Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel – Mediapart

llawliet - CC byReprise du second article de l’enquête de Mediapart sur l’école à l’ère numérique, introduite dans un précédent billet.

« Derrière le ministre de l’éducation, l’ancien secrétaire d’État à l’industrie n’est pas très loin », nous dit Louise Fessard.

Et Microsoft non plus[1].

Mais la journaliste a eu la bonne idée d’en décrypter la présence et l’influence en s’appuyant, une fois n’est pas coutume, sur de nombreux articles de ce blog (cf notes de bas de page). Inutile de vous dire que cette reconnaissance nous honore quand bien même la situation évoquée mérite toujours d’être mise à jour en faveur du Libre.

Remarque : Cet article a été publié juste avant la sortie du rapport Fourgous désormais disponible.

Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel

Louise Fessard – 8 février 2010 – Mediapart
(avec son aimable autorisation)

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En visite au Bett, le salon mondial du numérique éducatif à Londres, le 17 janvier, le ministre de l’éducation, Luc Chatel, a réaffirmé sa volonté de lancer un grand plan numérique pour l’école « dans le cours du premier trimestre 2010 ». Près de 7.000 communes de moins de 2.000 habitants ont déjà bénéficié de subventions de 10.000 euros pour équiper leur école dans le cadre du plan écoles numériques rurales.

Devant une rangée d’industriels français du numérique, il a confirmé la possibilité d’utiliser une partie du grand emprunt à cette fin. Car derrière le ministre de l’éducation, l’ancien secrétaire d’État à l’industrie n’est pas très loin. « Ce sont des réservoirs, des perspectives de croissance très importants que d’avoir des pouvoirs publics qui investissent de manière durable dans ce secteur », lance ainsi Luc Chatel (cf vidéo).

En moyenne, l’école française ne dispose que d’un ordinateur pour 12 élèves (contre un pour 6 en Grande-Bretagne) et moins de 30.000 tableaux blancs interactifs (contre 470.000 en Grande-Bretagne)[2]. Plus préoccupant, il existe une grande disparité d’équipement entre les territoires : un rapport de la Cour des comptes révélait en décembre 2008 que, dans les écoles primaires, le taux d’équipement allait d’« un ordinateur pour 5 élèves à un pour 138 élèves » selon les communes.

La faute à une absence de politique nationale : ce sont les collectivités territoriales (commune pour les écoles, département pour les collèges, région pour les lycées) qui financent ordinateurs, logiciels, connexion au réseau. « C’est bien de venir voir les innovations, se désolait un principal de collège rencontré au salon professionnel Educatice en novembre 2008, mais budgétairement on n’a pas la maîtrise, c’est le conseil général qui décide. »

Aussi le plan écoles numériques rurales, qui a laissé aux écoles candidates le choix des solutions informatiques tout en assurant un financement étatique, a-t-il fait mouche parmi les petites communes[3]. Devant l’afflux des candidatures, Luc Chatel a dû débloquer 17 millions d’euros supplémentaires, en plus de l’enveloppe initiale de 50 millions. « Le fait que l’Etat prenne en charge ce dispositif peut éviter un accroissement des inégalités », se réjouit Gilles Moindrot, secrétaire général du SNUipp, le principal syndicat des professeurs des écoles.

Privilégier ressources et formation

Le matériel n’est pas « forcément le nerf de la guerre », a souligné Luc Chatel le 17 janvier, jugeant en revanche « absolument capitales la question des ressources pédagogiques et la question de la formation »[4]. Le député (UMP) des Yvelines, Jean-Michel Fourgous, doit rendre son rapport sur les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) à Luc Chatel le 15 février. « Si on ne veut pas renouveler les échecs des grands plans informatiques précédents, il faut abandonner l’histoire du 80% pour l’équipement / 20% pour la formation, et passer au 50/50 », explique-t-il.

Les industriels ont déjà largement investi le terrain : les grands groupes ne se contentent plus de vendre du matériel ou des logiciels, ils offrent aux enseignants des espaces d’échange, des forums, des ressources pédagogiques, des formations pour utiliser leur technologie. « Il faut comprendre qu’accrocher une boîte noire au mur, ça n’apporte pas grand-chose, explique Emmanuel Pasquier, directeur général de la société Promethean, leader des tableaux blancs interactifs (TBI) en Europe. Il faut faire un très gros travail avec la communauté éducative et mettre en place un écosystème autour du TBI qui comprenne les tableaux interactifs, les boîtiers d’évaluation, les ardoises mais aussi des logiciels d’aide à la création pédagogique, la formation et l’accompagnement continu des enseignants. » La communauté virtuelle Promethean Planet revendique ainsi plus de 500.000 enseignants dans le monde.

Microsoft « à l’assaut du monde de l’éducation »

Microsoft France a choisi de multiplier les partenariats avec le monde associatif enseignant, en adaptant son programme international « Partners in learning »[5], actif dans une centaine de pays, au contexte français : « Nous apportons un support technologique et financier aux initiatives des enseignants, mais notre plus grosse valeur ajoutée, c’est la mise en réseau entre enseignants », explique Thierry de Vulpillières[6], directeur des partenariats éducation. Microsoft vient ainsi en aide à des projets peu reconnus et relayés par l’institution scolaire. En toute discrétion, se gardant bien de placarder son logo à tout-va.

L’entreprise américaine a ainsi participé à la refonte de la plateforme Internet du Café pédagogique[7], le site d’actualité pédagogique de référence avec ses 222.000 abonnés, « qui craquait de partout », mais se contente d’y animer un forum sur une opération commerciale « Microsoft Office 2007 gratuit pour les enseignants ». Elle a aussi développé une offre de formations à cette suite bureautique et à son « espace de travail numérique » par l’intermédiaire de Projetice[8], une association d’enseignants créée en 2006.

« Au départ, différents enseignants ressentaient comme un manque l’absence d’associations sur les Tice dans le paysage français, raconte Thierry de Vulpillières. Ils sont venus me voir et j’ai participé au financement de la création de l’association. » Une association qui se dit « indépendante » mais vit en partie des commandes commerciales de Microsoft. « Au côté de celles d’Orange, de Texas Instrument, Smart, etc. », nuance Thierry de Vulpillières.

C’est encore Microsoft qui est à l’origine de la tenue du premier forum des enseignants innovants à Rennes en 2008, que l’entreprise finance à hauteur de 30%[9]. « En 2007, Microsoft avait, avec l’Unesco, organisé au Louvre le forum européen des enseignants innovants, raconte Thierry de Vulpillières. J’ai impliqué des enseignants français et ils se sont dit qu’ils allaient organiser quelque chose au niveau national pour récompenser l’innovation pédagogique. »

Microsoft emploie aussi des méthodes plus classiques et massives. Depuis juin 2008, les enseignants peuvent télécharger et installer gratuitement Office 2007 à leur domicile. Pour mener cet « assaut du monde de l’éducation » (voir doc joint), Microsoft et l’agence de communication Infoflash ont créé un site Web spécifique et envoyé des centaines de courriers nominatifs aux enseignants (120.000 aux enseignants et personnels de collège en juin 2008 puis une seconde vague de 350.000, visant aussi les instituteurs, en novembre 2008)[10]. Une performance récompensée en 2009 par l’obtention du grand prix « acquisition et fidélisation clients » du Club des directeurs marketing et communication des TIC (Cmit)[11].

« Un potentiel de 50.000 emplois »

Théoriquement, selon l’accord-cadre signé entre l’éducation nationale et Microsoft en 2003, l’offre n’est pas à proprement parler gratuite puisqu’elle doit être compensée par l’achat de licences par les établissements scolaires. Microsoft « autorise la duplication des logiciels Microsoft Office sur des postes de travail personnel dans la stricte limitation du nombre de licences déployées pour usage professionnel », précise l’avenant signé en 2006 (doc joint). Mais dans les faits, tout enseignant peut télécharger gratuitement Office, même si son établissement n’a pas acheté de licence à Microsoft.

Ce type d’opération est régulièrement dénoncé sur la Toile par des enseignants adeptes du libre comme Jean Peyratout. « Les industriels, et notamment Microsoft, ont une attitude extrêmement offensive mais ils font leur métier, c’est normal, estime cet instituteur de Pessac (Gironde). C’est plutôt du côté des prescripteurs qu’est le problème. »

Même analyse d’Alexis Kauffmann, enseignant de mathématiques, actuellement à Rome, qui dénonce sur son blog « l’influence disproportionnée de Microsoft à l’école ». « Je reproche surtout au ministère de l’éducation de laisser Microsoft rentrer comme dans du beurre dans le système éducatif français, faute d’avoir pris une position volontariste vis-à-vis du logiciel libre, explique-t-il. Alors qu’en Grande-Bretagne, le Becta (l’agence britannique en charge des Tice) n’hésite pas à rédiger de longs rapports[12] déconseillant l’adoption des nouvelles versions de Windows et MS Office en milieu scolaire tout en invitant à découvrir leurs alternatives libres que sont GNU/Linux et OpenOffice. »

Conscient de cette dépendance, Jean-Michel Fourgous propose qu’une partie du grand emprunt aille à « la formation, la simplification des ressources pédagogiques, la clarification du rôle des collectivités locales et une meilleure coordination des acteurs ». « Je pense qu’il y a un potentiel de 50.000 emplois dans les Tice dans les années à venir, prévoit-il. Il faut inciter nos chercheurs français à travailler sur tous les services Tice car il va y avoir une explosion dans ce domaine. »




L’Affaire Copyright ou les aventures de Tintin au pays des ayants droit

L'Affaire Copyright - Couverture - PiccoloNous avons déjà eu l’occasion de le signaler dans notre billet sur Le Petit Prince. Fixer arbitrairement à une très longue période de 70 ans la durée des droits patrimoniaux après la mort de l’auteur au bénéfice des ayants droit est devenu quelque peu problématique à l’ère du réseau.

Ce qui se voulait au départ un équilibre équitable entre les droits du public et celui du créateur penche désormais très clairement en faveur du second (et de sa progéniture) sans autre réelle justification que le contrôle et le profit.

D’ailleurs à ce propos une petite parenthèse mathématique. Sans remonter le temps juste après la Révolution française où cette durée n’était que de 10 ans, on peut faire remarquer qu’en 1900 la durée était de 50 ans mais avec une espérance de vie dépassant à peine les 40 ans. Or aujourd’hui on a non seulement rallongé la durée des droits à 70 ans, mais l’espérance de vie approche les 80 ans[1].

Conclusion : Les ayants droit ont gagné en un siècle 20+40, soit 60 ans de plus en moyenne pour exploiter les œuvres !

Tout ceci n’est guère raisonnable. D’autant que cela aiguise les appétits des enfants et petits-enfants du créateur dans ce qui peut devenir là une source de revenus suffisante pour bien vivre, sans autre travail que de veiller jalousement au patrimoine du génie de la famille.

Capitaine HaddockCela leur fait même parfois un peu tourner la tête. Nous avions évoqué brièvement le cas de l‘anarchiste Léo Ferré, qui doit s’en retourner dans sa tombe. Mais la palme revient peut-être aux ayants droit de Tintin, ou plutôt de son papa Hergé, enfin surtout de ses héritiers, en l’occurrence sa veuve et son nouveau mari par l’entremise de la Société Moulinsart chargée de l’exploitation commerciale de l’œuvre du célèbre dessinateur.

Cette société a l’honneur d’un article sur Wikipédia. Extrait :

La gestion de l’œuvre d’Hergé reste très controversée par certains tintinophiles qui l’estiment parfois trop stricte, trop commerciale, voire maladroite. Le prix élevé des produits dérivés, le contrôle rigoureux des sites internet amateurs ou encore les ratés de certains projets (l’adaptation de Tintin au cinéma et le musée Hergé par exemple) sont souvent pointés du doigt. Ainsi, en octobre 2009, Moulinsart SA a fait condamner en appel le romancier Bob Garcia à une amende de plus de 48 000 euros pour des vignettes qu’il avait citées dans un ouvrage pour enfants édités à seulement 500 exemplaires, voire pour des vignettes qui n’étaient pas citées du tout dans les ouvrages de l’auteur. Celui-ci n’étant pas solvable, la société n’hésitera pas à faire saisir sa maison.

Pour en savoir plus sur cette sombre histoire, voir Moulinsart l’a tué, presque sur La république des livres, le blog de Pierre Assouline (l’un des biographes d’Hergé soit dit en passant).

Capitaine HaddockIl faut bien comprendre que la moindre reproduction de vignettes est interdite par les avocats de Moulinsart : « une vignette de bande dessinée est une œuvre à part entière, or une œuvre à part entière ne peut pas être citée (…) il y a environ mille vignettes par album, il y a donc mille dessins protégés par des droits d’auteur » (source JDD).

Impossible donc a priori de faire état d’un « droit de courte citation graphique ». Ainsi les quelques imagettes qui illustrent ce billet, d’un Capitaine Haddock abasourdi par la situation, sont en théorie illégales, sauf à penser qu’elles ne sont que des parties de vignettes et donc en quelque sorte des citations de vignettes (qu’elles proviennent indûment d’une photo d’exposition placée sous Creative Commons n’arrange évidemment rien à l’affaire).

Mais il n’y a pas que Bob Garcia qui ait eu à subir la vindicte de Moulinsart SA. On peut citer également les difficultés actuelles des éditions Bédéstory.

BédéStoryBédéStory publie sous le titre générique « Comment Hergé a créé… » des études portant sur la genèse de l’œuvre d’Hergé : Comment Hergé a créé Tintin au Congo, Comment Hergé a créé Tintin en Amérique, et ainsi de suite.

Des titres proches des originaux, quelques vignettes reprises çà et là, et c’est la sanction : Moulinsart SA attaque pour rien moins que contrefaçon ! Heureusement le tribunal (d’Évry) a logiquement débouté et condamné Moulinsart pour procédure abusive et ordonné la main-levée des ouvrages.

Mais cela n’a pas suffit. Ils ont en effet fait pression sur les distributeurs dont la FNAC et Amazon, pour qu’ils ne proposent plus la dite collection dans leur catalogue, une lettre non équivoque de Moulinsart à la FNAC ayant été interceptée. BédéStory s’en insurge : « Nous tenons à dénoncer avec force les méthodes commerciales scandaleuses utilisées par Moulinsart pour nous éliminer du marché sans le moindre jugement défavorable à notre encontre, ainsi que l’attitude lamentable de la FNAC qui n’a pas daigné répondre à notre demande d’explication. »

Capitaine HaddockL’ironie de l’histoire c’est que BédéStory a également publié tout récemment un album aux éditions « Parodisiaques » (histoire que ce soit bien clair) dont le titre, dans ce contexte, ne passe pas inaperçu : L’affaire copyright.

En voici sa présentation, parce que je ne vais pas me gêner pour en faire la publicité (la couverture, tout en haut, et la page de garde, tout en bas, sont de Piccolo) :

Dix scénaristes et dessinateurs de bande dessinée (Calza, Chabaud, Di Martino, Domas, Fortin, Mibé, Piccolo, Sen et Roulin) rendent hommage à Hergé à travers de courtes histoires parodiques (Brocante à Moulinsart, Tartarin et les cent dalles du pharaon, On a zappé sur Saturne, Cauchemar à Moulinbar, Remue-ménage à Moul1sard, Crincrin au chômage, Crincrin chez le psychanalyste, Les Aventures de Crincrin, Pinpin et la fin de l’or noir) en 52 pages quadri étonnantes d’imagination et d’humour. Ce recueil est le premier album parodique exclusivement consacré à Tintin.

Or, cette fois-ci, l’ouvrage ne va pas être retiré de la circulation, il ne va tout simplement pas être référencé !

Ces petits récits (dont la plupart ont déjà été publiées précédemment avec l’accord écrit de Moulinsart). ne constituent pas des suites des Aventures de Tintin. Elles sont des hommages très respectueux à l’œuvre de Hergé et à Tintin, réalisées avec passion et talent par une dizaine d’auteurs vraiment tintinophiles. Elles ne contiennent aucune violence, ni racisme, ni allusion politique, etc. et ne peuvent en aucun cas faire de tort à l’image de Tintin. Elles s’inscrivent parfaitement dans le strict droit de l’exception de parodie.

Or, la Fnac (et la plupart des grandes librairies bédé, sites de vente en ligne, etc.) refusent purement et simplement de référencer l’ouvrage « suite aux pressions et menaces de Moulinsart ». Donc, cette fois Moulinsart fait l’économie d’un procès. Il suffit que leurs avocats envoient des lettres types de menace pour que commercialisation de cet ouvrage – parfaitement légal – soit définitivement compromise.

Faute de trouver une meilleure solution pour l’instant, BédéStory a décidé de proposer cet ouvrage en vente directe à nos quelques clients fidèles et aux quelques libraires qui ont encore un peu de dignité.

Cet album vous intéresse ? Un message de soutien ?

Vous pouvez leur écrire à : bedestory AT gmail.com.

Tiens, il me vient en mémoire ce chinois qui, un sabre à la main, poursuivait Tintin dans Le lotus bleu : « Il faut trouver la voie ! Moi je l’ai trouvée. Il faut donc que vous la trouviez aussi… Je vais d’abord vous couper la tête. Ensuite, vous trouverez la vérité ! ».

Ce chinois était devenu fou. Lui aussi.

L'Affaire Copyright - Page de garde - Piccolo

Triste (et scandaleux) épilogue : Cet article a été mis en ligne le 22 février 2010. Une semaine plus tard, la Société Moulinsart gagnait un nouveau procès et obligeait BédéStory a mettre définitivement la clé sous la porte

Notes

[1] Les sources de ma parenthèse mathématique proviennent de cet article mais surtout de ce graphique.




Le chemin de croix du logiciel libre à l’école – Quand Mediapart mène l’enquête

Vauvau - CC byLe logiciel libre et sa culture n’ont toujours pas la place qu’ils méritent à l’école. Tel est l’un des chevaux de bataille de ce blog, qui a parfois l’impression de donner des coups d’épée dans l’eau tant ce sujet ne donne pas l’impression de passionner les foules.

Dans ce contexte médiatiquement défavorable, nous remercions Mediapart de s’être récemment emparé du sujet à la faveur d’une enquête conséquente sur L’école à l’ère numérique.

Ces enquêtes approfondies sont l’une des marques de fabrique de ce pure player qui contrairement à d’autres ne mise pas sur le couple gratuit/publicité mais sur l’abonnement qui offre un accès privé et réservé à la majorité de ses contenus (si je puis me permettre une petite digression, le modèle utopique idéal serait pour moi un nombre suffisant d’abonnés à qui cela ne poserait pas de problèmes que le site soit entièrement public et sous licence de libre diffusion).

Ce dossier comporte cinq articles : Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel, A Antibes, un collège teste les manuels numériques[1], Thierry de Vulpillières : « Les TICE sont une réponse à la crise des systèmes d’éducation »[2], Nouvelles technologies: remue-ménage dans la pédagogie ![3] et Le chemin de croix du logiciel libre à l’école.

Avec l’aimable autorisation de son auteure, nous avons choisi d’en reproduire le premier dans un autre billet et donc ici le dernier, dans la mesure où nous sommes cités mais aussi et surtout parce qu’ils touchent directement nos préoccupations.

Outre votre serviteur, on y retrouve de nombreux acteurs connus des lecteurs du Framablog. J’ai ainsi particulièrement apprécié la métaphore de la « peau de léopard » imaginée par Jean Peyratout pour décrire la situation actuelle du Libre éducatif en France[4].

Et si ce léopard se métamorphosait doucement mais sûrement en une panthère noire ?

Le chemin de croix du logiciel libre à l’école

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Louise Fessard – 12 février 2010 – Mediapart

Et le libre dans tout ça ?

Des logiciels et des contenus garantissant à tous le droit d’usage, de copie, de modification et de distribution, ne devraient-ils pas prospérer au sein de l’éducation nationale ? Si l’administration de l’éducation nationale a choisi en 2007 de faire migrer 95% de ses serveurs sous le système d’exploitation libre GNU/Linux, la situation dans les établissements scolaires est bien plus disparate.

Le choix dépend souvent de la mobilisation de quelques enseignants convaincus et de la politique de la collectivité locale concernée. « On se retrouve avec des initiatives personnelles, très locales et peu soutenues », regrette l’un de ses irréductibles, Alexis Kauffmann, professeur de mathématiques et fondateur de Framasoft, un réseau d’utilisateurs de logiciels libres.

« La situation ressemble à une peau de léopard, confirme Jean Peyratout, instituteur à Pessac (Gironde) et président de l’association Scideralle. Le logiciel libre est très répandu mais dans un contexte où aucune politique nationale n’est définie. C’est du grand n’importe quoi : il n’y a par exemple pas de recommandation ministérielle sur le format de texte. Certains rectorats vont utiliser la dernière version de Word que d’autres logiciels ne peuvent pas ouvrir. »

A la fin des années 1990, Jean Peyratout a développé avec un entrepreneur, Eric Seigne, AbulEdu, une solution réseau en logiciel libre destinée aux écoles et basée sur GNU/Linux. Selon Eric Seigne, directeur de la société de service et de formation informatique Ryxeo spécialisée dans le logiciel libre, environ 1000 des 5000 écoles visées à l’origine par le plan d’équipement « écoles numériques rurales », lancé à la rentrée 2009 par le ministère de l’éducation nationale, ont choisi d’installer AbulEdu. Faute de bilan national, il faudra se contenter de ce chiffre, qui ne concerne que le premier degré, pour mesurer l’importance du libre dans les établissements scolaires.

Autre exemple significatif, en 2007, le conseil régional d’Ile-de-France a choisi d’équiper 220.000 lycéens, apprentis de CFA et professeurs, d’une clé USB dotée d’un bureau mobile libre – développé par la société Mostick, à partir des projets associatifs Framakey et PortableApps.

« Pourquoi payer des logiciels propriétaires ? »

Le libre à l’école a plusieurs cordes à son arc. Jean Peyratout met en avant son interopérabilité – « Nos élèves sont amenés à utiliser à la maison ce qu’ils utilisent à l’école » –, la souplesse dans la gestion du parc – pas besoin d’acheter une énième licence en cas de poste supplémentaire – et surtout son éthique. « Faire de la publicité à l’école est interdit, plaide-t-il. Il me semble qu’utiliser un logiciel marchand à l’école alors qu’il existe d’autres solutions, c’est faire la promotion de ce logiciel. Pourquoi aller payer des logiciels propriétaires dont le format et le nombre limité de licences posent problème ? »

D’autant, souligne Eric Seigne, « qu’en investissant dans le libre, l’argent reste en local, alors qu’en achetant du propriétaire, la plus grande partie de l’argent part à l’étranger où sont implantés les gros éditeurs ». Reste à convaincre sur le terrain les enseignants, non experts et qui n’ont pas envie de mettre les mains dans le cambouis. A Saint-Marc-Jaumegarde par exemple, Emmanuel Farges, directeur d’une école primaire pourtant très technophile, est sceptique. « Seul notre site Internet repose sur un logiciel libre mais ça bogue souvent et il n’y a pas de suivi quand il y a un problème », explique-t-il.

A côté de la poignée d’enseignants militants du libre, se sont pourtant développés des professionnels. « Le fait que les logiciels soient gratuits éveille paradoxalement les soupçons de mauvaise qualité, note Bastien Guerry, doctorant en philosophie et membre de l’Association francophone des utilisateurs de logiciels libres (Aful). Mais il existe des associations locales de prestation de service en logiciel libre qui peuvent assurer un suivi. »

Des sites collaboratifs

« Aujourd’hui, les enjeux portent moins sur l’installation des postes que la mise à disposition de logiciels libres via l’environnement numérique de travail et des clefs USB », prévoit Bastien Guerry. A travers des sites participatifs comme Les Clionautes (histoire-géographie), WebLettres (français), et créés au début des années 2000, des enseignants s’adonnent avec enthousiasme à cette création de logiciels et surtout de contenus.

L’exemple le plus abouti en est Sésamath dont la liste de diffusion regroupe 8000 enseignants, soit un quart des profs de mathématiques français selon l’un des fondateurs du projet, Sébastien Hache, lui-même enseignant au collège Villars à Denain (Nord).

« Tous les enseignants créaient déjà eux-mêmes leurs ressources mais Internet leur a permis de les partager, explique-t-il. Et, comme il n’y a pas plus seul qu’un prof face à sa classe, ça évite à chacun de réinventer la roue dans son coin. » Grâce à la collaboration d’enseignants travaillant à distance, Sésamath a même édité « le premier manuel scolaire libre au monde ». « Les manuels des éditeurs sont d’ordinaire écrits par deux ou trois profs, nous, nous avons eu la collaboration d’une centaine d’enseignants avec de nombreux retours », se félicite Sébastien Hache.

400.000 exemplaires de ce manuel, qui couvre les quatre niveaux de collège, ont été vendus (11 euros pour financer les salaires des cinq salariés à mi-temps de l’association), la version en ligne étant gratuite et bien entendu modifiable en vertu de sa licence libre. L’autre activité du site consiste à créer des logiciels outils et des exercices s’adaptant aux difficultés des élèves. Beaucoup de professeurs de mathématiques sont aussi par ailleurs des développeurs passionnés!

Un foisonnement que s’efforce de fédérer le pôle de compétences logiciels libres du Scérén coordonné par Jean-Pierre Archambault. L’école doit désormais prendre en compte les « mutations engendrées par l’immatériel et les réseaux: enseignants-auteurs qui modifient le paysage éditorial, partage de la certification de la qualité, validation par les pairs, redistribution des rôles respectifs des structures verticales et horizontales… », jugeait-il en juin 2008.

Pas vraiment gagné, constate Alexis Kauffmann. « Rien ne laisse à penser que le ministère de l’éducation nationale comprend et souhaite encourager cette culture libre qui explose actuellement sur Internet », lance-t-il. Dernier exemple en date, l’Académie en ligne lancée par le Cned en juin 2009 propose des cours, certes gratuits, mais pas libres et donc non modifiables, manifestement uniquement conçus pour être imprimés! Pour la collaboration, il faudra repasser…

Notes

[1] On peut lire l’article A Antibes, un collège teste les manuels numériques dans son intégralité sur le site Sauvons l’Université.

[2] On peut lire l’article Thierry de Vulpillières : « Les TICE sont une réponse à la crise des systèmes d’éducation » dans son intégralité sur le site Sauvons l’Université.

[3] On peut lire l’article Nouvelles technologies: remue-ménage dans la pédagogie ! dans son intégralité sur le site Sauvons l’Université.

[4] Crédit photo : Vauvau (Creative Commons By)




Si Google is not evil alors qu’il le prouve en libérant le format vidéo du Web !

Diegosaldiva - CC byQuel sera le futur format vidéo du Web ? Certainement plus le Flash dont les jours sont comptés. Mais quel nouveau format va alors s’imposer, un format ouvert au bénéfice de tous ou un format fermé dont le profit à court terme de quelques-uns se ferait au détriment des utilisateurs ?

Un acteur, à lui seul, possède semble-t-il la réponse ! Et c’est une fois encore de Google qu’il s’agit. Une réponse que la Free Software Foundation attend au tournant car elle en dira long sur les réelles intentions de la firme de Moutain View.

Tentative de résumé de la situation.

Faute de mieux, et alors qu’il n’avais pas été spécialement conçu pour jouer les premiers rôles, le format Flash Video d’Adobe (.flv) s’est imposé pendant des années comme format standard de fait de la vidéo en lecture continue (ou streamée) sur Internet, comme par exemple sur le site emblématique YouTube.

Pour le lire il nécessitait la présence d’un player Flash sur son ordinateur, ce qui a toujours posé problème aux Linuxiens puisque la technologie Flash est propriétaire et (en partie) fermée et qu’il n’est donc pas possible de l’inclure dans les distributions libres de GNU/Linux (ceux qui juste après une installation ont recherché comment lire ce satané format comprendront fort bien ce que je veux dire). Un problème si important que la FSF n’a pas hésité à le placer au top de ses priorités logicielles avec son projet de lecteur libre Gnash (juste en dessous d’un lecteur alternatif pour le format PDF, autre format problématique).

Mais tout ceci sera bientôt du passé car la nouvelle version du format des pages Web, le HTML5, est en train de changer la donne avec l’introduction de la balise <video> (cf cet article du Framablog pour en savoir plus : Building the world we want, not the one we have).

Exit le Flash donc dans nos vidéos du Web. D’ailleurs, coup de grâce, il ne figurera pas dans l’iPad et Steve Jobs aurait déclaré « ne pas vouloir perdre du temps sur une technologie dépassée aussi ringarde que les disquettes » !

Conséquence et grand progrès, on peut donc potentiellement lire directement les vidéos sur tout navigateur qui implémente le HTML5 (actuellement Firefox 3.5+, Safari 4+, Chrome 3+). Plus besoin de télécharger de plugins (Flash, QuickTime ou autre). Sauf que comme le dit Tristan Nitot « la spécification HTML5 précise comment un navigateur doit interpréter l’élément video, mais pas sur le format dans lequel doit être publiée la vidéo en question ».

Or justement deux formats sont les principaux candidats à la succession, l’un ouvert, que nous connaissons bien, le Ogg Theora (adopté notamment sur les projets Wikimedia), et l’autre fermé le H.264. Tristan Nitot expose avec la clarté qu’on lui connaît, la situation, ses contraintes et ses menaces, dans son billet Vidéo dans le navigateur : Theora ou H.264 ?.

Il en rajoute une couche sur Rue89 dans Firefox refuse que YouTube devienne « un club de riches » :

« Si le Web est si participatif, c’est parce qu’il n’y a pas de royalties pour participer et créer un contenu. (Faire le choix du H.264) serait hypothéquer l’avenir du Web. On créerait un îlot technologique, un club de riches : on pourrait produire du texte ou des images gratuitement, mais par contre, pour la vidéo, il faudrait payer. »

En effet, il en coûterait plusieurs millions par an à Mozilla si elle voulait intégrer le H.264 dans Firefox. Ce qu’elle ne pourrait pas se permettre et du coup si YouTube adoptait définitivement ce format (que la célèbre plate-forme teste actuellement), nous serions face à un choix cornélien : Firefox sans YouTube (et tous les autres sites de vidéos qui auront alors suivi YouTube, gageons qu’ils seront nombreux) ou YouTube sans Firefox.

Ceux qui pensent, comme Stallman, qu’on « ne brade pas sa liberté pour de simples questions de convenances » feront peut-être le premier choix. Mais pour le grand public, rien n’est moins sûr (c’est même sûr qu’il fera le choix inverse).

Or c’est un feuilleton à épisodes car un tout dernier évènement est venu semer le trouble en apportant son lot de spéculations. Un évènement passé un peu inaperçu à cause du buzz (négatif) engendré par la sortie simultanée de Google Buzz : le rachat par Google de la société On2 Technologies pour un peu plus de cent millions de dollars.

On2 Technologies est justement spécialisée dans la création de formats vidéos, dont un, le VP3, a d’ailleurs été libéré et est directement à l’origine de l’Ogg Theora. Mais c’est le tout dernier de la gamme, le VP8 qui focalise l’attention de par ses qualités (cf présentation et comparaison sur le site d’On2).

Ce rachat a quelque peu atténué les craintes des observateurs, à commencer par Mozilla (cf cet article de Numerama : Codec vidéo : Google rachète On2 et rassure Mozilla). Pourquoi en effet débourser une telle somme puisque le H.264 est là ? Peut-être pour le remplacer par le VP8. Mais alors aura-t-on un VP8 également fermé (et peut-être aussi payant) ou bien ouvert pour l’occasion ?

La balle est dans le camp de Google.

Soit la société fait le choix du H.264. Firefox ne peut pas suivre et alors il y a fort à parier que cela profitera au navigateur Google Chrome (nombre d’utilisateurs ne pouvant désormais concevoir le Web sans YouTube). Comme de plus l’essentiel des revenus de Mozilla provient de l’accord avec Google sur le moteur de recherche par défaut de Firefox, et que cet accord ne court que jusqu’en 2011, on voit bien que Google peut en théorie si ce n’est tuer Firefox, tout du moins participer directement à freiner son ascension.

Soit la société oublie le H.264 en optant pour le VP8 d’On2. Mais reste alors à savoir quelle sera la nature de ce format. Si Google décide de le libérer en donnant le la en l’installant sur YouTube, c’est non seulement Firefox qui en profitera mais le Web tout entier.

Le choix est important, parce qu’au-delà de l’avenir de la vidéo sur le Web, c’est l’avenir de Google dont il est question. Et aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, l’avenir de Google rejoint souvent l’avenir du Web tout court, ce qui en dit long sur sa puissance et son influence actuelles sur le réseau.

Il est bien évident que le H.264 ou le VP8 fermé serait à priori la meilleure option pour Google en tant que multinationale cotée en bourse avec des actionnaires qui réclament leurs dividendes. Mais ce serait la plus mauvaise pour les partisans d’un Web libre et ouvert. « Google is not evil » nous dit le slogan, alors qu’elle le prouve en faisant le bon choix, celui de l’intérêt des utilisateurs. Google en tirerait alors l’avantage de conserver une image positive de plus en plus écornée ces derniers temps. Dans le cas contraire le masque serait définitivement levé[1] et le bénéfice du doute ne serait plus permis.

Tel est en substance le message lancé par la FSF que nous avons traduit ci-dessous.

Lettre ouverte à Google : libérez le VP8, et utilisez-le sur YouTube

Open letter to Google: free VP8, and use it on YouTube

Holmes – 19 février 2010 – FSF Blogs
(Traduction Framalang : Don Rico et Goofy)

Après son acquisition d’On2, entreprise spécialisée en technologie de compression vidéo, le 16 février 2010, Google est à présent en position de standardiser les formats vidéo libres et ainsi libérer le Web à la fois du Flash et du codec propriétaire H.264.

Cher Google,

Après votre rachat d’On2, vous possédez désormais le plus important site de vidéos au monde (YouTube) et tous les brevets déposés pour un nouveau codec vidéo de haute performance, le VP8. Imaginez ce que vous pouvez accomplir si vous rendez disponible, de façon irrévocable, le codec VP8 sous une licence libre de royalties, et le proposez aux utilisateurs de YouTube ? Vous pouvez mettre un terme à la dépendance du Web aux formats vidéo criblés de brevets et aux logiciels propriétaires tel que Flash.

Garder le secret sur les spécifications de cette technologie ou ne l’utiliser que comme levier de négociation desservirait le monde du Libre, en n’apportant dans le meilleur des cas que des bénéfices à court terme à votre entreprise. Libérer le code du VP8 sans recommander ce format aux utilisateurs de YouTube constituerait une occasion manquée et nuirait au navigateurs libres tel que Firefox. Nous voulons tous que vous fassiez le bon choix. Libérez le code de VP8, et utilisez-le pour YouTube !

Pourquoi ce serait un immense bond en avant

Le monde disposerait alors d’un nouveau format libre affranchi de brevets logiciels. Internautes, créateurs de vidéo, développeurs de logiciels libres, constructeurs de matériel informatique, tout le monde pourrait distribuer de la vidéo sans se soucier des brevets, des droits d’utilisation et des restrictions. Le format vidéo libre Ogg Theora est au moins aussi performant pour la vidéo sur le web (voir comparatif) que son concurrent fermé, le H.264, et jamais nous n’avons approuvé les objections que vous opposiez à son utilisation. Puisque vous avez pris la décision d’acquérir le VP8, on peut néanmoins supposer que ce format ne soulève pas selon vous les mêmes objections, et que l’implémenter dans YouTube est un jeu d’enfant.

Vous avez le pouvoir de faire de ce format libre un standard planétaire. Si YouTube, qui héberge la quasi totalité des vidéos numériques jamais conçues, proposait un format libre en option, ce simple changement vous vaudrait le soutien d’une pléthore de fabricants d’appareils et d’applications numériques.

Cette capacité à proposer un format libre sur YouTube n’est toutefois qu’une partie infime de votre véritable pouvoir. On passera aux choses sérieuses quand vous encouragerez les navigateurs des utilisateurs à prendre en charge les formats libres. Il existe un tas de moyens de s’y prendre. La meilleure, à nos yeux, serait que YouTube abandonne le Flash au profit des formats libres et du HTML, et propose à ses utilisateurs équipés de navigateurs obsolètes un plug-in ou un navigateur moderne (un logiciel libre, bien sûr). Apple a eu le cran de mettre au rebut le Flash pour l’iPhone et l’iPad (même si leurs raisons sont suspectes et leurs méthodes détestables les DRM), et cette décision pousse les développeurs Web à créer des alternatives sans Flash de leurs pages. Vous pourriez faire de même avec YouTube, pour des raisons plus nobles, ce qui porterait un coup fatal à la prédominance de Flash dans le secteur des vidéos en ligne.

Même des actions de moindre envergure porteraient leur fruits. Vous pourriez par exemple susciter l’intérêt des utilisateurs avec des vidéos HD disponibles sous format libre, ou inciter fortement les utilisateurs à mettre à niveau leur navigateur (plutôt que de mettre Flash à jour). De telles mesures sur YouTube porteraient la prise en charge des formats libres par les navigateurs à un niveau de 50% et plus, et elles augmenteraient lentement le nombre d’internautes qui ne prendraient pas la peine d’installer un plug-in Flash.

Si le logiciel libre et l’internet libre vous tiennent à cœur (un mouvement et un médium auxquels vous devez votre réussite), vous devez prendre des mesures drastiques pour remplacer Flash par des standards ouverts et des formats libres. Les codecs vidéo brevetés ont déjà fait un tort immense au Web et à ses utilisateurs, et cela continuera tant que nous n’y mettrons pas un terme. Parce qu’il était coûteux d’implémenter des standards bardés de brevets dans les navigateurs, un logiciel privateur aussi lourd qu’inadapté (le Flash) est devenu le standard de facto pour la vidéo en ligne. Tant que nous ne passerons pas aux formats libres, la menace des actions en justice pour violation de brevet et des royalties à verser pèsera sur tous les développeurs de logiciel, les créateurs de vidéo, les fabricants de matériel informatique, les sites Internet et les entreprises du Web, vous y compris.

Vous pouvez utiliser votre acquisition d’On2 comme simple levier de négociation pour apporter votre propre solution au problème, mais ce serait à la fois un faux-fuyant et une erreur stratégique. Si vous ne faites pas du VP8 un format libre, ce ne sera jamais qu’un codec vidéo de plus. À quoi servirait un énième format vidéo souffrant d’une compatibilité avec les navigateurs limitée par des brevets ? Vous devez au public et à l’Internet de résoudre ce problème ; vous le devez à nous tous, et pour toujours. Des organisation telles que Xiph, Mozilla, Wikimedia, la FSF et On2 elle-même mettent l’accent sur la nécessité d’imposer les formats libres et se battent corps et âme pour rendre cela possible. À votre tour, maintenant. Si vous en décidez autrement, nous saurons que vous avez à cœur non pas la liberté des utilisateurs mais seulement le règne sans partage de Google.

Nous voulons tous que vous preniez la bonne décision. Libérez le code du VP8 et utilisez-le sur Youtube !

Notes

[1] Crédit photo : Diegosaldiva (Creative Commons By)




L’Éclaternet ou la fin de l’Internet tel que nous le connaissons ?

Raúl A. - CC byUne fois n’est pas coutume, nous vous proposons aujourd’hui une traduction qui non seulement ne parle pas de logiciel libre mais qui en plus provient de CNN, et même pire que cela, de sa section Money !

Et pourtant il nous semble pointer du doigt une possible évolution d’Internet, celle de son éclatement sous la pression des smartphones et autres objets connectés tels ces nouvelles liseuses et tablettes dont on vante tant les futurs mérites.

Une évolution possible mais pas forcément souhaitable car c’est alors toute la neutralité du Net qui vacille puisque les trois couches qui définissent le réseau d’après Lessig se trouvent ensemble impactées.

l’iPad ou le Kindle en sont des exemples emblématiques car ce sont des ordinateurs (la couche « physique ») dont Apple et Amazon contrôlent à priori les protocoles et les applications (la couche « logique ») et peuvent filtrer à leur guise les fichiers (la couche des « contenus »).

L’article s’achève sur une note optimiste quant au HTML5 et au souci d’interopérabilité. Encore faudrait-il avoir affaire à des utilisateurs suffisamment sensibilisés sur ces questions[1].

Hier encore on nous demandait : T’es sous quel OS, Windows, Mac ou Linux ? Aujourd’hui ou tout du moins demain cela pourrait être : T’es sous quel navigateur, Firefox, Internet Explorer ou Chrome ?

Et après-demain on se retrouvera à la terrasse des cafés wi-fi, on regardera autour de nous et on constatera, peut-être un peu tard, qu’à chaque objet différent (netbook, smartphone, iPad, Kindle et leurs clones…) correspond un Internet différent !

La fin de l’Internet tel que nous le connaissons, grâce à l’iPad et aux autres

End of the Web as we know it, thanks to iPad and others

Julianne Pepitone – 3 février 2010 – CNNMoney.com
(Traduction Framalang : Martin et Goofy)

Pendant plusieurs années, l’Internet a été relativement simple : tout le monde surfait sur le même réseau.

Plus on s’avance vers 2010, plus l’idée d’un même Internet « taille unique » pour tous devient un souvenir lointain, à cause de l’arrivée de l’iPhone, du Kindle, du BlackBerry, d’Android, et bien sûr du fameux iPad.

La multiplication des gadgets mobiles allant sur Internet s’accompagne à chaque fois d’un contenu spécifique pour chaque appareil. Par exemple, l’application populaire pour mobile Tweetie permettant de se connecter à Twitter n’est disponible que pour l’iPhone, alors que l’application officielle pour Gmail ne l’est que pour Android. Et si vous achetez un e-book pour le Kindle d’Amazon, vous ne pourrez pas forcément le lire sur d’autres lecteurs électroniques.

En même temps de plus en plus de contenus en ligne sont protégés par un mot de passe, comme la plupart des comptes sur Facebok et certains articles de journaux.

C’est un Internet emmêlé qui est en train de se tisser. Simplement, le Web que nous connaissions est en train d’éclater en une multitude de fragments. C’est la fin de l’âge d’or, selon l’analyste de Forrester Research Josh Bernoff, qui a récemment formulé le terme de « éclaternet » pour décrire ce phénomène (NdT : the splinternet).

« Cela me rappelle au tout début d’Internet la bataille de fournisseurs d’accès entre AOL et CompuServe » dit Don More, du fond de capital risque Updata, une banque d’investissement conseillère dans les technologies émergentes de l’information. « Il y aura des gagnants et des perdants ».

Dans ces premiers temps du Web, les utilisateurs accédaient aux contenus en utilisant des systèmes spécifiques ; ainsi les abonnés de chez AOL ne pouvaient voir que les contenus AOL. Puis le World Wide Web est devenu une plateforme ouverte. Maintenant les appareils nomades sont à noueau en train de morceler le Web.

D’après Bernoff, « Vous ne pouvez plus recoller les morceaux, la stabilité qui a aidé le Web à prendre forme s’en est allée, et elle ne reviendra plus ».

Des angles morts

Quand les utilisateurs d’appareils mobiles choisissent d’acheter un iPhone, un Motorola avec Android, un BlackBerry ou d’autres, ils sont effectivement en train d’opter pour certains types de contenus ou au contraire d’en abandonner d’autres, puisque toutes les applications ne sont pas disponibles sur tous ces gadgets.

D’après Don More de Updata, ce phénomène est en train de mettre le contenu dans des « communautés fermés ». Les fabricants de ces appareils peuvent (et ils le font) prendre et choisir quelles applications fonctionneront avec leur machine, en rejetant celles qui pourraient être en concurrence avec leurs propre produits, ou bien celles qu’ils estiment n’être pas à la hauteur.

Par exemple, Apple a rejeté l’application Google Voice sur l’iPhone, qui aurait permis aux utilisateurs d’envoyer gratuitement des messages et d’appeler à l’étranger à faible coût.

Et les limitations ne s’arrêtent pas seulement aux applications. Une affaire d’actualité : Le nouvel iPad ne prend pas en charge le lecteur Flash d’Adobe, ce qui empêchera les utilisateurs d’accéder à de nombreux sites.

Bernoff ajoute : « bien que (cette tendance) ne soit pas nécessairement mauvaise pour les consommateurs, ils devraient prendre conscience qu’ils sont en train de faire un choix. Quoi qu’ils choisissent, certains contenus ne leur seront pas disponibles ».

Des choix difficiles

Les entreprises qui créent les applications sont maintenant confrontées à des choix difficiles. Quels appareils choisiront-elles de prendre en charge ? Combien d’argent et de temps devront-elles prendre pour que leurs contenus fonctionnent sur ces gadgets ?

Quel que soit le choix des développeurs, il leur manquera toujours une partie des consommateurs qu’ils pouvaient auparavant toucher lorsque le Web était un seul morceau.

Sam Yagan, co-fondateur du site de rencontres OKCupid.com, ajoute : « quand nous avons commencé notre projet, jamais nous avons pensé que nous aurions à faire face à un tel problème. Réécrire un programme pour un téléphone différent c’est une perte de temps, d’argent, et c’est un vrai casse-tête ».

D’après Yagan, OkCupid emploie 14 personnes, et son application pour l’iPhone a nécessité 6 mois de travail pour être développée. L’entreprise envisage de créer une application pour Android, ce qui prendra environ 2 mois.

« C’est un énorme problème de répartition des ressources, surtout pour les petites entreprises », explique Yagan, « Nous n’avons tout simplement pas assez de ressources pour mettre 5 personnes sur chaque appareil qui sort ».

Chris Fagan, co-fondateur de Froogloid, une société qui propose un comparateur pour le commerce électronique, dit que son entreprise a choisi de se spécialiser sur Android, car il marche avec plusieurs téléphones comme le Droid, Eris, ou G1.

Selon Fagan « les consommateurs sont en train de perdre des choix possibles, et les entreprises sont en train de souffrir de ces coûts supplémentaires ». Mais il ajoute que la popularité en plein essor des applications signifie que les entreprises continueront à en concevoir malgré leur coût.

Et après ?

Comme un Internet plus fragmenté devient chose courante, Bernoff de Forrester pense qu’il y aura un contrecoup : une avancée pour rendre le contenu sur mobile plus uniforme et interopérable.

La solution pourrait bien être la nouvelle version du langage Web qui arrive à point nommé, le HTML5, qui d’après Bernoff pourrait devenir un standard sur les appareils nomades dans quelques années. Par exemple, le HTML5 permet de faire fonctionner des animations sur les sites Web sans utiliser le Flash.

Mais l’arrivée de n’importe quelle nouvelle technologie déclenchera une lutte pour la contrôler. Don More de Updata s’attend à voir « une bataille sans merci entre les entreprises (pas seulement Apple et Google, mais aussi Comcast, Disney et tous ceux qui s’occupent des contenus). Que ce soit les applications, les publicités, les appareils… tout le monde est en train d’essayer de contrôler ces technologies émergentes ».

Évidemment, personne ne peut prévoir le futur du Web. Mais Bernoff est au moins sûr d’une chose.

« Nous ne connaissons pas ce que seront les tous nouveaux appareils en 2011. Mais ce qui est certain, c’est que l’Internet ne fonctionnera plus comme on l’a connu. »

Notes

[1] Crédit photo : Raúl A. (Creative Commons By)




Google, Apple et l’inexorable déclin de l’empire Microsoft

Seanmcgrath - CC byQuel est le dénominateur commun des récents évènements qui ont défrayé la chronique du Web ? L’absence de Microsoft.

On peut à juste titre critiquer Google, et son jeu du chat et de la souris avec nos données personnelles. Dernier exemple en date : Google Buzz.
On peut en faire de même avec Apple, qui prend un malin plaisir à enfermer les utilisateurs dans son écosystème. Dernier exemple en date : l’iPad.

Il n’empêche que ces deux géants innovent en permanence et se détachent chaque jour un peu plus d’un Microsoft visiblement trop lourd pour suivre le rythme[1].

C’est ce que nous rappelle Glyn Moody dans ce très intéressant article qui vient piocher dans la toute fraîche actualité des arguments de son édifiante conclusion.

Il note au passage que contrairement à Microsoft, Google (beaucoup) et Apple (avec parcimonie) utilisent des technologies open source. Ceci participe aussi à expliquer cela.

Il s’est passé quelque chose, mais où est passé Microsoft ?

Something Happened: Where’s Microsoft?

Glyn Moody – 15 février 2010 – ComputerWorld.uk
(Traduction Framalang : Goofy)

Vous en avez probablement entendu parler, la semaine dernière il y a eu tout un pataquès à propos de Google Buzz et de ses conséquences sur le respect de la vie privée. Et voici ce que Google a répondu :

Nous avons bien reçu votre réaction, cinq sur cinq, et depuis que nous avons lancé Google Buzz il y a quatre jours, nous avons travaillé 24h sur 24 pour dissiper les inquiétudes que vous avez exprimées. Aujourd’hui, nous voulons vous informer que nous avons fait ces derniers jours une quantité de modifications en tenant compte des réactions que nous avons reçues.

D’abord, l’ajout automatique des contact suivis. Avec Google Buzz, nous avons voulu faire en sorte que les premiers pas soient aussi rapides et aisés que possible, et donc nous ne voulions pas que vous ayez à reconstruire manuellement votre réseau social depuis zéro. Cependant, beaucoup de gens voulaient juste essayer Google Buzz pour voir en quoi il pouvait leur être utile, et ils n’ont pas été contents de voir qu’ils avaient déjà une liste de contacts suivis. Ce qui a soulevé une énorme vague de protestations et incité les gens à penser que Buzz affichait automatiquement et de façon publique ceux qu’ils suivaient, avant même d’avoir créé un profil.

Jeudi dernier, nous avons entendu dire que les gens trouvaient que la case à cocher pour choisir de ne pas afficher publiquement telle ou telle information était difficile à trouver, nous avons aussitôt rendu cette option nettement plus repérable. Mais ce n’était évidemment pas suffisant. Donc, à partir de cette semaine, au lieu d’un modèle autosuiveur, avec lequel Buzz vous donne automatiquement à suivre des gens avec lesquels vous échangez le plus sur le chat ou par email, nous nous orientons vers un modèle autosuggestif. Vous ne serez pas voué à suivre quiconque avant d’avoir parcouru les suggestions et cliqué sur « Suivez les contacts sélectionnés et commencez à utiliser Buzz ».

Le plus intéressant dans cette histoire c’est que 1. Google aurait pu prévoir un problème aussi évident et crucial et 2. ils ont réagi non pas une mais deux fois en quelques jours à peine. C’est ce qui s’appelle vivre à l’heure d’Internet, et démontre à quel point les choses ont changé depuis le « bon vieux temps » – disons il y a quelques années – où les erreurs pouvaient mariner plusieurs mois dans un logiciel avant qu’on prenne la peine de s’en occuper.

Mais ce n’est pas le seul évènement qui s’est produit la semaine dernière. Relativement masquée par l’excitation autour de Buzz, voici une autre annonce de Google :

Nous avons le projet de réaliser un réseau à large bande ultra-rapide dans quelques localités tests aux États-Unis. Nous fournirons un accès à Internet par fibre optique à 1 gigabit par seconde, soit cent fois plus rapide que ce que connaissent aujourd’hui la plupart des Américains connectés. Nous avons l’intention de procurer ce service à un prix concurrentiel à au moins 50 000 personnes, et potentiellement jusqu’à 500 000.

Notre objectif est d’expérimenter de nouvelles façons d’aider chacun à accéder à un Internet plus rapide et meilleur. Voici en particulier ce que nous avons en tête :

Les applications du futur : nous voulons voir ce que les développeurs et les utilisateurs peuvent faire avec des vitesses ultra-rapides, que ce soit des applications révolutionnaires ou des services utilisant beaucoup de bande passante, ou d’autres usages que nous ne pouvons même pas encore imaginer.

Nouvelles techniques de déploiement : nous testerons de nouvelles façons de construire des réseaux de fibre optique, et pour aider à l’information et au support de déploiement partout ailleurs, nous partagerons avec le monde entier les leçons que nous en aurons tirées.

Le choix et l’ouverture : nous allons organiser un réseau en « accès ouvert », qui donnera aux usagers le choix parmi de multiples prestataires de services. Et en cohérence avec nos engagements passés, nous allons gérer notre réseau d’une façon ouverte, non-discriminatoire et transparente.

Google a démarré, souvenez-vous, comme un projet expérimental sur la recherche : en arriver à déployer chez un-demi million d’utilisateurs finaux des connexions par fibre optique à 1 gigabit, voilà qui en dit long sur le chemin parcouru par Google. Tout aussi impressionnante dans le même genre, l’irruption de Google dans monde des mobiles avec Android. Là encore, le lien avec le moteur de recherche n’est peut-être pas évident à première vue, mais tout cela revient à essayer de prédire le futur en l’inventant : Google veut s’assurer que quel que soit le chemin que prendra le développement d’Internet, il sera bien placé pour en bénéficier, que ce soit par la fibre à débit ultrarapide ou par des objets intelligents et communicants que l’on glisse dans sa poche.

Google n’est pas la seule entreprise qui se réinvente elle-même en permanence. C’est peut-être Apple qui en donne l’exemple le plus frappant, c’était pourtant loin d’être prévisible il y a quelques années. Mais au lieu de disparaître, l’entreprise Apple a colonisé la niche lucrative des produits informatiques sophistiqués, en particulier les portables, et a fini par remodeler non seulement elle-même mais aussi deux marchés tout entiers.

Le premier a été celui de la musique numérique, qui se développait bien mollement sous les attaques répétées d’une industrie du disque à courte vue, qui pensait pouvoir conserver le rôle qu’elle jouait dans le monde de l’analogique, celui d’intermédiaire obligé entre les artistes et leur public. En utilisant ses pouvoirs quasi hypnotiques, Steve Jobs s’est arrangé pour faire avaler à l’industrie du disque le lot iTunes + iPod, et la musique numérique a décollé comme jamais auparavant pour toucher l’ensemble de la population.

Tout aussi significative a été la décision de Jobs d’entrer dans le monde des téléphones portables. Le iPhone a redéfini ce que devait être un smartphone aujourd’hui, et a accéléré la convergence croissante entre l’ordinateur et le téléphone. Beaucoup pensent qu’avec son iPad Apple est sur le point de transformer la publication numérique aussi radicalement qu’il a déjà bouleversé la musique numérique.

Quoi que vous pensiez de ces récents évènements, une chose est parfaitement claire : pas un seul des événements les plus excitants du monde de l’informatique – Buzz, le réseau par fibre à 1 gigabit, le iPad, Android et tout le reste – n’est venu de chez Microsoft. La façon dont Google et Apple ont complètement masqué les nouveautés de Microsoft pendant des mois est sans précédent, et je pense, représente un tournant décisif.

Parce que nous assistons à la fin du règne de Microsoft en tant que roi de l’informatique – sans fracas, mais avec un petit gémissement. Bien sûr, Microsoft ne va pas disparaître – je m’attends vraiment à ce qu’il soit là encore pour des décennies, et qu’il distribue de jolis dividendes à ses actionnaires – mais Microsoft sera tout simplement dépourvu d’intérêt dans tous les domaines-clés.

Ils se sont plantés en beauté sur le marché de la recherche en ligne ; mais, d’une façon plus générale, je ne connais pas un seul service en ligne lancé par Microsoft qui ait eu un impact quelconque. Et ça n’est pas mieux côté mobile : bien que Windows Mobile ait encore des parts de marché pour des raisons historiques, je pense que personne, nulle part, ne se lève le matin en se disant « Aujourd’hui il faut que je m’achète un Windows Mobile », comme le font manifestement les gens qui ont envie d’un iPhone d’Apple ou d’un des derniers modèles sous Android comme Droid de Motorola ou Hero de HTC (même moi j’ai acheté ce dernier modèle il y a quelques mois).

Quant au marché de la musique numérique, le Zune de Microsoft est pratiquement devenu le nom générique de la confusion électronique, tant le système est mauvais et mal-aimé. Et même dans le secteur où la part de marché de Microsoft est davantage respectable – celui des consoles de jeu – le problème de l’infâmant « cercle rouge de la mort » menace là encore de ternir sa réputation.

Tout cela nous laisse l’informatique grand public comme dernier bastion de Microsoft. Malgré des tentatives constamment renouvelées de la part des experts (dont votre serviteur) pour proclamer « l’année des ordinateurs GNU/Linux », Windows donne peu de signes qu’il lâche prise sur ce segment. Mais ce qui est devenu de plus en plus flagrant, c’est que les tâches informatisées seront menées soit à travers le navigateur (porte d’accès à l’informatique dans les nuages) soit à travers les smartphones tels que que le iPhone ou les mobiles sous Android. Les uns comme les autres rendent indifférent le choix du système d’exploitation de l’ordinateur de bureau (d’autant que Firefox tend de plus en plus à faire jeu égal avec Internet Explorer sur beaucoup de marchés nationaux), donc savoir si l’on trouve Windows ou GNU/Linux à la base de tout ça est une question vraiment sans intérêt.

Mais vous n’êtes pas obligés de me croire. Dick Brass est bien mieux placé que moi pour en parler, il a été vice-président de Microsoft de 1997 à 2004. Voici ce qu’il a écrit récemment dans le New York Times :

Microsoft est devenu empoté et peu compétitif dans l’innovation. Ses produits sont décriés, souvent injustement mais quelquefois à juste titre. Son image ne s’est jamais remise du procès pour abus de position dominante des années 90. Sa stratégie marketing est inepte depuis des années ; vous vous souvenez de 2008 quand Bill Gates s’est laissé persuader qu’il devait littéralement se trémousser face à la caméra ?

Pendant qu’Apple continue à gagner des parts de marché sur de nombreux produits, Microsoft en perd sur le navigateur Web, le micro portable haut de gamme et les smartphones. Malgré les milliards investis, sa gamme de Xbox fait au mieux jeu égal avec ses concurrents du marché des consoles de jeu. Du côté des baladeurs musicaux, ils ont d’abord ignoré le marché puis échoué à s’y implanter, jusqu’à ce qu’Apple le verrouille.

Les énormes bénéfices de Microsoft – 6,7 milliards de dollars au trimestre dernier – viennent presque entièrement de Windows et de la suite Office qui ont été développés il y a des décennies (NdT : cf ce graphique révélateur). Comme General Motors avec ses camions et ses SUV, Microsoft ne peut pas compter sur ces vénérables produits pour se maintenir à flot éternellement. Le pire de tout ça d’ailleurs, c’est que Microsoft n’est plus considéré comme une entreprise attractive pour aller y travailler. Les meilleurs et les plus brillants la quittent régulièrement.

Que s’est-il passé ? À la différence d’autres entreprises, Microsoft n’a jamais développé un authentique processus d’innovation. Certains de mes anciens collègues prétendent même qu’elle a développé en fait un processus de frein à l’innovation. Bien qu’elle dispose des laboratoires les plus vastes et les meilleurs du monde, et qu’elle se paie le luxe d’avoir non pas un mais trois directeurs de recherches technologiques, l’entreprise s’arrange habituellement pour réduire à néant les efforts de ses concepteurs les plus visionnaires.

Il y a quelque chose de profondément ironique dans cet échec à innover, parce que Microsoft n’a pas cessé d’invoquer l’innovation comme argument principal pour n’être pas frappé par la loi anti-trust aux États-Unis comme en Europe, et pour justifier notre « besoin » de brevets logiciels. La déconfiture de cette argumentation est maintenant rendue cruellement flagrante par l’échec de l’entreprise à innover dans quelque secteur que ce soit.

Je dirais que le plus grand échec à ce titre a été de refuser de reconnaître que la manière la plus rapide et la plus facile d’innover c’est de commencer à partir du travail des autres en utilisant du code open source. Le succès de Google est presque entièrement dû à son développement de logiciels libres à tous les niveaux. Ce qui a permis à l’entreprise d’innover en plongeant dans l’immense océan du code librement disponible pour l’adapter à des applications spécifiques, que ce soit pour les gigantesques datacenters épaulant la recherche, ou pour la conception d’Android pour les mobiles – dans les deux cas à partir de Linux.

Même Apple, le champion du contrôle total du produit par l’entreprise, a reconnu qu’il était cohérent d’utiliser des éléments open source – par exemple, FreeBSD et WebKit – et s’en servir comme fondation pour innover frénétiquement au dernier étage. Refuser de le reconnaître aujourd’hui est aussi aberrant que refuser d’utiliser le protocole TCP/IP pour les réseaux.

Quelque chose s’est passé – pas juste cette semaine, ni la semaine dernière, ni même durant les derniers mois, mais au cours de ces dix dernières années. Le logiciel libre s’est développé au point de devenir une puissance considérable qui influe sur tout ce qui est excitant et innovateur en informatique ; et Microsoft, l’entreprise qui a reconnu le moins volontiers son ascendant, en a payé le prix ultime qui est son déclin.

Notes

[1] Crédit photo : Seanmcgrath (Creative Commons By)




Au secours, l’Hadopi arrive en Belgique !

Yumyumbubblegum - CC byOn peut être éventuellement fiers d’exporter nos parfums et nos vins, mais certainement pas notre Hadopi !

C’est pourtant la menace qui plane en Belgique. Ce court extrait vidéo d’un récent débat télévisé de la RTBF vous rappellera en effet illico bien des souvenirs.

Pour en savoir plus nous avons recontré un membre d’une association locale qui souhaite sensibiliser et mobiliser le grand public pour éviter la contagion française.

PS : Désolé pour le choix de la photo clichée de la Belgique[1], mais ça symbolise les quatre majors du disque pissant dans les violons des artistes 😉

Entretien avec André Loconte du collectif NURPA

Bonjour, pouvez-vous vous présenter succinctement ?

André Loconte, belge, étudiant ingénieur, politiquement orienté vers le logiciel libre, développeur et fervent défenseur de l’accessibilité du Web et de la neutralité du Net. Mes connaissances techniques liées à l’informatique sont issues principalement (pour ne pas dire « exclusivement ») du Net.

Je suis l’un des trois co-fondateurs de NURPA (avec Laurent Peuch et Frédéric Van Der Essen).

Qu’est ce que NURPA ? (et pourquoi un acronyme anglophone dans un pays qui a déjà trois autres langues officielles ?)

Nous sommes un collectif hétéroclite constitué initialement d’étudiants (sciences informatiques, ingénieurs, ..) bercés dans la culture du libre mais qui s’est très vite complété de citoyens de tous horizons professionnels, concernés par les problèmes que l’application de lois telles que celle proposée par le sénateur Philippe Monfils (Proposition de loi visant à promouvoir la création culturelle sur Internet) serait susceptible d’engendrer. Deux des co-fondateurs ont contribué (et contribuent toujours) chacun à leur manière aux débats qui font rage en France.

La Net Users’ Rights Protecion Association (trad. Association de protection des droits des internautes) est la réponse collective de citoyens amoureux du Net et de leurs libertés, décidés à ne brader ni l’un ni l’autre au prétexte qu’un gouvernement flexible au poids des industries du divertissement tente d’imposer subrepticement une surveillance généralisée du Net. Si l’on écarte une hypothétique pression des lobbys, il est évident que nos politiques ont un retard considérable dans l’appréhension d’Internet et dans la compréhension de sa complexité. C’est donc avant tout dans une démarche pédagogique forte que s’inscrit NURPA : (in)former pour éviter de voir se reproduire en Belgique les erreurs qui ont conduit à la promulgation d’HADOPI en France (et qui ont poussé les députés à aller plus loin dans l’absurde avec HADOPI2, LOPPSI…).

En observateurs avisés des déboires français et du contexte européen, nous craignons que cet HADOPI à la belge ne soit qu’un cheval de Troie, le calme avant la tempête. L’ombre d’ACTA plane. Nous ne nous positionnons pas comme collectif uniquement contre l’HADOPI de Monfils, nous sommes évidemment contre cette loi, mais le débat ne s’arrête pas là.

Dans un pays qui possède trois langues officielles (l’allemand, le néerlandais et le français), l’utilisation de l’anglais pour la formation du nom, in fine de l’acronyme, a été pour nous une manière de passer outre cette indéniable barrière linguistique. Il nous a semblé que l’anglais était le meilleur choix pour garantir que notre but soit compris de tous.

Voici donc que la Belgique nous propose par l’entremise du sénateur Philippe Monfils son « Hadopi locale » baptisée tendancieusement « Proposition de loi visant à promouvoir la création culturelle sur Internet ». Pouvez-vous nous en dire plus ? Quelles sont les similarités et différences par rapport à la loi française ?

Le sénateur Monfils, qui a déclaré « la culture gratuite, ça n’existe pas » (lors de l’émission InterMedia de la RTBF du 25 janvier 2010), explique que des systèmes de juste rémunération des artistes et de contrôle du Net ont fait leur preuve ailleurs et cite sans scrupule, .. HADOPI en France (page 5, paragraphe 5 de sa proposition de loi). Signe évident selon nous d’une part, de sa méconnaissance du contexte qui a entouré la promulgation du texte de loi non seulement dans l’hexagone mais également au niveau européen; d’autre part, de la nature inapplicable de la loi française.

Le texte belge est une version édulcorée de l’HADOPI français, on y retrouve d’ailleurs les erreurs de jeunesse d’HADOPI :

  • Pas de Haute Autorité de Contrôle mais des agents commissionnés par le ministère de l’économie : des agents qui ont un pouvoir d’investigation a priori illimité (car non-défini dans la proposition de loi), qui constatent les infractions et qui décident des sanctions.
  • Pas de mouchard mais une collaboration des FAI : les FAI (Fournisseurs d’Accès à Internet) auront l’obligation juridique de fournir toutes les informations nécessaires pour l’association d’une personne physique à une adresse IP. Actuellement, obtenir ce type d’information nécessite l’ordonnance d’un juge, ce qui garantit le respect de la vie privée et limite les dérapages.

    Une différence importante par rapport au dispositif français qui pénalise le titulaire de la ligne en cas de défaut de sécurisation, le texte belge ne prévoit de peine que pour le titulaire qui télécharge illégalement du contenu soumis au droits d’auteur ou droits voisins sur sa propre ligne. On imagine aisément l’immense difficulté de prouver qu’il s’agit effectivement du titulaire qui s’est rendu coupable de téléchargements illégaux sur sa propre ligne.

  • Double peine : le paiement de l’abonnement à Internet dans sa totalité est d’application même si celui-ci a été suspendu pour raison de téléchargement illégal.
  • Théoriquement pas de coupure de la ligne mais un bridage du débit : « en théorie » car bien que cela semble être l’argument clé de Philippe Monfils, sa proposition de loi ne manque pas de préciser que la coupure serait tout à fait envisageable en cas de multiple récidive. Bridage du débit, c’est à dire : diminuer la vitesse de transfert de telle sorte que l’internaute puisse continuer à chercher du travail et à consulter ses mails (sic).

    On conçoit un peu mieux la qualité de ce texte quand on sait qu’un débit suffisant à la consultation de mail et à la recherche d’emploi est également suffisant au téléchargement de la plupart des fichiers (moins rapidement certes). Ne parlons même pas des mises à jour de sécurité qui vont devenir pénible à obtenir et toutes les conséquences fâcheuses que cela risquerait d’entraîner.

    Lors d’une coupure (en cas de récidive après le bridage), quid du téléchargement légal ? L’internaute qui verrait sa ligne coupée serait en effet dans l’incapacité d’acheter du contenu légalement en ligne. A cela s’ajoute la décision du 10 juin 2009 du Conseil Constitutionnel français qui présente Internet comme une composante de la liberté d’expression et de consommation nécessaire à l’exercice la liberté d’expression et de consommation tel que décrit dans l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme de 1789.

  • Enfin, le texte qui trouve sa justification dans la juste rémunération des artistes, ne contient pas une ligne à leur propos.

L’Hadopi est certes passée en France mais modifiée par rapport au texte initial (et non encore appliquée). Et puis « nous » avons coutume de dire que c’est une victoire à la Pyrrhus car « nous » avons gagné au passage la bataille de la médiatisation et des idées. Comment alors selon vous peut-elle encore servir d’exemple à d’autres pays ?

Je soulevais la question plus haut : profonde méconnaissance du dossier, incompétence technique, influence des lobbys du divertissement ? Probablement un savant mélange des trois.

Et pour citer un certain Jérémie Zimmerman (reprenant Michel Audiard) : « Les cons ça osent tout, c’est à ça qu’on les reconnaît ».

D’autres sénateurs (écologistes je crois) ont rédigé une proposition de loi visant à instaurer quelque chose qui ressembe à une « licence globale ». Approuvez-vous cette initiative ? A-t-elle une chance d’être comprise et entendue par les politiques en particulier et la société belge en générale ?

Cette idée de licence globale est en effet portée par Ecolo (à travers Benoit Hellings) et n’a pas encore été déposée. Il nous est donc impossible de nous prononcer précisément à son sujet. Les interventions télévisuelles de Benoit Hellings permettent cependant de dresser un rapide état des lieux : il semble que cette licence globale soit largement inspirée du livre de Philippe Aigrain « Internet & Création. Comment reconnaître les échanges hors-marché sur internet en finançant et rémunérant la création ? » (sic); que la contribution de l’internaute serait répercutée directement dans le prix de l’abonnement (sans sur-coût); que la grille de répartition des biens aux artistes serait semblable à celle actuellement en usage par la SABAM (NDLR : la SACEM locale). Il est évoqué également la possibilité de création d’un organisme indépendant chargé d’établir des statistiques sur les téléchargements sur base d’enquêtes anonymes.

Sans chercher à créer la polémique avant même que la proposition de loi d’Ecolo ne soit déposée, nous relevons déjà plusieurs points qui à n’en pas douter seraient problématiques s’ils étaient introduits dans la proposition de loi :

  • Je parlais de contribution directement répercutée dans le prix de l’abonnement, Benoit Heillings va plus loin : il suggère une retarification des connexions au Net selon le critère du téléchargement, en d’autres termes les « gros téléchargeurs » bénéficieraient, pour des tarifs semblables à ceux pratiqués actuellement, de vitesses de connexion plus élevées et d’une capacité de téléchargement supérieure (illimitée ?); les autres, pour un tarif plus modeste, de vitesses de connexion réduites et de capacité de téléchargement inférieure (permettant uniquement la consultation des mails et la recherche d’emploi). De notre point de vue, cette vision bipolaire du comportement des internautes (soit il télécharge, soit il ne télécharge pas du tout) traduit une fois de plus une méconnaissance profonde d’Internet et de ses usages.

    Ce n’est pas la première fois que le gouvernement belge est pris à défaut sur cette problématique, on se rappellera le courrier adressé par Microsoft au Ministre fédéral des télécommunications à propos des quotas de téléchargement en application en Belgique qui empêcheraient la firme de Redmond de déployer son service de VOD.

  • Ensuite, l’utilisation de la grille de répartition – déjà obsolète – de la SABAM ne permettrait en rien une meilleure rémunération des artistes.
  • Enfin, nous voyons d’un oeil méfiant la création d’un organisme indépendant, ô combien respectueux de l’anonymat soit-t-il. A quel niveau et de quelle manière s’effectuerait l’analyse des échanges ? Qui s’assurait que cet organisme respecte le cadre de ses attributions, la vie privée des internautes ? Quels moyens cet organisme serait-il capable de mettre en place afin d’observer les échanges via les VPN ou dans les Darknet ?

Nous n’hésiterions pas à leur faire part de ces remarques si nos craintes s’avéraient fondées à la lecture du projet de loi.

NURPA est-elle la seule structure belge à s’opposer ? Quelles sont les forces en présence ? Etes-vous en contact avec, par exemple, La Quadrature du Net ? Et quelles sont vos relations avec le tout jeune Parti Pirate belge ?

NURPA n’est heureusement pas la seule association que cette proposition de loi révolte. Citons par exemple « HADOPI mayonnaise » qui partage de nombreux points d’accord avec notre vision et avec qui nous collaborerons bientôt.

Quant aux forces en présence, le système de majorité étant différent en Belgique et en France, c’est avec la proposition Ecolo et la proposition annoncée du PS que les débats parlementaires se dérouleront. Contrairement à la situation qu’a connu la France avec l’UMP, la possibilité pour le Mouvement Réformateur (dont est issu P. Monfils) de faire passer sa loi de force est rendue complexe (pour ne pas dire impossible) tant la répartition des sièges à la Chambre et au Sénat est panachée.

Nous avons eu il y a quelques semaines, des échanges avec Jeremy Zimmerman, il nous a prodigué – fort de son expérience avec La Quadrature du Net – de précieux conseils d’ordre organisationnel. Des actions coordonnées pourraient être envisagées mais ne sont pas d’actualité.

Nous avons contacté le Parti Pirate belge afin de recueillir leur avis concernant la proposition de loi du sénateur MR. Notre interlocuteur (Germain Cabot) a manifesté un réel intérêt pour la question et nous a informé que le PP belge dressait un état des initiatives citoyennes afin d’envisager des collaborations. Le Parti Pirate belge fait les frais de sa jeunesse politique (création en juillet 2009), ne disposant pas de siège parlementaire, il verra son rôle limité à celui de commentateur sans avoir l’opportunité d’apporter un réel contre-poids politique.

Nous tenons à conserver une indépendance politique certaine, nos rapports au PP belge ne seront pas différents de ceux envers les autres partis politiques.

Quelles sont les échéances et quels moyens d’action envisagez-vous ?

Il n’y a pour l’instant pas d’échéances précises, en Belgique, un projet de loi met habituellement une année à passer à travers les rouages parlementaires. Bien que le projet de loi de P. Monfils ait été déposé, celui-ci est en cours de correction et de traduction. ECOLO n’a pas encore publié le leur et le PS s’en tient à des déclarations d’intention sans plus de précisions. Cela ne nous dispense pas de faire preuve de vigilence dès à présent, c’est un combat de longue haleine qui nous attend.

Nous allons principalement nous concentrer sur l’information et la sensibilisation de l’opinion publique et politique à ce sujet au travers d’analyses, de dossiers et de communiqués de presses, de rencontres et d’actions sur le terrain.

Nous avons, dès les premiers jours, mis à disposition un wiki afin d’asseoir l’aspect communautaire prépondérant de notre action.

Inspiré par le modèle de La Quadrature du Net, nous comptons également attirer les projecteurs des médias pour éviter que cette proposition de loi et les débats qui l’entourent soient passés sous silence.

Au delà d’Hadopi, vous dites être également sensible à des sujets comme le filtrage du Net ou la taxe sur la copie privée. En France on est actuellement mobilisé sur le front de la loi Loppsi et les cachotteries de l’Acta. Les libertés numériques dans leur ensemble sont-elles menacées ?

Lorsque l’on constate l’inconscience et l’incompétence avec laquelle les libertés numériques sont abordées par les politiques, on ne peut que craindre pour la pérennité de celles-ci. C’est pourquoi nous nous faisons un devoir d’éduquer et de sensibiliser les politiques à ces sujets.

Nous craignons que cet « HADOPI à la belge » soit le précédent nécessaire et suffisant à l’émergence d’autres lois plus pernicieuses encore. Je le disais en préambule, nous partons avec l’avance non négligeable que sont les enseignements tirés de l’expérience française.

Nous ferons ce qui est en notre pouvoir afin de nous assurer que ce projet de loi ne soit jamais promulgué et que LOPPSI et consorts demeurent le fait de l’exception française.

Brel disait « Je préfère les hommes qui donnent à ceux qui expliquent ».

La connaissance est parfois tout ce que l’on a à offrir. Tant qu’à la partager, autant que cela se fasse sous licence libre.

Que ferait le Grand Jacques aujourd’hui, il s’enfuirait aux Marquises ou résisterait debout ?

Il chanterait.

Pour NURPA, André Loconte

Notes

[1] Crédit photo : Yumyumbubblegum (Creative Commons By)




Libres extraits du rapport Fourgous sur la modernisation de l’école par le numérique

One Laptop Per Child - CC byLa « culture libre » va-t-elle enfin être reconnue, soutenue et encouragée à l’école française ?

Si vous êtes un lecteur régulier du Framablog, vous n’ignorez pas que c’est une question qui nous taraude depuis plusieurs années (sachant que patience et longueur de temps font plus que force ni que rage).

Or on tient peut-être un début de réponse positive avec le rapport de la mission parlementaire du député Jean-Michel Fourgous sur la modernisation de l’école par le numérique. Sous l’égide d’un autre politique issu du monde de l’industrie, le ministre Luc Chatel, ce rapport ambitieux a pour titre Réussir l’école numérique et il a été remis aujourd’hui même à François Fillon.

70 mesures réparties en 12 priorités dans un document de 333 pages, le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’ont pas chômé. Enseignant, étudiant[1], parent d’élèves ou simple citoyen curieux de l’avenir du système éducatif dans la société actuelle de l’information et de la communication, je vous invite à le parcourir à votre tour car il y a beaucoup de choses intéressantes dans ce rapport, que l’on soit ou non d’accord avec les analyses, les constats et les pistes de propositions.

En attendant je me suis permis d’en extraire ci-dessous les quelques trop rares passages concernant plus ou moins directement la ligne éditoriale de ce blog. Parce quand bien même ce soit peut-être, ou sûrement, trop timide (est-ce volontaire ?), j’y vois quand même une avancée significative pour le « Libre à l’école » (expression valise que j’avais tenté de synthétiser dans un court article pour une brochure Sésamath).

Des passages dont ne parlent ni la dépêche AFP (et à sa suite tous les grands médias) ni le Café pédagogique (mais ça on sait pourquoi),

On notera que dans le cadre de la consultation préalable, l’April avait envoyé une lettre détaillée et argumentée à Jean-Michel Fourgous. Ceci participant certainement à expliquer cela.

Enfin n’oublions pas qu’un rapport parlementaire n’est qu’un document de travail qui n’augure en rien des décisions qui seront effectivement prises par le gouvernement. Sans compter, comme le souligne cette fois-ci le Café Pédagogique, qu’une « évolution de cette ampleur nécessite une école en paix, est-ce envisageable si l’austérité vient chaque année dégrader la situation scolaire ? »

Libres extraits du rapport Fourgous

URL d’origine du document

Page 29

Grâce aux wikis les contenus sont élaborés de façon collaborative. L’encyclopédie en ligne Wikipedia, les wikilivres (création de ressources pédagogiques libres) ou encore les wikicommons (banque de fichiers multimédias) traduisent la naissance de ce que Pierre Lévy appelle une « intelligence collective » où l’internaute passif, simple « récepteur », est devenu un « webacteur », un « élaborateur » de contenus.

Tiens, Wikipédia et quelques autres projets Wikimédia ont droit de cité. Un peu plus loin, page 141, il sera dit que 40% des « digital natives » consultent l’encyclopédie. Et surtout, le rapport ne craint pas de proposer des liens directs vers ses articles lorsqu’il s’agit d’expliciter certains termes (exemples : Machine to machine, Réalité augmentée, Modèle danois, Littératie, Échec scolaire, Ingénieur pédagogique ou encore Livre électronique). Une telle légitimité officielle est à ma connaissance une grande première dans le secteur éducatif. Serions-nous définitivement en route vers la réconciliation ?

Une note (un peu confuse) est collée aux ressources pédagogiques libres avec un lien Educnet :

Les contenus libres trouvent leurs origines dans le concept de copyleft (en opposition au monopole d’exploitation reconnu par le copyright et le droit d’auteur) né avec les premiers logiciels dit libres car leurs utilisations, copies, redistributions ou modifications étaient laissées au libre arbitre de leurs utilisateurs. L’accès au code source était libre (open source). Cette philosophie du partage et de la promotion du savoir et de sa diffusion s’est propagée ensuite à toutes les formes de créations numériques.

Page 234

Un paragraphe entier est consacré à des pratiques dont je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi on ne veut pas faire ou voir le lien avec la culture du logiciel libre.

Vers de nouvelles pratiques coopératives et collaboratives

« J’ai amélioré ma pratique enseignante parce que je l’ai enrichie de l’expérience de tous les autres »

Cette citation me parle.

Est ensuite fait mention des associations d’enseignants, en distinguant dans cet ordre mutualisation, coopération et collaboration (cf ces dessins).

Il n’est pas anodin de remarquer que l’association la plus avancée dans la collaboration, Sésamath pour ne pas la nommer, a depuis longtemps adopté les licences libres aussi bien pour ses logiciels que pour ses contenus. Il y a corrélation, mais le rapport ne le dira pas.

Le travail d’équipe est, de manière traditionnelle, peu pratiqué et non valorisé sur le plan professionnel. L’organisation des établissements et du service des enseignants ne le facilite d’ailleurs d’aucune manière. L’arrivée de l’Internet et des modèles de travail coopératif ou collaboratif bouleversent les habitudes.

En France, des associations toujours plus nombreuses (Sésamaths, WebLettres, Clionautes…) regroupent des enseignants qui mutualisent leurs supports pédagogiques. La mutualisation correspond à la mise en commun et à l’échange de documents personnels. Dans le travail coopératif chaque participant assume une tâche propre au sein d’un projet donné et dans le travail collaboratif, chaque tâche est assumée collectivement. Ainsi, si Clio-collège est un site de mutualisation, Mathenpoche un exemple de travail coopératif, les manuels Sésamaths sont un bon exemple de travail collaboratif.

(…) La mutualisation arrive officiellement dans les académies : dans celle de Versailles, un site, destiné à recueillir les ressources utilisées par les enseignants sur les tableaux numériques interactifs, a été créé. Les enseignants peuvent y partager les fichiers qu’ils réalisent. En attendant, l’interopérabilité de l’outil, les ressources sont réparties selon les marques de TNI.

C’est l’une des rares fois où l’interopérabilité est évoquée dans le rapport. Un gouvernement responsable n’est pas forcément obligé « d’attendre l’interopérabilité ». Il peut la suggérer fortement, voire l’inclure systématiquement dans ses cahiers des charges.

Les échanges et la communication permettent d’aboutir à une production collégiale finale riche et cohérente et les documents numériques deviennent accessibles et téléchargeables par l’ensemble de la communauté éducative.

(…) Le travail collaboratif prend le pas sur la coopération, comme en témoigne l’évolution depuis quelques mois des associations WebLettres et Clionautes vers ce mode de fonctionnement. Internet permet ainsi de faire évoluer la culture enseignante du « chacun pour soi » vers un travail en équipe.

Les associations Weblettres et Clionautes se dirigent donc vers la collaboration. Ma main à couper qu’elles rencontreront les outils et licences libres en chemin.

Page 267

Un passage important dont le titre est à la fois erroné (« libres de droit ») et peu téméraire (« quelques » avantages) :

Les ressources libres de droit offrent quelques avantages pédagogiques

Quant au corps du paragraphe il a le grand mérite d’exister (Jean-Pierre Archambault est cité dans la note de bas de page) :


Le logiciel libre (gratuit) est mis à disposition des utilisateurs qui peuvent à loisir le modifier ou l’adapter avec pour obligation de le mettre à leur tour à la disposition de tous. Cette technique du « don » permet de générer de la valeur, enrichissant le produit, des compétences et des idées de chacun. Le plus célèbre de tous les logiciels libres est sans conteste le système d’exploitation « Linux » et la suite « Open office » qui se placent en concurrents respectivement de Windows et du pack Office de Microsoft. On peut citer également « Gimp », pendant de Photoshop, le navigateur « Firefox »…

L’entrée du logiciel libre dans l’Éducation nationale s’est réalisée à la suite d’un accord cadre conclu en 1998 avec l’Aful (Association française des utilisateurs de Linux et des logiciels libres).

L’idée de partage et de gratuité a séduit le monde enseignant, mais changer d’environnement de travail nécessite du temps et de la formation.

Certes. Mais se borne-t-on à le constater ou bien agit-on en conséquence comme le Canton de Genève ?

Les avantages pour les élèves sont importants, notamment pour la lutte contre la fracture numérique : l’élève peut en effet télécharger le logiciel gratuitement à son domicile sans aucune difficulté ; en apprenant à utiliser des fonctionnalités plus que des outils, le libre habitue les élèves à la pluralité, à la diversité ; il permet d’entrer dans le programme informatique, de le comprendre voire de le modifier (pour les plus férus d’informatique) : les avantages pédagogiques sont donc plus nombreux.

Cela fait plaisir à lire.

Et pourtant un sentiment mitigé prédomine puisqu’une fois ceci exposé on n’en reparlera plus dans tout le rapport. C’est plus que dommage que dans les 70 mesures préconisées, le logiciel libre n’ait pas fait l’objet d’une mesure à part entière.

Page 274

L’offre libre a peu à peu pénétré le système éducatif : en effet, l’idée de partage et de gratuité (permettant à l’élève de télécharger le logiciel gratuitement à son domicile) a séduit le monde enseignant, de même que l’offre émanant des enseignants eux-mêmes : la collaboration dans le but d’élaborer des ressources adaptées à leurs attentes, remporte un franc succès auprès du monde éducatif. La vocation du métier d’enseignant sera donc sûrement d’évoluer vers plus d’élaborations de ressources, plus de créations, de passer d’un travail solitaire à un travail d’équipe.

Cela séduit le monde enseignant. Mais cela séduit-il le rapport ? Cela n’est pas très clair et ne séduira alors pas forcément le gouvernement.


Page 292

Un long extrait tout à fait pertinent :

Une liberté pédagogique freinée

L’autre problème majeur reste les ressources mises à disposition de l’enseignant afin de préparer son cours : dans l’idéal, la technologie le permettant, chacun s’accorde à penser que les enseignants du XXIe siècle devraient pouvoir trouver sur la toile, toutes les ressources numériques, toute la documentation, toute l’aide qu’ils seraient en droit d’utiliser dans le cadre de leur enseignement.

Pourtant, les droits d’auteur les en empêchent et certains documents qui leur semblent pertinents pour illustrer leurs cours ne leur sont pas accessibles, sauf à se mettre hors la loi.

Ce que font tous les jours des milliers d’enseignants.

En ce temps d’Hadopi, que l’on n’a de cesse de présenter comme une loi « favorisant la création », c’est tout de même intéressant de remarquer qu’ici c’est le rôle castrateur des droits d’auteur qui est mis en exergue. Sans compter que…

Des solutions commencent à apparaître et se révèlent être un appui sérieux pour le travail collaboratif. Les licences creative commons (organisation née en 2001) sont ainsi un début de réponse, de même qu’en sont les cours en ligne sous licences libres proposés par les universités. Creative Commons propose gratuitement des contrats flexibles de droit d’auteur pour diffusions des créations. Ces « autorisations » permettent aux titulaires de droits d’autoriser le public à effectuer certaines utilisations, tout en ayant la possibilité de réserver les exploitations commerciales, les œuvres dérivées ou le degré de liberté (au sens du logiciel libre). Ces contrats peuvent être utilisés pour tout type de création : texte, film, photo, musique, site web… Les enseignants devraient ainsi être incités à partager leurs travaux en protégeant ceux-ci par l’emploi de licences de libre diffusion du type Creative CommonsBySA, GNU Free Documentation License ou Licence Art Libre…

Merci de l’évoquer. Ouf, c’en est fini du temps où l’on criait dans le désert. Mais que ce fut long !

Il y a une note, un peu étrange, concernant les Creative Commons (et Benoît Sibaud, l’excellent mais désormais ex-président de l’April, est cité) :

Creative Commons : Liberté de reproduire, distribuer et communiquer cette création au public, selon les conditions by-nc-sa (paternité, pas d’utilisation commerciale, partage des conditions à l’identique).

Et arrive alors le serpent de mer de « l’exception pédagogique » :

Cependant, beaucoup de ressources n’étant pas sous le « logo » creative commons, les enseignants sont freinés dans leurs pratiques et leur pédagogie (impossibilité de reprendre une publicité ou une photo afin de l’exploiter, de la disséquer pour mieux la comprendre…). L’exception pédagogique, déjà présente dans différents pays s’impose, notamment si on veut éduquer les enfants aux médias numériques et à l’impact de l’image.

Ce n’est pas gagné. Si vous avez cinq minutes, allez jeter un coup d’œil au tout récent Bulletin officiel n° 5 du 4 février 2010 concernant la propriété intellectuelle (partie 1 et 2). Pourquoi faire simple quand on peut faire tellement compliqué que cela en devient totalement incompréhensible !

Toujours est-il que contrairement au logiciel, on a droit à deux mesures bienvenues (dont une « en urgence ») :

Mesure 14 : Créer en urgence, dans le système juridique du droit d’auteur, une exception pédagogique facilitatrice et durable.

Mesure 23 : Favoriser le développement de ressources « libres » et la mise à disposition de ressources non payantes.

Restons sur cette note optimiste pour clore nos morceaux choisis. La balle est désormais dans le camp du législateur.

Pour lire le rapport dans son intégralité

Notes

[1] Crédit photo : One Laptop Per Child (Creative Commons By)