Des statistiques plus qu’encourageantes pour OpenOffice.org

viZZZual.com - CC byUn site allemand a réalisé une étude originale sur l’usage planétaire et comparée des différentes suites bureautiques, MS Office et OpenOffice.org en tête.

L’échantillon est relativement faible (200 000 personnes) et la méthode pas forcément très fiable (à partir des polices installées sur les ordinateurs, sachant de plus qu’installation n’équivaut pas forcément à utilisation au quotidien), mais il n’empêche qu’elle dessine une carte du monde où OpenOffice.org possède une non négligeable part de marché[1].

Et qu’est-ce qui l’empêcherait de suivre la même dynamique ascendante que Firefox ? s’exclame alors un Glyn Moody des plus enthousiastes !

Remarque : Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, je signale également, mais vous le saviez déjà, que la version 3.2 vient de voir le jour avec plein d’intéressantes améliorations dedans.

L’irrésistible ascension d’OpenOffice.org a-t-elle commencé ?

Has the Irresistible Rise of OpenOffice.org Begun?

Glyn Moody – 8 février 2010 – ComputerWorld
(Traduction Framalang : Julien et Martin)

OpenOffice.org - StatistiquesLes lecteurs assidus de ce blog savent déjà que je suis un grand fan d’OpenOffice.org, et que je pense qu’il a le potentiel pour percer auprès du grand public. Peut-être que cette percée a déjà commencé, à en juger par ces récents chiffres (ci-contre) de Webmasterpro.de :

« Les statistiques ont été recueillies au moyen d’une nouvelle méthodologie : plus de 200 000 visiteurs du monde entier ont été analysés par le service de statistiques FlashCounter. En listant (via l’utilisation de Javascript) quelles polices de caractères étaient installées sur le système, nous avons pu identifier les suites bureautiques installées. »

Même répartis tout autour de la planète, ces 200 000 utilisateurs ne sont pas très nombreux, donc je prendrais ces chiffres avec des pincettes. Mais même dans leur orientation générale, ils sont assez significatifs. Par exemple, la Pologne compte 22% pour OpenOffice.org contre les 68% de Microsoft Office ; la République Tchèque compte aussi 22% contre 76% ; tandis que l’Allemagne fait bien avec 21% et 72%. Les pays suivants en ordre décroissant sont la France, l’Italie, l’Espagne, le Danemark, la Belgique, la Suède et l’Autriche.

Le Royaume-Uni, c’est presque inutile de le préciser, tourne misérablement avec 9% – comme les États-Unis – aux côtés d’un massif et moutonnier 80% d’utilisation de Microsoft Office (75% aux États-Unis). La honte.

Ce qui est intéressant dans ces chiffres – en particulier les nombres élevés dans certains pays – est que cela place OpenOffice.org dans la même position de parts de marché que Firefox occupait il y a quelques années. Ce qui soulève deux questions intéressantes. Premièrement, sommes-nous en train d’assister à l’émergence du même type de trajectoire ascendante, et deuxièmement, comment la communauté open source peut-elle propulser plus rapidement OpenOffice.org le long de cette trajectoire ?

Comme Simon Phipps l’a à juste titre souligné sur Twitter, cette rapide évolution n’est pas le meilleur moment pour qu’Ubuntu retire OpenOffice.org de sa prochaine édition pour Netbook : au contraire, il devrait faire tout son possible pour promouvoir cette suite bureautique si son souci affirmé est d’élargir l’écosystème du logiciel libre. Peut-être bien que c’est quelque chose à quoi devrait réfléchir Matt Asay dans la première semaine de sa prise de fonction en tant que Directeur général de Canonical…

Notes

[1] Crédit photo : viZZZual.com (Creative Commons By)




Microsoft en Afrique : Un véritable système d’exploitation ?

OLPC - CC byDans un récent billet nous évoquions la stratégie planétaire de Microsoft dans le secteur éducatif en nous focalisant sur une école française prise consciemment ou non dans les mailles du filet.

Voici que le blog d’André Cotte apporte de l’eau à notre moulin, en signalant et hébergeant un document intéressant rédigé par Marc-Antoine Daneau, étudiant québécois en économie et politique.

Son article évoque en effet les comportements et agissements de la société dans cette région du monde[1]. Un altruisme de façade dont s’accommode souvent fort bien les hommes au pouvoir qui ont du mal à voir plus loin que le court terme. L’état des caisses de l’État faisant le reste…

Et ce n’est pas seulement le logiciel libre qui s’en trouve bloqué mais peut-être aussi le continent tout entier.

Vous trouverez dans le document d’origine une bibliographie non reproduite ici.

L’imposition d’une dépendance : les actions de Microsoft en Afrique

URL d’origine du document (pdf)

Marc-Antoine Daneau – 24 novembre 2009
GNU Free Documentation License

Avec la bulle internet de 1995 à 2000, les technologies de l’information sont entrées de plein fouet dans la culture des pays développés. D’un réseau militaire à un réseau de recherche universitaire, l’internet s’est imposé dans les années 90 telle une révolution informationnelle encore plus rapide que celle imposée par la télévision.

Tout maintenant se trouve et se fait en ligne. Le changement a été tellement rapide qu’on ne conçoit plus la vie sociale et économique sans ce formidable moyen de communication, pis encore, moins d’une génération est passée entre l’apparition des premiers hackers[2] de Berkeley et la normalisation de l’internet en occident.

Cependant et sans grande surprise, ce qui fut une révolution dans les pays développés fut l’établissement d’un retard technologique dans les pays qui le sont moins ou ne le sont tout simplement pas.

La fracture numérique

Le territoire le plus en retard au niveau des technologies de communication est bien évidemment l’Afrique. Dans ce continent où il n’y a rien, tout est à construire, tellement que dans le domaine de la technologie informatique, on y parle de fracture numérique[3]. À propos de l’informatique et d’internet précisément, l’Afrique est terriblement en retard[4][5]. Ce problème se conçoit de deux façons, pour les Africains, il importe de réduire cette fracture numérique pour profiter de la technologie existante; pour les pays développés, il convient de voir l’Afrique comme un marché à développer.

Plus précisément, ce texte porte sur les actions la firme américaine Microsoft en Afrique. Est-ce le fait que Microsoft veuille conquérir le marché africain est à l’avantage des Africains eux-mêmes ou s’agit-il de l’exploitation classique du nord envers le sud ? Ce texte tentera de démontrer qu’agissant ainsi, une firme très importante d’un pays riche tente d’exporter une vieille et désuète technologie dans des pays pauvres.

Logiciels libres versus logiciels propriétaires

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de présenter les deux modèles économiques existant actuellement en informatique.

Le premier modèle économique est celui qui domine actuellement le marché résidentiel et commercial, soit celui du logiciel propriétaire à code source fermé. Le code source, ce qui est écrit par les programmeurs, n’est pas disponible et gardé secret, ce qui permet aux fabricants de logiciels de vendre des exécutables, des logiciels d’installation autrement dit. La logique de cette mise en marché sous-tend une affirmation générale que l’acheteur doit avoir une confiance absolue envers le fabricant de logiciels. Ce dernier affirmera, à tort ou à raison, que son logiciel est le meilleur du marché, le plus sécuritaire, le plus efficace, le moins gourmand en ressource informatique, etc. La frontière entre la véracité de ces affirmations et la publicité est bien mince et en pratique souvent impossible à déterminer. Le plus gros fabricant de logiciels au monde est Microsoft, que ce soit par son système d’exploitation, le très populaire Windows ou par sa suite bureautique aussi très populaire, Office. Il est à noter que la structure de prix des produits Microsoft maximise leur marge de profits, en étant en situation de quasi-monopole, ils vendent une trop petite quantité trop cher en plus de faire de la discrimination par les prix.

Le modèle économique[6] opposé est celui du logiciel libre, à code source ouvert, ou Linux[7]. Il est reconnu que le logiciel libre est plus stable, plus rapide et plus sécuritaire que les logiciels propriétaires du type de ceux fournis par Microsoft, en plus d’être gratuit et modifiable. Ce que vendent les compagnies qui travaillent avec du logiciel libre, c’est le service. Ce qui différencie les deux modèles au niveau de leur conception est que quand le code source est confidentiel, il est produit par une petite équipe, quand il est ouvert, tout le monde peut l’améliorer ou y ajouter des fonctions, ce qui fait que la progression du logiciel libre est beaucoup plus rapide que celle du logiciel propriétaire.

Ce sont ces deux modèles économiques qui s’affrontent pour le marché africain, d’un côté une firme américaine devenue un monstre multinational qui voit dans le lent développement de l’Afrique une occasion à ne pas manquer pour placer les Africains en position de dépendance informatique[8] s’assurant ainsi un profit maximum à long terme, de l’autre un modèle axé sur l’indépendance informatique, gratuit et adaptable selon les divers besoins. Ce qui revient à la phrase célèbre de Conficius : « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson ».

Un patrimoine de l’humanité fragile

Depuis 1998, l’UNESCO supportait les logiciels libres et en 2003 lui octroya ses titres de noblesse en les classant patrimoine mondial de l’humanité[9]. Néanmoins, le principal intéressé de ce progrès, Richard Stallman et la Free Software Foundation, mettait en garde contre la perte de liberté, du combat à mener pour l’indépendance logicielle dans une lettre adressée à l’Unesco :

But our freedom is not permanently assured. The world does not stand still, and we cannot count on having freedom five years from now, just because we have it today. Free software faces difficult challenges and dangers. It will take determined efforts to preserve our freedom, just as it took to obtain freedom in the first place[10].

Malheureusement, Stallman avait raison, mais en ayant surestimé le temps de réponse de l’industrie du logiciel propriétaire, la charge vint le 17 novembre 2004. En cette date, Microsoft devint un partenaire de l’Unesco, ce qui allait en direction opposée du constat émis par la Cnuced dans un rapport parut en 2003 qui conseillait : « aux pays en développement d’envisager d’adopter les logiciels libres en tant que moyen de combler le fossé numérique »[11].

Avec la signature de cet accord, « Microsoft va ainsi contribuer à la réduction de la fracture numérique » de quatre manières : recyclage de vieux ordinateurs personnels, formation d’enseignants en informatique dans les pays en voie de développement, ouverture d’un centre de ressources informatiques dans le Maghreb et la mise en place d’une « plate-forme pour le partage de contenus numériques ».

Avec cet accord, Microsoft s’engageait aussi à livrer des ordinateurs dans tous les pays d’Afrique, l’Unesco, toujours selon cet accord ferait en sorte que Microsoft en livre partout en Afrique même là où son intérêt économique serait diminué[12].

Il importe ici d’apporter une nuance essentielle, les enseignants qui seront formés par Microsoft le seront en fonction des produits de cette même firme, pas en fonction de l’informatique ou du fonctionnement d’un ordinateur en soit. Ainsi, quand ces enseignants feront leur boulot, ils enseigneront le fonctionnement des produits Microsoft, ils agiront comme formateurs bénévoles au profit de Microsoft et transmettront leur dépendance informatique à leurs élèves.

Cette même date, lors d’une conférence de presse à Paris, Koïchito Matsuura, directeur général de l’Unesco, affirma que « l’ONU avait reconnu le rôle du secteur privé pour lutter contre la fracture numérique »[13]. Loin de nous ici de douter des mauvaises intentions de l’ONU dans ce dossier, l’Unesco est tributaire des fonds qu’on daigne bien lui alouer, sans plus. Cependant, il est raisonnable de penser que les Africains qui voyaient dans le logiciel libre une façon de se défaire de la dépendance de ce continent sous-développé envers la monde industrisé y ont vu au pire une défaite dans ce combat de la part de leur allié que devrait être l’Unesco, au mieux une instrumentalisation de l’Unesco par Microsoft[14].

Le point de vue des activistes du logiciel libre

Cet accord ne tarda pas à faire réagir. Un peu plus d’une semaine après l’accord parait sur internet un article sur les réactions des activistes du logiciel libre à l’endroit de l’accord. Benoît Sibaud, président de l’April[15], affirmait que l’Unesco « sous-traite ses valeurs au secteur privée » et que « Microsoft détient là une bonne manière de s’infiltrer dans les pays en voie développement. Et ça ne lui coûte pas grand-chose, car il peut se rattraper sur la marge qu’il réalise sur le prix de ses licences dans les pays du Nord »[16]. L’article se termine sur l’affirmation que tant l’April que l’Unesco « s’accordent à dire que si les logiciels propriétaires peuvent aider au développement, ils ne contribuent certainement pas au développement durable ».

C’est bien là tout le problème, qu’un organisme de la trempe de l’Unesco soit pret à permettre un développement qu’il sait voué à l’échec à long terme puisque n’étant pas durable. Janvier 2005, une lettre d’opinion scandalisée est publiée par Benoît Sibaud, Frédéric Couchet[17] et Sergio Amadeu da Silveira[18] dans Libération. Ceux-ci affirment qu’« en faisant le choix du logiciel propriétaire, un État se limite à louer une technologie » au lieu de se l’approprier et de la développer. Ces 3 spécialistes et militants en faveur des logiciels libres mentionnent les spécificités linguistiques de l’Afrique et de ses multiples langues. À titre d’exemple, les auteurs de la lettre d’opinion mentionnent que le navigateur internet Mozilla Firefox a été traduit en luganda[19] « par une petite équipe de huit … utilisateurs motivés … sans financement et sans organisation formelle »[20].

En matière de sécurité informatique, les trois spécialistes cités ci-haut mentionnent que les États qui se fient à Microsoft vont même jusqu’à abdiquer une partie de leur souveraineté étant donné le caractère fermé du code de Microsoft. En effet, comme il est impossible de savoir ce qu’il contient, la sécurité et l’intégrité des données sont remises entre les mains de Microsoft à qui il faut faire confiance[21]. Il apparaît en effet inconcevable qu’un continent qui essaie de se sortir du sous-développement, et donc qui veut prendre la place qui lui revient sur les marchés, et donc dans le domaine de la recherche et du développement (R&D) puissent penser sérieusement pouvoir le faire avec des outils informatiques qui n’assurent en rien la confidentialité ou même l’intégrité de leurs données. Il est clair que d’un point de vue de la sécurité, les pays africains qui font ou feront confiance à Microsoft ouvre la porte à l’espionnage économique.

À ce sujet, la ville de Munich a parfaitement compris et mis en application ce principe, parut en 2008 sur papier, mais se préparant depuis 2001, elle a émis une “Declaration of Independence” informatique, “rather than lowering the IT costs, the main motive is the desire for stratregic independence from software suppliers”[22].

Toujours au niveau de la sécurité informatique, l’affirmation la plus surprennante arrive de la NSA : “Unfortunately, existing mainstream operating systems lack the critical security feature required for enforcing separation: mandatory access control”[23].

C’est dans cette optique qu’il est possible de conclure qu’un pays développé exporte ses vieilles technologies désuètes dans les pays en développement. Les éléments stratégiques de la sécurité nationale américaine sont protégés autant que possible par Linux, mais en même temps, une entreprise de ce même pays exporte dans des pays déjà en difficulté un produit, Microsoft Windows, qui officiellement selon le gouvernement américain n’est pas sécuritaire. Combiné à la publicité de Microsoft et d’un point de vue stratégique, il s’agit de leur vendre un produit qu’on affirme miraculeux, mais qui est dans les faits déficient et dangereux[24].

Ce qui revient à faire payer les Africains pour qu’ils obtiennent le droit à une position de faiblesse au niveau de l’espionnage économique, scientifique et politique.

Le point de vue de Microsoft

La réponse de Microsoft aux accusations d’impérialisme fut pour le moins douteuse, publiée sur le réputé site de nouvelles informatiques Zdnet.com. Le responsable de Microsoft Nigéria, Gerald Ilukwe, affirmait sans gène que le “cost is not important” pour les gouvernements africains, tout en reconnaissant que le salaire moyen d’une Africain résidant dans l’ouest du continent est de 160 dollars américains par année.

Tout comme Neil Holloway, président de Microsoft en Europe, M.Ilukwe maintient que le problème est la connaissance des technologies, et donc implicitement, que la propriété des outils de l’information est accessoire. Tel un missionnaire généreux baignant dans l’altruisme, M.Holloway affirmait “It’s not about the cost of software, it’s about how you take your expertise to people. We are sharing our expertise…”[25].

La campagne de marketing de Microsoft continua inexorablement, toujours avec le même message, Cheick Diarra, responsable des opérations de la firme en Afrique, affirma pour répondre à ses détracteurs que “I try to advise Microsoft, as an ambassador from Africa…”[26], donc, de la manière la plus sérieuse possible, le responsable des opérations africaines de Microsoft affirma être l’ambassadeur des Africains en matière de besoin informatique auprès de la firme qui le rémunère justement pour extraire de l’Afrique le peu de profit, à court terme, qu’il soit économiquement possible d’en tirer.

L’affirmation de M.Diarra dépasse largement le stade du sophisme par l’absence de logique circulaire de son affirmation. L’image que Microsoft veut avoir en Afrique est celle d’une multinationale qui agit pour le bien et le progrès de l’humanité, sans égards à sa marge de profit. Comme si l’entreprise avait une conscience morale, qui en plus d’exister, serait tournée vers l’humanitaire.

Un article du Wall Street Journal qui donne le ton

S’il y a lieu de douter des bonnes intentions de Microsoft, encore faut-il le prouver. Malheureusement, les faits sont récents, les soupçons généreux et cette firme n’ira pas tout bonnement avouer dans un communiqué qu’elle a le comportement colonial et qu’elle tente par la fourberie d’acquérir le marché[27] africain du logiciel.

Néanmoins, un article paru dans le prestigieux Wall Street Journal sous la plume de Steve Stecklow le 28 octobre 2008[28] nous en apprend beaucoup sur les méthodes et les agissements de Microsoft en Afrique.

Premièrement illustration la plus grossière, ils ont embauché des gens bien placés en Namibie. Ils ont engagé Sean Nicholson, auparavant “adviser to Namibia’s Ministry of Education, promoting open-source software” et toujours en ce même pays, Kerii Tjitendero “as a contractor to help in (the) process”. Cependant, M.Tjitendero est le fils de Mose Tjitendero, “formerly speaker of Namibia’s national assembly, who signed the government’s Pathfinder agreement with Microsoft”. Malgré une telle proximité qui serait bannie de facto dans les pays développés, Microsoft affirma que “Kerii had the professional background that made him a good fit for this role”.

Toujours du même article, Microsoft tenta au Nigéria d’acheter pour 400 000 dollars[29] le remplacement de Linux sur les ordinateurs portables des écoles par des produits Microsoft.

Au sujet du Pathfinder, le plan d’action de Microsoft en Afrique, l’article de Stecklow nous apprend que dans une école de Namibie en 2004, à Katima Mulilo, Eric Kouskalis, alors étudiant à Harvard, était enseignant pour l’organisation WorldTeach. Il affirma des ordinateurs fournis par Microsoft qu’ils “weren’t being used at all” bien qu’il “spent weeks fixing software and hardware problems”. Et il en rajoute, si plus d’un étudiant voulait accéder à l’encyclopédie de Microsoft, Encarta, “everything would freeze up”.

Donc, de cette expérience, deux constats peuvent être tirés, soit qu’en fournissant sa propre Encyclopédie aux Africains, Microsoft leur fourni la vision américaine de l’histoire mondiale et des connaissances en général, et aussi que les problèmes logiciels que les produits Microsoft font subir aux consommateurs occidentaux sont les mêmes éprouvés par les Africains, soit l’instabilité et la médiocrité naturelle et intrinsèque de leurs produits. Quant bien même Microsoft leur vendrait un “special $3 Windows package”[30][31], avoir des ordinateurs, mais être bloqué par les logiciels ne vaut pas 3 dollars.

Néanmoins, en juin 2005, Microsoft déclara que Pathfinder était “a success” pour par la suite promettre 4000 ordinateurs usagés à la Namibie, sur ce nombre, 1300 ont été livrés. L’école de Katima Mulilo en reçut 20, le directeur de l’école, Fias Geel, affirma au sujet des ordinateurs reçus que “all but four were broken”. Un autre directeur d’école de la région, Paul Damaseb, affirma qu’aucun de ses 565 étudiants ne pouvait utiliser les ordinateurs “because of a server crash”. Par la suite, Microsoft admit que l’expérience de PathFinder était un processus d’apprentissage “valuable”, ce qui n’empêcha pas le gouvernement de la Namibie de stopper l’action des professeurs de ses écoles qui installaient Linux pour promettre 200 ordinateurs et finalement n’en livrer que 55, “all containing Microsoft software, says a person familiar with the matter”.

PathFinder et Unlimited Potential

Depuis, avec le succès limité, aux yeux de Microsoft, de PathFinder, la firme a lancé un autre programme à la conquête du marché africain, Unlimited Potential. Bien que trop récent pour pouvoir le juger, notons cependant que les éléments avec lesquels Microsoft présente Unlimited Potential sont fondamentalement les mêmes qu’avec Pathfinder, soit à l’aide d’un vocabulaire positif portant sur les engagements Microsoft à l’égard de l’avancement des Africains ou encore des phrases creuses comme “training to its next generation of citizens”, pour être bien certains qu’ils ne connaissent de l’informatique que les produits Windows. La seule différence entre les deux programmes de mise en marché est que maintenant Microsoft légitimise son action avec l’appui reçu par l’Onu[32] et l’Unesco.

La firme clame en effet qu’elle veut “supports and accelerates Africa’s progress toward the Millennium Development Goals”[33]. Quand Microsoft affirme : “… we are working to enable sustained social and economic opportunity for everyone”[34], il serait plus juste de lire qu’ils travaillent pour le profit, comme n’importe quelle entreprise privée, la satisfaction des clients ou la fonctionnalité des produits n’a pas d’importance, pour autant que les clients paient.

Cela dit, face à la critique, Microsoft par l’intermédiaire de son responsable pour le continent africain, M.Diarra, tente de faire croire qu’il ne s’agit que d’un problème de communication, “… it’s sad that sometimes reality has a hard time catching up with perception … we are competing respectfully and openly; you can verify that everywhere”, il rajoute comme pour marteler le message à propos des actions de Microsoft en Afrique “we always try to empower those communities”[35].

Cela dit, en plus de ce qui est documenté, comme la corruption en Namibie, ce qui est douteux comme le fait qu’une entreprise affirme avoir à coeur le bien-être des plus exploités de la planète au cours des derniers siècles, comme si Microsoft n’agissait pas accord avec la continuité historique des rapports nord-sud, il y a ce qui est étrangement circonstanciel. Par exemple, en recoupant les informations vagues[36] disponibles sur le site de la Bill & Melinda Gates Foundation et les pays dans lesquels il y a moyen de savoir avec assurance que Microsoft travaille[37], on arrive à la conclusion qu’environ le deux tiers des pays où la fondation est active sont des pays où Microsoft l’est aussi.

Conclusion

En 2007, l’ampleur du désastre se mesurait, selon les affirmations officielles de Microsoft, par la conquête de “15 African countries: Angola, Burkina Faso, Gabon, Ghana, Kenya, Madagascar, Mozambique, Namibia, Nigeria, Rwanda, Senegal, Seychelles, Uganda, Botswana and South Africa, and to date has trained 200,000 teachers and reached 21 million students”[38]. C’est 21 millions de personnes, en plus des fonctionnaires des différentes administrations publiques africaines, que Microsoft a placées sous son contrôle. Il s’agit ici d’une forme lourde de dépendance au sentier, un sentier par ailleurs, sombre, sinueux et vaseux, où s’en sortir requière pour une société des coûts supérieurs à ce qu’aurait été l’investissement initial de l’éviter.

En faisant le choix des logiciels propriétaires de Microsoft au détriment des logiciels libres et gratuits GNU/Linux, les pays africains choisissent de payer pour un produit dont la qualité est plus que douteuse au niveau de l’efficacité informatique et carrément incertaine en ce qui a trait à la sécurité des informations gérées. De plus, ces pays n’auront pas le choix de payer pour les autres logiciels, comme des antivirus qui sont nécessaires avec Windows, ou payeront en temps, puisque Windows est impérativement plus lent que Linux, et ainsi de suite.

Bref, les logiciels propriétaires ne peuvent qu’être un mauvais choix pour toutes les administrations publiques et spécialement pour celles des pays en voie de développement, qui n’ont pas d’argent. Selon la formule rependue sur les blogues portant sur le sujet, « l’Afrique a déjà assez de problèmes comme ça, n’y ajoutez pas Microsoft” »[39]. Clairement, entre la dépendance que leur offre Microsoft et l’indépendance que leur offre Linux, les Africains et leurs gouvernements auraient tout avantage à choisir l’indépendance.

En conclusion, quand Microsoft parle de Windows comme d’un système d’exploitation, la firme a entièrement raison et est pour une fois honnête, car c’est tout ce que c’est : un système d’exploitation.

Notes

[1] Crédit photo : One Laptop per Child (Creative Commons By)

[2] Le terme hacker a une connotation négative depuis le milieu des années 80. Le terme se référait plutôt à ce qu’il est convenu d’appeler un bidouilleur. L’industrie informatique en générale doit beaucoup à ses hackers, que l’on pense seulement aux fondateurs de Apple ou au célèbre Captain Crunch. Ce dernier, John Drapper de son vrai nom, découvrit qu’un jouet contenu dans une boite de céréales émettait exactement la même fréquence que celle utilisée par AT&T pour indiquer qu’une ligne de téléphone est disponible, ce qui lui permit de faire des appels sans payer. Il inventa par après la blue box, un générateur de fréquences avec laquelle il testa les limites du système téléphonique de AT&T. Résultat, les compagnies de téléphone durent revoir à la hausse la sécurité de leurs réseaux de télécommunications.

[3] La définition de Statitics Canada au sujet de la fracture numérique, parue dans l’introduction d’un document de recherche intitulé The Digital Divide in Canada, est particulièrement pertinente : “Commonly understood as the gap between ICT ‘haves’ and ‘have-nots’, it serves as an umbrella term for many issues, including infrastructure and access to ICTs, use and impediments to use, and the crucial role of ICT literacy and skills to function in an information society.” ICT réfère à “information and communications technologies”.

[4] Les statistiques de l’ONU sont à ce sujet très claires. Aucun calcul n’est nécessaire pour constater qu’il y avait plus d’ordinateurs par 100 habitants aux États-Unis ou au Canada il y a 20 ans qu’il y en a maintenant par 100 habitants dans les pays africains. Concernant le nombre d’habitants qui accèdent à internet, les données de l’ONU, toujours par 100 habitants, nous indiquent que le niveau d’accès à internet est actuellement en Afrique ce qu’il était il y a 15 ans aux États-Unis et au Canada. Voir Millennium Development Golas Indicators, Internet users per 100 population et Personal computers per 100 population.

[5] En septembre dernier, une compagnie sud-africaine, Durban IT a testé la vitesse du réseau de Telkom, le plus gros fournisseur d’accès internet en Afrique du Sud. Ils ont, au même moment, lancé un transfert de 4Gb sur le réseau ADSL de Telkom tout en relâchant un pigeon sur lequel était attaché une clé usb de 4Gb. “Winston the pigeon took two hours to carry the data 60 miles – in the same time the ADSL had sent 4% of the data”. Source : BBC, 10 septembre 2009.

[6] Le Rapport sur le commerce électronique et le développement de la Cnuced en 2003 nuance avec les propos suivants : « Les logiciels libres ne devraient pas différent. Ils sont un moyen différent d’élaborer, de préserver et de modifier les règles qui régissent les flux d’information. Ils bouleversent la conception que l’on a de l’écriture de logiciels ? des personnes habilitées à les modifier et sous quelles conditions ? ainsi que des libertés et des responsabilités y afférentes. Ils donnent aux peuples et aux nations non seulement la possibilité, mais aussi, de manière plus importante, le pouvoir de gérer eux-mêmes le développement des TIC. » p.21.

[7] Il est nécessaire ici de noter, sans entrer dans les détails, qu’il existe plusieurs types de licences concernant les logiciels libres. Autrement dit, il y a des schismes au sein de la communauté des logiciels libres concernant certaines nuances à propos des droits d’auteurs des logiciels libres. Loin de nous l’idée d’entrer dans ce débat, la définition des logiciels libres qui sera utilisée est celle qui est la moins restrictive possible, soit tout ce qui est disponible sans payer ou enfreindre les droits d’auteurs des fabricants de logiciels. À titre d’exemple seulement, il est impossible d’écouter un fichier mp3 ou d’écrire ce texte en Times New Roman, comme le requière le Département de science politique, sur Linux sans enfreindre des lois de propriétés intellectuelles. La définition orthodoxe du logiciel libre définit par Richard Stallman et la Free Software Foundation se lit comme suit : « L’expression « Logiciel libre » fait référence à la liberté pour les utilisateurs d’exécuter, de copier, de distribuer, d’étudier, de modifier et d’améliorer le logiciel ». La définition complète est disponible à http://www.gnu.org/philosophy/free-sw.fr.html.

[8] Le phénomène de l’enfermement propriétaire est bien connu et pas seulement dans le domaine informatique. Dans ce domaine précis, l’UNESCO définie le mécanisme du Vendor Lock-In comme étant le fait que “While the software industry will continue to innovate, some product categories are reaching maturity and users should not be driven to pay for new features and product versions that have minimal impact on their needs”.

[9] Cette année là, le logiciel libre est devenu pour l’UNESCO une partie du patrimoine mondial : “Moreover, free software gives independence, from governments, from companies, from political groups, etc. And better, an economical independence: it isn’t plagued by compulsory profit. In fact, Free software is already the heritage of mankind, in the common sense”.

[10] Richard Stallman, 2003. UNESCO and Free Software. Disponible dans les archives des communications de l’UNESCO.

[11] Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), 2003. Rapport sur le commerce électronique et le développement. p.21.

[12] Citations et information depuis un article de Marc Cherki, parut dans Le Figaro le 17 novembre 2004, Microsoft devient partenaire de l’Unesco.

[13] Citation depuis un article de Capucine Cousin, parut dans Les Echos le 17 novembre 2004, L’Unesco compte sur le privé pour former les enseignants aux nouvelles technologies.

[14] À ce sujet, on peut prendre pour exemple le fait que les documents statistiques de l’ONU soient disponibles en 3 formats Microsoft Office Excel, XML et CVS. Les deux derniers sont des formats textes standards, mais qui ne peuvent être lus sans quelques contorsions ou connaissances informatiques précises. Le format Excel quant à lui est propriétaire, c’est-à-dire qu’il faut avoir acheté un programme pour le lire les informations qu’il contient. L’ONU ne fournit malheureusement rien en format OpenOffice, qui aurait le mérite de pouvoir être lu correctement, facilement et sans devoir payer pour le logiciel. Il n’y a bien sûr pas de lien direct entre cette observation et les liens qui unissent Microsoft et l’Unesco depuis 2004, cependant, ça permet de constater l’incompréhension de la question des logicielles de la part de l’ONU.

[15] April, acronyme de l’Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre.

[16] Selon un article d’Yves Drothier, dans le Journal du Net, 26 novembre 2004.

[17] Fondateur de l’April et président de la Fondation des logiciels libres (Free Software Foundation, branche française) de 2004 à 2007.

[18] Président de l’Institut national de technologie et de l’information du Brésil.

[19] Langue parlée par 10 millions de personnes en Ouganda.

[20] Sérgio Amadeu da Silveira, Benoît Sibaud et Frédéric Couchet. 5 janvier 2005, La Libération. Bill Gates à la conquête du sud : Le partenariat entre Microsoft et l’Unesco risque d’assujetir les pays en développement.

[21] Les auteurs mentionnent sur ce point qu’en 2000, un rapport de la Délégation des affaires stratégiques du ministère français des Armées mentionnait, prudemment et sans accusé directement, la collusion entre la National Security Agency (NSA) et Microsoft. Aussi en 2004, un « rapport parlementaire sur l’intelligence stratégique … soulignait les mêmes dangers attachés au logiciel propriétaire en matière de dépendance informationnelle ».

[22] Declaration of Independence: The LiMux Project in Munich. Ville de Munich, 2008.

[23] Citation complète : “End systems must be able to enforce the separation of information based on confidentiality and integrity requirements to provide system security. Operating system securitymechanisms are the foundation for ensuring such separation. Unfortunately, existing mainstream operating systems lack the critical security feature required for enforcing separation: mandatory access control. As a consequence, application security mechanisms are vulnerable to tampering and bypass, and malicious or flawed applications can easily cause failures in system security”. Depuis le site de la National Security Agency, http://www.nsa.gov/research/selinux/.

[24] Il est de notoriété publique que des agents de la NSA travaillent chez Microsoft, eux affirment que c’est pour renforcer la sécurité des produits de Microsoft, il y a naturellement lieu d’en douter. L’affaire éclata en septembre 1999, quand une mystérieuse clé de cryptage nommé _NSAKEY fut découverte dans Windows NT4, puis dans Windows 95, 98 et 2000. On peut lire sur le site de CNN “Microsoft operating systems have a backdoor entrance for the National Security Agency, a cryptography expert said … but the software giant denied the report and other experts differed on it”. Il n’y a donc rien de certain en ce sens, mais Microsoft a par la suite été incapable d’expliquer de manière convaincante ce qu’était cette _NSAKEY.

[25] Ingrid Marson, 18 octobre 2005, Microsoft: Africa doesn’t need free software.

[26] Nancy Gohring, 25 septembre 2008, PC World, Microsoft’s Africa Chairman Tackles Access Problems.

[27] À titre indicatif, rappelons que Microsoft a été condamnée par l’Union européenne en février 2008 à payer 899 millions d’euros, qui « s’ajoutent à une première amende de 497 millions d’euros donnée à Microsoft en mars 2004 pour « abus de position dominante » ». Selon un article parut dans Branchez-Vous!, le site qui s’occupe des nouvelles technologiques pour Le Devoir. Si Microsoft agit de telle manière dans un marché lourdement réglementé, il est possible d’imaginer ce qu’il fait sur un continent comme l’Afrique où les États sont faibles.

[28] Microsoft Battles Low-Cost Rival for Africa, 28 octobre 2008, The Wall Street Journal.

[29] Extrait de l’article : “In Nigeria, Microsoft proposed paying $400,000 last year under a joint-marketing agreement to a government contractor it was trying to persuade to replace Linux with Windows on thousands of school laptops. The contractor’s former chief executive describes the proposal as an incentive to make the switch – an interpretation Microsoft denies.”

[30] Toujours du même article de Stecklow : “Some of Africa’s poorest countries also have discovered that they can’t meet the terms of a special $3 Windows package for "underserved" students around the world, announced last year by Microsoft Chairman Bill Gates.”

[31] Pour 3$, les étudiants africains obtiennent les logiciels suivants Microsoft Learning Essential 2.0, Microsoft Math 3.0, Microsoft Office, Windows Live Mail, qui est en fait Hotmail et Windows XP Starter Edition. Cette version de Windows est conçue pour les ordinateurs peu puissants et limite plus que ne le fait la version normale de Windows XP ce que les utilisateurs peuvent faire avec leurs ordinateurs. Autrement dit, c’est le meilleur moyen d’handicaper un étudiant, surtout que le terme “Starter” signifie implicitement que ce n’est qu’un début, qu’une fois formés avec les produits Microsoft et en fonction de ceux-ci, ils devront payer pour obtenir la version normale des systèmes d’exploitation de Microsoft. Il est à noter que des distributions Linux spécialisées dans l’éducation existent, par exemple EduLinux conçue entièrement au Québec, à l’Université de Sherbrooke. Plus populaire, il y a Edubuntu, qui est disponible dans de multiples langues. Edubuntu est devenue la norme dans tous les ordinateurs des écoles primaires et secondaires de la République de Macédoine, cette distribution Linux serait définitivement meilleure pour les étudiants africains que Windows XP Starter Edition.

[32] United Nations Press Release  : United Nations hosts launch of Microsoft Programmes. Extrait  : “Amir Dossal, Executive Director of the United Nations Office for Partnerships, and Akhtar Badshah, Senior Director of Community Affairs, Microsoft Corp., welcomed participants. Mr. Dossal underscored that public-private partnerships were the key to the achievement of the Millennium Development Goals.”

[33] Microsoft, Realizing Unlimited Potential in Africa, 2009.

[34] Microsoft, Microsoft Unlimited Potential Enables Social and Economic Opportunity, 2009.

[35] Alka Marwaha, BBC News, The hi-tech battle for Africa, 2009.

[36] La plupart des liens sur la carte de l’Afrique ne fonctionnent pas, de plus les liens sont parfois situés sur des frontières. http://www.gatesfoundation.org/regions/Pages/default.aspx?4#/?action=region&id=africa

[37] Angola, Burkina Faso, Gabon, Ghana, Égypte, Kenya, Madagascar, Mozambique, Namibie, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Seychelles, Ouganda, Botswana et Afrique du Sud.

[38] Microsoft, Unlimited Potential Engagement in Africa, 2007.

[39] J’ignore de qui est cette citation, elle se retrouve en anglais avec quelques variantes sur plusieurs blogues et forums de discussion. Il s’agit cependant de ma traduction.




L’âge de faire du développement durable en compagnie du logiciel libre

Coxy - CC by-saL’âge de faire est un mensuel indépendant, sans publicité et à petit prix (1,50 €) qui cherche à sensibiliser un large public aux questions d’écologie, de citoyenneté, de solidarité.

Tiré à 25 000 exemplaires, il utilise un mode de distribution un peu particulier : plutôt qu’une diffusion en kiosque classique (mais coûteuse), ce journal s’appuie sur un réseau d’abonnés, de coopérateurs (invités à revendre leurs exemplaires), et de points relais volontaires.

Pourquoi donc en parler sur le Framablog ?

Parce qu’il existe des ponts naturels entre le logiciel libre et le « développement durable » (pris au sens noble et non marketing du terme).

Il nous arrive du reste d’en parler comme en témoigne notre tag « Écologie » regroupant divers billets autour du sujet[1].

Ponts naturels que l’on pourrait assez paresseusement synthétiser par le diagramme ci-dessous :

Logiciel libre et Développement durable - LL-DD.ch - CC by-nc-sa

Nous constatons par ailleurs que les rencontres et synergies se multiplient.

Ainsi le Festival du Développement Durable 2009 de Genève a accueilli plusieurs associations locales. C’est d’ailleurs à cette occasion et sous leur impulsion qu’est né le fort intéressant site Logiciels libres et développement durable d’où est issue l’illustration ci-dessus (pour l’anecdote on remarquera également cette très jolie Framakey durable en bois).

De même le Salon Primevère de Lyon accorde chaque année une place plus importante au logiciel libre (cette année le thème sera « Le prix de la gratuité » et de nombreuses associations du libre, dont Framasoft, y feront des conférences).

L’âge de faire n°39 février 2010 - Dossier Logiciels Libres

L’autre raison, c’est que le numéro actuel de L’âge de Faire (n°39 – février 2010) propose un excellent petit dossier d’une double page intitulée fort à propos : Et si on passait au libre ?

Suite à notre demande, l’auteur Didier Bieuvelet a tout de suite accepté d’en placer les articles sous licence Creative Commons By-Sa (articles dont les titres sont les suivants : Des logiciels citoyens, Témoignage d’un converti, Informatique libre et solidaire, Quels logiciels libres ?, Simple comme Ubuntu et De la vente liée à la vente forcée)

Vous trouverez donc :

  • Les textes du dossier : au format ODT et au format PDF.
  • Les pages originales du dossier au format PDF telles que vous pouvez les voir sur la copie d’écran : page 12 et page 13 (certaines photos n’étant pas sous licence libre, si un gentil volontaire souhaite refaire un PDF avec d’autres images libres pour diffusion/impression, nous nous ferons un plaisir de l’ajouter ici).

Quant au reste du journal, nous vous encourageons à vous rendre sur leur site pour vous le procurer.

Notes

[1] Crédit photo : Coxy (Creative Commons By-Sa)




Le Geektionnerd débarque sur le Framablog !

Le Geektionnerd est un blog tout en images de Simon Gee Giraudot, sous licence Creative Commons By-Sa. Appréciant son univers, son style et son geek & nerd sense of humour, nous avons décidé de l’inviter hebdomadairement (modulo Pi) sur le Framablog.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Rendez-vous la semaine prochaine donc…

Et pour vous faire patienter, voici une petite sélection randomisée (ou presque) de ses archives : Belette de glace, Yéti, Éditeur de texte, Pirate, Post-it, Reboot, Ubuntu, Pingouin, Lycos, Google is your friend, Corbeille, F5, Sans titre, Pile. Mark Shuttleworth, 200%, Monopoly, Noob, Fork, Panda roux, GNU & Linux, Gnome ou KDE ?, Bill Gates, Minitel ou encore Windows[1],

Notes

[1] Si vous avez remarqué d’autres planches, n’hésitez pas à nous les signaler dans les commentaires, mon petit doigt me dit que ça pourrait faire un chouette framabook plus tard…




Régionales 2010 : Les questions claires de Creative Commons France

Giuli-O - CC byLes élections sont un bon moyen de tenter de sensibiliser nos hommes politiques sur des thèmes qui nous sont chers. C’est ainsi que l’April se montre pro-active en faveur du logiciel libre et des libertés numériques avec son initiative Candidats.fr.

Aujourd’hui c’est le chapitre français des Creative Commons qui leur emboîte le pas à l’occasion des prochaines élections régionales (qui auront lieu en mars prochain et dont on a un peu parlé ici en partant à la rencontre du Parti Pirate)[1].

Avant que d’interpeller sur la place publique, ils nous invitent à débattre sur leur liste de discussion (cc-fr@lists.ibiblio.org)[2] autour d’une plate-forme recopiée ci-dessous.

On pourrait d’ailleurs résumer toutes les questions en une seule, moyennant l’introduction d’une variable X : « Êtes-vous, dans le respect du droit moral des auteurs, en faveur de l’accès et la réutilisation libre et gratuite de X dans le cas où X serait produit ou financé par la région ? » (X pouvant prendre les valeurs suivantes : données, contenus, études, travaux de recherche ou d’éducation).

Il ne semble y avoir là que du bon sens. Sauf que, et ce n’est pas le logiciel libre qui me contredira, nous héritons d’un monde où certaines mauvaises habitudes ont été prises et il convient d’être didactique, diplomate et patient.

CC-Régionales 2010

URL d’origine du document

Le mouvement pour l’accès ouvert aux données publiques se développe à travers le monde : l’Australie avec le projet Mash Up, l’Angleterre avec le projet Data.gov.uk. Ces pays ont choisi de permettre la large diffusion et réutilisation de leurs bases de données publiques en les plaçant sous Licence Creative Commons.

Cette dynamique d’élargissement des biens communs permet des économies d’échelle pour les collectivités et les services publics.

Elle contribue au développement du secteur privé qui peut utiliser sans intermédiaire ces données pour développer ses activités.

Elle enrichit la société civile qui peut s’approprier données, études et contenus produits.

Dans cette démarche, le respect du droit d’auteur inaliénable en France est bien sûr conservé. Il se trouve explicité et garanti par des licences de type Creative Commons, GFDL ou « Art libre ».

La France et ses régions ne peuvent rester à l’écart de ce mouvement qui s’amplifie. Aussi à la veille des élections qui vont décider des programmes et des équipes qui vont gouverner les régions, nous souhaitons vous interroger.

Êtes-vous, dans le respect du droit moral des auteurs, en faveur de :

  • l’accès et la réutilisation libre et gratuite des données publiques (géographiques, statistiques, environnementales…) produites ou financées par la région ;
  • l’accès et la réutilisation libre et gratuite des contenus produits ou financés par la région (telles les publications papier ou web) ;
  • l’accès et la réutilisation libre et gratuite des études produites ou financées par la région ;
  • l’accès et la réutilisation libre et gratuite de données des observatoires co-financées par la région ;
  • la publication en open archive des travaux publics de recherche produits ou financés par la région ;
  • l’accès et la réutilisation des contenus de formation produits ou financés par la région (formation professionnelle, manuels scolaires…).

Lectures connexes issues du Framablog

Notes

[1] Crédit photo : Giuli-O (Creative Commons By)

[2] Vous pouvez aussi en débattre directement sur notre forum Framagora.




L’école Châteaudun d’Amiens ou le pion français de la stratégie planétaire Microsoft

Lee Carson - CC by-saLe saviez-vous ? Grâce à la caution de partenaires associatifs et institutionnels a priori au dessus de tout soupçon, Microsoft entre comme dans du beurre (ou presque) à l’Éducation nationale, en déployant tranquillement son vaste et ambitieux programme globalisé « Innovative Schools ».

Si il ne s’agissait que de se substituer financièrement à un État de plus en plus désargenté, ce serait déjà grave, mais on en profite également pour marquer voire manipuler les esprits, sous le vernis d’un discours pédagogique soit disant progressiste et « innovant » (adjectif préféré du département marketing de la société).

Principales victimes collatérales : non seulement le logiciel libre et sa culture mais aussi et surtout les enseignants et donc les élèves[1], à qui on ne donne pas accès à cette culture.

Attention, cette histoire est un peu longue et un peu triste. Mais elle se termine bien à la fin !

Mondialisation mon amour

Qu’est-ce que le programme « Innovative Schools » ? C’est un peu le jeu des poupées russes, car il s’insère dans le programme « Partners in Learning », lui-même intégré au programme « Unlimited Potential ».

Commençons par la plus grande poupée, telle que décrite sur le site de Microsoft :

Microsoft Unlimited Potential vise à aider les personnes et les communautés du monde entier à réaliser leurs objectifs et leurs rêves par l’intermédiaire de la mise à disposition de technologies adaptées, accessibles et abordables. Nous nous sommes fixé pour mission d’ouvrir de nouvelles voies de développement social et économique, en particulier pour les cinq milliards de personnes qui, selon les estimations, ne bénéficient pas encore des avantages des nouvelles technologies. Avec nos partenaires publics comme privés, nous axons notre action sur la transformation de l’éducation, la stimulation de l’innovation locale et le soutien à la création d’emplois et de débouchés afin de créer un cercle vertueux de croissance économique et sociale durable pour tous.

Poursuivons en donnant quelques chiffres significatifs avec cette présentation maison du programme « Partners in Learning » :

Microsoft Partners in Learning est une initiative internationale conçue pour rendre la technologie plus accessible aux écoles, à stimuler des conceptions innovatrices de l’éducation et à fournir aux éducateurs les outils pour gérer et mettre en oeuvre des changements. Depuis sa création en 2003, le programme Partenaires en apprentissage a bénéficié à plus de 123 millions de professeurs et d’étudiants dans 103 pays. Microsoft apporte un soutien financier continu à cette initiative depuis déjà cinq ans, et l’investissement d’une durée de dix ans atteint presque 500 millions USD, ce qui témoigne de l’engagement de la société à rendre la technologie plus adaptée et plus accessible à chacun grâce à des programmes, des formations et des partenariats de licence abordables.

Un demi-milliard de dollars… Ne cherchez pas plus loin la réponse à la question de la légitimité d’une entreprise américaine de logiciels que rien ne prédisposait au départ à vouloir ainsi participer à « transformer l’éducation » à l’échelle mondiale. Ce n’est pas avec le vinaigre des beaux discours philanthropiques (cf ci-dessus) que l’on attrape les mouches, mais bien avec cet argument massue d’un compte en banque qui donne le vertige.

Toujours est-il que c’est dans le cadre du programme « Microsoft Partners in Learning », que l’on trouve le réseau des « Microsoft Innovative Teachers », enseignants cooptés en charge notamment de mettre chaque année en place dans leur propre pays des « Microsoft Innovative Teachers Forums », dont le point d’orgue est le « Microsoft Innovative Education Forum » où sont invités tous les lauréats des forums nationaux (en 2009 c’était au Brésil).

C’est également dans ce cadre que s’inscrivent les « Microsoft Innovative Schools ». Il s’agit d’investir un établissement scolaire et d’en faire une école pilote de l’innovation à la sauce Microsoft, en mettant là encore le paquet sur les moyens.

Une nouvelle fois, tout réside dans l’art de présenter la chose :

Le programme « Écoles Innovantes » fait partie de l’initiative internationale « Partners in Learning » au travers de laquelle Microsoft engage d’importants investissements matériels et financiers pour développer la formation dans le domaine des TICE , la personnalisation de l’enseignement, le support technique et, plus généralement, l’accès aux technologies informatiques de pointe dans l’éducation. Dans ce cadre, le projet « Écoles innovantes» fondé sur l’innovation pédagogique et l’utilisation des technologies de l’information, a été lancé au niveau mondial. La première « Ecole innovante» a ouvert ses portes au début de l’année 2006 à Philadelphie. Douze autres établissements à travers le monde font aujourd’hui partie de ce projet. L’objectif de ce projet est d’accompagner les établissements et plus largement l’institution dans son évolution vers l’école du XXIème siècle.

Du discours et de la méthode

Les citations ci-dessus donnent déjà une bonne idée de l’enrobage, pour ne pas dire de l’enfumage, d’un discours faussement lisse, neutre et consensuel dont l’objectif est de rencontrer l’adhésion des enseignants.

La société a évolué et l’école se doit de se mettre au diapason, mais cet inéluctable modernisme, où la technique semble omniprésente, ne doit en rien être anxiogène, c’est au contraire une formidable opportunité d’innovation. Ne vous inquiétez pas, Microsoft est là pour vous faciliter la tâche, accompagner votre créativité et vous aider à vous concentrer sur votre seule préoccupation : la pédagogie et la réussite de vos élèves.

Le mantra est le suivant : l’important ce n’est pas la technique, c’est l’usage que l’on en fait, si possible « innovant ».

L’informatique en tant que telle est volontairement occultée. Parce que si elle se fait oublier alors son choix n’a plus aucune importance. Et dans ces cas-là autant prendre « naturellement » les produits et les logiciels du généreux mécène (qui n’a absolument pas besoin de les mettre en avant, et il s’en garde bien, ça se fait tout seul !).

Concentrons-nous donc sur les pratiques. Rassurons les enseignants et montrons-leur ce que l’on peut faire aujourd’hui de « formidable » avec les nouvelles technologies (ils se trouvent que les démonstrations se font avec des logiciels Microsoft mais c’est à peine si on a besoin de l’évoquer, c’est juste que c’est plus pratique et qu’on les avait sous la main). Mieux encore, construisons ensemble des « écoles 2.0 », mettons les enseignants en relation et organisons de grandes manifestations où les plus dynamiques d’entre eux auront l’occasion de se rencontrer pour échanger, et éventuellement recevoir la « Microsoft Innovative Médaille du Mérite ».

Deux conséquences (fâcheuses)

Puisque l’informatique est un sujet plus que secondaire qui se doit de s’effacer pour être pleinement au service de la pédagogie, il n’y a pas lieu d’en parler, et moins encore d’en débattre. Il n’y a pas de choix à faire et le logiciel libre n’est ni cité, critiqué ou comparé, il est tout simplement nié. Jamais, ô grand jamais, vous n’y verrez la moindre référence sur les sites officiels des programmes « Microsoft Innovative MachinChose ».

Soit, le logiciel libre n’existe pas. Ce n’est pas si grave après tout si on a l’assurance que nos élèves sont entre les bonnes mains des professeurs innovants. Sauf que malheureusement ça ne peut pas être véritablement le cas, parce que ces professeurs sont sans le savoir handicapés car manipulés.

En effet, le logiciel libre à l’école va bien au delà du souhait d’installer et d’utiliser telle application plutôt que telle autre dans son ordinateur. Pris au sens large, c’est d’une véritable culture dont il s’agit, englobant les formats ouverts, les ressources en partage, les pratiques collaboratives spécifiques, la vigilance sur la propriété intellectuelle et la neutralité du réseau, etc.

Il me revient en mémoire cette citation extraite d’un billet sur la politique pro-active du Canton de Genève :

Dans sa volonté de rendre accessibles à tous les outils et les contenus, le « libre » poursuit un objectif de démocratisation du savoir et des compétences, de partage des connaissances et de coopération dans leur mise en œuvre, d’autonomie et de responsabilité face aux technologies, du développement du sens critique et de l’indépendance envers les pouvoirs de l’information et de la communication.

Pensez-vous que ces objectifs soient important et qu’ils aient toute leur place dans une « école du XXIème siècle » ? Si oui, alors ne comptez ni sur Microsoft ni sur ses enseignants sous influence pour sensibiliser réellement nos élèves sur ces questions pourtant devenues majeures aujourd’hui.

Autonomie et responsabilité face aux technologies, mais surtout sens critique et indépendance envers les pouvoirs, sont autant de thèmes qui ne font pas partie de la stratégie éducative de Microsoft. Et pour cause, ils risqueraient de dévoiler quelque chose que l’on cherche pernicieusement à cacher aux enseignants et à leurs élèves : le fait qu’une autre informatique soit possible, impliquant par là-même une autre pédagogie. Et, ne vous en déplaise, cette prise de conscience est déjà « innovante » en soi.

De la déclinaison française du programme

Et en France me direz-vous ?

Je ne connais pas l’étendue du programme « Microsoft Partners in Learning » de notre beau pays. Mais pour avoir ici-même participé à lever certains lièvres par le passé, je puis toutefois émettre quelques solides hypothèses.

Les « Microsoft Innovative Teachers » c’est avant tout l’équipe du Café pédagogique. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais le site officiel répertoriant pays par pays les membres de ce réseau d’enseignants. Lorsque vous cliquez sur « France », vous êtes automatiquement renvoyé sur la page d’accueil du Café.

Le Café est accompagné par l’association d’enseignants Projetice (lire à ce sujet Projetice ou le cas exemplaire d’un partenariat très privilégié entre Microsoft et une association d’enseignants), dont la création a, semble-t-il, été directement souhaité et suggéré par Microsoft.

En toute logique, c’est à eux qu’il incombe de monter les « Microsoft Innovative Teachers Forums » dont la création a, c’est certain, été directement souhaité et suggéré par Microsoft. Nous avons ainsi eu Rennes en 2008 et Roubaix en 2009 (lire à ce sujet Du premier Forum des Enseignants Innovants et du rôle exact de son discret partenaire Microsoft et surtout le fort instructif Forum des Enseignants Innovants suite et fin).

Quant à la grande messe qui réunit les lauréats des forums du monde entier, vous pouvez compter sur le Café pour nous en faire de magnifiques et élogieux reportages, comme le dernier en date à Salvador de Bahia (lire à ce sujet En réponse au Café Pédagogique).

Pour le supérieur, il pourrait également y avoir les chercheurs du Groupe Compas (cf la présentation Microsoft) dont la création, elle aussi, aurait été fortement souhaité et suggéré par Microsoft, mais là je manque clairement d’informations.

Toujours est-il qu’on retrouve bien tout ce petit monde dans les encadrés de la brochure commerciale Microsoft 2010 en direction des établissements scolaires.

Un petit monde que l’on peut mobiliser à tout moment, comme par exemple lorsqu’il s’agit de relayer une campagne médiatique autour d’un nouveau produit de la société (lire à ce sujet L’influence de Microsoft à l’école n’est-elle pas disproportionnée ?, campagne qui valu à Microsoft de recevoir le Grand Prix « Acquisition et Fidélisation Clients »).

L’école Châteaudun ou la « Microsoft Innovative School » de chez nous

Pour compléter cet impressionnant dispositif Microsoft, il ne manquait plus que « l’École Innovante ». Et c’est à l’école publique Châteaudun d’Amiens qu’est revenu cet insigne honneur, et ce depuis deux ans déjà.

Le Café pédagogique en a parlé ici, , et tout récemment . Rien d’anormal à cela puisque le Café étant la tête de pont des « Microsoft Innovative Teachers » français, c’est bien le moins que de relayer les annonces de cette grande famille. C’est du reste cette dernière annonce, vendredi 15 janvier, qui a motivé la rédaction de cet article (d’autant plus que chez eux, il est impossible de commenter). Et plus particulièrement cette histoire de « fées autour du berceau ».

À l’origine de ce projet, la rencontre entre le directeur de l’école primaire qui voulait améliorer l’expression écrite et orale de ses élèves, son maire, ministre de l’éducation à ce moment, et le groupe Microsoft qui soutient plusieurs écoles innovantes dans le monde avec le projet d’observer et retenir les innovations. Voilà beaucoup de fées autour du berceau et cela a joué sur le projet car l’équipe éducative a été très sollicitée par les accompagnateurs du projet.

Abondance de fées pourrait-elle nuire ? En tout cas, il y a une fée singulièrement différente des autres, et l’on pourra toujours évoquer une « rencontre » entre les différents acteurs, c’est bien plus sûrement la fée Microsoft, en pleine « Innovative Prospection », qui a su murmurer de manière convaincante à l’oreille du ministre (en l’occurrence, à l’époque, c’était Gilles de Robien).

On remarquera donc d’emblée que les fées du projet et l’équipe éducative sont deux entités bien distinctes. Des fées qui savent manifestement manier leur baguette avec, quand il le faut, l’autorité nécessaire, puisque la décision est venue d’elles, c’est-à-dire d’en haut, et non du terrain, c’est-à-dire des professeurs qui auraient eu vent des « Microsoft Innovative Schools » et qui auraient choisi d’inscrire collectivement et spontanément leur école.

Pour plus de détails sur le projet, il y a, avec toutes les précautions d’usage quant à leur objectivité, cette présentation sur le site de Microsoft (voir aussi ce reportage vidéo interne, au format propriétaire wmv) et cette visite du Café pédagogique.

On pourra également se rendre sur le blog et le site de l’école, créés à l’occasion, dont je vous laisse juge de la qualité et du dynamisme (reposant tous deux sur des solutions libres soit dit en passant).

Quant à la communication, il faut croire qu’avoir aussi bien le ministre que Microsoft penchés au dessus du berceau, aident à la mise en lumière médiatique du projet, avec titres et contenus qui ont dû faire plaisir aux fées : La première école innovante de France (Le Point – février 2008) et Amiens invente l’école numérique de demain (Le Figaro – mai 2008). Ajoutez juste un mot de plus au titre du Point et vous obtenez quelque chose qui oriente sensiblement différemment la lecture : « La première école innovante Microsoft de France ».

Mais plus intéressant et a priori plus rigoureux, on a surtout ce rapport tout chaud réalisé par l’INRP, c’est-à-dire rien moins que l’Institut National de Recherche Pédagogique. Aujourd’hui c’est donc l’heure d’un premier bilan et c’était bien là le motif principal de l’annonce du Café.

Première phrase du rapport : « Cette étude a bénéficié du soutien de Microsoft Éducation ». Et un peu après :

Sollicité par Microsoft Éducation France pour être évaluateur du projet Innovative Schools, d’une durée de deux ans (de septembre 2007 à décembre 2009), au niveau national et international, l’INRP a signé une convention de recherche-évaluation pour (…) faire un suivi du projet et du process des 6i

On retrouve notre constante : c’est toujours Microsoft qui sollicite et non l’inverse. Quant au « process des 6i », c’est absolument fascinant car il s’agit d’un véritable choc culturel.

Nous connaissons un peu les américains. Ils raffolent de ces méthodes en plusieurs points censés améliorer notre vie professionnelle, personnelle ou spirituelle (un exemple parmi d’autres, les douze étapes des Alcooliques Anonymes). On ne le leur reprochera pas, c’est dans leur ADN et certaines méthodes sont au demeurant tout à fait efficaces.

Et c’est ainsi que Microsoft, dans sa volonté universalisante (et uniformisante) de « transformer l’éducation » de ce nouveau millénaire, nous a pondu ce processus à 6 niveaux, ainsi résumé sur cette page :

Cette méthode, les 6i, se déroule en 6 étapes réparties sur 2 années scolaires. Le processus des 6i (Introspection, Investigation, Inclusion, Innovation, Implémentation, Insight) de Microsoft, est un plan de route sur l’élaboration, la mise en œuvre et la gestion des changements basés sur les TIC. Il constitue un guide à l’intention des leaders scolaires pour mettre en place des changements éducatifs sur la base d’approches éprouvées.

Pour ceux que cela intéresse, Microsoft donne plus de détails sur son site anglophone (mais, là encore, méfiance, l’enfer est pavé de bonnes intentions pédagogiquement innovantes).

Le problème (enfin, ça dépend pour qui) c’est qu’à l’école française on n’est pas forcément familier avec cette manière d’appréhender les choses. Je vous laisse imaginer la tête du professeur des écoles, qui pour rappel a subi et non voulu le projet, lorsqu’on lui met une telle méthode entre les mains ! Euh… ça veut dire quoi « Insight » déjà ?

Toujours est-il que malgré le fait que ce « process des 6i » figurait donc noir sur blanc sur la feuille de route de l’étude commandé, le rapport n’en parle presque pas. Il se contente de le décrire à un moment donné (p. 18 à 21) mais sans que cela ait visiblement donné lieu à la moindre tentative d’application avec l’équipe pédagogique puisqu’on n’y revient plus par la suite. Pour tout vous dire, on sent l’INRP comme un peu gêné aux entournures ici (comme ailleurs du reste).

Résistance passive

Les rapports au sein de l’Éducation nationale, c’est tout un poème. Il faut parfois avoir le décodeur, en particulier lorsque l’on évoque les TICE où très souvent, politique moderne oblige, aussi bien l’auteur que le lecteur ont intérêt à ce que l’on décrive, quoiqu’il arrive, une situation positive et un projet réussi. Le projet fonctionne ? On dira qu’il fonctionne très bien. Il ne fonctionne pas ? Et l’on dira alors qu’il est un peu tôt pour en faire un bilan, ou que les conditions d’observation n’étaient pas optimales, etc., mais que malgré quelques « résistances », on note d’ores et déjà de significatives avancées, etc.

Et d’ailleurs, petite parenthèse, lorsqu’il s’agit d’un projet d’envergure dont le rapport remonte en passant par les indispensables étapes de la hiérarchie, on peut se retrouver au final avec un beau décalage entre ce qui se trouve sur le bureau du Ministre et la réalité du terrain (le B2i fournissant à cet égard un excellent exemple, on tient certainement là une cause principale de son étonnante longévité).

Bref ici, je vous invite à lire la conclusion du rapport (muni du fameux décodeur). Entre les lignes, on ne décrypte pas un échec patent mais on ne peut pas dire non plus, et loin de là, que ce soit l’enthousiasme qui prédomine.

Cette conclusion comporte deux parties (c’est déjà mauvais signe) : « Quelques failles constitutives sont repérables pour diverses facettes de l’opération » (on craint le pire), mais heureusement il y a aussi « Les avancées d’une école innovante ».

Morceaux choisis :

Les circonstances de la mise en œuvre de l’innovation dans l’école observée n’ont pas été idéales de ces points de vue et sont, sans l’ombre d’un doute, à l’origine des difficultés éprouvées à la fois par les acteurs locaux et par tous ceux qui ont été chargés de les suivre. L’empilement de dispositifs, de choix, de procédures, jamais clairement négociés avec les enseignants, a pu dérouter. Pour autant, les bénéfices de la démarche d’innovation sont visibles à l’échelle de l’école et encouragent à poursuivre.

On retrouve le plan d’un rapport-type tel que décrit théoriquement ci-dessus.

L’initiative est venue du ministre de l’Éducation nationale lui-même, maire de la ville. Le faible nombre d’enseignants réellement engagés dans l’opération traduit des réticences face à une opération (…)

La forme recherche-évaluation choisie par le Stanford Research Institute (SRI) comme cadre général du pilotage de l’innovation est très éloignée des principes courants d’observation et de suivi habituellement mis en œuvre en France.

C’est peu de le dire. Mais quand on s’embarque ainsi avec des américains, il faut en être bien conscient au départ. Là c’est un peu tard et il convient donc d’assumer.


La charge de travail imposée aux acteurs de l’école, dépassant de très loin la mise en place de l’innovation elle-même, a d’autant plus vite atteint un niveau insupportable qu’elle était inattendue et incompréhensible faute d’avoir été expliquée à l’avance.

L’extrême médiatisation de l’opération (à l’échelle locale puis nationale), avec ses inexactitudes, ses excès, ses effets pervers a achevé d’exacerber une situation dont la dimension politique était relancée par le changement de majorité municipale aux élections du printemps 2008.

Rien d’étonnant à ce que ces dispositions aient accentué la circonspection des enseignants et aient pu conduire au refus de toute observation de situations de classe à partir du mois d’avril 2008. Pour autant de nombreux aspects authentiquement innovants sont apparus dans le déroulement du projet d’école.

Ce dernier paragraphe est symptomatique. Des enseignants ont carrément refusé de jouer le jeu. C’est une lourde et concrète information impossible à censurer. Mais elle est tout de suite suivie et contre-balancée par un argument positif vague et flou, que vient corroborer l’ultime phrase du rapport :

L’innovation est ainsi reconnue et même souhaitée. Ce n’est pas l’innovation en tant que telle qui est recherchée, mais c’est, bien davantage, l’amélioration des résultats de tous les élèves, y compris les moins performants, qui est attendue. Cette exigence s’inscrit dans la droite ligne de l’histoire de notre école républicaine.

Certes, certes. Mais pourquoi notre école républicaine à la si riche histoire aurait-elle besoin de s’appuyer ici sur la « méthode des 6i » tout droit sortie de la cuisse de la multinationale Microsoft ?

Et le Café pédagogique, de s’adonner lui aussi à la conclusion positive aux forceps :

S’il est trop tôt selon l’étude pour constater des changements chez les élèves, elle confirme l’impact sur l’équipe pédagogique. Le projet a bien développé sa capacité d’adaptation aux changements – une faculté tant individuelle que collective qu’exige une société en constante évolution. Ça donne déjà une longueur d’avance à cette école.

En gros, on est venu perturber des professeurs qui n’avaient au départ rien demandé. Et comme il a bien fallu qu’ils s’adaptent, on les félicite d’avoir fait face aux changements. Que l’adaptation ait été vécue positivement ou négativement ne compte pas, c’est une qualité en soi. Voilà une bien maigre « longueur d’avance ».

Et pour en avoir le cœur net, l’idéal serait de recevoir dans les commentaires de ce billet, quelques témoignages de professeurs de cette école.

Parce que, autant appeler un chat un chat , malgré la débauche d’énergies et de moyens matériels et humains mis à disposition, l’expérience Innovative School Châteaudun d’Amiens n’a semble-t-il pas forcément donné tous les résultats escomptés. Microsoft pourra toujours cocher la case « école française » sur sa jolie mappemonde, on ne m’ôtera pas de l’idée que nous sommes face à une belle déception qui ne veut dire son nom.

Résistance active

Mais il y a des résistances bien moins passives et donc bien plus intéressantes que celles de l’école Châteaudun d’Amiens.

Infiltrer une école primaire ne suffisait semble-t-il pas aux responsables de Microsoft France Éducation. Il leur fallait également un établissement du secondaire pour parfaire le tableau.

Ils avaient ainsi repéré un lycée de l’Académie de Créteil. Et là encore il s’agissait de faire passer le projet par le haut, sans en référer au préalable à l’équipe pédagogique de l’établissement.

Mais il y eut un magnifique grain de sable, quelque chose d’imprévisible et inattendu s’est alors produit. Deux enseignantes ont pris leur plume pour courageusement protester publiquement sur le site d’informations rue89. Ce qui a donc donné l’article Pour ses « innovations », l’Éducation nationale s’en remet à Microsoft, qui figure en bonne place dans ma rétrospective personnelle de l’année 2009.

Je vous invite à le lire dans son intégralité (on notera que le logiciel libre y est évoqué et même souhaité), mais je n’ai pu résister à en reproduire ici la percutante introduction :

Nous sommes professeurs de lettres et de philosophie dans un établissement public de France et nous voulons dire notre tristesse. Notre colère. Nous avons appris, il y a peu, que notre établissement déposait un projet d’« école innovante » auprès du rectorat, mené en partenariat avec Microsoft !

Les établissements publics français ont une mission publique d’éducation. Ils doivent, cela va sans dire, évoluer avec leur société : si l’on tient absolument au novlangue actuellement en vigueur à l’Éducation nationale, disons qu’ils doivent « innover » ; mais quel besoin de le faire sous le coaching de Microsoft ?

Que vient donc faire une multinationale dans nos innovations pédagogiques ? Et comment comprendre que ce soit le responsable des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) au rectorat, autrement dit l’Éducation nationale elle-même, qui encadre ce « partenariat » ?

Nous, enseignantes du service public français, sommes choquées d’avoir à innover par la « méthode des 6i » (« introspection, investigation, inclusion, innovation, implémentation, insight ») mise au point – et brevetée ! – par le groupe Microsoft pour pouvoir formater de façon homogène l’innovation pédagogique de pays différents, et faire émerger l’école du XXI siècle, comme on peut le lire sur le site de Microsoft.

Quelle éloquence, mais surtout quelle évidence !

On remarquera que l’INRP s’est quant à elle tout à fait accommodée de la « méthode des 6i » à Châteaudun. Les « experts pédagogiques » sont semble-t-il plus flexibles et malléables que les profs d’en bas.

Suite à cette tribune, l’une des auteurs m’a contacté pour échanger, voire prendre conseil, parce que figurez-vous qu’elle subissait du coup menaces et pressions de la part de sa hiérarchie !

Mais la hiérarchie s’est ravisée. Je pense qu’elle a réalisé que plus cette histoire allait se médiatiser, plus sa position deviendrait intenable, car les collègues se rangeraient plus que majoritairement derrières les arguments des enseignants.

Autrement dit, victoire, on n’a plus du tout entendu parler de ce projet Microsoft depuis ! La prochaine « Innovative School » française devra attendre. Comme quoi quand on veut…

Et l’article de s’achever ainsi :

L’école en a, des profs « innovants », si l’on tient absolument à les appeler ainsi.

Non, ce n’est vraiment pas le désir d’inventer et de créer qui manque, à l’Éducation nationale.

Mais un prof qui s’entend dire qu’il devra accepter comme une condition nécessaire pour accéder aux moyens de mettre en œuvre ses projets de travailler avec telle entreprise privée, sous sa direction et dans son formatage, dans l’idéologie de ce que doit être l’école du XXIe siècle (sic) selon ladite entreprise, ce prof, dès lors, ne sent plus tellement en lui le désir d’« innover ».

Parce qu’il pressent qu’« innover » dans ces conditions impliquera qu’il abdique une part de sa liberté pédagogique au nom du modèle idéologique en question.

Ce sera également notre conclusion.

Notes

[1] Crédit photo : Lee Carson (Creative Commons By-Sa)




Courte interview de Richard Stallman avant sa venue en France

Richard Stallman - Copyright Sam OgdenLa biographie de Stallman, dont nous sommes à l’initiative, et qui est au final bien plus qu’une traduction suite aux nombreuses modifications effectuées par Stallman lui-même (cf cette vidéo), sortira donc officiellement jeudi 21 janvier 2010.

Sauf pour les chanceux qui assisteront à la rencontre avec Richard Stallman demain aux éditions Eyrolles[1] (c’est malheureusement complet depuis des lustres) et qui auront la possibilité de repartir avec les premiers tirages encore chauds sortis de l’imprimerie (et accessoirement une dédicace de Stallman). C’est Christophe Masutti, co-auteur du livre, qui représentera Framasoft.

Outre Paris donc le 12 janvier, Richard Stallman sera à Lyon le 13, Grenoble le 14 et Autrans le 15 (plus d’infos sur cette dépêche LinuxFr)[2].

En attendant, nous avons posé par email quelques questions à Richard autour de ce livre, dont les réponses ont été rédigées directement en français par l’intéressé.

Entretien avec Richard Stallman

Framablog : Bonjour Richard, est-il vrai que tu as lu pour la première fois le livre d’origine de Sam Williams à l’occasion du projet de sa traduction en français, et si oui pourquoi ?

RMS : Avant sa publication, j’ai lu le texte préliminaire et j’ai donné des critiques à Sam Williams. Après la publication, il n’y avait plus rien à faire, donc je n’ai pas lu le livre publié avant d’être invité à le corriger pour la traducion française. Quand je l’ai vu, il était évident qu’il avait besoin de plus que de petits changements.

Une biographie sur toi, cela te gène, cela flatte ton ego ou bien tu y vois un document de plus pour diffuser tes idées et celle du Mouvement pour le Logiciel Libre ?

Tous les trois.

Était-il difficile et délicat de ne corriger que des éléments factuels de la première version ? As-tu eu la tentation de corriger également des éléments plus subjectifs sur ta personnalité ?

Il y a ici un malentendu. Mes changements vont au dela des éléments factuels, je n’avais jamais l’intention de les limiter si étroitement. J’ai préservé les citations critiques, et les impressions personnelles de Sam Williams quand présentées comme telles. Et parfois j’ai ajouté des réponses.

Bien sûr, suivre cette politique était parfois une tache délicate, mais elle était nécessaire pour éviter de produire un livre qui ne présentait que mon point de vue sur moi.

Peut-on dire que l’histoire de ta vie, c’est aussi un peu l’Histoire de l’informatique et de son combat pour rester libre ?

L’histoire de l’informatique est longue et large, et les événements de ma vie n’en touchent qu’un peu. Mais une grande portion du livre concerne le mouvement du logiciel libre que j’ai lancé.

Quand sortira la nouvelle version en anglais ?

Je ne sais pas, mais j’ai proposé de le publier tout de suite.

Penses-tu que Nicolas Sarkozy lira ta biographie ?

Si les français luttent très fort contre ses lois injustes, comme la DADVSI et l’HADOPI, peut-être il ordonnera que quelqu’un le lise pour lui. Mais ce ne serait pas une victoire. La victoire, c’est qu’il soit remplacé par quelqu’un qui aime plutôt les Droits de l’Homme que les grands éditeurs, quelqu’un qui supprime ces lois et légalise le partage numérique.

Notes

[1] En avant-première de la sortie du livre Richard Stallman et la révolution du logiciel libre, disponible en librairie le 21 janvier 2010, les éditions Eyrolles organisent à la librairie une conférence publique avec Richard Stallman, suivie d’une séance de dédicaces, mardi 12 janvier 2010 à 17h.

[2] Crédit photo : Copyright Sam Ogden (avec son aimable autorisation)




Le Monde et Libé main dans la main pour nous pondre des éditos serviles et crétins

Hamed Saber - CC byJe me souviens d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. C’était avant Internet. La presse avait un surnom : le quatrième pouvoir. Et il me plaisait d’y croire à ce contre-pouvoir, face aux autres pouvoirs incarnés par l’État.

Aujourd’hui, j’ai de plus en plus de peine à y croire. Jusqu’à ne plus y croire du tout lorsqu’il s’agit d’aborder « Internet ».

Que Sarkozy s’empare d’un rapport pour venir nous faire une proposition qui frise le ridicule avec sa « taxe Google », nous y sommes malheureusement désormais habitués, Hadopi étant encore (et pour longtemps) dans toutes les mémoires. Mais que des journaux aussi prestigieux que Le Monde et Libération, reprennent le même jour, sans aucun recul, cette proposition, en tentant bien maladroitement de la justifier, c’est nouveau et c’est plus que décevant[1].

Mais qu’est-ce donc que cette « taxe Google » ?

Florent Latrive (journaliste à… Libération !) la résume fort bien dans son excellent et cinglant billet La taxe Google, symbole cache-misère sur son blog Caveat Emptor :

Il n’est surtout nulle part question que cette taxe soit une source de revenus supplémentaires pour les artistes et créateurs. Elle vise simplement à compenser dans le budget de l’Etat une série de dépenses en faveur des industries culturelles, et notamment la carte jeune musique ou l’extension du crédit d’impôt pour la production musicale. Si ces dépenses auront, c’est le minimum, pour effet indirect d’assurer quelques rentrées à la filière, on ne trouve pas là trace d’une nouvelle ligne de recettes susceptibles d’apporter un revenu pérenne et conséquent aux créateurs. On taxe la pub, et on subventionne la vente de musique. Il ne s’agit pas là de rémunérer la filière sur la base d’une nouvelle circulation des oeuvres et de nouveaux partages de la valeur ajoutée, mais d’instaurer un micro-bricolage fiscal, tout en continuant, via Hadopi, la guerre au public et à ses pratiques de partage sur les réseaux.

Et Guillaume Champeau de surenchérir sur Numerama, un brin énervé :

Puisque la France et l’Europe sont incapables de favoriser l’émergence de grands acteurs de l’internet, autant taxer les sucess stories américaines pour financer ses industries vieillissantes.

Ajoutons à cela qu’elle s’annonce techniquement inapplicable (ça ne vous rappelle rien ?), puisque comme nous le précise Rue89, il sera fort délicat, pour ne pas dire impossible, de tout aussi bien choisir les sites à taxer, empêcher l’évasion fiscale et dénombrer les internautes français.

L’idée est donc définitivement mauvaise. Et, même si ça n’est pas forcément agréable à lire, on ne s’étonnera pas de se faire plus ou moins gentiment chambrer par le reste du monde.

Mais nos deux grands quotidiens ont eux décidé de passer outre…

Qu’est-ce que l’éditorial, ou l’édito, d’un journal ? C’est en quelque sorte la « signature » du journal, voire même parfois sa « vitrine idéologique ». Et comme c’est important, on ne va pas en confier la plume à n’importe qui : ce sont souvent les directeurs ou les rédacteurs en chef qui s’y collent.

Or donc ici, c’est rien moins que l’éditorial de ces deux journaux qui est sollicité pour jouer, j’exagère à peine, les porte-paroles du gouvernement. Les titres de l’un comme de l’autre sont évocateurs et en parfaite symbiose : « Juste » pour Libération et « Une taxe juste » pour Le Monde. Le parallèle est saisissant, à croire qu’ils se sont passés le mot.

L’édito de Libération : « Juste »

URL d’origine du document
Par Laurent Joffrin (directeur du journal) – 8 janvier 2010

Internet, notre ennemi ? Voilà bien la manière la plus niaise de poser le problème de la création et de la presse en ligne. Le réseau mondial porte en lui un tel progrès de civilisation – culture et information à la disposition de tous sur un simple clic – qu’il est ridicule d’invoquer cette dichotomie sommaire.

Ce serait effectivement ridicule, mais alors pourquoi le rappeler en introduction ? On est à la limite de la faute avouée à moitié pardonnée.

Non, l’ennemi est plus insidieux, et plus dangereux : c’est le tout gratuit, en ligne ou ailleurs.

Qu’est-ce que le « tout gratuit » ? Je n’en ai personnellement aucune idée. Toujours est-il que « l’ennemi » est donc désigné et que l’on se trouve face à une autre dichotomie sommaire dans laquelle on souhaiterait nous enfermer : gratuit contre payant. Le refrain est désormais connu, occultons totalement la constitution de biens communs, le partage de ressources sous licences libres et ouvertes (gratuites ou payantes) et les échanges non marchands. C’est pourtant aussi et surtout là qu’Internet est susceptible d’être un « progrès de civilisation ».

Pendant des lustres, les ravis de la fausse modernité nous ont expliqué que la gratuité totale, par des sources principalement publicitaires, créerait son modèle économique. On s’aperçoit aujourd’hui que cette prophétie n’a aucune réalité pour les producteurs de contenus culturels (musique, livres, cinéma, information…)

Merci de cet aveu. Il fallait effectivement être bien naïf pour croire ces « ravis de la fausse modernité » (on veut des noms !).

Quelques géants, agrégateurs comme Google ou fournisseurs d’accès Internet, ont capté l’essentiel des revenus. Le libre marché a créé cette originale répartition des tâches : les créateurs de contenu supportent les dépenses, les diffuseurs perçoivent les recettes.

Mélangeons allègrement deux entités aussi hétéroclites que Google et un fournisseur d’accès pour en faire d’étranges boucs émissaires à qui on reproche d’avoir « capté » les revenus des contenus.

Les premiers subissent déficits, précarité et licenciements, les autres amassent des montagnes d’argent.

Non, non, on ne nous parle pas de la crise des subprimes mais bien de la crise des industries culturelles (qui, contrairement à la première, n’inquiète qu’elles-mêmes). Toujours est-il que « les autres », vautrés sur des montagnes d’argent injustement récolté, sont coupables. Il est alors sain et logique de les punir par une taxe en faveur des pauvres victimes.

Dès lors, le rapport Zelnik est dans le vrai quand il cherche le moyen de rééquilibrer une situation qui mènera sans cela à l’anémie et au formatage des contenus.

Classique. On confond un problème (réel) avec l’une des solutions (plus que discutable) pour le traiter. On ne s’y est pas pris autrement pour justifier l’Hadopi. « Dès lors… », le raisonnement est un peu court et l’affirmation péremptoire. Si vous ne voulez pas d’une presse malade (anémie) et uniforme (formatage des contenus) alors vous ne pouvez qu’adhérer au rapport Zelnik et à sa taxe Google. La ficelle est un peu grosse mais CQFD.

Et ce qui vaut pour la musique vaut, a fortiori, pour l’information, dont le rôle civique est évident.

Journalisme et musique, même combat dans l’adversité, d’où l’existence de cet édito. Et c’est encore pire avec le journalisme dont l’évidence du rôle civique est telle qu’il convient tout de même de le rappeler.

A moins de considérer, dans un rêve ultralibéral, qu’en raison d’un commandement du Saint Marché, créateurs et journalistes doivent désormais vivre d’amour et d’eau fraîche.

J’ai connu Libération moins critique vis-à-vis de l’économie de marché. Mais résumons-nous : Internet tend vers un tout gratuit capté par un Google causant tristesse et désolation dans le monde des « vrais » producteurs de contenus culturels. La taxe est juste, la taxe est la solution.

L’édito du Monde : « Une taxe juste »

URL d’origine du document
Non signé – 8 janvier 2010

Taxer Google. En prenant position, jeudi 7 janvier, lors de ses voeux à la culture, en faveur d’une fiscalisation des revenus publicitaires en ligne des géants d’Internet, Nicolas Sarkozy fait-il preuve de démagogie ou, au contraire, de cohérence ? Un peu des deux. Il est facile de pointer uniquement le grand méchant loup américain. Les maisons de disques, par exemple, ont longtemps refusé de prendre au sérieux les évolutions technologiques, préférant profiter des revenus considérables qu’elles tiraient du CD.

Départ identique à l’édito précédent (Internet n’est pas l’ennemi, etc.). On est lucide parce qu’on a bien compris la démagogie de la proposition, mais comme c’est aussi de nous, les journalistes et notre avenir dont il s’agit, on va tenter malgré tout de vous en montrer sa cohérence (si possible sans recourir aux forceps).

D’un autre côté, la position des moteurs de recherche, Google en tête – l’immense majorité des internautes français entrent sur la Toile avec lui -, devient intenable.

Intenable pour qui exactement ? On pourrait d’ailleurs faire également le même procès à Microsoft et ses ventes liées (lui aussi basé fiscalement en Irlande soit dit en passant). Ce qui donne alors : « D’un autre côté, la position des systèmes d’exploitation, Windows en tête – l’immense majorité des utilisateurs français entrent en informatique avec lui -, devient intenable ».

Depuis des années, Google profite de contenus qu’il n’a pas créés et qui ne lui appartiennent pas : musiques, films, livres, presse, produits audiovisuels… Google ne paie presque rien et il rend les contenus gratuits. Pire, il capte des pages de publicité, et donc des revenus, qui devraient aller à d’autres.

Pareil que tout à l’heure. Google capte, profite sans donner, et rend tout gratuit. On ne va pas dire que Google est un voleur, mais on en a tout de même fortement envie. « Il est facile de pointer uniquement le grand méchant loup américain », disait-on pourtant en préambule. Que Google pose de nombreuses questions et de nombreux problèmes est une évidence, mais aborder aussi radicalement le débat ne risque pas de faire avancer les choses.

Le résultat est ravageur : hormis le cinéma, qui se porte bien – la magie de la salle opère toujours -, la musique est sinistrée, la presse souffre, le livre est menacé.

Et n’oublions pas aussi qu’en 2012 c’est l’Apocalypse. Et il semblerait, mais c’est à vérifier, que Google n’y soit cette fois-ci pour rien.

Comment convaincre des consommateurs de musique de payer pour un produit qu’ils peuvent trouver gratuitement ? Lorsque l’on a 20 ans, que l’on a grandi une souris à la main, que le plaisir d’un meilleur son ou d’une belle pochette de disque compte moins, la mission paraît impossible.

J’invite l’éditorialiste du Monde, fin connaisseur de la jeunesse, à lire l’article de Jean-Pierre Archambault, Gratuité et prix de l’immatériel, pour constater qu’à l’impossible nul n’est tenu.

Ces dernières années, les gouvernements ont, pour punir les fraudeurs, multiplié les textes de loi et accumulé les maladresses. La filière musicale, elle, a pris beaucoup de retard dans la mise en place d’une offre riche et attractive.

Donc, en toute logique, si on tire les leçons du passé, il n’y a aucune raison de ne pas se trouver en face d’une nouvelle maladresse. Mais pas du tout…

Dès lors, les mesures incitatives, préconisées par le rapport de la mission Création et Internet, présidée par l’éditeur Patrick Zelnik, sont justes. Et juste aussi l’idée de financer celles-ci par une taxe sur la publicité en ligne. Le rapport aurait pu aller plus loin en mettant à contribution les autres grands bénéficiaires du système que sont les fournisseurs d’accès.

Le mimétisme avec Joffrin me laisse songeur. Ils ont dû s’enfermer ensemble dans une pièce commune pour nous rédiger cela, c’est la seule explication. Jusqu’à la même locution « Dès lors… ». En tout cas, le raisonnement (bancal) et la conclusion (partiale) sont en tout point identiques, jusqu’à l’inclusion des fournisseurs d’accès dans le même galère que Google.

Restent deux difficultés. La faisabilité, d’abord. Dans un monde dématérialisé, évaluer les recettes spécifiquement françaises et contraindre des entreprises étrangères à acquitter leur dû fiscal en France ne sera pas simple.

Cette première difficulté est une impossibilité.

Cela suppose aussi de bouleverser la philosophie d’Internet, réseau créé pour permettre la circulation libre du savoir. Pour les artistes et auteurs, ce serait justice. Pour les utilisateurs, ce sera une révolution culturelle.

Pincez-moi ! Suis-je bien en train de lire un éditorial du Monde ? S’en prendre à la libre circulation du savoir sur Internet serait une nouvelle « révolution culturelle » ???

Une partie de moi-même s’en trouve glacé d’effroi ! (surtout la partie « bobo de gauche », qui n’a pas encore totalement disparue)

On pourrait en rire si ça n’était point si grave. Parce que, mine de rien, ces deux éditos, consciemment ou non, nous préparent magnifiquement à l’épisode suivant qui participe du même état d’esprit, à savoir la mise en place du filtrage du Net et la remise en cause de sa neutralité.

La peur est décidément mauvaise conseillère. Monsieur Joffrin, vous aviez raison tantôt de rappeler le rôle civique de la presse, parce qu’il y a des jours, comme ce 8 janvier 2010, où il peut nous être permis d’en douter.

Notes

[1] Crédit photo : Hamed Saber (Creative Commons By)