par JULIA ANGWIN Si vous avez parcouru tout le battage médiatique sur ChatGPT le dernier robot conversationnel qui repose sur l’intelligence artificielle, vous pouvez avoir quelque raison de croire que la fin du monde est proche.
Même le PDG de l’entreprise qui a lancé ChatGPT, Sam Altman, a déclaré aux médias que le pire scénario pour l’IA pourrait signifier « notre extinction finale ».
Alors, jusqu’à quel point devrions-nous nous inquiéter ? Pour recueillir un avis autorisé, je me suis adressée au professeur d’informatique de Princeton Arvind Narayanan, qui est en train de co-rédiger un livre sur « Le charlatanisme de l’IA ». En 2019, Narayanan a fait une conférence au MIT intitulée « Comment identifier le charlatanisme del’IA » qui exposait une classification des IA en fonction de leur validité ou non. À sa grande surprise, son obscure conférence universitaire est devenue virale, et ses diapos ont été téléchargées plusieurs dizaines de milliers de fois ; ses messages sur twitter qui ont suivi ont reçu plus de deux millions de vues.
Narayanan s’est alors associé à l’un de ses étudiants, Sayash Kapoor, pour développer dans un livre la classification des IA. L’année dernière, leur duo a publié une liste de 18 pièges courants dans lesquels tombent régulièrement les journalistes qui couvrent le sujet des IA. Presque en haut de la liste : « illustrer des articles sur l’IA avec de chouettes images de robots ». La raison : donner une image anthropomorphique des IA implique de façon fallacieuse qu’elles ont le potentiel d’agir dans le monde réel.
Voici notre échange, édité par souci de clarté et brièveté.
Angwin : vous avez qualifié ChatGPT de « générateur de conneries ». Pouvez-vous expliquer ce que vous voulez dire ?
Narayanan : Sayash Kapoor et moi-même l’appelons générateur de conneries et nous ne sommes pas les seuls à le qualifier ainsi. Pas au sens strict mais dans un sens précis. Ce que nous voulons dire, c’est qu’il est entraîné pour produire du texte vraisemblable. Il est très bon pour être persuasif, mais n’est pas entraîné pour produire des énoncés vrais ; s’il génère souvent des énoncés vrais, c’est un effet collatéral du fait qu’il doit être plausible et persuasif, mais ce n’est pas son but.
Cela rejoint vraiment ce que le philosophe Harry Frankfurt a appelé du bullshit, c’est-à-dire du langage qui a pour objet de persuader sans égards pour le critère de vérité. Ceux qui débitent du bullshit se moquent de savoir si ce qu’ils disent est vrai ; ils ont en tête certains objectifs. Tant qu’ils persuadent, ces objectifs sont atteints. Et en effet, c’est ce que fait ChatGPT. Il tente de persuader, et n’a aucun moyen de savoir à coup sûr si ses énoncés sont vrais ou non.
Angwin : Qu’est-ce qui vous inquiète le plus avec ChatGPT ?
Narayanan : il existe des cas très clairs et dangereux de mésinformation dont nous devons nous inquiéter. Par exemple si des personnes l’utilisent comme outil d’apprentissage et accidentellement apprennent des informations erronées, ou si des étudiants rédigent des essais en utilisant ChatGPT quand ils ont un devoir maison à faire. J’ai appris récemment que le CNET a depuis plusieurs mois maintenant utilisé des outils d’IA générative pour écrire des articles. Même s’ils prétendent que des éditeurs humains ont vérifié rigoureusement les affirmations de ces textes, il est apparu que ce n’était pas le cas. Le CNET a publié des articles écrits par une IA sans en informer correctement, c’est le cas pour 75 articles, et plusieurs d’entre eux se sont avérés contenir des erreurs qu’un rédacteur humain n’aurait très probablement jamais commises. Ce n’était pas dans une mauvaise intention, mais c’est le genre de danger dont nous devons nous préoccuper davantage quand des personnes se tournent vers l’IA en raison des contraintes pratiques qu’elles affrontent. Ajoutez à cela le fait que l’outil ne dispose pas d’une notion claire de la vérité, et vous avez la recette du désastre.
Angwin : Vous avez développé une classification des l’IA dans laquelle vous décrivez différents types de technologies qui répondent au terme générique de « IA ». Pouvez-vous nous dire où se situe ChatGPT dans cette taxonomie ?
Narayanan : ChatGPT appartient à la catégorie des IA génératives. Au plan technologique, elle est assez comparable aux modèles de conversion de texte en image, comme DALL-E [qui crée des images en fonction des instructions textuelles d’un utilisateur]. Ils sont liés aux IA utilisées pour les tâches de perception. Ce type d’IA utilise ce que l’on appelle des modèles d’apprentissage profond. Il y a environ dix ans, les technologies d’identification par ordinateur ont commencé à devenir performantes pour distinguer un chat d’un chien, ce que les humains peuvent faire très facilement.
Ce qui a changé au cours des cinq dernières années, c’est que, grâce à une nouvelle technologie qu’on appelle des transformateurs et à d’autres technologies associées, les ordinateurs sont devenus capables d’inverser la tâche de perception qui consiste à distinguer un chat ou un chien. Cela signifie qu’à partir d’un texte, ils peuvent générer une image crédible d’un chat ou d’un chien, ou même des choses fantaisistes comme un astronaute à cheval. La même chose se produit avec le texte : non seulement ces modèles prennent un fragment de texte et le classent, mais, en fonction d’une demande, ces modèles peuvent essentiellement effectuer une classification à l’envers et produire le texte plausible qui pourrait correspondre à la catégorie donnée.
Angwin : une autre catégorie d’IA dont vous parlez est celle qui prétend établir des jugements automatiques. Pouvez-vous nous dire ce que ça implique ?
Narayanan : je pense que le meilleur exemple d’automatisation du jugement est celui de la modération des contenus sur les médias sociaux. Elle est nettement imparfaite ; il y a eu énormément d’échecs notables de la modération des contenus, dont beaucoup ont eu des conséquences mortelles. Les médias sociaux ont été utilisés pour inciter à la violence, voire à la violence génocidaire dans de nombreuses régions du monde, notamment au Myanmar, au Sri Lanka et en Éthiopie. Il s’agissait dans tous les cas d’échecs de la modération des contenus, y compris de la modération du contenu par l’IA.
Toutefois les choses s’améliorent. Il est possible, du moins jusqu’à un certain point, de s’emparer du travail des modérateurs de contenus humains et d’entraîner des modèles à repérer dans une image de la nudité ou du discours de haine. Il existera toujours des limitations intrinsèques, mais la modération de contenu est un boulot horrible. C’est un travail traumatisant où l’on doit regarder en continu des images atroces, de décapitations ou autres horreurs. Si l’IA peut réduire la part du travail humain, c’est une bonne chose.
Je pense que certains aspects du processus de modération des contenus ne devraient pas être automatisés. Définir où passe la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui est inacceptable est chronophage. C’est très compliqué. Ça demande d’impliquer la société civile. C’est constamment mouvant et propre à chaque culture. Et il faut le faire pour tous les types possibles de discours. C’est à cause de tout cela que l’IA n’a pas de rôle à y jouer.
Angwin : vous décrivez une autre catégorie d’IA qui vise à prédire les événements sociaux. Vous êtes sceptique sur les capacités de ce genre d’IA. Pourquoi ?
Narayanan : c’est le genre d’IA avec laquelle les décisionnaires prédisent ce que pourraient faire certaines personnes à l’avenir, et qu’ils utilisent pour prendre des décisions les concernant, le plus souvent pour exclure certaines possibilités. On l’utilise pour la sélection à l’embauche, c’est aussi célèbre pour le pronostic de risque de délinquance. C’est aussi utilisé dans des contextes où l’intention est d’aider des personnes. Par exemple, quelqu’un risque de décrocher de ses études ; intervenons pour suggérer un changement de filière.
Ce que toutes ces pratiques ont en commun, ce sont des prédictions statistiques basées sur des schémas et des corrélations grossières entre les données concernant ce que des personnes pourraient faire. Ces prédictions sont ensuite utilisées dans une certaine mesure pour prendre des décisions à leur sujet et, dans de nombreux cas, leur interdire certaines possibilités, limiter leur autonomie et leur ôter la possibilité de faire leurs preuves et de montrer qu’elles ne sont pas définies par des modèles statistiques. Il existe de nombreuses raisons fondamentales pour lesquelles nous pourrions considérer la plupart de ces applications de l’IA comme illégitimes et moralement inadmissibles.
Lorsqu’on intervient sur la base d’une prédiction, on doit se demander : « Est-ce la meilleure décision que nous puissions prendre ? Ou bien la meilleure décision ne serait-elle pas celle qui ne correspond pas du tout à une prédiction ? » Par exemple, dans le scénario de prédiction du risque de délinquance, la décision que nous prenons sur la base des prédictions est de refuser la mise en liberté sous caution ou la libération conditionnelle, mais si nous sortons du cadre prédictif, nous pourrions nous demander : « Quelle est la meilleure façon de réhabiliter cette personne au sein de la société et de diminuer les risques qu’elle ne commette un autre délit ? » Ce qui ouvre la possibilité d’un ensemble beaucoup plus large d’interventions.
Angwin : certains s’alarment en prétendant que ChatGPT conduit à “l’apocalypse,” pourrait supprimer des emplois et entraîner une dévalorisation des connaissances. Qu’en pensez-vous ?
Narayanan : Admettons que certaines des prédictions les plus folles concernant ChatGPT se réalisent et qu’il permette d’automatiser des secteurs entiers de l’emploi. Par analogie, pensez aux développements informatiques les plus importants de ces dernières décennies, comme l’internet et les smartphones. Ils ont remodelé des industries entières, mais nous avons appris à vivre avec. Certains emplois sont devenus plus efficaces. Certains emplois ont été automatisés, ce qui a permis aux gens de se recycler ou de changer de carrière. Il y a des effets douloureux de ces technologies, mais nous apprenons à les réguler.
Même pour quelque chose d’aussi impactant que l’internet, les moteurs de recherche ou les smartphones, on a pu trouver une adaptation, en maximisant les bénéfices et minimisant les risques, plutôt qu’une révolution. Je ne pense pas que les grands modèles de langage soient même à la hauteur. Il peut y avoir de soudains changements massifs, des avantages et des risques dans de nombreux secteurs industriels, mais je ne vois pas de scénario catastrophe dans lequel le ciel nous tomberait sur la tête.
Le Fediverse n’est pas Twitter, mais peut aller plus loin
Maintenant que Mastodon a suscité l’intérêt d’un certain nombre de migrants de Twitter, il nous semble important de montrer concrètement comment peuvent communiquer entre eux des comptes de Mastodon, PeerTube, Pixelfed et autres… c’est ce que propose Ross Schulman dans ce billet de l’EFF traduit pour vous par Framalang…
Le Washington Post a récemment publié une tribune de Megan McArdle intitulée : « Twitter pourrait être remplacé, mais pas par Mastodon ou d’autres imitateurs ». L’article explique que Mastodon tombe dans le piège habituel des projets open source : élaborer une alternative qui a l’air identique et améliore les choses dont l’utilisateur type n’a rien à faire, tout en manquant des éléments qui ont fait le succès de l’original. L’autrice suggère plutôt que dépasser Twitter demandera quelque chose d’entièrement nouveau, et d’offrir aux masses quelque chose qu’elles ne savaient même pas qu’elles le désiraient.
Nous pensons, contrairement à Megan, que Mastodon (qui fait partie intégrante du Fediverse) offre en réalité tout cela, car c’est un réseau social véritablement interopérable et portable. Considérer que Mastodon est un simple clone de Twitter revient à oublier que le Fediverse est capable d’être ou de devenir la plate-forme sociale dont vous rêvez. C’est toute la puissance des protocoles. Le Fediverse dans son ensemble est un site de micro-blogging, qui permet de partager des photos, des vidéos, des listes de livres, des lectures en cours, et bien plus encore.
Comme beaucoup de gens se font, comme Megan, une fausse idée sur le Fediverse, et comme une image vaut mieux qu’un long discours, voyons comment l’univers plus large d’ActivityPub fonctionne dans la pratique.
Parlons de PeerTube. Il s’agit d’un système d’hébergement de vidéos, grâce auquel les internautes peuvent en suivre d’autres, télécharger des vidéos, les commenter et les « liker ».
Voici par exemple la page de la chaîne principale du projet open source Blender et c’est là que vous pouvez vous abonner à la chaîne…
Dans cet exemple nous avons créé un compte Mastodon sur l’instance (le serveur) framapiaf.org. Une fois qu’on clique sur « S’abonner à distance », nous allons sur le compte Mastodon, à partir duquel il nous suffit de cliquer sur « Suivre » pour nous permettre de…suivre depuis Mastodon le compte du PeerTube de Blender.
Maintenant, dès que Blender met en ligne une nouvelle vidéo avec PeerTube, la mise à jour s’effectue dans le fil de Mastodon, à partir duquel nous pouvons « liker » (avec une icône d’étoile « ajouter aux favoris ») la vidéo et publier un commentaire.
… de sorte que le « like » et la réponse apparaissent sans problème sur la page de la vidéo.
Pixelfed est un autre service basé sur ActivityPub prenant la forme d’un réseau social de partage de photographies. Voici la page d’accueil de Dan Supernault, le principal développeur.
On peut le suivre depuis notre compte, comme nous venons de le faire avec la page PeerTube de Blender ci-dessus, mais on peut aussi le retrouver directement depuis notre compte Mastodon si nous connaissons son nom d’utilisateur.
Tout comme avec PeerTube, une fois que nous suivons le compte de Dan, ses images apparaîtront dans Mastodon, et les « likes » et les commentaires apparaîtront aussi dans Pixelfed.
Voilà seulement quelques exemples de la façon dont des protocoles communs, et ActivityPub en particulier, permettent d’innover en termes de médias sociaux, Dans le Fediverse existent aussi BookWyrm, une plateforme sociale pour partager les lectures, FunkWhale, un service de diffusion et partage de musique ainsi que WriteFreely, qui permet de tenir des blogs plus étendus, pour ne mentionner que ceux-là.
Ce que garantit le Fediverse, c’est que tous ces éléments interagissent de la façon dont quelqu’un veut les voir. Si j’aime Mastodon, je peux toujours y voir des images de Pixelfed même si elles sont mieux affichées dans Pixelfed. Mieux encore, mes commentaires s’afficheront dans Pixelfed sous la forme attendue.
Les personnes qui ont migré de Twitter ont tendance à penser que c’est un remplaçant de Twitter pour des raisons évidentes, et donc elles utilisent Mastodon (ou peut-être micro.blog), mais ce n’est qu’une partie de son potentiel. La question n’est pas celle du remplacement de Twitter, mais de savoir si ce protocole peut se substituer aux autres plateformes dans notre activité sur la toile. S’il continue sur sa lancée, le Fediverse pourrait devenir un nouveau nœud de relations sociales sur la toile, qui engloberait d’autres systèmes comme Tumblr ou Medium et autres retardataires.
La dégooglisation du GRAP, partie 2 : Au revoir Google Agenda et Gmail
On vous a partagé la semaine dernière la première partie de la démarche de dégooglisation du GRAP qui vous invitait à découvrir comment iels avaient réussi à sortir de Google Drive. Voici donc la suite (mais pas la fin) de ce récit de dégooglisation qui nous permet de prendre conscience que ce n’est toujours facile de sortir des griffes de ces géants de la tech. Bonne lecture !
Dans l’épisode précédent…
En janvier 2020, après plus d’un an à avoir pris la décision de passer sur Nextcloud en remplacement de Google Drive, la migration était officiellement finie ! Mais voilà, nous passions encore pas mal de temps à ouvrir un onglet Google pour consulter nos agendas, ainsi que nos mails pour les personnes utilisant Gmail en ligne.
/2021/ Fini Google Agenda, go Nextcloud Agenda
Fin septembre 2020, nous décidons collectivement de passer sur l’agenda Nextcloud. Nous nous laissons 3 mois pour commencer l’année 2021 sur le nouvel outil. Quelques personnes (notamment le pôle informatique) vont alors tester en conditions réelles Nextcloud Agenda.
Le challenge est sympa car nous décidons de faire ça en pleine migration d’Odoo de version 8 à la version 12, qui est le résultat de pas moins de 1000 heures de temps de travail et 294 tests de non régression.
L’export de données de Google Agenda se passe relativement bien, et l’import sur Nextcloud Agenda aussi. Les seuls soucis viennent de soucis d’exportation d’évènements récurrents du côté Google. On demande alors de recréer ces évènements du côté de Nextcloud Agenda.
Début 2021, la migration n’est pas possible pour trop de monde dans l’équipe : nous décidons de nous donner du mou et de fixer une date de bascule au 29 mars 2021 après que certains temps collectifs soient passés (l’assemblée générale notamment).
Une procédure est écrite pour que chaque personne s’autonomise dans sa migration, mais la majorité de la migration se fait collectivement à la date choisie du 29 mars :
export de l’agenda Google
import dans l’agenda Nextcloud
partage de son agenda au reste de l’équipe
(optionnel) synchronisation de l’agenda avec Thunderbird
création des agendas partagés pour les salles de réunion
Depuis avril 2021, nous sommes donc officiellement toustes sur Nextcloud Agenda.
L’application reçoit régulièrement des mises à jour porteuses de fonctionnalités bien chouettes (corbeille, recherche d’évènements, recherche d’un créneau de disponibilité), ou de corrections de bugs.
/2021-22/ La transformation complète : sortir de Gmail
Nous voilà arrivé·es à la dernière étape qui nous permet de sortir des outils Google pour l’équipage (nouveau nom de l’équipe interne). La plus dure. Même si cette étape ne concerne « que » les membres de l’équipage, cette transformation fut la plus longue à mener.
Pourquoi ? Parce que :
le mail est l’outil principal de la majorité des salarié·es de l’équipe qui l’utilisent toute la journée
Gmail est très performant, notamment dans la recherche de mail
certain·es personnes ont jusqu’à 10 ans d’habitudes de travail avec Gmail
D’ailleurs, on l’a constaté empiriquement, les personnes les plus anciennes de Grap furent les personnes les plus compliquées à faire transiter. Autant du point de vue technique (transférer 10 ans de mail est forcement plus compliqué que pour une personne arrivée récemment) que des habitudes prises sur le logiciel.
Conseil n°1 : plus on s’y prend tôt à se dégoogliser, moins ça sera compliqué dans la conduite du changement de logiciel.
🌱 Été 2021 – Trouver la solution technique remplaçante
Nous travaillons avec Gandi pour la majorité des activités de Grap afin de gérer leur nom de domaine et leurs mails. Pourquoi Gandi ?
Gandi est engagé depuis longtemps dans le respect de la vie privée
Gandi est une entreprise qui roule à priori bien sur laquelle on peut compter sur la durée
Gandi a un support de qualité qui répond rapidement à toutes nos demandes (et ce fut bien utile lors des moments de doute technique pour cette dégooglisation)
Gandi est une entreprise française qui paye à priori ses impôts en France 😉
Thunderbird va être notre pierre angulaire pour cette dé-gmail-isation. Autant pour permettre le transfert des mails de Google à Gandi, que pour travailler ses mails pour la suite. Ce fut une évidence de partir sur Thunderbird au début.
Ce logiciel libre est complet. Peut-être même trop complet, ce qui rend son ergonomie critiquable.
Ce logiciel est aussi assez ancien, ce qui lui donne une bonne robustesse. Peut-être trop ancien, ce qui rend son ergonomie critiquable 😉
Ce logiciel a une communauté importante qui développe de très nombreux modules complémentaires(à voir ici) qui viennent se greffer à Thunderbird pour apporter une myriade de possibilités.
Quelques mois plus tard, après la prise en main de certain·es utilisateur·ices, et de leur critique légitime, on s’est senti obligé de réaliser un banc d’essai (benchmark), qui validera définitivement ce choix.
Les critères suivants ont été retenus :
logiciel libre
fonctionne sur Linux Ubuntu et Windows
communauté vivante et grande
modèle économique viable
installation simple
rempli les fonctionnalités de base demandées par les collègues (voir plus tard dans le texte)
🌿 Automne 2021 – Identifier les besoins et fonctionnalités utilisées
Pour être certain de pouvoir sortir de Google, il faut s’assurer que les collègues vont retrouver leurs petits, ou que l’on assume collectivement que l’on perdra des usages / fonctionnalités en passant sur Thunderbird.
Pour cela, nous envoyons un sondage qui nous permet d’y voir plus clair sur les fonctionnalités utilisées par l’équipe pour ajuster nos formations, documentations et recherches de modules complémentaires dans Thunderbird.
Sur la question « Sur une échelle de 0 à 6, est-ce que tu souhaites être précurseur·se de ce changement ? (0 : non / 6 : trop chaud·e)« , la moyenne et la médiane est à 3,5. Les gens sont donc.. moyennent chaud·es en général !
⚠️ Voici les points les plus bloquants pour un passage sur Thunderbird selon notre analyse :
les mails ne sont pas gérés sous la forme de fils de conversation
la recherche Thunderbird est laborieuse et pas aussi précise et rapide que Gmail
la peur de perdre des mails anciens
l’ergonomie de Thunderbird, notamment la différence de fluidité par rapport à une page web comme Gmail
Pour réussir ce changement de logiciel, il faut que les étapes soient claires et transparentes pour les utilisateur·ices. Cela leur permet de se projeter : « ok dans 6 mois / 1 an je change d’outil et je sais à peu près ce qui m’attend ! ».
Après ce premier sondage, un calendrier a donc été partagé, indiquant les différentes dates menant à la dégooglisation de tout le monde.
🪴 Automne – Hiver 2021 – Formation et Documentation Thunderbird
4 personnes sur 20 utilisent déjà Thunderbird. Pour les 16 autres, nous prévoyons d’étaler les formations par petits groupes sur 3 mois : les personnes les plus intéressées commencent dès mi-octobre, et les personnes les plus frileuses seront formées en janvier, ce qui nous laissera le temps d’avoir des retours, d’ajuster la formation et la documentation.
Ce travail de plusieurs mois va être itératif : chaque formation apporte son lot de questions, ou de bugs, ou de besoins qu’il faut alors documenter et faire repartager à tout le monde. De nombreux points mails (ou des messages informels) sont envoyés à l’équipe pour leur faire part des retours, de l’avancée et des nouveaux modules complémentaires ou paramétrages trouvés pour faciliter l’utilisation de Thunderbird.
🙊 Une difficulté anticipée mais relou : le lien Thunderbird – Gmail
Thunderbird a des défauts indéniables. Mais dans cette dégooglisation, on n’est pas aidé par Gmail qui aime bien avoir des comportements… embêtants. Une de ses particularités est le traitement des mails dans un dossier appelé « Tous les messages ». Pour citer la doc officielle de Thunderbird :
Tous les messages : contient une copie de tous les messages de votre compte Gmail, en incluant le dossier « Courrier entrant », le dossier « Envoyé » et les messages archivés.
Donc si vous avez 10 000 messages entrants et sortants, Thunderbird va télécharger 20 000 mails. Sachant qu’on retrouve tous ses mails dans Courrier entrant et Envoyés, ce dossier ne sert donc à rien. Après plusieurs semaines d’utilisation, et certains ralentissements au lancement de Thunderbird, nous avons fini par conseiller aux gens de se désabonner de ce dossier.
☘️ Avril 2022 – Premier bilan et questionnement technique
Le calendrier des formations a été quasiment tenu. C’est seulement en janvier que certaines formations n’ont pas eu lieu, du fait de difficultés professionnelles rencontrées dans certains pôles de l’équipe. Il ne restait alors que 2 personnes à former.
Mais entre temps, Quentin qui est responsable de cette dégooglisation, est parti en congés sans solde en février-mars. La décision avait été prise de ne pas se presser avant son départ et de faire le point en avril, nous y voilà.
2 personnes non formées en janvier + 2 arrivées
Certaines personnes de l’équipe n’ont pas pris le pli et sont revenues un peu / beaucoup sur Gmail
Un tableau partagé a fait remonter les problèmes soulevés :
La plupart peuvent être réglés par contournement ou par une meilleure documentation.
s’interroger sur pourquoi certaines personnes n’ont pas pris le pli
demander l’avis des membres de l’équipe sur Thunderbird et la dégooglisation en cours
faire un benchmark des solutions (voir si Thunderbird est vraiment le cheval gagnant)
s’assurer et valider le processus technique de bascule qu’il faudra faire (le voici)
prendre une décision lors de notre comité de pilotage informatique qui arrive
Conseil n°2 :Nous prenons aussi la décision que Quentin ne soit pas le seul porter ce projet. Il ressent une charge mentale et une certaine pression à gérer les retours des personnes en difficulté. Pour ne pas non plus tomber dans une posture de l’informaticien libriste qui impose le choix, et pour bien affirmer que nous prenons des choix collectivement, nous allons dé-personnifier le projet. Désormais le travail sera soutenu et partagé avec Sandie, et les mails signés par le pôle informatique.
⚡ Mai 2022 – La recherche boostée à notre rescousse !
Enfin ! Nous avons trouvé un moyen de répondre aux soucis de recherche sur Thunderbird. Avec un habile mélange de dossier virtuel et d’un module complémentaire de recherche avancée, nous parvenons à lier rapidité et complexité de recherche !
🍀 Juin 2022 – Deuxième bilan : on y va, on sort de Google ?
Notre comité de pilotage ne prend pas une décision ferme. On continue juste à valider de travailler sur cette dégooglisation. En dehors de tous les aspects politiques, en sortant de Google, nous allons cesser de payer 2000€/an pour les comptes pros que nous avons, et c’est toujours ça de gagné dans un moment de crise économique !
Deux mois plus tôt, nous avions envoyé ce formulaire à l’équipe, commenté par cette phrase qui résume son intention « Vive le consentement, à bas la coercition 🌞 » pour prendre la température de l’équipe sur l’utilisation de Thunderbird. Voici notre analyse résumée des résultats :
🔴 les personnes n’ayant pas encore franchi l’étape Thunderbird sont :
une grande partie d’un pôle en surcharge
les « ancien⋅nes » qui sont là depuis longtemps
🔴 les difficultés principales vis-à-vis de l’outil sont :
la recherche de mail
le changement d’usage ergonomique
des problèmes liés à la connexion avec Google
des besoins spécifiques non fonctionnels (invitation Outlook)
des problèmes spécifiques réglés depuis (soucis d’antivirus, paramétrage mail d’absence, etc.)
✅ l’équipe est chaude pour sortir de Google !
✅ l’équipe se sent bien accompagnée à ce changement.
☑️ une minorité de l’équipe (3~4 personnes) ne se sent pas sécurisée ou perd quelques minutes par jour à l’utilisation de Thunderbird. Ces 3~4 personnes se recoupent avec les personnes utilisant Gmail. Nous pensons qu’avec l’usage et les améliorations du logiciel, nous parviendrons à améliorer ça.
⭕ les personnes revenues sur Gmail l’expliquent par :
de travailler sur la solution d’application smartphone adéquate pour sortir de l’application Gmail
de redonner une formation aux 5 personnes qui n’ont pas fait le switch afin qu’elles y arrivent
de fixer la date de sortie de Google : cela sera la 1ère ou 2ème semaine d’août
de commencer à créer toutes les boîtes mails et redirections mails nécessaires
Conseil n°3 :Nous avions 17 boîtes mails à recréer et 80 redirections de mails assez complexes à réaliser. C’est un travail fastidieux qui demande de se concentrer pour ne pas louper un mail dans la redirection mail créée. Car non, il n’existait pas d’export Google des « groupes Google » que nous utilisions. Le conseil est donc le suivant : partagez le travail 🙂 Merci Sandie pour ce gros taf !
🚀 Juillet 2022 – la bonne nouvelle : Thunderbird s’améliore
Alors que nous venions de fixer le créneau de départ de Google (début août), Thunderbird sort sa dernière version (la 102), le 29 juin. Cette version apporte de très nombreuses améliorations ergonomiques, rendant le logiciel bien plus agréable à utiliser. Et quand on utilise un logiciel toute la journée, ce n’est pas un petit détail que de pouvoir modifier la taille d’affichage, la taille de police, les couleurs des dossiers mails ou encore une gestion des contacts totalement re-désignée. Leur annonce officielle ici.
Et les bonnes nouvelles s’enchaînent :
Thunderbird annonce rejoindre le projet K-9 Mail pour une application libre sur Android qui va donc s’améliorer encore plus vite !
une ergonomie qui s’améliore de jour en jour avec notamment l’affichage des mails sur plusieurs lignes
une synchronisation de son compte qui permettrait d’avoir deux Thunderbird sur deux ordis différents
🌲 9 Août 2022 – Le fil rouge sur le bouton rouge..
Depuis quelques mois, on discutait avec Gandi pour nous assurer que la procédure était la bonne. Quel plaisir d’avoir des gens qui répondent rapidement à ces demandes. Merci ! Nous étions donc plutôt prêts pour ce switch. Le mardi 9 août à 22h, alors que les collègues sont pour la plupart en vacances, on change les DNS du domaine grap.coop (DNS = règles techniques qui disent ce qui se passe avec grap.coop) pour débrancher Google et brancher Gandi.
Le mardi 9 août à 23h50, après quelques tests d’envoi et de réception de mails, j’annonce officiellement que tout semble fonctionner comme prévu. Les mails de Gandi partent bien. On reçoit bien les mails sur la nouvelle boîte mail. Le monde n’a pas cessé de tourner. Victoire !
🙊 Une difficulté pas anticipée : l’envoi de mail par notre logiciel Odoo [tech]
En créant toutes les boîtes mails sur Gandi, nous nous étions rendu compte des cas particuliers (des personnes qui avaient un compte mail mais qui n’étaient pas ou plus dans l’équipe par exemple) mais ce n’est que tardivement qu’on a réalisé que la boîte mail serveurs <arobase> grap.coop servait de boîte d’envoi à l’ensemble des mails du logiciel Odoo utilisé par les 65 activités. Comment cela allait se comporter en passant chez Gandi ? Deux soucis sont encore en cours :
1 – L’usurpation d’identité
En fait, chaque activité envoie ses bons de commandes et factures depuis Odoo. Odoo utilise une seule boîte mail serveurs grap.coop mais lors de l’envoi, prend l’identité de l’activité qui envoie un mail.
Cette « usurpation d’identité » était bien acceptée car nous étions chez Google. Mais avec le passage chez Gandi, cette usurpation d’identité n’est plus acceptée par les boîtes mail à la réception si celles-ci sont chez Google.
L’activité a un mail d’envoi géré par Gandi → envoi par serveurs qui est géré par Gandi → OK
L’activité a un mail d’envoi géré par Google / OVH / Ecomail etc. → envoi par serveurs qui est géré par Gandi → NOK si à la réception la personne utilise Google.
La solution future : améliorer l’envoi de mail sur Odoo pour que chaque activité puisse envoyer avec les informations de sa vraie boîte mail.
2 – Les mails envoyés par les serveurs <arobase> grap.coop ne sont pas automatiquement enregistrés dans le dossier Envoyés
À priori, l’envoi de mail n’est pas totalement bien développé et il manque quelques informations dans le mail pour que celui-ci soit bien mis dans le dossier Envoyés.
Mais avec Google, cela fonctionnait. Il devrait réussir à comprendre qu’un mail partait de sa boite mail, et il le plaçait le mail dans le dossier Envoyés. Ce qui était pratique pour vérifier que le mail était bien parti.
La solution future : améliorer l’envoi de mail sur Odoo pour que le mail arrive dans le dossier Envoyés.
🙊 Un comportement pas anticipé : Google, le mort-vivant
Malgré la déconnexion technique du nom de domaine grap.coop avec Google, il était encore possible de se connecter à Gmail et d’envoyer des mails. Alors certes, les réponses n’arrivaient plus sur Gmail, mais cela permettait encore aux irréductibles de résister au changement ! 😛
Surtout, même après avoir supprimé le compte Google sur Thunderbird (n’ayant alors que le compte Gandi), un paramétrage technique (le serveur SMTP d’envoi) faisait que les mails envoyés l’étaient par le serveur Google.
Donc au moment de la suppression réelle du compte Google, l’envoi par Thunderbird était bloqué. Ce n’est pas un gros souci, mais nous avons documenté le petit changement à faire.
🐢 Septembre 2022 – La fin de la route est longue, mais la voie est libre
Après la dégooglisation technique, place à la dernière étape, supprimer réellement les comptes Google. Chaque personne devait suivre un tutoriel nommé « Google débranché 💃🕺 La suite ✌️ » comportant ces étapes :
🧹 Nettoyer derrière soi
🚪 Fermer la porte
🔧 S’assurer que l’on envoie ses mails avec les bons paramétrages
🫑 Embellir son nouveau jardin
📫 Découvrir le webmail (logiciel en ligne) de Gandi
📱 Connecter son ordiphone
💥 Quitter définitivement Google
Il a fallu 2 mois pour que les 30 personnes concernées suivent réellement ce tutoriel – voire rattrapent leur « retard » pour sortir leur mail de Google. Ce fut l’une des étapes les plus chronophages en termes de relance, de suivi personnel, de questions / réponses, de gestion de cas particuliers (certaines personnes n’avaient pas pu transférer leur mail à cause d’une connexion Internet trop faible par exemple). C’est aussi à ce moment que l’on devait bien vérifier qu’aucune autre donnée n’était encore stockée sur Google Drive / Google Photos / Agenda etc., ce qui a ralenti quelques personnes.
💀 Octobre 2022 – Au revoir Google, tu ne vas pas me manquer
Même si nous avons tout fait pour être coercitifs, certaines personnes ont besoin de date limite pour prioriser leur travail. Trois semaines avant, la date butoir du 07 octobre est donc fixée pour motiver les dernières personnes.
🎄 Novembre 2022 – Jusqu’au bout !
La première date butoir et les nombreuses relances n’ont pas suffi à faire remonter en priorité n°1 à tou·te·s les collègues de sortir de Gmail.
Comme nous ne sommes pas des grands méchants, et que nous comprenons les difficultés et calendrier de chacun·e, nous redonnons du rab : le mardi 23 novembre. La veille de la fête des 10 ans de Grap, cela semble une date symbolique et assez lointaine pour réellement partir. Pour de bon.
Le mardi 23 novembre, à 13h35, nous étions 5 à nous réunir autour d’un ordinateur, observant ce moment… un peu stressant, comme quand on part d’un lieu en espérant n’y avoir rien oublié. À 13h43, Google était derrière nous. ✊
To be continued…
Dans la troisième (et dernière) partie, nous continuerons notre récit de dégooglisation en faisant le bilan de cette démarche. A la semaine prochaine !
Si vous aussi, vous faites partie d’une organisation qui s’est lancée dans une démarche similaire et que vous souhaitez partager votre expérience, n’hésitez pas à nous envoyer un message pour nous le faire savoir. On sera ravi d’en parler ici !
La dégooglisation du GRAP, partie 1 : La sortie de Google Drive
On a donc sauté sur l’occasion lorsque le GRAP (Groupement Régional Alimentaire de Proximité), une coopérative réunissant des activités de transformation et de distribution dans l’alimentation bio-locale, a publié le récit de sa dégooglisation. Nous reproduisons ici ce long texte en trois parties pour vous partager leur expérience.
De 2018 à cette fin 2022, nous avons travaillé à Grap à notre dégooglisation. Nous vous proposons ce long texte en trois parties pour vous partager notre expérience.
Son premier intérêt est de laisser une trace du travail fourni et d’en faire le bilan.
Le deuxième intérêt est de partager cette expérience à d’autres structures qui souhaiteraient se lancer dans l’aventure.
Nous partageons dans ce texte les processus mis en place, les différentes étapes de cette dégooglisation, les difficultés rencontrées et quelques conseils.
Pour toute question ou retour, vous pouvez contacter le pôle informatique de Grap : pole-informatique <arobase> grap.coop
Bonne lecture et longue vie aux outils numériques émancipateurs et Libres ! 🚲
Au début de Grap en 2012…
Il y a 10 ans, Grap naissait en tant que SCIC – Société Coopérative d’Intérêt Collectif. En 2012 est écrite une 1ère version du préambule des statuts qui décrit l’intérêt collectif qui réunit les associé·e·s de la SCIC. Ce préambule présentait alors que Grap aller « Contribuer au développement d’activités économiques citoyennes et démocratiques, c’est-à-dire […] travaillant dans une logique de partage des savoirs, en phase avec la philosophie Creative Commons ».
Cette 1ère référence au monde du Libre est complétée et enrichie 5 ans plus tard à l’occasion d’une révision du préambule des statuts, en 2017. Désormais le préambule des statuts indique que Grap entend :
Contribuer au développement d’activités économiques citoyennes et démocratiques […] promouvant l’économie des biens communs, c’est à dire :
Travailler dans une logique de partage des savoirs, en phase avec la philosophie Creative Commons
Promouvoir, contribuer et utiliser des logiciels libres au sens de la Free Software Foundation ; minimiser l’utilisation de logiciels sous licences privatives
Promouvoir, contribuer et utiliser des solutions informatiques qui n’exploitent pas de façons commerciales les données des utilisateurs et qui respectent leurs vies privées
Notre démarche de dégooglisation s’inscrit donc dans la continuité des choix politiques portés par les associé·e·s de la coopérative depuis sa création. Par dégooglisation, nous entendons ici le remplacement des logiciels propriétaires – qu’ils soient détenus par les GAFAM ou non – par des logiciels Libres.
Dès le début, il est décidé d’internaliser une partie de l’informatique au sein de l’équipe qui rend les services aux activités de la coopérative. [À Grap, nous utilisons le terme d’activité pour désigner les entreprises associées à Grap et les activités économiques de la Coopérative d’Activités et d’Emploi]. La majorité du temps informatique sera dédié au développement du progiciel libre OpenERP (nommé désormais Odoo) pour gérer la première activité d’épicerie (3 P’tits Pois à Lyon) de la coopérative.
Par pragmatisme économique et choix stratégique, les autres outils de la coopérative ne sont pas choisis par le critère de logiciel Libre ou non. Ainsi, la coopérative va utiliser Google Drive, Google Mail, Google Agenda, et aussi d’autres logiciels spécifiques comme EBP pour la compta ou Cegid Quadra pour la paie.
2018-2020/ Sortir de Google Drive pour Nextcloud
Après le départ d’un des cofondateurs et d’un informaticien en 2014, le service informatique va fonctionner avec 1 seule personne jusqu’à fin 2017. Sylvain Le Gal va alors consolider le périmètre existant (gestion d’une eBoutique, développements spécifiques à l’alimentaire dans OpenERP, connexion avec des balances client·es et migration de OpenERP 7.0 à Odoo 8.0).
Fin 2017, l’embauche de Quentin Dupont permet de gagner en temps de travail disponible et d’agrandir le périmètre des services du pôle informatique.
🌻 L’été 2018 pour valider l’alternative à Google Drive
Le choix du logiciel remplaçant se fait très facilement : Nextcloud est LA solution Libre qui s’impose autant par sa prise en main relativement simple pour des utilisateur·ices de tout niveau, que par l’engouement de sa communauté et son administration alors maîtrisée par le pôle informatique.
Il faut quand même s’assurer que toutes les fonctionnalités utilisées actuellement trouvent leur équivalent. Grâce aux différentes applications existantes sur Nextcloud, les différents besoins se retrouvent bien couverts.
🌸 À l’automne 2018, on prend la décision de sortir de Google Drive
Un changement de logiciel peut être l’occasion de revoir ses pratiques. Nous en profitons pour revoir notre arborescence de fichiers et de dossiers. Nous créons alors :
Un compte Nextcloud par :
personne physique de l’équipe interne
personne physique des activités qui ont des mandats particuliers (administrateur·ice au CA par exemple)
activité de la coopérative (donc par « personne morale ») et non pas par personne physique de la coopérative pour différentes raisons :
de nombreuses activités partagent réellement leurs ordinateurs tout au long de la journée
aucun intérêt à ce que chaque personne ait son compte, cela rajouterait une dose énorme de suivi de création de compte, de support, etc.
ce choix vient avec une limite : l’accès aux documents personnels avec le pôle social n’est pas possible
Un « groupe » Nextcloud pour chaque groupe autonome
un groupe par pôle de l’équipe interne
un groupe par mandat : DG, CA
un groupe par activité de la coopérative – regroupant le compte de la personne morale + les comptes des personnes physiques de cette activité qui ont des mandats particuliers.
Des dossiers communs pour travailler collaborativement
entre pôles de l’équipe
entre membres de la coopérative
entre mandataires (DG ou CA)
Avec Nextcloud, nous avons donc pu créer une architecture plutôt simple pour les utilisateur·ices mais permettant de répondre aux complexités du travail collaboratif entre des profils bien différents.
Grâce aux droits d’accès paramétrables finement, le Nextcloud permet ainsi d’offrir plus de transparence et de collaboration dans la coopérative, que ce soit par les dossiers partagés totalement ou, à l’inverse, les dossiers dont l’accès n’est possible qu’en lecture sans possibilité de modifier.
💮 2019 – 2020 : la dégooglisation de 150 personnes dans 50 activités
Google Drive n’est pas seulement utilisé par l’équipe interne. L’outil est partagé à l’ensemble de la coopérative. C’est à dire à une cinquantaine – à l’époque – d’activités indépendantes, allant de l’entrepreneuse seule à la petite équipe de 10 personnes.
Il faut donc embarquer tout le monde dans ce changement.
Politiquement/théoriquement pas de soucis. Les méfaits de Google sont connus de la majorité des gens et théoriquement, nous n’avons jamais eu de désaccords sur l’idée de sortir de Google Drive.
En pratique, Google Drive s’avère être plutôt lourd à l’utilisation, pas bien maîtrisé ni maîtrisable, surtout concernant la gestion des partages qui est un véritable enfer (« Qui est le fichu propriétaire de ce fichier dont le propriétaire originel est parti de la structure / n’a plus de compte Google ? »).
En allant sur Nextcloud, nous allions maîtriser – et donc être responsables – des données de la coopérative, nous allions retrouver de la souveraineté et de la compétence sur le sujet.
Au printemps 2019, nous changeons aussi d’outil de documentation. Pour sa simplicité d’utilisation et son ergonomie générale, nous choisissons le logiciel Libre BookstackApp. Depuis, notre librairie tourne toujours aussi bien et héberge notre documentation informatique mais aussi toute la documentation stable de la coopérative.
💩 Une première difficulté : l’export des données de Google
L’export fut en effet très compliqué, trop compliqué pour un logiciel conçu par l’une des entreprises les plus puissantes au monde. L’export des données d’un Google Drive (à l’époque en tout cas) est extrêmement long et très peu sécurisant : Google fournit l’export en archives coupées en plusieurs parties (du style « ARCHIVE-PART01 » « ARCHIVE-PART02 »), archives dont une partie… pouvait être manquante (ex : on a la partie 01, 02, 04, 05 mais pas la partie 03), nécessitant de refaire un export entier.
Nous avons donc passé de nombreuses heures à exporter les données, puis nous les avons sécurisées sur un disque dur externe, avant de les envoyer sur notre Nextcloud.
🚀 Et tu formes formes formes, c’est ta façon d’aimer
Pour réussir à dégoogliser la coopérative, pas de miracle, on a enchaîné la formation des activités une à une, en mutualisant des formations par territoire géographique.
Chaque formation durait environ 1h30. En 2019, nous avons passé environ 150 heures de travail à la formation, l’accompagnement et la documentation de cette étape de dégooglisation (+ les heures techniques, voir bilan financier à la fin de ce récit). L’ensemble de la documentation – qui est un travail continu – est consultable ici : https://librairie.grap.coop/books/nextcloud
En janvier 2020, soit plus d’un an après la décision de passer sur Nextcloud, la migration était officiellement finie ! 🎉
🙊 Une difficulté pas anticipée : les limitations d’Onlyoffice pour les commandes groupées
Tout allait bien dans la dégooglisation progressive de la coopérative. Au cours de l’année 2019, la moitié de la coopérative utilise désormais Nextcloud au lieu de Google Drive !
Un des avantages de la coopérative pour les activités est de pouvoir mutualiser de nombreux sujets. Un de ces sujets est l’approvisionnement en produits artisanaux en circuits courts grâce à une logistique interne – Coolivri. Cette logistique s’appuyait à l’époque sur un GROS fichier tableur en ligne sur Google Drive.
Le 2 août 2019, une première commande groupée d’oranges et d’agrumes est lancée sur le Nextcloud et toutes les prochaines commandes groupées vont débarquer sur le Nextcloud, géré par l’application Onlyoffice.
Et c’est vers cette période que l’on se rend compte que l’application disponible d’Onlyoffice a une limitation : pas plus de 20 personnes connectées simultanément sur l’ensemble des fichiers collaboratifs du nuage ! À l’époque nous devions avoir une soixantaine d’utilisateur·ices et une équipe interne qui l’utilise toute la journée : ce n’était pas tenable.
Cette limitation n’est pas technique, mais bien un choix délibéré de l’entreprise développant le logiciel pour amener à payer une licence permettant d’accéder au logiciel sans limitation. Un modèle freemium en soi. Cette question du modèle économique et de ce qu’est un « vrai » logiciel libre est bien sûr compliqué, et amènera de nombreux débats dans les forums de discussion de Nextcloud.
Fin 2019, nous nous questionnons réellement sur le fait de payer cette licence (coût à l’époque : ~1500€ en une fois pour 100 utilisateur·ices simultanées).
Après avoir écumé les Internets, contacté toutes les structures amies qui auraient la même problématique, la solution vient finalement de la communauté elle-même qui est partagée sur le fait de contourner cette limitation qui constitue le modèle économique de l’entreprise développant Onlyoffice. Un développeur bénévole a réussi à reproduire le logiciel (légalement car le logiciel est Libre) en enlevant cette limitation !
Depuis, nos commandes groupées ont été rapatriées sur Odoo grâce à un gros développement interne, en faisant un outil beaucoup plus résilient et solide. Et nous continuons d’utiliser Onlyoffice dans des versions communautaires trouvées par ci par là.
To be continued…
Dans la seconde partie, nous continuerons notre récit de dégooglisation, nous permettant de nous débarrasser de Google Agenda puis du mastodonte.. Gmail !
Si vous aussi, vous faites partie d’une organisation qui s’est lancée dans une démarche similaire et que vous souhaitez partager votre expérience, n’hésitez pas à nous envoyer un message pour nous le faire savoir. On sera ravi d’en parler ici !
L’aventure de la modération – épisode 3
Maiwann, membre de l’association, a publié sur son blog une série de cinq articles sur la modération. Nous les reproduisons ici pour leur donner (encore) plus de visibilité.
Voici le troisième.
Les cas d’étude c’est bien sympa, mais cela ne donne qu’une vision partielle du fonctionnement. Aussi je vais détailler ma montée en compétence sur la modération, et celle du collectif parce que ça fait partie des solutions à mettre en place pour que se soit un boulot le moins délétère possible !
Les outils accessibles via Mastodon
Mastodon permet, pour les utilisateurices inscrites chez nous de :
— flouter toutes les images de ce compte (et celles qu’il publiera ensuite) (pratique pour les instances qui hébergent du porno)
— supprimer un message
— limiter la visibilité du compte à ses abonnés seulement
— suspendre le compte sur un temps restreint
— supprimer le compte définitivement
— contacter l’utilisateurice par message privé
— contacter l’utilisateurice par mail
— bloquer un Mastodon entier (!!) (aussi appelé instance).
Pour les utilisateurices qui ne sont pas chez nous, il est seulement possible de :
— flouter toutes les images de ce compte (et celles qu’il publiera ensuite) (pratique pour les instances qui hébergent du porno)
— limiter la visibilité du compte à ses abonnés
— bloquer le compte
— contacter l’utilisateurice par message privé.
Lorsqu’une personne effectue un signalement, nous recevons une notification par mail si :
— la personne faisant le signalement se trouve chez nous
— la personne signalée est chez nous ET que la personne ayant fait le signalement a demandé explicitement à ce que nous le recevions.
Les signalements les plus importants à gérer étant évidemment ceux concernant des personnes se trouvant sur notre (instance de) Mastodon et ayant un comportement problématique. Actuellement, la majorité des signalements pour lesquels nous sommes notifiés sont faits par une personne inscrite chez nous à propos de contenus qui se trouvent ailleurs, sans doute pour prévenir les modérateurices de l’autre Mastodon qu’il y a quelque chose à regarder de leur coté.
Au fur et à mesure du temps, j’ai l’impression que si les signalements ne sont pas liés à du contenu chez nous, et ne sont pas explicitement problématiques, on peut laisser la responsabilité d’agir aux modérateurices des autres instances.
L’important étant de bien s’occuper de ce qui se trouve chez nous. 🙂
Comment ça se passe ?
Donc une fois la notification par mail reçue, on se connecte à un compte avec les droits de modération (pour certains leur compte personnel, pour d’autres le compte de modération que nous avons créé à la sortie de la charte pour avoir un compte dédié à ce sujet). Nous avons accès à une interface récapitulant le compte concerné, les contenus signalés, le message du signalement expliquant pourquoi il a été effectué (extrêmement important car sinon on perd énormément de temps à comprendre ce qui est reproché) et quelques autres indicateurs (notamment le nombre de signalements déjà effectués, pratique pour repérer les récidivistes).
Démarre ensuite dans la grande majorité des cas un travail d’enquête afin de comprendre le contexte. C’est une action extrêmement chronophage mais qui nous permet de savoir si la personne a une façon de se comporter correcte, un peu pénible ou carrément problématique, ce qui va influencer le niveau de sévérité de l’action de modération.
Si nous avons de la chance, il suffit de parcourir une dizaine de contenus, mais parfois la personne a partagé des vidéos, et il est nécessaire de regarder l’entièreté de la vidéo pour se rendre compte de son caractère problématique… ou non. C’est comme cela que je me suis retrouvée à regarder vingt minutes d’une vidéo célébrant le Brexit où se trouvaient Asselineau, Nicolas Dupont-Aignan, Florian Philippot. Quel excellent moment.
C’est ce travail de contextualisation qui explique pourquoi il est extrêmement important, lorsque vous réalisez un signalement, de mettre le plus de détails possibles : quels sont les contenus incriminés ? Pourquoi pensez-vous que cela mérite une action de modération ? Trop souvent nous avons un signalement composé d’un seul pouet, hors contexte, qui nous oblige à nous y attarder bien plus que si on nous avait fourni des explications détaillées. (Merci pour nous !)
Une fois cette contextualisation réalisée, il est temps de se décider… est-ce qu’il y a quelque chose à faire ? Est-ce qu’on supprime les contenus incriminés ? Est-ce qu’on contacte la personne ?
À Framasoft nous avons un tchat dédié à la modération, dans lequel nous partageons notre analyse du contexte, le signalement, et nous proposons l’action ou les actions qui nous semblent les plus appropriées. L’idée est de pré-mâcher le travail aux copaines tout en n’ayant pas à porter seul le poids de la décision de la « bonne » action de modération à réaliser.
Donc une fois que j’ai une idée de ce qui me semblerait « le mieux » à faire (ou pas), je demande leur avis aux copaines sur ce tchat. Il y a ensuite un petit temps d’attente nécessaire, pas problématique dans la plupart des cas mais très stressant quand la situation revêt un caractère « d’urgence », et que quelques heures comptent (par exemple si quelqu’un commence à se prendre une vague de harcèlement, plus vite on peut la protéger mieux c’est).
Si on n’est pas d’accord, on discute, jusqu’à tomber d’accord ou ne pas tomber d’accord et utiliser la règle du « c’est qui qui fait qui décide ». Donc si on se dit « cette personne il faudrait la contacter pour lui expliquer » mais que personne n’a l’énergie de rédiger quelque chose… ben on fait différemment en choisissant une action qui tient compte du niveau d’énergie des modérateurices.
Et enfin, on réalise l’action de modération « finale » qui, si elle est technique, est hyper rapide (nonobstant un petit message pour prévenir si on a envie d’en faire un), mais qui si elle est dans la « communication » n’est que le début du chemin !
J’espère que cela vous permet de davantage mesurer l’effort invisible qu’est la modération : Recevoir la notification, Identifier le niveau d’urgence, Contextualiser, Synthétiser, Trouver une décision juste, la Soumettre au collectif, Attendre les retours, Discuter, Agir, peut-être Répondre… 9 à 10 étapes qui ne sont vues de personne, excepté si les contenus ou le compte sont purement et simplement supprimés. Il est donc très facile de dire que « rien » n’est fait alors que ça s’active en coulisses.
De plus, dans un monde où tout et n’importe quoi est « urgent » autant vous dire que ça n’est pas facile de prendre le temps de décider sereinement d’une action la plus juste possible alors que précisément, cela demande du temps de ne pas réagir sur le coup de l’émotion !
L’anonymat des modérateurices
Lorsque j’ai débuté la modération, j’avais dans l’idée qu’il était important que les modérateurices soient clairement identifié·es pour qu’il soit plus simple de savoir d’où iels parlent. Non seulement pour savoir si iels sont directement concerné·es par certaines oppressions systémiques, mais aussi pour pouvoir avoir un œil sur leur niveau de déconstruction (ce n’est pas parce qu’on est une meuf et donc qu’on subit le sexisme que cela nous donne un badge « a déconstruit le patriarcat », loin de là).
J’en suis complètement revenue, ou plutôt j’ai bougé sur ma position : ce ne sont pas les individus qu’il faut connaitre, mais la position d’un collectif, et savoir si on a envie de faire confiance à ce collectif… ou non !
Pourquoi ce changement ? Déjà parce que lors de la vague de harcèlement que nous avons subie à la publication de la charte, la violence était très intense alors que je n’étais pas directement citée : c’était le compte de l’association (@Framasoft@framapiaf.org) qui l’était, et je ne voyais que ce qui tombait dans mon fil ou ce que j’allais voir de moi-même (enfin en étant sous le coup de la sidération, moment où l’on a pas toujours les bonnes pratiques : maintenant je ferme l’ordinateur pour m’éloigner du flot).
Si j’étais frustrée de ne pas pouvoir mettre de visage « humain » sur les personnes qui avaient écrit cette charte, j’ai surtout été très protégée par mon anonymat du moment. Et j’ai pu choisir, en mes termes et dans un timing que j’ai choisi, de partager mon ressenti sur la situation (avec l’article intitulé Dramasoft du nom du hashtag utilisé pour l’occasion).
Et je me souviens que je savais très clairement que je prenais un grand risque en communiquant sur ma participation à cette charte (et j’ai fait attention à ne pas parler des actions de modération en tant que telle dans un espoir de limiter l’impact). Le fait d’en contrôler la totalité de la publication, quand, sur quel support, auprès de qui, quand je me suis sentie prête, m’a énormément protégée.
Je reviens d’ailleurs sur une partie de ce que j’ai énoncé au-dessus, l’importance de
savoir si iels [les modérateurices] sont directement concerné·es par certaines oppressions systémiques
Je pense à présent qu’il est très problématique de penser pouvoir regarder un·e individu pour se permettre de juger de si iel ferait un·e bon·ne modérateurice : ce sont les actions et la direction dans laquelle se dirige le collectif qui compte. Nous ne pouvons pas déterminer, de par quelques pouets ou contenus partagés, si une personne est « suffisamment » déconstruite ou non.
Pire, cela nous encourage à faire des raccourcis, qui peuvent être d’une violence inouïe. Aussi, il nous a par exemple été reproché de concevoir une charte pour des enjeux de modération dont nous n’avions pas conscience, notamment parce que nous n’avions pas de personnes concerné·es par les oppressions systémiques dans l’équipe (qui seraient composés de mecs cis, het, blancs…).
Déjà c’est faux, car il y a des femmes qui subissent le sexisme qui en font partie (dont moi par exemple !) mais surtout parce qu’il n’est pas possible de savoir quel est le contexte et l’identité de chacun·e des membres, et notamment si certain·es seraient par exemple dans le placard, cachant soigneusement leur identité ou orientation sexuelle.
Rendez-vous compte de la violence, pour quelqu’un qui n’a pas fait son ou ses coming-out, de recevoir de la part d’adelphes qui sont dans le même groupe oppressé qu’elle un message sous entendant qu’elles ne sont pas légitimes puisqu’elles ne sont pas out. La violence est infinie, et je crois que c’est ce qui m’a mise le plus en colère dans cette histoire, car je ne pouvais pas vérifier si des membres étaient touché·es par ces accusations (puisque n’ayant pas fait leur coming-out… vous m’avez comprise).
Aussi, à nouveau, je pense que la solution repose sur le collectif, pour pouvoir à la fois s’adresser à quelqu’un tout en protégeant les individus.
À Framasoft, nous avons publié cette charte et ouvert un compte modération derrière lequel chaque membre peut lire les messages, et nous agissons pour des personnes qui nous font confiance. Plus récemment encore, nous avons re-partagé notre vision du monde dans notre manifeste, sans compter les nombreuses conférences et articles de blog qui expliquent comment nous nous positionnons. Si cela ne suffit pas aux utilisateurices, ils peuvent nous bloquer ou aller ailleurs, sans animosité de notre part : nous faisons avec nos petits moyens.
Le temps passé
Une question qui m’a été souvent posée c’est : Combien de temps vous y passez, à faire de la modération ?
Alors déjà il y a une grosse différence de temps passé entre le moment de mise en place de la charte de modération, et maintenant.
Lors de la mise en place de la charte et environ un an ensuite, nous étions sur quelques heures par semaine. Actuellement, c’est plutôt quelques heures par mois, et pour des cas moins complexes à gérer (même si on n’est pas à l’abri d’une vague de harcèlement !). Et c’est à mettre au regard du nombre : 1600 utilisateurs actifs chez nous, 11 000 inscrit·es (donc beaucoup de comptes en veille) et 6 millions d’utilisateurs au total sur tout le réseau.
Cette immense différence s’expliquer par deux raisons :
– Nous avons viré tous les relous.
– Nous avons fermé les inscriptions, et donc il n’y a plus de nouveaux.
Les utilisateurices qui restent sur framapiaf sont celleux qui ne nous demandent pas trop de boulot, et donc on s’en sort bien !
Mais je pense que même sur une instance dont les inscriptions restent ouvertes, on doit gagner en tranquillité grâce aux blocages d’instances déjà effectués et à la montée en compétence de l’équipe de modération (si l’équilibre est entretenu pour que les modérateurices restent, ça veut dire que le collectif en prend suffisamment soin !).
Note : Si les chiffres d’Olivier Tesquet sont bons (je n’ai pas vérifié), il y a en fait sur Mastodon une bien meilleure façon de modérer que sur Twitter parce que les modérateurices seraient juste… plus nombreuxses ?
Mastodon compte aujourd’hui 3615 instances, c’est à dire 3615 politiques de modération potentiellement différentes.
Au passage, ramené au nombre d’utilisateurs actifs, ça fait au moins un modérateur pour 250 mastonautes. Sur Twitter, c’est un pour… 200 000.
Et après ?
C’est l’heure de faire un petit bilan de cette triplette d’articles ! Ce sera dans le prochain épisode !
L’aventure de la modération – épisode 2
Maiwann, membre de l’association, a publié sur son blog une série de cinq articles sur la modération. Nous les reproduisons ici pour leur donner (encore) plus de visibilité.
Voici le deuxième.
Maintenant que je vous ai fait une introduction de six pages, c’est le moment de passer au concret : Comment est-ce que se déroule la modération ?
Les cas simples : les fachos, les mascus, l’extrême-droite
De façon surprenante, j’ai découvert que tout ce qu’il y a de plus délétère sur les réseaux sociaux capitalistes, c’est à dire en résumé : les comptes d’extrême-droite, étaient très simples à modérer.
Nous en avons eu un exemple lors de l’été 2018. Twitter a réalisé une vague de fermeture de comptes de mascus provenant du forum tristement connu de jeuxvideo.com, surnommé le 18-25. Comme souvent, ces personnes crient à la censure (…) et cherchent un réseau social alternatif dont la promesse serait de promouvoir une liberté d’expression leur permettant de dire les atrocités qu’ils souhaitent.
Ils débarquent donc sur Mastodon, avec un schéma qui a été le suivant :
1° Première inscription sur le premier Mastodon trouvé
Les 18-25 étant majoritairement francophones, ils se sont retrouvés souvent sur mamot.fr et parfois chez nous en s’inscrivant sur framapiaf.org, parfois sur mastodon.social qui est le Mastodon proposé par le développeur principal.
Nous avons donc pu commencer une première vague de bannissement en suivant les profils des nouveaux inscrits, et leurs premiers contenus qui concourraient au prix de « qui dit les choses les plus atroces ».
Nous avons fermé les inscriptions momentanément pour endiguer le flot, et peut-être avons nous à un moment viré massivement les nouveaux comptes.
« Quoi ?! » vous entends-je dire, « mais c’est en opposition totale avec le point 3 de la charte » !
Nous différencions personnes et comportements. Nous modérerons les comportements enfreignant notre code de conduite comme indiqué au point 5, mais nous ne bannirons pas les personnes sous prétexte de leurs opinions sur d’autres médias.
Ma réponse est donc « vous avez raison » suivie d’un « et nous sommes humains donc nous faisons ce que nous pouvons, en commençant par nous protéger ».
Je ne me souviens pas vraiment de notre façon de modérer à ce moment là : avons-nous attendu que chacun poste quelque chose de problématique avant de le virer ? Ou avons-nous agi de façon plus expéditive ? Même si nous étions dans le second cas, nous étions sur un grand nombre de compte qui venaient de façon groupée pour revendiquer une « liberté d’expression » leur permettant de dire des horreurs… Il n’y a à mon avis pas besoin d’attendre que chacune de ces personnes indique quel est sa façon de penser alors qu’elles viennent massivement d’un endroit (le forum de jeuxvideo.com) qui porte une vision de la société délétère.
Donc peut-être qu’on n’a pas respecté strictement la charte sur ce moment là, et encore une fois, je préfère protéger les membres de l’association et les utilisateurices en faisant preuve d’un peu d’arbitraire, plutôt que de suivre une ligne rigide.
2° S’inscrire sur un autre Mastodon
Après leur premier bannissement, des informations sur le fonctionnement décentralisé de Mastodon ont circulé. Les nouveaux arrivants se sont donc inscrits sur une autre instance, et ont plus ou moins rapidement été bannis une nouvelle fois.
C’est alors que des personnes du fédiverse ont expliqué à ces personnes qui se plaignaient de la fameuse « censure » qu’ils pouvaient monter leur propre Mastodon, et y appliquer leurs propres règles.
3° Monter une instance Mastodon rien que pour les 18-25
Sitôt dit, sitôt fait, les nouveaux arrivants s’organisent, montent leur Mastodon (soit grâce à leurs compétences techniques, soit grâce à un service qui propose de le faire) et s’y inscrivent tous.
Victoire ! Leur instance Mastodon, leurs règles, plus personne ne les bannira !
Quand à nous, nous n’avions plus qu’à appuyer sur le bouton « Bloquer l’instance » pour nous couper de ce Mastodon dédié au 18-25. Problème réglé.
Alors je ne voudrais pas vous faire croire que cette cohue s’est faite sans effet problématique. Déjà parce que je ne connais pas ses effets sur tous les utilisateurices de Mastodon, mais aussi parce que les 18-25 ont eu le temps de poster des contenus très violents, le point culminant étant une photo de la salle du Bataclan le soir du 13 novembre, remplie de cadavres. Je n’ai pas vu cette image mais un ami de l’association oui, et je maudis notre manque d’expérience pour ne pas avoir pu empêcher qu’il soit confronté à cette image horrible.
Mais de façon générale, tous les discours de haine sont vraiment aisés à modérer. Juste : Ça dégage. Fin de la discussion.
Là où ça devient difficile, se sont sur les cas qui jouent avec les limites.
Cas limites : quand une personne est… pénible
Je pense que c’est ce type de cas qui nous a valu une réputation de « mauvaise modération » : certaines personnes qui ne posaient pas de problème légaux, n’étaient pas agressifs au sens strict du terme ou ne partageaient pas de contenu violent, mais qui étaient… relous.
Un peu de mansplanning par ci, une discussion sur un sujet d’actualité avec une position moralisante par là… Bref, tout ce qui fait plaisir à lire (non) sans réellement mériter de couperet de la part de la modération.
Nous sommes arrivés à un point où les salariés qui faisaient de la modération avaient masqué le compte depuis leur profil personnel, mais ne se sentaient pas légitimes à le virer de notre Mastodon puisque rien de suffisamment répréhensible n’avait été fait.
Maintenant que j’ai un peu de recul, je peux dire que nous avons deux postures possibles dans ce cas, chacune nécessitant un travail de contextualisation lié au compte : quelle description du compte ? Quels contenus partagés ? Dans quelle ambiance est la personne ? Ça n’est pas la même chose si la personne écrit dans sa biographie « Mec cis-het et je vous emmerde » que si il est écrit « Faisons attention les un·es aux autres ».
Bien sûr, rien n’est strictement « éliminatoire », mais chaque élément constitue un faisceau d’indices qui nous pousse nous-même à passer plus ou moins de temps à prendre soin de la personne, de façon équivalente au soin que cette personne semble mettre dans ces échanges sur le média social.
Si la personne semble globalement prendre soin, mais a été signalée, nous pouvons décider de rentrer en discussion avec elle. C’est une option intensément chronophage. On pourrait se dire que pour trois messages de 500 caractères, pas besoin d’y passer trop de temps… au contraire !
Autant que possible, chaque message est co-écrit, relu, co-validé avant d’être envoyé, afin de s’assurer que le plus de personnes possibles de l’équipe de modération soient en accord avec ce qui y est écrit, le ton donné… et cela dans un temps le plus réduit possible histoire que l’action de modération ne date pas de quinze jours après le contenu (c’est parfois ce qui arrive). Or les membres de l’équipe sont pour beaucoup bénévoles, ou sinon salarié⋅es avec un emploi du temps très chargé.
Il faut aussi pas mal de relecteurices pour éviter LE truc qui fait perdre trois fois plus de temps : se faire mal comprendre par la personne à laquelle on écrit. Et là… c’est le drame !
Une autre option, ressemblant à celle-là mais avec moins de précautions de notre part est d’utiliser notre position d’autorité « Nous sommes la Modération » pour signaler aux personnes que nous comptons sévir en cas de récidive.
Cependant, si la personne ne semble pas intéressée par le fait de prendre soin des autres personnes, nous avons une astuce pour ne pas retomber dans le cycle infernal du « est-ce qu’on devrait faire quelque chose ou non ? » : le « ça prend trop d’énergie à l’équipe de modération ».
Cependant, nous bannirons toute personne ayant mobilisé de façon répétée nos équipes de modération : nous voulons échanger avec les gens capables de comprendre et respecter notre charte de modération.
En effet, c’est un indicateur qui nous permet de ne pas « boucler » trop… si l’on est plusieurs à se prendre la tête sur un signalement, alors que notre énergie serait mieux ailleurs… alors on décide souvent que cela suffit pour mériter un petit message disant en gros « Bonjour, vous prenez trop de temps à l’équipe de modération, merci d’aller vous installer ailleurs ». Cela nous a sorti de maintes situations délicates et c’est une félicité sans cesse renouvelée que de pouvoir citer cette partie de la charte.
Cas limites : quand la revendication est légitime
Autre cas compliqué à gérer : les différents moments où les personnes ont une revendication dont le fond est légitime, mais où la forme fait crisser les dents.
Par exemple, revenons sur la réputation de Framapiaf d’avoir une mauvaise modération (ou une absence de modération ce qui revient au même).
Clarifions un instant les reproches qui me semblent étayées de celles pour lesquelles je n’ai pas eu de « preuve » :
— Il a été dit que nous ne faisions pas de modération, voire que nous ne lisions pas les signalements : c’est faux.
— Par contre, comme expliqué dans le cas au-dessus, nous n’étions pas outillés et expérimentés pour gérer des cas « limites » comme ceux au-dessus qui ont entraine une pénibilité dans les interactions avec de nombreuxses utilisateurices.
Nous avions donc bien un manque dans notre façon de faire de la modération. Si vous avez déjà les explications du « pourquoi », je tiens à dire que cela ne nous empêche pas de nous rendre compte que cela a été pénible pour d’autres utilisateurices.
Cependant, la façon dont le problème nous a été remonté l’a été de façon souvent agressive, parfois violente car insinuant des choses à propos de nos membres (qui ne seraient que des personnes non concernées par les oppressions… et c’est faux !).
Aussi, comment traiter ce sujet, qui porte des valeurs avec lesquelles nous sommes aligné·es (protéger les personnes des relous, facile d’être pour…) mais qui dans le même temps, nous agresse également ? Et comment faire cela sans tomber dans le tone policing, argument bien trop utilisé pour couper court à un débat en tablant sur la forme plutôt que le fond ?
Tone-policing : littéralement « modération du ton ». Comportement visant à policer une discussion ou un débat en restreignant ou en critiquant les messages agressifs ou empreints d’une forte charge émotionnelle.
Voici mon point de vue : au vu de notre petite taille, nos faibles capacités humaines (des salariés qui font mille choses, des bénévoles), que notre structure est à but non lucratif (donc n’est pas là pour faire du bénéfice pour enrichir quelqu’un) et notre posture d’écoute que nous essayons d’équilibrer avec notre énergie disponible, il n’est pas OK de mal nous parler sauf cas exceptionnel.
Alors bien sûr les cas exceptionnels, ça se discute, ça se débat, mais en gros, à part si nous avons sérieusement blessé quelqu’un de par nos actions, il est possible de nous faire des critiques calmement, sans faire preuve de violence.
Et dans un souci d’équité, nous faisons l’effort de creuser les arguments de fond quand bien même la forme ne nous plait pas, afin de vérifier si les reproches que nos recevons sont des critiques avec de la valeur et de l’agressivité, ou seulement de l’agressivité.
Cela peut vous sembler étrange de passer du temps là-dessus, mais tant que vous n’êtes pas dans l’association, vous ne vous rendez pas compte de la quantité de gens qui la critiquent. Chaque semaine, des personnes nous signalent par exemple qu’elles sont désespérées par notre utilisation de l’écriture inclusive alors que nous l’utilisons depuis plus de quatre ans. Ou régulièrement parce que nous sommes trop politiques. Alors oui, des reproches agressifs nous en avons régulièrement, mais des critiques constructives, c’est malheureusement bien plus rare.
Donc que faire face à cela ? Eh bien mettre le soin au centre pour les personnes qui reçoivent les agressions. Alors encore une fois, je ne parle pas de soutenir les méchants oppresseurs agressifs envers qui on serait en colère, il ne s’agit pas de ça. Il s’agit de réussir à voir chez une personne de notre archipel qu’elle a fait une erreur, tout en prenant soin de l’humain qui a fait cette erreur.
Nous voulons prendre soin : de nous, d’autrui, et des Communs qui nous relient
Parce que personnellement j’ai vu que se faire agresser alors que l’on fait honnêtement de son mieux n’entraine qu’un repli sur soi, coupant la personne de son désir de contribuer à un monde meilleur, parce qu’elle a été trop blessée.
Et bien sûr, l’équilibre entre protéger les personnes blessées et celles qui blessent sans le vouloir est extrêmement difficile à tenir. Il faut donc réussir à faire preuve de franchise : oui, là, tu ou on aurait pu faire mieux. À partir de maintenant, comment on fait pour que se soit possible de faire mieux ?
Inutile de dire que non seulement ça prend du temps, mais c’est aussi carrément risqué, car on peut se mettre à dos par effet domino tout le groupe dont les membres exprimaient directement cette agressivité, ou indirectement par du soutien aux contenus en questions. Que du bonheur !
Les autres cas…
Alors oui il y a des robots, mais ça c’est un peu pénible mais vite résolu.
Il y a aussi des spécificités liées à Mastodon : comment gérer des contenus qui sont sur un autre Mastodon, auquel vous êtes connectés, et qui sont illégaux dans votre pays mais légaux dans d’autres ? On prend souvent l’exemple dans ce cas du lolicon : les dessins « érotiques » représentant des mineures sont autorisés et courants au Japon, mais interdits en France. Il faut y penser !
Enfin un autre cas que vous avez en tête est peut-être le contenu pornographique. Nous n’en faisons pas grand cas ici : nous demandons à ces comptes de masquer par défaut leurs images (une fonctionnalité de Mastodon qui permet de publier la photo floutée et de la rendre nette sur simple clic) et idéalement de rajouter un #NSFW (Not Safe for Work) pour simplifier leur identification.
La suite
J’espère que ces cas un peu concrets vous permettent de mieux vous rendre compte des interstices qui complexifient le travail de modération. Mais du coté fonctionnement collectif, comment ça se passe ? Je vous raconte ça dans l’article numéro 3 la semaine prochaine.
L’aventure de la modération – épisode 1
Maiwann, membre de l’association, a publié sur son blog une série de cinq articles sur la modération. Nous les reproduisons ici pour leur donner (encore) plus de visibilité.
Voici le premier.
Il me semble que mon parcours rassemble plusieurs spécificités qui me permettent d’analyser sous un angle particulier les différentes particularités de la modération :
Je suis une femme féministe, et une “geek”,
Je suis de gauche (= progressiste), et soutiens tous les mouvements pour plus de justice sociale,
Je suis conceptrice d’outils numériques, donc je connais le pouvoir que nous avons lorsque nous créons un produit numérique,
Je suis critique du numérique, et notamment du numérique capitaliste (de son petit nom, capitalisme de surveillance). J’enrichis cette réflexion grâce aux discussions que nous avons au sein de l’association Framasoft dont je suis membre bénévole.
J’ai fait de la modération pour un réseau social et ce réseau social n’était pas capitaliste.
C’est parti !
3615 ma vie : d’où je parle
Un ordi dès l’enfance
J’ai toujours été utilisatrice d’ordinateurs.
J’ai retrouvé récemment des photos d’un Noël où j’avais peut-être 4 ou 5 ans et où j’ai eu le droit à un ordinateur format jouet, le genre de trucs qui doit faire des chansons ou proposer des mini-jeux en répétant les mêmes phrases à voix robotique à longueur de journée. Quand j’ai vu cette image, j’ai tout de suite pensé à cette courbe qui montre que l’intérêt des enfants pour l’informatique est similaire pour les filles et les garçons… jusqu’au moment où l’on offre des ordinateurs aux petits garçons et pas aux petites filles.
La courbe montre le pourcentage de femmes diplômées dans quatre sections : médecine, droit, physique, informatique, qui augmente au fur et à mesure du temps. Mais on observe un décrochage des diplômées en informatique juste après que l’ordinateur soit promu comme un jouet pour les garçons.
Or, j’ai eu la chance d’avoir une petite sœur, aussi pas de compétition genrée au sein de la fratrie. Par la suite en 1999 nous avons déménagé en Polynésie Française et dans notre chambre d’enfants nous avions un ordinateur, un Windows 98 que nous pouvions utiliser pour jouer à de nombreux jeux vidéos avec bonheur.
Internet n’était qu’une possibilité très lointaine, réservée à mon père qui parfois tentait de m’aider à me connecter pour pouvoir accéder aux jeux de réseau… mais ça n’a jamais fonctionné (peut-être dû au décalage horaire de douze heures avec l’hexagone, je ne le saurai jamais !).
Une fois de retour en France hexagonale, mon père qui était le technicien de la maison, décède. Ma mère n’étant absolument pas intéressée par le sujet, je deviens l’informaticienne de la maison : c’est souvent moi qui installe les logiciels (par exemple le Scrabble pour jouer en ligne), qui sait comment libérer de la place sur l’ordinateur en désinstallant des logiciels (parce que je le faisais souvent sur le Windows 98, j’avais donc déjà de la pratique).
Dans mon milieu familial, si personne n’est admiratif de mes bidouilles, personne ne m’empêche de les faire et je deviens assez vite autonome. De plus, le collège porte un projet de numérisation et on offre aux 4ᵉ et aux 3ᵉ un ordinateur portable. Il est difficile de se connecter à Internet, il n’y a pas de Wifi, mais cela me permet déjà de jouer, de regarder des films de façon indépendante, bref encore plus d’autonomie pour moi !
Un début de pratique collective du numérique (forums, skyblogs, réseaux sociaux).
Plus tard au lycée, l’accès internet est plus simple (on a du wifi !) et je traine sur des forums notamment liés aux génériques de dessins animés (oui c’est un de mes trucs préférés de la vie, je ne sais toujours pas pourquoi). J’ai souvenir d’être déjà pas mal méfiante, assez poreuse aux discours de “on ne sait pas qui nous parle sur Internet”. C’est le grand moment des skyblogs, qu’on ouvre en deux clics pour raconter sa vie (quel bonheur !). Et enfin, c’est l’arrivée de Facebook qui devient un outil très répandu.
Si je n’ai pas de souvenirs de harcèlement via les réseaux sociaux, je me souviens déjà d’une pression sociale pour s’y inscrire. Nous organisions toutes nos sorties cinéma, anniversaires, soirées via les évènements Facebook, et l’une de nos amies n’y était pas inscrite… nous oubliions de la prévenir systématiquement. =/
Pour la suite je vous la fais rapide, je vieillis, c’est le temps des études que j’oriente d’abord malgré moi vers le design web (j’avais envie de faire des dessins animés mais j’étais pas assez bonne dessinatrice !).
Le début d’un lien entre politique et numérique
Je prends conscience du pouvoir mêlé à l’enfer de l’instantanéité des réseaux sociaux en 2015, au moment des attentats de Charlie Hebdo : je suis fébrilement l’actualité via le hashtag… avant de voir une vidéo de meurtre et de fermer lentement mon ordinateur, horrifiée par ce que je viens de voir. C’est une période où je fais “connaissance” avec les discours islamophobes qui superposent les raccourcis.
Je ne suis, à l’époque, pas très politisée, mais pas à l’aise avec ces discours… jusqu’à ce que je fasse connaissance avec une personne qui a un discours que je trouve très juste sur ce sujet (il doit me faire découvrir le concept d’islamophobie, ce qui est déjà pas mal). Et il s’avère que cette personne étant également dans la mouvance du logiciel libre : je découvre alors un monde numérique qui a une intention éloignée de celles du capitalisme, et notamment l’association Framasoft.
Alternatif, vous avez dit alternatif ?
Je découvre donc ce monde numérique alternatif, ou “libre” et au bout de quelques années, un réseau social alternatif : début 2018, alors que j’utilise beaucoup Twitter, une alternative nommée Mastodon se lance. Je m’y inscris, et l’utilise peu, avant de m’y constituer un petit réseau qui me fait y rester (autant que sur Twitter).
Les années passent encore, nous sommes en 2019 et on me propose de rejoindre Framasoft, ce que j’accepte ! Je découvre un collectif qui développe une réflexion très poussée sur ce qu’il y a de délétère dans la société et notamment le numérique, et qui propose des alternatives émancipatrices.
Lorsque je rejoins l’association, au printemps 2019, un sujet est brûlant au sein de l’asso comme à l’extérieur : la modération du réseau social Framapiaf.
Framapiaf ? Mastodon ? Kezako ?
En 2017, un réseau social alternatif commence à faire parler de lui : il s’agit de Mastodon.
Ce réseau social a un fonctionnement un peu particulier : il est décentralisé, en opposition a plein d’autres réseaux sociaux, notamment les réseaux capitalistes, qui sont eux tous centralisés : Il y a 1 Facebook, 1 Twitter, 1 Instagram, 1 TikTok… etc.
Il y a donc une multitude de Mastodon, proposés par une multitude de personnes, associations ou entreprises différentes.
Mais ces Mastodon sont tous connectés les uns aux autres, ce qui permet que les personnes inscrites sur le Mastodon de Framasoft peuvent tout à fait discuter avec des personnes inscrites sur les Mastodon d’autres associations, exactement comme pour les mails ! (si vous avez un mail en @orange.fr et moi un mail en @laposte.net, nous pouvons nous écrire).
Cette spécificité de fonctionnement a plusieurs intérêts, et une grand influence sur les possibilités de modération. Par exemple :
— Le modèle économique de chaque Mastodon est choisi par la structure qui le porte. Chez Framasoft par exemple, se sont les dons qui permettent de tout faire tourner.
— Les règles de modération de chaque Mastodon sont choisies par la structure qui le porte. Aussi, c’est à elle de définir ce qu’elle accepte ou n’accepte pas, en toute indépendance.
— Si les règles ou le modèle économique d’un Mastodon ne vous conviennent pas, vous pouvez… déménager sur un autre Mastodon, tout simplement !
Quel était le problème avec la modération ?
Il faut savoir que Framasoft, entre 2014 et 2019 lançait en moyenne un service par mois (framapad, framadate, framaforms…). Elle a donc lancé Framapiaf pour participer à la promotion du réseau social, sans prendre particulièrement en compte la nécessité de gérer les interactions qui se dérouleraient sur ce média social.
L’association n’était à l’époque composée que de huit salarié·es pour plus de quarante services proposés, des conférences réalisées, des interventions médias, des billets de blog, des campagnes de dons et financement participatif… bref, l’existence du réseau social n’était qu’un petit élément de cet univers, et sa modération un sous-élément en plus de l’aspect technique…
Je parle des interactions et non pas de la modération car sur d’autres services, les salariés géraient déjà de la modération de contenu : images violentes, notamment de pédopornographie… Mais cela impactait uniquement les salariés et ne se propageait pas vers l’extérieur, donc restait du travail totalement invisible.
Or, avec Framapiaf, s’il y avait des contenus problématiques qui étaient diffusés, ils n’impactaient pas seulement les salariés qui faisaient la modération mais aussi leurs destinataires, et potentiellement tous les usagers du média social.
Aussi de nombreuses utilisatrices ont signalé à l’association (parfois violemment, j’y reviendrais) que l’état de la modération leur semblait insuffisant, et que des personnes avaient des interactions problématiques avec iels.
Les salariés n’ayant pas la disponibilité pour gérer pleinement ce sujet, ce sont des bénévoles qui s’en sont chargés.
Avant la charte : Un flou qui crée des tensions
Recette pour abimer des modérateurices
En effet, jusqu’à présent quelques salarié·es de l’association géraient la modération avec les moyens du bord, étaient souvent seuls à s’occuper des signalements dans leur coin, alors que cette tâche est particulièrement complexe.
Pourquoi complexe ? Parce que lorsque l’on est modérateurice, et qu’on souhaite faire un travail juste, notre notion de ce qui est juste est sans cesse réinterrogée.
Déjà dans l’analyse de la situation : Est-ce que la personne qui a posté ce contenu l’a fait en sachant sciemment qu’elle risquait de blesser quelqu’un, ou non ?
Dois-je lui donner le bénéfice du doute ? Est-elle agressive ou seulement provocante ? Est-ce qu’on doit agir contre une personne provocante ? Est-ce que ce contenu est vraiment problématique, ou est-ce que c’est moi qui me suis levé·e du mauvais pied ? Qui suis particulièrement sensible à cette situation ?
Ensuite dans les actions à effectuer : dois-je supprimer ce contenu ? Supprimer ce compte ? Prévenir la personne pour lui expliquer le pourquoi de mes actions, par transparence ? Comment cela va-t-il être reçu ? Quel est le risque de retour de flammes pour moi ? Pour l’association ?
Et le meilleur pour la fin : on se sent seul responsable lorsque des personnes extérieures viennent critiquer, parfois violemment, la façon dont la modération est réalisée.
Il n’y a aucune réponse universelle à ces questions. Ce qui simplifie, en général, le processus de modération, c’est :
— un collectif qui permet de prendre une décision collégiale (ce qui évite de faire reposer une décision difficile et ses conséquences sur un seul individu)
— une vision politique qui facilite d’autant ces prises de décisions.
Nous avons une chance immense à Framasoft, c’est que toutes les personnes actives au sein de l’association sont très alignées politiquement (ça se sent dans le manifeste que nous venons de publier). Mais il n’y avait pas de collectif de modérateurices pour traiter ces questions et prendre les décisions qui sont les plus dures : celles pour les situations qui se trouvent “sur le fil”.
Structurer un groupe de modérateurices pour s’améliorer
J’arrive donc à Framasoft avec l’envie d’aider sur le sujet de la modération, qui est instamment priorisé par le directeur de l’association au vu du stress dans lequel étaient plongés les salariés-modérateurs.
Nous sommes un petit groupe (trois personnes) à proposer de rédiger une charte qui transposera notre vision politique en discours lisible, sur laquelle nous pourrons nous appuyer et nous référer pour expliciter nos choix de modération futurs et trancher des situations problématiques qui ont profité d’un flou de notre politique de modération.
Nous n’avons pas de débat majeur, étant assez alignés politiquement ; c’est la rédaction de la charte qui a été la plus complexe, car nous étions deux sur trois à être novices en modération, nous ne savions donc pas précisément ce qui nous
servirait dans le futur. La charte est disponible sur cette page et a été publiée le 8 juillet 2019.
Publication de la charte
Donc une fois la charte réalisée, il a fallu la poster.
Et là.
J’ai déjà raconté en partie ce qui s’est passé sur un précédent billet de blog nommé Dramasoft, du nom du hashtag utilisé pour parler de la vague de réactions suite à cette publication.
Pour résumer, nous avons subit une vague de harcèlement, de la part de personnes directement touchées par des oppressions systémiques (ça fait tout drôle). Il s’agit d’un type particulier de harcèlement donc je reparlerai : il n’était pas concerté. C’est à dire que les personnes ayant contribué au harcèlement ne l’ont pas fait de façon organisée. Mais l’accumulation de reproches et d’accusations a exactement le même effet qu’une vague de harcèlement opérée volontairement.
D’ailleurs pour moi, elle était pire qu’une vague de masculinistes du 18-25 que j’avais vécu un an auparavant. Car il est bien plus facile de les mettre à distance, en connaissant les mécanismes utilisés et leurs méthodes d’intimidation. Ce n’est pas la même chose de se faire harceler par des personnes qui sont dans le même camp que nous. Et je n’ai pas réussi à créer de la distance, en tout cas sur le moment (maintenant j’ai compris que les façons de communiquer comptaient !).
La charte
Je reviens sur ses différents articles :
1 — Cadre légal
Nous sommes placé·e⋅s sous l’autorité de la loi française, et les infractions que nous constaterons sur nos médias pourront donner lieu à un dépôt de plainte. Elles seront aussi modérées afin de ne plus apparaître publiquement.
Cela concerne entre autres (sans être exhaustif) :
— l’injure
— la diffamation
— la discrimination
— les menaces
— le harcèlement moral
— l’atteinte à la vie privée
— les appels à la haine
— La protection des mineurs, en particulier face à la présence de contenu à caractère pornographique (Loi n° 98-468 du 17 juin 1998 — Article 227-22-1 et Article 227-23 du code pénal).
Alors respecter la loi, ça peut sembler bête de le rappeler, mais ça nous permet de faire appel à un argument d’autorité qui peut être utile lorsqu’on n’a pas envie de faire dans la dentelle.
2 — Autres comportements modérés
Ici nous avons fait en sorte d’être, autant que possible, “ceinture et bretelles” pour rendre explicites que nous trouvons ces différents comportements problématiques. Et si vous avez l’impression qu’il s’agit parfois de choses évidentes, eh bien sachez que ça n’est pas le cas pour tout le monde.
Nous n’accepterons pas les comportements suivants, qui seront aussi modérés :
— Envoyer des messages agressifs à une personne ou à un groupe, quelles que soient les raisons. Si on vous insulte, signalez-le, n’insultez pas en retour.
Permet de ne pas tomber dans le “mais c’est pas moi c’est lui qui a commencé”.
— Révéler les informations privées d’une personne. Dévoiler ses pseudonymes et les caractères de son identité est un choix personnel et individuel qui ne peut être imposé.
Ici par exemple, on explicite clairement un comportement qui n’a rien de répréhensible en soi (c’est pas interdit de donner des infos sur une personne !) mais qu’on sait avoir des effets délétères sur les personnes visées (si on donne le numéro de téléphone ou l’adresse d’une personne, même si rien ne se passe ensuite, il y a a minima la peur d’être contacté·e par des inconnus qui est vraiment problématique).
— Insister auprès d’une personne alors que cette dernière vous a demandé d’arrêter. Respectez les refus, les « non », laissez les gens tranquilles s’iels ne veulent pas vous parler.
On rappelle la base de la notion de consentement, ce qui permet aussi d’encourager les utilisateurices à poser leurs limites si elles souhaitent arrêter un échange.
— Tenir des propos dégradants sur les questions de genre, d’orientation sexuelle, d’apparence physique, de culture, de validité physique ou mentale, etc. et plus généralement sur tout ce qui entretient des oppressions systémiques. Si vous pensiez faire une blague, sachez que nous n’avons pas d’humour sur ces questions et que nous ne les tolérerons pas. Dans le doute, demandez-vous préalablement si les personnes visées vont en rire avec vous.
Ici, petit point “oppression systémique” aussi résumable en “on est chez les woke, déso pas déso” ; de plus on coupe court à toute tentative de négocier par un prétendu “humour”.
— Générer des messages automatiques de type flood, spam, etc. Les robots sont parfois tolérés, à condition d’être bien éduqués.
Les bots pourquoi pas mais selon ce qui nous semble être “une bonne éducation” et oui c’est totalement arbitraire. 🙂
— Partager des émotions négatives intenses (notamment la colère), en particulier à l’égard d’une personne. Les médias sociaux ne sont pas un lieu approprié pour un règlement de compte ou une demande de prise en charge psychologique. Quittez votre clavier pour exprimer les émotions intenses, trouvez le lieu adéquat pour les partager, puis revenez (si nécessaire) exposer calmement vos besoins et vos limites.
Ici on partage notre vision des réseaux sociaux : Ils ne permettent pas d’avoir une discussion apaisée, ne serait-ce que parce qu’ils limitent grandement le nombre de caractères et par là même, la pensée des gens. Donc si ça ne va pas, si vous êtes en colère, éloignez-vous-en et revenez quand ça ira mieux pour vous.
— Participer à un harcèlement par la masse, inciter à l’opprobre général et à l’accumulation des messages (aussi appelé dog piling). Pour vous ce n’est peut-être qu’un unique message, mais pour la personne qui le reçoit c’est un message de trop après les autres.
Ici on place la différence entre une action et l’effet qu’elle peut avoir sur les personnes. En effet, si le harcèlement organisé est facile à imaginer, on se rend moins compte de l’effet que peut avoir un flot de messages envoyé à une personne, quand bien même les expéditeur·ices ne se sont pas coordonnés pour générer une vague de harcèlement… le ressenti final est similaire : on reçoit des tonnes de messages propageant de la colère ou des reproches, alors qu’on est seul·e de l’autre coté de l’écran.
— Dénigrer une personne, un comportement, une croyance, une pratique. Vous avez le droit de ne pas aimer, mais nous ne voulons pas lire votre jugement.
On conclut avec une phrase plus généraliste, mais qui nous permet d’annoncer que le réseau social n’est pas là pour clamer son avis en dénigrant les autres.
3 — Les personnes ne sont pas leurs comportements
Nous différencions personnes et comportements. Nous modérerons les comportements enfreignant notre code de conduite comme indiqué au point 5, mais nous ne bannirons pas les personnes sous prétexte de leurs opinions sur d’autres médias.
Nous changeons et nous apprenons au fil de notre vie… aussi des comportements que nous pouvions avoir il y a plusieurs années peuvent nous sembler aujourd’hui complètement stupides… Cette phrase est donc là pour annoncer que, a priori, nous aurons une tolérance pour les nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes.
Cependant, nous bannirons toute personne ayant mobilisé de façon répétée nos équipes de modération : nous voulons échanger avec les gens capables de comprendre et respecter notre charte de modération.
Cette phrase est parmi celles qui nous servent le plus : à Framasoft, ce qui nous sert de ligne de rupture, c’est l’énergie que nous prend une personne. Quand bien même ce qui est fait est acceptable du point de vue de la charte, si nous sommes plusieurs à nous prendre la tête pour savoir si oui, ou non, les contenus partagés méritent une action de modération… Eh bien c’est déjà trop.
Après tout, nous avons d’autres projets, l’accès à nos services est gratuit, mais il n’y a pas de raison de nous laisser
vampiriser notre temps par quelques utilisateurs qui surfent sur la frontière du pénible.
4 — Outils à votre disposition
Nous demandons à chacun⋅e d’être vigilant⋅e. Utilisons les outils à notre disposition pour que cet espace soit agréable à vivre :
Si quelqu’un vous pose problème ou si vous vous sentez mal à l’aise dans une situation, ne vous servez pas de votre souffrance comme justification pour agresser. Vous avez d’autres moyens d’actions (détaillés dans la documentation)
fuir la conversation,
bloquer le compte indésirable,
bloquer l’instance entière à laquelle ce compte est rattaché (uniquement disponible sur Mastodon),
signaler le compte à la modération.
Une partie de l’action des modérateurices est de faire (ce que j’appelle personnellement) “la maîtresse”. J’ai plusieurs fois l’impression de me faire tirer la manche par un enfant qui me dirait “maîtresse, untel est pas gentil avec moi”. J’y reviendrai, mais c’est pour cela que nous listons les façons d’agir : pour que dans les cas mineurs, les personnes puissent agir elles-mêmes. Déjà parce que se sera toujours plus rapide, que cela permet à la personne de faire l’action qu’elle trouve juste, et puis parce que ça permet de ne pas nous prendre du temps pour des cas qui restent des petites prises de bec individuelles.
— Si quelqu’un vous bloque, entendez son souhait et ne cherchez pas à contacter cette personne par un autre biais, ce sera à elle de le faire si et quand elle en aura envie.
Petit point consentement, ça fait pas de mal.
— Si vous constatez des comportements contraires au code de conduite menant des personnes à être en souffrance, signalez-le à la modération afin de permettre l’action des modérateurs et modératrices. Alerter permet d’aider les personnes en souffrance et de stopper les comportements indésirables.
Il ne nous est pas possible d’être pro-actif sur la modération, pour deux raisons simples :
1. On a autre chose à faire que passer notre temps à lire les contenus des un·es et des autres.
2. Nous avons nos propres comptes bloqués, masqués, et nous ne sommes pas au sein de toutes les conversations. Aussi il n’est pas possible de tout voir (et de toute façon, ça nous ferait bien trop de boulot !).
— S’il n’est pas certain qu’une personne est en souffrance, mais que les comportements à son égard sont discutables, engagez la conversation autour de ces comportements avec chacune des personnes concernées, dans le respect, afin d’interroger et de faire évoluer votre perception commune des comportements en question.
Petit point : chacun·e peut être médiateurice, il n’y a pas que les modérateurices qui doivent le faire. J’insiste sur ce point,
car on a tendance à créer une dichotomie entre “les utilisateurs” qui peuvent faire preuve d’immaturité, et les modérateurices qui eux seraient paroles d’évangile ou au moins d’autorité. Il est dommage de ne pas avoir davantage de personnes qui se préoccupent d’un entre deux où elles pourraient ménager les 2 parties afin que chacun·e clarifie pacifiquement sa position, ce qui permettrait sûrement d’éviter les actions de modération.
— Dans le cadre du fediverse (Framapiaf, PeerTube, Mobilizon,…), vous pouvez également masquer un compte (vous ne verrez plus ses messages dans votre flux mais vous pourrez continuer à discuter avec la personne). Vous pouvez aussi bloquer un compte ou une instance entière depuis votre compte : à ce moment, plus aucune interaction ne sera possible entre vous, jusqu’à ce que vous débloquiez.
Référez-vous à la documentation sur les façons de signaler et se protéger suivant les médias utilisés.
Et pour conclure, on donne d’autres indications sur la façon de s’auto-gérer sur une partie de la modération.
5 — Actions de modération
Lorsque des comportements ne respectant pas cette charte nous sont signalés, nous agirons dans la mesure de nos moyens et des forces de nos bénévoles.
Dans certains cas, nous essayerons de prendre le temps de discuter avec les personnes concernées. Mais il est aussi possible que nous exécutions certaines de ces actions sans plus de justification :
— suppression du contenu (des messages, des vidéos, des images, etc.)
— modification (ou demande de modification) de tout ou partie du contenu (avertissement de contenu, suppression d’une partie)
— bannissement de compte ou d’instance, en cas de non-respect des CGU (usage abusif des services) ou de non-respect de cette charte.
N.B. : dans le cadre du fediverse (Framapiaf, PeerTube, Mobilizon, etc.), nous pouvons masquer les contenus problématiques relayés sur notre instance, voire bloquer des instances problématiques, mais non agir directement sur les autres instances.
La modération est effectuée par des bénévoles (et humain⋅es !), qui n’ont pas toujours le temps et l’énergie de vous donner des justifications. Si vous pensez avoir été banni⋅e ou modéré⋅e injustement : nous sommes parfois injustes ; nous sommes surtout humain⋅e⋅s et donc faillibles. C’est comme ça.
Utiliser nos services implique d’accepter nos conditions d’utilisation, dont cette charte de modération.
Nous faisons ici un récapitulatif des différents pouvoirs que nous avons et surtout que nous n’avons pas :
— le fonctionnement de Mastodon fait que nous pouvons discuter avec des personnes qui ne sont pas inscrites chez nous : nous ne pouvons donc pas supprimer leurs comptes (mais nous pouvons couper leur communication avec nous) ;
— nous sommes principalement des bénévoles, et de ce fait notre temps et énergie est limitée. Aussi, souvent, alors que nous aimerions discuter posément avec chacun·e pour expliquer les tenants et les aboutissants d’une situation… nous n’en avons simplement pas l’énergie, alors nous allons au plus simple. Et c’est frustrant, c’est injuste, mais c’est l’équilibre que nous avons trouvé.
6 — En cas de désaccord
Si la façon dont l’un de nos services est géré ne vous plait pas :
— Vous pouvez aller ailleurs.
— Vous pouvez bloquer toute notre instance.
Framasoft ne cherche pas à centraliser les échanges et vous trouverez de nombreux autres hébergeurs proposant des services similaires, avec des conditions qui vous conviendront peut-être mieux. Que les conditions proposées par Framasoft ne vous conviennent pas ou que vous ayez simplement envie de vous inscrire ailleurs, nous essaierons de faciliter votre éventuelle migration (dans la limite de nos moyens et des solutions techniques utilisées).
J’ai dit plus haut que les personnes qui rejoignaient Mastodon ne s’inscrivaient pas toutes chez nous. Cela nous permet par ailleurs de dire aux personnes qui se sont inscrites chez nous “désolés mais vous nous prenez trop d’énergie, trouvez-vous un autre endroit”. Cela ne prive en rien les personnes car elles peuvent s’inscrire ailleurs et avoir accès exactement aux mêmes contenus… mais nous ne sommes plus responsables d’elles !
7 — Évolution de la Charte
Toute « charte de modération » reste imparfaite car il est très difficile de l’adapter à toutes les attentes. Nous restons à votre écoute afin de la faire vivre et de l’améliorer. Pour cela vous pouvez contacter les modérateurs et modératrices pour leur faire part de vos remarques.
Vous pouvez nous faire vos retours, on est pas des zânes ni des têtes de mules.
La suite
Après ce tour sur mon arrivée dans le monde de la modération, la découverte de ce qu’est Mastodon, et ce par quoi nous avons démarré pour structurer une petite équipe de modération face aux difficultés vécues par les salarié·es, le second article de cette série parle de cas concrets.
Si vous voulez savoir comment on fait pour gérer les fachos, ça va vous plaire.
Illustration : CC-BY David Revoy
PeerTube v5 : the result of 5 years’ handcrafting
Late 2017, we announced our desire to create a free, decentralised and federated alternative to YouTube.
Five years later, we are releasing PeerTube v5, a tool used by hundreds of thousands people on a thousand interconnected platforms to share over 850,000 videos.
« Collectivise Internet / Convivialise Internet 🦆🦆 »
Our new 3-year roadmap is funded by your donations.
You will find a short presentation of this roadmap on our Support Framasoft website.
For the past 5 years, our only developer dedicated to PeerTube (and to other tasks in Framasoft) has released one new major version per year:
PeerTube v1 (Oct. 2018) allows you to create a video platform with federation, peer-to-peer streaming, redundancy, search tools and multilingual interface.
PeerTube v2 (Nov 2019) brings notifications, playlists and plugins.
PeerTube v3 (Jan. 2021) adds federated search, live and peer-to-peer streaming.
PeerTube v4 (Dec. 2021) allows to customise each platform’s homepage, to sort and filter displayed videos, and to manage them more easily.
Throughout these years, this developer has taken care to improve moderation and federation tools, the video player, the interface, the code and the accessibility and also to fix bugs while answering community questions and needs.
PeerTube ecosytem
PeerTube is an artisanal work, in the noble sense of the word. It is a handcrafted tool that now serves a large alternative ecosystem for online video.
Once again, we would like to remind you that our small non-profit creates and maintains all this with only one developer on the project, helped by:
Framasoft employees and volunteers for communication, strategy, administration;
PeerTube community which regularly contributes to code, plugins, translations, suggestions, sharing and donations (thanks and lots of datalove to you <3);
Service providers in specialized areas (UX or UI design, accessibility, creation of mobile applications, etc.).
However PeerTube is only one of dozens of projects we maintain at Framasoft, even though it is one of the largest.
Like every thing we do, PeerTube is mainly funded by your donations (and donations from foundations like NLnet).
Since the beginning of 2022, we have been working on PeerTube to make it easier and easier to use for videomakers and their communities.
In February, version 4.1 brings several expected improvements: of the interface, of the video player on mobile devices, of the plugin system, of the search filters or of the instance customization.
In June, version 4.2 introduces two major new features: the Studio, for light video editing directly from PeerTube; and replay publication for « Twitch-like » live streams. Other new features include detailed video statistics, latency management for live streaming and subtitle editing directly from the interface.
In September, with version 4.3, you can now automate video import from a YouTube (or Vimeo) channel. We have also completely reworked the interface for creating a PeerTube account and improved the live streams display on external website.
PeerTube v5: improving and securing to empower yourself better
The file system has been redesigned to secure internal and private videos. This was a fairly complex work that lays a basis for some much asked future features.
Another very emancipating technical improvement is the possibility of storing live streams in the cloud, with « object storage » system. This means that PeerTube platforms hosted on a server with limited disk storage and bandwidth are no longer limited in their ability to offer live streams.
It is now possible to use two-factor authentication to connect to a PeerTube platform. We use the OTP (One Time Password) method which allows, via an external application, to generate a unique code to validate the connection to its account.
This new version also comes with a lot of bug fixes and improvements. For example, we have added more possibilities to the API, so that PeerTube contributors can develop even more powerful plugins.
Also, the PeerTube interface has received many changes. For example, in the My Videos menu now displays channels, and a mention of the playlist in which a video has been added to.
Finally, we have now a detailed OpenTelemetry documentation (feature released in version 4.2) which brings advanced statistics and observability.
Support, intern, technical challenges and questions on our horizon
Right now, we only have a clear vision for the near future of PeerTube.
In early 2023, we plan to work on a rather technical but very exciting feature, which should reduce the servers’ load and thus to lower the power needed to create a PeerTube platform: we’ll tell you more as soon as we’ve made progress.
Also in 2023, we will welcome a developer intern. We want more and more people to become familiar with PeerTube core code. We want to expermient with temporarily expanding the team working on it.
Finally, the day after this article is published, we will answer all your questions on reddit. Join us on December 14th at 4pm (CEST) on r/opensource for an AMA (Ask Me Anything) about PeerTube and Framasoft!
These few points aside… we have no idea what the PeerTube roadmap will be in 2023. We need you to help us define it!
Please go to Let’s Improve PeerTube and publish your ideas (and vote for the ones you’re excited about). We want to know what the PeerTube community needs and wants, especially the « non-geek » audience who doesn’ t care about words like « server » or « instance » and just want to watch and share videos.
In early 2023, we will go through the most popular suggestions and select those that fit our vision for PeerTube and our development capabilities, in order to build the PeerTube v6 roadmap.
So it’s up to you to tell us what future you want for PeerTube!
An international tool…
This year, we were lucky enough to have two development contracts that helped us to fund some of our work on PeerTube.
The French Ministry of Education funded the Studio (a tool for editing videos) to be implemented on its platform apps.education.fr (a free-libre service platform provided by the Ministry to all teachers and staff).
Howlround, a Boston-based open platform for theatremakers worldwide, funded detailed video and live stats, but also replay feature for permanent lives.
Finally, we received an exceptional grant from the Dutch foundation NLnet to work on PeerTube v5.
…funded by French-speaking donations
Put together, these amounts represent a small half of our annual budget dedicated to PeerTube (which we estimate at 70 000 €). The other part comes from Framasoft’s budget, i.e. from the donations that our non profit receives from its mainly French-speaking community. To us, it seems almost unfair that it is mainly French speakers who finance a tool that has a truly international scope…
But here’s the thing: we’re already not very good at « selling ourselves », promoting our work and getting donations, so if we have to do international marketing, we’re not out of the woods!
We don’t have a marketing department: we only have you.
So we need your help. Spread the word about our donation campaign around you, especially outside the French-speaking world.
Do not hesitate to share the address support.joinpeertube.org around you, on your PeerTube platforms, in your communities that benefit from this alternative.
At the time of publishing, we are still missing 115 000 € to finance our yearly budget and make everything we want to do in 2023 happen.
If you can (especially in these hard times) and if you want to, thanks for supporting our non-profit and our actions.