Régionales 2010 : Les questions claires de Creative Commons France

Giuli-O - CC byLes élections sont un bon moyen de tenter de sensibiliser nos hommes politiques sur des thèmes qui nous sont chers. C’est ainsi que l’April se montre pro-active en faveur du logiciel libre et des libertés numériques avec son initiative Candidats.fr.

Aujourd’hui c’est le chapitre français des Creative Commons qui leur emboîte le pas à l’occasion des prochaines élections régionales (qui auront lieu en mars prochain et dont on a un peu parlé ici en partant à la rencontre du Parti Pirate)[1].

Avant que d’interpeller sur la place publique, ils nous invitent à débattre sur leur liste de discussion (cc-fr@lists.ibiblio.org)[2] autour d’une plate-forme recopiée ci-dessous.

On pourrait d’ailleurs résumer toutes les questions en une seule, moyennant l’introduction d’une variable X : « Êtes-vous, dans le respect du droit moral des auteurs, en faveur de l’accès et la réutilisation libre et gratuite de X dans le cas où X serait produit ou financé par la région ? » (X pouvant prendre les valeurs suivantes : données, contenus, études, travaux de recherche ou d’éducation).

Il ne semble y avoir là que du bon sens. Sauf que, et ce n’est pas le logiciel libre qui me contredira, nous héritons d’un monde où certaines mauvaises habitudes ont été prises et il convient d’être didactique, diplomate et patient.

CC-Régionales 2010

URL d’origine du document

Le mouvement pour l’accès ouvert aux données publiques se développe à travers le monde : l’Australie avec le projet Mash Up, l’Angleterre avec le projet Data.gov.uk. Ces pays ont choisi de permettre la large diffusion et réutilisation de leurs bases de données publiques en les plaçant sous Licence Creative Commons.

Cette dynamique d’élargissement des biens communs permet des économies d’échelle pour les collectivités et les services publics.

Elle contribue au développement du secteur privé qui peut utiliser sans intermédiaire ces données pour développer ses activités.

Elle enrichit la société civile qui peut s’approprier données, études et contenus produits.

Dans cette démarche, le respect du droit d’auteur inaliénable en France est bien sûr conservé. Il se trouve explicité et garanti par des licences de type Creative Commons, GFDL ou « Art libre ».

La France et ses régions ne peuvent rester à l’écart de ce mouvement qui s’amplifie. Aussi à la veille des élections qui vont décider des programmes et des équipes qui vont gouverner les régions, nous souhaitons vous interroger.

Êtes-vous, dans le respect du droit moral des auteurs, en faveur de :

  • l’accès et la réutilisation libre et gratuite des données publiques (géographiques, statistiques, environnementales…) produites ou financées par la région ;
  • l’accès et la réutilisation libre et gratuite des contenus produits ou financés par la région (telles les publications papier ou web) ;
  • l’accès et la réutilisation libre et gratuite des études produites ou financées par la région ;
  • l’accès et la réutilisation libre et gratuite de données des observatoires co-financées par la région ;
  • la publication en open archive des travaux publics de recherche produits ou financés par la région ;
  • l’accès et la réutilisation des contenus de formation produits ou financés par la région (formation professionnelle, manuels scolaires…).

Lectures connexes issues du Framablog

Notes

[1] Crédit photo : Giuli-O (Creative Commons By)

[2] Vous pouvez aussi en débattre directement sur notre forum Framagora.




Sécurité US et non discrimination du Libre ne font pas bon ménage sur SourceForge

Katie Tegtmeyer - CC byLa forge logicielle SourceForge n’est plus à présenter. C’est le plus grand dépôt d’applications libres au monde, qui se comptent en centaine de milliers.

Or petit scandale et réelle polémique, SourceForge vient tout récemment et sans préavis d’en barrer l’entrée aux ressortissants de l’Iran, la Corée du Nord, Cuba, du Soudan et de la Syrie, pour se mettre en conformité avec une loi américaine sur la sécurité nationale[1].

Tant pis pour les développeurs et utilisateurs de ces cinq pays et tant pis aussi pour les principes non discriminants qui régissent le logiciel libre.

Pour évoquer ce problème nous avons choisi de traduire la news du Register, mais nous aurions tout aussi bien pu choisir cet article de ComputerWorld dont la conclusion interpelle : « La seule manière d’empêcher réellement les pays sur liste noire d’avoir accès aux dépôts de logiciels libres hébergés aux USA est d’interdire aux Américains de participer au mouvement open source ! »

SourceForge raye 5 nations de la carte open source

SourceForge bars 5 nations from open source downloads

Dan Goodin – 26 janvier 2010 – The Register
(Traduction Framalang : Olivier)

Certains pays sont plus égaux que d’autres

Le dépôt de logiciels open source, SourceForge.net, bloque désormais automatiquement les adresses Internet des utilisateurs de l’Iran, la Corée du Nord, Cuba, le Soudan et la Syrie au prétexte d’appliquer une loi empêchant les ressortissants de ces pays de télécharger des logiciels libres.

Les réactions des puristes du mouvement des logiciels libres et open source ne se sont pas fait attendre. Ils militent pour que chacun ait accès au code, à la seule condition qu’il respecte les termes de la licence. À l’instar du dépôt open source de Google, les termes d’utilisation de Sourceforge interdisent depuis longtemps à quiconque résidant dans un des pays placés sur la liste de sanction de l’US Office of Foreign Assets Control d’envoyer ou de télécharger du code.

Depuis la semaine dernière, SourceForge a commencé à bannir certaines adresses IP pour faire respecter cette interdiction. Dans un article paru lundi, Sourceforge n’annonce pas la raison de ce changement, mais il affirme néanmoins que cette décision ne cadre pas avec la philosophie de l’entreprise :

« Cependant, notre participation à la communauté open source ne peut pas nous faire oublier que nous vivons dans le monde réel et que nous sommes tenus aux lois qui régissent le pays d’où nous exerçons », peut-on lire dans l’article. « Notre obligation est de suivre ces lois et nos vœux, aussi humanistes soient-ils, ne peuvent pas s’y soustraire. »

Les critiques de cette restriction ne se firent pas attendre. Dans les commentaires, sur le blog de SourceForge, une personne note que cette restriction entre en conflit avec la Section 5 de la définition de l’Open Source qui stipule que les licences ne doivent pas établir une discrimination « entre des personnes ou des groupes de personnes ». Les critiques soutiennent également que ces restrictions ne sont pas compatibles avec le discours que tenait la semaine précédente Hillary Clinton, la Secrétaire d’État américaine, encourageant un Internet libre.

Notes

[1] Crédit photo : Katie Tegtmeyer (Creative Commons By)




Rencontre avec Jean-Christophe Frachet et Valentin Villenave du Parti Pirate

Parti Pirate - Affiche élections régionales 2010Ce blog tente modestement d’en témoigner au quotidien, quelque chose d’important est en train de se jouer actuellement autour d’Internet et des nouvelles technologies.

En caricaturant à l’extrême, on pourrait, c’est maladroit et réducteur mais c’est parlant, poser la question ainsi : souhaitons-nous, pour aujourd’hui et pour demain, vivre dans un monde « inspiré par l’Hadopi » ou dans un monde « inspiré par le logiciel libre » ?

Politiques, industriels, juristes, financiers, publicitaires, grands médias… les tenants d’un « monde Hadopi » sont nombreux et puissants. Structurellement et culturellement issus du millénaire précédent, ils ont toutes les peines du monde à comprendre pourquoi on leur répond partage quand ils nous disent consommation. Ils ont une bonne longueur d’avance parce qu’ils possèdent pouvoir, argent, monopoles, brevets ou propriété intellectuelle, et influencent plus ou moins directement tous les moyens de communication de masse, permettant ainsi trop souvent de modeler ou endormir les esprits (qui ne se réveillent que pour les soldes).

Tous les moyens de communication sauf un. Ils ont mis du temps à comprendre mais ils ont désormais pris la mesure de la menace et ils ne s’en laisseront pas compter.

C’est dans ce contexte qu’une « minorité d’agités avant-gardiste » a décidé d’entrer en résistance pour préserver tous les possibles qu’offre potentiellement Internet (normalement, là, la musique de Star Wars devrait se déclencher).

Les modalités d’actions sont diverses et variées. Cela peut par exemple prendre la forme d’un réseau de sites et de projets collaboratifs qui placeraient subversivement toutes ses ressources sous licence libre. Cela peut également prendre la forme d’un groupe de pression qui, de Paris à Strasbourg en passant par Bruxelles, obligerait les élus du peuple à se rappeler au bon souvenir de leurs responsabilités et obligations citoyennes.

Mais cela peut aussi, et pourquoi pas, prendre carrément la forme d’un parti politique, original et différent, qui viendrait se mêler à la cour des grands pour y apporter sa fraîcheur et sa vision.

Telle est mon introduction toute personnelle du Parti Pirate, qui après une sorte de galop d’essai remarqué lors d’une législative partielle dans les Yvelines, a décidé de déployer ses voiles à l’occasion des prochaines élections régionales, où tout le monde peut encore être candidat à la candidature (on appréciera au passage la déclaration d’intention de Perline, tête de liste à Paris).

Le connaissant finalement assez peu, j’ai décidé d’en savoir plus en interviewant deux de ses membres ci-dessous.

Entretien croisé avec Jean-Christophe Frachet et Valentin Villenave

Bonjour Jean-Christophe, bonjour Valentin, pouvez-vous vous présenter rapidement ?

Jean-Christophe – Je m’appelle Jean-Christophe Frachet, j’ai 44 ans. J’ai récemment démissionné du MRC de Jean-Pierre Chevènement, où j’étais responsable de fédération, et délégué national aux TIC. J’ai, de plus, été élu à Paris dans le 2e arrondissement délégué au TIC et au développement économique de 2001 à 2008. J’ai été PDG d’un groupe de communication pendant 10 ans ; je suis aujourd’hui responsable de la mission TIC à la direction générale d’un département d’Île-de-France. Je suis au Conseil d’administration de la FING et de Silicon Sentier. J’ai une petite fille de 18 mois, et je joue de la guitare basse dans un groupe.

Valentin – Je m’appelle Valentin Villenave, j’ai 25 et je suis musicien. J’ai découvert les licences libres grâce à Framasoft, et je suis très vite devenu activiste du Libre, tant dans le domaine culturel qu’informatique (je suis contributeur du projet GNU LilyPond). J’ai rejoint le Parti Pirate dès son apparition en juin 2006, et au fil du temps, je me suis retrouvé parmi l’équipe dirigeante : je suis aujourd’hui trésorier du parti.

Qu’est-ce que le Parti Pirate ? Quel est son programme, sa motivation ?

Valentin – L’histoire du Parti Pirate commence comme une blague, un soir de réveillon (trop ?) arrosé. Un programmeur suédois qui, sur un coup de tête et pour épater ses amis, ouvre une page web avec simplement « Parti Pirate » en noir sur fond blanc. La blague marche au-delà de toute attente : des dizaines de milliers de citoyens accourent, parce qu’il y a longtemps qu’ils ne se reconnaissent plus dans les partis politiques traditionnels, parce qu’ils n’en peuvent plus d’être traités, à longueur de médias, de « pirates » pour un oui ou pour un non, et parce qu’ils y voient, enfin, l’espoir de se réapproprier une vie politique qui leur est étrangère. Rien qu’en 2006, une vingtaine de Partis Pirates apparaissent, en Europe puis dans le monde (il y en a aujourd’hui deux fois plus). En France, l’indignation suscitée par la loi « DADVSI » est grande, et les débuts du Parti Pirate seront volontiers provocateurs ; il faudra quelques semaines pour que se stabilisent une idée-force simple et évidente : il faut réaffirmer les Droits de l’homme et les valeurs citoyennes dans la société d’aujourd’hui, en tirant pleinement parti des possibilités ouvertes par le progrès technologique.

Cela passe, notamment, par un accès plus transparent, plus immédiat et universel à l’information, à la culture et à la connaissance. Le droit de la « Propriété Intellectuelle », ces deux derniers siècles, s’est transformé en un outil d’asservissement, de maintien de monopoles et de raréfaction artificielle (alors que, nous le savons bien, les richesses immatérielles peuvent aisément être partagées à l’infini). Le droit (originellement) « d’auteur », par exemple, happe les artistes dans un engrenage d’intermédiaires et d’industriels qui, de fait, les dépossède du contrôle de la façon dont est diffusé le fruit de leur travail.

Autre exemple, le système des brevets tourne en circuit fermé (ex: brevets logiciels), s’étend à tout et n’importe quoi (ex: brevets sur le vivant), et ce au détriment des régions déshéritées du monde (ex: les brevets pharmaceutiques qui empêchent l’accès au soin). Enfin, il est urgent de s’interroger sur l’avenir qui se dessine, aussi bien dans « nos » démocraties occidentales que dans le monde entier : les citoyens doivent faire entendre leur voix, partout, pour que la technologie soit un outil d’émancipation et d’enrichissement, et non d’asservissement ou de flicage. Pas besoin d’aller chercher loin pour en trouver des exemples : ici-même, sous nos yeux, la neutralité du réseau, l’accessibilité et la transparence de l’information, les libertés civiques les plus fondamentales (liberté d’expression, droit à la vie privée) sont constamment rognées sous des prétextes de lutte contre le terrorisme, contre la pédophilie,… sans oublier les vilains « pirates » !

Jean-Christophe. – Après trois ans et demi d’existence en France, j’ai proposé au Parti Pirate de se doter d’un premier texte fondateur, que nous avons rédigé ensemble pour récapituler nos positions et nous permettre de nous exprimer dans différents domaines. Nous en avons assez de la politique purement gestionnaire qui navigue à vue. On arrive à des absurdités où l’on se plaint qu’on ne vend pas assez de voitures mais il ne faut pas s’en servir parce que ça pollue ! On appuie sur le frein et l’accélérateur en même temps.

Le Parti Pirate défend les valeurs de Liberté, Egalité et Fraternité, que l’on pourrait appeler le socle Républicain. Il est le seul qui prend aujourd’hui en compte le bouleversement de l’arrivée de l’internet et des nouvelles technologies avec tout ce que cela modifie dans nos sociétés et nos organisations. Le « développement durable » est aussi une dimension très présente, qui complète notre réflexion. C’est sur ces trois piliers que s’articulent nos prises de positions et propositions.

Est-ce à dire que les partis traditionnels déjà en place ne remplissent pas toutes leurs responsabilités ? Se coupent-ils de la jeune génération ?

Jean-Christophe – Je pense que les Partis « traditionnels » ne prennent pas en compte les bouleversements de l’arrivée des TIC. Nous avons des générations d’hommes et de femmes au pouvoir qui sont nés dans l’illusion d’abondance de ressources et d’énergie, mais dans une rareté de l’information. Cependant c’est aujourd’hui le contraire : il y a pénurie de ressources et d’énergie, alors que l’information est accessible au plus grand nombre. Je crois aux fondamentaux Républicains et à ce projet de société. Pour moi, c’est un projet collectif au service des individus. Mais si on prend en compte le passage de l’ère industrielle à la société de l’information, beaucoup de paradigmes sont remis en question (biens dématérialisés, temps, espaces, citoyenneté, sphère privée,…). Il ne faut pas chercher les solutions de demain avec le contexte d’hier. Je pense que la fracture est là.

Valentin – Nous n’avons pas la prétention d’être un parti générationnel ! Il est certain qu’une certaine partie de la population s’est déjà rendu compte des formidables opportunités nouvelles qu’ouvre, par exemple, Internet ; nous ne devons pas nous en réjouir, mais faire en sorte que cette connaissance s’étende le plus vite possible au reste des citoyens ! En ce qui concerne les partis traditionnels, nous avons bon espoir qu’ils comprendront tôt ou tard qu’il n’y a pas de sens à s’accrocher à un édifice républicain « pyramidal ». Cette prise de conscience a déjà commencé, et se traduit par des réactions de peur, ou de convoitise. Nous voulons croire que peu à peu la notion d’intérêt général prédominera. Le but ultime du Parti Pirate… c’est qu’il n’y ait plus besoin de Parti Pirate !

Et êtes-vous réellement si différent d’un parti écologiste par exemple ? Et que feriez-vous si un tel parti, ou un autre, adoptait en bloc votre programme ?

Valentin – Cela a déjà commencé, très tôt. Nous nous en réjouissons, même si nous regrettons souvent que nos propositions les plus marquantes (par exemple, légalisation du P2P) soient reprises sans les questions fondamentales qui vont avec : à aucun prix nous ne voulons devenir un simple distributeur à buzzwords. Nous cherchons à inventer et proposer un modèle de société, pas à fournir des concepts creux pour communicants de tous poils. Tu évoques les mouvements écologistes ; il est vrai qu’on nous en rapproche parfois, et d’ailleurs les députés européens Pirates siègent avec le groupe parlementaire des Verts. Mais nous osons croire que (tout comme nos préoccupations) le souci des générations futures et du Tiers-monde ne sont pas l’apanage d’un parti quel qu’il soit !

Jean-Christophe – Avant tout, nous défendons des idées. Les idées appartiennent à ceux qui les mettent en œuvre en politique. Il me semble néanmoins qu’il est nécessaire d’avoir une vision politique au delà de telle ou telle proposition. Certains points peuvent nous rapprocher effectivement d’un parti écologiste, mais je ne vois pas pourquoi seulement de ce type de parti. Mon modeste parcours en politique m’a appris à me méfier des étiquettes. J’ai tellement rencontré, par exemple, de militants ou d’élus qui se réclamaient de Gauche et qui avaient oublié l’intérêt général et la défense des services publics ! C’est pour ça qu’au delà des Partis, il y a les idées et les actes.

Jean-Christophe, tu te présentes aux prochaines régionales en tête de la liste Île de France du Parti Pirate. Quelles sont les spécificités de cette région par rapport aux thèmes qui vous sont chers ?

Jean-Christophe. – Avec la réforme territoriale, la Région va prendre de plus en plus d’importance. Et l’Île de France, à ce titre, est symbolique de par son rayonnement national et international. Les problématiques de transport, de logement ou d’éducation y prennent des proportions considérables. Je ne pense pas qu’il y ait un seul domaine qui ne puisse pas être regardé sans tenir compte de l’arrivée des nouvelles technologies et du développement durable. C’est transversal, général et inéluctable.

Par exemple, passer du transport à la mobilité. Comment rendre utile le temps de transport et favoriser le télétravail plutôt que multiplier le nombre de routes ou bien la taille des trains. Cela ne suffira jamais avec l’évolution de la démographie. La spécificité de l’ïle de France, c’est 20% de la population Française, un territoire parmi les plus visités au monde et un rayonnement international.

Valentin – D’une façon générale, les régions sont un espace de choix pour implémenter une politique publique d’accès aux infrastructures, au savoir (lycées, portails Internet, information du grand public,…) et à la culture. Et elles ont également un rôle primordial à jouer dans la défense des libertés civiques : ainsi, la région Île-de-France est particulièrement mise à contribution de la politique sécuritaire que prévoit le projet de loi « Loppsi », que nous avons lu très attentivement et dont nous serons amenés à beaucoup reparler dans les semaines à venir…

Ce n’est pas la première expérience électorale nationale du Parti Pirate puisqu’il y a eu la législative partielle de la 10ème circonscription des Yvelines en septembre dernier. Quels enseignements en avez-vous tiré ? La petit polémique qui a suivi était-elle infondée ?

Jean-Christophe – Même si je suivais déjà tout ça avec attention, je n’étais pas encore au Parti Pirate à cette époque. Valentin ?

Valentin – Ah, les Yvelines… Une bonne surprise au premier tour (où nous avons fait plus de 2%), une mauvaise surprise au second tour (où l’UMP s’est maintenue, à 5 voix près !). Notre candidat Maxime Rouquet n’avait pas voulu donner de consigne explicite, mais avait signalé que le choix de nos électeurs serait « décisif, et pourrait faire basculer cette circonscription » en faveur de la candidate écologiste. D’aucuns ont accusé le Parti Pirate d’avoir fait le jeu de la droite, d’où cette « tempête dans un Vert d’eau » à laquelle tu fais allusion.

Mon principal regret est que cette campagne tout entière ait été submergée par la loi «Hadopi», ce qui a notamment permis au député UMP sortant de brouiller les pistes en s’achetant une vocation de anti-hadopiste de la onzième heure. Il n’en demeure pas moins que le (relatif) enthousiasme provoqué au premier tour par la présence du Parti Pirate ne pouvait que s’estomper lors d’un second tour entre deux partis plus traditionnels.

Nous avons d’ailleurs tenu à rencontrer les Verts par la suite, pour réaffirmer clairement que notre propos n’est pas de faire obstacle à un parti en particulier, et certainement pas au leur. Bien au contraire, comme je le disais plus haut, nous ne pouvons qu’appeler de nos vœux une remise en question profonde des partis traditionnels, que nous souhaiterions plus proches des citoyens, plus ouverts à la société et au monde d’aujourd’hui. Et il sera à ce titre particulièrement intéressant de voir dans quel sens les Verts ont la volonté (et la capacité) d’évoluer.

Comment s’inscrit le Parti Pirate au sein des autres partis pirates nationaux ? Je pense notamment au suédois qui a fait grand bruit aux dernières élections européennes. Et d’ailleurs que fait-il ce Piratpartiet suédois depuis qu’il siège au parlement ?

Valentin – Le mouvement Pirate a ceci d’intéressant (et d’inédit) qu’il a commencé à exister au niveau international avant même le niveau national. Le Parti Pirate International, comme il convient aujourd’hui de l’appeler, est un agrégat à la fois disparate et surprenamment uni ; non en ce qu’il n’y a pas de débats animés, mais qu’on trouvera souvent plus de dissensions entre deux pirates d’un même pays qu’entre des pirates des quatre coins du monde ! Premier parti pirate historiquement, le Piratpartiet est aujourd’hui l’un des partis les plus importants de Suède. Outre son efficacité et le talent de ses membres, il a bénéficié (comme nous-même avec Hadopi) de la politique inique et choquante du gouvernement : la mascarade de procès The Pirate Bay, etc.

Vous apportez un regard nouveau à notre fameuse devise républicaine sur votre site. Or Richard Stallman commence toujours ses conférences en français par : « Je puis définir le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité… ». Dans la mesure où Framasoft sort en ce moment un livre qui lui est consacré, que vous inspirent cette personnalité et sa croisade pour le logiciel libre ?

Jean-Christophe – Je trouve l’analogie avec les fondamentaux républicains très intéressante. En effet, le logiciel libre regroupe ces concepts. Richard Stallman est « un grand bonhomme », qui a fait beaucoup pour apporter une vision politique, même si cela n’est pas vu comme tel pour une « population » qui, même si elle est militante, se défend d’être politisée. Je pense que c’est dans quelques années que le grand public se rendra compte de l’apport théorique qu’il a apporté à cette société de l’information qui se met en place. Va-t-on revenir aux deux blocs de la guerre froide, du moins sur le plan idéologique ?

Valentin – RMS est sans aucun doute le participant le plus éminent des discussions du Parti Pirate International, dont il ne loupe pas une miette, toujours avec la patience et la minutie qui le caractérisent. J’ai deux grandes fiertés : la première est de pouvoir entretenir, grâce à notre Parti Pirate frenchy, une relation privilégiée avec lui ; nous avons d’ailleurs été les premiers à prendre en compte ses remarques sur la réforme du copyright. La seconde, bien moins anecdotique, est qu’il est également indéniable que l’apparition du Parti Pirate a visiblement nourri la pensée de rms lui-même, et contribue à donner corps à ce qu’il avait pressenti dès le début : « le logiciel Libre est un mouvement social ».

Lorsqu’il nous a rejoints cet automne, Jean-Christophe a été (agréablement, je crois) surpris de constater combien nous étions attachés aux valeurs citoyennes de Liberté, Égalité, Fraternité. De fait, c’est peut-être là l’extraordinaire convergence que permet de réaliser le Parti Pirate : offrir aux communautés du Libre, du P2P, aux artistes, aux citoyens de tous horizons une base commune de dialogue, de réflexion et d’action. Mes collègues du PP vont probablement me dire que ce sont de bien grands mots, mais c’est exactement cette convergence qui m’a amené à tenir bon, contre vents et marées, depuis près de quatre ans, en tant que contributeur Libriste, enseignant, auteur, et citoyen avant tout, le Parti Pirate est presque un résumé de ma vie 🙂

Et d’ailleurs que vous inspire la citation qui orne le Framablog : « …mais ce serait peut-être l’une des plus grandes opportunités manquées de notre époque si le logiciel libre ne libérait rien d’autre que du code » ?

Valentin – … Que cette phrase a une mauvaise influence sur les âmes trop sensibles, puisqu’elle m’a moi-même conduit à gaspiller bêtement quatre ans de ma vie au lieu de m’inscrire à la SACEM « comme tout le monde »… Au-delà de l’anecdote, nous espérons que le Parti Pirate pourra « hacker » la vie politique de la même façon que RMS a « hacké » le copyright lorsqu’il a rédigé la toute première licence libre. L’internet a potentiellement aboli la distance entre émetteur et récepteur, et ouvre la voie à de nouveaux modèles sociaux : contributifs, plus horizontaux et moins pyramidaux. Du reste, les mordu(e)s du Libre ne s’y trompent pas puisque Perline, grande SPIPienne devant l’Éternel, nous a également rejoints il y a peu !

Jean-Christophe – Je pense qu’en effet, il y a des modèles dans le libre qui peuvent être déclinés dans la vie matérielle. Nous avons besoin de revisiter certains fondamentaux de notre société et la société de l’information va très vite, on pourrait dire des années de chien (1 an = 7 ans) ! Il y a des modèles qui se mettent en place, évoluent, mutent et se perfectionnent ou meurs rapidement. C’est presque un laboratoire en accéléré de différents modes de société. Il me semble que l’on pourrait s’en inspirer parfois en politique.

Et pour parfaire le tableau, notre slogan : « La route est longue mais la voie est libre… »

Valentin – Je relis cette phrase avec un peu de nostalgie car elle me renvoie à une époque lointaine où l’on pouvait se dire que la vie politique française avait touché le fond… Nous étions loin du compte.

Jean-Christophe – En effet, nous n’en sommes qu’au début.

Quant à Lenine, il disait : « le communisme, c’est les soviet plus l’électricité ». Et Internet, c’est les réseaux sociaux plus l’électricité ?

Jean-Christophe – Je pense que le réseau c’est le cartographie d’un nouveau monde avec de nouvelles frontières, de nouvelles règles et de nouveaux acteurs. Il y a 15 ans, on ne se serait pas douté de ce qui advient aujourd’hui, alors dans 15 ans… Tout est possible, le meilleur comme le pire, mais à une échelle de temps très réduite.

Valentin – À titre personnel, l’expression même de « réseau social » me hérisse. Nous sommes heureusement nombreux à faire tout notre possible pour qu’Internet ait davantage à apporter aux populations du monde que des gadgets branchouilles et propriétaires.

Vous souhaitez en profiter pour lancer un appel important je crois…

Jean-Christophe – En effet, nous proposons à tout citoyen qui partage nos idées de partager les listes avec nous, sans nécessairement adhérer au Parti Pirate : nous défendons des idées, pas des étiquettes.

Nous avons fait un dossier à télécharger où tout est expliqué. Il ne faut pas trainer, les listes sont à déposer début février ! Vous pouvez en savoir plus sur : http://2010.parti-pirate-elections.fr/Etre-candidat-a-la-candidature

En tout cas, bravo pour le travail que vous faites à Framasoft, c’est utile pour aujourd’hui et pour demain. Et en plus, c’est sympa, ce qui ne gâche rien !

Valentin – Merci à toi aKa pour ton curiosité, ton dévouement et tes questions toujours pertinentes et approfondies. À très bientôt !




Sortie de la biographie autorisée « Richard Stallman et la révolution du logiciel libre »

Stallman by NadègeEt voilà. Le framabook Richard Stallman et la révolution du logiciel libre – Une biographie autorisée, publié par les édititions Eyrolles, est désormais officiellement disponible sur la place publique !

Il devrait donc apparaître dès aujourd’hui dans les « meilleures » librairies (elle sont meilleures parce qu’elles proposent le livre of course).

Sur Internet, le livre est à commander chez Eyrolles, Amazon et autres Fnac. Mais sachez qu’on peut d’ores et déjà le trouver sur notre boutique EnVenteLibre où nous en avons stocké une centaine d’exemplaires, avec l’avantage que nous distribuons dans toute la francophonie (le monde entier en fait).

Et les sources, me direz-vous avec perspicacité puisque la licence est libre (en l’occurrence la GNU Free Documentation License) ?

C’est là que, autre grande nouveauté, La Poule ou l’Œuf entre en jeu.

Non seulement La Poule est capable d’un simple clic de nous pondre de très jolis œufs, à savoir les version numériques intégrales du livre aux formats PDF, ePub, HTML (zip) sans oublier évidemment les sources en LaTeX (zip), mais vous avez également la possibilité de lire en ligne le livre dans son intégralité !

Vous trouverez tout cela sur la page dédiée du site Framabook.

C’est pour nous la conclusion d’une sacrée aventure (ouf !).

Nous remercions une nouvelle fois tous ceux qui ont participé avec nous à ce projet. Et nous comptons sur vous pour diffuser l’information et faire gonfler les ventes, histoire de montrer au monde de l’édition que la licence libre et le succès commercial, c’est possible 😉




L’école Châteaudun d’Amiens ou le pion français de la stratégie planétaire Microsoft

Lee Carson - CC by-saLe saviez-vous ? Grâce à la caution de partenaires associatifs et institutionnels a priori au dessus de tout soupçon, Microsoft entre comme dans du beurre (ou presque) à l’Éducation nationale, en déployant tranquillement son vaste et ambitieux programme globalisé « Innovative Schools ».

Si il ne s’agissait que de se substituer financièrement à un État de plus en plus désargenté, ce serait déjà grave, mais on en profite également pour marquer voire manipuler les esprits, sous le vernis d’un discours pédagogique soit disant progressiste et « innovant » (adjectif préféré du département marketing de la société).

Principales victimes collatérales : non seulement le logiciel libre et sa culture mais aussi et surtout les enseignants et donc les élèves[1], à qui on ne donne pas accès à cette culture.

Attention, cette histoire est un peu longue et un peu triste. Mais elle se termine bien à la fin !

Mondialisation mon amour

Qu’est-ce que le programme « Innovative Schools » ? C’est un peu le jeu des poupées russes, car il s’insère dans le programme « Partners in Learning », lui-même intégré au programme « Unlimited Potential ».

Commençons par la plus grande poupée, telle que décrite sur le site de Microsoft :

Microsoft Unlimited Potential vise à aider les personnes et les communautés du monde entier à réaliser leurs objectifs et leurs rêves par l’intermédiaire de la mise à disposition de technologies adaptées, accessibles et abordables. Nous nous sommes fixé pour mission d’ouvrir de nouvelles voies de développement social et économique, en particulier pour les cinq milliards de personnes qui, selon les estimations, ne bénéficient pas encore des avantages des nouvelles technologies. Avec nos partenaires publics comme privés, nous axons notre action sur la transformation de l’éducation, la stimulation de l’innovation locale et le soutien à la création d’emplois et de débouchés afin de créer un cercle vertueux de croissance économique et sociale durable pour tous.

Poursuivons en donnant quelques chiffres significatifs avec cette présentation maison du programme « Partners in Learning » :

Microsoft Partners in Learning est une initiative internationale conçue pour rendre la technologie plus accessible aux écoles, à stimuler des conceptions innovatrices de l’éducation et à fournir aux éducateurs les outils pour gérer et mettre en oeuvre des changements. Depuis sa création en 2003, le programme Partenaires en apprentissage a bénéficié à plus de 123 millions de professeurs et d’étudiants dans 103 pays. Microsoft apporte un soutien financier continu à cette initiative depuis déjà cinq ans, et l’investissement d’une durée de dix ans atteint presque 500 millions USD, ce qui témoigne de l’engagement de la société à rendre la technologie plus adaptée et plus accessible à chacun grâce à des programmes, des formations et des partenariats de licence abordables.

Un demi-milliard de dollars… Ne cherchez pas plus loin la réponse à la question de la légitimité d’une entreprise américaine de logiciels que rien ne prédisposait au départ à vouloir ainsi participer à « transformer l’éducation » à l’échelle mondiale. Ce n’est pas avec le vinaigre des beaux discours philanthropiques (cf ci-dessus) que l’on attrape les mouches, mais bien avec cet argument massue d’un compte en banque qui donne le vertige.

Toujours est-il que c’est dans le cadre du programme « Microsoft Partners in Learning », que l’on trouve le réseau des « Microsoft Innovative Teachers », enseignants cooptés en charge notamment de mettre chaque année en place dans leur propre pays des « Microsoft Innovative Teachers Forums », dont le point d’orgue est le « Microsoft Innovative Education Forum » où sont invités tous les lauréats des forums nationaux (en 2009 c’était au Brésil).

C’est également dans ce cadre que s’inscrivent les « Microsoft Innovative Schools ». Il s’agit d’investir un établissement scolaire et d’en faire une école pilote de l’innovation à la sauce Microsoft, en mettant là encore le paquet sur les moyens.

Une nouvelle fois, tout réside dans l’art de présenter la chose :

Le programme « Écoles Innovantes » fait partie de l’initiative internationale « Partners in Learning » au travers de laquelle Microsoft engage d’importants investissements matériels et financiers pour développer la formation dans le domaine des TICE , la personnalisation de l’enseignement, le support technique et, plus généralement, l’accès aux technologies informatiques de pointe dans l’éducation. Dans ce cadre, le projet « Écoles innovantes» fondé sur l’innovation pédagogique et l’utilisation des technologies de l’information, a été lancé au niveau mondial. La première « Ecole innovante» a ouvert ses portes au début de l’année 2006 à Philadelphie. Douze autres établissements à travers le monde font aujourd’hui partie de ce projet. L’objectif de ce projet est d’accompagner les établissements et plus largement l’institution dans son évolution vers l’école du XXIème siècle.

Du discours et de la méthode

Les citations ci-dessus donnent déjà une bonne idée de l’enrobage, pour ne pas dire de l’enfumage, d’un discours faussement lisse, neutre et consensuel dont l’objectif est de rencontrer l’adhésion des enseignants.

La société a évolué et l’école se doit de se mettre au diapason, mais cet inéluctable modernisme, où la technique semble omniprésente, ne doit en rien être anxiogène, c’est au contraire une formidable opportunité d’innovation. Ne vous inquiétez pas, Microsoft est là pour vous faciliter la tâche, accompagner votre créativité et vous aider à vous concentrer sur votre seule préoccupation : la pédagogie et la réussite de vos élèves.

Le mantra est le suivant : l’important ce n’est pas la technique, c’est l’usage que l’on en fait, si possible « innovant ».

L’informatique en tant que telle est volontairement occultée. Parce que si elle se fait oublier alors son choix n’a plus aucune importance. Et dans ces cas-là autant prendre « naturellement » les produits et les logiciels du généreux mécène (qui n’a absolument pas besoin de les mettre en avant, et il s’en garde bien, ça se fait tout seul !).

Concentrons-nous donc sur les pratiques. Rassurons les enseignants et montrons-leur ce que l’on peut faire aujourd’hui de « formidable » avec les nouvelles technologies (ils se trouvent que les démonstrations se font avec des logiciels Microsoft mais c’est à peine si on a besoin de l’évoquer, c’est juste que c’est plus pratique et qu’on les avait sous la main). Mieux encore, construisons ensemble des « écoles 2.0 », mettons les enseignants en relation et organisons de grandes manifestations où les plus dynamiques d’entre eux auront l’occasion de se rencontrer pour échanger, et éventuellement recevoir la « Microsoft Innovative Médaille du Mérite ».

Deux conséquences (fâcheuses)

Puisque l’informatique est un sujet plus que secondaire qui se doit de s’effacer pour être pleinement au service de la pédagogie, il n’y a pas lieu d’en parler, et moins encore d’en débattre. Il n’y a pas de choix à faire et le logiciel libre n’est ni cité, critiqué ou comparé, il est tout simplement nié. Jamais, ô grand jamais, vous n’y verrez la moindre référence sur les sites officiels des programmes « Microsoft Innovative MachinChose ».

Soit, le logiciel libre n’existe pas. Ce n’est pas si grave après tout si on a l’assurance que nos élèves sont entre les bonnes mains des professeurs innovants. Sauf que malheureusement ça ne peut pas être véritablement le cas, parce que ces professeurs sont sans le savoir handicapés car manipulés.

En effet, le logiciel libre à l’école va bien au delà du souhait d’installer et d’utiliser telle application plutôt que telle autre dans son ordinateur. Pris au sens large, c’est d’une véritable culture dont il s’agit, englobant les formats ouverts, les ressources en partage, les pratiques collaboratives spécifiques, la vigilance sur la propriété intellectuelle et la neutralité du réseau, etc.

Il me revient en mémoire cette citation extraite d’un billet sur la politique pro-active du Canton de Genève :

Dans sa volonté de rendre accessibles à tous les outils et les contenus, le « libre » poursuit un objectif de démocratisation du savoir et des compétences, de partage des connaissances et de coopération dans leur mise en œuvre, d’autonomie et de responsabilité face aux technologies, du développement du sens critique et de l’indépendance envers les pouvoirs de l’information et de la communication.

Pensez-vous que ces objectifs soient important et qu’ils aient toute leur place dans une « école du XXIème siècle » ? Si oui, alors ne comptez ni sur Microsoft ni sur ses enseignants sous influence pour sensibiliser réellement nos élèves sur ces questions pourtant devenues majeures aujourd’hui.

Autonomie et responsabilité face aux technologies, mais surtout sens critique et indépendance envers les pouvoirs, sont autant de thèmes qui ne font pas partie de la stratégie éducative de Microsoft. Et pour cause, ils risqueraient de dévoiler quelque chose que l’on cherche pernicieusement à cacher aux enseignants et à leurs élèves : le fait qu’une autre informatique soit possible, impliquant par là-même une autre pédagogie. Et, ne vous en déplaise, cette prise de conscience est déjà « innovante » en soi.

De la déclinaison française du programme

Et en France me direz-vous ?

Je ne connais pas l’étendue du programme « Microsoft Partners in Learning » de notre beau pays. Mais pour avoir ici-même participé à lever certains lièvres par le passé, je puis toutefois émettre quelques solides hypothèses.

Les « Microsoft Innovative Teachers » c’est avant tout l’équipe du Café pédagogique. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais le site officiel répertoriant pays par pays les membres de ce réseau d’enseignants. Lorsque vous cliquez sur « France », vous êtes automatiquement renvoyé sur la page d’accueil du Café.

Le Café est accompagné par l’association d’enseignants Projetice (lire à ce sujet Projetice ou le cas exemplaire d’un partenariat très privilégié entre Microsoft et une association d’enseignants), dont la création a, semble-t-il, été directement souhaité et suggéré par Microsoft.

En toute logique, c’est à eux qu’il incombe de monter les « Microsoft Innovative Teachers Forums » dont la création a, c’est certain, été directement souhaité et suggéré par Microsoft. Nous avons ainsi eu Rennes en 2008 et Roubaix en 2009 (lire à ce sujet Du premier Forum des Enseignants Innovants et du rôle exact de son discret partenaire Microsoft et surtout le fort instructif Forum des Enseignants Innovants suite et fin).

Quant à la grande messe qui réunit les lauréats des forums du monde entier, vous pouvez compter sur le Café pour nous en faire de magnifiques et élogieux reportages, comme le dernier en date à Salvador de Bahia (lire à ce sujet En réponse au Café Pédagogique).

Pour le supérieur, il pourrait également y avoir les chercheurs du Groupe Compas (cf la présentation Microsoft) dont la création, elle aussi, aurait été fortement souhaité et suggéré par Microsoft, mais là je manque clairement d’informations.

Toujours est-il qu’on retrouve bien tout ce petit monde dans les encadrés de la brochure commerciale Microsoft 2010 en direction des établissements scolaires.

Un petit monde que l’on peut mobiliser à tout moment, comme par exemple lorsqu’il s’agit de relayer une campagne médiatique autour d’un nouveau produit de la société (lire à ce sujet L’influence de Microsoft à l’école n’est-elle pas disproportionnée ?, campagne qui valu à Microsoft de recevoir le Grand Prix « Acquisition et Fidélisation Clients »).

L’école Châteaudun ou la « Microsoft Innovative School » de chez nous

Pour compléter cet impressionnant dispositif Microsoft, il ne manquait plus que « l’École Innovante ». Et c’est à l’école publique Châteaudun d’Amiens qu’est revenu cet insigne honneur, et ce depuis deux ans déjà.

Le Café pédagogique en a parlé ici, , et tout récemment . Rien d’anormal à cela puisque le Café étant la tête de pont des « Microsoft Innovative Teachers » français, c’est bien le moins que de relayer les annonces de cette grande famille. C’est du reste cette dernière annonce, vendredi 15 janvier, qui a motivé la rédaction de cet article (d’autant plus que chez eux, il est impossible de commenter). Et plus particulièrement cette histoire de « fées autour du berceau ».

À l’origine de ce projet, la rencontre entre le directeur de l’école primaire qui voulait améliorer l’expression écrite et orale de ses élèves, son maire, ministre de l’éducation à ce moment, et le groupe Microsoft qui soutient plusieurs écoles innovantes dans le monde avec le projet d’observer et retenir les innovations. Voilà beaucoup de fées autour du berceau et cela a joué sur le projet car l’équipe éducative a été très sollicitée par les accompagnateurs du projet.

Abondance de fées pourrait-elle nuire ? En tout cas, il y a une fée singulièrement différente des autres, et l’on pourra toujours évoquer une « rencontre » entre les différents acteurs, c’est bien plus sûrement la fée Microsoft, en pleine « Innovative Prospection », qui a su murmurer de manière convaincante à l’oreille du ministre (en l’occurrence, à l’époque, c’était Gilles de Robien).

On remarquera donc d’emblée que les fées du projet et l’équipe éducative sont deux entités bien distinctes. Des fées qui savent manifestement manier leur baguette avec, quand il le faut, l’autorité nécessaire, puisque la décision est venue d’elles, c’est-à-dire d’en haut, et non du terrain, c’est-à-dire des professeurs qui auraient eu vent des « Microsoft Innovative Schools » et qui auraient choisi d’inscrire collectivement et spontanément leur école.

Pour plus de détails sur le projet, il y a, avec toutes les précautions d’usage quant à leur objectivité, cette présentation sur le site de Microsoft (voir aussi ce reportage vidéo interne, au format propriétaire wmv) et cette visite du Café pédagogique.

On pourra également se rendre sur le blog et le site de l’école, créés à l’occasion, dont je vous laisse juge de la qualité et du dynamisme (reposant tous deux sur des solutions libres soit dit en passant).

Quant à la communication, il faut croire qu’avoir aussi bien le ministre que Microsoft penchés au dessus du berceau, aident à la mise en lumière médiatique du projet, avec titres et contenus qui ont dû faire plaisir aux fées : La première école innovante de France (Le Point – février 2008) et Amiens invente l’école numérique de demain (Le Figaro – mai 2008). Ajoutez juste un mot de plus au titre du Point et vous obtenez quelque chose qui oriente sensiblement différemment la lecture : « La première école innovante Microsoft de France ».

Mais plus intéressant et a priori plus rigoureux, on a surtout ce rapport tout chaud réalisé par l’INRP, c’est-à-dire rien moins que l’Institut National de Recherche Pédagogique. Aujourd’hui c’est donc l’heure d’un premier bilan et c’était bien là le motif principal de l’annonce du Café.

Première phrase du rapport : « Cette étude a bénéficié du soutien de Microsoft Éducation ». Et un peu après :

Sollicité par Microsoft Éducation France pour être évaluateur du projet Innovative Schools, d’une durée de deux ans (de septembre 2007 à décembre 2009), au niveau national et international, l’INRP a signé une convention de recherche-évaluation pour (…) faire un suivi du projet et du process des 6i

On retrouve notre constante : c’est toujours Microsoft qui sollicite et non l’inverse. Quant au « process des 6i », c’est absolument fascinant car il s’agit d’un véritable choc culturel.

Nous connaissons un peu les américains. Ils raffolent de ces méthodes en plusieurs points censés améliorer notre vie professionnelle, personnelle ou spirituelle (un exemple parmi d’autres, les douze étapes des Alcooliques Anonymes). On ne le leur reprochera pas, c’est dans leur ADN et certaines méthodes sont au demeurant tout à fait efficaces.

Et c’est ainsi que Microsoft, dans sa volonté universalisante (et uniformisante) de « transformer l’éducation » de ce nouveau millénaire, nous a pondu ce processus à 6 niveaux, ainsi résumé sur cette page :

Cette méthode, les 6i, se déroule en 6 étapes réparties sur 2 années scolaires. Le processus des 6i (Introspection, Investigation, Inclusion, Innovation, Implémentation, Insight) de Microsoft, est un plan de route sur l’élaboration, la mise en œuvre et la gestion des changements basés sur les TIC. Il constitue un guide à l’intention des leaders scolaires pour mettre en place des changements éducatifs sur la base d’approches éprouvées.

Pour ceux que cela intéresse, Microsoft donne plus de détails sur son site anglophone (mais, là encore, méfiance, l’enfer est pavé de bonnes intentions pédagogiquement innovantes).

Le problème (enfin, ça dépend pour qui) c’est qu’à l’école française on n’est pas forcément familier avec cette manière d’appréhender les choses. Je vous laisse imaginer la tête du professeur des écoles, qui pour rappel a subi et non voulu le projet, lorsqu’on lui met une telle méthode entre les mains ! Euh… ça veut dire quoi « Insight » déjà ?

Toujours est-il que malgré le fait que ce « process des 6i » figurait donc noir sur blanc sur la feuille de route de l’étude commandé, le rapport n’en parle presque pas. Il se contente de le décrire à un moment donné (p. 18 à 21) mais sans que cela ait visiblement donné lieu à la moindre tentative d’application avec l’équipe pédagogique puisqu’on n’y revient plus par la suite. Pour tout vous dire, on sent l’INRP comme un peu gêné aux entournures ici (comme ailleurs du reste).

Résistance passive

Les rapports au sein de l’Éducation nationale, c’est tout un poème. Il faut parfois avoir le décodeur, en particulier lorsque l’on évoque les TICE où très souvent, politique moderne oblige, aussi bien l’auteur que le lecteur ont intérêt à ce que l’on décrive, quoiqu’il arrive, une situation positive et un projet réussi. Le projet fonctionne ? On dira qu’il fonctionne très bien. Il ne fonctionne pas ? Et l’on dira alors qu’il est un peu tôt pour en faire un bilan, ou que les conditions d’observation n’étaient pas optimales, etc., mais que malgré quelques « résistances », on note d’ores et déjà de significatives avancées, etc.

Et d’ailleurs, petite parenthèse, lorsqu’il s’agit d’un projet d’envergure dont le rapport remonte en passant par les indispensables étapes de la hiérarchie, on peut se retrouver au final avec un beau décalage entre ce qui se trouve sur le bureau du Ministre et la réalité du terrain (le B2i fournissant à cet égard un excellent exemple, on tient certainement là une cause principale de son étonnante longévité).

Bref ici, je vous invite à lire la conclusion du rapport (muni du fameux décodeur). Entre les lignes, on ne décrypte pas un échec patent mais on ne peut pas dire non plus, et loin de là, que ce soit l’enthousiasme qui prédomine.

Cette conclusion comporte deux parties (c’est déjà mauvais signe) : « Quelques failles constitutives sont repérables pour diverses facettes de l’opération » (on craint le pire), mais heureusement il y a aussi « Les avancées d’une école innovante ».

Morceaux choisis :

Les circonstances de la mise en œuvre de l’innovation dans l’école observée n’ont pas été idéales de ces points de vue et sont, sans l’ombre d’un doute, à l’origine des difficultés éprouvées à la fois par les acteurs locaux et par tous ceux qui ont été chargés de les suivre. L’empilement de dispositifs, de choix, de procédures, jamais clairement négociés avec les enseignants, a pu dérouter. Pour autant, les bénéfices de la démarche d’innovation sont visibles à l’échelle de l’école et encouragent à poursuivre.

On retrouve le plan d’un rapport-type tel que décrit théoriquement ci-dessus.

L’initiative est venue du ministre de l’Éducation nationale lui-même, maire de la ville. Le faible nombre d’enseignants réellement engagés dans l’opération traduit des réticences face à une opération (…)

La forme recherche-évaluation choisie par le Stanford Research Institute (SRI) comme cadre général du pilotage de l’innovation est très éloignée des principes courants d’observation et de suivi habituellement mis en œuvre en France.

C’est peu de le dire. Mais quand on s’embarque ainsi avec des américains, il faut en être bien conscient au départ. Là c’est un peu tard et il convient donc d’assumer.


La charge de travail imposée aux acteurs de l’école, dépassant de très loin la mise en place de l’innovation elle-même, a d’autant plus vite atteint un niveau insupportable qu’elle était inattendue et incompréhensible faute d’avoir été expliquée à l’avance.

L’extrême médiatisation de l’opération (à l’échelle locale puis nationale), avec ses inexactitudes, ses excès, ses effets pervers a achevé d’exacerber une situation dont la dimension politique était relancée par le changement de majorité municipale aux élections du printemps 2008.

Rien d’étonnant à ce que ces dispositions aient accentué la circonspection des enseignants et aient pu conduire au refus de toute observation de situations de classe à partir du mois d’avril 2008. Pour autant de nombreux aspects authentiquement innovants sont apparus dans le déroulement du projet d’école.

Ce dernier paragraphe est symptomatique. Des enseignants ont carrément refusé de jouer le jeu. C’est une lourde et concrète information impossible à censurer. Mais elle est tout de suite suivie et contre-balancée par un argument positif vague et flou, que vient corroborer l’ultime phrase du rapport :

L’innovation est ainsi reconnue et même souhaitée. Ce n’est pas l’innovation en tant que telle qui est recherchée, mais c’est, bien davantage, l’amélioration des résultats de tous les élèves, y compris les moins performants, qui est attendue. Cette exigence s’inscrit dans la droite ligne de l’histoire de notre école républicaine.

Certes, certes. Mais pourquoi notre école républicaine à la si riche histoire aurait-elle besoin de s’appuyer ici sur la « méthode des 6i » tout droit sortie de la cuisse de la multinationale Microsoft ?

Et le Café pédagogique, de s’adonner lui aussi à la conclusion positive aux forceps :

S’il est trop tôt selon l’étude pour constater des changements chez les élèves, elle confirme l’impact sur l’équipe pédagogique. Le projet a bien développé sa capacité d’adaptation aux changements – une faculté tant individuelle que collective qu’exige une société en constante évolution. Ça donne déjà une longueur d’avance à cette école.

En gros, on est venu perturber des professeurs qui n’avaient au départ rien demandé. Et comme il a bien fallu qu’ils s’adaptent, on les félicite d’avoir fait face aux changements. Que l’adaptation ait été vécue positivement ou négativement ne compte pas, c’est une qualité en soi. Voilà une bien maigre « longueur d’avance ».

Et pour en avoir le cœur net, l’idéal serait de recevoir dans les commentaires de ce billet, quelques témoignages de professeurs de cette école.

Parce que, autant appeler un chat un chat , malgré la débauche d’énergies et de moyens matériels et humains mis à disposition, l’expérience Innovative School Châteaudun d’Amiens n’a semble-t-il pas forcément donné tous les résultats escomptés. Microsoft pourra toujours cocher la case « école française » sur sa jolie mappemonde, on ne m’ôtera pas de l’idée que nous sommes face à une belle déception qui ne veut dire son nom.

Résistance active

Mais il y a des résistances bien moins passives et donc bien plus intéressantes que celles de l’école Châteaudun d’Amiens.

Infiltrer une école primaire ne suffisait semble-t-il pas aux responsables de Microsoft France Éducation. Il leur fallait également un établissement du secondaire pour parfaire le tableau.

Ils avaient ainsi repéré un lycée de l’Académie de Créteil. Et là encore il s’agissait de faire passer le projet par le haut, sans en référer au préalable à l’équipe pédagogique de l’établissement.

Mais il y eut un magnifique grain de sable, quelque chose d’imprévisible et inattendu s’est alors produit. Deux enseignantes ont pris leur plume pour courageusement protester publiquement sur le site d’informations rue89. Ce qui a donc donné l’article Pour ses « innovations », l’Éducation nationale s’en remet à Microsoft, qui figure en bonne place dans ma rétrospective personnelle de l’année 2009.

Je vous invite à le lire dans son intégralité (on notera que le logiciel libre y est évoqué et même souhaité), mais je n’ai pu résister à en reproduire ici la percutante introduction :

Nous sommes professeurs de lettres et de philosophie dans un établissement public de France et nous voulons dire notre tristesse. Notre colère. Nous avons appris, il y a peu, que notre établissement déposait un projet d’« école innovante » auprès du rectorat, mené en partenariat avec Microsoft !

Les établissements publics français ont une mission publique d’éducation. Ils doivent, cela va sans dire, évoluer avec leur société : si l’on tient absolument au novlangue actuellement en vigueur à l’Éducation nationale, disons qu’ils doivent « innover » ; mais quel besoin de le faire sous le coaching de Microsoft ?

Que vient donc faire une multinationale dans nos innovations pédagogiques ? Et comment comprendre que ce soit le responsable des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) au rectorat, autrement dit l’Éducation nationale elle-même, qui encadre ce « partenariat » ?

Nous, enseignantes du service public français, sommes choquées d’avoir à innover par la « méthode des 6i » (« introspection, investigation, inclusion, innovation, implémentation, insight ») mise au point – et brevetée ! – par le groupe Microsoft pour pouvoir formater de façon homogène l’innovation pédagogique de pays différents, et faire émerger l’école du XXI siècle, comme on peut le lire sur le site de Microsoft.

Quelle éloquence, mais surtout quelle évidence !

On remarquera que l’INRP s’est quant à elle tout à fait accommodée de la « méthode des 6i » à Châteaudun. Les « experts pédagogiques » sont semble-t-il plus flexibles et malléables que les profs d’en bas.

Suite à cette tribune, l’une des auteurs m’a contacté pour échanger, voire prendre conseil, parce que figurez-vous qu’elle subissait du coup menaces et pressions de la part de sa hiérarchie !

Mais la hiérarchie s’est ravisée. Je pense qu’elle a réalisé que plus cette histoire allait se médiatiser, plus sa position deviendrait intenable, car les collègues se rangeraient plus que majoritairement derrières les arguments des enseignants.

Autrement dit, victoire, on n’a plus du tout entendu parler de ce projet Microsoft depuis ! La prochaine « Innovative School » française devra attendre. Comme quoi quand on veut…

Et l’article de s’achever ainsi :

L’école en a, des profs « innovants », si l’on tient absolument à les appeler ainsi.

Non, ce n’est vraiment pas le désir d’inventer et de créer qui manque, à l’Éducation nationale.

Mais un prof qui s’entend dire qu’il devra accepter comme une condition nécessaire pour accéder aux moyens de mettre en œuvre ses projets de travailler avec telle entreprise privée, sous sa direction et dans son formatage, dans l’idéologie de ce que doit être l’école du XXIe siècle (sic) selon ladite entreprise, ce prof, dès lors, ne sent plus tellement en lui le désir d’« innover ».

Parce qu’il pressent qu’« innover » dans ces conditions impliquera qu’il abdique une part de sa liberté pédagogique au nom du modèle idéologique en question.

Ce sera également notre conclusion.

Notes

[1] Crédit photo : Lee Carson (Creative Commons By-Sa)




Vidéo : Richard Stallman à Paris pour la présentation de sa biographie autorisée

Les éditions Eyrolles ont organisé une rencontre avec Richard Stallman, le 12 janvier dernier dans leur librairie parisienne, à l’occasion de la sortie du livre Richard Stallman et la révolution du logiciel libre (que l’on peut d’ores et déjà précommander).

Cette intervention est désormais disponible sur le compte Eyrolles d’OpenVideo, l’espace Dailymotion spécialement dédié au format libre et ouvert Ogg[1].

Nous avons choisi d’en extraire le premier quart d’heure et vous le proposer ci-dessous dans la mesure il présente l’équipe du projet et nous offre un Richard Stallman au cœur du livre, puisqu’évoquant (non sans humour) son passé et ses premières expériences informatiques.

Par ordre d’apparition :

  • Muriel Shan Sei Fan d’Eyrolles – émérite éditrice du livre et animatrice de la rencontre
  • Pierre-Yves Gosset (alias Pyg) – émérite et indispensable salarié de Framasoft (et qui remplaçait mon absence)
  • Christophe Masutti – émérite chef d’orchestre de la traduction et de la communication avec Richard Stallman
  • Et, last but not least, Richard Stallman himself of course !

—> La vidéo au format webm

Pour la suite de la conférence, rendez-vous donc sur Dailymotion.

Transcript de l’intervention de Richard Stallman

Bonsoir, quand Christophe m’a proposé de relire le texte et corriger les erreurs pour la traduction française, je pensais que peut-être ce serait un petit travail. Mais quand j’ai lu le texte, j’ai vu qu’il fallait beaucoup de changements, beaucoup de corrections, mais je ne voulais pas qu’il devienne mon autobiographie.

Et comment l’éviter, c’était une tache délicate et j’ai décidé de maintenir toutes les citations, sauf quelques unes qui n’avaient rien à voir avec moi, et de maintenir toutes les impressions personnelles de Sam Williams, quand présentées comme telles. Et comme ça je devais garder son point de vue aussi, dans le livre que vous avez devant vous.

Et je n’ai pas éliminé les critiques. J’ai corrigé des faits erronés et j’ai répondu aux critiques, mais je les ai pas supprimés.

Je suis un personnage controversé. Et maintenant (avec ce livre) vous pouvez voir les deux côtés de la controverse, dont la première édition ne contenait souvent qu’un seul côté.

Le livre commence avec ma jeunesse. Je ne veux pas dire en beaucoup à ce sujet, mais j’ai vu (pour la première fois) un ordinateur quand j’avais 16 ans, à IBM, et j’ai commencé à vraiment programmer. Une année plus tard, je suis allé à l’Université Harvard à Cambridge. Et j’ai commencé à programmer dans le laboratoire de Harvard, mais c’était un système social tyrannique. Beaucoup de hiérarchie.

Et donc j’ai trouvé au MIT un autre laboratoire d’informatique avec (bien plus de) liberté. Où il ne s’agissait pas de qui tu étais, mais de ce que tu pouvais faire. J’y ai aussi rencontré le logiciel libre, parce que dans le laboratoire d’Intelligence Artificielle (IA) du MIT, tous les logiciels que nous utilisions étaient libres.

Le système d’exploitation était libre, puisqu’en ce temps-là il était développé par les hackers du laboratoire. Et j’étais moi-même engagé à participer à leur équipe pour améliorer le système. C’était l’emploi idéal pour moi, à l’époque.

Il fallait améliorer le monde. Et comment ? c’était à moi de la décider, mais en conversation avec les autres, bien sûr.

Donc j’ai appris à faire beaucoup de choses, mais aussi j’ai appris à apprécier la liberté, à apprécier les Droits de l’Homme.

Liberté, parce que chacun était libre. Égalité, parce dans le laboratoire d’IA du MIT le pouvoir ne s’employait pas. Tout le monde était égal, mais tout le monde devait participer dans la recherche et aider les autres, c’était donc la fraternité aussi.

Quand je faisais des changements dans le système, ce n’était pas seulement selon mon goût mais je faisais attention a ce que les utilisateurs me disaient. Et comme ça j’ai découvert que c’était possible une vie libre dans l’informatique.

Mais sous la pression commerciale, cette communauté du logiciel libre disparut. Et je devais décider que faire.

J’avais l’option facile, le chemin facile de participer dans le logiciel que nous appelons aujourd’hui le logiciel privateur, le logiciel qui prive la liberté des utilisateurs, qui est un instrument de tyrannie. Mais je ne voulais, cela aurait été une vie odieuse.

Donc j’ai décidé de rejeter cette vie pour construire une nouvelle communauté de liberté, (une communauté) du logiciel libre. Et il fallait commencer presque à zéro.

J’ai ainsi annoncé en 1983 le projet de développer le système d’exploitation GNU. « GNU’s Not Unix », un acronyme récursif, l’humour du programmeur. De toute manière, l’esprit du hacker c’est de faire des blagues même dans les choses les plus sérieuses. Comme tenter de libérer le monde de l’informatique, la chose qui serait la plus importante de ma vie si elle avait du succès. Mais en même temps le monde peut être un blague. « Ha Ha Only Serious ».

Et nous avons plus ou moins réussi. Le système GNU marche assez bien aujourd’hui avec le noyau Linux, dans la combinaison GNU et Linux. Nous avons des interfaces graphiques libres, nous avons des outils bureautiques libres, bien que quand je dis le mot « bureautique », je pense à « l’érotique dans le bureau ».

Mais nous n’avons pas encore gagné, parce que nous n’avons pas encore libéré tous les utilisateurs de l’informatique. La grande majorité continue (d’être) sous le pouvoir des entreprises comme Microsoft, Apple, Adobe et beaucoup d’autres. Donc nous avons encore beaucoup de travail à faire pour que tout le logiciel soit libre, pour que tous les utilisateurs soient libres…

Notes

[1] Richard Stallman n’accepte plus que ce format pour être filmé. Le site NetEco l’a ainsi appris à ses dépends dans 15 minutes avec Richard Stallman : « Cet entretien aurait dû être publié en format vidéo, cependant, sur demande de Richard Stallman ce dernier a été retranscrit. En effet, M. Stallman n’accepte la publication de vidéo qu’au format libre Ogg Theora. »




Courte interview de Richard Stallman avant sa venue en France

Richard Stallman - Copyright Sam OgdenLa biographie de Stallman, dont nous sommes à l’initiative, et qui est au final bien plus qu’une traduction suite aux nombreuses modifications effectuées par Stallman lui-même (cf cette vidéo), sortira donc officiellement jeudi 21 janvier 2010.

Sauf pour les chanceux qui assisteront à la rencontre avec Richard Stallman demain aux éditions Eyrolles[1] (c’est malheureusement complet depuis des lustres) et qui auront la possibilité de repartir avec les premiers tirages encore chauds sortis de l’imprimerie (et accessoirement une dédicace de Stallman). C’est Christophe Masutti, co-auteur du livre, qui représentera Framasoft.

Outre Paris donc le 12 janvier, Richard Stallman sera à Lyon le 13, Grenoble le 14 et Autrans le 15 (plus d’infos sur cette dépêche LinuxFr)[2].

En attendant, nous avons posé par email quelques questions à Richard autour de ce livre, dont les réponses ont été rédigées directement en français par l’intéressé.

Entretien avec Richard Stallman

Framablog : Bonjour Richard, est-il vrai que tu as lu pour la première fois le livre d’origine de Sam Williams à l’occasion du projet de sa traduction en français, et si oui pourquoi ?

RMS : Avant sa publication, j’ai lu le texte préliminaire et j’ai donné des critiques à Sam Williams. Après la publication, il n’y avait plus rien à faire, donc je n’ai pas lu le livre publié avant d’être invité à le corriger pour la traducion française. Quand je l’ai vu, il était évident qu’il avait besoin de plus que de petits changements.

Une biographie sur toi, cela te gène, cela flatte ton ego ou bien tu y vois un document de plus pour diffuser tes idées et celle du Mouvement pour le Logiciel Libre ?

Tous les trois.

Était-il difficile et délicat de ne corriger que des éléments factuels de la première version ? As-tu eu la tentation de corriger également des éléments plus subjectifs sur ta personnalité ?

Il y a ici un malentendu. Mes changements vont au dela des éléments factuels, je n’avais jamais l’intention de les limiter si étroitement. J’ai préservé les citations critiques, et les impressions personnelles de Sam Williams quand présentées comme telles. Et parfois j’ai ajouté des réponses.

Bien sûr, suivre cette politique était parfois une tache délicate, mais elle était nécessaire pour éviter de produire un livre qui ne présentait que mon point de vue sur moi.

Peut-on dire que l’histoire de ta vie, c’est aussi un peu l’Histoire de l’informatique et de son combat pour rester libre ?

L’histoire de l’informatique est longue et large, et les événements de ma vie n’en touchent qu’un peu. Mais une grande portion du livre concerne le mouvement du logiciel libre que j’ai lancé.

Quand sortira la nouvelle version en anglais ?

Je ne sais pas, mais j’ai proposé de le publier tout de suite.

Penses-tu que Nicolas Sarkozy lira ta biographie ?

Si les français luttent très fort contre ses lois injustes, comme la DADVSI et l’HADOPI, peut-être il ordonnera que quelqu’un le lise pour lui. Mais ce ne serait pas une victoire. La victoire, c’est qu’il soit remplacé par quelqu’un qui aime plutôt les Droits de l’Homme que les grands éditeurs, quelqu’un qui supprime ces lois et légalise le partage numérique.

Notes

[1] En avant-première de la sortie du livre Richard Stallman et la révolution du logiciel libre, disponible en librairie le 21 janvier 2010, les éditions Eyrolles organisent à la librairie une conférence publique avec Richard Stallman, suivie d’une séance de dédicaces, mardi 12 janvier 2010 à 17h.

[2] Crédit photo : Copyright Sam Ogden (avec son aimable autorisation)




Biographie de Richard Stallman : Un peu de teasing en vidéo (version longue)

Le 21 janvier 2010 va donc sortir la « biographie autorisée » de Richard Stallman aux éditions Eyrolles. Et autant vous prévenir tout de suite, comme c’est un évènement de taille pour nous, on risque d’y revenir souvent ces prochains jours sur ce blog.

Dans un précédent billet nous dévoilions simplement la couverture du livre. Aujourd’hui ce n’est plus une minute mais carrément quarante-cinq minutes d’attention qui sont requises si vous voulez en savoir plus (mais alors pour le coup, beaucoup, beaucoup plus).

Il s’agit de la vidéo de l’intervention que nous avons donné l’été dernier aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre de Nantes. La conférence s’intitulait, avec la modestie qui nous caractérise, « La passionnante histoire d’un livre sur Richard Stallman ».

Mais quand bien même ce titre ne soit qu’un clin d’œil à un film célèbre, on peut cependant se risquer à affirmer que nous sommes en face d’un projet pour le moins original. D’abord parce qu’il s’agit du ouvrage collaboratif sous licence libre signé chez un éditeur classique, mais aussi et surtout parce qu’il est plutôt rare de voir le sujet même d’une biographie décider de corriger et modifier sa propre biographie à l’occasion de sa traduction !

La conférence balaie la chronologie du projet et met en scène quatre des principaux acteurs impliqués. Par ordre d’apparition :

  • Alexis Kauffmann (Framasoft), à l’initiative du projet
  • Christophe Masutti (Framasoft), animateur principal du projet
  • Chloé Girard (La Poule ou l’Œuf), pour le logiciel de rédaction et publication du projet
  • Muriel Shan Sei Fan (Eyrolles), l’éditrice du projet

—> La vidéo au format webm

Autres liens de téléchargement (torrents inclus)