Mon courrier sécurisé ? — C’est dans la boîte !

Ne plus dépendre de Gmail, Yahoo ou Outlook.com, ne plus avoir toutes ses conversations stockées et centralisées sur les serveurs des géants du web étasunien… C’est un peu le Graal des Dupuis-Morizeau.

Mais comment faire, lorsqu’on a peu de connaissances en informatique, pour avoir une boite email vraiment indépendante et pouvoir chiffrer ses échanges ?

Les barbu-e-s du logiciel libre le savent, la solution la plus sensée réside dans l’auto-hébergement, et c’est souvent complexe à mettre en place.

Mais des solutions innovantes, à base de logiciel et de matériel libre, naissent pour aider notre famille témoin à reprendre le contrôle de leurs emails sans se fouler le clavier.

Aujourd’hui, nous interrogeons Pierre Parent, co fondateur de Own-Mailbox : un petit boîtier qui pourrait bien être une solution simple, respectueuse et efficace pour tous les Dupuis-Morizeau qui nous entourent.

Découvrez la Own-Mailbox en cliquant sur l'image
Découvrez la Own-Mailbox en cliquant sur l’image

Salut, tu peux expliquer d’où vient le projet, tout ça ? Les membres sont, cocorico, français ?

Salut,

Donc tout d’abord, je me présente : Pierre Parent, cofondateur de Own-Mailbox.

Le projet a pour origine tout d’abord mon engagement et mon attachement au logiciel libre et à la vie privée sur Internet.
J’ai découvert les logiciels libres en 2007 grâce à un professeur de l’Insa de Rouen où j’ai fait mes études.

Le projet a aussi pour origine ma volonté de me libérer du travail subordonné et donc salarié. J’ai cette pulsion de liberté qui me pousse à rêver de pouvoir travailler librement sur des choses que je juge moi-même bonnes pour le monde et pour les autres ; ou à défaut, a minima obéir à des décisions collectives et démocratiques auxquelles j’aurai moi-même pris part.

Dès lors, de nombreuses idées de produit pouvant permettre le lancement d’une création d’entreprise me sont venues.
Own-Mailbox a été la plus consistante. J’ai donc continué dans cette cette voie pour améliorer l’idée et aller plus loin.

Romain Kornig, un ami de l’Insa de Rouen, a tout de suite été très enthousiaste quand je lui ai parlé de l’idée de Own-Mailbox,

Un peu plus tard quand le projet a commencé à prendre forme et que j’ai senti que cela pouvait déboucher sur quelque chose de sérieux, je me suis rendu compte que je ne pouvais faire ce projet tout seul. J’ai proposé à Romain de me rejoindre, et il a tout de suite dit oui !

Nous avons fondé tous les deux la boite (sans jeux de mots !) à Rennes.

Own-Mailbox, c’est un boîtier qu’on met entre Internet et sa machine ?

Non. Own-Mailbox, c’est un tout petit serveur mail que l’on branche chez soi, qui se configure automatiquement, et qui devient alors accessible depuis partout dans le monde. On peut alors y accéder via un webmail (HTTPS) ou en IMAPS, depuis chez soi, mais aussi depuis partout dans le monde. Le serveur permet de chiffrer les emails de manière très simple, afin d’éviter d’être espionné.

Own-Mailbox remplace un peu les serveurs de Gmail, mais en tout petit, chez soi, et hors de portée de la NSA.

Et comment ça se branche, ce boîtier, il faut une prise spéciale ? Et une fois le truc branché, mon ordinateur va le reconnaître tout de suite ou bien il y a un logiciel à installer, des paramètres à régler, une authentification à opérer, etc. ?

C’est très simple. On branche un câble Ethernet entre la Own-Mailbox et sa box internet, et on la relie au secteur via le transformateur fourni. Voilà.

Aucun logiciel supplémentaire n’est nécessaire, on accède à la Own-Mailbox via un navigateur web (comme Firefox) ou un client mail (comme Thunderbird)

Ça veut dire qu’il faut se promener partout avec ?

Non, la Own-Mailbox doit rester chez vous.

Je te préviens, s’il faut que je me mette à Linux et à la ligne de commande, compte pas sur moi.

Pas du tout, c’est très simple, comme tu peux le voir notre vidéo de démonstration (en anglais) :


Vidéo « Own-Mailbox »

Par les temps qui courent, on comprend bien l’intérêt de protéger sa correspondance, mais ça ne rend pas les choses un peu compliquées ? Notre famille-test, les Dupuis-Morizeau, ils vont s’en sortir ?

Own-Mailbox est précisément conçue pour rendre le chiffrement et l’auto-hébergement accessibles à tous. Nous nous assurons qu’à aucun moment l’utilisation d’une Own-Mailbox ne demande une quelconque compétence technique.

En revanche la question serait plutôt : est-ce que notre famille-test va accorder assez d »importance à la vie privée pour investir le minimum (temps et argent) nécessaire à sa défense ? Je ne connais pas encore la réponse…

Pourquoi les gens qui s’y connaissent me cassent les pieds avec la différence entre « chiffrer » et « crypter ». Ça ne veut pas dire « rendre illisible » dans les deux cas ?

Ha ha! Il y a quelques années je disais tous le temps « encrypter » jusqu’à ce que l’on me reproche tellement, et que l’on me dise que ça n’est pas français, que j’ai commencer à dire « chiffrer ».

Explique plus doucement, je n’y comprends rien. Ces histoires de clé privée / clé publique. Je ne sais jamais si je publie la bonne… Et si je l’efface par mégarde, ma clé, je ne pourrai plus lire mes vieux mails ?

Bon à mon avis il faut publier la clef… publique ! Après je ne suis pas sûr sûr… 😉

Plus sérieusement Own-Mailbox publiera pour toi la clef publique donc pas besoin de t’embêter avec ça !

Avec Own-Mailbox tu ne pourras pas effacer ta clef par erreur, à moins d’avoir les compétences techniques nécessaires (console linux, ssh, etc.)

Si ça n’est pas le cas, ou si tu ne bidouilles pas ta Own-Mailbox, tu n’as rien a craindre ! 😉

C’est vraiment sûr et garanti, le chiffrage ? Nan, passque quitte à se faire suer, autant que ça marche, hein… La NSA, elle peut peut-être lire quand même ? On peut le pirater, ce boîtier ?

Le chiffrement de Own-Mailbox se base sur des logiciels libres reconnus, testés et éprouvés depuis des années (la technologie GPG).

Eux-mêmes reposent sur des algorithmes mathématiques qui rendent le déchiffrement par des tiers tellement coûteux en temps de calcul qu’il paraît impossible.

Edward Snowden a fait confiance à ces logiciels à des moments où sa vie était en jeu.

Après, un bug est toujours possible, mais le code des logiciels de chiffrement étant ouvert il est constamment relu par de nombreuses personnes ce qui réduit le risque de bug, et le cas échéant réduit le délai avant qu’il ne soit corrigé.

Soutenez Own-Mailbox et précommandez la vôtre en cliquant sur l'image
Soutenez Own-Mailbox et précommandez la vôtre en cliquant sur l’image

Il va falloir que je retienne un mot de passe de vingt caractères, avec des chiffres et des caractères spéciaux ? Pfou !

Non, avec la Own-Mailbox un mot de passe de 10 caractères est sûr.

Des mesures sont prises de manière à ce que l’interface de connexion ne puisse être piratée avec un mot de passe de 10 caractères

(Empêcher le brute force, voir notre FAQ).

Comment dialoguer avec un-e correspondant-e qui ne chiffre pas ses mails ? Comment ille fait pour lire ce que je lui écris ?

Alors soit ce que tu veux lui envoyer n’est pas confidentiel, et tu as toujours la possibilité de le lui envoyer en clair.
Soit tu veux lui envoyer un message confidentiel, eh bien nous avons conçu un système basé sur un lien HTTPS, en le cliquant la personne destinataire du message pourra le visualiser ton message sans risque d’être espionnée.

Une dernière solution est aussi de la convaincre de commencer à chiffrer ses emails et/ou utiliser une Own-Mailbox !

Et si j’écris à quelqu’un-e qui utilise une boite mail fournie par Google ou Microsoft, ça sert à quelque chose de chiffrer ?

Oui, le principe du chiffrement est justement que les intermédiaires (Google ou Microsoft), ne peuvent pas déchiffrer le contenu, seul le destinataire le peut.

Je vois dans la partie « Fonctionnalités » du site web l’annonce suivante : « Integrated Framasoft services, to provide you with private large file sharing, event scheduling, shared spreadsheet and documents. », ça veut dire quoi ?

Cela veut dire que l’on planifie d’ajouter de manière pré-installé sur notre boîtier, une partie des services proposées par Framasoft pour « dégoogliser » Internet( http://degooglisons-internet.org/liste/ ) afin de fournir des services connexes aux mails tel que le partage de gros fichier, les tableurs partagés, l’organisation de réunions, le tout de manière totalement confidentielle.

Vous aussi, vous vous lancez dans le crowdfunding ? Forcément, on vous imagine mal demander des subventions au Ministère de l’Intérieur. 🙂

Pour que Own-Mailbox puisse être utilisable par tous il faut qu’elle soit « All-In-The-Box » et « Plug-And-Play ». Cela implique que nous
produisions des boîtiers physiques pré-configurées.

Nous ne pouvons évidement pas financer de notre poche les premières séries de production, et les banques et autres investisseurs traditionnels ont du mal à se projeter dans ce type de projet un peu hors-système.

Le crowdfunding paraît donc la solution optimale pour ce type de projet, et vous retrouverez notre campagne ici, sur kickstarter.

N’hésitez pas à participer, la campagne ne dure que jusqu’au 5 Octobre 2015.

L’étape d’après, c’est quoi ?

Alors tout d’abord l’étape la plus importante, c’est de livrer les Own-Mailbox aux contributeurs sur Kickstarter, puis aux clients qui suivront !

Lorsque la Own-Mailbox sera bien lancée nous allons sortir une version PME de Own-Mailbox. Car l’espionnage industriel implique de grosses pertes pour les entreprises française comme l’a révélé Wikileaks il y a quelques mois (à hauteur de 200 millions par an).

Par la suite nous avons beaucoup d’autres projets de produits dans les cartons, mais pour l’instant nous gardons cela pour nous !

Pour soutenir ce projet et avoir votre Own-Mailbox avant tout le monde, allez sur leur page Kickstarter.




Ne plus supporter la pub sur le Web

C’est un débat déjà ancien et qu’on croyait devenu de basse intensité, mais qui prend ces derniers temps une acuité nouvelle : la publicité sur le Web, toujours plus intrusive, toujours plus vorace, toujours plus dévoreuse de notre confidentialité, est-elle une sorte de mal nécessaire ou une pure nuisance à éradiquer ?

La publicité est le plus souvent justifiée par son pouvoir économique. Publier sur le Web n’est pas gratuit, que ce soit pour les médias d’envergure, les associations ou les particuliers. La tentation est donc grande de disposer sur les pages web avec une discrétion variable des bandeaux publicitaires, des annonces adsense, des calamités visuelles de toutes sortes… car l’inventivité des agences de pub est illimitée.

Rien d’étonnant que de nombreux internautes installent systématiquement un bloqueur de pub, en une course elle aussi perpétuelle pour remplacer Adblock Plus par Adblock Edge puis par uBlock puis par uBlock origin (et puis je vous mets une pincée de Ghostery ?) et puis… mesures et contre-mesures se succèdent dans un paysage visuel qui ressemble à un champ de bataille : des sites demandent gentiment — ou intiment l’ordre — de désactiver les bloqueurs, tandis que le petit peuple du Libre échange frénétiquement les adresses des adbloqueurs les plus efficaces.

Faut-il se résigner à cette guerre fastidieuse et accepter qu’une part au moins du web, puisse dépendre de la publicité comme le suggère Tristan Nitot dans un article récent ? Ou bien faut-il faire table rase de tout argument en faveur de la publicité sur le web,  comme Clochix dans le « coup de gueule » qu’il publie sur son blog en réponse à Tristan ?

C’est la diatribe de Clochix que nous reproduisons ici, non pour attiser une polémique (car les contradicteurs se connaissent bien et s’apprécient) mais pour permettre un échange dans nos colonnes et en commentaires.

Deux précisions importantes :

  • Clochix après le petit buzz qu’il a créé reconnaît volontiers que son article n’est pas complet, en particulier parce qu’il n’a a pas pris le temps d’aborder les modes de monétisation alternatifs. S’il désire ajouter des éléments, nos colonnes lui seront ouvertes. [MISE À JOUR] Nous avons à peine le temps de publier que déjà Clochix vient de compléter avec un nouvel article : Comment se protéger, comment participer.
  • Tristan quant à lui a reconnu qu’il aurait dû préciser que sa défense (relative) de la publicité concernait essentiellement les grands sites de médias, la presse en ligne. Il va sans dire que ses commentaires et réactions sont bienvenus ici ou naturellement sur son blog.

— mais c’est surtout vous lecteurs du Framablog dont nous attendons que vous participiez à ce débat : bloquez-vous tout ou partie des publicités, pourquoi ? Avez-vous recours au financement par la publicité de votre présence sur le Web ? Avez-vous trouvé des modes de financement alternatifs qui vous permettent de vous dégoogliser ?

Nous vous rappelons que le Framablog ainsi que tous le services de Framasoft vous sont proposés débarrassés de toute pollution publicitaire, grâce aux donateurs qui sont l’unique ressource de l’association. Merci de votre soutien !

 

Faut-il bloquer les publicités ?

par Clochix

clochix_himselfJ’ai été si outré par quelques phrases portées à ma connaissance cette semaine que je reprends le clavier le temps d’un rapide coup de gueule. Dans le 28e chapitre de son prochain livre, qu’il prépublie sur son carnet, Tristan conseille de ne pas bloquer la réclame dans son navigateur. Une fois n’est pas coutume, je ne peux pas être moins d’accord avec lui, surtout au vu de ses arguments.

J’encourage pour ma part tou·te·s les internautes à bloquer par tous les moyens les publicités qui envahissent certains sites. Quelques raisons en vrac de refuser la réclame sur le Web :

  • la publicité est bien plus efficace si elle est ciblée. De ce fait, nombre de régies publicitaires ne se contentent pas d’afficher des bandeaux colorés, mais tracent toutes vos habitudes, afin de cerner votre profil et d’augmenter la probabilité que vous cliquiez sur leurs affiches. Par exemple en vous bombardant de réclames pour des régimes si elles détectent que vous complexez sur votre poids. Les publicités espionnent ce que vous faites, vous traquent de site en site. Pour préserver votre intimité, bloquez les publicités !
  • grâce à ces profils, les publicités créent des envies, déclenchent des actes (des achats par exemple) que vous n’aviez pas décidés consciemment. C’est une forme de manipulation, de viol de votre libre-arbitre. Pour conserver votre libre-arbitre, bloquez les publicités !
  • les publicités rendent la navigation sur de nombreux sites désagréables. Leur poids ralentit considérablement le chargement, leurs couleurs criardes, voire leurs animations, distraient l’œil de sa lecture. Parfois une publicité apparue soudainement intercepte un de vos clics et vous entraîne sur un site que vous ne souhaitiez pas visiter. Lorsque votre connexion internet est de faible qualité, par exemple sur un ordiphone, la publicité rend la navigation particulièrement désagréable. Pour votre confort, bloquez la publicité !
  • le poids de publicité ralentit le chargement des pages, mais augmente aussi la quantité de données téléchargées. Si vous n’avez pas une connexion illimitée (sur mobile), vous risquez de payer pour le chargement des publicités. Et même si vous avez une connexion illimitée, ces publicités pèsent dans le trafic réseau de votre opérateur, consomment beaucoup de bande passante, qu’à un moment ou un autre il faut bien payer. Pour le bien-être de votre porte-monnaie, bloquez la publicité ! (et pour les ours polaires, car afficher les bannières Flash consomme de l’électricité, donc contribue au réchauffement de la planète) ;
  • la publicité affiche sur des sites auxquels vous faites confiance des contenus créés par des tiers qui eux ne sont pas forcément de confiance. Des ordinateurs sont régulièrement infectés par des logiciels malveillants diffusés via des publicités piégées affichés sur des sites anodins. Récemment encore, des sites de Yahoo ont diffusé à leur insu de tels logiciels malveillants. Bloquer Flash réduit considérablement la menace, mais pas totalement. Pour votre sécurité, bloquez la publicité !
  • TF1 est une entreprise qui vend à des annonceurs du temps de cerveau de ses téléspectateurs. Dans un modèle économique basé sur la publicité, vous devenez le produit dont le site fait commerce. Si un site vit essentiellement de la publicité, alors c’est que vous êtes la marchandise qu’il vend. (un célèbre évangéliste francophone utilise une métaphore porcine pour rappeler ce fait et encourager les internautes à payer les services qu’ils utilisent) Pour ne pas être une marchandise, bloquez la publicité !
  • certains médias dépendent de la publicité. Leur but est donc de maximiser le nombre de lecteurs de leurs articles. Quitte à recourir à des méthodes putassières, comme les titres sensationnalistes sans rapport avec le fond de l’article. Parfois, la rémunération des auteurs dépend du nombre de lecteurs de leurs articles. Dans certains médias, les journalistes sont donc encouragés à écrire des articles générant le plus de vues possibles. La qualité ne payant pas toujours, c’est le plus souvent un encouragement au sensationnalisme, aux approximations, à la création et monté en épingle de polémiques… À terme, tout cela décrédibilise les sites d’information et les journalistes dans leur ensemble. Un journaliste ne devrait pas être évalué sur sa capacité à faire gagner de l’argent aux annonceurs. On a vu également que certains annonceurs influent sur la ligne éditoriale des médias. Apple par exemple ne veut pas que ses publicités soient à côté d’informations tragiques. Va-t-on arrêter d’informer sur les guerres et autres catastrophes pour faire plaisir aux annonceurs ? Pour la survie du journalisme, bloquez la publicité !
  • un des gros problèmes du Web est la difficulté à rémunérer les auteurs qui le souhaitent. Il n’existe toujours pas de mécanisme simple, universel, respectueux de la vie privée, largement déployé, permettant de rémunérer l’auteur d’un article. Je suis persuadé que c’est une des plus grandes faiblesses actuelles du Web. Elle perdure notamment parce que le besoin n’est pas criant : la publicité joue ce rôle pour de nombreux sites, donc ils n’ont pas besoin d’inventer un meilleur système. Si de nombreux internautes bloquaient les réclames, le besoin d’inventer de nouveaux modèles économiques se ferait plus pressant. Et j’espère que ces modèles seraient plus vertueux. Pour encourager le Web à évoluer, bloquez la publicité !
  • je vous épargne le couplet politique rappelant que la publicité est un moyen de propagande pour un modèle de société suicidaire et encourage les discriminations en véhiculant d’innombrables clichés. Si vous avez du cœur, bloquez la publicité !

stoplapub

Je trouve par ailleurs discutables les arguments de Tristan pour encourager ses lecteurs et lectrices à ne pas remettre en question les modèles économiques fondés sur la vente de l’attention des citoyens :

« En effet, la publicité est la principale si ce n’est l’unique façon pour l’immense majorité des sites Web de se rémunérer »

Je brandis aussitôt ma pancarte pour demander les chiffres permettant d’affirmer que « l’immense majorité des sites Web » se rémunère grâce à la réclame. Wikipédia ne fait à ma connaissance pas appel à la publicité, pas plus que des millions de sites personnels, les sites vitrines qui présentent une entreprise, une association ou autre. Je ne suis pas sûr que l’existence de la majorité des sites Web dépende de la réclame. Le Web ne mourra pas si demain nous bloquons toutes et tous les réclames. Si j’ai bonne mémoire, la publicité était absente des premiers sites qui m’ont fait aimer le Web, qui m’ont fait découvrir ses potentialités pour la liberté d’expression, le débat d’idée ou le partage de connaissances. Le Web peut parfaitement se passer de la publicité.

« En bloquant la publicité (…) les sites n’auront plus les moyens de publier du contenu original et de qualité ».

Je ne suis pas du tout sûr du lien entre la publication de contenu « original et de qualité » et les sites vivant de la vente de temps de cerveau disponible. Intuitivement (oui, ça n’est pas scientifique), j’aurais plutôt l’impression que les sites tirant l’essentiel de leurs revenus de la publicité sont plutôt des fermes à contenu, qui ne publient rien d’original mais pompent des informations publiées par d’autres en les affublant de titres putassiers pour « faire du clic ».

C’est d’autant plus gênant que l’histoire prouve que la presse indépendante est une condition essentielle pour avoir une démocratie en bonne santé…

Euh, quel est le rapport entre le financement de sites Web par la publicité, une presse indépendante, et la choucroute ? Le Canard enchainé, symbole de la presse indépendante française, a publié il y a quelques jours son bilan financier 2014. Le journal est toujours en excellente santé. Or, il ne me semble pas qu’il se rémunère en infligeant des placards publicitaires à ses lecteurs. Sur le Web, l’équivalent du Canard, Mediapart, est également résolument sans publicité, et n’a pas l’air de s’en porter plus mal. Tout comme des dizaines de médias indépendants qui enquêtent et informent, Basta, CQFD, Fakir, Politis et tant d’autres. Bien sûr, de nombreux sites de diffusion d’information, comme Le Figaro, Libération ou le Monde, affichent de la publicité, et en dépendent en partie. Mais peut-on qualifier ces entreprises, propriété d’oligarques, de médias indépendants essentiels à la démocratie ? Lorsqu’un marchand d’arme ou un quelconque affairiste s’achète des médias, le fait-il afin de garantir l’existence d’un des piliers indispensables de la démocratie, ou pour défendre ses intérêts ? Le ménage en cours dans les médias du groupe Bolloré n’est que le dernier exemple de l’indépendance toute relative des organes contrôlés par des financiers. Par ailleurs, bien conscients de l’importance des médias pour la démocratie, les citoyens français consacrent une partie de leurs impôts à financer la presse. D’après Wikipédia, nous avons versé en 2012 1.2 milliards d’aides à la presse. Le Figaro de Serge Dassault a été subventionné à hauteur de 18.2 millions d’euros. Nous participons donc déjà, via ces aides, via la redevance audio-visuelle, à la survie de la presse (et à l’enrichissement d’éditocrates qui nous crachent à la gueule à longueur de temps). Est-il indispensable, pour sauver la démocratie, de s’infliger également les encarts promotionnels qui débordent de leurs sites ?

Je m’égare un peu, et ne voudrais pas y passer toute la journée, donc, pour conclure, un dernier conseil : bloquez les publicités ! Merci de votre attention.




Framasoft fait sa rentrée (probablement près de chez vous)

Tout en travaillant d’arrache-pied à la suite de notre (modeste) plan de libération of ze monde, les membres de Framasoft se plient en quatre pour venir à votre rencontre aux cinq coins de l’hexagone et même au-delà !

Un septembre Francophone (mais pas que)

Pyg en Tux lors des dernières RMLL
Pyg en Tux lors des dernières RMLL

Framasoft invité au Québec ! Les idées du Libre s’échangent et essaiment partout où l’on partage la même langue et les mêmes valeurs… Ce qui n’empêche pas un de nos valeureux bénévoles de parler de nos projets dans la langue de Stallman… à Nantes ! Petit tour d’horizon d’un mois bien chargé :

  • Parisiennes, Parisiens, ce week-end, du 12 au 13 septembre, Fred, Kinou nous représenteront sur le village du Libre à la Fête de l’Huma, au Parc départemental Georges Valbon à La Courneuve (93)… mais ça vous le saviez déjà !
  • Ce week-end aussi, Pouhiou aurait dû participer à Alternatiba Toulouse (allées Jules Guesdes), mais un vilain virus pas du tout informatique le cloue au lit. Que cela ne vous empêche pas d’aller y saluer nos ami-e-s de Toulibre !
  • Du 18 au 27 septembre : Framasoft s’envole au Québec, à l’invitation de la FACIL, et afin de participer à la SQIL (qui sont un peu les RMLL québecoises) :
    • Samedi 19/09 à Montréal « État des services libres en 2015 », avec Pierre-Yves Gosset (alias Pyg)
    • Jeudi 24/09 de 17 à 20 H (toujours à Montréal, toujours avec Pyg) : Conférence Framasoft « Dégooglisons », suivie d’une table ronde sur les savoirs libres
    • Notre Pyg devrait même se faire interviewer (à confirmer) sur Radio Canada le samedi 19, à 13H (heure locale), dans l’émission « La sphère »
  • Le 24 septembre, à Paris (Be Coworking – 60 rue de la Jonquière, 17e) Fred participera dès 19H à une table ronde chez StoryCode Paris
  • Le 25 septembre, à Nantes Nicolas Loeuillet (développeur de Wallabag, et membre de Framasoft) participera au FOSSa et ce en anglais !
  • Les 26 et 27 septembre, place de la république à Paris, nous serons dans le Quartier du Libre d’Alternatiba Paris fièrement représentés par Fred et Kinou et au milieu des associations amies qu’on ne présente plus 😉
  • Et le 29 septembre, à Nancy : Pyg (fraichement rentré du Québec) participera à une table ronde « Internet : quel espace de démocratie ? » au forum POP-MIND (forum des musiques actuelles).

alternatiba paris

 

Un automne loin d’être monotone

Avant que la police des jeux de mots ne nous mette à l’amende pour ce titre forcément illégal, voici le programme (non exhaustif) des mois à venir, encore une fois dans la francophonie puisque nous passerons par la Suisse :




Écrire en numérique, une interview de Neil Jomunsi

À l’occasion de la parution aujourd’hui de son récit Agence B, deuxième opus de la série Jésus vs Hitler, Neil Jomunsi à qui nous devons la belle initiative du Ray’s day (à laquelle Framasoft s’est joint bien volontiers), nous fait part de réflexions sur le droit d’auteur, l’édition et la monétisation de son travail d’écrivain, mais aussi de sa passion pour la culture pulp.

Bonjour Neil, peux-tu te présenter ?

neil-jomunsi-300x300Salut, je m’appelle Neil Jomunsi, j’ai 33 ans et je vis à Berlin avec ma femme. Après des études de cinéma, j’ai entretenu mon amour des livres pendant de nombreuses années en tant que libraire, avant de décider de me consacrer à temps plein à ma passion : raconter des histoires. Quand je ne blogue pas sur page42.org ou que je ne refais pas le monde sur Twitter, j’écris des romans, des feuilletons pulps déjantés, des livres dont vous êtes le héros, des essais et des nouvelles. Je suis également l’un des fondateurs d’une maison d’édition numérique qui s’appelle Walrus, spécialisée dans le pulp et le fantastique. Il y a un an, j’ai lancé un marathon d’écriture qui s’appelle le Projet Bradbury, qui consistait à écrire 52 nouvelles en 52 semaines. Ah, et je vais avoir des jumeaux dans peu de temps…

Pour quelles raisons as-tu choisi de publier en numérique ? Est-ce que tu as essayé vainement d’être publié par un éditeur classique et tu y as renoncé ou bien est-ce une choix délibéré dès le départ ?

Je n’avais jamais vraiment essayé de me faire publier par un éditeur « classique » avant cette année. Auparavant, je publiais au gré des appels à textes dans des anthologies et j’écrivais surtout pour moi. Quand j’ai créé Walrus, il m’a semblé normal d’y publier aussi ce que j’écrivais, puisque mes goûts d’éditeur ressemblent fatalement à mes préférences d’auteur. C’était une manière d’enrichir le catalogue, et puis en toute franchise, c’était aussi un peu une blague au début : quand j’ai commencé à rédiger le premier épisode de « Jésus contre Hitler », c’était uniquement parce que je voulais un titre accrocheur pour Walrus, peu importe ce qui se cachait derrière ce titre. Mais du coup, la blague a bien pris, des personnages en sont sortis, un public s’en est emparé… du coup, je continue la saga avec « Agence B », la suite directe de Jésus contre Hitler, dont le premier tome sort le 2 septembre. Mais je compartimente mes publications. Mes aventures avec Walrus sont purement de l’ordre du fun : j’y ai publié cette série, mais aussi des livres-jeu. Pour les nouvelles, une grosse part de ce que j’écris, j’ai décidé de passer par mes propres moyens sans faire appel au circuit Walrus, parce que d’une part il n’y a quasiment aucun public pour la nouvelle, mais aussi parce que je voulais garder une totale indépendance artistique et économique sur le procédé (c’est ainsi qu’est né, et que continue, le Projet Bradbury). Quant aux textes plus longs, plus sérieux aussi, que j’ai pu écrire et sur lesquels je concentre désormais une bonne part de mon temps créatif, je suis en recherche d’éditeur. Je connais bien le circuit du livre et je sais qu’il n’y a que de cette façon que je pourrai toucher un public plus large. Je recherche aussi une relation avec un(e) mentor, qui puisse m’appuyer et m’aiguiller dans mes choix. Je crois beaucoup au caractère polymorphe de l’édition. La technique nous le permet, ce serait dommage de se priver du meilleur des deux mondes.

Thierry Crouzet s’est enthousiasmé pour la plateforme de publication Wattpad. Tu l’as expérimentée également, qu’en penses-tu ?

J’aime bien le principe du push, qui permet à tous les abonnés de recevoir une notification à chaque fois qu’une nouvelle histoire est publiée. Après, l’interface de lecture n’est pas optimale, et celle de rédaction est encore pire. Mais ça fait le boulot, et on peut utiliser des licences libres. Je crois que j’ai besoin de me recentrer en ce moment, c’est pourquoi j’utilise le blog comme principale interface avec mes lecteurs. Mais Wattpad est un terreau fertile pour l’expérimentation.

Tu as fait aussi le choix d’une licence Creative Commons, pourquoi ? Et pourquoi « NC » ?

Je n’utilise plus la licence NC : soit mes textes sont en tous droits réservés, comme mes romans en recherche d’éditeur, soit ils sont dans la licence la plus libre possible. C’est une manière de clarifier la situation. Dorénavant, les publications que je choisis de libérer— notamment mon blog et les nouvelles du Projet Bradbury — sont en BY-SA. C’est un processus de réflexion en constante évolution. J’ai commencé par la NC parce que ça me semblait être une bonne porte d’entrée pour le néophyte que j’étais à l’époque. Je ne suis pas un forcené du libre. Ça m’intéresse beaucoup, mais ce n’est pas un sacerdoce. Les certitudes absolues s’apparentent toujours pour moi à des religions, des dogmes. L’incertitude est pour moi la meilleure des bases pour créer.

Tu es bien placé pour savoir qu’il n’est pas facile pour une jeune écrivain, fût-il talentueux, de vivre de sa production écrite. Peux-tu nous dire comment tu te débrouilles avec le problème et quelles sont selon toi les pistes qui permettraient de monétiser la création littéraire (et artistique, plus largement) ?

Le fait que les écrivains peinent à vivre de leur travail est une conséquence purement matérielle d’une situation pourtant positive : de plus en plus de gens lisent (pas forcément des romans, mais ils lisent), ont une culture narrative et dramaturgique (les séries américaines y sont pour quelque chose) et les outils d’écriture et de publication sont désormais à la portée de tous. Donc c’est normal que davantage de romans soient publiés. Cela ne veut pas dire qu’ils sont bons, mais je pense qu’au global, il y a plus de romans corrects qui sont écrits aujourd’hui qu’il y a trente ans. De vrais bons romans, il y aura toujours un plafond je crois, mais bon… vous voyez l’idée. Du coup, un plus grand nombre d’auteurs se partage un gâteau qui ne grossit pas, voire qui rétrécit.

On peut s’en lamenter, mais ça ne sert pas à grand-chose et ça n’arrange rien. Je suis du parti de chercher des alternatives, notamment en utilisant le crowdfunding via Tipeee. Ainsi, chacun peut décider de consacrer un euro par mois à me soutenir, moi et mes textes. La suite du projet Bradbury, que je viens de lancer, s’inscrit d’ailleurs pleinement dans cette logique. Ce n’est pas grand-chose, le prix d’un café, mais si mille personnes s’y mettent, ça fait une vraie différence. Les éditeurs traditionnels ont encore un avantage certain avec le système des avances, mais celles-ci ayant tendance à se réduire, voire à disparaître, on peut craindre que de plus en plus d’auteurs se tournent vers des solutions alternatives pour subsister (car un auteur mange et dort comme vous et moi… enfin, surtout comme vous).

Avoir un éditeur devient facultatif aujourd’hui, mais c’est parce que ça devient facultatif que ça n’en est que plus important. Le processus de sélection est un besoin naturel de reconnaissance : le nier serait nier ce qui fait aussi de nous des humains et des créateurs. En tant qu’auteurs, on s’inscrit dans une tradition très vaste qui s’appelle la littérature. À un certain stade de professionnalisation, c’est important d’obtenir l’aval de ses pairs je crois, d’autant que ça ouvre le marché des ventes à l’étranger, des traductions, des bourses, etc… Encore une fois, on doit entrer en symbiose avec son environnement, qu’il soit naturel ou culturel. Je ne crois pas aux positions braquées. En résumé, il est important pour un artiste aujourd’hui de savoir d’où il vient, sur quoi il peut compter, où il va et quel chemin il peut emprunter, parmi un éventail beaucoup plus vaste qu’il y a vingt ou trente ans..

Tu t’es engagé résolument en faveur de la réforme du droit d’auteur en soutenant les propositions de Julia Reda notamment, pour quelles raisons ? Quelles leçons tires-tu de cette expérience disons, au plan politique ?

Je ne suis pas un politique, même si je suis engagé (ce qui est très différent). Je ne suis pas particulièrement à l’aise avec les codes de ce monde, c’est pourquoi c’était important pour moi de m’y confronter en prenant la parole lors de la journée consacrée à la réforme du droit d’auteur au Parlement européen (aux côtés de l’ami Pouhiou, notamment). C’était une expérience intéressante, enrichissante aussi par les rencontres qu’elle a occasionnées.

La principale conclusion que j’en retire, c’est qu’une industrie confortablement implantée ne se laisse pas facilement réformer (ce qui était déjà très clair dès le début, mais le lobbying pour amender le rapport et en effacer tout changement véritable m’a conforté dans cette opinion). Le droit d’auteur est une machine infernale qui aujourd’hui sert davantage à attaquer qu’à protéger. Je n’aime pas les faux-semblants : les auteurs, qu’on dit vouloir protéger par ce droit, sont le maillon le plus faible de la chaîne, le plus vulnérable… et on n’a pas attendu le rapport Reda pour constater cette situation. Internet joue les boucs-émissaires dans l’histoire, mais une réalité très concrète est que les auteurs sont de moins en moins bien payés et protégés, et ce avec la législation en place. Le rapport Reda proposait des obligations contractuelles supplémentaires, ce qui a bien entendu été effacé au moment de la procédure d’amendement. Un droit des auteurs qui protège en réalité une industrie au détriment de ceux qui la rendent possible, l’idée me rend malade. Pourquoi ne pas essayer de nouvelles choses ? Une réforme réussie devra permettre aux artistes de mieux gagner leur vie, et d’être traités de manière plus équitable.

Parle-nous un peu de ce roman qui vient de sortir, la suite de Jésus vs Hitler ? Tu crois vraiment que ça va plaire ces histoires délirantes ? Est-ce que cette suite va être aussi amusante ou bien y as-tu mis des ingrédients différents ?

Agence B est une nouvelle série, que j’entends prolonger aussi longtemps qu’elle m’amusera avec de nouveaux épisodes. L’idée était de continuer dans l’exacte lignée de Jésus contre Hitler, mais en prenant un nouveau paradigme qui ne serait plus seulement dans l’affrontement entre les deux personnages (la fin de l’épisode 4 rend de toutes façons ce combat impossible désormais). Agence B, c’est un peu l’Agence Tous Risques du paranormal : beaucoup de personnages, des aventures folles et trépidantes, des voyages dans des univers déjantés, effrayants, oniriques, avec en toile de fond les monstres échappés de l’Enfer et tout un tas de créatures maléfiques. J’entends prolonger le ton humoristique, parce que je crois que c’est le ton qui sied le mieux au pulp : c’est assez flagrant dans Indiana Jones, par exemple. C’est la comédie qui permet de sortir indemne de nombreuses situations terrifiantes. Dans ce premier épisode, l’Agence B devra venir en aide à un ange qu’une affreuse créature aura blessé. C’est une sorte de pont entre Jésus contre Hitler et la suite, puisque je dois poser les personnages dans leurs nouveaux rôles : c’est forcément une histoire davantage introductive que les prochains épisodes. Mais j’ai bon espoir de poursuivre la série sur les chapeaux de roue. Ce qui m’angoisse le plus, c’est la réception du public. Il y a une vraie attente pour la suite, et j’espère qu’elle ne décevra personne.

agenceB

Télécharger et lire Agence B – Si vous n’avez pas lu l’épisode précédent

Tu vises un public de geeks ?

Pas spécialement. Je vise un public de curieux, d’enthousiastes, d’esthètes, de nostalgiques, de passionnés… Geek, c’est une appellation qui ne me parle pas vraiment, ou en tout cas une appellation qui n’a de mon point de vue pas grand-chose à voir avec la littérature. Je ne lis d’ailleurs presque pas de SF, ni de fantasy. De ce point de vue, je suis exactement comme Bradbury, qui préférait lire de la poésie ou des essais politiques.

Tu es plutôt Lovecraft ou plutôt Monty Python ? Kerouac ou Bukowsky ? Tu es plutôt La grande vadrouille ou On a retrouvé la septième compagnie ? Star Treck ou Matrix ? Et du coup, tu es plutôt Hitler ou plutôt Cthulhu (Iä, Shub-Niggurath ! Iä, Iä, Cthulhu fhtagn !) ?

pulp

Je suis Lovecraft ET Monty Python, à fond sur les deux. Je ne suis ni Kerouac ni Bukowsky, la Beat Generation, ce n’est pas mon truc, je suis plutôt de celle d’avant, accoudée au bar avec Fitzgerald et Hemingway. Clairement, La grande vadrouille (et tous les films de Louis de Funès ou presque). Fantômas, Rabbi Jacob, sont des films très pulp. Je les adorais enfant et je les adore toujours. Star Trek, ce n’est pas vraiment ma génération, plutôt celle de mes parents, même si j’aime bien la toute première série avec Leonard Nimoy. Je n’ai jamais accroché aux suites. En revanche, je suis clairement de ces ados qui sont sortis d’une salle de cinéma le cerveau complètement retourné un beau jour d’été 1999. Matrix, quelle claque ! De manière générale, je suis assez fan du travail des Wachowski, jusqu’à la toute récente série Sense 8 absolument formidable. Et ensuite, s’il faut choisir un méchant entre Hitler et Cthulhu, ne m’en veux pas Adolf, mais ce sera mon bon vieux poulpe géant adoré. C’est une vieille histoire entre Lovecraft et moi !

 

Crédit images :




Stop the Music, une nouvelle sur les libertés. 2/2

À l’occasion du RaysDay 2015, l’équipe de traduction Framalang a choisi de traduire la nouvelle Stop the Music, de Charles Duan, publiée originellement sur Boing Boing. Cette histoire futuriste explore les dérives possibles des lois sur le copyright.

La première partie de cette nouvelle est disponible ici sur le framablog.

Voici donc la seconde et dernière partie de cette traduction. Exceptionnellement, nous avons choisi de ne pas traduire le titre (libre à vous de le faire !)

Comme son œuvre originelle, cette traduction est sous licence CC-BY-SA-NC.

Traduit par : Piup, egilli, Sphinx, Singularity, audionuma (et les anonymes)

Stop the Music (image : Boing Boing
Stop the Music (image : Boing Boing)

Stop the music

V.

À la Cour suprême des États-Unis

Eugene L. Whitman contre Alfred Vail Enterprises, Inc.

Audience de l’avocat Maître Richard A. Tilghman

représentant du plaignant Eugene L. Whitman

Le 12 février 2046

 

La présidente de la Cour suprême, Mme Diehr : Nous écoutons ce matin le débat dans l’affaire 45-405, Whitman contre Alfred Vail Enterprises.

Me Tilghman ?
Me Tilghman : Madame la Présidente de la Cour suprême, et Mesdames Messieurs les juges de la Cour.

Aujourd’hui, nous demandons à cette Cour de protéger l’un des droits à la propriété les plus anciens et les plus importants en place dans cette nation : le droit d’auteur qui protège l’œuvre créative des auteurs, des artistes, et, plus précisément dans le cas de cette affaire, des musiciens.

La section 106 de la loi sur le droit d’auteur réserve aux propriétaires de droits d’auteur le droit exclusif de faire des copies de leurs œuvres, de faire des œuvres dérivées basées sur les œuvres originales, et de distribuer et de produire en public ces œuvres, entre autres choses. Ces droits sont…

Juge Diamond : Avant d’entrer dans les détails fastidieux du droit d’auteur, Me Tilghman, pouvez-vous m’expliquer pourquoi nous devrions ne serait-ce qu’envisager d’examiner cette affaire ? C’est une affaire concernant l’effacement des souvenirs des gens, aussi je souhaite commencer par comprendre pourquoi vous pensez que le système EffaceMem National est pertinent en dehors du cadre très restreint de l’activité terroriste, que nous avons autorisé durant l’affaire Neilson. Comprenez : nous parlons de suspendre temporairement les droits civiques de la liberté de pensée. Pourquoi devrions-nous envisager d’effacer les souvenirs des gens dans n’importe quel autre contexte que le terrorisme ?

Me Tilghman : Monsieur le juge, bien que Neilson ait été une affaire concernant un acte terroriste, le raisonnement n’était pas limité à ce type de situation. La décision de cette Cour s’appuyait sur les principes généraux de la Constitution, et elle a décidé que l’effacement des souvenirs à l’échelle nationale était admissible lors « d’un risque imminent envers un intérêt incontestable du peuple américain ». L’intérêt incontestable, dans l’affaire Neilson, était le droit à la sécurité contre le terrorisme, mais d’autres intérêts importants peuvent également correspondre à cette description.

Présidente Diehr : Et, bien entendu, il y a le fait qu’une idée illégale est de la contrebande. Vous savez, personne ne se demande pourquoi il est illégal de posséder des drogues illicites, ou des armes de destruction massive. Une idée peut être tout aussi destructrice que toutes ces choses. Ne paraît-il pas que le gouvernement devrait posséder le pouvoir de confisquer des idées dangereuses afin de protéger le peuple ?

Me Tilghman : C’est en effet la vérité, votre Honneur. La possession d’une pensée illégale devrait être traitée de la même façon que la possession d’un objet illégal. Et une copie illégale d’un travail sous droits d’auteur est une contrebande,

Juge Flook : Bien… bien… mmh. Je peux comprendre l’argument concernant la contrebande d’une manière générale, mais c’est la pente glissante qui m’inquiète. J’étais d’accord avec Neilson mais j’étais préoccupée concernant ce qu’un autre usage de l’EffaceMem National pourrait causer. Poussé trop loin, il pourrait mener à la censure, à un contrôle de l’esprit par le gouvernement, un totalitarisme orwellien. Comment puis-je être sûre, Me Tilghman, que ce que vous demandez ne nous mènera pas vers ces sentiers ?

Me Tilghman : C’est une excellente question du juge Flook. Question qui possède heureusement une réponse simple. Comme je le disais précédemment, Neilson estimait qu’un « intérêt incontestable du peuple américain » pourrait justifier l’utilisation du système EffaceMem National sans nous amener sur ces pentes glissantes. Or, la protection du droit d’auteur correspond à ce type d’intérêt incontestable car le droit d’auteur est un droit fort, absolu.

Présidente Diehr : Bien, cet argument correspond à celui que vous exposez dans votre briefing à propos de la Gestion des droits numériques (NdT : qui correspond aux DRM).

Me Tilghman : C’est exact.

Bien entendu, les DRM sont la technologie qui permet aux œuvres soumises au droit d’auteur de ne pas être utilisées contrairement aux vœux des ayants droit. Il fut un temps, aux débuts de l’informatique, où cette technologie était assez grossière et peu répandue. À cette époque, j’aurais pu rejoindre votre avis, M. Flook : le droit d’auteur était rarement appliqué et le piratage allait bon train.

Mais à la fin du siècle dernier, le monde s’est orienté vers les appareils mobiles, appareils qui pouvaient être tracés, contrôlés voire désactivés à distance. Cela permit de mettre en œuvre des DRM fortes, efficaces, à terme développées par un consortium industriel. Ces DRM sont maintenant incluses dans chaque appareil électronique vendu. Ce standard industriel que sont les DRM permet aux ayants droit d’avoir un contrôle total sur leurs œuvres : ils ont le pouvoir d’empêcher la copie, le pouvoir de contrôler qui utilise l’œuvre, le pouvoir de supprimer les données d’un appareil pour protéger l’œuvre d’un usage abusif. C’est un contrôle absolu.

Sous cet angle, la demande de mon client dans cette affaire ne constitue pas particulièrement une étape majeure. Il contrôle déjà chacun des exemplaires de son œuvre présent dans chaque appareil électronique. Tout ce qu’il souhaite désormais, c’est d’avoir ce contrôle sur les exemplaires stockés dans les esprits des personnes.

Juge Diamond : Attendez… attendez une seconde. Vous oubliez complètement les droits qui existent en contrepartie. Les consommateurs n’ont-ils pas le droit d’effectuer des copies à usage personnel ou de jouer de la musique entre amis ? Tous ces usages font partie des « usages raisonnables », autorisés par les lois sur le droit d’auteur si je me souviens bien. Réaliser des parodies, utiliser des citations dans des articles, enregistrer les émissions diffusées pour les regarder plus tard : tous ces actes sont considérés comme « usages raisonnables » et les personnes ont le droit de le faire malgré le droit d’auteur.

Me Tilghman : Bien que ces exceptions au droit d’auteur restent valables pour les livres, elles ont toutes été remplacées par la loi concernant la Gestion des droits numériques.

Juge Flook : Pour être parfaitement honnête, Me Tilghman, je n’ai pas tout à fait compris cet argument de votre briefing. D’après moi, vous évoquez la section 1201 du Digital Millennium Copyright Act. Or, cette section ne mentionne rien qui concerne le remplacement de l’usage raisonnable et les autres exceptions mentionnées par le juge Diamond. Comment arrivez-vous à la conclusion que la section 1201 remplace de tels éléments ?

Me Tilghman : Il est vrai que c’est un concept délicat, votre Honneur, et je m’excuse si je ne l’ai pas bien expliqué lors des briefings.

Il est vrai que ces exceptions au droit d’auteur, telles que l’usage raisonnable, s’appliquent aux livres. Toutefois, l’applicabilité de ces exceptions est fortement limitée par les DRM et la section 1201. Les DRM modernes s’assurent que les œuvres protégées ne peuvent être utilisées contre la volonté de l’auteur, même si celle-ci va à l’encontre de ces exceptions. La section 1201, quant à elle, a rendu illégal le contournement des DRM. Par l’opération de la loi et de la technologie, il est donc illégal d’utiliser une œuvre protégée par DRM en dehors de ce qui est permis par l’ayant droit, quelle que soit « l’exception statutaire » au droit d’auteur prétendue.

Présidente Diehr : Donc, autrement dit, le Congrès a rendu illégal tout ce qui n’est pas autorisé par les DRM, y compris si les DRM bloquent l’une de ces exceptions au droit d’auteur. Et cela signifie alors que le respect des DRM est en fait plus important que ces exceptions telles que l’usage raisonnable. Est-ce correct ?

Me Tilghman : Oui, c’est tout à fait correct. Avec la section 1201, le Congrès a décidé que les intérêts des ayants droit prévalaient quand cela concernait les données enregistrées sur les appareils. Aucune raison que les données enregistrées dans les esprits soient considérées différemment.

Juge Diamond : Cela me paraît absurde. Cette loi rend-elle illégal l’exercice des droits par les personnes ? Par exemple, qu’en est-il de l’exercice du droit à un usage raisonnable ?

Me Tilghman : Cela vous paraît peut-être absurde que les DRM outrepassent légalement l’usage raisonnable mais cela a été établi par la loi depuis longtemps. Une affaire datant de 2001, Universal City Studios contre Corley, a spécifiquement énoncé que le contournement des DRM était illégal en raison de la section 1201 et ce, même si cela était fait dans un but d’usage raisonnable. L’affaire MDY Industries contre Blizzard Entertainment, datée de 2010, a abouti à la même conclusion.

Si les décisions liées à ces affaires étaient injustifiées, le Congrès a disposé de 40 ans pour changer la loi. Il n’y a eu aucun changement sur ces points. La section 1201 reste écrite telle qu’elle a été adoptée. Cela permet de montrer que le droit d’auteur est aujourd’hui un pouvoir de contrôle total. C’est un droit très fort.

Juge Flook : Ceci est fascinant. Je pense que je comprends maintenant votre argument comme quoi le droit d’auteur est un droit fort. Mais reprenons un peu de recul.

Cette affaire concerne l’effacement de souvenirs dans les esprits des citoyens. Dans les esprits de tous les citoyens. Je comprends maintenant votre argument expliquant que le droit d’auteur est un droit fort, soutenu par les DRM et des lois telles que la section 1201. Toutefois, je ne suis pas sûr des raisons qui nous pousseraient à passer de ce droit fort à ce remède que serait l’effacement de la mémoire.

Il est évident que cette loi EffaceMem est très récente et nous sommes toujours en train de réfléchir à ses implications avec les autres domaines législatifs. Mais j’aimerais être sûr qu’il ne s’agit pas des prises de pouvoir observées dans les années 20 et 30, époque à laquelle de grandes entreprises du nucléaire ont prétendu à toutes sortes de droits suite à des interprétations excentriques des lois environnementales. Quel est le besoin légitime des ayants droit d’effacer les souvenirs des personnes ?

Me Tilghman : Le besoin légitime, c’est l’intérêt d’un contrôle total sur une œuvre protégée par le droit d’auteur. Cet intérêt d’un contrôle total est légitimé par les DRM et les protections offertes par la section 1201 qui permettent un tel contrôle. Les lois actuelles sur le droit d’auteur donnent aux ayants droit un pouvoir total, intégral, sur leurs œuvres protégées.

Le pouvoir de contrôler, c’est le pouvoir d’effacer. Les systèmes de DRM modernes permettent déjà aux ayants droit de supprimer les exemplaires qui sont en infraction grâce à un simple bouton. Les copies physiques qui violent le droit d’auteur peuvent être détruites conformément à la section 503(b) du Copyright Act. Et depuis que la commission américaine sur le commerce international a commencé, en 2014, à considérer les transmissions de données comme des importations de biens, elle a régulièrement saisi et bloqué des informations sur Internet. Il ne fait aucun doute que la suppression des informations de la pensée publique sera un remède tout à fait accepté pour le non-respect du droit d’auteur.

Pourquoi est-ce que cela devrait avoir une importance que les informations soient retirées d’un disque de silicium ou d’un neurone humain ? Comme la présidente Diehr l’expliquait précédemment, les informations qui portent atteinte au droit d’auteur, comme la chanson Straight Focus de M. Vails, constituent de la contrebande, quel que soit l’endroit où ces informations sont stockées. En fin de compte, tout ce que nous demandons dans cette affaire, c’est de modestement pouvoir transposer aux esprits humains le pouvoir que les ayants droit ont sur les ordinateurs, grâce aux DRM. S’il est possible d’empêcher les tablettes de penser quoi que ce soit d’illégal, pourquoi ne devrions-nous pas empêcher les personnes d’utiliser leurs têtes pour violer les droits applicables aux –si bien nommées– propriétés intellectuelles ?

La seule raison qui permettait aux exemplaires en infraction d’être conservés dans les esprits des personnes était que nous ne disposions pas des technologies pour effacer ces exemplaires des souvenirs. Aujourd’hui, nous disposons d’une telle technologie. Pour cette raison, j’exhorte la Cour de prendre une décision logique et dans l’ordre des choses pour la protection des ayants droit et pour leur permettre de protéger pleinement ce qui leur appartient.

Présidente Diehr : Merci, Me Tilghman.

Me Proctor ?

 

 

VI.

À la Cour suprême des États-Unis

Eugene L. Whitman contre Alfred Vail Enterprises, Inc.

Audience de l’avocate Maître Willa M. Proctor

représentant la défense, Alfred Vail Enterprises, Inc.

Le 12 février 2048
Me Proctor : Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les juges,

Depuis les quelques trois siècles que les États-Unis d’Amérique sont une nation, l’inviolabilité de l’esprit est un principe central. La poursuite du bonheur – la poursuite de la pensée individuelle – s’y inscrit, avec la vie et la liberté, comme un droit inaliénable.

Or, c’est cette poursuite du bonheur qui est fondamentalement remise en cause dans ce tribunal aujourd’hui. Le plaignant vise à violer le droit fondamental à la liberté de penser, à la fidélité des idées, à la poursuite du bonheur. Il vise à violer ces principes pour justifier de la protection de la propriété intellectuelle.

La liberté de pensée n’est certainement pas absolue comme l’a reconnu ce tribunal dans l’affaire Neilson. Mais au même titre que la liberté d’expression, le droit à un procès équitable et le droit à une défense égale, c’est un droit fondamental, qui ne peut être brisé que lorsqu’existe un intérêt primordial pour la partie adverse : un intérêt tel que le terrorisme ou la sécurité nationale.

Le droit d’auteur ne représente pas un tel intérêt. Il ne met pas la sécurité ou la protection de la nation en jeu, il s’agit purement de l’intérêt financier d’une seule personne.

Présidente Diehr : Bien, l’intérêt d’une seule personne ne peut-il pas être primordial s’il est suffisamment fort ? L’intérêt à protéger une personne d’un crime violent ou les droits fondamentaux d’une personne, protégés par la loi, représentent certainement de tels intérêts primordiaux. Et si, comme Me Tilghman le suggérait, le droit d’auteur est un droit fort, absolu, pourquoi ne devrait-il pas s’inscrire dans cette catégorie d’intérêts primordiaux méritant la plus haute protection ?

Me Proctor : Eh bien nous y voilà, votre Honneur, le droit d’auteur n’est pas aussi absolu que ce que Me Tilghman aimerait nous le faire croire. L’exception la plus connue à l’encontre de ce caractère absolu du droit d’auteur est la doctrine de l’usage raisonnable par laquelle quelqu’un peut commettre un acte semblable à une infraction au droit d’auteur sans en porter la responsabilité, car l’utilisation qui est faite de l’œuvre est jugée raisonnable et acceptable.

Présidente Diehr : Me Tilghman a expliqué que les DRM et la section 1201 l’avaient emporté sur l’usage raisonnable. Quelle réponse apportez-vous à cette explication ?

Me Proctor : Il a peut être raison d’un point de vue pratique mais l’anéantissement de l’usage raisonnable ne doit pas être propagé ou appuyé par ce tribunal. Les doctrines comme celle de l’usage raisonnable sont majeures afin de permettre aux artistes et créateurs de continuer leurs travaux. Tout art est construit sur les succès et les inspirations du passé. De la même façon qu’aujourd’hui ce tribunal cite des affaires passées au sein des avis qu’il rend, un roman fera référence à des travaux précédents, un peintre utilisera les techniques des grands maîtres, un musicien empruntera différentes idées à des genres et musiques diverses.

Ainsi, même si les DRM et la section 1201 ont diminué cette doctrine de l’usage raisonnable pour les appareils électroniques, ce tribunal ne devrait pas la diminuer encore en déclarant le droit d’auteur comme un droit complètement absolu. Et c’est pour cette simple raison que le système EffaceMem National ne peut être approprié ici. Ce système est réservé pour des situations portant sur des droits absolus, où il n’y a aucune valeur compensatrice pour la partie opposée.

Juge Diamond : Les nombreuses lois appliquées dans les états qui régulent l’usage de la technologie EffaceMem devraient confirmer votre point de vue selon lequel le système EffaceMem National est réservé pour des cas d’importance absolue, n’est-ce pas ?

Me Proctor : Certainement, votre Honneur. Lorsque EffaceMem est devenu populaire il y a quelques années, les états ont immédiatement agi afin de réguler l’industrie qui aurait pu abuser de cette technologie. Aujourd’hui, chacun des cinquante-deux états possède des lois précisant les autorisations pour les opérateurs EffaceMem, limitant les opérations d’effacement de mémoire à un ensemble restreint de situations appropriées, imposant des périodes d’attente pour ceux qui souhaitent l’utiliser, requérant des vérifications conséquentes pour vérifier le consentement et l’information des personnes.

Juge Diehr : Et toutes ces lois sont inapplicables ici. Comme vous le savez sûrement, le National Security Act de 2040 est prioritaire sur ces lois et permet au système EffaceMem National d’être utilisé pour « protéger n’importe quel intérêt ou droit national » selon les termes de la loi. Ainsi, l’application d’un droit créé par le gouvernement américain, disons le droit d’auteur, est explicitement permis même si les lois que vous mentionnez existent, n’est-ce pas ?

Me Proctor : Votre Honneur, le National Security Act a été promulgué cinq mois seulement après les attaques terroristes d’août 2039 et il paraît évident que cette loi a été conçue pour traiter du terrorisme et de la sécurité nationale. Peut-être que le texte de la loi suggère que cette loi outrepasse les lois des états lorsqu’il s’agit de protéger les droits d’auteur. Mais replacée dans le contexte dans lequel le National Security Act a été passé, c’est une interprétation vraiment très large de la loi.

Juge Flook : Il me semble, Maître, que vous faites référence au problème plus large dont nous avons discuté avec Me Tilghman : celui des pentes glissantes. Si le droit d’auteur n’est pas un intérêt aussi fort que la sécurité nationale, permettre d’utiliser le système EffaceMem National pour faire respecter le droit d’auteur ouvrirait alors la porte à toutes sortes d’utilisations inconsidérées du système.

Me Proctor : C’est exactement là qu’est mon souci, votre Honneur. Les abus autour de l’effacement de mémoire, les abus autour d’un effacement national, généralisé, de la mémoire, sont faciles à imaginer. Un parti politique au pouvoir pourrait l’utiliser pour affaiblir les opinions envers le parti opposé. Les grosses entreprises pourraient l’utiliser pour saboter d’autres entreprises. L’effacement des souvenirs pourrait devenir un outil d’oppression, d’ostracisme, de…

Présidente Diehr : Eh bien, il me semble qu’il existe de nombreuses autres situations pour lesquelles il serait approprié d’utiliser ce système. Notamment pour les fuites d’informations classées secrètes. Le gouvernement ne devrait-il pas être en mesure d’utiliser le système EffaceMem National pour empêcher de telles fuites ?

Me Proctor : Les fuites d’informations classées secrètes relèvent de la sécurité nationale et il faut donc s’en protéger comme du terrorisme. Aussi, quand bien même utiliser EffaceMem pour empêcher ces fuites serait approprié, cela ne signifie rien pour l’utilisation du système EffaceMem National dans le cas d’un non-respect du droit d’auteur.

Présidente Diehr : D’accord, prenons dans ce cas un exemple portant sur le droit d’auteur. Disons que nous avons une situation comme l’ancienne affaire sur le droit d’auteur Harper & Row contre Nation Enterprises, dans laquelle un magazine met la main sur un livre avant sa publication, dévoile le livre et publie ses meilleurs extraits en avance. Cela détruit le marché pour le livre et est entièrement contraire au droit exclusif de distribution d’une œuvre protégée par le droit d’auteur. Le seul remède pour l’ayant droit est d’effacer tout souvenir de ces révélations afin que le livre puisse être vendu et lu de nouveau. Ce cas n’est-il pas approprié pour un tel système ?

Me Proctor : Non, votre Honneur.

Juge Flook : Hein ?

Me Proctor : Pardon ?

Juge Flook : Bien… mmh. L’argument avancé par la présidente Diehr est intéressant. Je connaissais l’affaire Harper & Row mais je ne l’avais pas considérée de cette façon.

Ça me rappelle quelque chose qui m’est arrivé il y a quelques années, lorsque j’étais encore étudiant en droit. J’avais travaillé sur un projet de recherche sur les lois locales de 2012 à propos des sacs plastiques. J’ai passé des mois à fouiller parmi les registres législatifs municipaux, j’ai même dû me rendre dans un hôtel de ville qui conserve encore les lois dans des registres papier.

À la fin, j’avais collecté toutes les données dont j’avais besoin et j’avais commencé à écrire mon article sur le sujet. Je savais que ça allait être quelque chose, au moins pour un étudiant en troisième année dont le nom n’apparaissait que dans une note d’une revue législative. Mais j’ai parlé de ces résultats à un des professeurs de l’époque. Celui-ci a répété la conclusion principale lors d’une conférence de presse. Bien sûr, cette conclusion s’est répandue sur tous les sites d’informations en quelques jours.

Je suppose que j’aurais dû être content que les faits soient diffusés de cette façon. Mais, quand mon article a été prêt à être publié deux mois après, bien sûr, plus personne n’était intéressé. L’article fut finalement rejeté et le semestre que j’y avais consacré fut perdu.

Manifestement, j’ai réussi sur d’autres travaux…

Juge Diamond : Je pense que vous avez plutôt réussi, juge Flook.

(Rires)

Juge Flook : Eh bien, étant assis sur le banc avec vous, je ne dois pas être si mauvais.

(Rires)

Je suppose que ce que je retiens de cet incident c’est que d’avoir un contrôle sur son propre travail est très important. J’ai perdu le contrôle sur mes recherches. Aujourd’hui, la technologie peut remédier à ça. Les DRM permettent aux ayants droit de contrôler leurs œuvres sur les appareils. Peut-être que cette technologie a été controversée au début mais aujourd’hui, tout le monde l’accepte vu que la section 1201 n’a pas été modifiée. Pourquoi ne devrions-nous pas avoir le contrôle de nos œuvres qui sont dans les esprits des autres ? C’est tout ce que M. Whitman demande, n’est-ce pas ? Une sorte de deuxième chance pour retirer les informations transgressives qui n’auraient jamais dues être diffusées en premier lieu.

Présidente Diehr : Quelque chose qui ressemble peut-être au nettoyage d’un polluant ? Cela pourrait être une analogie environnementale.

Juge Flook : Mmh… Oui, peut-être. C’est peut-être le parallèle que je cherchais quand je demandais si l’effacement de mémoire était la bonne solution ici. Un peu comme on nettoie les produits chimiques de l’air, nous nettoyons les esprits des informations qui n’auraient pas dû y être.

Me Proctor : Je… je vois que mon temps de parole est écoulé, pourrais-je…

Présidente Dieh : Le tribunal vous accorde une à deux minutes pour répondre.

Me Proctor : Merci, votre Honneur. Pour répondre à votre question M. Flook, nous ne faisons pas que nettoyer les esprits d’une information. Nous nettoyons beaucoup plus.

Lorsque j’ai parlé avec mon client, M. Vail, de l’importance de sa chanson, il m’a expliqué que cette musique était intimement liée au souvenir de sa fille, Sarah Vail. Straight Focus est composée des morceaux favoris de Sarah et les souvenirs qu’il a de cette chanson sont des souvenirs d’elle. La chanson utilise également les techniques neurologiques qu’il a inventées afin de mélanger ces morceaux et de déclencher les souvenirs de Sarah dans son esprit. C’est, à proprement parler, cette chanson qui garde la fille de M. Vail en vie pour lui. Lui confisquer les souvenirs c’est lui retirer ce fragment d’elle.

Ce résultat déplorable ne l’est que plus pour les fans de cette chanson. Ces derniers ont apprécié ce morceau et ont construit leurs propres souvenirs autour. Les artistes ont créé des remixes et reprises à partir de ce morceau grâce à des éléments personnels et créatifs.

Devrions-nous abandonner toute cette création, tout ce progrès, toutes ces pensées et tout ce bonheur pour la seule requête, unilatérale, d’un compositeur ? La Constitution des États-Unis affirme que la loi sur le droit d’auteur doit « promouvoir le progrès de la science et les arts utiles ». Or, l’effacement de mémoire demandé par M. Whitman n’effacerait pas uniquement la chanson contrevenante, qui était déjà un travail d’adaptation, mais aussi toutes les œuvres progressives créées à partir de celle-ci. L’effacement est une régression, pas un progrès, et ce tribunal ne saurait l’autoriser.

Présidente Diehr : Merci, Me Proctor, l’affaire est soumise au vote.

 

 

VII.

The Washington Post

La Cour suprême autorise l’effacement d’une chanson de la mémoire nationale

Le 25 juin 2046

Dans une décision très controversée, la Cour suprême a approuvé par cinq voix contre quatre la décision à l’encontre du géant de la musique et de la technologie Vail Enterprises, exigeant l’utilisation du système EffaceMem National pour effacer tous les souvenirs du tube Straight Focus des esprits de tous les citoyens des États-Unis.

Représentant la majorité, le juge Flook a rappelé ses préoccupations quant à la restriction nécessaire des usages du système EffaceMem National pour que celui-ci ne soit utilisé que pour les « infractions graves ». Il reste toutefois persuadé que « les mesures pour un droit d’auteur fort, développées ces dernières décennies indiquent que la nation considère désormais l’atteinte au droit d’auteur comme une de ces infractions graves ». Dans la suite de son discours, il a déclaré que « la suppression des souvenirs est un remède approprié étant donné les mesures existantes permettant aux ayants droit de supprimer les idées exprimées sur presque tous les autres supports, notamment en raison de la section 1201 et des autres parties de la loi sur le droit d’auteur ».

En désaccord, le juge Diamond a trouvé la décision « diamétralement opposée aux conditions constitutionnelles nécessaires pour que les droits d’auteur puissent promouvoir le progrès des arts et de la science » et a prédit que cette décision mènerait à « une ère dépourvue de toute musique, toute œuvre littéraire, toute création qui se baserait sur une œuvre passée ».

Les dirigeants de l’industrie musicale ont applaudi cette décision de la Cour suprême approuvant la suppression de la mémoire. Clifford King, président de la Recording Industry Association of America a déclaré : « Le droit d’auteur devrait fournir aux créateurs un contrôle total sur leurs œuvres et sur la manière dont le public les perçoit. Éliminer ces contenus illicites des esprits des gens s’inscrit dans ce contrôle. »

Les avocats en faveur des libertés individuelles ont désapprouvé ce message. « Le droit d’une personne à être libre de penser outrepasse l’intérêt commercial du droit d’auteur » peut-on lire dans une lettre signée ce matin par vingt organisations à but non lucratif qui demandent au Congrès de casser ce jugement et cette décision.

La décision affectera vraisemblablement et en premier lieu le créateur de Straight Focus, Alfred Vail, contraint à mettre en œuvre l’effacement des souvenirs de son propre morceau. M. Vail n’a pu être contacté pour répondre sur le sujet. Son voisinage a indiqué ne pas l’avoir vu quitter son domicile depuis l’annonce de la décision.

Cet acte exceptionnel d’effacement de mémoire, dans le cadre du non respect du droit d’auteur, restera unique pendant quelque temps. En effet, celui-ci intervient uniquement par un concours de circonstances qui font que le coupable est aussi le propriétaire du système EffaceMem National. Toutefois, cela pourrait ne pas durer longtemps : les brevets portant sur EffaceMem expireront dans deux ans.

M. King a déclaré : « Nous sommes aux débuts de la préparation de notre nouveau système, provisoirement appelé Gestion des droits mentaux. Cela permettra à chaque auteur, artiste, compositeur de récolter les bénéfices de cet effacement de mémoire, autorisé par la décision de la Cour suprême. »

Dans le cadre de cette affaire, l’activation du système EffaceMem National n’aura pas lieu avant plusieurs semaines, vraisemblablement pas avant fin juillet. Les ingénieurs travaillant sur le système coderont les paramètres correspondant à l’information à supprimer afin qu’aucun souvenir (pas même le souvenir que le souvenir ait été effacé) ne subsiste.

Comme pour les autres activations du système, celle-ci aura probablement lieu en fin de matinée ou en début d’après-midi afin de minimiser le dérangement. La procédure consistera à diffuser, pendant environ quinze secondes, des sons graves et rythmés – dont certains les ont décrits comme lyriques ou apaisants – suffisamment forts pour pénétrer dans les bâtiments. Ces sons sont calibrés pour retirer tout souvenir de la chanson. Après ces quelques secondes, la musique se taira.

 

VII.

Message de Rand. A. Warsaw pour Alice Stevens Vail

Le 4 avril 2084

Coucou Maman,

(J’essaie ce nouveau truc pour transcrire directement mes pensées – désolé si c’est un peu brouillon, j’ai encore du mal à me concentrer mentalement.)

Je m’occupais des affaires de Papy Al afin qu’elles soient prêtes pour la licitation de la semaine prochaine (ça va tellement vite, je n’arrive pas à croire que l’enterrement a eu lieu la semaine dernière). Parmi toutes ces affaires, il y avait une boîte coincée derrière un bureau dans le grenier. À première vue, on aurait dit qu’elle était tombée ici par accident – ça doit faire des années qu’elle est ici, elle était tellement poussiéreuse – mais je pense que Papy a peut-être voulu la cacher.

À l’intérieur, il y avait quelques documents législatifs et quelques coupures de journaux sur un procès concernant une chanson qu’il avait écrite. Je ne savais pas du tout qu’il avait été musicien. Cela dit, ça ne me surprend pas vu que les documents mentionnent l’effacement généralisé des souvenirs de sa chanson.

Sur le haut de la pile de papiers, il y avait cette note :

26 juin 2046. Lundi dernier, la Cour suprême a approuvé l’éradication de ma chanson Straight Focus de la mémoire collective. Ma chanson ! Chanson pour laquelle j’ai passé des mois à réfléchir et à organiser. Tout ça pour quelques notes idiotes empruntées à quelqu’un d’autre.

J’ai pensé à quitter le pays pour au moins échapper à la sentence d’EffaceMem. Malheureusement, le juge a déclaré que je devais être présent pour appliquer la sentence et activer le système dans un mois. En plus, le gars de la RIAA (NdT : Association de l’industrie du disque étatsunienne) a dit que ce n’était qu’une question de temps avant que leur système de Gestion des droits mentaux soit mondial.

J’espérais vraiment laisser Straight Focus en héritage. Je me rappelle avoir expliqué EffaceMem à Sarah quand elle avait sept ou huit ans. Elle m’avait dit : « Papa, peut-être que tu devrais faire quelque chose pour que les gens se souviennent plutôt que pour qu’ils oublient. » Après qu’elle a perdu sa bataille contre le cancer, j’ai pris conscience que je voulais faire quelque chose dont les gens se souviendraient – quelque chose qui me permettrait de me souvenir d’elle.

Straight Focus a permis ça. Tout le monde aimait cette chanson, il y avait plein de superbes versions faites par les fans, des vidéos et tout. Je partageais mes nouvelles idées musicales avec le monde entier, créant quelque chose qui puisse rester dans les mémoires.

Le droit d’auteur est supposé protéger les artistes comme moi, n’est-ce pas ? Mais ici, c’est la loi sur le droit d’auteur qui détruit ma création. Comment ont-ils pu rester aveugles face à ce qui allait arriver ? Comment ont-ils pu laisser cette stupide loi 1201 telle quelle pendant presque cinquante ans ?

La vie est pleine d’ironie. La dernière chose à laquelle je m’attendais était que ma propre technologie d’effacement de mémoire soit utilisée contre mes idées.

Depuis que Sarah est morte, ça a été une chute continuelle. Elle aimait la musique et il n’y avait rien de plus important que sa playlist favorite. Après l’avoir perdue, cette playlist a failli m’échapper avant qu’ils ne la suppriment en raison de la loi sur la succession des biens numériques (plutôt étrange que votre parent ne puisse hériter de votre bibliothèque musicale). J’ai créé Straight Focus pour garder son souvenir en vie mais ils ont supprimé cette chanson, y compris sur mes propres ordinateurs.

Et maintenant, ils suppriment même les souvenirs de cette chanson sur elle. C’est comme s’ils la supprimaient de mon esprit.

Avant donc que mes souvenirs me soient pris le mois prochain, je vais emballer ce qui me reste de cette chanson – presque tous mes souvenirs de Sarah, je pense. Je pensais à laisser la boîte sous mon bureau pour que je puisse la voir après qu’ils auront lancé EffaceMem. Toutefois, mes pensées actuelles sont trop tristes et trop douloureuses et je ne sais pas si je veux rouvrir ces blessures après avoir perdu mes souvenirs. Je vais donc placer cette boîte ici, dans le grenier. Peut-être que je la retrouverai un jour, espérons dans de meilleures circonstances.

Il y a aussi cette cartouche en plastique qui fait environ la taille de ma main avec une sorte de bande marron brillante à l’intérieur. Il y a écrit Straight Focus dessus. Il y a également cette machine noire avec des boutons et on dirait que la cartouche peut y être insérée mais je n’arrive pas à l’allumer. Je pense qu’il faut une source d’énergie. J’ai essayé tous les chargeurs sans fil à induction que j’ai à la maison, aucun n’a fonctionné. Je suppose que la machine doit être trop ancienne pour ça.

J’apporterai tout ce que j’ai trouvé quand je viendrai demain. On demandera à Oncle James s’il peut trouver une solution vu qu’il aime toutes ces machines du XXIe siècle. Qui sait, peut-être que nous découvrirons toute une facette d’Alfred Vail dont nous n’avions jamais entendu parler.

 

Merci à l’équipe Framalang de ce gros travail de traduction !




Framasoft fait son « Ray’s day » avec 8 nouvelles Libres

Depuis sa création, Framasoft s’est donné pour mission de diffuser la culture libre et d’en emprunter la voie — libre elle aussi. Aujourd’hui, c’est le « Ray’s day », l’occasion de fêter l’acte de lecture en célébrant l’anniversaire de feu Ray Bradbury.

L’événement, initié l’année dernière par l’auteur Neil Jomunsi se veut « comme une grande fête d’anniversaire dans le jardin avec ballons et tartes aux myrtilles ». Pas une fête pour « vendre de la culture », juste une grande envie de partager nos lectures.

8 nouvelles Libres

Alors, à Framasoft, comme on aime beaucoup les tartes aux myrtilles, on s’est dit qu’on allait participer. Le temps de cette belle journée, différents membres de l’association ont donc pris la casquette d’écrivain pour vous présenter un livre électronique inédit contenant 8 histoires différentes :

  • Apocalypse de Pouhiou ;
  • Caméléon et Daimôn : la colère de Frédéric ;
  • Celui pour qui sonnent les cloches de Marien ;
  • Steve et Mars bipolaire de Gee ;
  • La revanche du lobby pâtissier de Greg (invité par Framasoft à l’occasion) ;
  • Ils sont fait de viande, une traduction de Terri Bisson par Luc.

Cliquez sur l'image pour télécharger le livre numérique.
Cliquez sur l’image pour télécharger le livre numérique.

Cet ebook, au format .epub (le format ouvert du livre numérique) est téléchargeable à cette adresse et est bien évidemment libre.

Lisez, partagez, adaptez ou modifiez-les, ces histoires vous appartiennent désormais ! Et si l’envie vous en prend, diffusez le mot sur les réseaux sociaux avec le hashtag #RaysDay… l’occasion aussi de découvrir d’autres initiatives à travers la toile.

Mais ce n’est pas tout…

En effet, suite à un harcèlement textuel et potache sur les réseaux sociaux, Gee et Pouhiou ont repris leur casquettes de Connards Professionnels pour un nouvel épisode de « Bastards, inc. – Le Guide du Connard Professionnel ». L’occasion de relire et/ou télécharger les épisodes précédents, et de lire cet épisode inédit en attendant qu’ils reprennent (dès le 2 septembre) leur rythme de croisière de ce roman/BD/MOOC de connardise.

Cliquez sur l'image pour aller lire ce nouvel épisode
Cliquez sur l’image pour aller lire ce nouvel épisode

Enfin, le groupe Framalang vient d’achever la traduction d’une nouvelle futuriste sur le copyright et ses dérives : Stop the Music de Charles Duan (initialement publiée sur BoingBoing, un site tenu, entre autres, par Cory Doctorow). La traduction n’a pu être prête à temps pour rejoindre l’epub de cet article, c’est pour cela que vous en retrouverez la première partie dès aujourd’hui ici sur le Framablog !

Partagez vos lectures !

On vous souhaite donc à tous un bon Ray’s day 2015 et une bonne journée de lecture. N’oubliez pas d’aller voir sur le site officiel du Ray’s Day toutes les initiatives de partage qui sont proposées aujourd’hui, ainsi que de télécharger les ebooks sur leur bibliothèque en ligne / catalogue OPDS !

En espérant vous retrouver l’année prochaine,

L’équipe de Framasoft.




RaysDay : Stop the Music, une nouvelle sur les libertés. 1/2

À l’occasion du RaysDay 2015, l’équipe de traduction Framalang a choisi de traduire la nouvelle Stop the Music, de Charles Duan, publiée originellement sur Boing Boing. Cette histoire futuriste explore les dérives possibles des lois sur le copyright.

Voici donc la première partie de cette traduction (la seconde et dernière partie sera publiée sur le Framablog la semaine prochaine). Exceptionnellement, nous avons choisi de ne pas traduire le titre (libre à vous de le faire !)

Comme son œuvre originelle, cette traduction est sous licence CC-BY-SA-NC.

Traduit par : Piup, egilli, Sphinx, Omegax, ac, audionuma (et les anonymes)

Stop the Music (image : Boing Boing
Stop the Music (image : Boing Boing)

Stop the music

I.

À la Cour fédérale du district central de Californie

Eugene L. Whitman contre Alfred Vail Enterprises, Inc.

Plainte pour violation du droit d’auteur

Le 18 février 2044

 

Le plaignant, Eugene L. Whitman, représenté par ses avocats, porte plainte contre Alfred Vail Enterprises, Inc. suite aux faits suivants :

1. Le plaignant, M. Whitman, compositeur de son état, a écrit la chanson populaire Taking It Back

2. Le 14 janvier 2044, le défendeur Vail Enterprises a distribué la chanson Straight Focus qui remporte aujourd’hui un grand succès.

3. Straight Focus inclut un fragment de huit notes, extraites de Taking It Back. Par conséquent et au vu de cette œuvre dérivée non autorisée, Vail Enterprises a manqué au droit d’auteur de M. Whitman.

En tout état de cause, M. Whitman requiert que Vail Enterprises :

A. Reçoive une injonction lui interdisant la poursuite de cette infraction au droit d’auteur de M. Whitman ;

B. Détruise l’intégralité des exemplaires de Straight Focus en possession de Vail Enterprises ;

C. Soit ordonnée de supprimer la chanson Straight Focus de la mémoire de l’ensemble des personnes résidant aux États-Unis.

 

II.

À la Cour fédérale du district central de Californie

Eugene L. Whitman contre Alfred Vail Enterprises, Inc.

Réponse de Alfred Vail Enterprises, Inc.

Le 25 février 2044

 

Le défendeur, Alfred Vail Enterprises, Inc., répond à la plainte du plaignant, Eugene L. Whitman, en les termes suivants :

1. Vail Enterprises est une société basée dans l’État du Delaware dont le siège se situe à Los Angeles en Californie et qui est intégralement détenue par M. Alfred Vail.

2. À la suite d’une carrière longue et réussie au sein de l’industrie de la neurobio-ingénierie, M. Vail fit le choix d’entrer dans le monde de la musique. Sa première composition Straight Focus est une œuvre musicale unique et innovante, jugée par les critiques comme « digne d’un nouveau siècle technologique » ou comme « une clef de voûte entre l’art et les neurosciences ».

3. En plus d’être un succès massif, la portée de Straight Focus fut internationale. Cette chanson fut vue plus de 350 millions de fois sur les sites de partage de vidéos. Outre cela, le meilleur révélateur de la popularité de cette œuvre reste : les vidéos d’appréciation, les remixes et adaptations diverses réalisées par les amateurs de ce morceau.

4. M. Vail a écrit Straight Focus à la mémoire de sa fille Sarah Vail, décédée l’année dernière en pleine adolescence suite aux complications de sa leucémie. Le morceau est composé de fragments des cinquante œuvres musicales préférées de Mlle. Vail, arrangés par lui-même grâce à sa créativité et à son expérience en neurosciences afin de produire un tour de force émotionnel musical inattendu. L’une de ces œuvres correspond au morceau du plaignant Taking It Back.

5. Le fragment de Taking It Back utilisé dans Straight Focus est minime et n’a pas altéré la valeur de ce morceau. En effet, la popularité de la composition de M. Vail a entraîné un intérêt significatif et une augmentation des ventes pour l’ensemble des œuvres sur lesquelles il s’est basé. Par conséquent, l’utilisation de ce fragment de Taking It Back par M. Vail ne constitue pas une infraction au droit d’auteur ou, a minima, constitue un usage raisonnable au titre de l’article 17 U.S.C. § 107.

6. En outre, la requête du plaignant, M. Whitman, exigeant la suppression de tout souvenir de Straight Focus des pensées des auditeurs, constitue un précédent absurde. Jamais un tribunal n’a ordonné ou autorisé de suppression de mémoire totale, visant l’ensemble du public pour une affaire liée au droit d’auteur. Cet ordre ou cette autorisation ne devrait pas être soumis à la compétence de cette cour.

 

III.

À la Cour fédérale du district central de Californie

Eugene L. Whitman contre Alfred Vail Enterprises, Inc.

Avis et ordre quant à l’effacement de la mémoire

20 juin 2044
Avis de M. Benson, juge fédéral.

Le jury du tribunal a considéré que l’accusé Vail Enterprises n’a pas respecté le droit d’auteur du plaignant M. Whitman. Le plaignant demande donc à cette cour d’émettre un arrêt obligeant Vail Enterprises à effacer tout souvenir du morceau délictueux Straight Focus des pensées de toutes les personnes résidant aux États-Unis, grâce au système EffaceMem National.

La requête de M. Whitman est une forme de réparation extrêmement inhabituelle et sans précédent. Il est donc nécessaire de procéder à quelques explications concernant le système.

Le système EffaceMem National a été développé à partir de la technologie EffaceMem, inventée par Alfred Vail en 2028. Des avancées antérieures en neurosciences ont révélé que les souvenirs humains pouvaient être modifiés ou effacés en agitant les cellules cérébrales, mais cette procédure était intrusive et risquée, et, de fait, utilisée uniquement dans des cas particulièrement inhabituels de troubles psychiques, comme les troubles de stress post-traumatiques.

M. Vail a découvert que certaines ondes sonores basses fréquences à fluctuation rapide pouvaient être utilisées pour agiter les cellules cérébrales de la même manière, permettant ainsi un effacement de la mémoire sans risque et sans intrusion, avec une excellente précision concernant la date et l’objet des souvenirs. Cette technologie, qu’il appela EffaceMem, fut offerte comme service au consommateur, le plus souvent pour effacer le souvenir d’événements embarrassants, d’ex-amants, et de situations traumatisantes.

De manière inattendue, le service au consommateur devint un élément de sécurité nationale au moment des attaques terroristes contre les États-Unis d’août 2039. L’Agence centrale de renseignement (CIA) avait intercepté une communication chiffrée contenant les détails de la planification de plusieurs bombardements simultanés sur plusieurs grandes villes. La CIA savait que l’attaque aurait lieu durant la semaine suivante, mais ne pouvait pas déchiffrer le reste du message pour identifier les détails du complot. Le temps venant à manquer, la CIA, dans une ultime tentative, se procura des milliers d’énormes haut-parleurs haute-fidélité, les répartit dans les villes, et diffusa à plein volume des enregistrements d’EffaceMem conçus pour effacer les souvenirs de toutes les conversations ayant eu lieu au moment de la diffusion des messages interceptés.

Les résultats furent saisissants : San Francisco et la ville Washington., où EffaceMem était déployé, ne subirent aucun bombardement, alors que la ville de New York, où EffaceMem n’avait pas pu être déployé à temps, fut dévastée.

À la suite de ces attaques, le pays entreprit rapidement de déployer EffaceMem sur l’ensemble du territoire. Le réseau ainsi formé, connu sous le nom de « système EffaceMem National », couvre chaque centimètre carré et chaque habitant des États-Unis, et permet d’assurer la suppression totale d’une idée dans l’esprit de la population. Le système n’a pas été utilisé de manière fréquente, mais plutôt occasionnellement, et sous supervision judiciaire stricte, pour déjouer les complots terroristes et prévenir des crimes, avec d’excellents résultats. La CIA et l’armée ont également étudié d’autres applications.

Mais le système EffaceMem National n’a jamais été utilisé pour servir des intérêts privés. Jusqu’à présent, il a été utilisé uniquement pour effacer des idées de crimes ou des dangers pour le public. Ainsi, la requête de M. Whitman d’utiliser le système pour effacer le souvenir d’un morceau de musique est parfaitement inattendue. Cette cour n’a absolument aucune décision similaire ni aucun précédent sur lequel se baser.

Au premier abord, l’injonction faite à une partie d’utiliser le système EffaceMem National semble inappropriée dans presque tous les cas, car cette cour ne peut obliger une partie à faire quelque chose que si cette partie peut faire cette chose, et utiliser EffaceMem National n’est pas possible pour la plupart des gens. Mais ici, l’accusé est une exception inhabituelle, car Vail Enterprises est propriétaire du système. M. Alfred Vail, inventeur d’EffaceMem, a plus tard fondé Vail Enterprises, qui a financé et construit le système EffaceMem National, et en est toujours propriétaire. Par conséquent, une injonction d’utiliser le système pourrait être émise à son encontre.

M. Whitman soutient que l’article 17 U.S.C. § 503(b) autorise cette cour à ordonner à Vail Enterprises de réaliser une suppression des souvenirs du morceau. Cette loi indique que cette cour « peut ordonner la destruction […] de toutes les copies ou les enregistrements audio faits ou utilisés en violation des droits exclusifs du propriétaire des droits d’auteur ». Comme les neurones qui ont enregistré les souvenirs du morceau sont des « copies ou des enregistrements audio », M. Whitman prétend que cette cour a le pouvoir d’ordonner à Vail Enterprises de procéder à la « destruction » de ces copies en effaçant les souvenirs.
Je comprends la position de M. Whitman. M. Whitman est manifestement très soucieux de protéger ses œuvres musicales, et refuse à quiconque d’en créer des œuvres dérivées ou de les altérer, en accord avec son désir de garantir que sa musique reste « pure ». Cela lui est permis, en tant que propriétaire des droits d’auteur. J’ai déjà ordonné à Vail Enterprises de supprimer toutes les copies physiques du morceau contrefait.
Mais en ce qui me concerne, je ne suis pas certain que l’injonction d’effacer des souvenirs soit raisonnable. Peut-être l’est-elle, peut-être pas ; aucune autre autorité judiciaire ne fournit de conseil sur cette question. Si la Cour d’appel ou la Cour suprême décident que ce type d’injonction est autorisé, alors je l’émettrai. Mais sans le support d’une de ces cours, il me semble nécessaire de rester prudent et de ne pas ordonner à Vail Enterprises d’effacer les souvenirs du morceau contrefait.

Demande rejetée.

 

IV.

The Washington Post

Audition à la Cour suprême à propos de l’affaire sur l’effacement de mémoire.

Le 12 février 2046

Ce matin, la Cour suprême entendra les plaidoiries dans une affaire très suivie concernant la possibilité pour un auteur de chansons d’utiliser son droit d’auteur pour effacer de la mémoire de tous les Américains une chanson supposée contrevenir au droit d’auteur.

Cette affaire, Whitman contre Vail Enterprises, voit s’affronter le chanteur Gene Whitman et le neurobiologiste (devenu artiste du remix) Alfred Vail, à propos de la chanson à succès Straight Focus. En 2044, un jury a décidé que la chanson de M. Vail violait le droit d’auteur de M. Whitman. Immédiatement, l’Association Américaine de l’Industrie du Disque a diligenté une requête auprès du système fédéral de gestion des droits numériques, déclenchant ainsi un effacement automatique de la chanson de tous les sites internet et des équipements personnels. Straight Focus n’a plus été entendue aux États-Unis depuis plus d’un an maintenant.

Mais M. Whitman considère que la suppression de Straight Focus de tous les équipements personnels n’est pas suffisante. Extrêmement protecteur de ses œuvres, M. Whitman a cherché à obtenir un arrêt de la Cour imposant l’effacement de la chanson Straight Focus de la conscience de tout le monde en utilisant le système EffaceMem National, système qui est la propriété de M. Vail.

La Cour a récusé la requête de M. Whitman, indiquant qu’elle n’ordonnerait pas l’utilisation du système EffaceMem National sans l’avis de la Cour suprême.

M. Whitmann n’a pas souhaité s’exprimer sur cette affaire. M. Vail, lors d’une interview, a exprimé son « exaspération » que cette affaire aille jusqu’à la Cour suprême.

« Ma chanson Straight Focus signifie beaucoup pour de nombreuses personnes », dit-il. « Pour moi, c’est un souvenir de ma fille que j’ai perdue il y a trois ans. Et les amateurs de cette chanson ont créé leurs propres sens et souvenirs à partir d’elle. Cela dépasse l’imagination que Gene Whitman puisse effacer toutes ces pensées en clamant une sorte de possession du droit d’auteur. »

C’est la deuxième affaire au sujet du système EffaceMem National qui est portée devant la Cour suprême. L’affaire précédente, United States contre Neilson, portait sur la constitutionnalité du système, utilisé pour supprimer l’activité criminelle à la suite des attaques du 7 août 2039. Le système a été jugé constitutionnel par une majorité divisée de 5 voix pour et 4 voix contre.

Au nom de cette majorité, la présidente de la Cour suprême, Mme Diehr, a rejeté les recours basés sur les premier, cinquième et quatorzième amendements, déclarant que le système EffaceMem National est « un outil nécessaire à la société technologique pour la prévention des méfaits et des délits à l’encontre du du public ». Vétéran de l’armée de l’air et également ancienne procureure générale, la présidente s’est vraisemblablement basée sur son expérience au sein de l’armée des États-Unis lorsqu’elle a conclu : « le nombre grandissant de menaces envers notre nation ne peut être contrecarré qu’avec un arsenal défensif renforcé. »Elle écrit par ailleurs « qu’il s’agit d’un devoir de citoyen que d’abandonner ses pensées personnelles si cela protège le plus grand bien, de la même façon qu’il était un devoir, en temps de guerre, que d’abandonner sa liberté ou ses propriétés, pour le bien de la nation ».

Dans un argumentaire vivement opposé, le juge Diamond rejeta l’idée que « la pensée humaine est le jouet du gouvernement fédéral ». Rappelant son passé d’avocat des droits civils et se basant sur la Constitution et la Déclaration des droits, le juge a déduit que celles-ci contenaient, dans une certaine mesure, des garanties sur la vie privée et la liberté de pensée. Selon son point de vue, ces textes entrent en conflit avec un effacement de mémoire sans consentement. Il a fait référence à l’affaire Americans for Digitals Rights contre Gottschalk qui décida que la collecte de données représentait une fouille illégale d’après le quatrième amendement. Il y a 25 ans, le juge Diamond était l’avocat qui représentait ADR lors de cette affaire qui brisa la jurisprudence pré-Internet, jurisprudence qui avait été sérieusement remise en question par le juge Sotomayor en 2012.

Le juge Flook, dans un avis séparé, indiqua qu’il était « indécis » en raison des « conséquences inquiétantes » d’un effacement de mémoire généralisé. Malgré cela, pour lui, les bénéfices de ce système compensent ces inconvénients. C’est probablement son vote qui décidera du sort de cette affaire, tous les yeux seront rivés sur lui lors des débats.

Le juge est un ancien professeur de droit, dont les intérêts et les publications portent sur les lois concernant l’environnement et les ressources naturelles. Au regard de ses prouesses universitaires et de sa passion environnementale, l’opinion du juge dans l’affaire Neilson est, comme pour beaucoup de ses confrères, brillante sur le plan analytique et partagée sur le plan émotionnel. Il a déclaré : « Je crains sincèrement un monde où mes souvenirs et les souvenirs d’innombrables personnes peuvent être effacés en appuyant sur un bouton. Mais je crains autant les attaques terroristes. Dès lors que je peux être sûr que cet effacement de mémoire est limité aux seules situations nécessaires, ma première crainte sera suffisamment restreinte. ».

L’audience débutera à 10 h et portera sur l’affaire n°45-405 : Whitman contre Alfred Vail Enterprises.

 

Rendez-vous la semaine prochaine pour la suite et conclusion de cette nouvelle !




Quand on touche à la vie privée, c’est la démocratie qui est menacée (3/3)

Dans cette dernière partie, Eben Moglen nous donne quelques pistes pour protéger nos données personnelles.

Source : The Guardian, Privacy under attack: the NSA files revealed new threats to democracy

Traduction : Thérèse, fatalerrors (Geoffray Levasseur), goofy, audionuma, Diab, Paul, Omegax, lumi

 

L’incessante poursuite du profit qu’engendre l’extraction de données par tous les moyens légaux imaginables a causé une dévastation environnementale. Personne n’a jamais imposé les contraintes qui auraient dû exister dans l’intérêt de la protection contre la dégradation de l’environnement.

moglen3On a tendance à condamner le partage à outrance. On entend souvent dire que le véritable problème de la vie privée est que les enfants vont bien trop loin dans le partage. Quand vous démocratisez un média, ce que nous sommes en train de faire avec le Net, les personnes ordinaires auront naturellement tendance à en dire plus qu’elles ne l’ont jamais fait. Ce n’est pas un problème. Dans une société libre, les gens devraient être protégés dans l’exercice de leurs droits à en dire autant ou aussi peu qu’ils le souhaitent.

Le véritable problème est que nous sommes en train de perdre l’anonymat de la lecture, ce pour quoi personne n’a signé.

Nous avons perdu la capacité de lire anonymement, mais cette perte nous est dissimulée à cause de la manière dont nous avons construit le web. Nous avons donné au public des programmes appelés « navigateurs » que tout le monde peut utiliser, mais nous avons fait des « serveurs web » dont seuls les geeks peuvent faire usage — très peu de gens ont eu un jour l’occasion de consulter le journal d’un serveur web. C’est un immense échec de l’éducation à la technologie pour notre société, comme si l’on dissimulait aux enfants ce qui se passe quand des voitures entrent en collision et que les passagers ne portent pas de ceinture de sécurité.

Nous n’expliquons pas aux gens comment le journal d’un serveur web enregistre en détail l’activité des lecteurs, ni même combien on peut en apprendre sur eux simplement en sachant ce qu’ils lisent, et comment. À partir de ces journaux, vous pouvez savoir combien de temps chaque lecteur passe sur une page, comment il la lit, où il se rend ensuite, ce qu’il fait ou recherche à partir de ce qu’il vient de lire. Si vous pouvez rassembler toutes les informations qu’il y a dans ces journaux, alors vous commencez à posséder ce que vous ne devriez pas avoir.

Sans anonymat de la lecture il n’y a pas de liberté de l’esprit. C’est en effet littéralement l’esclavage. L’abolitionniste Frederick Douglass a écrit que la lecture était le chemin menant de l’esclavage à la liberté. Lorsqu’il décrit son propre cheminement dans ses mémoires, Douglass se souvient que lorsque l’un de ses propriétaires l’empêche de lire, « j’ai alors compris ce qui avait été pour moi une grande source de perplexité — à savoir, le pouvoir de l’homme blanc à asservir l’homme noir. » Et si chaque livre ou journal qu’il avait touché l’avait signalé ?

Si vous avez un compte Facebook, Facebook surveille chaque instant que vous y passez. Mais plus important encore, chaque page visitée contenant un bouton « J’aime » informera Facebook que vous avez lu cette page, que vous cliquiez sur ce bouton ou non. Si le journal que vous lisez chaque jour contient un bouton « J’aime » de Facebook ou les boutons de services similaires, alors Facebook ou les autres services vous regardent lire le journal : ils savent quels articles vous avez lus et combien de temps vous avez passé dessus.

Chaque fois que vous twittez une URL, Twitter la raccourcit pour vous. Mais il s’arrange aussi pour que toute personne cliquant dessus soit surveillée par Twitter pendant qu’elle lit. Vous n’aidez pas seulement des gens à savoir ce qu’on trouve sur le Web, vous aidez aussi Twitter à lire par-dessus l’épaule de toutes les personnes qui lisent tout ce que vous recommandez. Ce n’est pas transactionnel, c’est écologique. C’est une destruction environnementale de la liberté de lire des autres personnes. Votre activité est conçue pour les aider à trouver les choses qu’elles veulent lire. L’activité de Twitter est de travestir aux yeux de tous la surveillance de la lecture qui en résulte.

Nous avons permis à ce système de grandir si rapidement autour de nous que nous n’avons pas eu le temps d’en comprendre les implications. Une fois que ces implications ont été bien pesées, les gens qui comprennent n’ont pas envie de parler, parce qu’ils ont un avantage et que cet avantage est dirigé contre vous. Puis la surveillance commerciale attire l’attention des gouvernements, avec deux résultats dont Snowden nous a apporté la preuve : la complicité et le vol qualifié.

Aussi pratiques, voire nécessaires, que leurs services puissent nous paraître, faute d’arriver à regagner la confiance de leurs clients, ils sont fichus.

Les entreprises spécialisées dans l’extraction de données croyaient, disaient-elles, qu’elles étaient simplement dans une situation de complicité avec le gouvernement. Après avoir créé des structures technologiques dangereuses qui fouillaient vos données personnelles, elles pensaient qu’elles étaient simplement engagées dans des négociations secrètes sur la quantité qu’elles devaient en livrer. C’était, bien sûr, un jeu où s’entremêlaient avidité et peur.

En gros, ce que les entreprises américaines d’extraction de données croyaient, ou voulaient nous faire croire qu’elles croyaient jusqu’à ce que Snowden les réveille, était qu’à travers leur complicité elles avaient obtenu l’immunité pour leurs vols qualifiés. Mais nous avons maintenant appris que leur complicité ne leur a rien rapporté. Elles nous ont vendu pour moitié, et le gouvernement a volé le reste. Elles ont découvert que ce qu’elles attendaient de l’honnêteté des grandes oreilles américaines, NSA et autres agences, elles étaient très loin de l’avoir obtenu. À l’évidence, l’attitude des grandes oreilles se résumait à : « Ce qui est à nous est à nous et ce qui est à vous est négociable… à moins que nous ne l’ayons d’abord volé. »

De même que l’industrie mondiale de la finance, les grandes entreprises d’extraction de données ont pris les promesses des grandes oreilles américaines trop au sérieux. C’est en tout cas l’interprétation charitable qu’on peut donner de leur conduite. Elles pensaient qu’il y avait des limites à ce que ferait le pouvoir.

Grâce à Snowden, que ce soit pour les extracteurs de données ou pour les grandes oreilles américaines, la situation n’est plus contrôlable politiquement. Ils ont perdu leur crédit, leur crédibilité, aux yeux du monde. Aussi pratiques, voire nécessaires, que leurs services puissent nous paraître, faute d’arriver à regagner la confiance de leurs clients, ils sont fichus.

Les problèmes environnementaux — tels le changement climatique, la pollution de l’eau, l’esclavage ou la destruction de la vie privée — ne se résolvent pas par des transactions entre individus. Il faut une union pour détruire l’esclavage. De même, l’essence de notre difficulté est l’union [1].

Cependant, une des caractéristiques des grands extracteurs de données est qu’il n’y a pas d’union des travailleurs, de syndicat, en leur sein ni autour d’eux. Ce sont maintenant des entreprises publiques, mais l’union des actionnaires ne contrôle pas efficacement les méfaits environnementaux qu’elles commettent. Ces entreprises sont d’une opacité remarquable en ce qui concerne leurs activités réelles et elles sont si profitables que les actionnaires ne tueront jamais la poule aux œufs d’or en remettant en cause l’éthique de leurs méthodes commerciales. Dans ces entreprises, un petit nombre d’individus puissants contrôle tous les votes ayant un effet concret ; la main d’œuvre n’a pas de voix collective.

Snowden a toujours été clair sur le fait que le remède à cette destruction environnementale est la démocratie. Mais il a aussi fait remarquer à plusieurs reprises que partout où les travailleurs ne peuvent pas s’exprimer et n’ont pas de voix collective, le droit du public à l’information n’est pas protégé. Quand il n’y a pas de voix collective pour ceux qui sont au sein de structures qui trompent et oppriment le public, alors quelqu’un doit agir courageusement de son propre chef.

Avant Auguste, les Romains de la république finissante savaient que le secret du scrutin était essentiel aux droits du peuple. Mais dans tous les pays du monde où se déroulent des élections dignes de ce nom, Google sait comment vous allez voter. Il est déjà en train de façonner votre paysage politique, dans vos fils d’actualité personnalisés, en fonction de ce que vous voulez lire, de qui vous êtes et de ce que vous aimez. Non seulement il sait comment vous allez voter, mais il vous aide en outre à vous conforter dans votre décision de voter ainsi — à moins qu’un autre message n’ait été acheté par un sponsor.

Sans anonymat de la lecture, il n’y a pas de démocratie. Je veux dire, bien sûr qu’il n’existe pas d’élection juste et libre, mais de manière plus fondamentale, je veux dire qu’il n’existe même plus d’autogouvernance libre.

Et nous sommes toujours très mal informés parce qu’il n’y a pas de syndicat cherchant à mettre en lumière les problèmes éthiques chez les extracteurs de données et que nous avons trop peu de Snowden.

L’avenir des extracteurs de données n’est pas le même pour tous. Google en tant qu’organisation s’est interrogé dès le début sur les implications éthiques de ses activités. Larry Page et Sergey Brin, les fondateurs de Google, ne sont pas tombés par hasard sur l’idée qu’ils avaient une obligation particulière à ne pas faire le mal. Ils comprenaient les dangers potentiels inhérents à la situation qu’ils créaient.

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Il est techniquement possible pour Google de faire de Gmail un système véritablement sûr et respectueux du secret de la correspondance, quoique non anonyme. Les messages pourraient être chiffrés — en utilisant des clés publiques dans un réseau de confiance — au sein même des ordinateurs des utilisateurs, dans les navigateurs. Les messages stockés chez Google pourraient être chiffrés à l’aide d’algorithmes dont seul l’utilisateur et non Google posséderait les clés.

Google aurait à renoncer aux maigres profits de Gmail, mais ses actions seraient cohérentes avec l’idée qu’Internet appartient à ses utilisateurs à travers le monde. À long terme, il est bon pour Google de montrer, non seulement qu’il croit en cette idée, mais aussi qu’il agit en conséquence, car c’est la seule manière de regagner la confiance des utilisateurs. Il y a beaucoup de personnes réfléchies et dévouées chez Google qui doivent choisir entre faire ce qui est bon et sonner l’alarme sur ce qui ne l’est pas.

La situation chez Facebook est différente. Facebook opère une mine à ciel ouvert de la société humaine. Scruter tout ce que chacun partage dans sa vie sociale en ligne et instrumentaliser le web pour surveiller tout ce que chacun lit en dehors du système est intrinsèquement immoral.

Mais de Facebook, nous n’avons besoin de rien d’autre que de vérité dans sa communication. Nul besoin de règles, de sanctions ni de lignes directrices. Nous avons seulement besoin de vérité. Facebook devrait s’incliner et dire à ses utilisateurs ce qu’il fait. Il devrait dire : « Nous vous observons à chaque instant que vous passez ici. Nous regardons chacun des détails de ce que vous faites. Nous avons mis le Web sur écoute avec des boutons “J’aime” qui nous informent automatiquement de ce que vous lisez. » À chaque parent, Facebook devrait dire : « Vos enfants passent des heures chaque jour avec nous. Nous les espionnons bien plus efficacement que vous ne serez jamais capables de faire. Et nous ne vous dirons jamais ce que nous savons d’eux. »

Rien que cela, juste la vérité. Ce serait suffisant. Mais la bande qui fait tourner Facebook, cette petite poignée de personnes riches et puissantes ne s’abaissera jamais au point de vous dire la vérité.

Mark Zuckerberg a récemment dépensé 30 millions de dollars pour acheter toutes les maisons autour de la sienne à Palo Alto en Californie — parce qu’il a besoin de davantage de vie privée. Cela vaut pour nous aussi. Nous devons manifester des exigences semblables en faveur de notre vie privée, aussi bien auprès des gouvernements que des entreprises.

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Les gouvernements, comme je l’ai dit, doivent nous protéger de l’espionnage des gouvernements étrangers et doivent assujettir leurs propres écoutes domestiques aux règles établies par la loi. Les entreprises, pour regagner notre confiance, doivent être honnêtes sur leurs pratiques et leurs relations avec le pouvoir. Nous devons savoir ce qu’elle font réellement afin de décider si nous acceptons ou non de leur confier nos données.

Une grande confusion a été créée par la distinction entre données et métadonnées, comme s’il y avait une différence et que l’espionnage des métadonnées était moins grave. L’interception illégale du contenu d’un message viole le secret de son contenu. L’interception illégale des métadonnées du message viole votre anonymat. Ce n’est pas moins grave, c’est différent et la plupart du temps, c’est plus grave. En particulier, la collecte des métadonnées viole l’anonymat de la lecture. Ce n’est pas le contenu du journal que Douglass lisait qui posait problème ; c’était que lui, un esclave, ait eu l’audace de le lire.

Le président peut s’excuser auprès des citoyens pour l’annulation de leur police d’assurance maladie, mais il ne peut se contenter d’excuses au peuple pour l’annulation de la Constitution. Quand vous êtes président des États-Unis, vous ne pouvez pas vous excuser de ne pas être du côté de Frederick Douglass.

Neuf votes à la Cour suprême des États-Unis peuvent remettre nos lois d’aplomb, mais le président des États-Unis possède l’unique vote qui importe en ce qui concerne la fin de la guerre. Car toute cette destruction de la vie privée par le gouvernement, organisée par-dessus un désastre écologique encore plus étendu causé par l’industrie, tout cet espionnage, c’est un truc de temps de guerre. Le président doit arrêter la guerre qui fait rage au sein du Net et nous dépossède de nos libertés civiles sous prétexte de vouloir priver d’asile les étrangers mal intentionnés.

Un homme qui apporte à la démocratie les preuves de crimes contre la liberté est un héros. Un homme qui vole la vie privée des sociétés humaines à son profit est un malfaiteur. Nous avons suffisamment d’infamie et pas assez d’héroïsme. Nous devons dénoncer cette différence de manière assez vigoureuse pour encourager d’autres personnes à faire ce qui est juste.

Nous avons vu qu’avec un acharnement digne des opérations militaires les grandes oreilles américaines sont engagées dans une campagne contre la vie privée du genre humain. Elles compromettent le secret, détruisent l’anonymat et nuisent à l’autonomie de milliards de personnes.

Elles font tout ceci parce qu’une administration américaine extraordinairement imprudente leur a attribué une mission – après avoir échoué à prévenir une attaque très grave de civils sur le territoire national, en grande partie à cause de sa négligence des mises en garde – en décrétant qu’elle ne serait plus jamais placée dans une situation où « elle aurait dû savoir ».

Le problème fondamental était le manque de discernement des politiques, pas celui des militaires. Quand des chefs militaires se voient assigner des objectifs, ils les atteignent au prix de tout dommage collatéral qu’on ne leur a pas explicitement demandé de ne pas dépasser. C’est pourquoi nous considérons le contrôle civil sur les forces armées comme une condition sine qua non de la démocratie. La démocratie exige également que les citoyens soient informés.

Le peuple des États-Unis ne veut pas devenir la police secrète du monde

Sur ce sujet, Snowden est d’accord avec Thomas Jefferson [auteur principal de la Déclaration d’indépendance américaine], ainsi qu’avec presque toutes les autres personnes qui ont un jour sérieusement réfléchi au problème. Snowden nous a montré l’extraordinaire complicité entre tous les gouvernements. Ils nous a montré, en d’autres termes, que les politiques souhaitées par les peuples sont partout délibérément contrariées par leurs gouvernements. Ce que veulent les peuples, c’est être protégés contre l’espionnage d’origine étrangère ; ils veulent aussi que les activités de surveillance menées par leur propre gouvernement pour assurer la sécurité nationale soient conduites sous l’examen minutieux et indépendant qui caractérise l’État de droit.

Par ailleurs, le peuple des États-Unis n’est pas prêt à abandonner son rôle de porte-drapeau de la liberté dans le monde. Il n’est pas prêt à se lancer à la place dans la dissémination des procédures du totalitarisme. Nous n’avons jamais voté pour cela. Le peuple des États-Unis ne veut pas devenir la police secrète du monde. Si nous avons dérivé dans cette direction parce qu’une administration imprudente a donné le pouvoir aux militaires, il est temps pour le peuple américain d’exprimer son opinion démocratique et sans appel [2].

Nous ne sommes pas les seuls au monde à avoir des responsabilités politiques exigeantes. Le gouvernement britannique doit cesser d’affaiblir les libertés civiles de son peuple et doit cesser d’utiliser son territoire et ses infrastructures de transport comme auxiliaires du mauvais comportement des forces armées américaines. Et il doit cesser de priver la presse de sa liberté. Il doit cesser de mettre sous pression les rédactions qui cherchent à informer le monde des menaces sur la démocratie, alors qu’il se montre assez compréhensif pour les éditeurs qui espionnent les familles de petites filles assassinées.

La chancelière allemande doit arrêter de parler de son téléphone mobile et commencer à s’exprimer sur la question de savoir s’il est bon de livrer tous les appels téléphoniques et tous les SMS d’Allemagne aux États-Unis. Les gouvernements qui sont régis par des constitutions protégeant la liberté d’expression doivent se demander, de toute urgence, si cette liberté continue à exister quand tout est espionné, surveillé, écouté.

Outre faire de la politique, nous devons absolument légiférer. Défendre l’État de droit est toujours un travail de juriste. En certains lieux, ces juristes auront besoin d’être extrêmement courageux ; partout ils devront être bien entraînés ; partout ils auront besoin de notre soutien et de notre implication. Mais il est également clair que soumettre les écoutes gouvernementales à l’autorité de la loi n’est pas le seul travail qui attend les juristes.

Comme nous l’avons vu, les relations entre les grandes oreilles militaires aux États-Unis, les grandes oreilles ailleurs dans le monde et les grandes entreprises d’extraction de données sont trop complexes pour être sans danger pour nous. Les révélations de Snowden ont montré que les géants américains de l’extraction de données ont été intimidés, séduits mais aussi trahis par les oreilles. Cela n’aurait pas dû les surprendre, mais ils l’ont apparemment été. Beaucoup d’entreprises gèrent nos données ; la plupart n’ont pas de responsabilité juridique envers nous qu’on puisse faire respecter. Il y a du travail pour les avocats là aussi.

Aux États-Unis, par exemple, nous devrions en finir avec l’immunité accordée aux opérateurs de télécommunication pour leur assistance dans les écoutes illégales. Cette immunité a été prorogée par la loi en 2008. Pendant la course à la présidence, Barack Obama avait dit qu’il ferait obstruction à cette législation. Or, en août 2008, quand il est apparu clairement qu’il serait le prochain président, il a changé d’avis. Non seulement il a jeté aux orties sa menace d’obstruction, mais en outre il a interrompu sa campagne pour voter en faveur de l’immunité.

Il n’est pas utile de polémiquer sur le bien-fondé de l’extension d’immunité. Nous devons fixer une date – éventuellement le 21 janvier 2017 [3] – après laquelle tout opérateur de télécommunications faisant affaire aux États-Unis et facilitant les écoutes illégales devrait être soumis aux règles du régime ordinaire de la responsabilité civile. Une coalition intéressante entre les juristes spécialisés dans les droits de l’homme et les avocats spécialisés en recours collectifs d’ordre commercial émergerait immédiatement, avec des conséquences très positives.

Si cette non-immunité était étendue aux opérateurs de réseau non américains qui font affaire aux États-Unis, par exemple Deutsche Telekom, cela aurait également d’immenses conséquences positives pour les citoyens des autres pays. Dans tout pays ou l’immunité existe aujourd’hui de facto et peut être levée, elle doit l’être.

Tous les systèmes juridiques connaissent bien les problèmes posés par l’énorme tas de données nous concernant qui sont entre les mains d’autres personnes. Les principes nécessaires sont invoqués chaque fois que vous portez vos vêtements chez le teinturier. Les juristes anglo-saxons appellent ces principes « droit du dépôt » (law of bailment). Ce qu’ils entendent par là, c’est que si vous confiez vos affaires à d’autres, ces derniers doivent en prendre soin au moins autant qu’ils le feraient avec les leurs. À défaut, ils sont responsables de leur négligence.

Nous devons appliquer ce principe de la mise en dépôt, qu’il soit désigné sous ce nom ou un autre dans les vocabulaires juridiques locaux, à toutes les données que nous avons confiées à d’autres personnes. Cela rend ces dernières juridiquement responsables envers nous de la manière dont elles s’en occupent. Il y aurait un énorme avantage à appliquer aux données personnelles le droit du dépôt ou un droit équivalent.

Ces règles sont soumises au droit du lieu où le dépôt est effectué. Si le teinturier choisit de déplacer vos vêtements dans un autre lieu et qu’un incendie y survient, le lieu où le feu s’est déclaré est sans importance : la loi en vigueur est celle du lieu où il a pris en charge vos vêtements. Au contraire, les grandes entreprises d’extraction de données exploitent en permanence la ficelle de la règle du lieu (lex loci) pour leurs serveurs : « Oh, nous ne sommes pas vraiment dans le pays X, nous sommes en Californie, c’est là que nos ordinateurs se trouvent. » C’est une mauvaise habitude juridique. Cela ne les desservirait pas trop si on les aidait à en sortir.

Ensuite, il y a du travail à faire au niveau du droit public international. Nous devons tenir les gouvernements responsables les uns envers les autres afin de remédier à la dévastation environnementale actuelle. Le deux gouvernements les plus puissants du monde, les États-Unis et la Chine, sont maintenant fondamentalement d’accord sur leurs politiques vis-à-vis des menaces sur Internet. Le principe de base est le suivant : « Quel que soit l’endroit du net où existe une menace pour notre sécurité nationale, nous allons l’attaquer. »

Dans les années 50, les États-Unis et l’Union soviétique ont mis le monde en péril d’empoisonnement pour cause d’essais atmosphériques d’armes nucléaires. À leur crédit, ils furent capables de conclure des accords bilatéraux pour les interdire. Les États-Unis et le gouvernement chinois pourraient se mettre d’accord pour ne pas transformer l’humanité en zone de tir à volonté pour l’espionnage. Mais ils ne le feront pas.

Nous devons chercher à obtenir réparation, par les voies politique et judiciaire, pour ce qui nous a été fait. Mais la politique et le droit sont trop lents et trop incertains. Sans solution technique, nous n’y arriverons pas, de même qu’on ne peut décontaminer l’air et l’eau ni agir positivement sur le climat à l’échelle mondiale sans changement technologique.

Partout, les entreprises utilisent des logiciels qui sécurisent leurs communications et une bonne part de ces logiciels sont écrits par nous. Par « nous », j’entends ici les communautés qui partagent du logiciel libre ou open source, communautés avec lesquelles je travaille depuis des décennies.

Les protocoles qui implémentent des communications sécurisées et que les entreprises utilisent entre elles et avec leurs clients (HTTPS, SSL, SSH, TLS, OpenVPN, etc.) ont tous été la cible de l’interférence des grandes oreilles. Snowden a apporté la preuve des efforts qu’ont fait ces dernières pour casser nos chiffrements.

Les oreilles américaines jouent avec le feu d’un désastre financier mondial. Si elles devaient réussir à compromettre les procédés techniques fondamentaux grâce auxquelles les entreprises communiquent de manière sécurisée, il suffirait d’une panne catastrophique pour qu’on bascule dans le chaos financier mondial. Leur conduite apparaîtra rétrospectivement comme aussi irresponsable du point de vue économique que la dévaluation de la monnaie romaine. Ce n’est ni plus ni moins qu’une menace pour la sécurité économique du monde.

La mauvaise nouvelle est qu’elles ont fait quelques pas en direction de la catastrophe irrémédiable. D’abord, elles ont corrompu la science. Elles ont secrètement influencé l’élaboration des standards techniques, affaiblissant ainsi la sécurité de tous, partout, afin de faciliter le vol de données à leur profit.

Ensuite, elles ont volé des clés, comme seuls les voleurs les mieux financés du monde peuvent le faire. Elles ont investi tous les endroits où est fabriqué du matériel intégrant des clés de chiffrement.

Début septembre [4], quand les documents de Snowden sur ce sujet ont été rendus publics, les ondes de choc se sont propagées dans toute l’industrie. Mais les documents divulgués ont également montré que les grandes oreilles sont encore obligées de voler les clés plutôt que de casser nos verrous. Elles ne disposent pas encore de l’expertise technique suffisante pour casser les bases du chiffrement qui forme le socle de l’économie mondiale.

La publication des types de chiffrement que la NSA ne peut casser est la plus incendiaire des révélations de Snowden du point de vue des grandes oreilles. Aussi longtemps que personne ne sait ce qu’elles ne sont pas en capacité de lire, elles jouissent d’une aura d’omniscience. Lorsqu’on saura ce qu’elles ne peuvent pas lire, tout le monde va utiliser ce type de chiffrement et elles seront alors rapidement dans l’incapacité de lire quoi que ce soit.

Nous devons banaliser l’usage par les particuliers de technologies déjà adoptées par les entreprises, visant à sécuriser les communications et protéger la vie privée. Utiliser ces technologies doit être aussi simple qu’installer un détecteur de fumée

Snowden a dévoilé que leurs avancées sur les bases de notre cryptographie étaient bonnes mais pas excellentes. Il nous a aussi montré que nous avons très peu de temps pour l’améliorer. Nous devons nous dépêcher de remédier au tort qui nous a été fait par la corruption des standards techniques. À partir de maintenant, les communautés qui font les logiciels libres de chiffrement pour les autres doivent partir du principe qu’elles se heurtent aux « services nationaux du renseignement ». Dans ce domaine, c’est une mauvaise nouvelle pour les développeurs car il s’agit de jouer dans la cour des grands. Quand vous jouez contre eux, la plus minuscule des erreurs est fatale.

De plus, nous devons modifier l’environnement technique afin qu’il soit plus sûr pour les personnes ordinaires et les petites entreprises. Ceci consiste pour une grande part dans la diffusion de technologies que les grandes entreprises utilisent depuis une décennie et demie. Beaucoup trop peu a été accompli dans ce domaine jusqu’à présent. C’est comme si chaque usine de nos sociétés était équipée d’un système de protection perfectionné contre l’incendie – détecteurs de fumée, détecteurs de monoxyde de carbone, arroseurs, lances à haute pression, extincteurs de haute qualité – alors que les maisons du commun des mortels n’avaient rien de tout ça.

Nous devons banaliser l’usage par les particuliers de technologies déjà adoptées par les entreprises, visant à sécuriser les communications et protéger la vie privée. Utiliser ces technologies doit être aussi simple qu’installer un détecteur de fumée, fixer un extincteur au mur, dire à vos enfants quelle porte prendre si l’escalier brûle ou même attacher une échelle de corde à la fenêtre du premier étage. Rien de tout cela ne règle le problème de l’incendie, mais s’il éclate, ces mesures simples sauveront la vie de vos enfants.

Il existe beaucoup de projets logiciels et de jeunes pousses qui travaillent sur des mesures de ce type. Ma FreedomBox, par exemple, est un de ces projets logiciels bénévoles. Et je suis enchanté de voir s’installer le début d’une concurrence commerciale. Les entreprises sont maintenant averties : les peuples du monde n’ont pas consenti à ce que les technologies du totalitarisme soient ancrées dans chaque foyer. Si le marché leur propose de bons produits, qui rendent l’espionnage plus difficile, ils les achèteront et les utiliseront.

Le courage de Snowden est exemplaire. Mais il a mis fin à ses efforts parce que c’est maintenant qu’il nous faut savoir. Nous devons accepter en héritage sa compréhension de cette situation d’urgence extrême. Nos hommes politiques ne peuvent pas se permettre d’attendre. Ni aux États-Unis, où la guerre doit s’arrêter. Ni dans le monde, où chaque peuple doit exiger de son gouvernement qu’il remplisse son obligation minimale de protection de sa sécurité.

C’est à nous de terminer le travail qu’ils ont commencé.

Nous avons besoin de décentraliser les données. Si nous conservons tout dans un seul grand tas – s’il y a un type qui conserve tous les messages électroniques et un autre qui gère tous les partages sociaux, alors il n’y a aucun moyen véritable d’être plus en sécurité que le maillon le plus faible de la clôture qui entoure ce tas.

En revanche, si chacun de nous conserve ce qui lui est propre, les maillons faibles de la clôture ne livreront à l’attaquant que les affaires d’une et une seule personne. Ce qui, dans un monde gouverné par le principe de l’État de droit, serait optimal : cette seule personne est la personne qu’on peut espionner car on a pour cela des éléments tangibles [5].

La messagerie électronique s’adapte admirablement bien à un système où personne n’est au centre et ne conserve tout. Nous devons créer un serveur de messagerie pour monsieur tout-le-monde, qui coûte moins de cinq euros et puisse être posé à l’endroit où l’on plaçait ordinairement le répondeur téléphonique. Et quand il casse, on le jette.

La décentralisation des partages sociaux est plus difficile, mais reste à notre portée. Pour les personnes engagées et douées pour la technologie partout dans le monde, c’est le moment crucial, car si nous faisons notre travail correctement, la liberté survivra ; et quand nos petits-enfants diront « Alors, qu’avez-vous fait à cette époque ? », la réponse pourrait être « J’ai amélioré SSL. »

Snowden a fait avancer avec noblesse nos efforts pour sauver la démocratie. Ce faisant, il s’est hissé sur les épaules d’autres personnes. L’honneur lui en revient et à eux aussi, mais la responsabilité est nôtre. C’est à nous de terminer le travail qu’ils ont commencé. Nous devons veiller à ce que leur sacrifice ait un sens, veiller à ce que cette nation, toutes les nations, connaissent une renaissance de la liberté, et à ce que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, ne disparaisse pas de la surface de la Terre.

 

Cet article est dérivé de la série de conférences « Snowden and the Future », donnée à la Columbia Law School fin 2013 et disponible à l’adresse snowdenandthefuture.info. Une première traduction en français de ces conférences a été effectuée par Geoffray Levasseur et publiée à l’adresse www.geoffray-levasseur.org.

 

Notes

[1] En anglais, union signifie à la fois « union » et « syndicat ». Dans la suite du texte, ce mot est employé dans l’un ou l’autre sens.

[2] Register their conclusive democratic opinion : cela fait probablement allusion aux sites web où les habitants d’un État américain peuvent donner leur avis sur les politiques publiques de cet État. Par exemple : http://www.governor.iowa.gov/constituent-services/register-opinion/

[3] Date probable d’investiture du prochain Président des États-Unis.

[4] Septembre 2013.

[5] Probable cause : concept de droit aux États-Unis qui désigne l’existence d’éléments tangibles justifiant des poursuites pénales.

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