Intros, une app Nextcloud pour faciliter la prise en main de Framaspace

Le projet Framaspace propose, à ce jour, un espace cloud (fichiers, agendas, contacts, wiki, kanban, etc) à plus de 1 200 associations et collectifs. C’est autant d’instances du logiciel libre Nextcloud. Malheureusement, ce dernier n’est pas toujours très facile à prendre en main, malgré les documentations, les forums, etc. Framasoft a donc décidé de faire plancher un stagiaire, Val, sur le sujet de l’accompagnement des personnes utilisant Nextcloud pour la première fois. Voici son histoire.


 

Bonjour Val, peux-tu te présenter ?

Salut ! Je m’appelle Val, j’ai 22 ans. J’ai grandi en banlieue parisienne, et depuis 4 ans maintenant je fais mes études à l’INSA Lyon, école d’ingénieur qui se trouve à… Villeurbanne (c’est comme Lyon, mais avec les endroits jolis en moins). Je suis Parisien, Lyonnais, banlieusard, parfois même Suédois, selon l’humeur.
Si tout se passe bien, je serai diplômé l’an prochain comme Ingénieur en Télécommunications.

J’aime chanter et faire de la musique, aller grimper des murs en plastique, résoudre des Rubik’s cube et jouer aux jeux vidéos, quand je suis pas occupé à bidouiller du code. Ces dernières années, j’ai aussi participé à plusieurs projets associatifs, notamment dans des associations de l’INSA, ou encore avec la Croix-Rouge.

Photo de Val, stagiaire Framasoft entre mai et août 2024
Photo de Val, stagiaire Framasoft entre mai et août 2024

 

Concernant ton stage, tu as choisi Framasoft. Pourquoi ?

J’étais en Suède au moment de chercher un stage, et c’était un peu galère. Chercher à distance c’est forcément plus compliqué, surtout que je voulais si possible faire un stage qui corresponde à mes valeurs. Si vous vous posez la question, en gros, être de la main d’œuvre pas chère pour renflouer le capital de grandes entreprises c’est pas trop mon truc.

L’année précédente, j’avais participé à organiser un évènement avec l’association Exit Lyon, dans lequel une salariée de Framasoft était venue faire une conférence sur l’émancipation queer par le numérique. Étant engagé dans le milieu associatif, je connaissais déjà un peu Framasoft, je pense comme beaucoup à travers les services numériques que l’asso propose. J’avais encore son mail, donc j’ai envoyé une candidature, et voilà où j’en suis quelques mois plus tard.

C’est un peu le cas idéal pour moi : un stage dans une organisation à but non-lucratif, en rupture avec le capitalisme, et qui contribue à construire plus de justice sociale dans notre société.

Mème Val
Val choisissant son stage chez Framasoft — Allégorie

 

Venons-en au sujet de ton stage. Quel était l’objectif général ?

Depuis 2 ans Framasoft propose Framaspace, une solution de collaboration et de stockage de fichier en ligne à destination d’associations et de collectifs militants, basée sur le logiciel libre Nextcloud. Bien qu’il réponde à la problématique posée, celui-ci est loin d’être parfait, et est notamment plus difficile d’utilisation que d’autres solutions existantes (non-libres et administrées par des GAFAM, par exemple Google Drive ou Microsoft 365).

Mon sujet de stage vient s’inscrire dans cette problématique : comment faire pour que la première fois qu’une personne se connecte à Nextcloud elle ne fuit pas en courant. Mon but est de faciliter la première utilisation de Nextcloud, en accompagnant les utilisateurices et en les aidant à s’approprier le logiciel. Si tout se passe bien, cela encourage les gens à rester sur cette solution libre et respectueuse de leur vie privée, à défaut de les voir courir vers des solutions jugées plus simples d’utilisation chez les GAFAM.

Fort heureusement, Nextcloud permet à la communauté de créer des applications qui s’intègrent au logiciel pour venir l’améliorer. La première incarnation de cette mission prend donc la forme d’une Application Nextcloud, « Intros ».

OK, donc, parlons de l’App Intros. À quoi sert-elle ? Quel est le public visé ?

Intros répond à la question la plus simple qu’une personne a en arrivant sur Nextcloud : « Il est où le bouton pour [insérer une action quelconque] ? ».

Pour y répondre, Intros met en lumière des éléments, des boutons ou même des parties de l’interface de Nextcloud et explique à quoi elles servent. Par exemple, l’application va surligner la petite icône de partage d’un fichier et afficher un texte qui explique comment partager un fichier à une autre personne. C’est valable pour plusieurs des applications de Nextcloud, des fichiers aux contacts, en passant par le calendrier.

Techniquement, comment ça marche ?

L’application est basée sur la bibliothèque intro.js, qui permet justement de réaliser des tutoriels pas à pas en surlignant les éléments d’une page web. La bibliothèque s’intègre simplement à Nextcloud comme une bibliothèque javascript classique, et on peut personnaliser des visites pour les utilisateurices.

C’est tout ? Non ! La bibliothèque gère certes la plupart des aspects de l’affichage pour nous, mais il a fallu l’adapter pour qu’elle s’intègre à Nextcloud. Par exemple, gérer quand la visite d’une application a déjà été suivie, pour ne pas la proposer une nouvelle fois à l’utilisateurice, et faire un menu pour réactiver les visites en cas de besoin. Ou encore gérer différentes langues, afficher des boutons cohérents avec le reste de Nextcloud, surligner des éléments dans des menus… Bref, de nombreuses petites améliorations qui permettent à la bibliothèque de bien s’intégrer à Nextcloud, sans que les utilisateurices ne se doutent de rien.

Tu as rencontré des soucis, qu’ils soient techniques, organisationnels, etc ?

Bien sûr, sinon c’est moins marrant. Comme toujours quand je développe quelque chose, parfois ça fonctionne et je me dis que, quand même, je suis vraiment génial, et parfois (souvent) ça fonctionne pas et je me dis que, quand même, je suis stagiaire.

Par exemple, au cours du développement je me suis rendu compte que l’application avait parfois du mal à trouver certains éléments de la page. L’un des soucis d’intro.js, c’est que la bibliothèque est prévue pour être déployée sur un site qui a été conçu par la personne qui écrit les visites guidées. Cette personne aurait donc une bonne connaissance de la structure du site, et saurait quels éléments doivent être sélectionnés pour que ça fonctionne à tous les coups… Sauf que cette personne, c’est pas moi. Je l’intègre à Nextcloud, que je n’ai évidemment pas conçu, et je dois donc m’adapter à la structure des pages existantes. Comme si c’était pas assez simple, la façon dont les pages sont construites change en fonction de l’application (Fichiers, Agenda, Contacts…) ou même de la version de Nextcloud. Bref, il a fallu rétro-ingénierer le DOM HTML au cas par cas, pour trouver quels éléments il était possible de sélectionner et éviter de sélectionner des éléments qui peuvent changer de nom, de classe, ou même disparaître totalement.

Mais même en faisant attention, parfois ça ne passait pas. L’application n’arrivait pas à trouver certains éléments, et affichait une explication sur du vide. Pas idéal. Dans intro.js, par défaut, on donne une liste d’éléments à surligner et les explications qui vont avec, et la bibliothèque se charge de les détecter dans le DOM au chargement de la page. C’est ce point qui était bloquant dans ce cas : au chargement de la page. Les éléments sont tous chargés d’un coup, et ne peuvent donc pas changer en cours de route. Ça m’a posé problème spécifiquement dans deux cas :

  • d’abord, les éléments dans des menus. Parfois on veut mettre en évidence un élément qui n’est pas visible par défaut, et qui le deviendrait après un clic de l’utilisateurice sur un bouton ;
  • ensuite, les éléments qui ne sont pas chargés immédiatement au chargement de la page. Certaines applications de Nextcloud mettent un peu plus de temps à charger leurs éléments, et la bibliothèque ne peut donc pas les détecter dès le chargement.

Alors comment on fait ? Ben on appuie sur les touches du clavier, dans le bon ordre si possible, et au bout d’un moment ça fait du code qui règle le problème. Ici, au lieu de détecter tous les éléments d’un coup, j’ai fait en sorte de les détecter juste avant qu’on ait besoin d’eux. A chaque fois que l’utilisateurice appuie sur « suivant », l’application détecte l’élément suivant qui doit être surligné et remplace l’élément par défaut par cet élément avant de lancer l’étape suivante. Comme ça, on n’a pas à se soucier du temps de chargement de la page, ou du fait que le bouton soit dans un menu. Reste plus qu’à simuler un clic utilisateur avec javascript pour les boutons dans les menus et paf! ça fait des chocap… bref ça fonctionne.

Mème Val "This is fine"
Val faisant face aux disparités de gestion du DOM HTML dans Nextcloud –Allégorie

 

Maintenant que l’app est publiée, quelle est la suite des événements ?

La suite, j’allais dire que ça ne dépend presque plus de moi ! J’espère que l’application sera utilisée par les utilisateurices de Nextcloud, elle est en tout cas déjà utilisée au sein de Framaspace.

Par ailleurs, on a discuté avec Nextcloud d’une possible intégration de l’application au cœur du logiciel (non plus en tant qu’application tierce, mais directement dans Nextcloud). Cela faciliterait l’ajout de nouveaux tutoriels pour les applications tierces, mais Nextcloud émet des réserves quant à la pertinence de son intégration. Une des remarques faites est que l’appli vient expliquer l’interface, alors qu’on peut directement adapter l’interface pour la rendre plus facile d’utilisation (elle se passerait alors d’explications).

Capture écran de Intros dans le magasin d'application Nextcloud
Capture écran de Intros dans le magasin d’application Nextcloud

 

Et puis l’application peut encore être améliorée (après tout je ne suis qu’un modeste stagiaire) pour la rendre plus performante, plus facile à maintenir, etc. C’est également important puisqu’on souhaite qu’elle soit maintenue au fur et à mesure des mises à jour (fréquentes !) de Nextcloud.

Mon petit doigt me dit que tu travailles sur une autre application Nextcloud, tu peux nous en dire plus ?

Ton petit doigt m’a l’air très bien renseigné 😉

Une nouvelle application est effectivement en cours de construction (#WIP). L’application OwnershipTransfer de son petit nom permettra à l’admin d’un Nextcloud de transférer la propriété des fichiers (ou même d’autres types de données) d’un-e utilisateurice vers un-e autre. Bien pratique par exemple quand une personne quitte une association qui utilisait Nextcloud sans penser à transférer ses fichiers importants à un-e autre membre : cela évite de perdre à tout jamais le budget prévisionnel de l’asso. Par contre, ça fait toujours pas le café… désolé.

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On arrive à la fin de cette interview. Souhaites-tu nous partager un sentiment sur le travail effectué pendant ce stage ?

Je suis pleinement satisfait du travail que j’ai effectué. Au delà du fait d’avoir conçu et développé une application Nextcloud pour la première fois de A à Z, c’est surtout d’en tirer énormément de nouvelles compétences et apprentissages. Que ça soit en PHP, langage que je n’avais que peu apprivoisé avant mon stage, en développement logiciel de manière générale, gérer des releases, des issues et des merge request… Je suis très heureux de pouvoir sortir de ce stage en ayant beaucoup appris.

J’en profite pour remercier l’équipe salariée de Framasoft, qui a toujours su m’aider et répondre à mes questions quand j’en avais besoin !

Dernière question, récurrente dans nos interviews : quelle est la question que tu aurais aimé qu’on te pose, et quelle serait ta réponse ?

« Mais dis moi Val, tu la trouves comment la documentation de Nextcloud ? »

C’est un peu mon instant râleur (après tout je suis Français). Elle est… peu fournie, pour profiter d’une occasion d’utiliser une figure de style que j’aime beaucoup. Ça présente ses avantages d’un côté, si on veut y voir du positif : aller fouiller dans le code source pour comprendre comment utiliser les API c’est très formateur !

Merci beaucoup, Val !
Pour information, si vous êtes étudiant⋅e, que vous aimez Nextcloud, et que ce genre de sujet de stage vous intéresse (de préférence à Lyon pour faciliter l’encadrement, mais télétravail possible), n’hésitez pas à nous envoyer rapidement une candidature spontanée sur stages @ framasoft.org !




Zikapanam : une asso de musiciens amateurs qui organise des jams

Depuis plusieurs années, nous publions régulièrement (tant que faire se peut du moins !) des articles témoignant de la dégafamisation de structures associatives ou relevant de l’économie sociale et solidaire. Dans le cadre du lancement de emancipasso.org, notre nouvelle initiative pour accompagner les associations vers un numérique plus éthique (lire l’article de lancement), nous avons eu envie de reprendre la publication de ces témoignages.

Pour ce faire, nous avons lancé un appel à participation sur nos réseaux sociaux et quelques structures nous ont répondu (vous pouvez continuer à le faire en nous contactant) ! Nous sommes donc ravis de reprendre une nouvelle série d’articles de dégafamisation avec aujourd’hui le témoignage de Zikapanam, qui organise et participe à des jams, répétitions, scènes ouvertes et concerts. Merci à Laurent pour son témoignage riche, et bonne lecture !

Bonjour, peux-tu te présenter brièvement pour le Framablog ? Qui es-tu, ton parcours ? Ton rôle dans l’association ?

Je suis Laurent Schwartz, l’un des quatre fondateurs de l’association Zikapanam créee en octobre 2022. J’en suis son actuel Président et le seul opérationnel sur l’acquisition et le développement des outils informatiques de l’association. J’ai une formation d’ingénieur en informatique. L’informatique et la musique (Basse, Batterie et Chant) sont deux des mes passions depuis mon adolescence.  J’utilise Linux au quotidien depuis 2008.

Tu nous parles de ton association ? Quel est son objet, les valeurs qu’elle porte ? 

Zikapanam est une association de musiciens amateurs de tout niveau qui organise et participe à des jams, répétitions, scènes ouvertes et concerts. Des musiciens adultes de toute l’île de France nous rejoignent. Nous organisons nos événements et nos rencontres musicales sur Paris intra muros et petite couronne. 
La bienveillance caractérise les relations souvent décrites par les nouveaux arrivants .

En termes d’organisation, combien y a-t-il de membres ? y a-t-il des salarié⋅es ? Êtes-vous localisé géographiquement ou bien un peu partout ?

Nous sommes (juin 2024) environ 190 membres cotisants. La cotisation est modique. L’association est basée entièrement sur le bénévolat. L’ancrage de Zikapanam est la région parisienne. Nous souhaitons aussi développer une communauté de jams distancielles par internet pour attirer des musiciens francophones de toute la France.

Tim Sheerman-Chase, CC BY 2.0 <https://creativecommons.org/licenses/by/2.0>, via Wikimedia Commons

Vous diriez que les membres de l’association sont à l’aise avec le numérique ou pas du tout ? Ou bien c’est assez disparate ?

Nous utilisons beaucoup d’outils pour communiquer (Discord, solution logicielle maison, réseaux sociaux etc.), il y a donc un filtrage conséquent à l’arrivée sur notre Discord. Les gens qui vont au bout du processus d’inscription sont les plus motivés et peut-être aussi ceux qui prennent le temps de s’adapter à nos outils. Nous sommes composés de musiciens et pour la plupart l’ordinateur fait peur. Ils utilisent plutôt leur téléphone. Cependant, parmi les bénévoles, l’usage de l’ordinateur est souvent la norme.

Quel a été le déclencheur de votre dégafamisation ? Qu’est-ce qui vous a motivés ?

Nous avons une partie de nos membres qui est sensible aux enjeux du libre et qui utilisent les outils Framasoft ou du Fediverse.. C’est arrivé à mes oreilles et je me suis renseigné car je constatais qu’il y avait des freins importants à l’adoption de certains réseaux sociaux comme Meta même par des gens qui n’étaient pas forcément activiste du libre …
Au gré de mes réflexions sur le sujet, je me suis donné ces objectifs :
– offrir un accès libre à nos communications sur nos réseaux sociaux (sans besoin de créer un compte) ;
– limiter la nuisance de la publicité et des algorithmes qui décident pour vous les publications qu’on vous présente …  Qui détournent l’attention de nos publications ;
– toucher tous nos followers plutôt que le 5% que Meta dans « sa bonté généreuse » nous laisse toucher !

Quels sont les moyens humains mobilisés sur la démarche ? Y a-t-il une équipe dédiée au projet ? Ou plutôt une personne seule ? Quelles compétences ont été nécessaires ?

Je suis le seul opérationnel en informatique mais je reçois des idées de beaucoup de monde dans l’association. Il est cependant à ma charge de qualifier la pertinence des propositions qui me sont faîtes. Le monde du libre est documenté mais n’arrive pas dans le top des moteurs de recherche que j’utilise … Et ça complique grandement les recueils d’informations ! En tant qu’ingénieur en informatique, j’ai l’habitude de me former aux outils, de les découvrir et d’apprécier leurs fonctionnalités mais ça demande du temps et je ne peux le faire qu’à certaines périodes de l’année.  C’est ce que j’appelle la veille techno.

Comment avez-vous organisé votre dégafamisation ? Plan stratégique machiavélique puis passage à l’opérationnel ? Ou par itérations et petit à petit, au fil de l’eau ? Quelles étapes avez-vous suivi ?

À vrai dire, je n’ai rien contre les GAFAMs. Ces sociétés ont apporté beaucoup à internet à son démarrage et leurs actions d’aujourd’hui sont compatibles avec un monde d’entreprise où l’argent est roi !. Mon raisonnement est pragmatique, nous sommes une association et nous n’avons pas les moyens financiers d’une entreprise commerciale ! Les outils que nous serons amenés à utiliser ou que nous utilisons déjà le seront parce qu’ils nous sont accessibles financièrement, peuvent convenir et fédérer un maximum de personnes parmi lesquels des technophobes. Et c’est un véritable challenge !

Est-ce que vous avez rencontré des résistances que vous n’aviez pas anticipées, qui vous ont pris par surprise ? Au contraire, y a-t-il eu des changements dont vous aviez peur et qui se sont passés comme sur des roulettes ?

Notre arrivée sur le Fediverse est récente et les outils à ma disposition actuellement ne permettent pas de qualifier l’adhésion des membres de notre association à ces réseaux sociaux. Je constate juste que très peu de membres se sont créés des comptes sur le Fediverse mais ça ne veut pas dire qu’il ne le consulte pas ponctuellement ou même régulièrement puisque la création d’un compte n’est pas obligatoire pour accéder à ces contenus. D’après mes premières remontées d’information, se créer un compte sur le fediverse ne serait pas trivial … Un effort de formation devra sûrement être engagé sur ce point.

Parlons maintenant outils ! À ce jour, on en est où ? Quels outils ou services avez-vous remplacé, et par quoi, sur quels critères ?

Nous n’avons pas « remplacé » Meta, Les bars et les lieux culturels avec lesquels nous travaillons sont tous sur ces réseaux. Mais nous avons commencé à développer nos réseaux parallèlement sur le Fediverse.. Nous développons des usages qui nous permettent de mettre en valeur la souplesse de Mobilizon. De plus  keskonfai, pixelfed et Mastodon nous ont apporté une certaine visibilité supplémentaire dans les moteurs de recherche au contraire de Meta qui par exemple empêche l’intégration aux moteurs de recherche des événements publics que nous organisons  afin de nous forcer à acheter de la publicité pour les mettre en avant …
Note : Plus récemment j’ai découvert Linkstack une alternative sérieuse à Linktree.

Est-ce qu’il reste des outils auxquels vous n’avez pas encore pu trouver une alternative libre et pourquoi ?

Oui, bento. J’aimerai avoir une ferme de bento spécifique à notre asso mais je n’ai pas encore trouvé d’alternative à bento en logiciel libre. Voilà ce que nous faisons avec Bento : https://bento.me/strawberry-jam-band et nous avons une dizaine d’autres dans le même genre.

Avez-vous organisé un accompagnement de vos utilisateur⋅ices ? Si oui, de quelle manière (formation, tutos, support, etc.) ?

Non pas encore.  Mais j’y pense sous forme de vidéo conf sur Discord.

Est-ce que votre dégafamisation a un impact direct sur votre public ou utilisez-vous des services libres uniquement en interne ? Si le public est en contact avec des solutions libres, comment y réagit-il ? Est-il informé du fait que ça soit libre ?

Dans notre newsletter, j’ai largement communiqué sur keskonfai, pixelfed et mastodon mais cette communication doit être rappelée régulièrement et je vais m’y astreindre.

Un mot de la fin, pour donner envie de migrer vers les outils libres ?

Bénéficier de l’adhésion de toute notre communauté est un challenge que j’ai accepté. Il faut convaincre en allant à la rencontre des membres et en expliquant avec un argumentaire concret à toute épreuve qui voit avant tout leurs intérêts quotidiens !
Le potentiel du Fediverse est important. En tant qu’ingénieur, je vois bien les efforts d’interconnexion qu’il existe entre ces plateformes et je les apprécie en tant qu’utilisateur !
J’espère que d’ici 6 mois/un an, je pourrai faire un bilan très positif sur cette première étape dans la Dégafamisation !!
Merci de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer sur ce sujet. Plus d’infos sur notre association : https://linktr.ee/AssoZikapanam



La nouvelle #solarpunk du jour : « 100 Papier »

Pour la deuxième fois, Framasoft participe, au sein de l’Université de Technologie de Compiègne (UTC), à une semaine de cours sur le thème des lowtechs et du Solarpunk.

Les étudiant⋅es ont pour mission d’écrire (sans se faire aider par l’I.A. !) des nouvelles dans cet univers, qui sont publiées ici et participeront à un concours organisé par Low-Tech Journal. Ces nouvelles ont été lues en direct sur la radio indépendante Graf’Hit. La lecture de cette nouvelle est écoutable ici :

Aujourd’hui, découvrons un étrange personnage accroc au papier dans un monde où ce matériau est devenu… interdit !

100 Papier

Auteur·rices : Zatar Myriam , ASPE Candice , MOURCHID Soumaya ,GAO Rongtian, KADRI Elias, Nkoumba Eric Donald

Ce document est disponible sous licence CC-BY-SA.

« Bonjour Paris, il est 8 heures, on est le 9 septembre 2042 et la journée s’annonce ensoleillée ! Aujourd’hui, je rappelle que c’est la douzième journée mondiale sans papier. Alors, la question du jour est : comment vivez-vous sans papier ? Tout le monde est invité à laisser un message sur notre ToothBook. »

« Bonjour à tous ! Vous êtes chanceux aujourd’hui, je suis un précurseur de la vie sans papier ! Je m’appelle Jordan. Ça fait 20 ans que je l’ai aboli. Avec mon casque VR et mon PC, je vis la belle vie tout en protégeant la planète. Je peux jouer à GTA et envoyer un mail en même temps ! Le papier était une véritable catastrophe écologique. Maintenant, je m’amuse sans couper aucun arbre ! » 

Léon Roman éteignit sa radio, marmonnant des injures : « Comment avez-vous pu… » 

« Chéri, regarde devant toi ! » s’exclama Juliette en tendant le bras depuis le siège passager. 

Devant, la police effectuait une fouille des véhicules. La voiture freina, écrasant la ceinture de sécurité sur le ventre arrondi de sa femme. Son mari inspira bruyamment, le cœur battant à tout rompre, face aux gyrophares bleus et rouges vers lesquels ils progressaient lentement. Il ne remarqua pas la goutte de sueur coulant sur son front. Le souvenir de sa rencontre avec la police lors de la précédente manifestation lui procura une impression désagréable. 
Loin d’être dupe, Léon respirait de plus en plus vite : de toute évidence, ils étaient en quête de contrebande. Et juste sous la banquette arrière de sa voiture se trouvait aujourd’hui le trafic le plus important au monde : du papier.

Un jeune policier, le regard vif et un sourire crispé sur le visage, s’approcha du jeune couple.

— Bonjour madame et monsieur, inspecteur Hernandez. Nous sommes tenus de contrôler tous les véhicules. Sortez du véhicule. Où allez-vous ?

— Nous allons à la campagne chez ma belle-famille jusqu’à l’accouchement de ma femme, répondit Léon, d’une voix plus aiguë que d’habitude. Un peu en retrait, Juliette observait l’échange, priant pour que l’interrogatoire se finisse sans encombre. Les deux policiers soulevèrent la banquette arrière, dévoilant une pile de livres, à sa grande surprise.

— Cela n’a rien à voir avec ma femme, vous ne…, s’écria Léon, avant d’être plaqué au sol.

— Épargnez-nous ces bêtises, vous en parlerez au juge.

Quelques mois plus tard, la jeune femme, son bébé sur les genoux, pâle de rage, recevait un appel. « Oui, Roman, ici Maître Gimenez. Je suis au regret de vous annoncer la condamnation à perpétuité de votre mari pour trafic de papier. »

« Bonjour Paris, il est 8h, on est le 9 septembre 2152 et la journée s’annonce caniculaire ! N’oubliez pas de vous hydrater et de vous abriter durant les heures les plus chaudes. On accueille aujourd’hui sur notre chaîne le spécialiste M. … »

Mathieu coupa l’hologramme en jurant. Encore une fois, il allait devoir installer le « Sunshade », un pare-soleil blanc de son invention. En effet, il a lu que le blanc est la couleur qui absorbe le moins la chaleur. Aujourd’hui, c’était le grand jour ! 

Mathieu descendit dans sa cave, pour échapper à la chaleur étouffante qui alourdissait l’atmosphère. Son plan, préparé depuis plusieurs années, nécessitait encore quelques retouches. Les escaliers craquaient sous ses pieds alors qu’il descendait dans l’obscurité rafraîchissante de sa bibliothèque secrète, héritée de sa famille. Des livres ouverts jonchaient le sol, annotés d’une écriture soignée. Les murs étaient couverts de câbles, de serveurs et d’écrans lumineux. 

9h00 : il s’installa devant son poste de travail, ajustant les lignes de code qu’il avait préparées. Chaque partie qu’il modifiait le rapprochait de son objectif : démontrer les vulnérabilités d’une société entièrement numérique.

J’ai jusqu’à minuit pour exécuter mon plan, avant la mise à jour des serveurs

Sous la pression, il fabriquait des cigarettes en déchirant des pages de livre. Des recettes de cuisine par-ci, des extraits de comédie par là. Après tout, qui aurait besoin de savoir faire une béchamel ou de lire des pièces ennuyeuses ? Les mots imprimés se transformaient en fumée et remplissaient l’air de la cave d’un épais nuage gris.

10h00 : il recevait un coup de fil de sa petite amie Soraya, ingénieure à l’Agence de Sauvegarde des Données Nationales. Une journée portes ouvertes du macro serveur X2150 était prévue sur invitation.

11h00 : il avait déjà fumé sa 39ème clope, le livre de cuisine arrivait bientôt à sa fin.
 11h45 : « ÇA Y EST ! », cria-t-il, « La clé USB est prête. »

Son plan était simple mais brillant. Le virus qu’il avait créé était conçu pour tout détruire sur son passage.

12h00 : pour se récompenser de sa victoire, il prit une longue inspiration : « il est temps de fumer ».

12h15 : Mathieu commença à préparer ses affaires. Je suis tellement stressé, je ne tiendrai pas la journée sans papier, songea-t-il en fouillant frénétiquement dans ses étagères. Il chercha un livre d’où il pourrait arracher des feuilles pour faire ses cigarettes. En ouvrant le premier venu, il découvrit d’anciennes notes familiales entre les pages. Submergé par la culpabilité, il referma délicatement le livre et en prit un autre. Cette fois, il choisit un vieux recueil de contes pour enfants et, avec une nouvelle pointe de honte, arracha plusieurs pages.

13h00 : il quitta son appartement en direction du centre-ville. Il marchait, jetant des coups d’œil à sa montre. Le bâtiment de l’ASDN n’était pas loin, mais chaque minute lui semblait une éternité.

14h00 : « Bienvenue, mesdames et messieurs, à la journée d’inauguration du Macro serveur X2150 », annonça un présentateur.

15h00 : après avoir fait une visite guidée des lieux avec Soraya, Mathieu se dirigea vers le stand d’exposition de la maquette du X2150.

16h00 : un baiser langoureux lui permit de subtiliser à Soraya son badge d’accès à la salle des machines.

17h00 : Mathieu n’avait toujours pas trouvé la salle des machines, peu habitué à utiliser la padlocalisation. Il se cacha pour fumer des clopes de plus.

18h00 : après plusieurs essais, il réussit enfin à identifier le chemin d’accès vers la salle des machines.

19h00 : Mathieu effectua un dernier tour en salle des machines. Puis il rejoignit Soraya dans le hall.

20h00 : des applaudissements retentirent en l’honneur de Soraya. Sa présentation fit un carton !

21h00 : Mathieu s’approcha pour la féliciter. Il se dirigea vers les toilettes avant de rejoindre la salle des machines.

22h00 : les mains tremblantes, il inséra sa clé USB dans un serveur. La barre de transfert s’afficha à l’écran : « Téléchargement du fichier en cours  %2 % ». Ça y est, j’ai réussi ! Épuisé et ruisselant de sueur, il se laissa tomber sur une chaise. Il profita de cette pause bien méritée pour entamer sa 87ème clope de la journée.

22h10 : « OÙ EST MON BADGE ?! » s’exclama Soraya. Elle fonça à son bureau et se jeta sur son PC. Elle localisa le badge dans la salle des machines et remarqua le téléchargement d’un fichier inconnu en cours. Elle parvint à le stopper puis prévint la police.

22h30 : des bruits dans le couloir de plus en plus proches se firent entendre. Mathieu barricada la porte. « POURQUOI LE TÉLÉCHARGEMENT N’AVANCE PLUS ?! ». Des mégots s’accumulaient au sol, une voix grave se fit entendre de l’autre côté de la porte :

— Police ! Sortez immédiatement ou on enfonce la porte !

Illustration « Smoke design » par Hervé Simon (CC By Sa 2.0)

— Je vous interdis de tenter quoi que ce soit sinon JE VAIS TOUT CRAMER ! La sueur perlait sur son front, et chaque mouvement semblait plus laborieux que le précédent. La patience des policiers était mise à l’épreuve. Certains d’entre eux commençaient à se lasser de cette opération. D’autres vérifiaient leur équipement. Quelques-uns échangeaient des blagues nerveuses pour alléger la tension.

23h00 : assis dans la pénombre, les mains tremblantes, le regard perdu, il savait que la police finirait par entrer. Ses pensées tourbillonnaient, une tempête de regrets et de colère contre une société qui l’avait poussé à bout. « Pourquoi ? » murmura-t-il en fixant la barre de téléchargement statique. « Une société sans âme, sans mémoire. Ils disent que le papier est obsolète, que tout doit être numérique. Mais le papier, c’est l’histoire, c’est la culture, c’est nous. »

23h12 : il se leva lentement, les jambes flageolantes, et s’approcha de la porte. « Si près du but… »

— Commissaire, il faut intervenir, on ne peut pas attendre plus longtemps !

— Non, surtout pas. Les serveurs sont trop précieux. Si on cause des dégâts, ce sera encore pire. La seule chose qu’on puisse faire, c’est le persuader.

23h28 : il fuma sa dernière lueur d’espoir avec sa 100ème clope, ignorant les appels insistants de la police.

00h00 : Les larmes coulaient lentement sur ses joues alors que la fumée noire envahissait la pièce, une chaleur intense l’enveloppant. Les alarmes se déclenchèrent, stridentes. « Peut-être qu’un jour, ils comprendront… »

« Bonjour Paris, il est 8h, on est le 10 septembre 2152, et la journée s’annonce étouffante ! Aux dernières nouvelles, un acte terroriste a été commis cette nuit. La salle des serveurs de l’ASDN a été incendiée, entraînant la perte totale des données du pays. L’auteur de cet acte, identifié comme Mathieu Roman, descend d’une célèbre famille de terroristes. Il a péri dans l’incendie. »

Soraya, encore sous le choc des événements de la veille, écoutait le cœur serré à l’annonce du nom de Mathieu. « Non… ça ne peut pas être vrai… »

50 ans plus tard… Des enfants s’amusaient dans le parc. L’un d’eux s’aventura un peu plus loin qu’à son habitude. Et là, il l’aperçut, à moitié caché sous une pierre, un livre abîmé intitulé « La culture des pommes de terre au XXIe siècle ». Il y manquait des pages… Fier de sa trouvaille, le petit garçon courut montrer le livre à ses parents.

« C’est quoi, les pommes de terre ? »

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La nouvelle #solarpunk du jour : « Archipel »

Pour la deuxième fois, Framasoft participe, au sein de l’Université de Technologie de Compiègne (UTC), à une semaine de cours sur le thème des lowtechs et du Solarpunk.

Les étudiant⋅es ont pour mission d’écrire (sans se faire aider par l’I.A. !) des nouvelles dans cet univers, qui sont publiées ici et participeront à un concours organisé par Low-Tech Journal. Ces nouvelles ont été lues en direct sur la radio indépendante Graf’Hit. La lecture de cette nouvelle est écoutable ici :

Aujourd’hui, on fuit un monde dystopique pour découvrir une société organisée en villages interdépendants…

Archipel

Auteur·rices : MT, M, Paul, KC, Léa et Loul

Ce document est disponible sous licence CC-BY-SA.

— Bonjour Zaden, il est huit heures.

— Bonjour Alann, ouvre les volets, allume la lumière.

— Bien sûr ! Pour votre petit-déjeuner, souhaitez-vous de la confiture ?

— Du beurre. Ah ! Allume la salle de bain et lance la playlist.

— Tout de suite. Vos vêtements sont prêts, dans le tiroir du bas.

— Alann, quelles sont les nouvelles aujourd’hui ?

— Aujourd’hui 15 janvier 2042, 8h23, il fait 16°C et il pleut, la qualité de l’air est bonne. Le pic de particules epsilon se maintient au-dessus de la ville à cause d’un anticyclone. L’entreprise Tomaframe a annoncé le lancement des tests du projet ITER et le gouvernement déclare travailler sur l’exploitation durable des ressources aquifères du satellite Encelade.

— Merci, Alann. Il faut que j’y aille. Déverrouille la porte d’entrée.

— Zaden, avant que vous ne partiez, je viens de recevoir des informations à propos de votre ami Dariux.

— Hein ?

— Votre ami est décédé dans un accident de voiture hier soir.

Cette nouvelle m’assomme.

— Dis-moi où il est !

— Son corps a déjà été incinéré, je peux prévenir ses parents de votre arrivée si vous le voulez.

— D’accord, fais ça !

Déjà incinéré ? Mais pourquoi ? Jamais je n’ai parcouru le trajet reliant ma maison à celle de Dariux aussi rapidement. J’arrive devant sa porte mais quelque chose m’interpelle : elle est ouverte. Je m’interroge, cela pourrait être les militants écologistes de la TREV qui viennent encore faire pression sur la société de son père. Je glisse mon regard dans l’entrebâillement et je reconnais l’uniforme noir de deux membres du gouvernement ONAIME. Que peuvent-ils faire là ? Haletant, je m’approche sans faire de bruit.

« N’oubliez pas, les vraies circonstances de la mort de votre fils doivent rester secrètes… Tout ce que vous devez dire c’est que votre fils est mort d’un accident de voiture ». Cela me semble étrange. Qu’est-ce qu’il se passe ?

Les deux hommes continuent : « D’autant plus qu’un groupe TREV se rassemblerait sur le Belvédère. Il ne faudrait pas leur fournir un prétexte. »

Un prétexte à quoi ? Je ne comprends rien. Justement un tract du TREV a été collé sur le mur de la propriété. Je le reconnais, même si je ne les lis jamais. Cette fois j’en prends connaissance. « NOTRE GOUVERNEMENT NOUS MENT » dit-il. Bien que quelqu’un ait tenté de l’arracher, je peux déchiffrer ces quelques mots : epsilon, intoxication, écologie. La rage et l’incompréhension au ventre, je prends ma course. Je n’ai qu’une envie, celle de parler à une personne qui ne me mentira pas. Je n’entends plus que les battements de mon cœur à mesure que je me dirige vers le point culminant de la ville. Quelques personnes discutent. Une femme aux cheveux gris vient à ma rencontre, l’air soupçonneux.

— Bonjour, jeune homme. Tu t’es perdu ?

— Bonjour madame, c’est vous qui distribuez les tracts ? Mon ami est mort, et le gouvernement semble vouloir en dissimuler la cause… Ils ont aussi parlé de vous, je me suis dit que vous auriez peut-être des réponses.

Elle m’explique.

— Si le gouvernement s’en mêle, c’est sûrement que ton ami est mort à cause des particules epsilon.

Encore une pseudo-solution dite « verte » pour préserver cette maudite croissance.

— Alors Dariux serait mort à cause des epsilon ? Celles que le gouvernement juge inoffensives ? J’ai entendu les uniformes noirs. Ils savent que vous êtes là, c’est comme ça que je vous ai trouvés.

La femme alerte immédiatement ses amis.

— Il faut qu’on bouge ! Heureusement, ils sont lourdauds alors que nous, on voyage léger. Petit, tu peux venir avec nous si tu veux mais c’est maintenant !

D’autorité, le groupe m’embarque dans sa fuite.

°°°

Cela fait trois jours que nous marchons. Je suis éreinté. Manque d’entraînement. Nous arrivons enfin dans un camp. Une nommée Dalia nous accueille, nous fait visiter. Elle m’explique que leur société est constituée de plusieurs îlots d’individus organisés sous forme d’archipel.

— Ici nous sommes à Luton. Chaque îlot, ce que toi tu appelles « village », a des principes qui varient. Par exemple, ici nous ne renions pas totalement la technologie, mais nous la conservons dans son état, le plus lowtech possible. Dans l’îlot voisin, on vit encore plus proche de la nature. Ils refusent tout appareil électrique. Nos micro-sociétés sont interconnectées, communiquent entre elles et s’entraident pour répondre à des besoins communs. Tu savais que c’est comme cela que font les arbres ? Tu pourras choisir l’îlot dont les valeurs te correspondront le plus. Il y a tout de même trois enseignements communs que nous, archipéliens, nous efforçons d’honorer. Premièrement, respecter la Terre et toute forme de vie. Deuxièmement, partager. Troisièmement, ne pas retomber dans les pièges du passé. Bien sûr, chacun peut s’exprimer librement et nous votons pour des propositions formulées dans la « boite à idées ».

Illustration « Last light on The Two Thumb Rang » par
Bernard Spragg. NZ (CC0)

Nous traversons le Jardin commun, où plusieurs personnes de tous les âges s’affairent. Dalia salue un homme qui prépare des boutures. Un autre demande des informations à une jeune femme sur le fonctionnement technique du système de récupération d’eau en circuit fermé. Cette eau, une fois propre, est réutilisée dans le jardin, dans les habitations, partout. Je comprends que, malgré un solide bagage théorique, il vient chercher des compétences pratiques. L’entraide est un principe clé de cette civilisation.

C’est contraire à tout ce que j’ai pu vivre. De là où je viens, les connaissances étaient surtout descendantes, une personne enseignant à des centaines. Ici, le partage de connaissance est pluridisciplinaire et se fait lors de situations concrètes, en petits groupes.

— Au commencement, m’explique Dalia, nous n’étions qu’une dizaine ; chacun apportait son expertise dans son domaine. Cuisine, mécanique, organisation, bâtiment… Mais c’était limité. Aujourd’hui que nous sommes plus nombreux, nous avons gardé ce modèle et l’effet en est démultiplié.

— Pourquoi le savoir et les compétences ne seraient-ils pas communs à tous, de sorte qu’ils ne se perdent pas ?

—  Poste ça dans la boite à idées, me taquine Dalia.

°°°

Cela fait maintenant cinq ans que je suis là. Je ne m’ennuie jamais. La communauté s’élargit. Nous sommes passés à dix îlots. Ma proposition s’est concrétisée, voici ALANN, l’Académie Libre pour l’Accès aux Nouvelles Notions. Nous y développons les solutions de demain en mettant l’accent sur la collaboration, l’accès libre aux savoirs et la pluralité des idées. Aujourd’hui j’y anime l’atelier panneaux solaires, pour réparer ceux que nous avons récupérés l’été dernier.

— Euh, Zaden… je comprends pas pourquoi ça ne marche pas.

— Il faut y aller pas à pas, Jorj. Regarde, une des cellules sur cette ligne est morte. Le plus simple, c’est d’en récupérer une bonne sur un panneau irréparable.

— D’accord, je vais chercher le fer à souder. On le fait ensemble ?

— Bien sûr !

J’ai moi-même appris les rudiments de l’électronique avec Dalia.

— J’y pense, Jorj, après je te montrerai comment on transforme un vieux panneau en chauffe-eau solaire. On en a besoin pour l’habitation du nouvel arrivant.

— J’suis partant !

Je trouve fascinant que les connaissances puissent ruisseler de façon aussi fluide entre les archipéliens. Depuis son arrivée dans l’îlot, j’ai assisté avec fierté à l’évolution de Jorj. Il déborde d’enthousiasme. Dariux était comme lui. Il aurait adoré cette vie. En préparant un petit sac dans ma chambre, je me souviens de ma première leçon : voyager léger. Demain, avec un groupe d’amis, on s’en va explorer les autres îlots. J’ai hâte.

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La nouvelle #solarpunk du jour : « Bunkertech »

Pour la deuxième fois, Framasoft participe, au sein de l’Université de Technologie de Compiègne (UTC), à une semaine de cours sur le thème des lowtechs et du Solarpunk.

Les étudiant⋅es ont pour mission d’écrire (sans se faire aider par l’I.A. !) des nouvelles dans cet univers, qui sont publiées ici et participeront à un concours organisé par Low-Tech Journal. Ces nouvelles ont été lues en direct sur la radio indépendante Graf’Hit. La lecture de cette nouvelle est écoutable ici :

Aujourd’hui, suivons les aventures d’un contrôleur des ressources dans un bunker où deux populations cohabitent tant bien que mal…

Bunkertech

Auteur·rices : Elsa MENUGE, Alexandre MERIMEE, Ness noé MOUSSOYI, Raphaël P., Quentin CEYSSON, Guillaume BERLINERBLAU

Ce document est disponible sous licence CC-BY-SA.

Nous sommes en 2042, cela fait environ 5860j-3h-35min que nous habitons dans un ancien bunker. Une pandémie volatile a touché la Terre décimant 99.8 % de la population. Le bunker est séparé en deux factions. Les lowtech se nourrissent essentiellement de légumes et optimisent leur utilisation d’électricité. Tandis que les hightech se nourrissent d’aliments lyophilisés et se concentrent dans le stockage d’énergie électrique. Les lowtech veillent pendant que les hightech dorment et inversement. Cela a été mis en place pour réduire le flux de mouvement dans le bunker. Je suis le contrôleur des ressources du bunker, c’est pourquoi je rencontre souvent les deux factions. Malheureusement, cela fait deux semaines qu’une rumeur sur une mystérieuse maladie sévit.

La participation de Dominique et Bobby, qui appartiennent à la faction hightech, a été souhaitée par Odin, le chancelier. Je dois donc les réveiller…

— Je suis crevé, Jarvis. J’ai dormi à peine deux heures ! Appelle les gueux plutôt que nous ! s’exclame Bobby commençant à suer à peine sorti de son lit.

— Cela doit être sérieux si nous sommes convoqués sur l’horaire des pécores, soupire Dominique en sortant doucement de sa demeure.

Je les accompagne dans la salle de contrôle où se trouvent déjà des membres de la faction lowtech.

— Que se passe-t-il ici ? s’interroge Arthur.

— J’aimerais bien le savoir aussi. Qui êtes-vous ? répond Dominique en les pointant avec sa canne.

— Arthur, chef de la faction lowtech. Vous êtes ? dit Arthur, le menton relevé, la moustache agressive.

— Oh, on se retrouve avec les clodos ! Je suis Dominique, le responsable de la faction hightech, dit celui-ci en bâtonnant le sol.

Je ressens l’électricité dans l’air. Soudain, la voix d’Odin retentit l depuis les haut-parleurs.

— Bonsoir à tous. Je vous ai réunis aujourd’hui, car la filtration de l’air est défaillante. La santé de la population est en danger. Dix occupants du bunker sont victimes d’une maladie semblable à l’épidémie qui fait rage à l’extérieur. Le taux de contamination de l’air augmente. Vous devez trouver une solution. La survie de tout le monde en dépend.

Il a le toupet d’inventer un retour de l’épidémie alors que selon mes sources, l’air est de bonne qualité et il n’y a même pas de malade. En plus, cela fait environ 2680j que l’air extérieur est redevenu sain !

— Hum, le système de filtrage de l’air, il se situe où déjà ? demande Dominique.

— Il se trouve dans les canalisations, papy… au niveau -10, près des machines pressurisant et filtrant l’eau.

— Allons voir, pour comprendre ce qui a bien pu se passer. Et même si l’idée ne me plaît guère, les gueux doivent nous accompagner.

Je vois Charlie se tourner vers Arthur.

— Chef, je ne veux pas travailler avec des incapables, mais ça m’a l’air sérieux. Des rumeurs parlent d’une maladie avec des symptômes étranges, dit-elle en s’en approchant.

— C’est vraiment inquiétant, plusieurs de nos compagnons ont fait des malaises ces derniers temps, dit Arthur, triturant sa moustache.

— Trouver une solution avec les hightech, jamais ! Tu sais très bien que je ne peux pas collaborer avec eux. Ces vieux ploucs sont des flemmards qui gaspillent nos précieuses ressources.

— Ils n’ont qu’à crever dans leur coin !

— MAMMA MIA, quel culot ! Vous n’acceptez pas le progrès et vivez comme au Moyen Âge ! s’exclame Bobby.

Soudain, la voix d’Odin résonne dans toute la pièce.

— Silence ! J’ai besoin de chacune de vos compétences. La résolution du problème est urgente.

Toute l’équipe décide de se rendre dans la salle de filtrage d’air en grommelant. Avant de les rejoindre, je décide de m’adresser à Odin seul à seul :

— ODIN ! Tu te fous de tout le monde ? Tu cherches à réconcilier ces deux factions alors que depuis le début tu ne fais qu’amplifier leur haine !

— TU MENS ! Je les ai séparés pour réduire l’encombrement du bunker.

— Quelle bonne blague ! Tu les forces à faire du sport pour produire de l’électricité, comme des hamsters ! Juste pour alimenter ton serveur ! En plus, ils font ça en pensant fournir des ressources à l’autre faction. En y repensant c’est sûrement la cause de tous ces malaises. Comment peux-tu prétendre ne pas vouloir les diviser ?

Agacé par son comportement, je sors de la pièce pour rejoindre les équipes. Le couinement de l’une de mes roulettes gâche un peu l’effet dramatique, mais tant pis.

On sort du monte-charge au niveau -10. Les yeux de Charlie s’écarquillent, émerveillés par la tuyauterie faisant fonctionner l’ensemble du bunker, et dit devant l’impressionnante machine de filtrage :

— Chef, je ne comprends rien à toute cette technologie.

Après avoir diagnostiqué le système de filtrage grâce à ses lunettes SDM, Bobby conclut :

— On n’a plus assez d’énergie pour alimenter cet équipement vétuste.

— Tout ça à cause de vos inventions hyper énergivores, souligne Arthur. Il faudrait rationner le réseau électrique qui passe par les ateliers des hightech.

— Non, on ne changera pas nos ateliers. On en a besoin pour stocker l’électricité produisant nos nourritures lyophilisées, et puis vous utilisez aussi notre énergie pour faire pousser vos graines. Il faudrait passer par les fermes des lowtech en réduisant l’utilisation de lampes à UV. De toute façon, votre soja est immangeable ! fait remarquer Dominique.

— Je ne vous permets pas de dénigrer notre soja ! Il est tellement plus savoureux que la poudre qui vous sert de nourriture, s’exclame Charlie.

Cela fait 2j-5h-45min que la tension entre les deux factions ne cesse d’augmenter, je ne sais plus où donner de la tête…

— Je vous retrouve aujourd’hui puisqu’il y a 10% des occupants qui sont atteints de la maladie. Il n’y aura bientôt plus de place pour tous les placer en quarantaine. Dépêchez-vous de résoudre le problème, la solution ne va pas se trouver toute seule ! presse Odin.

Il n’arrête pas d’inventer des mensonges et s’il continue, les factions vont s’en rendre compte…

— Bon ! Pour voir quel est le problème, j’ai ramené notre plan des installations électriques, informe Arthur.

— Votre carte est pourrie ! Elle n’est même pas à jour… rétorque Bobby.

— Effectivement, soupire Dominique. Bobby, pose tes lunettes SDM et montre à ces gueux le vrai plan.

Même mentir, Odin ne sait pas le faire… Il a donné deux mauvaises cartes complètement différentes. Il est vraiment minable… Je vais les aider :

— Hé, ho, hé, ho, je détecte une anomalie au niveau -10 au quartier C5, suivez-moi.

Illustration « Stairs lit with colorful neon lights inside a corridor of the Atomium in Brussels Belgium » par Basile Morin (CC By Sa 4.0)

— Enfin arrivés ! braille Bobby. C’est un putain de labyrinthe !

— Mais qu’est ce que c’est que ce bordel ! crie Charlie. Je n’ai jamais vu cet escalier !

J’ai fait une bourde… Ils vont arriver devant cette fameuse porte.

— Utilisons notre bonne vieille méthode pour enfoncer une porte : un bélier, propose Arthur.

Je vois quatre regards se tourner vers moi… Je vais prendre cher… Des mains saisissent ma carcasse. Soudain, mon front rencontre dix fois la porte violemment.

— AAAAH ! MON DOS ! Mon dos est bloqué ! hurle Dominique.

— Euh, je ne sais pas si vous avez vu, mais regardez juste en haut, il y a un actionneur ! informe Charlie.

— Tu nous auras servi à rien, Jarvis, rigole Arthur.

Une fois la porte ouverte grâce à la canne de Dominique, je vois leur visage se figer. La salle est remplie de serveurs. Au centre se trouve un énorme écran étiqueté 0D1. Intriguée, l’équipe s’avance. Cependant, des lasers leur bloquent le passage. Charlie déchire son manteau pour fabriquer une fronde de fortune. Elle prend sur le sol une roulette que j’ai perdue et neutralise le système. En se rapprochant de l’écran, des indicateurs de qualité de l’air apparaissent, l’extérieur est donc vivable.

Cela fait maintenant 254j-7h-17min que l’Humanité a recommencé à vivre à la surface. Les deux factions vivent maintenant en harmonie, combinant leur savoir-faire. Elles ont décidé de restreindre le développement de technologies autonomes. Ces dernières sont plus responsables, comportent des pièces recyclées d’Odin et des autres machines. Quant à moi, ma technologie devenant inutile, j’ai décidé de me désactiver pour faire place à une nouvelle génération.

# mysql -u root -p -e 'drop database JRVS' && shutdown -H now

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La nouvelle #solarpunk du jour : « Qu’ai-je fait ? »

Pour la deuxième fois, Framasoft participe, au sein de l’Université de Technologie de Compiègne (UTC), à une semaine de cours sur le thème des lowtechs et du Solarpunk.

Les étudiant⋅es ont pour mission d’écrire (sans se faire aider par l’I.A. !) des nouvelles dans cet univers, qui sont publiées ici et participeront à un concours organisé par Low-Tech Journal. Ces nouvelles ont été lues en direct sur la radio indépendante Graf’Hit. La lecture de cette nouvelle est écoutable ici :

Aujourd’hui, nous allons suivre une héroïne amnésique découvrir une étrange cité apparemment idéale… mais où une étrange atmosphère règne.

Qu’ai-je fait ?

Auteur·rices : Marie, Apolline, Jade, Anatole, Ombeline, Agathe

Ce document est disponible sous licence CC-BY-SA.

Partie 1 : Le réveil

Tout le monde court autour de moi. J’essaye de bouger, de courir, mais je suis tétanisée. Je cherche des visages familiers parmi la foule, mais tout va trop vite. Les battements de mon cœur résonnent et le sang afflue dans mes tempes, brouillant mes sens. Je sens une main familière sur mon épaule :

— Mais… qu’est-ce que tu as fait ?

J’ai chaud. L’odeur de soufre me brûle les sinus. J’ouvre les yeux, les mains encore tremblantes.

— Encore ce rêve.., dis-je en me levant.

Depuis maintenant cinq jours, j’erre seule dans ce désert de déchets. J’ai le ventre tiraillé par la faim et la gorge sèche à cause du manque d’eau. J’avance sans but, me nourrissant de conserves trouvées dans des supermarchés laissés à l’abandon. Je me dirige maintenant vers le nord, restant à l’affût du moindre bruit autour de moi. Je ne me sens pas à ma place dans cet environnement hostile. Tout à coup, j’entends un craquement derrière moi. Je me retourne vivement et aperçois des enfants cachés derrière les montagnes de détritus. Ils m’observent en rigolant :

— Bonjour… ? commencé-je en m’approchant. Vous êtes du coin ? Vous savez…

Sans me laisser finir, les enfants se mettent à courir. Ils sont les seules personnes que je rencontre depuis que je me suis perdue, et sont sûrement ma seule porte de sortie. Épuisée, je fais alors appel à mes dernières forces pour partir à leur poursuite. Ils courent plus vite que moi, et je peine à les suivre. Soudain, je me revois à l’époque de ma propre enfance faisant des courses poursuites avec mes amis dans les rues de la ville. Le vent soulève mes cheveux et me ramène à la réalité. Cette vie-là n’est plus la mienne aujourd’hui. Je reprends mon souffle péniblement, et cherche des yeux les enfants. J’aperçois une foule qui s’éloigne. Je suis à bout de force, mais je ressens quelque chose que je pensais avoir perdu : l’espoir. Je puise dans mes dernières ressources. Je me faufile dans cette masse et suis le mouvement, ne voulant pas me faire remarquer. Au loin, les contours d’une ville se dessinent. Je me surprends à sentir des parfums familiers. Encore quelques pas et j’arrive enfin dans cette cité inconnue.

Partie 2 : La découverte d’un nouveau monde

J’ai l’impression d’entrer dans une civilisation qui ne ressemble à rien que je connais. Je décide de sortir de la foule agitée. J’emprunte une petite rue déserte et m’adosse contre un mur afin de reprendre mon souffle. Les lumières commencent à tourner autour de moi, je sens mes yeux se fermer et mon corps s’alourdir. Alors que je commence à m’évanouir, j’entends : « viens avec moi, il faut que tu manges ».

Je décide de suivre cette voix grave qui m’est inconnue. Une main m’incite à m’asseoir puis me donne de la nourriture. Je reprends peu à peu mes esprits et vois alors l’homme qui m’a amenée ici. Il doit avoir une cinquantaine d’années, les cheveux blancs, quelques rides, assez grand, d’une stature imposante et avec un regard perçant.

— Merci, merci pour votre aide… Je m’appelle Jaamao, balbutié-je.

— Maël. Tu viens pas d’ici toi. J’me trompe ?

— Je… pardon, je vais vous laisser, dis-je alors que la peur que l’on me renvoie dehors s’éveille en moi.

— Tu peux rester.

Après quelques jours de repos, je retrouve assez d’énergie pour aider Maël dans les tâches quotidiennes. Un matin, alors que je le rejoins pour notre petit déjeuner habituel, il me lance :

— Ça va, aujourd’hui ?

— Je me sens bien mieux, merci !

— Et ta mémoire ?

— Rien pour le moment… Je ne comprends toujours pas comment je me suis retrouvée dehors. Le seul souvenir qu’il me reste est cet horrible cauchemar qui ne me quitte pas.

Après une pause à regarder sa tasse de thé, Maël prend une décision :

— Avale vite ton p’tit dèj’. On visite la ville aujourd’hui.

Il me conduit dans un dédale de rues et de jardins qui s’entremêlent. Les odeurs de menthe et de persil montent jusqu’à mes narines et se mélangent à celles des légumes grillés, de l’autre côté de la rue. Une brise légère souffle, qui adoucit la chaleur accablante ; les feuilles dansent et s’agitent en rythme. Je profite de ce nouveau paysage et reprends plaisir à entendre la foule calme évoluer autour de moi. Cependant, je remarque que certaines personnes me regardent attentivement. Je me tourne vers Maël :

— J’aime beaucoup cette ville ! Tout le monde a l’air si gentil… mais certains me dévisagent.

— Tes yeux, me répond-il brusquement à voix basse. Les yeux vairons sont rares ici. La dernière fois qu’on en a vus, il paraît que des catastrophes sont arrivées.

Il me tend discrètement une paire de lunettes de soleil que je m’empresse de porter. Confuse, j’essaye de soutirer plus d’informations, mais Maël fait mine de ne pas m’entendre et continue sa route. Il m’explique l’organisation de cette cité réadaptée. Nous retournons à l’endroit où il m’a amenée le jour de mon arrivée : l’espace de rassemblement pour les repas. La nourriture qui y est servie provient d’élevages et de cultures raisonnées que les habitants pratiquent au sein même de la ville. Je découvre ensuite la zone résidentielle, où un logement est attribué à chaque famille, contenant le strict minimum pour se reposer. Les habitations sont organisées autour de zones communes, de nombreux parcs et espaces de jeux entourent les immeubles jusqu’aux écoles, bibliothèques et magasins de première nécessité. La ville contient également un espace spécialisé pour les soins avec un centre hospitalier. Maël m’explique que l’usage des médicaments a fortement diminué, au profit de soins plus doux et plus naturels.

— C’est très étrange, tout ce que je découvre est si différent, si ordonné et si réfléchi par rapport au peu de souvenirs qu’il me reste du monde d’avant.

— On ne surproduit plus. T’as vu comment c’était dehors. Trop pollué. Trop sale.

— Comment ?

— On revalorise, on composte, on traite, on réutilise.

Je remarque des panneaux solaires et des éoliennes disposés sur le haut des bâtiments. Je sais que cela permet à cette cité d’être autonome, cependant je ne parviens pas à expliquer comment je peux être si sûre de moi. Perdue dans mes pensées, j’entends à peine Maël qui me parle :

— … ta visite. Jaamao ?
Je tourne la tête vers lui.
— Tu apprécies ta visite ? reprend-il.
— C’est beau, bredouillé-je.
— On travaille dur pour ça. Mais c’est pas parfait.

Sur ces mots, il se retourne, désignant un semblant de puits dans le sol partiellement rebouché. Cet endroit me rappelle l’extérieur de la ville : « Et dire que le changement climatique ne préoccupait personne… », me dis-je.

— Il n’y a pas d’eau ?

— C’est le problème de notre quartier. Il y a six quartiers dans la ville, chacun géré de manière autonome. Sauf qu’on manque tous d’au moins une ressource. À cause de ça, on est dépendants les uns des autres. Par exemple, dit-il en pointant le Nord, le quartier Delfino n’a quasiment aucune culture à cause du sol pollué. Carlingo ne possède pas de système de recyclage des déchets. Et chez nous, c’est l’eau.

— Je trouve ça bien que vous arriviez à être en connexion avec les autres, remarqué-je surprise que Maël m’explique autant de choses.

— Oui… dans l’idée. Mais y’a pas assez d’échanges, on a du mal à parler… Il y a toujours des rivalités à deux balles entre les quartiers.

Sur ces mots, Maël soupire, et la ride sur son front se creuse un peu plus, avant de poursuivre :

— Tu vas penser que je suis qu’un vieux râleur. Mais c’est important qu’on s’entende bien. Il faut arriver à se mettre d’accord sur nos lois et nos échanges.

Comme il ne détaille pas plus, je lui demande alors :

— Comment vous faites ?

— Une fois par mois, les conseils de quartier se réunissent pour en parler. Mais une vraie démocratie avec tous les citoyens ? C’est pas si facile, conclut-il.

Illustration basée sur « Alice Eyes » de audi_insperation (CC-By 2.0), modifiée par Ombeline

Partie 3 : « Qu’ai-je fait ? »

Nous avançons dans les rues sur le chemin du retour. Le soleil commence à baisser, je décide d’enlever mes lunettes.

— On va sur la place Luis Orogan. Elle est centrale à notre quartier. Tu vas aimer.

Je commence à sentir à nouveau les regards sur moi. Des murmures se font entendre lorsque je passe devant certaines personnes.

— C’est la fille aux yeux vairons, non ?

— C’est elle !

— Elle est revenue !

— Elle va nous porter malheur…

— Regardez ce qu’il s’est passé la dernière fois !

Les gens du quartier se sont agglutinés sur la place. Je me sens de plus en plus oppressée et commence à voir trouble. Je cherche des visages familiers parmi la foule, mais tout va trop vite. Je sens une main familière sur mon épaule :

— Mais… Qu’est-ce que tu as fait ?

Le regard inquiet de Maël me transperce. Tout se met à tourner autour de moi. Les souvenirs me frappent et un goût amer m’envahit. Je me souviens à présent : mon arrestation, mon exil… Pourquoi tout le monde me rejette, s’éloigne de moi… C’est de ma faute.

Quelques années auparavant, nous avons été confrontés à nos premiers gros problèmes d’accès à l’eau potable. J’ai cru pouvoir résoudre seule ce problème en créant une machine permettant de potabiliser les eaux rejetées. Les premiers tests ayant été réussis, j’ai tenté de créer une deuxième version, plus puissante, plus efficace, plus performante. Le conseil ne l’avait pas encore validé mais je l’ai quand même mise en place à leur insu. Malheureusement, la fuite de l’un des composés chimiques a pollué toute l’eau potable causant la mort de nombreuses personnes. Parmi eux, Gabi, mon meilleur ami.

En redécouvrant, avec un regard neuf, le fonctionnement de cette ville, je réalise à quel point j’ai été stupide. Je relève la tête, les larmes aux yeux, et regarde les visages autour de moi :

— J’ai cru… j’ai cru que je pouvais y arriver. Je voulais y arriver. Je ne vous demande pas de me pardonner. Je ne suis pas sûre de pouvoir moi-même.

Je cherche Maël du regard, et, la gorge nouée, je m’adresse à lui :

— Je veux apprendre à faire ce que tu fais. Je veux pouvoir apporter des choses ici, rattraper ce que j’ai détruit. Mais pas toute seule, plus toute seule. Je veux contribuer à cette cité, avec la communauté. Est-ce que tu peux m’aider ?

"Solarpunk flag, blue diagonal" by @Starwall@radical.town is licensed under CC BY-SA 4.0.

Bonus : « Comment tout s’est effondré », le préquel

Les membres du groupe n’ont pas voulu s’arrêter si vite et ont donc enchaîné avec la rédaction d’une courte histoire complémentaire, qui raconte le fameux événement qui a tout déclenché…

— Tu es sûre que tu ne te précipites pas trop ? Tu sais, le conseil n’avait vraiment pas l’air d’être partant pour mettre en place ta nouvelle invention.

— Oui, mais si on doit tout le temps attendre la validation du conseil, nous n’avancerons jamais !

Jaamao est convaincue que son invention pourrait nous sauver face à la pénurie d’eau qui touche tout le quartier. Elle voit que je doute toujours de son idée :

— Gabi, fais-moi confiance ! La pompe reprend les eaux usées et les purifie grâce à l’ajout de fluoferonitrate. Tous les tests que nous avons réalisés montrent que ça va fonctionner ! J’en suis certaine ! Tu vas m’aider ?

Je la connais, Jaamao. Une fois qu’elle a une idée en tête il est difficile de la lui enlever. De toute façon, je vais l’aider. Je préfère m’assurer que tout se déroule bien plutôt que de la laisser faire cela seule.

— Tu veux mettre en place la machine quand ? demandé-je.

— On peut le faire ce soir, quand tout le monde sera couché. Demain, c’est la fête du quartier, ce sera l’occasion rêvée de montrer que le conseil avait tort de ne pas me faire confiance.

Après nous être mis d’accord sur les différents détails pour l’installation, nous nous retrouvons à la tombée de la nuit quand seul le bruit d’un hibou rompt le calme pesant. Nous entrons dans le centre de traitement des eaux usées et Jaamao y branche sa pompe de purification. Je me positionne pour faire le guet devant la porte, je ressens presque l’envie que quelqu’un nous interrompe et que tout cela tombe à l’eau. Mais il n’y a plus personne dans les rues, à cette heure. Jaamao termine rapidement sa manipulation et nous repartons tout aussi vite. Nous nous quittons après nous être donné rendez-vous à la fête du quartier.

Le lendemain, Jaamao et moi arrivons sur la place principale du quartier Luis Orogan. Des éclats de rire percent à travers la foule. Les odeurs des brochettes de champignons grillés me titillent les narines et réveillent mon appétit. La peur me tétanise et l’atmosphère commence à être de plus en plus pesante. Que se passera-t-il si un habitant se rend compte de ce que l’on a fait ?

Au fond de la place, près de la fontaine, les gens se servent en eau. Je prends alors un verre et je le bois entièrement. L’eau a un léger goût, mais rien d’alarmant. Toutes les eaux ont un goût.

— Alors ? Tu vois que mon invention était nécessaire et fonctionne ! s’exclame Jaamao

Des bruits de toux commencent peu à peu à remplacer les rires, et mon cœur se serre. Une femme s’effondre à ma gauche. Encore une autre. Encore et encore. Les gens commencent à paniquer et à s’agiter. Tout le monde court autour de moi. Je vois Jaamao tétanisée. Elle cherche des visages familiers parmi la foule, mais tout va trop vite. Je transpire tellement. Que se passe-t-il ? Que m’arrive-t-il ? Je m’effondre, et me rattrape à elle :

— Mais… qu’est-ce que tu as fait ?




Framalibre : Une refonte pour revenir à l’essentiel

L’annuaire des outils numériques libres et éthiques a fait peau neuve fin 2023, pour devenir encore plus pratique et faciliter les recommandations. Petit tour en coulisses pour vous expliquer le parcours de cette refonte.

Ici Maiwann qui vous écrit d’un café, enfin d’une gare, en train d’attendre son train de 17h23 parce que le train de 16h24 a été annulé.

Est-ce qu’il y a un meilleur moment pour vous raconter l’histoire de la refonte de Framalibre ? Je ne crois pas, et en plus la touche E de mon clavier fonctionne pour l’instant, alors c’est parti pour ce long article qui vous raconte les coulisses.

Houston, on va (bientôt) avoir un problème !

Les plus vieux d’entre vous le savent peut-être, Framalibre est en quelque sorte le projet fondateur de Framasoft, qui a commencé en s’appelant Framasoft.net avec une liste de logiciels gratuits pour l’éducation, avant de devenir une liste de logiciels… libres !

Il y a déjà eu plusieurs évolutions de l’annuaire, car on part initialement d’un site qui sent bon les années 2000 vous en conviendrez vous-même 🙂

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La version historique de Framalibre, qui n’avait d’ailleurs pas de nom à l’époque fonctionnait sous SPIP. Elle était uniquement centrée sur les logiciels libres.

En 2017, une première refonte de l’annuaire a vu le jour, sous Drupal, grâce à Makina Corpus via un mécénat de compétences. À cette occasion, le nom de Framalibre est donné à ce service. L’objectif consiste alors à ne plus restreindre l’annuaire aux logiciels libres mais à l’élargir aux œuvres culturelles, au matériel, aux structures libres.

Or, quand on a un projet aussi vieux, et aussi connu pour représenter l’association, faire une refonte entraîne tout un tas de complexités, de la gestion des données qui fêtent pour certaines leur majorité, à un changement d’interface qui peut bousculer les utilisateurices… cela représente une grosse masse de travail. Mais alors pourquoi est-ce qu’on s’est lancé·es ?

Pourquoi donc se lancer dans ce chantier ?

Ce qui ne pardonne pas : la dette technique

La dernière version de Framalibre se basait sur un Drupal, version 7. Or, cette version n’était plus mise à jour depuis un moment, et allait bientôt devenir désuète. Il faut dire que l’annuaire tournait assez bien tout seul, nécessitant surtout un peu de modération mais pas particulièrement de compétences techniques… ce qui fait que personne n’avait le Drupal actuel suffisamment en main pour le faire évoluer… il fallait trouver l’énergie et pour réaliser cette montée en version, eh bien de l’énergie, il n’y en avait pas beaucoup.

Vous me direz “Mais Maiwann, ce n’est pas parce que c’est une refonte technique qu’il faut aussi chambouler toute l’interface”. Et vous auriez raison. Mais, il n’y avait pas que la partie technique !

Les autres indices

En 2018, nous avions réalisé une enquête afin de savoir ce que vous pensiez de nos services. Lors de l’analyse des réponses, il s’avérait que le seul reproche fait à Framalibre était lié au changement d’interface qui décontenançait les répondant·es.

8 retours sur l'ergonomie et le graphisme, les autres champs sont à 1 (dysfonctionnement du service, manque/proposition de fonctionnalité) ou 0 (Remerciements, Accessibilité, Documentation d'utilisation, Documentation pour l'hébergement, Regrette frmeture inscription, lenteur à l'utilisation, adaptation mobile

Évidemment, il y a toujours un peu de réactance face au changement. Mais de mon œil d’ergonome, on retrouvait tout de même des points un peu compliqués :

  • Une interface très chargée notamment pour la version mobile, ça donnait envie de la faire évoluer !
  • La catégorisation “S’équiper”, “Se cultiver” et “S’informer” n’était pas parlante pour les utilisateurices. S’ensuivait une complexité à trouver ce que l’on cherchait plutôt qu’une facilité à naviguer, dommage.
  • L’évolution des logiciels “à télécharger” vers les services en ligne qui sont maintenant majoritaires a pris de court notre catégorisation. Nous avions alors créé une catégorie “Cloud / WebApp” mais un logiciel ne pouvait rentrer que dans une seule catégorie… Alors comment faire quand votre logiciel correspondait à la fois à “Bureautique” et à “WebApp” ?
  • La base de données n’était pas accessible facilement à des personnes extérieures qui auraient voulu récupérer l’ensemble des notices Framalibre… dommage pour une liste de logiciels libres.

Tout ça nous a permis de réaliser que l’ambition de la première refonte de Framalibre, qui était de faire un annuaire du Libre en général, (c’est-à-dire ne pas se contenter des logiciels) était trop ambitieuse.

Cela impliquait des rédactions de notices trop longues, trop informelles ; les contributions concernaient de toute façon en majorité des logiciels… Nous en avons conclu que finalement, Framalibre devait rester un annuaire de logiciels libres avant tout. Le mélange des genres ne marchait pas.

De même les gadgets que nous avions voulu, eux, n’étaient pas ergonomiques ni clairs :

  • le système de vote pour promouvoir un logiciel avec les étoiles (qui fut assez vite abandonné)
  • le système de registres (un utilisateur inscrit pouvait créer une liste de ses logiciels préférés).
  • l’historique des modification des notices : chacun pouvait voir qui avait modifié quoi, qui était l’initiateur d’une notice, etc. Tout cela constituait un système trop complexe pour finalement ne fournir qu’un service que l’utilisateur veut simple à l’usage et direct à la lecture.

Bref, toutes ces frictions techniques ajoutées aux frictions ergonomiques, ont fait que nous avons commencé à discuter de la refonte que nous voulions…

Tout cramer pour repartir sur des bases saines

Lors de nos premières discussions autour de cette refonte, nous avons envisagé deux pistes : – Mettre à jour le Drupal existant, – Repartir sur une base technique nouvelle.

En n’étant pas expert·e Drupal, dur dur de se rendre compte de la masse de travail que représentait la montée en version. Et notre manque de contrôle sur les données nous frustrait. C’est ce manque de contrôle qui a guidé notre choix : nous voulions repartir sur quelque chose de plus simple et de plus résilient.

C’est comme cela qu’est venu le choix de réaliser un site statique, avec des données au format YAML ou Markdown. Si vous n’y comprenez rien, pas de panique on vous explique ça simplement : Markdown et YAML, ce sont des façons d’écrire les informations dans nos notices qui seront simples à lire pour un ordinateur comme pour des humains.

Regardez plutôt l’exemple suivant, ce sont les informations de la notice d’un petit logiciel que nous aimons bien :

Contenu en Markdown d'une notice Excalidraw (disponible sur https://framagit.org/framasoft/framalibre/-/blob/main/_notices/Excalidraw.md )

Facile à lire n’est-ce pas ? Eh bien c’est à partir de ce document, ce code en YAML/Markdown en fait, que sa notice est actuellement générée. Si vous n’êtes pas développeur·euse, voire que vous n’y comprenez rien au code, félicitations vous venez de lire (et comprendre, peut-être) du code informatique qui se transforme en page de site internet !

Les choix d’une refonte

Une fois cette décision technique prise, il fallait commencer à faire le ménage. Puisque nous étions parties pour tout refaire, il était temps de remettre en question des choix qui ont été faits il y a fort fort longtemps.

Voici une petite liste des questions qui se sont posées :

Garder les captures d’écran ?
– Pour : elles permettent de se rendre compte de ce à quoi ressemble le logiciel rapidement
– Contre : elles deviennent vite obsolètes, et il faut les remettre à jour
– Décision : trop de contenu à surveiller, les utilisateurices peuvent découvrir le logiciel en allant sur son site web, on ne garde pas !

Garder les noms des créateurices d’un logiciel ?
– Pour : cela valorise le travail effectué, souvent bénévolement, par une personne
– Contre : cela personnifie le travail réalisé alors que l’idéal, c’est quand il y a un collectif derrière le logiciel et non pas une personne unique…
– Décision : pour l’instant, on garde

Les notices d’œuvres culturelles sous licence libre, on garde ou on jette ?
– Pour : c’est chouette de documenter les réalisations artistiques sous licence libre
– Contre : nous n’avons pas assez d’énergie pour dynamiser cette section, et la qualité des œuvres qui s’y trouvent est très aléatoire, pas surs que cela soit une bonne vitrine finalement
– Décision : on ne garde pas, pour se concentrer sur ce qu’on fait de mieux : le logiciel

Le champ « alternative à », on garde ou on jette ?
– En contre, nous avions :
– Beaucoup de personnes utilisent alternativeto, un site qui fait déjà très bien son travail de recherche d’alternatives.
– Dans notre réflexion philosophique, les logiciels libres ne sont pas (ou plus ?) de simples alternatives, mais proposent parfois des fonctionnalités qui ne peuvent simplement pas être proposées par les logiciels propriétaires… Aussi il nous semblait réducteur de continuer à les résumer en « une alternative à »
– Il est parfois décevant de chercher une « alternative à » un logiciel propriétaire que l’on connaît bien et de tomber sur un logiciel libre qui sera profondément différent.
– Mais, nous avons fini par garder ce champ ! Pourquoi ? Parce que dans une recherche, parfois les personnes n’ont à l’esprit que l’outil auquel elles cherchent une alternative. Si philosophiquement ce n’est pas parfait, si nous risquons de décevoir, il vaut quand même mieux laisser le contrôle aux personnes et leur permettre d’avoir des résultats lorsqu’elles font leur recherche.

 

Et ainsi de suite pour chaque sujet, jusqu’à ne garder que ce qui nous semblait vraiment le plus intéressant.

On repart donc sur des bases minimalistes :

– Un annuaire de logiciels libres

– Qui s’offre une mise à jour graphique avec la nouvelle charte de l’association

– Et une amélioration sur le plan ergonomique, ne serait-ce que par la simplification de l’interface, et par la possibilité d’un usage en version mobile

N’ayant pas le combo temps-compétences en interne pour assurer le développement, nous avons fait appel à L’Échappée Belle.

Les priorités que l’on se donne

Si nous voulions une nouvelle version plus simple, nous avons aussi choisi d’avancer sur une frustration : le peu de contributions à cet annuaire.

En effet, Framalibre comptait alors 1054 notices, or nous sommes persuadé·es qu’il y a bon nombre de logiciels, notamment des logiciels un peu “de niche” ou “spécialisés” qui n’ont pas leur page dans notre annuaire !

Pour avancer sur ce terrain, nous avons choisi de faciliter la création de nouvelles notices en :

  • proposant un formulaire très souple, pour lequel seuls sont obligatoires le nom et la licence du logiciel
  • permettant aux personnes de créer une nouvelle notice sans avoir à se créer de compte, c’est ce que nous appelons “les contributions anonymes”

C’était un pari que nous faisions, pari qui pouvait nous coûter cher : est-ce que mettre du temps de développement dans ce formulaire allait réellement donner lieu à de nouvelles contributions ? Est-ce que nous n’allons pas ouvrir Framalibre à tout un ensemble de spammeurs grâce à cette contribution anonyme ?

Il n’y a que le futur qui nous le dira !

Formulaire de contribution sans compte… oui mais, le spam ?!

L’équipe technique de Framasoft a passé une bonne partie de l’année 2023 à gérer du spam, encore et encore. Aussi, le projet de réaliser un formulaire de contribution sans compte apportait-il un nouveau risque, celui qu’il soit utilisé par les spammeurs pour nous casser les pieds.

Aussi avons nous prévu un “gros bouton rouge”, c’est à dire une possibilité de débrancher ce formulaire de contribution en cas de nécessité. Une petite sécurité pour anticiper pas mal de pénibilités, on croise les doigts pour avoir à l’utiliser le plus tard possible !

Et comment ça se passe côté modération ?

Proposer des ajouts, c’est bien, mais il faut s’organiser pour modérer ces propositions et valider (ou non) leur ajout à l’annuaire.

Grâce aux choix techniques de légèreté que nous avons fait pour ce nouveau Framalibre, nous avions la possibilité de l’héberger sur une forge logicielle, généralement surtout utilisée par des développeureuses pour collaborer ensemble.

Or, une forge, ça permet de relire le code de la copine, avant de l’ajouter définitivement à celui du logiciel, ou de discuter sur X ou Y propositions de modification. C’est exactement ce dont nous avions besoin pour la modération de notices : de quoi discuter, de quoi relire, la possibilité de faire “Pouce” ou “Non merci” quand on nous propose une notice pour… Microsoft Excel (oui oui !). Nous nous sommes donc basés sur l’interface de Gitlab, la forge logicielle libre sur laquelle repose Framagit, plutôt que de réinventer la roue.

(Et, je vous le dis depuis le futur, ça fonctionne très bien !)

Mais on en profite aussi pour creuser les usages

Pour se décider parmi cette myriade de micro-choix à faire, et aussi pour confronter Framalibre aux usages (cela avait-il déjà été fait auparavant ? Pas sûr !), j’ai profité de plusieurs rencontres avec vous pour faire tester la refonte en cours de réalisation.

Il en est sorti un apprentissage majeur : lorsque je cherche un outil / service / application libre, une fois ma recherche lancée, si j’ai plusieurs choix, je vais me tourner vers celui dont j’ai déjà entendu parler.

Quelques citations entendues pendant ces tests :

  • « Ah oui, ce logiciel, ça me dit un truc »
  • « Ah, je crois qu’on m’a déjà parlé de celui-là… »
  • « Est-ce qu’il est bien, celui-là ? »
  • « Et maintenant… lequel vous me recommandez ? »

Bref, ça n’est pas tout de lister des logiciels, il y a une part qui semble impondérable : la recommandation d’un·e humain⋅e, soit parmi vos proches, soit croisé⋅e sur un stand, lors d’un atelier, d’une animation… On n’allait pas y couper.

Et là, c’est le moment d’imaginer tout un tas de solutions avant de choisir la meilleure. Cela nous est passé par la tête (non) d’ouvrir une hotline Framalibre pour répondre à toutes vos questions, mais il nous a (étrangement !) semblé un peu compliqué de trouver le temps de la tenir sur la durée, aussi nous avons fait des choix plus… légers pour nos épaules déjà bien chargées (et qui permettent de diffuser ce pouvoir auprès de tous celleux qui ont déjà recommandé un logiciel libre autour d’elleux !)

Étape 1 : les recommandations des membres de Framasoft

Si Framalibre est un projet historique de Framasoft, c’est bien parce que depuis longtemps (toujours ?!), les membres de l’association passent leur temps à recommander leurs logiciels favoris. Nous avons collectivement une grande expérience de tout un tas de logiciels, pour pouvoir répondre à vos questions lorsque l’on tient des stands, selon nos affinités aussi (tout le monde ne saura pas vous recommander des logiciels de design ou de musique, mais certains sauront !), mais surtout parce que nous sommes tous tombés dans la marmite du logiciel libre à un moment ou à un autre, et que lorsqu’on a goûté aux logiciels libérateurs, on a envie de les recommander autour de nous !

Bref, nous avions une expérience suffisante au sein de l’association pour avoir envie de guider les utilisateurices de Framalibre vers les logiciels que nous recommandons déjà lorsque nous vous répondons “en direct”.

Aussi est venue l’idée de rajouter une caractéristique “mis-en-avant” dans les notices, et de créer un encart “Framasoft recommande” en haut de la recherche, pour vous recommander certains logiciels.

Mais (car il y a un mais !), cette section a vite été renommée “Les membres de Framasoft utilisent…”. En effet, si nous avons de l’expérience, nous ne connaissons pas tous les logiciels, et si nous voulons aider les utilisateurices à choisir, nous ne voulons pas leur faire croire que certains logiciels seraient moins “recommandables” que d’autres. Aussi cette section nommée “Les membres de Framasoft utilisent” a un titre bien plus long, mais aussi bien plus proche de la vérité : nous pouvons parler de ce que nous utilisons et nous aimons, rien de plus !

Une capture d'écran montrant des logiciels mis en avant comme étant utilisés par les membres de Framasoft

Étape 2 : dis-moi ce que toi, tu utilises !

Peu importe à quel point nous pouvions essayer d’optimiser la recherche, lorsque nous arrivons au moment où la personne a besoin de la recommandation d’un humain, jusqu’à présent, ça coince.

C’est pourquoi nous avons pensé à une nouvelle fonctionnalité, particulièrement conséquente mais sur laquelle nous basons beaucoup d’espoirs : Les mini-sites de recommandation !

  • Mais dis-moi Maiwann, c’est quoi un mini-site de recommandation ?
  • Eh bien Framy c’est très simple !

Un mini-site de recommandation, c’est une page web que toi, moi, et tous celleux qui le veulent, peuvent réaliser pour lister les outils émancipateurs qu’iels utilisent et les partager autour d’elleux. On peut imaginer les partager :

  • à sa famille,
  • aux membres de son association,
  • aux participant·es d’un de nos ateliers…

Il n’y a pas de limites (c’est libre dira l’autre !) autres que vos envies et votre imagination. Si vous souhaitez faire quatre sites, un pour votre conjoint, l’autre pour votre club de tricot, le troisième pour votre club “Les écolos anonymes”, et enfin pour le festival de musique que vous organisez, n’hésitez pas !

Pour vous détailler un peu comment cela s’est passé coté conception, nous voulions quelque chose d’assez simple en terme d’usage, tout en sachant que nous nous adressions à des gens qui étaient tout de même assez à l’aise pour bidouiller un peu, étant donné qu’ils avaient envie de recommander des logiciels libres, ils avaient déjà un peu testé des outils numériques pour les comparer. 🙂

Nous voulions aussi une page web qu’il était possible de faire évoluer dans le temps, selon si un outil devenait obsolète ou, si on en découvrait un nouveau dont on voulait absolument parler ! Il fallait aussi permettre de partager ce contenu, idéalement par une adresse web qu’il serait facile d’envoyer…

C’est alors que nous avons eu l’idée de nous baser sur un autre logiciel, nommé Scribouilli !

Scribouilli, un outil pour créer son petit site

Scribouilli a été conçu par une équipe de personnes qui avaient envie de rendre accessibles les sites… statiques (oh il y a comme un point commun là !) aux non informaticien·nes, pour leur permettre de créer facilement un petit site très simple.

Nous nous sommes dit qu’en faisant un peu évoluer cet outil, il serait possible de renvoyer les personnes qui voulaient créer leur mini-site de recommandations sur Scribouilli, plutôt que de développer une très grosse fonctionnalité sur Framalibre (et potentiellement rajouter la gestion des utilisateurs dans la, déjà longue, liste de choses à faire).

Il y avait 2 choses principales à faire pour adapter Scribouilli :

  • créer un thème graphique dédié (assez facile à faire)
  • permettre de créer son mini-site en se basant sur du libre uniquement (jusque là, Scribouilli passait par Github, il fallait maintenant passer par Gitlab). C’était le très très gros morceau !!

Mais grâce au travail de L’Échappée Belle, les mini-sites existent et vous pouvez dès maintenant créer le vôtre !

Avant de les lancer, on a même pu prendre le temps de réaliser pas mal de tests utilisateur·ices pour vérifier que le parcours se tenait, ce qui nous a permis de rectifier quelques bricoles, pour que tout soit le plus facile possible à utiliser.

Étape 3 : les mini-sites de recommandations… de Framasoft

Maintenant que chacun·e pouvait créer des mini-sites, nous pouvions nous emparer d’un autre retour qui nous avait été fait lors des tests sur cette nouvelle version : « Ça fait un peu vide, il n’y a que le champ de recherche » / « Ça manque de recommandations ».

Du coup, nous avons décidé de réaliser nos propres mini-sites et de les mettre en avant sur la page d’accueil ! Pour cela, nous avons décidé de :

Et il en viendra sûrement d’autres !

Liste des mini-sits mis en avant sur Framalibre : Des applications libres pour Android, Des lecteurs de flux Web, Outils libres pour la cartographie, Les logiciels préférés de Framatophe, Les logiciels qui m'ont fait grandir, Libre sous Mac, Outils pour les designers

Deux mots sur le graphisme

Une fois toutes ces nouvelles fonctionnalités prêtes, nous avons pu passer un beau coup de peinture en adaptant la nouvelle charte graphique de Framasoft à ce nouveau Framalibre. Le beau fond violet et les titres sur fond orange donnent tout de suite une belle ambiance, conviviale et un peu fun au site, ce qui détonne pas mal avec la version précédente !

Il faut dire aussi que nous avons conçu Framalibre en “mobile first”, c’est-à-dire en concevant d’abord pour que le site fonctionne sur mobile, puis en l’adaptant pour les plus grands écrans. Cette façon de concevoir contraint davantage en début de projet, mais évite de se confronter au problème à la toute fin du projet, car il est parfois nécessaire de casser ce qui aurait été conçu sur grand écran pour trouver une façon de l’afficher sur les petits. En démarrant petit et minimaliste, pas de problème !

La sortie !

Framalibre nouvelle version a donc été publié officiellement le 26 décembre, comme un dernier cadeau de Noël déposé sous le sapin.

Depuis, nous avons été très surpris·es du grand nombre de contributions qui ont mis à jour ou ajouté de nouvelles notices ! Le pari de réaliser un formulaire anonyme est réussi, et la modération est facile d’accès et donc est redevenue collaborative, alors qu’elle reposait depuis plusieurs années sur les épaules de très peu de personnes.

Pour les mini-sites, c’est plus compliqué à savoir car nous ne sommes pas notifiés si vous en avez créés ! Aussi, nous vous proposons si vous en avez créé un, de le faire savoir via un hashtag #MonFramalibre sur votre média social favori pour que nous puissions les découvrir (et découvrir de nouveaux outils libres !)

Et maintenant ?

Eh bien il y a déjà du nouveau !

Nous avons amélioré la recherche qui était un peu… minimaliste (si vous cherchiez “Firefox” il fallait taper toutes les lettres avant d’avoir la notice qui s’affichait, pas top top).

Nous allons continuer à regarder quelles sont les petites améliorations que nous pouvons espérer faire avec notre niveau d’énergie. Nous en avons quelques unes qui nous plairaient énormément parmi lesquelles :

  • une feuille de style permettant l’impression des mini-sites (pour partager votre liste de logiciels en atelier ou en classe) ;
    • avoir une page avec la liste de toutes les notices ;
    • une page avec toutes les étiquettes ;
    • faire le lien entre un logiciel et les CHATONS qui le proposent…

Bref, nous avons du pain sur la planche !

Qu’est-ce que je peux faire ?

L’idéal pour nous, c’est de faire connaître encore davantage Framalibre et surtout, les outils qui s’y trouvent.

Pour cela vous pouvez :

  • parler de Framalibre autour de vous ;
  • créer votre mini-site et le partager (autour de vous ou avec le #MiniSiteFramalibre par exemple) ;
  • ajouter des notices de logiciel qui manquent (pour ensuite rajouter ce logiciel à votre mini-site !).

Créer son mini-site

Si vous avez envie de tester la création de votre propre mini-site, youpi ! Il y a seulement deux grandes étapes :

Étape 1 : créer sa page Scribouilli

Vous pouvez démarrer en créant votre premier site Scribouilli par ici.

Pensez bien à choisir “ma liste de recommandations liée à Framalibre” dans la liste déroulante.

Page de Scribouilli permettant de choisir "ma liste de recommendations liée à framalibre"

Étape 2 : rajouter vos logiciels préférés

Ensuite, vous pouvez naviguer sur l’annuaire pour choisir quels logiciels vous souhaitez ajouter à votre mini-site.

Pour vous faciliter la vie, sans trop compliquer notre nouveau Framalibre, nous avons créé un petit bouton “Copier pour mon mini-site” sur chaque notice. Vous pouvez cliquer dessus pour copier un bout de code HTML dans votre presse-papier, et le coller dans votre mini-site pour qu’un encart dédié à cette notice soit créé, avec le nom, le logo, et le lien vers la notice déjà tout rédigé !

Si vos logiciels préférés n’ont pas encore leur notice sur Framalibre, l’idéal est de contribuer à l’annuaire en créant une nouvelle notice pour que d’autres personnes puissent découvrir ce logiciel.

Étape optionnelle : partager sur un média social votre mini-site

En utilisant par exemple le #MiniSiteFramalibre pour que les autres personnes curieuses de découvrir des recommandations puissent tomber sur votre mini-site.

Dorlotons Dégooglisons

La première partie de ce travail touche à sa fin, après plus d’un an et demi de travail, qui a demandé la participation de plusieurs bénévoles pour le suivi de A à Z, une prestation technique aboutie de la part de Fanny et David de l’Échappée Belle, les retours de nombreux membres de Framasoft avant la publication de la v1, des tests utilisateurices avec des personnes volontaires pour donner un coup de main, une aide technique de la part des salariés de l’association… Bref un très gros travail nécessitant tout une galaxie d’énergies.

Car mettre à jour un Framaservice, faire de la recherche utilisateur, améliorer l’ergonomie de nos outils… tout cela n’a été possible que grâce à votre participation et/ou grâce à vos dons !

Merci encore pour votre soutien, et à bientôt pour de nouvelles aventures.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Liens utiles




Comment Framasoft sensibilise les acteurices de la médiation numérique aux pratiques numériques éthiques

À l’occasion de la publication de la synthèse de l’atelier Comment accompagner les usagers à adopter des pratiques numériques éthiques ? proposé aux médiateurices numériques en octobre dernier lors de l’événement NEC [Numérique en communs], on vous propose un point d’étape sur les différentes actions que Framasoft mène au sein de l’écosystème de la médiation numérique.

Un constat : trop de GAFAM dans ce secteur !

Ces dernières années, chez Framasoft, nous déplorons que, sous couvert d’accompagner les personnes dans la découverte et la prise en main d’outils numériques, l’écosystème de la médiation numérique (ou inclusion numérique) évacue souvent un peu trop vite certaines questions : quels sont ces outils ? Quels sont leurs impacts sur celleux qui les utilisent ?

Ainsi, nous avons constaté à de multiples reprises qu’une nouvelle génération d’aidant⋅es et de conseiller⋅es numériques recommandaient à leurs bénéficiaires l’utilisation d’outils et services numériques privateurs sans les informer de l’existence d’alternatives plus éthiques. Et cette situation nous pose problème.

Ces bénéficiaires, qui sont dans leur grande majorité en situation de fracture numérique et d’illectronisme (difficultés d’accès et d’usage), sont aussi, la plupart du temps, des personnes fragilisées (en situation de précarité sociale, peu diplômées, aux revenus modestes ou isolées), premières victimes potentielles de l’appétit des géants du web. N’ayant pas ou peu connaissance des enjeux liés aux usages du numérique, elles ne sont pas en mesure de questionner les recommandations qui leur sont faites (surtout si ce sont des professionnel⋅les qui les leur font), et vont donc les appliquer à la lettre, contribuant ainsi à se maintenir dans une situation de dépendance (technologique cette fois-ci).

Au cours de la rédaction de cet article, nous avons découvert sur LinkedIn (réseau social où l’écosystème est très actif) cette publication de Florent Salem (ce site empli d’images générées par IA nous glace le sang, mais c’est important de sourcer alors…) qui synthétise bien la situation :copie d'une publication LinkedIn de Florent Salem qui explicite le rapport des acteur⋅ices de la médiation numérique aux outils privateurs

Cette situation nous rappelle aussi qu’une partie des professionnel⋅les amené⋅es à aider ces personnes n’a pas été correctement formée aux enjeux du numérique. La formation initiale du dispositif CNFS (Conseiller⋅e numérique France Service) est basée sur le bloc de compétences « Accompagner différents publics vers l’autonomie dans les usages des technologies, services et médias numériques » du titre professionnel REMN (Responsable d’Espace de Médiation Numérique), mais la liste des compétences à développer n’est pas détaillée. Ainsi, rien n’oblige les organismes de formation en charge de cette formation initiale à former aux enjeux éthiques, sociaux et environnementaux du numérique. Si certains (coucou Zoomacom !) s’en sont emparés, beaucoup de CNFS n’en ont jamais entendu parler !

capture du bloc de compétences RNCP34137BC01 (titre pro REMN)
bloc de compétences du titre professionnel REMN

Du côté des offres ciblées de formation continue à destination des CNFS, ce n’est pas mieux. Par exemple, l’ARNia (Agence Régionale du Numérique et de l’intelligence artificielle en Bourgogne-Franche-Comté, en charge de la mission régionale pour la médiation numérique en Bourgogne-Franche-Comté) propose au sein du catalogue de formation pour les CNFS la formation Créer, utiliser une boîte email et gérer ses courriers dont on peut trouver au programme :

extrait du catalogue de formation pour CNFS
Vous vous en doutez, ça nous hérisse les poils de lire que les CNFS qui suivront cette formation ne se verront présenter que deux services de messagerie, dont aucun ne peut être considéré comme éthique !

Souhaitant agir sur cette situation, Framasoft s’est rapproché de l’écosystème de la médiation numérique ces dernières années afin de sensibiliser les acteurices aux pratiques numériques éthiques.

Approcher l’écosystème de la médiation numérique

Jusqu’à il y a peu, chez Framasoft, on ne pensait pas être des acteur⋅ices de la médiation numérique. Alors que pourtant, nous aussi, nous concevons et produisons de ressources pédagogiques et documentaires pour différents supports (ateliers, manuels, cours en ligne, etc.) et élaborons des actions de sensibilisation aux enjeux du numérique pour faciliter l’appropriation de savoirs et de nouvelles pratiques numériques. D’ailleurs, chaque année, nous accompagnons plusieurs centaines de personnes à questionner leurs pratiques et nous leur proposons de s’en émanciper en adoptant des outils numériques plus éthiques.

Depuis 2019, nous nous sommes rapproché⋅es petit à petit de cet écosystème en participant à plusieurs événements du secteur :

  • atelier Médiation numérique et contribution aux logiciels libres lors de la 2ème édition de NEC [Numérique en Communs] organisée les 17 & 18 octobre 2019 à Marseille ;
  • intervention sur les enjeux de médiation et de culture numérique pour tous et atelier Peut-on se passer des GAFAM ? lors du NEC Haute-Savoie organisé le 26 novembre 2021 à Annecy (téléchargez le carnet en faisant la synthèse) ;
  • atelier Pratiques numériques éthiques dans l’accompagnement des usagers pour les acteurs de la médiation numérique du bassin Chambérien accompagnés par le projet Transistor – incubateur numérique inclusif de l’Agence Alpine des territoires le 10 mars 2022 à Chambéry ;
  • pitch pour présenter PeerTube lors de la 4ème édition de NEC organisée les 28 et 29 septembre 2022 à Lens.

Nous avons aussi cherché à développer nos relations avec les acteurices historiques de la médiation numérique. En septembre 2022, nous avons rejoint le sociétariat de la MedNum, la coopérative des acteurs de la médiation numérique pour y porter la voix d’un numérique émancipateur. Nous sommes ainsi en contact avec les différentes organisations de l’écosystème et avons développé des relations plus poussées avec certaines d’entre elles (coucou Coll.In, Hubikoop, Zoomacom, etc.). Nous incitons ces organisations à s’emparer du sujet, à modifier leurs pratiques numériques en interne et à sensibiliser leurs bénéficiaires.

Et c’est suite à de nombreux échanges avec Yann Vandeputte, en charge du titre professionnel REMN (Responsable d’Espace de Médiation Numérique) au sein de l’AFPA, que nous avons publié la série d’articles Lost in médiation en mars et avril 2023.

Un parcours pour acculturer aux enjeux et outils numériques éthiques avec Hubikoop

Fin 2021, Marley Nguyen-Van, chargé de développement territorial au sein de Hubikoop (Hub territorial pour un numérique inclusif de la région Nouvelle-Aquitaine), nous contacte afin de développer des actions en commun. De ces échanges émergera rapidement le projet de proposer aux conseiller⋅es numériques de la région Nouvelle Aquitaine un dispositif pour les acculturer aux enjeux, dispositifs et ressources en matière de pratiques numériques éthiques, afin qu’iels puissent à leur tour transmettre leurs connaissances à leurs équipes, leurs partenaires et même en faire bénéficier leurs publics.

Nous concevons un parcours pédagogique en 8 webinaires d’une durée de 2h que nous intitulons Parcours d’accompagnement à la découverte des services numériques éthiques (oui, on n’a pas été super originaux sur ce coup là ^^) et dont l’articulation est la suivante :

– webinaire 1 – C’est quoi le problème avec les géants du web ?
– webinaire 2 – Alternatives et résistances : comment se réapproprier Internet ?
– webinaire 3 – Logiciels et services libres, de quoi parle-t-on ?
– webinaire 4 – Dégooglisons Internet : une offre de services libres
– webinaire 5 – Protéger sa vie privée sur Internet
– webinaire 6 – Libérer son smartphone Android
– webinaire 7 – Des outils libres pour collaborer
– webinaire 8 : Des outils libres pour communiquer

Un calendrier est proposé pour des webinaires répartis entre avril et juin 2022. Il est convenu que Framasoft prendra en charge l’animation de ces webinaires et fournira l’outil technique (un salon dédié sur notre instance Big Blue Button). Hubikoop se chargera de l’organisation de l’action et du ciblage des potentiel⋅les participant⋅es. Cependant, nous recontrons des difficultés à mobiliser des participant⋅es et le parcours sera finalement reprogrammé à la rentrée scolaire (entre septembre 2022 et février 2023).

Le premier webinaire, programmé le 20 septembre, réunit une cinquantaine de personnes et au final, le parcours sera suivi en intégralité (les 8 webinaires) par une trentaine de professionnel⋅les de l’inclusion numérique. Certain⋅es ne suivront pas tous les webinaires, mais la fréquentation sera tout de même de 37 personnes en moyenne. Tous les webinaires ont été enregistrés et il est désormais possible de les visionner sur Framatube.
Au regard du nombre de participant⋅es,l’action est considérée comme une réussite. Afin d’en savoir plus, nous leur avons envoyé un questionnaire pour recueillir leur avis sur le parcours et l’impact que celui-ci avait sur leurs pratiques professionnelles. Seulement 13 d’entre elleux y ont répondu malgré les nombreuses relances et iels ont toustes indiqué être satisfait⋅es de manière générale du parcours. Iels sont 94% à préciser que le parcours a répondu à leurs attentes, 82% à exprimer leur satisfaction concernant la durée du parcours d’accompagnement et 88% à être satisfait⋅es du niveau d’explication donné par les intervenant⋅es.

Graphiques présentant les taux de satisfaction des participant⋅es au parcours

Ce parcours semble donc avoir répondu aux besoins et attentes des participant⋅es, qui précisent les points forts suivants :

  • des modules très riches en informations et explications (enjeux et outils) ;
  • un argumentaire permettant de convaincre ;
  • la posture des intervenant⋅es ;
  • la diversité des thématiques abordées ;
  • le partage des supports et des replays.

Ce qui nous importait aussi, c’était de savoir si les connaissances acquises allaient être utilisées dans leur contexte professionnel. Iels sont 64% à indiquer que le parcours leur a permis de renforcer leurs pratiques professionnelles et 76% à souhaiter mettre en place des ateliers sur les thématiques abordées. Mais iels ont aussi indiqué que le format webinaire ne permettait pas de réellement mettre en pratique et ont suggéré que soient organisés des temps d’échanges permettant d’identifier les activités et postures pour porter ces sujets auprès des publics accompagnés.

Des ateliers pour identifier pratiques et postures de médiation afin d’accompagner les pratiques numériques éthiques

Si ce parcours a permis aux participant⋅es de mieux comprendre la toxicité des géants du web et de découvrir de nombreuses alternatives à leurs services, il n’y était en effet pas inclus de temps dédié aux méthodes de médiation sur ces questions. Car c’est une chose de comprendre les enjeux et de savoir utiliser soi-même les outils, ça en est une autre d’accompagner des personnes ayant peu de maîtrise du numérique dans cette voie.

Avec Hubikoop, nous avons donc envisagé de proposer à toutes les personnes ayant suivi le parcours de se retrouver pendant une journée complète avant l’été 2023 afin d’échanger sur les différentes modalités de médiation au numérique éthique. Comme les participant⋅es étaient géographiquement assez éloigné⋅es (c’est grand la Nouvelle Aquitaine !), on pensait proposer cette journée en amont ou en aval d’un événement professionnel. Ceci n’a finalement pas pu se faire immédiatement. Apprenant que le NEC national allait avoir lieu à Bordeaux en octobre 2023, nous y avons vu l’opportunité de programmer cette journée la veille de l’événement. Mais nous avons sû très vite que ça ne serait pas possible vu que les CNFS étaient déjà mobilisés ce jour là. Afin que le sujet puisse tout de même être abordé, nous avons proposé un atelier plus court afin qu’il soit intégré au programme du NEC.

visuel atelier au NEC

Intitulé Comment accompagner les usagers à adopter des pratiques numériques éthiques ?, l’atelier proposait aux participant⋅es de réaliser un état des lieux de leurs pratiques de médiation aux outils numériques éthiques et de questionner les postures de médiation spécifiques à cette thématique. Après une introduction rappelant le contexte de l’atelier (suite du parcours) et reprécisant ce qu’est le numérique éthique, les participant⋅es ont partagé en groupes les différentes façons dont iels portent la question du numérique éthique. Afin de garder une trace de ces échanges, il était proposé de compléter des fiches (1 fiche activité / dispositif formalisé et 1 fiche accompagnement informel). La seconde partie de l’atelier a permis de mettre en commun des éléments les plus signifiants de chaque groupe et de questionner les participant⋅es sur la reproductibilité de ces pratiques.

Ce même atelier a été aussi proposé lors de l’événement NEC Hauts de France Les Communs pour un numérique au service de tous le 7 novembre 2023 à Lille et le sera aussi lors du NEC Grand Est #1 Libertés numériques le 9 avril prochain à Strasbourg (il est encore temps de s’inscrire, mais ne tardez pas !).

Une synthèse de l’ensemble des dispositifs de médiation numérique partagés lors des deux ateliers a été réalisée. Nous avons proposé aux personnes ayant participé à ces ateliers et à celles ayant suivi le parcours un nouveau webinaire le 24 janvier 2024 durant lequel nous avons commenté et enrichi collectivement cette synthèse, laquelle a été mise en forme afin d’être diffusée au plus grand nombre.

Illustration de la couverture de la synthèse de l'atelier
Cliquez sur l’image pour télécharger la synthèse de l’atelier

Ce document, après avoir rappelé ce qu’on entend par numérique éthique, présente sous deux angles les dispositifs de médiation aux pratiques numériques éthiques. La première partie propose plusieurs pistes pour susciter la curiosité des bénéficiaires sur la thématique, que ce soit en outillant les espaces de médiation numérique, en fournissant de la documentation ou en accompagnant au cas par cas les usages. La seconde partie regroupe, elle, plusieurs pistes d’activités pour inviter les bénéficiaires à s’emparer de la question, telles que des temps de réflexions-discussions ou l’organisation d’ateliers spécifiques pour découvrir et manipuler ces outils.

Si vous avez mis en place ou avez connaissance de dispositifs de médiation qui n’apparaissent pas dans ce document, n’hésitez pas à nous l’indiquer en commentaire afin qu’on l’enrichisse. Nous espérons que les acteur⋅ices de la médiation numérique s’appropriront ces différents dispositifs et qu’iels nous partagerons leurs retours d’expérience.

Et la suite ?

Dans les mois et années à venir, Framasoft souhaite continuer à s’intégrer dans l’écosystème de la médiation numérique, que ce soit en intervenant lors des événements de la communauté, en produisant des ressources afin d’aider les médiateur⋅ices à mieux appréhender ces questions du numérique éthique ou en développant de nouveaux projets avec les organisations du secteur.