoir administratif et du savoir juridique. Il a l’expérience de situations socio-économiques et culturelles toujours singulières et donc majoritairement atypiques qu’il faut rapporter à l’étalon attendu par l’administration. L’écrivain public a dû progressivement se doter d’une culture et de compétences numériques associées aux compétences qu’il maîtrise déjà pour son métier.

Quasiment chaque administration a recruté à un moment donné, des services civiques « digital natives »17 ou Génération Z, en soutien au remplissage de tel ou tel formulaire en ligne. Ces derniers sont souvent moins performants que les anciens écrivains publics des centres sociaux qui par leur maîtrise de la culture administrative pouvaient intervenir sur tous types d’illettrismes. L’écrivain public est une sorte d’interprète entre le langage commun et le langage juridico-administratif. Il est identifié comme un levier pour créer des ponts interculturels.

Lors de l’expérimentation, deux services civiques issus du même quartier que les enfants ont permis de nouer un lien de confiance avec les intervenants et notamment avec la médiatrice culturelle qui les accompagne à écrire la musique et les paroles des chansons. L’apport médiatique d’enregistrement des répétitions, des concerts, des chorales, relayé par le numérique crée une occasion de partages de savoirs, de compétences, de remémoration qui ouvrent sur des besoins puis sur des demandes des enfants pour être en autonomie de manipulation des outils d’abord, puis à termes de création de contenus. Cette combinatoire a invité progressivement les enfants à s’initier directement à l’écriture et à la lecture.

La translittératie numérique est donc prépondérante dans cette logique de mise en autonomie : dans le cas suivant, concernant l’acculturation au numérique des chefs d’entreprise, la question de médiation sociale est remplacée par la question de la médiation de l’économie numérique.

2.2.1.2. Translitteratie et chefs d’entreprise : une médiation numérique à dominante économique ?

La translitteratie numérique concerne les entreprises, qu’elles soient engagées dans des stratégies de transformation numérique ou formation continue. Le champ de la médiation numérique pour ces entreprises n’est pas soluble dans la médiation sociale même si les responsables de TPE PME bénéficient des « dispositifs publics pour tous » : Tiers lieux, Fablabs, EPN…

Dans ce champ du développement économique, les médiateurs numériques sont plutôt désignés conseillers numériques. Leur activité est bien plus lucrative et attractive en termes de reconnaissance professionnelle. A la demande d’un réseau d’acteurs économiques de haut niveau, un diplôme de niveau master (niveau 2) de conseiller numérique pour les entreprises est reconnu au RNCP. Doit-on en déduire que la solvabilité économique des bénéficiaires induit une médiation numérique et un travail translittératique hors de toute question sociale ? Dans ce cadre précis, il n’y a pas de médiation sociale sauf à y inclure les travaux de l’ANACT, sur le sujet de la transformation numérique aux prises avec la Qualité de vie au travail. A contrario, s’agit-il d’une autre médiation numérique selon qu’elle s’exerce à la chambre de commerce et d’industrie ou au centre social ? La question de la médiation numérique dans la médiation sociale n’a ici pas d’objet.

Pour ce qui concerne la participation des entreprises à l’expérimentation de remobilisation scolaire des enfants, il s’est avéré que la médiation des entreprises n’a pas opéré en tant qu’offre de services et de produits, ni en tant que passeurs de valeurs et de processus. Lors de la première phase de l’expérimentation, le groupement économique innovant devant assurer l’intégration des entrepreneurs s’est trouvé dépassé par les représentations sociales attachées aux enjeux et aux besoins identifiés de la remobilisation scolaire des enfants : le jeu de plateau a été réalisé sans les enfants et les adultes référents, le budget a été dilapidé dans des activités de secrétariats et de quelques réunions préparatoires assimilées à des séances de consulting.

Ces questionnements nous conduisent à interroger les qualifications des médiateurs numériques aux prises avec ces sphères d’intervention et l’objet de la médiation numérique : la translittératie numérique.

2.2.2. Faciliter la mobilité entre les sphères d’intervention du secteur de la médiation numérique

Quel enjeu de la gestion prévisionnelle des emplois et des qualifications « GPEQ » pour le secteur de la médiation numérique : faciliter la mobilité entre ses sphères d’intervention ? La « filière métiers de la médiation numérique » a été initiée par la Délégation aux Usages de l’Internet. Deux centres de ressource régionaux, désignés à partir des dynamiques régionales déjà existantes en 2014 ont participé à cette définition sur la question des compétences métiers et des niveaux d’intervention. Il apparaît alors la nécessité d’aligner le niveau d’intervention avec celui des enseignants du second degré et de l’enseignement supérieur : le C2I2E. Il s’agit a minima de monter le niveau d’intervention à Bac +2 pour prendre en compte les compétences nécessaires aux trois phases de diagnostic, d’ingénierie et d’intervention selon les cas pédagogiques ou andragogiques. Ce projet de filière de compétences perd sa légitimité avec l’abandon du C2I2E obligatoire pour les enseignants.

A partir de 2017, la généralisation du PIX comme outil d’auto formation et de certification accompagnée à l’éducation nationale et dans les espaces publics numériques contribue à une forme de plateformisation de la médiation numérique. Cette nouvelle médiation scolaire du numérique pour les mineurs, concomitante du renforcement de la médiation sociale du numérique pour les plus éloignés du numérique, met en tension l’éducation critique et citoyenne au numérique. Cette éducation critique nécessite l’échange, le questionnement, la confrontation à l’autre et le débat au-delà de l’apprentissage de compétences et de bonnes pratiques : « Les dispositifs artificiels reflètent une extériorisation des compétences formatives. Les dispositifs intériorisés humains sont un construit fait d’habitus et de qualifications nourries de théories et d’expériences pratiques qui se cristallise dans l’opportunité d’une rencontre favorisant la transmission et l’alerte incarnée par une histoire et un parcours de vie unique et singulière » (Turet, 2018). La filière métiers de la médiation numérique et ses portefeuilles de compétences peuvent-ils aujourd’hui se fonder sur les questions de translittératie numérique au-delà des seules transmissions de compétences et de culture numérique ?

Conclusion

L’expérimentation sur la remobilisation scolaire par la translittératie numérique accompagnée par de multi-médiations invite à repenser les stratégies de reproduction (Bourdieu, 197018) et de distinction (Bourdieu, 197919) à l’œuvre : avec ces multi-médiations, les enfants peuvent transférer leurs compétences familiales, numériques et scolaires d’un univers à l’autre de manière fluide et émancipatrice. L’expérimentation rappelle l’importance de la présence humaine, de « l’adulte référent », du pair qui partage dans l’ici et maintenant, le faire ensemble et l’émotion éphémère du moment partagé. « Les scénarios d’un futur sans éducation critique et politique au numérique ouvrent sur un monde programmé par une minorité dictant au reste du monde des usages, des processus et des horizons non discutés » (Turet, 2018). L’intervention sociale et l’éducation populaire sont deux démarches qui selon les politiques publiques à l’œuvre sont souvent irréductibles l’une à l’autre mais toujours complémentaires. Les résultats de l’ANR Translit (Frau-Meigs, 2017[noteFrau-Meigs, Divina. ANR Translit 2017, Rapport final[/note]) permettent de déduire que la médiation numérique a pour objet premier la translittératie numérique. Par son approche éducative associée à sa mission socialisatrice et émancipatrice dans une société numérique, elle doit en dispenser les savoirs, les savoir être, les savoirs faire et les savoir devenir nécessaires.

La médiation numérique a des fondements politiques dans l’éducation populaire : la fabrique numérique, ses pratiques et ses usages sont politiques en ce qu’ils organisent le vivre ensemble. La médiation numérique a donc pour finalité d’éveiller l’esprit critique des « homonuméricus » : « En se concentrant sur les phénomènes de médiation technologique et sur la matérialité du travail d’intermédiation, nous interrogeons la capacité des plateformes à influencer et à configurer des pratiques, et des formes d’autorité, à organiser l’action en imposant des contraintes, mais aussi l’existence de modes d’appropriation et de critiques de la part d’usagers, souvent « dominés » par ces plateformes » (Bigot, 202120). Davantage de travaux restent nécessaires pour relier les médiations numériques au bénéfice d’une émancipation critique des usages des technologies numériques.

Constituer des savoirs collaboratifs et universitaires entre pratiquants et professionnels de différents métiers, institutions, centres de formation pourrait faire émerger les « bidouillages » (Leroi-Gourhan, 196421) de chacun afin de fabriquer un bien commun d’utilités et « la circulation de la pensée scientifique entre les littératies : la programmation informatique, la programmation médiatique et les sciences de l’information et de la communication. La question de la diffusion d’une culture numérique éclairée par la recherche et les savoirs universitaires sur le modèle de la « translittératie numérique » s’avère vitale d’un strict point de vue démocratique. » (Turet, 2018). Ainsi le cas de la translittératie numérique étudiée pendant l’expérimentation avec un groupe d’enfants dépasse la question de la remobilisation scolaire via des médiations croisées. Il s’agit par l’analyse et la réflexion collective sur leurs pratiques numériques de les conduire vers une émancipation citoyenne et l’acquisition de compétences en Savoir devenir qui donnera du sens à leurs parcours et à leurs sociabilités scolaires.

La médiation numérique par ses dimensions émancipatrices et citoyennes et ses champs d’intervention culturels, techniques et éducatifs est génératrice d’innovations socio-techniques à l’écoute d’un monde en mouvement. La médiation numérique ne vise pas intrinsèquement la remédiation des absences de compétences ; elle ne cible pas non plus uniquement les dérives d’usage en rapport à une norme minimale d’inclusion. La médiation numérique n’est donc ni soluble, ni réductible à la médiation sociale et inversement, car tout en initiant et en mettant à jour les connaissances, elle participe à la réflexion individuelle et collective pour un positionnement éclairé sur les orientations éthiques et démocratique de développement de notre humanité numérique (Guichard, 201622).

La combinatoire de ces deux types de médiation ne signifie pas la dissolution de l’une au profit de l’autre car les objets sont différents. Quand un seul médiateur porte deux types de médiation, le risque de confusion est important avec ses conséquences d’instrumentalisation. L’expérimentation a permis une observation de ces médiateurs généralistes mis en « panne » lors des collectifs de travail associant des médiateurs plus spécialisés et centrés sur leurs objets de médiation. Il en est ressorti l’importance de l’attention à porter sur l’articulation des médiations dans l’intérêt librement partagé des populations bénéficiaires.

Un grand merci à Corine Escobar, Nadia Oulahbib et Amélie Turet d’avoir partagé avec nous leurs réflexions. Si celles-ci vous font réagir, n’hésitez pas à partager les vôtres en commentaires. On en remet une couche (de réflexion) dès la semaine prochaine…




Feedback on the ECHO Network opening seminar, January 2023, Paris

From January 14 to 16, 2023, the Ceméa France and Framasoft held the opening seminar of the ECHO Network project. Here is a report of this weekend of international exchanges and discoveries.

A two-year European project

Presented on the Framablog last October, ECHO Network is one of the four flagship projects of our roadmap Collectivisons Internet, Convivialisons Internet.

Ethical, Commons, Humans, Open-Source Network is a project, but also an associative network on a European scale. Led by the new education association Ceméa France, this network is composed of 7 structures from 5 European countries:

These structures share an intent to accompany citizens (via popular education, news, activism, etc.), and to exchange on the digital uses specific to their country, their culture, their language.

Study trips are therefore planned in 2023 in each of the countries to facilitate these exchanges and the understanding of the context of each one, so that in 2024 we can produce commons that can be used by other associations in Europe.

 

Drawing of five islands in a circle, each with constructions of a different culture. They communicate with each other by sending waves, echoes.
ECHO Network – Illustration by David Revoy – Licence : CC-By 4.0

The opening seminar in Paris

The first meeting with all the actors took place from Saturday 13 to Monday 16 January in Saint Ouen, north of Paris, France.

This opening seminar was co-organized by Ceméa France and Framasoft. While we didn’t hesitate to get involved and contribute as much as we could, we have to admit that members of the Ceméa have a precious experience in setting up these events, and that they did a great job overall on organizing this seminar.

In addition to the thirty or so participants representing the partners of the ECHO Network project, we were able to invite more than twenty people from networks interested in new education, digital mediation, the commons and free software to contribute to these first discussions on ethical digital support for citizens.

Thus, this opening seminar was designed to find out how to talk about the same thing when we don’t speak the same languages, even though our contexts are different and our digital cultures varied.

Imagine a large room, about twenty people are sitting on chairs in tight rows. In front of them, a person seems to give them instructions. That’s what it looked like.

Understanding each other through « new education »

These three days were conceived beforehand using the methods of « new education » dear to the Ceméa.

The 55 people were divided into 3 reference groups, in order to share knowledge together. The concept was simple: rather than having poor interactions with 55 people, spend more quality time with a smaller group of 15 of them.

These groups were led by a team of three people (2 members of Ceméa, 1 member of Framasoft). Some periods were also reserved to be spent in micro groups (of 2-4 people) and to realize « mini projects ». Of course, all the participants gathered for the meals and conviviality times in the canteen.

Let’s take a moment to greet and thank the team managing the place, Mains d’œuvres, in Saint-Ouen, for their wonderful welcome and their delicious food. This space dedicated to culture and integrated into the life of the neighborhood was ideal to discover the flavor of Paris that’s lived by the locals. https://www.mainsdoeuvres.org/

The three days were divided into six half-days: the first one to meet each other, then 4 half-days dedicated to exchange on the notion of Ethics, Commons, Humanization and Openness in the digital world (yes, these are the words of the ECHO acronym ;)).

The last half-day of Monday afternoon allowed each group to present to the others a report of the exchanges, to put all this together and to say goodbye.

 

Grand papier sur lequel est écrit la question "comment déinirais tu l'éthique ?" et ou plein de cartes affichant des concepts autour du numérique éthiques sont collées

Conviviality as a political tool

The objective was to meet and to understand what brings us together in our political actions (which aim at organizing the society in a different way), and for that, the Ceméa and Framasoft relied on conviviality and exchange.

The participants had different sensitivities about digital uses. Most of them knew Mastodon but not all of them. Most of them had an idea of what free software is but not all of them. The activities allowed them to share their knowledge of the different themes.

The workshops took several very imaginative formats, such as:

  • inventing one’s own social network (with its codes, terms of use, and functioning), and imagining how one would moderate the posts of other communities
  • imagining what would be acceptable or unthinkable to put or remove in a « lifephone », a low-tech phone that everyone would keep all their life
  • Use the Métacartes Numérique Éthique to explore one to three topics in a small group and then present these topics to the rest of the group and facilitate the discussion
  • a moving debate where you position yourself in the room (near the « agree » wall or on the other side near the « disagree » wall) around assertions concerning ethics and digital technology
  • and many other animations, which are documented in the article written by the Ceméa

A5 cards from the 'life phone workshop' are spread out on a table. They represent concepts of a life phone: "a very small battery", "do not disturb", "a phone for two", etc.
The « Life Phone » workshop.

During the time devoted to these mini-projects, we were able to observe some beautiful initiatives:

  • Imagining an adaptation of the « Métacartes Numérique Éthique » to make them more accessible to a young audience
  • A writing workshop on what a desirable digital world could look like. You can read the results on Chosto’s blog (FR), from the Picasoft association
  • Digging into the question of digital support for associations with a turnkey kit
  • Laying down the principles that would help to create an ethical and collaborative video game
  • Chatting about how to introduce the societal issues of digital technology in higher technical education.

In short, collective intelligence has shown again, during these three days, its wonderful power.

Poster paper explaining "recipe cards", a card game idea to explain digital in the form of cooked dishes and recipes for children from 8 years.
Recipe cards, a tool idea that makes you drool!

Study visits to follow

If we already know that these will not necessarily resemble this seminar (where we have chosen new education methods as a tool for meeting and exchange), the next study visits have already been scheduled. In fact, as we finish writing these lines, all the partners are in Berlin for another meeting.

The main themes for those visits are, in our opinion, quite attractive:

  • Germany (March 2023) – Centralized social networks among young people, a tool for emancipation or alienation?
  • Belgium (June 2023) – New Education practices to raise awareness on ethical tools
  • Italy (September 2023) – Between face-to-face and distance learning, which use of digital technology?
  • Croatia (December 2023) – Inclusivity and accessibility in the Digital world

Of course, we will continue to report here about our experiences within these meetings and this project. All the articles can be found in the ECHO Network category on the Framablog… To be continued, then!

The picture is blurry, but you can see the main thing: the « Star Trek » room we used during the plenary sessions.

 




Retour sur le séminaire d’ouverture d’ECHO Network, janvier 2023, Paris

Du 14 au 16 janvier 2023, les Ceméa France et Framasoft ont tenu le séminaire d’ouverture du projet ECHO Network. Voici un compte rendu de ce week-end d’échanges et de découvertes internationales.

Un projet européen sur deux ans

Présenté sur le Framablog en octobre dernier, ECHO Network est l’un des quatre projets phare de notre feuille de route Collectivisons Internet, Convivialisons Internet.

Ethical, Commons, Humans, Open-Source Network (Réseau autour de l’Éthique, les Communs, les Humaines et l’Open-source) est un projet, mais aussi un réseau associatif à échelle européenne. Mené par l’association d’éducation nouvelle des Ceméa France, ce réseau se compose de 7 structures provenant de 5 pays européens :

Ces structures ont en commun d’accompagner des citoyen·nes (éducation populaire, nouvelle, militantisme, etc.), et pour objectif d’échanger sur les usages numériques spécifiques à leurs pays, leur culture, leur langue.

Des visites d’études sont donc prévues en 2023 dans chacun des pays pour faciliter ces échanges et la compréhension du contexte de chacun·e, afin qu’en 2024 l’on puisse produire des communs pouvant servir à d’autres associations en Europe.

Dessin de cinq iles en cercle, chacune avec des constructions d'une culture différente. Elles communiquent ensemble en s'envoyant des ondes, des échos.
ECHO Network – Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Un séminaire d’ouverture à Paris

La première rencontre des acteurs et actrices a donc eu lieu du samedi 13 au lundi 16 janvier dernier, à Saint-Ouen, au nord de Paris.

Ce séminaire d’ouverture était co-organisé par les Ceméa France et Framasoft. Si nous n’avons pas hésité à nous impliquer et contribuer de notre mieux, il faut reconnaître que les Ceméa ont une expérience précieuse sur l’organisation de ces événements, et qu’iels ont fourni un formidable travail sur ce séminaire (on a aidé comme on a pu ^^).

Car en plus de la trentaine de participant·es représentant des partenaires du projet ECHO Network, nous avons pu inviter plus de vingt personnes des réseaux de l’éducation nouvelle, de la médiation numérique, des communs et du libre pour alimenter ces premiers échanges autour du numérique éthique dans l’accompagnement citoyen.

Ainsi, ce séminaire d’ouverture a été pensé pour trouver comment parler de la même chose quand on ne parle pas les mêmes langues, alors que nos contextes sont différents, et nos cultures numériques variées.

dans une grande salle, une vingtaine de personnes sont assises sur des chaises en rangs serrés. Devant elles une personne semble leur donner des consignes.
Le jeu du « pac man IRL », pour se ré-énergiser après le déjeuner et avant de s’y remettre, était assez épique.

Se comprendre grâce à l’éducation nouvelle

Ces trois jours ont été conçus en amont en reprenant les méthodes de l’éducation nouvelle chères aux Ceméa.

Les 55 personnes ont été réparties en 3 groupes de référence, pour pouvoir partager les savoirs ensemble. Le concept était simple : plutôt que de mal rencontrer 55 personnes, prendre le temps d’échanger avec une petite quinzaine.

Ces groupes étaient animés par une équipe de trois personnes (2 membres des Ceméa, 1 membre de Framasoft). Des temps étaient aussi réservés pour se trouver en micro groupes (de 2-4 personnes) et réaliser des « mini projets ». Bien entendu, l’ensemble des participant·es se rassemblait pour les repas et temps de convivialités dans la cantine.

Prenons d’ailleurs un temps pour saluer et remercier l’équipe du lieu Mains d’œuvres, à Saint-Ouen, pour son accueil formidable et ses plats délicieux. Cet espace consacré à la culture et intégré à la vie de quartier était idéal pour faire découvrir à nos partenaires de l’Europe Paris telle qu’elle est vécue par les personnes qui y habitent.

Les trois jours ont été découpés en six demi-journées : la première pour se rencontrer, puis 4 demi-journées consacrées à échanger sur les notions d’Éthique, de Communs, d’Humanisation et d’Ouverture dans le numérique (oui, ce sont les mots de l’acronyme ECHO ;)).

La dernière demi-journée du lundi après-midi a permis à chaque groupe de présenter aux autres un compte rendu des échanges, de mettre en commun tout cela et de se dire au revoir.

Grand papier sur lequel est écrit la question "comment définirais-tu l'éthique ?" et ou plein de cartes affichant des concepts autour du numérique éthiques sont collées

La convivialité comme outil politique

L’objectif était donc de se rencontrer et de comprendre ce qui nous rassemble dans nos actions politiques (qui visent à organiser la société autrement), et pour cela les Ceméa et Framasoft ont misé sur la convivialité et l’échange.

Les participant·es avaient des sensibilités différentes sur les usages du numérique. La plupart connaissaient Mastodon mais pas toustes. La plupart avaient un aperçu de ce qu’est le logiciel libre mais pas toustes. Les activités leur ont permis de se partager, entre elles et eux, leurs connaissances des différentes thématiques abordées.

Les ateliers ont pris plusieurs formes très imaginatives, par exemple :

  • inventer son réseau social (avec ses codes, ses conditions générales d’utilisation, son fonctionnement), et imaginer comment l’on modérerait les posts d’autres communautés
  • imaginer ce qu’il serait acceptable ou impensable de mettre ou de retirer dans un téléphone « lifephone » que chacune garderait toute sa vie
  • utiliser les Métacartes Numérique Éthique pour creuser un à trois sujets en petit groupe puis présenter ces sujets au reste du groupe et animer la discussion
  • un débat mouvant où l’on se positionne dans la salle (près du mur « d’accord » ou de l’autre côté près du mur « pas d’accord ») autour d’affirmations concernant l’éthique et le numérique
  • … et bien d’autres animations, qui sont documentées dans l’article écrit par les Ceméa

Des cartes A5 de 'atelier life phone sont étalées sur une table. Elles représentent des concepts d'un téléphone à vie : "une toute petite batterie" , "ne pas déranger", "un téléphone pour deux", etc.
L’atelier Life Phone, imaginons à quoi ressemblerait un téléphone low-tech, qui nous tiendrait toute notre vie.

Durant les temps consacrés à ces mini-projets, nous avons pu observer de belles initiatives :

  • Imaginer une adaptation des Métacartes Numériques pour les rendre plus accessibles à un public d’enfants.
  • Un atelier d’écriture sur ce à quoi pourrait ressembler un numérique souhaitable. Vous pouvez lire les créations sur le blog de Chosto, de l’association Picasoft.
  • Approfondir la question de l’accompagnement numérique des associations avec une mallette clé-en-main (ça a notamment causé de RÉSOLU).
  • Poser les principes qui permettrait de créer un jeu vidéo éthique et collaboratif.
  • Papoter sur la façon d’introduire les enjeux sociétaux du numérique dans les formations supérieures techniques.

En bref, l’intelligence collective a encore montré, durant ces trois jours, ses merveilleuses capacités.

Papier affiche expliquant les "cartes recettes", une idée de jeu de cartes pour expliquer le numérique sous forme de plats cuisinés et de recettes pour les enfants dès 8 ans.
Les cartes-recettes, une idée d’outil qui fait saliver !

Des visites d’études à suivre

Si l’on sait déjà qu’elles ne ressembleront pas forcément à ce séminaire (où nous avons fait le choix de l’éducation nouvelle comme outil de rencontre et d’échanges), les visites d’études sont déjà programmées. D’ailleurs, au moment où nous finissons de rédiger ces lignes, c’est à Berlin que l’ensemble des partenaires est en train d’échanger.

Le programme des thématiques est alléchant :

  • Allemagne (mars 2023) – Les réseaux sociaux centralisés chez les jeunes, outil d’émancipation ou d’aliénation ?
  • Belgique (juin 2023) – Pratiques d’Éducation Nouvelle pour sensibiliser aux outils éthiques
  • Italie (septembre 2023) – Entre présentiel et distanciel, quelle utilisation du numérique ?
  • Croatie (décembre 2023) – Inclusivité et accessibilité du Numérique

Bien entendu, nous continuerons de rendre compte, ici-même, de notre expérience au sein de ces rencontres et de ce projet, l’ensemble des articles pourra être suivi grâce à la catégorie ECHO Network sur le Framablog… à suivre, donc !

La photo est floue, mais on y voit le principal : la salle « Star Trek » qui nous a servi lors des séances de plénière.




La translittératie numérique, objet de la médiation numérique (première partie)

Cette semaine, le collectif « Lost in médiation » vous invite à découvrir la première partie d’un article de Corine Escobar, Nadia Oulahbib et Amélie Turet dans lequel elles nous partagent leur analyse d’une expérimentation qu’elles ont menée lors d’une recherche-action. Bonne lecture !

Corine Escobar est enseignante chercheure depuis plus de 40 ans, au service de l’égalité des chances. Institutrice en France, puis professeure de français en Espagne, suède et Allemagne, elle a expérimenté différentes pédagogies holistiques. Une thèse de doctorat en sciences de l’éducation lui a permis d’observer et d’évaluer la puissance associative au service des plus faibles. Déléguée du préfet depuis plus de 10 ans, elle accompagne les associations investies auprès des publics des quartiers prioritaires notamment sur la remobilisation éducative.
Nadia Oulahbib est chercheure et analyste clinique du travail en santé mentale, observatrice des scènes de travail dans le monde de la fonction publique, l’entreprise associative, coopérative, industrielle et également liés aux métiers du social. Elle apporte son soutien à la parole sur le travail pour entretenir le dialogue collectif. Elle est aussi maîtresse de conférences associée pour l’UPEC.
Amélie Turet est docteure qualifiée en sciences de l’information et de la communication, chercheure associée à la Chaire UNESCO « Savoir Devenir » et au MICA, enseignante à l’UPEC sur le numérique dans l’éducation populaire et l’ESS, spécialiste de l’appropriation socio-technique des dispositifs liés au numérique. Membre de l’ANR Translit, elle a présenté ses travaux sur la médiation numérique lors des rencontres EMI de l’UNESCO à RIGA en 2016. CIFRE, diplômée de l’université Paris-Jussieu en sociologie du changement, elle a conduit des projets de R&D dans le secteur privé puis au service de l’État sur la transformation numérique, la démocratie participative, l’inclusion numérique, la politique de la ville et l’innovation.

La translittératie numérique, objet de la médiation numérique.
Analyse d’une expérimentation : remobilisation scolaire et articulation de médiations.

L’expérimentation choisie pour illustrer la translittératie numérique s’appuie sur la pédagogie du détour pour relancer des dynamiques éducatives, culturelles, et socio-économiques d’apprentissage au profit de la remobilisation scolaire. La démarche de recherche action s’ancre sur un territoire pour lequel, elle a su rendre visible des questions d’apprentissage avec une population cible permettant des interventions de médiation mobilisatrices transdisciplinaires. Elle se fonde sur le principe de la continuité éducative et pédagogique grâce à l’utilisation d’une articulation de différents socles de médiations23. Elle se déploie en s’étayant par l’utilisation des connaissances des phénomènes de translittératie numérique.

Les résultats de cette expérimentation vont éclairer la question initiale : « La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ? ». L’objet de cet article est d’apporter, avec l’analyse de cette expérimentation, des éléments de réflexion qui montrent les complexités des articulations entre médiations à l’œuvre et gestion des risques inhérents à leurs dynamiques : la fusion de médiations d’ordres différents (juridique, culturelle, …) peut effectivement être porteuse d’une altération profonde d’une médiation par rapport à l’autre. L’expérimentation montre par exemple, qu’un seul médiateur porteur de plusieurs médiations, se perd dans ses différents rôles et logiques d’action, ce qui peut dégrader une synergie opérante et pertinente.

Pour découvrir les altérations citées plus haut sur la médiation numérique, l’expérimentation montrera que la fusion entre médiation sociale et médiation numérique relève souvent de problématiques circonstanciées de régulations. Pendant l’expérimentation, par exemple, l’usage des tablettes à vocation de continuité pédagogique ont immédiatement donné lieu à une régulation des usages par les médiateurs : des consignes d’utilisation suivis de « rappels à l’ordre » sur les sites WEB autorisés ou non à la consultation et sur les moments dédiés à l’utilisation à titre de récompense ou pour la réalisation d’exercices pédagogiques.

Pour approfondir l’explicitation de cette question des altérations de médiations, il convient de définir précisément les objets de la médiation sociale et de la médiation numérique en partant de la translittératie numérique et de son lien avec la médiation numérique.

Première partie : Observations d’émergences, de coexistences et d’hybridations de médiations

1.1. La translittératie numérique, objet de la médiation numérique

L’usage du numérique marque aujourd’hui l’ensemble des activités humaines. Par analogie avec l’homo faber ou l’homo economicus, concepts théoriques utilisés pour montrer respectivement l’homme aux prises avec la fabrication, puis avec l’économie, l’homo numericus (Compiègne, 201024) désigne l’homme aux prises avec son environnement numérique (Doueihi, 201325). Par opposition avec l’environnement pré-numérique, dans l’environnement numérique, toute information se présente sous forme de nombre, qu’elle ait été numérisée ou directement créée grâce à des outils informatiques. L’enjeu de la translittératie numérique est l’éducation à l’autonomie dans cette nouvelle ère communicationnelle : « La translittératie définie comme la convergence de l’éducation aux médias, de l’éducation à l’information et de l’informatique rend possible l’autonomisation. » (Frau-Meigs, 201926).

La translittératie se définit comme le « passage d’un système d’écriture à un autre » (Frau-Meigs, 2012). Elle désigne une double capacité : celle de savoir maîtriser l’architecture du multimédia qui englobe les compétences de lecture, d’écriture et de calcul avec tous les outils disponibles (du papier à l’image, du livre au wiki) ; et celle de naviguer dans de multiples domaines, et ainsi de se permettre de rechercher, d’évaluer, de tester, de valider et de modifier l’information en fonction de ses contextes d’utilisation (code, actualités, sources documentaires) et d’usages27. Elle fait également référence aux modes de transfert de compétences numériques d’un univers culturel et cognitif à un autre (ANR Translit, 2017).

Avec la translittératie numérique, la médiation numérique s’invite et ainsi relève des humanités numériques : « les modèles scientifiques sont en train de donner une nouvelle forme à la « créati­vité » à travers le Web, combinant « médiation » et « médiatisation » afin de construire un répertoire des « e-strategies » en « humanités créatives » (Frau-Meigs, 2019). Elle a pour objet d’expliciter et d’accompagner pour favoriser la prise d’autonomie et ainsi le pouvoir d’agir par une maîtrise critique de l’environnement numérique. Elle nécessite pour exercer cette éducation, formation et transformation des représentations et des apports des autres médiations qui œuvrent au même moment parfois, sur d’autres besoins de maîtrise et d’émancipation de l’apprenant : « Ce renou­vellement des études créatives modifie les Humanités classiques en les invitant à une forme de coopération interdisciplinaire. » (Frau-Meigs, 2019). La modélisation des processus d’apprentissage par la trans­littératie ne suffit pas sans une compréhension des interrelations entre la médiation numérique et la médiation pédagogique : « Ce projet rend possible de nouveaux modes cognitifs d’apprentissage partagés, centrés sur l’apprenant, libérés de l’aspect technologique dans la perspective d’une alliance SMILE (Synergies for Media and Information Littératies) » (Frau-Meigs, 2019).

1.1.1 L’expérimentation : les ateliers de remobilisation scolaire

L’expérimentation construite en 3 phases s’appuie sur des observations de terrain liées à un groupe de 70 enfants de 6 à 15 ans et leurs familles, accompagnés par 7 étudiants, 6 médiateurs, 4 enseignants, 4 chefs d’entreprise, des partenaires culturels et psycho-sociaux, 1 responsable de projet, sur le sujet de la remobilisation scolaire des enfants.

Les 3 phases sont :

  • phase 1 : ateliers de remobilisation de compétences,
  • phase 2 : ateliers de mobilisation de nouvelles connaissances culturelles, numériques, scientifiques et de mobilité,
  • phase 3 : ateliers de fabrication du jeu vidéo

L’expérimentation a produit à travers ces trois phases des données qualitatives et quantitatives qui ont permis une analyse d’émergences, de coexistences et d’hybridations de médiations. L’observation in situ a eu lieu pendant 11 mois.

La première phase nommée « ateliers de remobilisation de compétences » met en situation des enfants et des pré-adolescents de 6 à 15 ans non scolarisés ou peu scolarisés, et des médiateurs pédagogiques pendant 2 mois au sein d’une association socio-culturelle implantée depuis plusieurs années dans un quartier. Cette association de quartier est associée à ce travail de remobilisation car elle a un savoir-faire d’activités musicales auprès des enfants. Cette association a la confiance des familles du quartier : les familles ne confient pas leurs enfants à l’école, mais les confient à cette association même pour des déplacements éloignés pour des concerts et des journées éducatives.

Six étudiantes en sciences de l’éducation et une étudiante en FLE (français langues étrangères) ont été mobilisées pour y effectuer respectivement leur stage de 180 heures et de 300 heures. L’objectif de ces ateliers était de commencer l’apprentissage de base des fondamentaux (lire, écrire, compter), d’évaluer le niveau d’apprentissage scolaire des enfants, de transmettre des connaissances aux enfants par le biais d’activités ludiques afin de mieux repérer leurs difficultés et réussites. Il s’agissait également de tester des méthodes d’apprentissage adaptées pour identifier les apports possibles de recours à des dispositifs numériques socio-culturels (tablettes, jeux multimédia). Chaque étudiante a développé un atelier avec les enfants présents dont les objectifs et intitulés étaient littéralement les suivants :

  • Atelier 1 : « Situer des repères géographiques et identifier les noms des rues au sein du quartier avec Google Maps, Mixmo »,
  • Atelier 2 : « le train des mots » : jeu avec des syllabes pour ceux qui savent lire,
  • Atelier 3 : « Représenter son quartier et le situer dans la ville, en France et en Europe en lien avec l’actualité sportive »,
  • Atelier 4 : « Animaux connus, animaux de la ferme, animaux marins : chaîne alimentaire et milieux de vie ». Supports : écriture, lecture sur feuille et sur tablette numérique, dessin sur un livre imagé,
  • Atelier 5 : « Fresque : réaliser une fresque sur panneau » à partir des expériences des enfants : sortie à l’aquarium, repères familiaux. » Supports : peinture, photomontages, écriture de mots, lecture, analyse spatiale (noms de rue).
  • Atelier 6 : Exploration numérique de documents authentiques sur Excel avec les encadrants : formulaires administratifs de la vie courante (CV, permis de conduire, constat d’accident routier…)
  • Atelier 7 : Exercices d’entraînements au français / langues étrangères

Ces ateliers ont facilité et permis l’implication des familles qui ont contribué à leur élaboration (accès à leur domicile pour les photos) puis sont venues aux restitutions organisées en fin de première session expérimentale.

Une deuxième phase « les ateliers de mobilisation de nouvelles connaissances culturelles et scientifiques » a été mise en œuvre par les mêmes intervenants, exceptées les 6 stagiaires futures professeures des écoles : notamment l’étudiante en FLE, et la médiatrice artistique. Sont alors nouvellement mobilisés cinq enseignants de l’école du secteur, une association de médiation sur la vulgarisation scientifique par le jeu théâtral, deux animateurs d’Escape Game et deux psychologues :

  • Atelier 8 : Capsules vidéo en QR codes disséminées dans le quartier : vulgarisation scientifique sous forme de chasse aux trésors et déambulation. Les enfants ont été très participatifs sur des contenus scientifiques d’accès difficile car la forme était très attractive et inhabituelle.
  • Atelier 9 : Compréhension du vocabulaire des chansons de la chorale de l’association : hymne européen, chanson sur les addictions (réseaux sociaux, alcool, drogues), et sur le quartier.
  • Atelier 10 : Reportage photos par les enfants dans les maisons des familles et exposition au festival international de photographies.
  • Atelier 11 : Escape Game avec des casques de réalité virtuelle avec accompagnement par des psychologues spécialisés sur l’accès aux droits et à la santé : les enfants ont été très performants et solidaires.
  • Atelier 12 : Déplacement en soirée des enfants à l’école du secteur en mini bus pour travailler sur des activités scolaires classiques par petits groupes (2 à 4 enfants) avec les professeurs des écoles de l’école du secteur.

Les observations récoltées par les médiateurs, incluant les psychologues dans la phase 2, lors de ces ateliers non obligatoires dans l’expérimentation, ont été par exemple les suivants.

L’intérêt des enfants envers ces ateliers a été mesuré par :

  • leur fréquentation aux ateliers :  elle a augmenté au cours du temps : 30 enfants présents au début et 47 à la fin
  • leurs réalisations concrètes pendant les ateliers
  • leur temps de concentration a augmenté au fur et à mesure de leur niveau d’apprentissage et donc de réalisation

En 2 mois, les étudiantes ont vu des améliorations sur les connaissances des enfants qui sont venus régulièrement aux ateliers. Quelques retours à l’école notables mais non explicitement corrélés ont été comptabilisés : 4 sont retournés à l’école après le premier mois d’ateliers.

La démarche a été bien accueillie et identifiée dans le quartier :

  • les ateliers ont permis de créer un premier travail collaboratif avec les familles : elles sont venues à l’association pour assister à la restitution des premiers ateliers et sont devenues force de proposition pour la suite des activités, notamment numériques.
  • Les parents commencent à se confier sur les raisons du décrochage de leurs enfants notamment au collège : « se retrouver seul en classe est difficile, anxiogène ».

Les types de données recueillies ont été des photos et des vidéos des ateliers avec les enfants à l’œuvre, des verbatims des parties prenantes (enfants et adultes référents : professionnels, bénévoles), des relevés statistiques des présences aux ateliers et à l’école, les mémoires des 6 stagiaires professeurs des écoles, le mémoire de l’étudiante en FLE, les travaux d’analyse et d’orientation des consultants extérieurs qui ont accompagné l’expérimentation sur un mode startup de mai à juillet 2022.

Lors de la phase 3, « Co-création d’un jeu vidéo ludo-éducatif », ces données ont fait l’objet d’une première analyse entre les médiateurs et les chefs d’entreprise (création de jeu de plateau, design, évènementiel), l’objectif de la phase 3 étant d’inciter et de motiver l’enfant à aller à l’école en créant un scénario suffisamment efficace pour intéresser le triptyque (enfant, parents, école) avec un support numérique accessible.

1.1.2. L’expérimentation : la translittératie numérique à l’œuvre entre médiations

L’expérimentation est un exemple concret de translittératie numérique dans un cadre transculturel d’intervention sociale : des enfants et des adolescents en absentéisme scolaire issus d’un quartier. Cet exemple porte pour partie sur la remédiation du passage vers l’école dans une démarche d’aller vers, par la mobilisation de compétences et de modes d’apprentissages numériques. La stratégie de remédiation propose des trajectoires expérimentales innovantes qui articulent différentes natures de médiation dont la médiation sociale et la médiation numérique. Il s’agit concrètement d’identifier et d’expérimenter de nouveaux leviers de remobilisation scolaire pour ces jeunes.

Lors de l’expérimentation, ont été observés et analysés plusieurs types de transferts de compétences numériques et analogiques vers l’école et les jeux ludo-éducatifs numériques :

  • les compétences de socialisation et de créativité développées dans la famille et son écosystème,
  • les compétences artistiques et de socialisation développées dans l’espace socioculturel associatif,
  • les compétences de manipulation des smartphones, tablettes, navigateurs WEB et applications ludiques et médiatiques (voir tableau ci-dessous) des jeunes entre pairs,
  • les compétences de calcul, expression, stratégies sur les temps de jeux ludo-éducatifs physiques proposés par les différents profils de médiateurs (enseignants, artistes, étudiants, services civiques, adulte relais, psychologue, intervenante numérique, vidéaste…),
  • les compétences inter-relationnelles entre les enfants, pendant leurs jeux traditionnels en présentiel (copains, rue, fratries) et en ligne avec les jeux multi-joueurs sur le WEB…

L’observation des pratiques numériques de ces jeunes a eu lieu pendant et entre les ateliers. Elle a permis l’analyse de leurs évolutions à partir de ces différents espaces de socialisation, de formation, et d’acquisition de compétences en savoirs, en savoir-faire et en savoir-être. Des tableaux de compétences en lien avec les référentiels de compétences scolaires ont été renseignés par les sept étudiantes stagiaires. Les pratiques numériques observées chez les 70 enfants participant à l’expérimentation montrent les fréquences d’usage suivantes :

Tableau des applications numériques en ligne utilisées par les enfants de l'expérimentation
Applications numériques en ligne utilisées par les enfants de l’expérimentation

Les réseaux sociaux et les jeux privilégiés sont ceux qui font le moins appel à l’écrit mais le plus appel à l’image fixe et animée. Le schéma ci-dessous montre les institutions dans lesquelles évoluent les 70 enfants pendant l’expérimentation ainsi que les différents types de médiations dont ils sont l’objet.

Figure : Compositions structurelles des différentes médiations co-existantes auprès des enfants :médiateurs et outils mobilisés pendant l’expérimentation
Compositions structurelles des différentes médiations co-existantes auprès des enfants :
médiateurs et outils mobilisés pendant l’expérimentation

Ces compositions structurelles (structures publiques et groupes sociaux) des différentes médiations et outils mobilisés sont autant de repères d’influence pour les enfants. Elles permettent de rendre intelligibles les liens entre les 5 espaces de socialisation et d’apprentissages des enfants. Le 6ème espace, numérique, existe de manière transversale dans les « médiations par l’outil » qui instituent des logiques d’action comme le jeu vidéo qui véhicule les valeurs, les principes et les modes de fonctionnement de ses constructeurs. Les contextes institutionnels d’usage des outils socio-techniques, comme l’école ou l’association de quartier, influent sur les modes d’utilisations : temporalités, interdits de contenus ou de formes d’utilisation (comportements appropriés).

La translittératie numérique désigne ici le transfert de compétences numériques par les enfants d’un espace à l’autre. La médiation numérique explicite et accompagne ces processus de transfert pour permettre aux enfants d’en prendre conscience et de s’autonomiser dans leurs usages. Par exemple, lors de l’atelier « Escape Game » : confrontation à un univers numérique où la place de l’écrit est déterminante pour avancer : le besoin d’un facilitateur est formulé par l’enfant. La réponse du médiateur s’inscrira dans sa logique de médiation d’appartenance : pour à la fois répondre à la demande immédiate de l’enfant et embarquer son expérience dans une réflexion pour un agir en devenir.

1.2. La distinction entre logiques de Médiations et stratégies de médiateurs

Pour comprendre la distinction entre les logiques de médiations, il convient d’analyser les évolutions des objets des médiations dans la sphère des politiques publiques et des activités libres. L’observation des tensions et des controverses sur les pratiques et les attendus permet d’inventorier les distorsions entre les logiques professionnelles des médiateurs et les logiques politiques des médiations.

Les différentes stratégies des médiateurs mises en œuvre pour « faire » et « réaliser » (Clot, 201028), relèvent effectivement de leurs référentiels métiers : « Les différentes théorisations de la médiation nous engagent … à considérer les relations entre individualités, représentations et sociabilités. » (Gadras, 201029). La spécification des champs d’intervention des médiateurs, dans un cadre de dispositif public, définit de fait la nature de leur activité et par conséquent leurs conditions d’emploi et d’exercice économique et administratif (statuts, rémunérations, profils de poste), professionnel (métiers, compétences, modalités possibles d’exercice pédagogique, offres de formations).

1.2.1. Le métier de médiateur numérique : une histoire de dispositifs publics à caractère social

La question La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ? interroge la formation et la qualification des métiers de la médiation numérique mobilisés sur la translittératie numérique.

La qualification et la formation de tout médiateur dépend de son cœur de métier et de son statut qui résulte lui-même des dispositifs publics ou privés en cours. Ces dispositifs sont la concrétisation de perceptions politiques structurelles et conjoncturelles pour résoudre des urgences et des problèmes fluctuants selon les actualités socio-politiques. Dans les années 2000, l’urgence était la lutte contre le chômage et la mise à niveau des demandeurs d’emploi à grand renfort de production de « CV / lettre de motivation ». Dans les années 2010, il est attendu de tous les demandeurs d’emploi, la maîtrise du socle de compétences numériques de base30 énoncé par la DGEFP (Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle) . Dans les années 2015, le développement de l’e-administration impose aux médiateurs numériques de former l’ensemble de la population à la maîtrise des formulaires administratifs en ligne. En 2020, le développement de l’e-commerce (« Clic and Collect ») et de « Stop Covid » fait que l’ANCT (Agence nationale de la Cohésion des Territoires) fournit un numéro vert d’assistance téléphonique en médiation numérique ouvert à tous, puis transforme les Maisons de Services Au Public (MSAP) en Maisons France Services (MFS).

L’accompagnement et la formation au numérique de la population non éligible à la formation professionnelle au numérique initialement prises en charge par les médiateurs numériques s’étend dès lors à l’ensemble des travailleurs sociaux.

1.2.2. Illectronisme : des besoins de médiations sociales et numériques

La médiation numérique est une figure centrale des démarches de lutte contre l’illectronisme au même titre que la médiation sociale l’est dans la lutte contre l’illettrisme ainsi que la médiation culturelle l’est depuis quelques années dans le domaine des Arts et des Cultures. Ces types de médiations ne relèvent pas de la stricte acception juridique de la médiation au sens de négociation. Ces médiations renvoient néanmoins à une forme de négociation avec soi-même : entrer dans un processus de transformation de soi (compréhension, regard, point de vue, …) soutenu ou non (autodidactes) par des tiers (humains ou outils). La médiation sociale et la médiation culturelle sont également convoquées depuis l’origine du développement des outils numériques en soutien aux populations nécessitant une assistance particulière pour leur inclusion numérique. Il s’agit là de soutiens à visée de compensation de difficultés de santé et de nature sociale (socio-économique) ou culturelle : éducative et socioculturelle (déficits de culture administrative, culture documentaire, illettrisme, codes conversationnels, …).

Concernant le processus de la translittératie numérique et le domaine de la lutte contre l’illectronisme, la théorie des champs éclaire ce qui se noue sur ce sujet de l’autonomisation progressive de domaines d’activité (Bourdieu, 202231). La translittératie numérique se trouve à la croisée de plusieurs champs de médiations, dès lors répondre à la question initiale de fusion de la médiation numérique dans la médiation sociale nécessite de répondre à des questions intermédiaires et situées. Par exemple, celle posée par notre terrain d’expérimentation, serait : la médiation numérique et la médiation sociale sont-elles réductibles l’une à l’autre quand il s’agit d’une logique d’inclusion socio-numérique s’inscrivant dans une dynamique d’égalité des chances ? Cet exemple de problématique nécessite même d’inclure deux autres points de vue : celui de la formation initiale normée par l’Éducation Nationale et celui pluriel de l’éducation populaire, toutes deux génératrices de médiations et de médiateurs spécifiques.

Le capital culturel mobilisable de chacun est inégal pour appréhender l’innovation permanente du secteur du numérique. Dans une société numérique, la maîtrise de l’environnement socio-numérique et des logiques générales de l’innovation sont des prérequis technologiques et socio-économiques incontournables pour faire face à l’incertitude du changement permanent. La société numérique a fait émerger une nouvelle capacité à acquérir, le « Savoir Devenir » : la maîtrise du numérique est un des leviers de l’émancipation sociale (Frau Meigs, 2019). De nature environnementale, cette maîtrise nécessite un corpus de compétences socio-techniques et socio-culturelles : elle s’inscrit dans le phénomène de l’« habitus » (Bourdieu, 197232).

1.2.3. Fractures numériques économiques et culturelles : médier la translittératie numérique

Des fractures numériques économiques et matérielles aux fractures numériques ergonomiques et culturelles, la médiation numérique est-elle par nature socio-économique ou universelle ? En 2013, le rapport du Conseil National du Numérique sur la littératie numérique (CnNum, 201333) a documenté, à la demande de l’État, l’étendue de l’illectronisme dans la population générale française face à une innovation numérique renouvelée et sans cesse en accélération. Ce rapport faisait suite à de nombreux travaux universitaires déjà existants sur le sujet (Turet, 201834). La question de la nature socio-professionnelle, culturelle, et générationnelle des fractures numériques est ajoutée officiellement aux analyses antérieures.

L’illectronisme doit alors être combattu par des améliorations ergonomiques réalisées par les producteurs de matériels, de logiciels et de services en ligne. De nouvelles pratiques de production dites de développement en mode agile centrées sur l’expérience des utilisateurs (« UX ») sont déployées. L’État encourage via des dispositifs publics une dématérialisation qui passe par un intérêt pensé comme commun, allant de la simplification à la protection des usagers.

L’actualisation renouvelée du Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité (RGAA) pour les personnes en situation de handicap fait partie de cet arsenal. Le Règlement Général de la Protection des Données (RGPD) éduque la population et fournit des outils de protection des données personnelles. Le lancement du dispositif Démarches simplifiées de l’Observatoire des services en ligne de l’administration et de l’outil « Vox Usagers »35 soutiennent un accès facilité à une e-administration ouverte sur les smartphones. Mais toutes ces approches visant la simplification de l’utilisation procédurale des outils ne parviennent pas à compenser un illectronisme socio-culturel rendu encore plus visible par la pandémie. La nécessité d’autonomie numérique non seulement opératoire mais aussi stratège, en situation de confinement (télétravail, e.commerce, e.administration, associative…) est, depuis mars 2020, devenue indispensable tant le numérique a été placé au centre du fonctionnement socio-économique et culturel de la France.

Dès le premier confinement, l’État est contraint de lancer deux dispositifs d’urgence : une assistance téléphonique36 soutenue par le secteur de la médiation numérique (le 2 avril 2020) et la mise à disposition des collectivités territoriales d’une nouvelle cohorte de médiateurs numériques : les conseillers numériques France services (CNFS). Ceux-ci sont les derniers nés d’une longue liste de médiateurs numériques subventionnés – Cf. emplois aidés : « emplois jeunes » en 2000, « emplois d’avenirs numériques » en 2012 (Oulahbib, Turet, 201737), « services civiques numériques » (2014). Ces dispositifs d’urgence visent prioritairement des bénéficiaires dans l’incapacité d’accéder aux services publics dématérialisés pour des raisons multiples qui relèvent de situations de handicap de différentes natures face au numérique : physiologiques, cognitifs, culturels, économiques, psychologiques.

1.2.4. Médiation numérique et continuité éducative pendant les confinements

Durant cette même période, l’Éducation Nationale, pour assurer la continuité de son service public a dû recourir aux outils numériques. Cet impératif lié à une situation extraordinaire a mis en exergue une fracture numérique des élèves et d’une partie des enseignants démultipliée par des conditions familiales d’accompagnement très diverses, jusqu’à ne pas permettre la continuité pédagogique pour les enfants (Escobar, 200738).

Pendant le confinement, la continuité éducative a été interrompue notamment faute d’équipement informatique des élèves. Cette période a cristallisé la déscolarisation des enfants qui étaient dans ce parcours, et d’autres issus de certaines cartographies urbaines, comme les enfants issus de quartiers pouvant être déjà déscolarisés à 70 % avant le confinement. La majorité des enfants issus de ces quartiers ne fréquente pas ou très peu les établissements scolaires de proximité au contraire des structures socio-culturelles.

Dans le cas de notre expérimentation, les enfants du quartier sont en contact avec le numérique via des pratiques diffusées par leur écosystème : pairs, familles et modélisations quotidiennes proposées par différents canaux. L’usage des smartphones est répandu mais ils n’émargent pas aux dispositifs publics dont ils ne sont pas des cibles identifiées et souvent éloignées. Ils ont découvert pendant l’expérimentation les tablettes diffusées dans les écoles au titre de la continuité pédagogique pendant le confinement  par une fédération d’éducation populaire venue en soutien.

La conduite de l’expérimentation a montré l’émergence de discontinuités voire de conflits de logiques et de champs d’actions entre les médiations et les médiateurs. La deuxième partie de l’expérimentation vise à articuler les interventions entre les médiations et les médiateurs pour identifier des aménagements plus fluides favorables à une mise en synergie.

La semaine prochaine, dans la deuxième partie de l’article, nous aborderons donc une réflexion sur les articulations et les dynamiques de ces différentes natures de médiations pour qu’elles fassent système afin de guider à « savoir devenir ».




ChatGPT, Bard et cie : nouvelle course à l’IA, et pourquoi faire déjà ?

Google va ajouter de l’IA générative dans Gmail et Docs. Énième actualité d’un feuilleton permanent depuis « l’irruption » de ChatGPT. Et chez moi, un sentiment de malaise, d’incompréhension, et même de colère.

Qu’est-ce que ChatGPT ? Qu’est-ce que l’IA39 ? Ce sont d’abord d’immenses infrastructures : les câbles sous-marins, les serveurs des datacenters, mais aussi nos ordinateurs et nos smartphones. Donc ce sont des terres rares et des minerais, dégueulasses à excaver et à purifier (heureusement un jour il n’y en aura plus40). Ensuite, c’est du traitement MASSIF de données. Du vrai gavage de programmes d’apprentissages par des quantités phénoménales de données. C’est donc des infrastructures (encore) et de l’énergie. Une quantité phénoménale d’énergie, très largement carbonée. Enfin, c’est beaucoup de main-d’œuvre sous-payée pour entraîner, tester, et entretenir les systèmes d’IA. ChatGPT, il ne faut pas l’oublier, ce n’est que la face émergée d’un très très gros iceberg. Très gros et très sale.

vue d'une vallée étroite et du cheminement de mineurs vers une mine de cobalt

Ce n’est pas un film. ÇA, c’est l’ambiance dans une mine de cobalt.

Image issue du documentaire d’Arte : Cobalt, l’envers du rêve électrique

Bref, développer une IA a un coût environnemental et humain énorme (et largement opaque), ce n’est pas que du code informatique tout propre. À la rigueur, si le rapport coût/bénéfice était largement positif… Par exemple, si l’IA développée permettait des économies d’énergie de 30 % dans le monde, ou qu’elle permettait de mieux gérer les flux alimentaires et donc d’endiguer la faim, alors on pourrait sérieusement discuter de moralité (est-ce acceptable de détruire la planète et d’exploiter des humains pour sauver la planète et d’autres humains ?).

Mais à quoi servent ces IA génératives ? Pour le moment, à faire joujou, principalement. À chanter les louanges de l’innovation, évidemment. À se faire peur sur l’éternelle question du dépassement de l’humain par la machine, bien sûr. Et ensuite ? Supprimer des postes dans des domaines plutôt créatifs et valorisés ? Défoncer les droits d’auteur en pillant leur travail via des données amassées sans régulation ? Gagner un peu de temps en rédigeant ses mails et ses documents ? Transformer encore un peu plus les moteurs de recherche en moteurs de réponses (avec tous les risques que ça comporte) ? Est-ce bien sérieux ? Est-ce bien acceptable ?

copie d'écran d'un site "cadremploi", avec ce texte "comment s'aider de chatgpt pour rédiger sa lettre de motivation - ChatGPT est une intelligence artificielle capable de rédiger des contenus à votre place.
C’est ça, le principal défi du siècle que les technologies doivent nous aider à relever ???

Tout ça me laisse interrogateur, et même, en pleine urgence environnementale et sociale, ça me révolte. À un moment, on ne peut pas continuer d’alerter sur l’impact environnemental réel et croissant du numérique, et s’enthousiasmer pour des produits comme ChatGPT et consorts. Or souvent, ce sont les mêmes qui le font ! Ce qui me révolte, c’est que toute cette exploitation humaine et naturelle41, inhérente à la construction des Intelligences Artificielles, est tellement loin de ChatGPT que nous ne la voyons pas, ou plus, et nous ne voulons pas la voir. Cela se traduit par tous les messages, enthousiastes et même volubiles, postés quotidiennement, sans mauvaise intention de la plupart de leurs auteur⋅ice⋅s.

Symboliquement, je propose de boycotter ces technologies d’IA génératives. Je ne suis heureusement pas utilisateur de Google et Microsoft, qui veulent en mettre à toutes les sauces (pour quoi faire ?). J’espère que mes éditeurs de services numériques (a priori plus éthiques) ne céderont pas un pouce de leurs valeurs à cette hype mortifère…

schéma mettant en relation par des flèches bi-directionnelles : Le numérique acceptable :Emancipateur et non aliénant /Choisi et non subi / Soutenable humainement et environnementalement
Au vu de ce qu’elles apportent, les IA génératives sont-elles vraiment soutenables humainement et environnementalement ? Je ne le crois pas.

Pour poursuivre sa lecture et ses réflexions




Médiation sociale et médiation numérique : solubilité ou symbiose ?

Cette semaine, le collectif « Lost in médiation » vous invite à découvrir les réflexions de Garlann Nizon et Stéphane Gardé. Bonne lecture !

Garlann Nizon est cheffe de projet, formatrice, consultante en inclusion numérique, entrepreneure salariée associée à la CAE PRISME et administratrice à la coopérative La MedNum.
Stéphane Gardé est consultant-formateur à La Coop Num, entrepreneur salarié associé au sein de la CAE-SCOP auvergnate Appuy Créateurs. Dans la médiation numérique depuis presque 20 ans, il tire son expertise d’accompagnement des publics en fragilité de 11 années passées au milieu des caravanes avec les Gens du Voyage du Puy de Dôme, notamment au volant d’un camion multimédia en tant que chargé de projet numérique. Il apprend alors AVEC les publics en « fragilité linguistique et numérique ». Depuis, il développe une activité de formation, d’ingénierie et de conseil pour des acteurs publics et privés en France et en Belgique. Il accompagne également la « transition numérique » dans des secteurs variés (social et médico-social, etc.) avec comme démarche : la coopération et l’humain au centre.

Solubilité ?

Si l’on considère que la solubilité est la « capacité d’une substance […] à se dissoudre dans une autre […] pour former un mélange homogène » (merci aux contributeurs de Wikipédia !), la question telle qu’elle est posée, interroge la dissolution de la médiation numérique dans la médiation sociale. Si le résultat est censé être homogène, il serait néanmoins l’émanation de la médiation sociale. Dans un mélange soluble, l’un se perd au profit de l’autre avec à terme le risque que l’un disparaisse, perdant son identité propre.

Ramené à la médiation, le risque pourrait être dans ce cas de réduire et limiter la médiation numérique à l’accès aux droits, à la problématique de la dématérialisation ou de la numérisation de la relation aux usagers par les opérateurs de services publics et des exclusions qui en découlent. Ce faisant, nous serions alors dans une disparition de l’une comme de l’autre, au détriment de l’une comme l’autre, se réduisant à une vision technico-technique ou technico-administrative de ces problématiques, perdant de vue que ce qui est au centre n’est finalement pas le numérique, mais l’humain. De plus, la prise en compte de l’humain dans toutes ses dimensions (militantes, professionnelles, parentales, etc.) permet une démarche holistique nécessaire et favorable à la porosité et à l’innovation sociale.

Une question supplémentaire peut même légitimement se poser : quel serait l’intérêt de cette solubilité ? Une chose est claire : le constat de ces problématiques de non-accès ou de rupture de droits existe bel et bien de façon partagée, là n’est pas la question, et les conséquences qui en découlent pour les usagers sont bien réelles, se traduisant par des difficultés que les uns ou les autres côtoient régulièrement. Pour autant, la personne ne se réduit pas non plus à ses « droits » et « devoirs » : elle se construit aussi dans ce qu’elle peut entrevoir de « possible ». En cela, la médiation numérique accompagne l’émancipation avec/par le numérique, comme vecteur de capacitation et d’expression des capabilités (voir à ce sujet le projet ANR #CAPACITY FING-M@rsoin, ou plus largement les travaux notamment de J.F. Marchandise, P. Plantard).

Symbiose ?

La symbiose quant à elle est « une association intime, durable entre deux organismes […]. La symbiose sous-entend le plus souvent une relation mutualiste, dans laquelle les deux organismes bénéficient de l’association » (merci bis aux contributeurs de Wikipédia !). La symbiose apparaît donc comme « réciproquement profitable », et avec l’idée de réciprocité, les possibilités de collaborations, coconstructions, coopérations. Ramenée à notre sujet, cette association n’est-elle pas même aujourd’hui incontournable ?

Pourquoi incontournable ?

Si un médiateur numérique n’est pas un médiateur social, et réciproquement, pour autant il y a un espace commun. Et définir les communs, c’est aussi affirmer et reconnaître les spécificités. Diluer risque de nous faire perdre l’un et l’autre et de fait les collaborations enrichissantes pour l’un comme pour l’autre. Autre aspect : la culture numérique est aujourd’hui nécessaire pour comprendre le monde qui nous entoure.

La médiation numérique œuvre dans une démarche d’éducation populaire, de formation tout au long de la vie dans une optique d’émancipation des individus.

Ces éléments constituent, de notre point de vue, l’ADN de la médiation numérique. La médiation numérique doit permettre « de renforcer les contre-pouvoirs » pour éveiller les consciences et « encourager une vigilance citoyenne », de « s’émanciper du cadre de la société » à laquelle nous appartenons, pour en être acteur, pour la transformer (cf. Dominique Cardon, sociologue42).

Pourquoi « réciproquement profitable » ?

L’aspect transversal du numérique et de proximité permet de faire émerger des projets, des interactions entre habitants (échelon de proximité), des échanges, des brassages de population, puis des démarches « tiers lieux » et donc l’innovation sociale, dont peut bénéficier tout un territoire.

Pourquoi « durable » ?

Quid des métiers et comment assurer une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et assurer une évolution parallèle aux évolutions des pratiques, techniques et usages ? Des postures hybrides existent déjà en ce sens, ayant investi cet espace commun en « médiation sociale numérique », comme celles du Réseau national Pimms Médiation. Travailler les complémentarités, l’espace commun, exige de reconnaître les spécificités initiales et de les renforcer. Ceci doit se faire dans une perspective métier qui tienne compte de ces évolutions sociétales et des besoins qui en découlent, afin d’accompagner la nécessaire évolution des pratiques professionnelles. L’évaluation et la formation continue permettront d’assurer la reconnaissance de ce métier exigeant, de proposer des cursus de formation ambitieux menées par des équipes pédagogiques réellement efficientes.

Cela pourrait éventuellement passer par l’évolution du titre professionnel « responsable d’espace de médiation numérique » (REMN) avec la reconnaissance d’un tronc commun et la création de branches spécialisées, centrées sur les espaces partagés : parallèle avec la médecine générale et spécialisée.

Pour autant, de notre point de vue, la médiation numérique n’est pas un médicament dont l’objet serait la réduction de « fractures », encore moins essentiellement centré sur le corps administratif.

Mais cela permettrait justement d’apporter une réponse spécifique à des problématiques qui le sont tout autant, avec un cadre précis et issu d’une spécialisation, sans engager l’ensemble de la profession dont ce n’est pas la vocation initiale. Cela pourrait ainsi contribuer à définir/clarifier/outiller/former des médiateurs numériques dont les rôles et places sont forcément différents selon qu’ils sont en médiathèque, dans une association, en Espace France Services ou bien en Maisons des Solidarités d’une direction d’action sociale, mais aussi en centre urbain ou milieu rural tenant compte de la typologie du territoire et des acteurs absents ou présents, car ceci a un impact fort sur les demandes, les attentes et les besoins des publics bénéficiaires.

L’une de ces spécialisations pourrait porter sur l’accompagnement vers l’accès/le maintien des droits – cet espace commun entre médiation sociale, le travail social et la médiation numérique. Ainsi que d’autres diplômes avec niveau infra et supra pour proposer une véritable filière avec des possibilités d’évolutions au long de la carrière ce qui manque cruellement à ce jour.

Réinventer les médiations ou faire évoluer les pratiques professionnelles ?

Les médiations sont donc multiples et si le commun est ici le numérique, l’origine des aidants est diverse, les rôles et places distincts.

L’enjeu énoncé en 2013 par le CNNum a évolué et nous devons sans cesse « réinventer les médiations à l’ère du numérique », requestionnant les périmètres et les pratiques professionnelles dans des contextes évolutifs et ce, pour chaque typologie d’aidant.

Dans leur article « Répondre aux demandes d’aide numérique : troubles dans la professionnalité des travailleurs sociaux43», Pierre Mazet et François Sorin décrivent et interrogent les impacts du numérique dans le travail social. « Faire à la place de » interroge le périmètre des professionnels et leurs propres pratiques numériques. Se pose ainsi la question de la légitimité, de la compétence, de la formation initiale ou continue. « Faire avec » bouscule une pratique professionnelle qui évolue ou se doit d’évoluer car les besoins eux-mêmes évoluent, ainsi que les contextes. Cela est finalement commun à tous les aidants. A titre d’exemple, considérons une question qui se fait entendre aujourd’hui dans les territoires : quelle complémentarité existe-t-il entre les conseillers numériques – et plus largement les médiateurs numériques – et les Espaces France Services (EFS) ?

Outiller, former (formation initiale et continue) et professionnaliser les aidants en clarifiant les périmètres et les pratiques professionnelles, les rôles et places de chacun, structurer les réseaux et travailler sur les complémentarités en définissant précisément ces espaces communs et quels acteurs peuvent les investir, aux différents échelons territoriaux : tels nous apparaissent aujourd’hui les enjeux. Cela fait écho aux perspectives des CTIN (Coordination Territoriale pour l’Inclusion Numérique), ou encore à la réflexion sur les « articulations entre travail social, médiation sociale et médiation numérique ? », amorcée dans la fiche technique du HCTS en 2018.

Cela nécessite également de croiser :

  • les missions de la coopérative nationale des acteurs de la médiation numérique La MedNum,
  • les projets des hubs territoriaux pour un numérique inclusif,
  • les compétences des différents acteurs de la médiation numérique (entendue comme « pratique ») et de l’inclusion numérique (entendue comme « enjeu »), qu’ils soient acteurs de l’accompagnement, de la formation, de l’ingénierie, etc.

afin que toute la filière de la médiation numérique en soit, par la reconnaissance, non seulement valorisée, mais retrouve son existence propre dans une dynamique mise à jour, tout en respectant ses diversités et en favorisant les complémentarités.

En conclusion (provisoire !)

« Personne n’éduque autrui. Personne ne s’éduque seul. Les hommes s’éduquent ensemble au contact du monde » (Paulo Freire)

Par ces mots nous pouvons faire le parallèle entre les liens originels étroits éducation populaire/médiation numérique et l’apprentissage de l’écrit vu par l’« alphabétisation populaire » au sens du pédagogue brésilien Paulo Freire.

Entrer dans l’écrit ou le numérique peut se faire de mille et une manières. Une entrée autre que par « l’utile » est non seulement possible, mais sans aucun doute « souhaitable » pour contribuer à rendre le sujet acteur de son émancipation et écrire sa propre histoire, en territoire numérique ou non.

Quoi qu’il en soit, « nous aurons toujours besoin de médiateurs, avec bien entendu des rôles très variables en fonction des publics, des services, des territoires. Ces fonctions couvrent et continueront de couvrir un large éventail, de la simple explication à la formation, de l’adaptation à la réparation, de l’assistance à la gestion de conflit, de l’aide à la qualité de service, etc. […] Dans une société où les besoins d’accompagnement et de proximité se renouvellent sans cesse, nous devons installer des médiations durables qui s’appuient sur le numérique »44.

Un grand merci à Garlann Nizon et Stéphane Gardé d’avoir partagé avec nous leurs réflexions. Si celles-ci vous font réagir, n’hésitez pas à partager les vôtres en commentaires. On en remet une couche (de réflexion) dès la semaine prochaine…




PVH éditions et Ludomire : édités, libérés

Le 12 janvier dernier, PVH éditions a annoncé la libération de sa collection Ludomire. Vu la faible fréquence de ce genre de démarche dans le milieu de l’édition traditionnelle, nous avons eu envie d’aller interroger ce courageux éditeur suisse.

Rencontre avec un éditeur qui libère

Bonjour, pourriez-vous tout d’abord présenter rapidement PVH éditions, son histoire et catalogue ?

PVH éditions est une maison d’édition franco-suisse spécialisée dans la science-fiction, la fantasy et le fantastique, qu’on appelle parfois « littérature de l’Imaginaire » mais je préfère dire SFFF qui rend mieux compte de tous les genres et sous-genres qu’il renferme. Notre activité éditoriale a démarré en 2014, mais nous nous sommes réellement professionnalisés fin 2020. C’est à ce moment où tout s’est accéléré : en deux ans nous avons doublé la taille de notre catalogue, embauché six personnes et obtenu un contrat de diffusion auprès de CED-CEDIF (distribution Pollen).

Pendant les premières années, nous avons beaucoup expérimenté : livre de voyage, jeu de société, etc. Mais en 2021, nous avons resserré notre catalogue qui comprend essentiellement la collection Ludomire (16 romans et recueils de nouvelles), la collection Bretteur (4 romans et recueils de contes), quelques coéditions en jeu de rôle (Mississippi et Oreinidia) et des essais décalés autour de Bitcoin (Objective Thune et La monnaie à pétales).

Couverture de Ceux qui changent

Malgré les évolutions de ces dernières années, l’ADN de PVH éditions reste celle du début : il s’agit d’un projet artistique un peu fou de deux amis, Christophe Gérard et moi. Le caractère bicéphale et binational s’incarne dans deux structures : PVH éditions, dirigé par moi-même à Neuchâtel en Suisse, et PVH Labs, dirigé par Christophe à Montboillon en Haute-Saône (France). L’équipe de quatre personnes de PVH éditions se charge du développement éditorial : édition de livres, projets de traduction, etc. Celle de PVH Labs, quatre personnes également, se charge du développement software, de la commercialisation dans l’UE et un studio de production de nouveaux formats pour nos romans.

Ainsi en ce début 2023, nous commençons une nouvelle phase de la pérennisation de notre structure. L’enjeu est de faire connaître nos auteurs et nos livres et mener à bien deux projets d’envergure : les développements et le lancement de notre boutique en ligne p2p, La Bookinerie, et de nos Romans augmentés. Ces deux projets, basés sur des logiciels libres, sont liés à la libération de la collection Ludomire.

Vous avez décidé de basculer une partie de votre catalogue, à savoir la collection Ludomire, sous licence libre, comment est née cette envie, et pourquoi le faire ?

L’envie a toujours été là. La question devrait être : pourquoi ne l’avons-nous pas fait avant ? Pour ma part, je m’intéresse aux logiciels libres depuis bien longtemps et j’en utilise autant que possible. Je me suis beaucoup intéressé aux licences Creative Commons bien avant d’être éditeur. J’ai suivi les expériences créatives de Ploum et Thierry Crouzet sur leurs blogs. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si j’ai édité certaines de leurs œuvres. Dès 2020, nous avons inscrit dans notre ligne éditoriale notre « intérêt pour la culture libre ». En 2021, nous avons lancé le format print@home sous licence CC BY-NC-SA. La libération des œuvres s’inscrit dans notre ADN, dans une suite logique.

Couverture de One Minute

Alors je la pose : pourquoi ne l’avez-vous pas fait avant ?

Quand on a démarré l’édition, on avait beaucoup de choses à apprendre, à mettre en place. Notre objectif était avant tout de sortir des beaux livres et de rentrer dans nos sous. Rester dans les clous est clairement un confort, on discute avec d’autres éditeurs, on reprend les modèles de contrats que l’on nous partage. L’utilisation de licences libres n’était pas une priorité, même si c’était une envie.

J’avais également le sentiment que libérer des œuvres, comme ça, sans projet, ça aurait été un peu bidon. Pourquoi libérer des œuvres si on continue à fonctionner de la même manière que quand on utilisait un copyright ? Je pense que j’avais besoin de réfléchir au sens d’une telle démarche selon le prisme de l’éditeur. Nous avions également besoin d’arriver à un point de stabilité chez PVH éditions qui nous permette de nous investir dans une telle transformation. Et surtout, je voulais inscrire cette libération dans un projet éditorial ambitieux et cohérent.

C’est ainsi que notre diffusion en France et en Belgique (signée en juillet et en place depuis novembre 2022) a apporté le temps et la stabilité qui m’a permis de préparer cette libération pendant le deuxième semestre 2022. En décembre, nous avons obtenu un financement public important pour la mise en place de notre boutique en ligne p2p, La Bookinerie, sur 2023 et 2024. À présent, si j’ose dire, je déroule un programme mûrement réfléchi.

Vous parlez de la question des répercussions avec les partenaires, quel accueil a reçu votre idée ? Comment ont réagi les collègues éditeurs ? David Revoy avait eu pas mal de souci à l’époque de la première édition chez Glénat de Pepper & Carrot, vous n’êtes pas inquiets ?

Pour le moment, je n’ai pas de retour négatif. Mon diffuseur semble intrigué et il y voit une opportunité pour encore mieux mettre en valeur la collection Ludomire auprès des libraires. Dernièrement, j’ai eu des discussions avec un éditeur européen pour faire traduire certaines œuvres, et il m’a dit : « No problem, I like copyleft ». J’ai également l’impression que le choix d’une telle licence peut être bien vu pour obtenir de l’argent public, même si je pense qu’ils s’en fichent un peu. C’est plutôt encourageant non ?

Clairement, j’avais certaines inquiétudes mais je n’en ai plus vraiment. En réalité, on en fait une énormité mais j’ai surtout l’impression que la plupart des gens se fichent bien de la licence. C’est surtout dans des projets d’adaptation que ça aura de l’importance. Je vous tiendrai au courant.

Couverture de L’héritage des sombres

Pour beaucoup, libérer des œuvres, cela revient à dire qu’elles sont gratuites. Vous venez de l’édition traditionnelle, n’êtes pas des utopistes et avez dû faire quelques calculs. Comment envisagez-vous les choses, financièrement parlant ?

Bien entendu que j’ai fait mes calculs (même si parfois on navigue au doigt mouillé). En réalité, il était important d’assurer une base solide : une belle collection proposée en librairie, des sorties régulières déjà planifiées. La libération de la collection Ludomire n’aura pas d’effet négatif sur ce socle. Le fait que le livre sera disponible gratuitement en version numérique n’aura pas d’influence sur les ventes en librairie. C’est ce que j’ai aussi constaté avec les œuvres de Ploum, qui invitait (avec ma bénédiction) à télécharger gratuitement les e-books. Ça n’a pas empêché Printeurs d’être notre meilleure vente e-book.

Clairement, je pense que cette libération ne peut qu’avoir un effet bénéfique : gagner en visibilité dans les médias, toucher de nouveaux publics, renforcer l’engagement de nos lecteurs. La Bookinerie, qui sera en gros un outil de crowdfunding autohébergé et sans intermédiaire, pourrait être une source financière complémentaire. On est clairement dans l’expérimentation.

Vous avez choisi la licence CC BY SA, qui place les œuvres dans les Communs, et qui est donc plus complexe à intégrer dans des circuits classiques, alors que d’autres licences libres moins engagées existaient (CC BY notamment). Qu’est ce qui a motivé ce choix ?

Nous avons publié un article pour expliquer le choix de notre licence. J’y explique en gros que selon moi pour un éditeur, il y a le choix du copyright ou le choix du copyleft. Le CC BY n’offre aucun avantage et permet la prédation. En tant qu’éditeur, notre métier consiste à exploiter des œuvres et leurs dérivés, soit on les conserve jalousement, soit on espère que d’autres nous aideront à les exploiter. Laisser la possibilité à d’autres de refermer la licence ne nous est donc d’aucune aide.

Après oui, c’est aussi un choix engagé. Si cela ne tenait qu’à moi, la propriété intellectuelle serait abolie, c’est selon moi un archaïsme. Mais c’est aussi un choix pragmatique qui permet de me démarquer des autres éditeurs de SFFF. J’ai également l’intime conviction que le monde de l’édition a besoin de se réinventer pour survivre. La propriété intellectuelle ne sert que les grands acteurs qui ont les moyens de le défendre. Comme challenger, nous avons tout à gagner de sortir du cadre.

Couverture de À l’orée de la ville

Vous allez très loin dans la mise en commun, en proposant une version à imprimer soi-même. Pourquoi aller jusque là ?

Parce que nous nous intéressons à tous les lecteurs potentiels et que plus de la moitié des francophones sont en Afrique. Dans cette région du monde, l’accès au livre est compliqué pour des raisons logistiques et à cause du pouvoir d’achat. Le print@home, inspiré par la difficile accessibilité de nos livres pendant le premier confinement, est un moyen d’offrir un accès imprimé à nos livres pour ces populations. Il sera l’un des formats au cœur de notre boutique online p2p, La Bookinerie.

Et en réalité, si on réfléchit bien à la décision de libérer une œuvre, le but est de la rendre accessible soi-même dans tous les formats pertinents et d’en être la source originelle. C’est ainsi qu’on peut cultiver un public et promouvoir les autres œuvres dans les mêmes formats. La logique commerciale change, je pense. Mais c’est l’expérience qui permettra d’y répondre.

Couverture de La Couronne boréale

Avez-vous un workflow basé sur des outils libres, également ? Si oui, envisagez-vous de le partager ?

La boutique online p2p est un projet de logiciel libre. Il sera bien entendu partagé dès qu’il aura une version stable. Nous développons également des romans augmentés avec le logiciel Ren’Py et nous allons développer des fonctionnalités nouvelles à nos frais qui seront partagées également.

En interne, nous utilisons autant que possible Ubuntu et des logiciels libres, mais ce n’est pas très structuré. J’espère en faire une seconde étape dans le projet de libération de nos collections et de nos outils. Mais, la priorité est déjà de mener à bien la première étape et survivre. Mais il est évident que tout ce que nous développerons de solide sera partagé : contrats, logiciels, procédures, etc.

Parmi les auteurices impliqués, on retrouve des personnes comme Aquilegia Nox, Thierry Crouzet ou Ploum que tu as cités et qui avaient déjà réfléchi aux licences libres. Comment se sont déroulés les échanges avec celleux qui découvraient ? Quelles étaient leurs plus grandes interrogations, leurs plus grandes craintes ?

Effectivement, Thierry, Ploum et Aquilegia Nox sont des vétérans dans le domaine. Il n’y a pas eu besoin de beaucoup d’efforts pour les convaincre. Mais, pour les autres auteurs·rices, ça a été finalement assez facile aussi. Ils nous font confiance. Il y a deux questions qui reviennent souvent : Qu’est-ce que ça change ? Ben pas grand chose en réalité. Dans un contrat d’édition classique, l’auteur cède tous les droits (à l’exception des droits moraux inaliénables) à l’éditeur. Ils perdent de facto le contrôle de leur œuvre et ses adaptations, à discrétion de leur éditeur. L’édition sous licence libre leur redonne en partie ce droit. En gros, avant ils perdaient le contrôle de leur œuvre et ses adaptations, maintenant ils perdent toujours le contrôle mais ils récupèrent le droit de se réapproprier l’œuvre sans l’accord de l’éditeur. C’est donc une amélioration.

La seconde question concerne les détournements immoraux de l’œuvre. Sur ce point, je leur dis qu’ils conservent le droit moral pour s’opposer à des utilisations scandaleuses. Mais je les préviens surtout que dans les faits, c’est très compliqué d’empêcher des adaptations scandaleuses. Même Disney n’arrive pas à les empêcher… Il faut surtout dédramatiser et éviter l’effet Streisand.

Couverture de Printeurs

Avez-vous des espoirs, des attentes, sur ce qui pourrait advenir des œuvres ainsi libérées ? Parmi les auteurices, en connaissez-vous qui souhaitent profiter de cette opportunité pour enrichir, développer leur travail originel ?

Je n’ai pas vraiment d’attente car je ne veux pas être déçu. Je pense que la plupart des développements ou adaptations des œuvres libérées viendront des impulsions de PVH éditions ou des auteur·rices. L’approfondissement des œuvres fait partie de notre ligne éditoriale, on y travaille indépendamment du type de licence. Nous avons toujours encouragé nos auteurs à le faire et nous sommes toujours ouverts à aider à l’éclosion de projets connexes.

Dernièrement, ce n’était pas sur un roman de la collection Ludomire mais sur l’essai La monnaie à pétales nous avons reçu la contribution d’une interprétation audio du texte. Nous avons ouvert la licence de ce livre audio en CC BY-SA et il sera diffusé sur la chaîne youtube de l’interprète. Ce serait génial d’avoir de telles initiatives pour la collection Ludomire et j’espère qu’on pourra s’y associer de la même manière.

Mais mon expérience et mon instinct me disent que des initiatives personnelles externes sont rares, je pense qu’il faut surtout chercher à développer un réseau professionnel et un corpus libre commun, où tout le réseau peut piocher dedans pour développer ses propres projets. Je me dis que c’est ainsi que le copyleft pourra peut-être révéler tout son potentiel.

Couverture de Hoc est corpus

Comme souvent dans nos interviews, avez-vous envie de répondre à une question qui ne vous a pas été posée ? Vous pouvez le faire en conclusion.

On a parlé de beaucoup de licence, de projets mais nous n’avons pas parlé des livres. Et la première source de fierté dans cette collection Ludomire n’est pas sa licence mais sa qualité littéraire. Et comme vous m’en donnez l’occasion, je vais vous la présenter.

Le coffret Les Chroniques des Regards perdus, de Pascal Lovis, est une série d’heroic fantasy. Best-seller suisse, il s’agit de deux romans et une nouvelle qui séduiront les lecteurs qui aiment l’aventure et des fils narratifs entrecroisés. Pour les amateurs de fantasy, c’est une valeur sure.
Le même auteur a écrit également le diptyque Terre hantée. Il s’agit d’une œuvre de science-fiction tirant ses inspirations de films où la réalité ne semble pas être ce qu’elle est tel que The Truman Show et Matrix. Une plume efficace et expérimentée.

Le roman Printeurs et le recueil de nouvelles Le stagiaire au spatioport Omega 3000 et autres joyeusetés que nous réserve le futur sont les œuvres du libriste et blogueur Ploum, Lionel Dricot. Il s’agit d’œuvres engagées qui aborde avec un humour parfois grinçant, parfois absurde les travers de nos sociétés consuméristes basées sur le capitalisme de surveillance. Allez-y les yeux fermés, vous allez passer un bon moment !

Le coffret ONE MINUTE de Thierry Crouzet est sans doute l’opus le plus extraordinaire de la collection. Ouvrage de science-fiction inclassable, il décrit la minute la plus cruciale de l’humanité du point de vue de 380 personnes différentes à travers le monde. Comme un tableau impressionniste, chaque très court chapitre représente un point dans une fresque qui se révèle au fur et à mesure que l’on tourne les pages. Il y aborde et combine de manière surprenante des thématiques classiques de la SF, tel que le premier contact extraterrestre, la singularité informatique, l’hyperconnexion et le rapport de l’humanité avec la nature. Cette série est une expérience de lecture unique.

La série Adjaï aux mille visages, d’Aquilegia Nox, présente la vie chaotique et aventureuse d’un changelin dans le roman Ceux qui changent. Avec naturel, il aborde des questions de transidentité, de tolérance et de rapport au corps, tout en proposant un parcours de vie pleine de rebondissement et d’intrigues. Dans le recueil de nouvelles Ceux qui viennent, l’autrice approfondit son univers en y présentant d’autres lieux, d’autres cultures et d’autres personnages au destin exceptionnel. Une exploration bouleversante.

D’autres livres sortiront en mars et mai, tel qu’Hoc est corpus, roman historique fantastique pendant les croisades au royaume de Jérusalem, ou La couronne boréale, aventure littéraire et loufoque d’une bande d’archéologues à la recherche d’un artefact légendaire (ils n’ont pas de fouet, mais il y a un chat).

Vous pourriez bien découvrir nos livres chez votre libraire et, si ce n’est pas le cas, il pourra vous les commander. Ils sont également en vente en e-book et en papier sur notre site.

Et promis, on vous tiendra au courant de nos projets liés à l’art et le logiciel libres.

Pour aller plus loin




Les 100 premiers jours d’une libraire à la présidence de l’April

Trois mois… C’est fou ce que cela passe vite.

En décembre 2022, j’ai repris la présidence de l’April, l’association pour la promotion et la défense du Logiciel Libre. Cette association existe depuis 1996 et compte presque 3 000 membres. N’étant ni informaticienne, ni juriste, ni politicienne, j’avais refusé le poste quand un des anciens présidents, Lionel Allorge <3, me l’avait proposé, syndrome d’imposture inconscient sans doute. Après quinze ans dans l’association dont dix en tant qu’administratrice, c’était le bon moment pour se lancer.

Mais être présidente de l’April, ça m’engage à quoi ?

Les personnes qui se sont succédé à la présidence de l’April, Fred, Benoît, Tangui, Lionel, Jean-Christophe ou Véronique (maintenant vous connaissez leurs prénoms45) ont été confrontées à des combats, des injustices, des politiciens godillots, des messages à passer et à faire passer. Celles et ceux qui me connaissent savent que je suis dynamique, joviale, que j’aime aller vers les autres, travailler en équipe, rencontrer des libristes, construire ensemble, à plusieurs, et surtout totalement utopiste sur la société dans laquelle je souhaiterais vivre. Exigeante avec moi-même, je me suis fixé plusieurs objectifs à mener au sein de l’April dans l’année à venir même si, parfois, cela me semble irréalisable lors de mes insomnies. Heureusement, j’ai la chance d’être entourée de personnes formidables : les membres de l’équipe salariée, du conseil d’administration (CA) et les membres de l’association.

1) Se mettre à jour sur les dossiers institutionnels de l’April.

Chaque bénévole s’intéresse à ses sujets préférés, moi j’étais plutôt dans la vie de l’association, la tenue de stands, la sensibilisation. Mais, devenue présidente, j’ai dû me mettre à jour, m’informer et me tenir au courant des dossiers institutionnels que traite l’April : proposition de loi sur le contrôle parental, l’OpenBar du ministère des Armées avec Microsoft, Pacte du Logiciel Libre, Conseil d’expertise logiciels libres, Label Territoire Numérique Libre, GAFAM-Nation un rapport éclairant sur le lobbying des GAFAM en France, proposition d’évaluation des dépenses de logiciels de l’État, suivi de questions écrites, Ministère de l’Éducation nationale… pour ne citer qu’eux !

C’est assez chronophage de se documenter et de lire des articles sur des sujets avec lesquels on n’a que peu d’affinités, mais tellement intéressant, finalement, de creuser, de chercher des informations, de remonter à leurs sources. Pourquoi les médias ne s’emparent-ils pas de ces problématiques ? Pourquoi ne s’offusquent-ils pas de la domination des GAFAM et de l’inaction des politiques, des mauvaises décisions des responsables, du manque des femmes dans le numérique, du matériel propriétaire, parfois inutile et que l’on impose aux élèves… Arf !, je m’enflamme, désolée !

Des sujets me tiennent énormément à cœur, sur lesquels j’aimerais travailler comme la priorité au logiciel libre pour tous les logiciels utilisés par l’État et les administrations ; l’obligation d’interopérabilité partout ; la sobriété numérique car l’épuisement des matières premières nécessaires au numérique m’inquiète ; l’Éducation nationale qui reste sous le joug des GAFAM, je pense qu’elle doit sensibiliser les élèves à toutes les alternatives pour pouvoir faire des choix éclairés, pourquoi les prive-t-on des logiciels libres ?

Tellement de sujets et si peu d’heures dans une journée !

2) Lister et s’abonner aux différents groupes de travail

Les échanges et les travaux au sein des groupes de travail de l’April se font principalement au travers de listes de discussions auxquelles les membres peuvent s’inscrire. Et même les personnes non membres de l’association, la plupart des listes étant ouvertes à toute personne intéressée par le thème du groupe de travail. Je pensais que la présidente devait les suivre toutes (arf !!). En le faisant j’ai assisté à des réunions passionnantes et parfois passionnées, j’ai participé à des échanges de courriels enthousiastes ou parfois résignés.

Merci :

  • au groupe Éducation qui m’a bien accueillie, m’a expliqué tous les acronymes (j’en ai encore des cauchemars). Réfléchir sur la doctrine numérique du MEN, ou répondre à sa stratégie a été très formateur ! Préparer un état des lieux au sein d’un questionnaire va sûrement prendre beaucoup de temps et de ressources. C’est parti !
  • au groupe Sensibilisation qui approfondit actuellement la réalisation d’un jeu de société (le jeu du Gnou — jeu de plateau aux multiples questions introduisant aux notions du logiciel libre et de son éthique),
  • au groupe Diversité que j’essaye doucement de faire renaître de ses cendres,
  • au groupe Transcriptions que j’ai longtemps animé, qui produit une quantité incroyable de textes tirés de conférences ou d’émissions de radio, il y a toujours des relectures à faire (message peu subliminal).
  • à l’Agenda du Libre, ma présidence a remotivé Echarp qui y incorpore une nouvelle fonctionnalité, un planet des organisations du Libre… J’ai hâte de voir ce que cela va donner et je referais bien une mise à jour des associations (déjà en cours) !
  • au Chapril, à ses animsys, à ses services libres et loyaux que j’utilise au quotidien et à la modération du pouet que je réalise avec deux bénévoles chaque lundi ! Merci à Bastet, le chatons de Parinux, pour son lecteur de flux et à Framasoft pour cette incroyable initiative. <3

Désolée les groupes Admin sys, site web, Libre Association et Traductions, vous vous débrouillez très bien sans moi, je garde mon petit grain de sel. Et puis je dois reconnaître que jamais je ne pourrai tout lire :’-(.

 

Illustration réalisée avec Gégé – https://framalab.org/gknd-creator/

 

 

Plus je côtoie les groupes, plus je déplore notre manque de bénévoles. Un peu comme dans chaque association, me direz-vous, mais imaginez tout ce que l’on pourrait faire si nous étions encore plus nombreux ! Si nous étions encore plus de bénévoles !

3) Aller à la rencontre des libristes

En 2012, quand je suis entrée au conseil d’administration de l’April, je voulais me rapprocher des GULL (groupe d’utilisatrices et d’utilisateurs de Logiciels Libres) et lancer l’opération « enGULLez- vous », on m’en a empêchée sous le prétexte fallacieux que le nom prêterait à confusion. 😂 Néanmoins l’idée me plaît toujours.

L’April est souvent accusée de parisianisme : l’équipe salariée est à Paris, beaucoup de réunions s’y organisent. Les différents confinements nous ont permis de nous équiper afin d’organiser des visioconférences, chaque personne pouvant participer depuis chez elle. Et nous en avons bien profité !

Néanmoins, cela ne me suffit pas, c’est frustrant de discuter à distance. J’ai envie de renouer les liens avec les utilisatrices et utilisateurs de logiciels libres, comme lors des April Camps (réunion sur plusieurs jours dans un lieu fermé ou sont parfois organisés des from&pif’) à Marseille ou Montpellier. Et rien de tel que d’aller à leur rencontre ! J’ai donc mis en place une opération dont le nom ne pourra pas m’être refusé cette fois : Le Tour des GULL ! J’ai ainsi déjà rendu visite à Oisux (Beauvais), à Actux (Rennes) et bientôt à Linux Nantes.

 

Illustration réalisée avec Gégé – https://framalab.org/gknd-creator/

 

 

Invitez-moi et je viendrai boire parler de logiciel libre avec vous ! Les festivals recommencent aussi, bientôt les JDLL (Journée du Logiciel Libre) et les RPLL à Lyon, Passage en Seine à Choisy-le-Roi, le Capitole du Libre à Toulouse, l’Open Source Experience à Paris… J’ai hâte d’y tenir des stands, de donner des conférences ! La présidente est bien placée pour présenter l’April aux novices, répondre aux questions que les membres se posent et féliciter certaines entreprises, associations ou collectivités.

J’ai tellement hâte de m’y remettre et de revoir les personnes que je ne voyais qu’aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre.

Conclusion

Comme écrit au début de cet article, je n’ai pas vu passer ce trimestre ! Je suis reconnaissante aux libristes qui viennent à ma rencontre lors des apéros (va falloir agrandir les lieux de réunions !), aux personnes qui m’envoient des articles de presse qui les ont choquées ou ravies, aux membres du CA et à l’équipe salariée qui discutent avec moi par courriel ou par téléphone afin d’éclairer ma petite lanterne sur certains sujets.

Être présidente de l’April, c’est une aventure qui mérite d’être vécue même si ma librairie en pâtit parfois (mes clients pardonnent mes absences du moment que je continue à leur conseiller de bons livres).

Je suis épuisée (comme chaque année à cette époque, les médecins appellent ça le rhume des foins — sauf qu’il n’y a pas de foin à Paris !) mais épanouie et je me sens toujours investie d’une mission : changer le monde (en mieux) !

Si l’aventure vous tente, vous pouvez adhérer à l’April en allant sur le site de l’association ou en venant nous rencontrer lors des différents évènements que nous organisons ou auxquels nous participons, dont les prochains : l’apéro April du vendredi 24 mars, l’assemblée générale du samedi 25 mars, l’April Camp du dimanche 26 mars ou encore les JDLL (Journée du Logiciel Libre) des 1ᵉʳ et 2 avril à Lyon…

Merci d’avoir lu ce texte jusqu’au bout, je ne pensais pas qu’il serait aussi long quand j’ai commencé à l’écrire, mais que voulez-vous, l’enthousiasme ne se restreint pas !