Contribuer à un logiciel libre dans une formation en école d’ingénieur

Des étudiants de l’Université de Technologie de Compiègne effectuent, dans le cadre de leur cursus, des Travaux de Laboratoire consistant à avancer sur des tickets du projet Framadate (qui n’en manque pas), avec le soutien de leur enseignant Stéphane Crozat (dont on vous reparlera) et du CHATONS local Picasoft. Leurs travaux sont documentés dans un wiki et leur avancement dans des pads.

De la belle contribution utile !


Pour commencer, une petite présentation s’impose : je m’appelle Justine et je suis en première année de formation ingénieur en informatique à l’UTC (Université de Technologie de Compiègne). Lors de ce semestre, c’est-à-dire lors des quatre derniers mois, et dans le cadre de ma formation (ce travail, après évaluation, pourra m’apporter 5 crédits ECTS), j’ai eu l’occasion de contribuer au logiciel libre Framadate. Cet article se veut être un bilan de mon expérience.

 

Contribuer à un logiciel libre, était-ce différent d’un projet « classique » ?

À l’UTC, les étudiants sont évalués selon des barèmes différents d’une matière à l’autre. En informatique, l’évaluation comprend souvent un projet (qui ne correspond pas souvent à plus de 20% de la note finale). Ce projet a des objectifs largement pertinents, comme vérifier sur un cas pratique que les étudiants ont assimilé la théorie qui leur a été enseignée. Cependant, j’ai souvent éprouvé une certaine frustration vis-à-vis  de ces projets. En effet, une fois rendu, évalué et donc noté, le projet tombe dans l’oubli : pas d’utilisation réelle, pas d’amélioration, une sorte de produit déjà mort à sa sortie. Ainsi, l’idée de travailler sur un logiciel  libre, avec des utilisateurs bien réels derrière, m’a semblé extrêmement pertinente et bien différente des projets que j’avais déjà pu mener.

Est ce que ces différences ont entraîné des difficultés ?

Les premières difficultés rencontrées ont été celles posées par l’installation et la prise en main de l’environnement de travail, proposé par les suiveurs. Alors que la plupart du temps, pour mener à bien les projets classiques, les installations des environnements sont déjà faites sur les machines de l’UTC, cela n’était pas le cas cette fois. Composé de nombreux outils (principalement Docker et Git au sein de Linux), l’installation de notre environnement a été relativement lourde et laborieuse. Une fois installé, l’environnement est au premier abord difficile à prendre en main : de nombreuses lignes sont à exécuter dans l’interpréteur de commandes avant de pouvoir tester le code.

Mais les difficultés les plus compliquées à surmonter ont été celles posées par le projet en lui-même. D’abord parce que les langages utilisés (SQL, PHP orienté objet, Javascript, HTML via le moteur de templates Smarty…) ne m’étaient pas ou peu connus. Ensuite, et surtout, parce qu’il m’a paru très compliqué de m’insérer dans un projet déjà bien développé (dans un projet « classique » à l’UTC, on part de rien, on développe tout), projet dont l’architecture n’est pas (ou très peu) documentée. Sa compréhension a donc nécessité beaucoup de temps et d’efforts, j’y reviendrai.

Comment s’est organisée ta contribution ?

Cette contribution a été organisée selon une méthode de type agile : le travail est découpé en itérations de six heures chacune, une itération par semaine. Le semestre a ainsi été rythmé par des réunions de suivi hebdomadaires avec les suiveurs, Stéphane Crozat et Andrés Maldonado, chargés d’accompagner et d’évaluer le travail. Sur chaque itération, nous déterminions donc ensemble l’objectif à atteindre pour la semaine suivante, et je déterminais seule l’articulation de mon travail (combien d’heures je devais passer à réaliser telle tâche). La contribution s’est articulée en deux volets : un volet de développement (qui consistait en la résolution de trois issues ouvertes sur le projet) et un volet de documentation (via le wiki de l’association Picasoft).

Concrètement, qu’as-tu apporté à Framadate ?

Comme évoqué plus haut, l’architecture du projet n’était que très peu documentée. Ainsi, afin de travailler efficacement sur le projet, j’ai préféré commencer par passer plusieurs heures (concrètement une vingtaine) à explorer le projet et documenter au maximum ce que j’en comprenais (les classes implémentées, leur articulation au sein du projet…). Un travail étudiant comme celui-ci est aussi l’occasion d’apprendre à formaliser et documenter, mon travail est disponible ici.

Ce n’est que dans un second temps que j’ai réellement commencé mon travail de résolution d’issues, et donc de développement et de documentation du travail réalisé. J’ai préféré travailler ces deux volets en parallèle, afin de restituer le travail réalisé lorsque tout était encore frais dans mon esprit. J’ai ainsi pu travailler sur trois issues :

Issue #38 : collecter les adresses e-mail des sondés
L’idée est de permettre à l’administrateur de choisir de collecter (ou non) les adresses e-mail des sondés. Si l’administrateur choisit la collecte, alors la saisie d’une adresse de courriel valide (respectant le format e-mail) est obligatoire pour voter. La collecte s’accompagne d’une fonctionnalité permettant à l’administrateur de récupérer efficacement l’ensemble des adresses des personnes sondées.

A la création d’un sondage, l’administrateur choisit s’il collecte ou non les adresses emails des sondés.

 

Un avertissement informe que, dans le cas où les votes sont modifiables par tous, n’importe qui ayant accès au sondage peut récupérer les adresses emails des sondés.

 

Pour voter, lorsque la collecte des adresses emails est active, une adresse email valide doit être renseignée. L’administrateur peut récupérer la liste des adresses emails des sondés grâce aux boutons enveloppe situés au dessus de chaque colonne. Si la collecte est active et que quiconque peut modifier tous les votes, un avertissement informe que n’importe qui peut accéder aux adresses emails des sondés.

 

En cliquant sur un bouton enveloppe, l’administrateur récupère les adresses emails des sondés triées selon leur choix (‘oui’, ‘si besoin’ ou ‘non’).

 

Issue #324 (et #61) : Amélioration de l’option de collecte des adresses e-mail des personnes sondées. L’idée était d’améliorer le travail réalisé précédemment en passant la collecte des adresses de courriel sous quatre options différentes :

  • option 1 : la collecte est désactivée ;
  • option 2 : la collecte est activée ;
  • option 3 : la collecte est activée et la saisie est obligatoire ;

option 4 : la collecte est activée, la saisie est obligatoire et le vote doit être confirmé par un clic sur le lien envoyé dans un mail à l’adresse renseignée (cette dernière option n’a pas été implémentée car le service d’envoi d’e-mail est inutilisable au sein de l’installation).

A la création d’un sondage, l’administrateur choisit une des quatre options pour son sondage. De même que précédemment, un avertissement informe si les adresses emails des sondés ne sont pas protégées.

 

Issue #208 : permettre la finalisation d’un sondage par l’administrateur
L’idée était d’ajouter une fonctionnalité pour l’administrateur de clôture de sondage et de lui permettre :

  • de sélectionner le choix retenu ;
  • de justifier son choix.

Dans les informations du sondage, l’administrateur et l’utilisateur sait si le sondage est encore ouvert ou s’il est fermé (ici, il est encore ouvert). L’administrateur peut fermer le sondage en cliquant sur le bouton.

 

Une fois le sondage fermé, l’administrateur peut sélectionner le choix qu’il retient grâce au bouton au dessus de chaque colonne. La valeur de ce choix est visible dans les informations du sondage, côté administrateur et côté utilisateur.

Une fois un choix sélectionné, l’administrateur peut justifier son choix. La valeur de cette explication est visible dans les informations du sondage, côté administrateur et côté utilisateur.

Chacune de ces résolutions d’issues a fait l’objet d’une merge-request. C’est un processus itératif très intéressant à découvrir au sein duquel on peut interagir avec les développeurs logiciel et web de Framasoft qui vont vérifier le travail proposé et en demander des corrections.

Tout au long de mon travail, j’ai pu ainsi interagir avec différents interlocuteurs : les suiveurs bien sûr, Stéphane Crozat et Andrés Maldonado, mais aussi Thomas Citharel, développeur logiciel web chez Framasoft, et Kyâne Pichou, diplômé de l’UTC. Je tiens à remercier tous ces interlocuteurs pour leur soutien et leurs conseils, je pense qu’il est indispensable d’être bien accompagnés dans ce processus de contribution afin qu’il soit efficace et utile à tous.

Finalement, quels sont les apports au sein de ta formation ?

Contribuer à Framadate m’a d’abord permis de gagner en compétences d’utilisation des outils utilisés (Docker, Git, Linux) et en développement web : interface, base de données,…. Mais cette contribution m’a surtout fait gagner énormément d’indépendance et d’autonomie vis-à-vis d’un projet déjà existant et bien développé, ce qui est très formateur et pertinent en amont de mon futur stage (six mois en entreprise à partir de septembre).

Que faudrait-il retenir de cet article ?

Contribuer à un logiciel libre au sein de la formation en école d’ingénieur constitue une expérience très pertinente pour compléter le profil théorique et « scolaire » d’un étudiant. Cette expérience permet de faire face à de nouvelles difficultés, et ainsi développer de toutes nouvelles aptitudes.

 

En savoir plus :

ECTS : European Credits Transfer System, calculés en fonction de la charge de travail de l’étudiant , ils permettent l’obtention des diplômes français (et européens).

Picasoft est le CHATON créé par les étudiants de l’UTC.




La FIFA ne veut pas qu’on danse de joie devant sa télé

Le football déclenche en ce moment même de féroces passions, mais aussi la rapacité de la FIFA. Voici un fait-divers qui l’illustre, il est digne de figurer dans le célèbre Copyright Madness de Numerama… c’est à la fois drôle et consternant.

Danser devant sa télé ? Pas question, dit la FIFA 

Source : FIFA Is Not Okay With Dancing In Front of the TV

Traduction Framalang : wyatt, simon, goofy

Nous voilà en pleine Coupe du monde de foot. Ça veut dire qu’on marque des buts. Et chaque but marqué donne lieu à une célébration enthousiaste. Voici par exemple une compilation (lien vers YouTube) de fans de football aux États-Unis qui fêtent un but de la dernière minute pendant la Coupe du monde de 2010. Ah, que de souvenirs.

Eh bien pourtant, la FIFA ne semble pas aimer que les fans de foot fêtent les victoires devant leur écran de télé. Cet organisme vient d’envoyer une mise en demeure de retrait pour une vidéo de 5 secondes montrant un petit garçon qui danse de joie dans le salon familial.

On distingue à l’arrière-plan l’écran de télévision dont l’image a été floutée depuis

 

Suite à un but marqué pendant le match Angleterre-Tunisie, Kathryn Conn a mis en ligne une vidéo de 5 secondes de son fils de 7 ans qui fête le but. Mrs Conn a expliqué que son fils est un« fan absolu des Spurs et qu’il voue littéralement un culte à Harry Kane, donc il s’est mis à danser de joie dans le salon. Malheureusement, la danse s’est déroulée devant l’écran de télévision qui diffusait encore le match. Et s’il y a une chose avec laquelle la FIFA ne rigole pas du tout, c’est bien leur copyright.

Mrs Conn raconte que le lendemain matin au réveil elle s’est rendu compte que la vidéo avait été supprimée de Twitter accompagnée d’un avertissement indiquant que c’était dû à une demande de retrait relative au DMCA (Digital Millennium Copyright Act) venant de la FIFA, laquelle était apparemment très ennuyée qu’une image floue en arrière-plan d’une partie de football dans une vidéo de 5 secondes puisse influer sur l’audience de l’événement sportif le plus attendu à la télé britannique en 2018.

Hmmm. un gamin qui danse dans une brève vidéo avec du matériel sous copyright en arrière-plan ? Nous espérons que ça ne prendra pas 10 ans de procédure comme dans l’affaire du bébé dansant pour que la FIFA en tire la leçon. La FIFA devrait respecter le fair use (usage raisonnable et acceptable) et respecter ses propres fans aussi…

 




Un jeune libriste part à l’asso des mauvaises habitudes

Neil vient de finir un stage d’étudiant au terme duquel il a réussi à faire adopter des outils libres à une association. Il livre ici le récit de ses tribulations, c’est amusant et édifiant…

On aimerait bien qu’il y en ait beaucoup comme lui pour s’engager de façon aussi déterminée et efficace. Nous espérons entamer une série d’interviews de libristes qui comme lui sont particulièrement impliqué⋅e⋅s dans la diffusion des valeurs et des pratiques libristes.


avatar de Neil, un pigeon sur la tête
Avatar de Neil, image d’après Tunaniverse

Bonjour à tous,

N’ayant encore qu’assez peu d’expérience dans le domaine du libre et s’agissant de mon premier article sur Internet, je sollicite votre bienveillance et vous invite à me signaler toute éventuelle erreur ou mauvais usage des termes dans cet article.

Contexte

Les études

Avant de commencer, un peu de background. J’ai 20 ans et je suis en première année de BTS SIO (branche SLAM), formation post-bac orientée sur l’informatique de gestion et le développement d’applications.

Au bout d’un mois dans cette filière, j’ai senti qu’elle n’était pas pour moi en constatant notamment un retard assez grave dans les notions du référentiel. Mais pour des raisons financières (bourses, appartement, etc.) j’ai dû finir mon année, ce qui implique l’obligation de trouver un stage d’un mois en juin.

Le choix de l’association

J’ai donc choisi une association que je vais appeler Ciné-Asso, qui propose des tarifs réduits pour des séances au cinéma pour les établissements scolaires et ses adhérents. Ses responsables disaient avoir besoin de retravailler leur système d’information.

C’était pour moi une chance que de pouvoir mettre mes connaissances à disposition d’une association, ce qui m’attirait bien plus que les stages choisis par mes camarades de classe (stage en banque, en dépannage/réparation informatique, au supermarché, en startup French Tech qui développe sous WinDev1. Choix judicieux que de choisir un stage WinDev en BTS SIO : WinDev fait partie des logiciels étudiés et utilisés tout comme WordPress, Microsoft Visio, Win’Design, PC Wizard 2015 et plein d’autres. (Vous comprenez pourquoi je n’aime pas cette filière ?)

Et je préférais travailler pour une asso en rapport avec l’art et la culture. Le choix était donc déjà fait.

Un peu de technique

En ce qui concerne les outils utilisés, mon ordinateur tourne sous Debian Buster (prerelease) depuis Janvier 2018. Je code exclusivement sous Vim, mon éditeur préféré. Pour le développement web, j’utilise Apache et MariaDB côté serveur (en local, donc sur mon propre poste). J’utilise souvent MySQL Workbench (la version sous licence GPL par Oracle) pour éditer la BDD, sinon en CLI. Je travaille tout le temps avec draw.io (licence Apache), un logiciel vraiment pratique pour réaliser des schémas en tous genres, des cartes mentales aux modèles relationnels. Je m’estime par ailleurs libriste et refuse, lorsque la situation le permet, de travailler avec des logiciels propriétaires. Vous allez voir que défendre ses valeurs n’est pas facile…

Tâches assignées

Principalement deux tâches me seront confiées durant ce stage d’un mois :

  • Retravailler le site web de Ciné-Asso Leur site web tournait sous une très ancienne version de Joomla ! et franchement, ce n’était pas beau à voir. Bref, un site des années 2006. Ma mission sera de développer un site vitrine pour le remplacer, avec une gestion d’évènements planifiés (de séances de films, en l’occurrence) pour l’association. Cela inclut évidemment la formation des bénévoles à l’outil ;
  • Retravailler la base de données, reconstruire la base de données utilisée pour enregistrer les adhérents et les donateurs de l’asso. La base de données actuelle a été créée il y a 10 ans sous Access 2003 (si ce n’est 98…) et elle est encore utilisée jusqu’à présent. La base n’est pas relationnelle alors qu’elle devrait l’être. Résultat : 35 champs dans une table avec les adhérents et donateurs mélangés, des doublons, des couples sur un seul enregistrement et de sérieuses limites. Je vais donc devoir créer une nouvelle base, migrer toutes les données et former les bénévoles.

Le tout, donc, en un mois, avec la contrainte personnelle de n’utiliser que des logiciels libres.

capture de la liste des entrées de la base de données ancienne
La base d’adhérents au départ…

Présentation de Ciné-Asso

Je vais donc vous présenter brièvement l’équipe de Ciné-Asso. De faux noms leur seront attribués afin de préserver leur anonymat.

M. Touron est le président de l’association. Un esprit juste et logique.

Mme Nougat est la trésorière et celle que je dois convaincre. Elle est très réticente à l’intégration de mon travail au sein de l’asso. Elle sera aussi l’une des principales utilisatrices du logiciel de gestion de base de données. J’ai donc intérêt à faire du bon travail afin de satisfaire ses attentes.

M. Réglisse s’occupe de la communication auprès des adhérents. Il utilise tout le temps l’outil informatique dans son travail, pas toujours comme il le faudrait.

Mme Caramel est une jeune bénévole qui soutient mes idées. Elle s’occupe principalement du site web.

M. Calisson est un bénévole octogénaire et maintient la base de données Access. C’est un autodidacte de l’informatique. Il racontait fièrement qu’il avait programmé en COBOL pour le gouvernement à une époque désormais révolue.

M. Prunelle est un prestataire de services extérieur à l’association et jouera un rôle crucial.

Une réunion est organisée entre deux ou trois bénévoles et moi deux fois par semaine afin de présenter l’avancée de mon travail et de m’ajuster à la demande. En dehors des réunions, je travaille en autonomie.

Un détail important à relever : aucun membre de Ciné-Asso n’est assez compétent en informatique pour s’occuper du côté technique du site après mon départ.

Le site web

J’ai consacré les 15 premiers jours à la réalisation du site web. Et parmi tous les CMS possibles, j’ai choisi… Allez, devinez… WordPress.
Vous avez le droit de jeter vos tomates pourries ; mais je n’avais aucune expérience, ni avec Drupal, ni avec Joomla! et je n’avais clairement pas le temps de tester les solutions (rappelons que j’ai seulement 15 jours pour finaliser le site, formations incluses). De plus, je connaissais déjà bien WordPress pour l’avoir utilisé par le passé. Et croyez-moi, j’ai regretté de ne pas avoir été assez curieux, car ces 15 jours mêlèrent ennuis et souffrance.

Le décor

On commence par le design. J’ai choisi la version gratuite d’un thème qui leur plaisait bien. Je leur conçois une jolie bannière d’en-tête (avec GIMP, bien évidemment). Au final, j’ai dû la refaire 16 fois dans une réunion de 4 heures pour satisfaire aux demandes de M. Touron, président. Mais passons. J’ai dû bidouiller le CSS afin de convenir à leurs attentes, au risque de tout casser à la prochaine mise à jour. En guise de solution, je leur ai demandé de tout mettre à jour, sauf le thème.
C’est sale, ça contourne le problème, mais je ne vois pas d’autre option dans le temps imparti ; de plus, les thèmes souffrent rarement d’une faille de sécurité. J’ai donc jugé le pari suffisamment sûr.
Travailler sur WordPress n’est pas jouissif. Ça me servira de leçon pour mes stages futurs.

Les plugins

Je choisis le plugin WP Theater pour programmer les séances de cinéma.
Évidemment, les fonctions les plus intéressantes sont payantes. Je me contente des fonctions de base et réussis à convenir à leurs demandes. M. Touron m’a proposé d’acheter la version payante du plugin, mais j’ai insisté en disant que n’était pas nécessaire et que pour le prix de la fonctionnalité, ça relevait plutôt de l’escroquerie.

Les deux semaines s’écoulèrent (trop) paisiblement avec quelques ajustements par-ci par-là. La formation fut terminée en une après-midi. L’intéressée, Mme Caramel, appréciait l’interface conviviale du logiciel.

Choses vues

En un mois, j’ai appris à connaître les membres de l’association : leur personnalité, leur empathie et surtout, leur usage de l’outil informatique. J’ai tout de même quelques anecdotes qui font peur.

M. Réglisse et Micro$oft Office

J’apprends que l’un des membres de l’association, M. Réglisse, utilise MS Office 2003 pour travailler sur les documents de l’asso. Malheureusement, ce logiciel de Micro$oft n’arrive plus à exporter en PDF sur son poste, pour une raison inconnue (tout autant à lui qu’à moi). Sans compter que Office 2003 ne lit pas les nouveaux formats MS Office (depuis 2007 : xlsx, docx, etc.) ni les formats libres (odt…). Et ainsi, à chaque fois que M. Réglisse souhaite lire ou éditer un fichier incompatible, il envoie ce fichier par mail à sa collègue qui le convertit en PDF (à l’aide d’Apache OpenOffice) et qui lui renvoie par mail, et ce depuis longtemps.
Il fallait quand même que je me retienne de sourire en écoutant ça.
On me demande conseil.
En bon libriste, j’explique que le logiciel est trop vieux et qu’il faut passer à LibreOffice gratuitement ou acheter le pack Office tous les 3 ans, en insistant bien sur la première option.
« Oui, mais j’ai déjà essayé, ça marche pas, y’a des bugs et c’est pas toujours compatible… » Finalement, j’ai réussi à le convaincre. Ça a changé un peu la mise en forme de ses fichiers et il ne s’est pas gêné de me faire remarquer qu’un pixel dépassait par-ci par-là, mais il devrait s’en satisfaire pour le moment.

Vive le libre !

M. Réglisse et le mailing

Dans les aventures de M. Réglisse, j’ai aussi celle où il souhaite envoyer une newsletter à tous les adhérents de l’association. Il ouvre sa base Access 2003, et demande au logiciel de lui donner tous les mails des membres de l’asso. Il ouvre Thunderbird en parallèle, crée un nouveau groupe… et ajoute tous les mails en les réécrivant un par un à la main ! On m’explique que c’était parce que certains mails peuvent avoir été entrés dans la base de données avec des erreurs (une virgule au lieu d’un point, par exemple…) et que copier coller pose alors des problèmes… Car la base de données ne détecte pas les erreurs de saisie…

Je promets à M. Réglisse que le mailing sera beaucoup plus facile avec ma solution.

La réunion à mi-chemin

Les réunions furent assez régulières avec moi au sein de l’asso, mais celle-ci fut de très loin la plus importante. Je rencontre M. Prunelle, expert en informatique, retraité. Il s’agit d’un prestataire de services extérieur à l’association, contacté par Mme Nougat dans l’idée de contrôler mon travail et de m’aiguiller. Pour la première fois, M. Calisson, mainteneur de la base de données, est présent. M. Prunelle commence donc par parler de son parcours ; il a fondé une entreprise d’informatique pendant sa jeunesse et a déjà programmé en COBOL et en assembleur, raconte-t-il avec nostalgie.

M. Prunelle joue un rôle crucial : il s’engage à maintenir mon travail à mon départ en tant que bénévole si le projet correspond à ses attentes. Il s’agit donc d’une personne avec laquelle je devrais collaborer.

Les deux premières heures

On parle beaucoup du site web. Je l’ai présenté, il était déjà globalement fini, prêt à être basculé en production. M. Prunelle approuve mon choix du CMS WordPress et raconte qu’il a de l’expérience avec. On discute des quelques bidouillages sur le CSS (peu nombreux mais hélas impératifs conformément aux demandes).
Mon code étant commenté et mes modifications légères et peu nombreuses, il les approuve et se propose même de les maintenir si ça casse après une mise à jour. Super, ça m’arrache une épine du pied !

Les deux dernières heures

J’aborde le sujet de la base de données. Il faut savoir que la trésorière, Mme Nougat, s’oppose assez fortement au fait que je travaille sur la BDD. Elle souhaite que je me consacre pleinement au site et veut plutôt confier la base à un intervenant extérieur aux frais de l’association. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle a fait appel à M. Prunelle…

J’explique mon projet. Un intranet maison, développé from scratch, une BDD relationnelle. Le tout fait à la main. J’avais déjà préparé un schéma relationnel que je lui montre.

« Ta base m’a l’air bien, relationnelle, tout bien comme il faut, c’est du bon travail. Par contre, je ne suis pas trop d’accord avec ta solution pour l’hébergement de la base de données, Maria DB… Je connais de nom mais ce n’est pas très utilisé dans le domaine professionnel… »

Il sort son cahier. Puis son stylo. Je le remarque alors… Un stylo rose fluo, avec le fameux logo de WINDEV dessus. Gulp. Je sais ce qui m’attend.

M. Prunelle me demande alors d’aller voir sur une page cachée d’un site web sur lequel il avait récemment travaillé. Il m’épelle l’adresse, quelque chose du genre « xalex-xpert.com/xalex_expert ».
S’affiche alors une vieille interface de connexion sans TLS, et je reconnais rapidement WEBDEV, de la même boîte. Je fais la moue. J’explique alors que je ne souhaite travailler qu’avec des logiciels libres, par éthique. Un sourire en coin s’affiche sur le visage de M. Prunelle :

« Ha ha ha, moi aussi, quand j’avais ton âge, j’étais un rebelle et je votais à gauche ! Mais aujourd’hui sur le marché du travail, dans un contexte professionnel de l’industrie informatique, jamais je ne me permettrais de présenter une verrue de Linux chez un client ! »

Hein ? L’industrie professionnelle de l’informatique ? Le marché du travail ? Qui a parlé de Linux ? Une verrue ?
La rébellion gauchiste ? Ce n’est pas un #MercrediFiction ni une exagération. C’est mot pour mot ce qu’il m’a dit. Je suis resté bouche bée pendant quelques secondes avant de passer à l’offensive en défendant mes arguments.

Et là, tout de suite, la grosse condescendance. En puissance. Limite, s’il m’avait versé un coulis de caca sur la tête, ça aurait été plus respectueux.

« Non mais de toute façon voilà, c’est comme ça qu’on débute, on fait tous des erreurs, on progresse ensuite, moi j’en ai vu, c’est pas le premier, je sais comment ça se passe »

Et alors évidemment Mme Nougat s’incruste et en rajoute une couche…

« Moi je pense qu’on a la chance d’avoir un professionnel parmi nous, M. Prunelle sait ce qu’il faut faire. Quand on est jeune, on ne connaît pas le marché du travail, on ne sait pas comment bien faire les choses pour répondre aux demandes du client, c’est normal »

(Allez-y, pissez-moi dessus encore, j’aime ça.) Mais avant que je ne me fasse totalement recaler, M. Touron et Mme Caramel interviennent au moment opportun et insistent pour me laisser une chance. Ouf, c’est sauvé. Par contre, du coup, inutile de compter sur lui pour maintenir ma « verrue de Linux ». Plus qu’à me débrouiller tout seul.

Résultat, les deux solutions seront proposées au conseil d’administration et c’est le conseil qui tranchera. J’ai intérêt à bien faire le boulot.

La veille technologique, ou comment j’ai changé d’avis

Ok, j’ai donc 15 jours pour réaliser une solution convaincante à partir de rien, migrer la solution actuelle vers la mienne et enfin former les nouveaux utilisateurs… Bon, j’ai des bouts de code de prêts pour ça, je suis assez expérimenté en PHP pour me débrouiller comme un grand. Mais 15 jours…

État des lieux

Tout d’abord, le lendemain de la réunion, M. Calisson (mainteneur octogénaire de la BDD) s’est présenté à moi. Il a fait l’effort de se déplacer dans les locaux pour me proposer personnellement son aide.
Face à une telle bienveillance, je ne pouvais refuser. Il m’a donné une documentation utilisateur d’une vingtaine de pages (datant de quelques années), très détaillée, qui m’a beaucoup appris. Il a ensuite pris le temps de m’expliquer chaque détail flou de la base actuelle et décrit les attentes particulières de Mme Nougat, qui attend d’être convaincue par ma solution.

Il n’était pas obligé de faire tout ça et je lui en suis grandement reconnaissant. Avant de le rencontrer, je pensais que ça allait être un esprit conservateur qui considère que sa solution (une table, 35 champs, rappelons-le) est la meilleure de toutes… et je me suis bien trompé. Comme quoi, le code ne fait pas le développeur…

À l’aide, Mastodon !

Dans le doute, je fais appel au réseau des réseaux. Et dans la panade, je fais appel au Fediverse.

Appel à l’aide sur Mastodon…Voyez tous les conseils reçus suite à ma demande !

 

Amis, camarades, connaissances, merci à vous. Vous avez été d’un précieux soutien dans cette situation difficile, vous m’avez aiguillé quand M. Prunelle m’avait lâché. Je savais que je pouvais compter sur vous ! Et j’ai attentivement écouté vos conseils.

Alors que choisir ?

Je peux dire beaucoup de mal (à tort et à raison) de mes professeurs de BTS SIO, mais c’est l’un d’eux qui m’a conseillé Galette en premier (en l’occurrence, ce professeur revendique des valeurs libristes mais enseigne WinDev et Win’Design aux élèves, ironiquement. Il enseigne Merise aussi, en 2018. Mais passons !)

Galette est un CMS libre de gestion d’adhérents pour les associations, inscrit sur Framalibre, l’annuaire contributif où j’aurais dû chercher en premier. Le logiciel a été créé en 2004 et est toujours maintenu à l’heure actuelle via des mises à jour régulières. Il est utilisé par des dizaines d’associations et reste un choix à considérer pour un déploiement rapide et efficace.

La Fediverse m’ayant conseillé (entre autres) Galette, j’ai décidé de m’y intéresser de plus près. Je connaissais déjà Galette (de nom seulement) avant que mon professeur m’en parle, mais tout écrire de soi-même avait l’air tellement plus amusant…

Et la solution avait l’air vraiment sympa. Il m’a fallu quelques jours pour m’assurer qu’elle collait bien au cahier des charges de Mme Nougat, mais tout avait l’air d’aller comme il faut. Et comme je n’ai plus le temps, il vaut mieux choisir cette option plutôt que de partir de zéro et rendre un travail insatisfaisant ou incomplet.

Partons donc pour Galette !

Galette

Abordons un peu l’aspect technique. La formation WordPress et quelques autres tâches ayant un peu débordé sur le planning, il me reste 10 jours pour déployer la solution et former les utilisateurs.

Le cahier des charges

Je rencontre un problème. Le cahier des charges n’est pas respecté sur un point : les statistiques. L’asso a besoin de stats assez précises pour la comptabilité et Galette ne fournit que deux ou trois pauvres camemberts. Galette tournant sous PHP, je prends la décision d’écrire un plugin.

Le plugin

C’est ce qui va prendre le plus de temps. Je travaille dans un environnement avec lequel je ne suis pas familier du tout, même si c’est du PHP, car je n’ai jamais touché à des frameworks PHP ni utilisé une API conçue pour des plugins. Ma première rencontre avec Zend Framework se passe… mal. Très mal, au point où j’interroge directement la base de données avec des requêtes en dur pour faire le boulot.
J’aurais aimé apprendre comment m’en servir, mais « je n’ai pas le temps ». Bon, j’ai moins d’excuses pour le switch à 90 cases avec des requêtes SQL et les 80 lignes de HTML dans un string… Mais chut…

Blague à part, je commence à être vraiment à la bourre. Plus que quelques jours de stage déjà, et c’est fini. Je me débrouille comme je peux pour coder quelque chose qui fonctionne. Qui a parlé de maintenabilité ?
Le prochain qui passera derrière moi sera probablement un stagiaire de BTS SIO, ça lui fera les pieds 🙂 (Il va me retrouver et me tuer pour avoir écrit ça, et je ferai moins le malin quand je tomberai sur un cas similaire. Bon au moins, j’ai mis plein de commentaires)

La demande de dernière minute

J’ai présenté le plugin de stats à Mme Nougat et il a fallu s’adapter à une demande de dernière minute. Totalement justifiée cela dit, ça faciliterait grandement la comptabilité. Il s’agit encore de stats.
J’applique des quickfixes sur le code dégueulasse que j’ai pondu juste avant. Il me reste trois jours. (Comment ça, ce n’est pas une excuse ? Au moins ça fonctionne !)

Bon allez, on plie ça vite fait et on passe à l’importation, qui n’est même pas commencée !

Préparation pour la migration

Un peu plus de technique.
La base de données est sous forme de fichier. MDB (Access), format propriétaire. Elle pèse 8.5 Mo. J’ai des frissons dans le dos. J’utilise le paquet mdb-tools pour convertir la structure et les données en requêtes SQL et je crée une nouvelle DB en local (MariaDB) et j’importe le tout.
Vive le libre.

Voilà la table à 35 champs… Ma première tâche va être de séparer les entrées des couples (M. et Mme) qui ont été enregistrés en une seule entrée.
Sur le coup, LibreOffice Calc est mon ami. J’importe tous les enregistrements où Sexe=« M. et Mme » et je les sépare à coups de Chercher/Remplacer. Une fois le boulot fini, j’importe tous les autres adhérents enregistrés dans la base jusque là sur le tableur, c’est plus facile que sur Workbench. Et nous y voilà, un total de 1275 lignes.

La grande migration

Allez, c’est parti. Je saisis 1275 adhérents à la main, depuis l’interface de Galette.

Bien sûr que non. Vous croyez vraiment que j’allais faire ça manuellement ?
Je me remémore ce que disait l’un de mes professeurs de BTS SIO :

« Un développeur, c’est un branleur. Une quiche molle. Alors à un m’eng donné, il faut savoir optimiser son traitemeng ou on va se retrouver avec une KYRIELLE de travail à faire. »

Il reste 2 jours. Comptant un jour de formation et d’installation du logiciel, j’ai 24 heures pour réaliser la migration. Admettons que je prenne trois minutes par entrée (adhérent + contribution). (1275 x 3) / 60= 63h45 de travail. C’est hors limites !

La seule solution est donc d’automatiser le tout. Mais il ne s’agit pas d’un simple INSERT INTO dans une table, hélas. Galette utilise un système de champs dynamiques qui permet d’avoir des champs personnalisés par l’association. Il les gère d’ailleurs assez mal : lorsqu’on supprime un adhérent ou une contribution, les champs dynamiques associés ne se suppriment pas avec. Encore un bug à signaler, tiens. Mais passons.

Formatage des données

Je commence par ajouter un adhérent et une cotisation annuelle pour ce dernier et j’identifie dans la BDD les tables mises à jour. Il y en a trois : galette_adherents, galette_cotisations et galette_dynamic_fields.

Ensuite, ça reste quand même assez trivial. J’identifie à quoi correspondent les champs dans les tables et je prépare mes inputs selon mes besoins. Je n’oublie pas de m’adapter au logiciel. Exemple, Galette interdit les adresses mail dupliquées dans la BDD. Je supprime tous les duplicatas depuis LibreOffice avant de commencer quoi que ce soit. Puis vient le plus
pénible. Le formatage des inputs. LibreOffice est pratique pour ça, mais je préfère tellement Vim qui s’avère bien plus efficace quand on a l’habitude du logiciel.

Vérification des données

Je vérifie encore mes inputs. Les erreurs les plus courantes :
– Doubles espaces (un coup de regex et c’est fini)
– Accents dans les adresses mail
– Virgules à la place de points un peu partout
– Formatage pas toujours standardisé du numéro de téléphone… J’étale le champ adresse, unique jusque là, sur deux lignes. C’est long et pénible, un bon travail de stagiaire. Par superstition, j’enlève les guillemets placés inutilement dans les adresses physiques.
– Au passage, je découvre des adresses Yahoo, AOL, Cegetel, Alice, Wanadoo, Neuf et même quelques .gouv.*.
Ça fait un peu peur.

– Le champ galette_adherents.login_adh contient des caractères aléatoires servant d’identifiant pour l’adhérent. L’asso n’utilise pas cette fonctionnalité, mais pour ne pas contrarier Galette, je vais insérer des caractères aléatoires dedans : SUBSTRING(MD5(RAND()) FROM 1 FOR 15)
Ce n’est pas censé être un identifiant hexadécimal, mais ce n’est pas grave.

Enfin, je prends soin de distinguer les champs vides des champs NULL. On peut maudire SQL pour ça, je suppose.

Je termine la migration le 28 juin au soir, soit 24 heures avant la fin du stage. La journée de demain commencera à 09h00.

Déploiement de la solution

Ah oui, à ne pas oublier. Avant de former les utilisateurs, il faut d’abord déployer Galette sur leur réseau (en intranet). Je choisis l’utilisation de XAMPP sur l’un de leurs postes Windows.
Je configure le serveur DHCP de leur box pour que l’IP du poste en question soit fixe. Ma méthode est probablement discutable mais je ne vois pas d’autre option possible, surtout qu’héberger Galette sur le “cloud” ne leur aurait pas servi car ils ne travaillent sur la BDD qu’en local. Enfin, je déploie Galette, j’exporte la BDD depuis mon poste et je l’importe sur le leur. Je transfère aussi les fichiers de mon plugin. Évidemment, l’opération ne s’est pas déroulée sans accroc – surtout sur des postes Windows. J’ai perdu une à deux heures dans la migration.

L’imprévu fatidique

En formant l’une des deux bénévoles, on s’aperçoit ensemble que de nombreuses données de l’ancienne base sont erronées depuis quelques mois (suite à une maintenance de M. Calisson) et que ces erreurs ont été (évidemment) reportées sur la nouvelle base. Nous arrivons à une conclusion terrifiante : il faut repasser manuellement derrière chacune des 1275 adhésions à partir des bordereaux d’adhésion, conservés par précaution. Cette opération nous a coûté 4 à 5 heures. La bénévole a eu la gentillesse de m’apporter une pizza pour que je puisse finir mon travail d’esclave le plus vite possible sans sortir du bureau.

fig.1 Travailler en équipe pour résoudre un problème. La théorie.

fig.2 Travailler en équipe pour résoudre un problème. La réalité.

La formation

Vous imaginez qu’il ne me reste plus beaucoup de temps pour former les utilisateurs. La première bénévole était assez familière avec l’informatique, mais la deuxième ne l’était pas du tout – au contraire, elle détestait l’informatique. J’ai dû abréger beaucoup de points que je préciserai dans une documentation utilisateur à rédiger après mon départ. Ce fut très laborieux, mais l’essentiel a été vu. Il est 18h00, mon stage se termine et ma mission avec. Je remercie M. Touron qui m’offre une gratification de stage de 150 euros.

Le suivi

Le libre, c’est bien, mais quand il est encadré et suivi, c’est mieux. Le site web de l’association est hébergé par la Ligue de l’Enseignement, ce qui leur permet de profiter de tarifs très préférentiels. J’ai pu rencontrer l’un de leurs membres avec M. Touron dans le cadre de la migration du site de Joomla ! vers WordPress.
Ce monsieur, aux antipodes de M. Prunelle, était clairement fâché de mon choix de WordPress, en disant que les webmasters oublient souvent de mettre à jour le CMS et qu’il est généralement considéré comme une usine à gaz trouée par des failles de sécurité. Je ne peux qu’être d’accord avec lui sur ces points-là, malheureusement.
M. Touron aborde finalement la question de la gestion de la base de données (Galette, donc) et ce monsieur semble non seulement connaître le CMS, mais exprime sa satisfaction quant au choix d’un logiciel libre. Quand je lui ai dit que ce choix était par éthique, nous sommes rapidement partis dans une discussion libriste mentionnant La Quadrature du Net, l’April, Framasoft, les RMLL 2018 qui approchent à grands pas…

C’était ma première discussion avec un libriste dans la vraie vie et elle ne pouvait pas tomber à un meilleur timing. La personne idéale pour reprendre le projet était déjà trouvée, je peux dormir sur mes deux oreilles !

Ressenti personnel

Cet article est déjà beaucoup trop long, mais je tiens à exprimer mon ressenti sur ce stage. La rencontre avec M. Prunelle fut très parlante pour moi : j’ai réalisé à quel point les esprits peuvent être conservateurs dans le domaine de l’informatique.

Être libriste, c’est avant tout avoir des convictions que l’on défend au quotidien. Je ne m’attendais pas à entrer en conflit d’éthique avec qui que ce soit pendant ce stage, tout comme je ne m’attendais pas à rencontrer des personnes défendant les mêmes valeurs que moi. C’est aussi inciter les utilisateurs moins familiers vis-à-vis de l’outil informatique à découvrir les outils libres, faire face à leurs réticences dues à la peur de l’inconnu, à leur habitude d’utiliser des outils propriétaires et parfois, à leur manque de confiance en votre personne au prétexte de votre jeune âge et de votre supposé manque d’expérience.

Ce stage fut un véritable combat au nom de l’éthique et de mes propres convictions, mais il fut aussi porteur d’espoir : les libristes sont plus nombreux que je ne le pensais, et mon déplacement à mon tout premier meeting (les RMLL 2018) va probablement m’aider à mieux connaître (et sympathiser !) avec les différentes communautés et me permettre de définir plus précisément mon parcours professionnel en vue, dans l’idéal, d’un métier dans ce domaine.

Vive le libre !

@Neil@shelter.moe




Engagement_atypique

Une trajectoire hors du commun au bénéfice du bien commun : on aimerait bien qu’il y en ait beaucoup comme elle pour s’engager de façon aussi déterminée et compétente. Son parcours méritait bien une interview.

 Nous espérons entamer une série d’interviews de libristes qui comme elle sont particulièrement impliqué⋅e⋅s dans des projets et luttes complexes, au nom de l’intérêt général.

Bonjour, peut-on te demander de te présenter en quelques mots ?

quota_atypique au micro au cours des journées du libre à lyon 2018
Quota_atypique aux JDLL de Lyon, 2018 – photo d’Antoine Lamielle – CC BY-SA 4.0

– Je m’appelle quota_atypique, je suis venue pour vous mobiliser.

Bénévole depuis 2010 à La Quadrature du Net, je suis présidente de la Fédération FDN depuis un an et quelques semaines, et à la tête du groupe de travail de la même association en régulation des télécoms. Dans la vie, je suis doctorante en sciences de l’information et de la communication.

Peux-tu remonter un peu dans le temps et nous dire quand et pourquoi tu as mis le doigt dans l’engrenage de la contribution au Libre ?

Eh bien, ça remonte à… 2010 : je n’étais pas du tout dans le monde du libre à l’époque, mais déjà dans l’associatif –  j’étais au CA du MAG-Jeunes LGBT. J’ai assisté à un cours sur la neutralité du Net qui m’a complètement retournée : le soir même j’étais sur le site de La Quadrature du Net !
Plus tard dans l’année, j’ai entamé une étude ethnologique de quelques semaines au hackerspace Le Loop, pour mon Master. J’étais adoptée par les hackers à la fin.
À l’été 2011, j’ai assisté à ma dernière Marche des Fiertés en tant qu’orga, et ensuite je suis partie au Chaos Communication Camp avec La Quadrature. Le virage était pris. Ça a littéralement changé ma vie 🙂

Ça fait un bon moment qu’on te voit t’impliquer sur des questions de « régulation des télécoms » mais je me demande bien de quoi il s’agit au juste, c’est très technique ? Tu peux nous expliquer ? C’est quoi l’enjeu ?

Ça fait trois ans. Je suis tombée dans la marmite de la régulation des télécoms en 2015, au tout début de ma thèse.
C’est technique à sa manière, en fait : ça parle plus de droit et d’économie que de télécoms. Je trouve que ça donne une entrée assez intéressante pour apprendre les télécoms, pour s’emparer des choses, autre que l’ingénierie télécom. Mais c’est indéniablement ardu, il y a beaucoup de jargon, même si l’ARCEP fait des efforts de pédagogie.

L’enjeu, c’est simple : vous avez d’un côté Internet, l’outil dont on s’est doté pour changer la société (ce que Benjamin Bayart explique bien). De l’autre, vous avez le capitalisme (oui, rien que ça). Le premier a été conçu pour permettre, structurellement, plus d’ouverture. Le deuxième pousse à la recherche d’intérêts personnels à court terme. Si l’on veut que le deuxième respecte le premier et en bonus les droits fondamentaux des gens, il va falloir lui tordre le bras.

Pour moi, l’enjeu fondamental de la régulation des télécoms c’est ça : enrayer les engrenages d’un système, qui, si on le laisse faire, ne laissera aucune place à l’intérêt général et à la sauvegarde de nos droits fondamentaux sur Internet. La régulation seule ne suffit pas. C’est vrai que si on changeait de système ça irait mieux, certes. Mais en attendant, c’est pas plus mal d’enrayer ça et c’est pour moi l’enjeu principal de la régulation.

C’est un sujet dense et compliqué et les textes sont tout sauf minces ! On n’acquiert pas ce savoir-faire du jour au lendemain, surtout quand ce n’est pas ta formation. Est-ce que tu peux nous raconter comment tu y es arrivée et quels conseils tu donnerais aux personnes qui voudraient suivre ta voie ?

Non mais c’est juste le Code des Communications Électroniques Européen qui est énorme. Les autres textes ne sont pas aussi horribles !

Si j’ai appris en grande partie seule, j’ai aussi été soutenue et poussée de l’avant. Je dois beaucoup aux copains, Benjamin Bayart en première ligne, pour avoir eu la patience d’expliquer le fonctionnement de mille choses, et surtout pour m’avoir répété et répété et répété : « tu es légitime » . L’environnement des FAI associatifs est très « capacitant » de ce point de vue, les gens qui y participent ont envie de t’expliquer des choses et vont te pousser devant.

Ce que je conseillerais à d’autres, c’est :
– de ne pas avoir honte de poser des questions à ceux qui savent : il faut bien commencer quelque part et, vraiment, la plupart du temps les fédérés sont ravis d’expliquer.
– de s’accrocher : il y a une part du travail qui est solitaire, personne ne peut lire les premiers documents à ta place, ça il faut le faire toi-même. Après tu peux aller voir Machin qui sait et lui demander si ton interprétation est bonne. Mais si t’as pas essayé, tu peux pas savoir et donc pas poser les questions pour progresser.
– de ne pas avoir peur du jargon, ni de lire beaucoup. Le jargon, ça s’explique, et la régulation c’est vraiment beaucoup de lecture.
– de travailler en équipe : ça m’a beaucoup aidée de fonder ce groupe de travail sur la régulation, parce qu’on s’entraidait : quand je savais quelque chose, j’expliquais, quand je ne savais pas, on m’expliquait. Le savoir et les analyses se construisent beaucoup dans la discussion.

Cela t’a amenée à fréquenter des institutions telles que l’ARCEP et le RIPE connues mais lointaines pour une bonne partie d’entre nous. Qu’est-ce que tu peux nous en dire ? Ça fait quoi de rencontrer ces personnes et d’évoluer dans ces milieux ?

Je fréquente peu le RIPE, bizarrement, même s’il y aurait des choses à faire. J’ai jamais réussi à m’incruster à un seul événement !

En revanche, oui, j’ai été amenée à fréquenter pas mal l’ARCEP.
Très personnellement ça m’a fait du bien. Je me suis construite quasi toute seule en ce qui concerne les télécoms, et avoir un dialogue aussi constructif avec des agents de l’ARCEP, qui venaient chercher mon avis, aussi – pas seulement celui de Benjamin, ça donne une forme de légitimité.

Ce qu’on fait à l’ARCEP ressemble à du lobbying classique auprès d’instances dirigeantes. Je suis assez partisane de la stratégie qui vise à démontrer par a+b qu’on a raison, calmement, sans forcément aller au fight et c’est ce que j’essaye de faire là. Ça veut pas dire qu’on passe notre temps à leur dire qu’ils ont raison ou qu’ils font bien les choses, ce n’est pas vrai. On dit aussi quand ça ne nous va pas. On est toujours entendus et je crois qu’on est écoutés – je crois que ça paye, d’argumenter solidement. Ça ne suffit pas pour changer les choses – sinon depuis trois ans on aurait vu des changements notables dans la régulation, mais le dialogue qu’on a installé avec l’Arcep, qui est assez franc, me semble sain. Et donc j’en suis contente.

Mais le boulot des FAI associatifs et de leur fédération, c’est juste d’agir sur les régulations et la législation ? Ou y’a aussi des actions plus physiques (genre monter sur les toits) ?

Oui, on monte sur les toits !
Le boulot de la Fédération est surtout d’agir sur le terrain en fait. Ça ne sert à rien de demander à accéder à la fibre optique si on n’opère pas dessus… Notre mission première est de construire le réseau qui fabrique le monde dont on veut. La deuxième est d’empêcher les opérateurs de tourner en rond – en utilisant notre place atypique de citoyens qui font du réseau – avec la régulation.
Donc oui, ça comprend monter sur des toits pour amener de l’Internet là où il n’y a rien, brancher des câbles, racker des routeurs dans des datacenters… il y a une partie physique. C’est avant tout une histoire de fabriquer de l’Internet, ce truc.

Les bénévoles de l’association Illyse installent une antenne pour qu’une « zone blanche » des monts du Lyonnais puisse accéder à Internet.

La FFDN vient tout juste de tenir son assemblée générale annuelle, cela doit être un événement important et riche pour vous, quel bilan en tires-tu ? Dans quelle direction va la fédération ?

D’un point de vue purement associatif, j’en tire un bilan mitigé, mais optimiste. On s’est beaucoup occupé des sujets -– clivants et moins clivants – internes à notre fonctionnement, et je trouve, pas assez des questions qui nous meuvent : c’est quoi nos grands sujets ? c’est quoi l’enjeu de telle et telle action ? C’est dommage, il ne faut pas qu’on perde ça de vue. En revanche, comme chaque année, j’ai la preuve qu’on travaille avec de très belles personnes, que les associations sont capables de vraiment tisser des choses incroyables en fabriquant de l’Internet. Ça donne espoir.

Où va-t-on ? Vers plus d’ouverture, on cherche à agrandir la brèche qu’on a ouverte dans le petit monde des télécoms, je crois. On a envie d’essaimer davantage (d’avoir plus de membres), on est très motivés pour faire bouger les lignes sur l’accès à la fibre optique et je suis assez convaincue qu’on fera bouger des choses, on a entamé un travail sur l’inclusion que je trouve important. Enfin, on a relancé les initiatives de formation. Il y a du travail !

Tu as été réélue coprésidente de la FFDN (félicitations !), qu’est-ce que ça fait d’occuper ce poste ? c’est une lourde responsabilité ? Qu’est-ce que tu retiens de cette première année et que veux-tu pour la prochaine ?

À la Fédération, la plus lourde responsabilité est pénale. C’est (notamment) moi que ça engage, l’action contentieuse de l’association, par exemple. Mais au quotidien, c’est en fait pas si prenant, les fédérés s’auto-organisent beaucoup. Il faut juste avoir un œil sur ce qui se fait, pour suivre. L’autre gros travail consiste à présider les réunions (parfois…) et l’AG formelle.

J’ai longuement parlé de ce que ça fait d’occuper ce poste, ici sur mon blog. Ce que je retiens de ma première année de mandat c’est qu’il s’agit d’un poste qui est difficile à définir (on attend à peu près tout et son contraire de toi), et qui est fatigant, non pas à cause de la charge de travail mais de la charge émotionnelle.

Je me vois plus comme un porte-parole, et c’est comme ça que j’utilise ce poste – c’est l’une des rares choses que j’aie compris devoir faire. Je donne plus de conférences, d’interviews, etc.

J’espère arriver à prendre un peu plus ma place l’année prochaine, avoir un peu plus de vision politique. J’apprends toujours : avec le temps, je pense qu’en mûrissant et en prenant plus de confiance je serai une meilleure présidente 🙂

D’ailleurs, si on veut contribuer à vos actions, on fait comment ? On va où ? (et est-ce que vous mordez ?)

On ne mord pas 🙂
Le meilleur moyen pour s’y mettre c’est de contacter le FAI associatif le plus proche de chez soi ! Il y a une carte sur db.ffdn.org.
La plupart des assos membres de la Fédération tiennent une permanence ou une réunion mensuelle. Certaines ont même un local ! Rien ne vaut le contact humain : venir, poser des questions, discuter…

Contrairement à ce qu’on peut penser, pour contribuer à un opérateur associatif, il n’y a pas besoin d’être forcément très bon en technique.

1/ Ça s’apprend

2/ On a aussi besoin de communicants, de graphistes, de gens doués en compta, en droit, en vidéo en…

Bref on a besoin de tout le monde. Viens, on verra après !

dans un jardin, quelques groupes autour de 3 tables, atmosphère estivale (photo par Opi sur son blog)
Plutôt cool les réunions de travail à la FFDN… Photo par Opi sur son blog (licence wtfpl)

 

Lorsqu’on parcourt ton blog et qu’on suit tes réflexions on y décèle une forte influence de philosophes (Foucault, Platon, Kant et bien d’autres) que tu n’hésites pas à citer et utiliser pour soutenir ton travail et tes analyses. En quoi ces philosophes sont pertinents pour comprendre le numérique ? Quelle lecture tu en fais ?

Un jour, je me suis rendu compte que je n’allais pas pouvoir rattraper les ingénieurs qui m’entouraient sur leur terrain. Par contre, la philo, j’en ai fait à haute dose en prépa, et j’ai une solide culture dans le domaine, qui m’autorise à faire une lecture philosophique du monde sans trop me tromper et en étant à peu près légitime à le faire.

Ces philosophes sont pertinents dans l’analyse parce qu’ils fournissent des cadres de réflexion – pour peu qu’on les utilise rigoureusement, sans faire des enfants dans le dos à l’auteur. Ça permet de voir s’agencer des systèmes.

Aussi, le numérique est un outil pour faire société, on ne dit pas qu’Internet est le fil dont est tissé la société pour rien : au final les bonnes questions sont des questions de société. Moins de solutions d’ingénieurs qui répondent parfois élégamment à de faux problèmes et plus de : qu’est-ce que ça fait au tissu social ? À la démocratie ? Les philosophes se posent ces questions depuis le Ve siècle avant JC, ils sont de bon conseil.

Avant de t’investir dans le milieu libriste, tu avais déjà un engagement associatif et militant. Est-ce que tu peux nous parler de ton parcours ? Est-ce que ces combats t’accompagnent toujours et est-ce qu’ils sont faciles à mener en milieu libriste ? Comment tu vois la communauté libriste sous ces autres angles ?

Comme je le disais au début de l’interview, j’étais donc militante pour les droits LGBT avant. J’ai fait plusieurs choses. J’ai été administratrice du MAG-Jeunes LGBT au moins 4 ans, au cours desquels je m’occupais surtout d’animer une petite revue, la Magazette qui était lue par les adhérents. C’était passionnant, un vrai travail éditorial et une petite équipe : je tenais la ligne du journal, je faisais des interviews, je critiquais des spectacles… J’ai ensuite fait de l’accueil au local, pour les jeunes qui venaient nous voir. Ça a été un déchirement de rendre les clés du local, j’avais construit des choses fortes avec cette asso, et je lui dois beaucoup, aussi…

Je suis out depuis presque dix ans. Je suis toujours militante pour mes droits à titre privé – même si j’ai plus de mal à me situer dans l’éventail politique des luttes queer d’aujourd’hui.

J’ai hérité de cet engagement l’enracinement de mon travail militant dans celui d’Harvey Milk – c’est pour ça que je commence toujours avec « je suis venue pour vous mobiliser ». Je continue à penser que la visibilité de la différence est importante pour faire avancer les droits. Je me sers pour ça de mon titre de présidente. On peut être une meuf, on peut être queer ; on peut être le porte-voix d’opérateurs associatifs. C’est possible. Je suis contente de voir que d’autres présidentes dans la fédé ont été élues après moi. Mon but est d’ouvrir une brèche.

Enfin, je suis sensibilisée à la lutte contre les discriminations. Je sais ce que c’est que le sexisme et l’homophobie et j’essaye de balayer devant ma porte en amenant les garçons à penser et agir autrement, doucement. Le milieu du libre est très masculin, le milieu des télécoms est encore plus rude, je trouve. C’est loin d’être un hasard si peu de filles et de personnes LGBT l’investissent. Les fédérés sont très à l’écoute et progressent plus vite que le reste du milieu sur ces questions, et c’est génial, mais il y a encore tellement de travail…

Petite question Contributopia : dans le monde rêvé de la FFDN, et dans le tien, il y aurait quoi ? (vas-y, fais-toi plaisir, c’est open-bar utopique !)

Je vais parler juste en mon nom, ça va simplifier. Alors attention, voilà la liste de courses :

  • Un autre système économique moins écrasant – qui rendrait donc la régulation moins nécessaire, j’envisage parfaitement de me mettre au chômage
  • Des filles, partout. Aux postes de direction, dans tous les métiers, juste tellement partout que garçon ou fille pour exercer une activité, c’est plus un critère. Homo ou pas cesse d’être un critère aussi. En fait, de manière générale, j’aimerais que le numérique cesse d’être un truc d’hommes blancs cis. Ce truc sert à nous relier. Il n’y aucune raison de laisser le privilège de nous relier à une seule catégorie de la population, c’est pas fair-play.
  • Une infrastructure en communs : puisque Internet nous permet à tous de communiquer, pourquoi ça ne serait pas dans le giron par la puissance publique ? Genre comme l’eau, comme le rail, comme tout ce qui sert à tout le monde (on m’a dit : open-bar utopique !)
  • Un Internet qui ne sert plus à surveiller ou à vendre des trucs mais à apprendre ensemble et se parler : dans ce monde idéal, on a enfin gagné !

Je pourrais continuer encore, mais c’est pas mal, là.

On aime bien laisser le mot de la fin à nos invités, alors c’est à toi !

Je vais répéter ce que disait Benjamin :

à la fin, on gagne. La question est de savoir quand.

 

 




Gee : « un livre pour donner la niaque »

La collection Framabook édite le nouveau livre de Simon Giraudot, notre Gee, dont les dessins sont partout sur les sites du frama-réseau.

Mais là, surprise, il s’agit d’un roman, sans un seul petit miquet, intitulé « Working Class Heroic Fantasy » et sous-titré « Une aventure fantastique de la classe laborieuse ». Il s’agit donc bien d’une aventure épique avec des orques, des gobelins, des elfes et des nains, une arme magique, une noble quête… mais qui parle de révolution prolétarienne et d’exploitation capitaliste ! Nous sommes allés titiller l’auteur.

Allons bon ! Voilà que tu publies un roman ! Tu vas arrêter de dessiner ?

Là, si tu vas voir mon blog, tu peux avoir cette impression parce que je n’ai rien publié depuis la St Glinglin. Mais non, je compte bien continuer à faire les deux (écrire et dessiner). Après, ça m’aiderait que les journées fassent 36 heures, mais bon…

Ça fait quand même pas mal de temps que ça me démange d’écrire des choses plus littéraires. Outre les mini-pamphlets que j’écris parfois sur la section La fourche de mon blog, j’ai aussi déjà autopublié un petit recueil de nouvelles sans prétention.

Dis, c’est pas complètement nouveau, ce bouquin, tu l’as déjà publié en feuilleton sur ton blog. Dans quel but ? Tu voulais relever un défi ?

Le but, on Geene va pas se mentir, c’était la visibilité : ma hantise, c’était d’avoir passé des mois à écrire ce bouquin, de balancer un PDF + un e-pub sur le net et de le voir zappé/oublié dans la semaine. Le publier par épisode, ça permet de faire vivre le livre sur la durée. Par exemple, j’ai trouvé ça hyper chouette de lire les réactions des gens en direct quand il y avait un chapitre avec un rebondissement ou avec une grosse révélation qui était publiée. Il y a un effet communautaire, tu sens que les gens vivent la même histoire en même temps. C’est aussi très encourageant de lire des messages de lecteurs ou lectrices qui disent attendre avec impatience l’épisode suivant…

Pourquoi raconter ton histoire dans un monde médiéval-fantastique ? Quel intérêt pour ta narration ?

Alors en fait, la question est bizarre pour moi, parce que la toute première idée que j’ai eu, la déclic de base qui m’a lancé sur cette histoire, c’était de faire de la fantasy dans un monde moderne. Tout le reste (notamment l’aspect social / lutte des classes), c’est venu après.

Le principal intérêt, c’est bien sûr de parler de notre société en la transposant dans un univers où ses travers nous apparaissent bien plus facilement (parce qu’on a un regard extérieur plus facilement critique). Ça n’a rien de révolutionnaire, comme approche, les contes voltairiens faisaient déjà ça il y a trois siècles…

J’aimais bien aussi l’idée de renverser un peu les codes de l’épopée fantastique. Pas mal d’histoires modernes (~99% du cinéma hollywoodien par exemple) tournent autour de la figure du héros qui remporte la victoire à la force de ses petits bras, en se sortant les doigts du cul et en triomphant de l’adversité tout seul comme un grand, juste avec assez de volonté. « Quand on veut, on peut », « chacun est maître de son destin », etc. Le self-made man américain, en gros. Ce qui, en fait, donne des repères culturels et des figures très individualistes (allez, je le dis : très à droite).

Je voulais raconter au contraire une histoire où des personnages doivent s’organiser collectivement pour remporter la victoire, où on se méfie comme de la peste de l’homme providentiel et où on réfléchit plus en terme de déterminismes sociaux qu’en gentils/méchants (même s’il y a des beaux salopards dans mon bouquin, parce qu’il y en a dans notre monde aussi). Et foutre aussi un coup de pied aux culs des prophéties, des « élus » et des messies, des ressorts qui me gonflent et que je considère comme le niveau 0 de l’écriture scénaristique…

Et en plus tu t’es fait suer avec de l’écriture inclusive ? (hop, tu viens de perdre 20% de lecteurices potentiel-le-s ^^)

Mmh, pas vraiment, non ? Il y a juste un personnage agenré et qui est donc appelé avec des pronoms agenrés (« iel », « cellui-ci ») et qualifiée avec des adjectifs alternativement féminins et masculins. Je trouvais l’exercice intéressant, mais à mon sens ça ne rentre pas dans le cadre de l’écriture inclusive.

Avec le recul, un truc que j’aurais aimé faire, c’est utiliser la règle de proximité que je trouve élégante (en plus d’être justifiée pour l’inclusivité et d’être historiquement correcte). Mais j’en ai eu l’idée au moment où le bouquin était déjà passé par plusieurs relectures (et croyez-moi, à la dixième relecture, on trouvait encore des fautes), du coup je me suis dit que j’avais évité de faire péter un câble à mes relecteurs et relectrices en changeant tout à la dernière minute… Pour le prochain livre ?

Perdre 20% de lecteurices potentiel⋅le⋅s… à mon avis, c’est accorder beaucoup de poids aux excités convulsifs du point médian. Ils font beaucoup de bruit mais ils ne sont pas si nombreux… Et puis de toute façon, déjà en écrivant un bouquin clairement revendiqué comme politiquement très à gauche, je me coupe de pas mal de monde, non ?

Justement, professionnellement tu appartiens à une classe pas forcément toujours très politisée, et encore plus rarement à gauche. Comment t’est venue cette culture politique ? Est-ce que tu sens la nécessité d’être passeur, de faire une certaine forme de prosélytisme ?

Cette culture politique, elle est surtout familiale je pense. Mon père a grandi dans une HLM (dans lequel ma grand-mère habite toujours à l’heure actuelle) et ma mère dans un village de campagne avec la jolie partie où habitaient les cadres (près de l’école et de l’église) et, bien séparée par l’usine qui trônait au milieu, la partie beaucoup moins glamour où vivaient les ouvriers (je te laisse deviner de quel côté était ma mère). Alors certes, mes parents s’en sont bien sortis, ils bossent dans l’éduc nat, et moi je suis développeur dans une petite boîte de Sophia Antipolis. Donc j’appartiens clairement à la petite bourgeoisie intellectuelle, mais je n’oublie pas d’où vient ma famille.

Au-delà de ça, à mon sens, tu peux parfaitement être de gauche en étant un petit cadre tranquille avec un salaire confortable, à partir du moment où tu comprends que la population ne se compose pas à 100 % de petits cadres tranquilles avec des salaires confortables (c’est ce que j’en disais dans mon article où j’expliquais à mes amis étrangers pourquoi, en France, on n’avait pas tous sauté de joie quand Macron avait battu l’épouvantail bleu-brun).

Et puis, tu sais, les écoles d’ingé ont beau être remplies de gens biberonnés aux discours macronistes (tendance winneurz persuadés d’être l’élite du pays), ça reste beaucoup moins polarisé politiquement que les écoles de commerce, par exemple. À la base, tu atterris là parce tu es doué en sciences, maths, etc. : alors okay, quand on t’explique qu’en valorisant ça, tu peux te faire un pognon monstre, si t’as pas un minimum de culture politique ou de sens de l’éthique, tu vas foncer pondre de l’algorithme financier pour trader véreux sans te poser de question. Mais tu as aussi pas mal de jeunes ingés – de plus en plus, me dit mon côté optimiste – qui n’adhèrent pas à cela, qui comprennent qu’on leur propose de participer à un système pourri. Dans un Fakir récent, il y avait d’ailleurs un article Appel à l’élite (infiltrée) ! qui causait de polytechniciens qui virent plutôt très à gauche… C’est un mouvement que j’ai connu aussi dans mon école d’ingé (certes moins prestigieuse), mouvement auquel moi et potes nous identifiions d’ailleurs pas mal…

Quant à la question de faire du prosélytisme : non, car je ne pense pas que ce soit très efficace. La politique, c’est un peu comme la religion, si tu as des gens convaincus en face, aucun discours ne pourra les faire changer d’avis (voir, à ce sujet, le très intéressant article de Ploum Le coût de la conviction). Il faut qu’il se passe un truc, qu’ils ou elles vivent l’injustice ou les problèmes de la société dans leur vie, dans leur chair, chez leur proche, pour qu’un déclic puisse se faire. L’important, selon moi, c’est que lorsque ce déclic se fait, il y ait une réponse en face, quelque chose d’autre à proposer, et je me situe plutôt de ce côté-là : quand quelqu’un qui y croyait se retrouve dégoûté du système actuel, il faut être capable de lui présenter quelque chose d’autre qui soit désirable et fédérateur (ce qui rejoint ce que Framasoft essaie de mettre en place avec Contributopia).

Un roman sous licence libre, ça sert à quoi ? Qui pourrait s’en emparer ? Pour en faire quoi ?

Ça peut caler un pied de table aussi bien qu’un livre pas libre (bon, à condition de prendre la version imprimée, les fichiers informatiques étant moins adaptés au calage de meuble).

Par contre, par rapport à un livre pas libre, ça peut se modifier, se partager et même se vendre sans mon autorisation (enfin en fait, mon autorisation est générale et inscrite dans la licence). Imagine que ta table soit tellement bancale que mon petit bouquin de 360 pages ne suffise pas à la caler : eh bien tu aurais le droit d’y ajouter 4 chapitres pour atteindre les 490 pages nécessaires à caler ta table, et même copier cette version et la revendre à tes potes qui ont la même table pourrie que toi (au passage, les gars, changez de fournisseur de meubles). Va donc essayer de faire ça avec le dernier Amélie Nothomb…

Dans le cas de mon livre, il y a Patrice Monvel, un lecteur qui n’a pas de table branlante mais qui a un micro (et une voix), et qui s’est attelé à la lourde tâche de faire une version livre audio de Working Class Heroic Fantasy (je sais de quoi je parle, j’ai essayé d’en faire une, et j’ai abandonné au premier chapitre). Un grand merci à lui, au passage 🙂

Si vous prenez beaucoup les transports en commun mais que lire dans le bus vous donne la nausée, ça peut être une bonne façon de passer le temps ! Vous pouvez retrouver les fichiers (OGG + MP3) sur la page de chaque chapitre sur mon blog ou directement sur son blog à lui. Notez qu’il réalise d’autres livres audios, à partir de certaines nouvelles de Neil Jomunsi par exemple.

 

De quel personnage te sens-tu le plus proche ?

Sans doute de Zarfolk, l’ogre anarchiste. Bien que je ne sois pas (encore) un ogre… [NdA : je viens de gagner un pari]

C’est un ouvrage optimiste, finalement, ou pas ?

Plutôt, oui. Je pense que c’est un bouquin qui peut faire du bien à pas mal de monde. On est quand même dans une période pas facile : partout, tu vois des gens qui en ont ras-le-bol de subir le fameux « monde qui change » (mondialisation, capitalisme, néolibéralisme, etc., appelle ça comme tu veux), d’être sommés de se manger des beignes en souriant (la précarité heureuse, la flexisécurité et toutes les conneries du genre). Tu vois un monde qui court à sa perte, écologiquement comme socialement. Tu vois un désir d’autre chose, d’un autre idéal… allez, je m’autocite, tiens : d’un autre rêve.

"Il cause bien, mon dessinateur" dit un personnage de GeeEt en même temps, on n’arrive pas arrêter la machine (ni même à la freiner un peu), on se prend défaite sur défaite, on a des Trudeau, des Macron, des Merkel au pouvoir, on n’a plus gagné la moindre avancée sociale depuis des plombes et on se fait bouffer petit à petit la colonne vertébrale sociale que les types du CNR avaient réussi à mettre debout après la guerre. Le fait est qu’on ne sait plus comment lutter, qu’on n’en a plus la force… et, surtout, qu’on n’a plus la conviction de pouvoir réussir.

Donc oui, c’est un bouquin qui, clairement, a pour but de donner un peu de niaque et de patate, de redonner l’envie d’en découdre avec cette connasse de Tina. En toute humilité : ce n’est pas un bouquin qui changera le monde, mais si ça peut redonner l’espoir de pouvoir le changer à quelques personnes, ce sera déjà génial.

Du coup, l’exercice du roman, tu as trouvé ça comment ?

J’ai adoré. J’ai pris énormément de plaisir à l’écrire (et aussi – je sais que ça ne se dit pas, mais bon – à le relire). J’ai hâte de commencer le deuxième, mais pour l’instant, j’enchaîne l’écriture de petits synopsis et j’ai encore du mal à me décider sur lequel utiliser comme base pour mon prochain roman… comme on parle d’exercice d’écriture qui s’étale sur plusieurs mois, il faut que ce soit un truc qui m’accroche, me motive et ne me lâche pas au bout de deux semaines (j’ai déjà fait cette mauvaise expérience plusieurs fois, alors que pour Working Class Heroic Fantasy, j’ai gardé la flamme de A à Z).

Ce qui est fabuleux, c’est de pouvoir raconter à peu près n’importe quoi sans être bloqué par la forme. D’habitude, je fais des BD. Et comme je ne sais pas dessiner (vous n’aviez même pas fait gaffe ?), je suis énormément bloqué dans la forme : je peux avoir envie de dessiner une scène de combat épique avec un attroupement d’elfes syndicalistes face à des milices orquogobelinesques, mais le fait est que j’en suis incapable. Alors que dans un roman, il suffit de l’écrire… même s’il est toujours possible de l’écrire plus ou moins bien. 😉

Tu es parti d’un plan ou bille en tête sans réfléchir ?

J’avais ma situation initiale, mes personnages principaux et je savais où je voulais arriver à la fin du bouquin, mais c’est tout. J’ai déjà eu plusieurs tentatives infructueuses d’écriture de roman où je m’étais enfermé dans un plan et où, en fait, ça m’avait bloqué. Donc je suis parti dans l’idée que c’était une aventure, et qu’il était aussi bien que je la découvre avec mes personnages.

Bon, en vérité, après quelques chapitres, il y a malgré tout un plan qui s’est dessiné dans ma tête, des idées de scènes que je voulais pouvoir faire, etc. Mais c’est resté assez mouvant. D’ailleurs, petite anecdote : j’ai géré mon dossier de travail avec Git et je peux donc facilement revoir les versions précédentes. Eh bien je viens de regarder, et le synopsis de départ est quand même sensiblement différent de ce que l’histoire raconte dans sa version finale. Comme quoi, rien n’est figé…

On n’a pas vérifié, mais il se pourrait bien que tu sois le plus prolifique des auteurs Framabook. Tu as un message à faire passer ? ^^

Mon plan secret est d’annexer les éditions Framabook et d’en faire des Geebook, mais ne leur dites surtout pas, ils ne s’en sont pas encore rendu compte. Je les attaque par tous les fronts, aventures BD de 44 pages au format A4, recueils de strips au format A5, maintenant roman… j’ai plus qu’à leur faire un manuel, genre « Écrire des scripts Ruby dégueulasses en 10 leçons », et ils seront bien feintés.

À part nous, tu aimerais être interviewé par qui ? Allez, fais un vœu.

Oh, c’est pas courant, comme question, ça.

Mmh, je dirais par les gens de la chaîne Thinkerview. J’aime beaucoup ce qu’ils font : l’interviewer pose des questions pertinentes, sans détour, et les invités ont tout leur temps pour répondre, sans être contraints par un format millimétré comme à la télé ou à la radio en général (même si l’intervieweur a parfois tendance à un peu trop couper la parole). Après, j’aurais du mal à voir pourquoi ils iraient m’interviewer moi. 😀

Ressources




21 degrés de liberté – 21

Dans ce bilan de nos degrés de liberté perdus, il est question de déterminer les responsabilités et de réaffirmer la nécessité de lutter collectivement contre la menace d’extinction des droits que nous avions crus acquis.

Voici le dernier article de la série écrite par Rick Falkvinge. Le fondateur du Parti Pirate suédois récapitule, comme dans les épisodes précédents que nous vous avons déjà livrés, la perte des libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.

Conclusion : la vie privée est menacée d’extinction dans notre monde numérique

Source : Rick Falkvinge sur privateinternetaccess.com

Traduction Framalang : draenog, goofy.

Dans une série de billets sur ce blog, nous avons montré que quasiment tout ce que nos parents tenaient pour acquis en rapport avec la vie privée a été complètement éliminé pour nos enfants, au simple motif qu’ils utilisent des outils numériques plutôt qu’analogiques ; et les personnes qui interprètent les lois disent que la vie privée ne s’applique qu’aux anciens environnements analogiques de nos parents.

copie d'écran du film 1984

Une fois d’accord avec le constat que la vie privée semble simplement ne plus s’appliquer pour nos enfants, uniquement parce qu’ils vivent dans un environnement numérique et non analogique comme celui de nos parents, la surprise devient choc puis colère et on a très envie de rendre quelqu’un responsable de la suppression de cinq générations de lutte pour les droits civiques pendant que les gens regardaient ailleurs.

À qui la faute, donc ?

On peut mettre ici plus d’un acteur en cause, mais une partie du blâme revient à l’illusion que rien n’a changé, simplement parce que nos enfants du numérique peuvent utiliser les technologies obsolètes et démodées pour obtenir les droits qu’ils auraient toujours dû avoir par la loi et la constitution, quelle que soit la méthode par laquelle ils parlent à leurs amis et exercent leurs droits à la vie privée.

Nous avons tous entendu ces excuses.

« Vous avez toujours le secret de la correspondance, il vous suffit d’utiliser la bonne vieille lettre analogique ». Comme si la génération Internet allait le faire. Vous pourriez aussi bien dire à vos parents d’envoyer un télégramme pour bénéficier de droits élémentaires.

« Vous pouvez toujours fréquenter librement la bibliothèque. » Certes, uniquement si elle est analogique, pas numérique comme The Pirate Bay, qui ne se différencie d’une bibliothèque analogique que par son efficacité, et par rien d’autre.

« Vous pouvez encore discuter de ce que vous voulez. » Oui, mais seulement dans une rue ou une place analogique, pas dans les rues ou carrefours numériques.

« Vous pouvez encore sortir avec quelqu’un sans que le gouvernement ne connaisse vos préférences. » Seulement si je préfère sortir avec quelqu’un de la manière dont nos parents le faisaient, dans le monde analogique risqué, à comparer au monde numérique sûr où les prédateurs s’évanouissent d’un clic sur le bouton « bloquer », une possibilité que nos parents n’avaient pas dans des bars douteux.

Les lois ne sont pas différentes pour l’analogique et le numérique. La loi ne fait pas de différence entre l’analogique et le numérique. Mais aucune loi n’est au-dessus des personnes qui vont l’interpréter dans les prétoires, et la manière dont les gens interprètent ces lois signifie que les droits à la vie privée s’appliquent toujours au monde analogique, mais jamais au monde numérique.

Ce n’est pas sorcier d’exiger que les mêmes lois s’appliquent hors ligne et en ligne. Ceci inclut les lois concernant le droit d’auteur, ainsi que le fait que le secret de la correspondance est supérieur au droit d’auteur (en d’autres termes, il est interdit d’ouvrir et d’examiner une correspondance privée pour des infractions dans le monde analogique, pas sans mandat individuel et préalable – nos textes de lois sont pleins de ces pouvoirs et contre-pouvoirs ; ils devraient s’appliquer au numérique aussi, mais ne le font pas aujourd’hui).

Pour revenir sur le blâme, voici un protagoniste : l’industrie du droit d’auteur. Leurs représentants ont soutenu avec succès que leurs lois monopolistiques devraient s’appliquer en ligne exactement comme elles s’appliquent hors ligne et ce faisant ont complètement ignoré les pouvoirs et contre-pouvoirs qui s’appliquent à leurs lois monopolistiques dans le monde analogique. Et puisque la copie de films et de musiques s’est déplacée vers les mêmes canaux de communication que ceux que nous utilisons pour la correspondance privée, le monopole du droit d’auteur en tant que tel est devenu fondamentalement incompatible avec la correspondance privée.

L’industrie du droit d’auteur est consciente de ce conflit et a continuellement poussé à dégrader et éliminer la vie privée pour soutenir à toute force ces monopoles obsolètes et qui tombent en ruine. Par exemple en promouvant la détestable Directive sur la conservation des données (maintenant clairement invalidée par les tribunaux) en Europe. Ils utilisent cette loi fédérale (ou son équivalent européen) pour littéralement obtenir davantage de pouvoir que la police pour poursuivre des particuliers qui partageaient simplement de la musique et des films, qui les partageaient comme tout le monde le fait.

Il y a deux autres facteurs majeurs à l’œuvre. Le deuxième est le marketing. Si nous sommes suivis pas à pas dans les aéroports et autres centres commerciaux, c’est simplement pour nous vendre encore d’autres trucs dont on n’a pas besoin. Ceci au prix de la vie privée que nos parents analogiques tenaient pour acquise. Et on ne parle même pas de Facebook ou Google.

Enfin et surtout il y a les faucons de la surveillance – les politiciens qui veulent paraître « durs contre le crime », ou « impitoyables contre le terrorisme », ou tout autre élément de langage de la semaine. C’est eux qui ont insisté pour que la Directive sur la conservation des données devienne une loi. Et c’est l’industrie du droit d’auteur qui en fait l’a écrite pour eux.

Ces trois facteurs conjoints ont été largement mis à contribution.

Cela va être une longue et difficile bataille pour regagner les libertés qui ont été gagnées petit à petit par nos ancêtres sur à peu près six générations, et ont quasiment été abolies en une décennie.

Il n’est pas délirant de demander que nos enfants aient dans leur environnement numérique au moins l’ensemble des droits civiques dont nos parents bénéficiaient à l’ère analogique. Et pourtant, cela ne se passe pas comme ça. Nos enfants ont raison de demander des droits à la vie Privée équivalents aux analogiques – les droits civiques dont nos parents non seulement bénéficiaient, mais qu’ils tenaient pour acquis.

J’ai peur que n’avoir pas su transmettre ces droits civiques à nos enfants ne soit considéré comme le plus grand échec de la génération actuelle, quels que soient les progrès accomplis par ailleurs. Une société qui repose sur la surveillance généralisée peut s’imposer en dix ans seulement, mais peut prendre des siècles à défaire.

La vie privée reste votre propre responsabilité aujourd’hui. Nous devons tous la reconquérir, simplement en exerçant nos droits, avec tous les outils à notre disposition.




21 degrés de liberté – 20

Aujourd’hui nos employeurs peuvent intercepter nos communications passées sur notre lieu de travail, une nouvelle atteinte à la vie privée que n’auraient pas admise nos parents et dont nos enfants sont victimes.

Voici déjà le 20e article de la série écrite par Rick Falkvinge. Le fondateur du Parti Pirate suédois aborde ici le droit légal des employeurs à prendre connaissance de nos messages quand ils sont passés dans l’entreprise.

Le fil directeur de la série de ces 21 articles, comme on peut le voir clairement dans les épisodes précédents que nous vous avons déjà livrés, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.

Votre patron ne pouvait pas lire votre courrier. Jamais.

Source : Rick Falkvinge sur privateinternetaccess.com

Traduction Fralang : dodosan, Susyl, goofy.

Slack vient tout juste de mettre à jour ses conditions générales d’utilisation pour permettre à votre employeur de lire vos conversations privées sur des canaux privés. Nos parents auraient été choqués et horrifiés à l’idée que leurs chefs ouvrent les colis et lisent les messages personnels qui leur étaient adressés. Pour nos enfants dans le monde numérique, cela fait partie de la vie de tous les jours et ne mérite qu’un haussement d’épaule.

un homme à son bureau de travail encombré d'ordinateurs est en train de téléphoner
Photo par philcampbell (CC-BY 2.0)

Le bon vieux système téléphonique, parfois appelé par son abréviation anglaise POTS, est un bon exemple de la façon dont les choses devraient se passer, même dans le monde numérique. Les législateurs avaient vu juste dans l’ensemble à ce sujet.

Lorsque quelqu’un passe un appel téléphonique – un appel à l’ancienne, analogique – on sait que la conversation est privée par défaut. Peu importe à qui appartient le téléphone. C’est la personne qui l’utilise, à cet instant précis, qui a tous les droits sur ses capacités de communication à l’instant T.

L’utilisateur a tous les droits d’utilisation. Le propriétaire n’a aucun droit d’intercepter les communications ou d’interférer avec elles sur la seule base du droit de propriété.

Autrement dit, être propriétaire d’un outil de communication ne donne pas automatiquement le droit d’écouter les conversations privées passant par cet équipement.

Malheureusement, cela ne s’applique qu’au réseau téléphonique. Qui plus est, uniquement à la partie analogique du réseau téléphonique. Si quelque chose est même de loin numérique, le propriétaire peut intercepter pratiquement tout ce qu’il veut, pour n’importe quelle raison.

Cela s’applique particulièrement au lieu de travail. On pourrait soutenir qu’on n’attend aucun respect de la vie privée quand on utilise l’équipement de son employeur. Cela revient précisément à oublier qu’une telle intimité était primordiale pour les POTS, il y a moins de deux décennies, quel que soit le propriétaire de l’équipement.

Certains employeurs installent même des certificats numériques wildcard2 sur les ordinateurs de l’espace de travail, dans l’objectif bien particulier de contourner la sécurité de bout en bout entre les ordinateurs des salariés et le monde extérieur, effectuant ainsi une attaque dite « homme du milieu ». En termes politiquement corrects, cette pratique est appelée « interception HTTPS3 » et non « attaque de l’homme du milieu » quand elle est menée par votre employeur et non par un autre attaquant.

Puisque nous en sommes à comparer analogique et numérique et la façon dont les droits à la vie privée se sont évaporés en passant d’une époque à l’autre, il est intéressant de jeter un coup d’œil aux lois qui régissaient un fort ancien moyen de communication, la correspondance postale. Demandez-vous si votre patron pouvait ouvrir votre courrier simplement parce qu’il vous était adressé sur votre lieu de travail.

Les lois sont un peu différentes selon les pays sur ce point, mais en général, même si votre patron ou entreprise étaient autorisés à ouvrir votre correspondance (c’est le cas aux USA mais non en Angleterre), ils n’étaient en général jamais autorisés à la lire (même aux USA) ;

Tout au contraire, pour le courrier électronique, vos employeurs ne se content pas de lire la totalité de vos courriels, mais ont souvent engagé une équipe entière pour le faire. En Europe, la chose est allée jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui a statué qu’il est tout à fait normal pour un employeur de lire la correspondance la plus privée, pourvu qu’il en informe les employés (ce qui piétine au passage l’espoir d’une confidentialité par défaut)

Il va de soi que ce principe qui s’applique aux courriels maintenant un peu démodés s’applique désormais aussi à tous les moyens de communication d’aujourd’hui, tels que Slack.

De sorte que pour nos enfants de l’ère numérique, l’idée suivant laquelle « le courrier c’est privé et il vous appartient, peu importe si vous le recevez au travail » semble définitivement oubliée. Encore un principe que nos aînés de l’époque analogique tenaient pour acquis, et pour lequel ils n’ont pas cru nécessaire de combattre.

La vie privée demeure de votre responsabilité.




PeerTube : vers la version 1, et au-delà !

PeerTube est un logiciel libre permettant d’héberger et de partager des vidéos.

Ses principales différences avec YouTube, Dailymotion, Vimeo & co ?

  • PeerTube est libre : son code est un « commun » numérique, partagé avec tous et toutes, et non une recette secrète appartenant à Google (pour YouTube) ou à Vivendi/Bolloré (pour Dailymotion).
  • PeerTube est décentralisé : toute personne en ayant les compétences peut l’installer sur son propre serveur et mettre en place « sa » version de PeerTube (qu’on appelle une « instance »).
  • PeerTube n’impose pas de gouvernance : contrairement à YouTube, toute structure (individu, entreprise, association, communauté, etc.) ayant installé son instance PeerTube peut choisir sa thématique, les vidéos qu’elle héberge, qui peut s’y enregistrer pour disposer d’un compte, etc.
  • PeerTube est fédéré : contrairement à YouTube qui est un seul énorme silo contenant des milliards de vidéos, une instance PeerTube peut se connecter à d’autres instances de son choix et afficher leurs vidéos, sans avoir besoin de changer de site. Ainsi, avec PeerTube, vos vidéos ne sont plus isolées sur une seule machine : elles peuvent être cherchées et regardées depuis des centaines d’autres instances PeerTube.
  • PeerTube permet du streaming en pair-à-pair : contrairement à YouTube, qui est le seul « émetteur » de la vidéo, si 100 personnes regardent une même vidéo avec PeerTube, elles s’envoient de petits morceaux de la vidéo les unes aux autres, diminuant ainsi les coûts de diffusion pour la structure hébergeant l’instance.

[Vidéo de présentation de PeerTube, en anglais, avec les sous-titres français, sur Framatube. Pour la vidéo avec les sous-titres en anglais, cliquez ici. Réalisation : Association LILA (CC by-sa)]

 

Rappel des épisodes précédents : en novembre dernier, nous vous annoncions que Framasoft avait recruté Chocobozzz, le développeur du logiciel PeerTube (alors en version alpha), afin de lui donner les moyens de produire une version bêta du logiciel.
Nous vous avions alors sollicités pour nous aider à financer ce contrat de quelques mois (octobre 2017 à mars 2018). Grâce à l’aide précieuse de centaines de donatrices et donateurs, nous avons pu tenir notre engagement et publier la version bêta de PeerTube en mars 2018 (en respectant les délais, en plus !).

Depuis, les instances PeerTube ont fleuri. On compte aujourd’hui plus d’une centaines d’instances publiques déclarées (et sans doute bien plus non publiquement déclarées), hébergeant plusieurs milliers de vidéos !
Nous avons aussi pu éprouver sa robustesse lorsque nos amis de Datagueule ont publié leur film « Démocratie(s) » simultanément sur YouTube et PeerTube. Malgré des milliers de connexions, le logiciel a parfaitement tenu la charge. 🙂

Vers la version 1, et au-delà !

Cependant, force est de constater que PeerTube reste un logiciel encore non finalisé.
Par exemple la recherche n’est pas encore très fonctionnelle (si vous cherchez « Iinternet own boy » sur Framatube, aucun résultat n’est retourné, alors que si vous cherchez « internet’s own boy« , vous pourrez accéder à cet excellent documentaire sur la vie de l’hacktiviste Aaron Swartz).
PeerTube ne permet pas non plus encore d’intégrer un fichier de sous-titres à une vidéo, ou d’afficher son interface dans une autre langue que l’anglais, etc.
Bref, PeerTube fonctionne (bien), mais il reste encore de nombreuses améliorations à y apporter pour pouvoir le considérer comme une alternative sérieuse à YouTube.

Framasoft a donc fait le pari de prolonger le contrat de Chocobozzz jusqu’à la fin de l’année 2018, afin là encore de se donner les moyens d’atteindre son objectif, fournir une version 1 de PeerTube.

Mais là encore, se posait la question du financement de ce poste.

Comme nous avions déjà sollicité la communauté francophone (qui connaît plutôt bien l’association Framasoft et nous fait confiance depuis des années), nous ne souhaitions pas demander à cette communauté de mettre à nouveau la main au portefeuille.

Représentation d’instances PeerTube (CC by-sa – Association LILA)

 

Framasoft Need You!

Nous avons donc fait le choix de lancer une « classique » campagne de financement participatif. Mais de nous adresser avant tout au public non-francophone lors de son lancement.

En effet, les actions de Framasoft sont relativement inconnues à l’étranger. Évidemment parce que l’essentiel de nos travaux (maison d’édition Framabook, annuaire Framalibre, et bien entendu nos différents services libres de la campagne « Dégooglisons Internet ») sont publiés en français, mais aussi parce que nous communiquons et intervenons rarement à l’étranger (à quelques exceptions près).
Nous souhaitons donc, avec cette campagne, sensibiliser le public non-francophone, en l’informant de l’existence de PeerTube (qui n’est pas un vaporware  puisque déjà largement fonctionnel).

Par ailleurs, et de façon pas du tout anecdotique, nous souhaitons remercier l’association LILA qui, en parallèle de la réalisation de ZeMarmot (long métrage d’animation réalisé avec Gimp), a réalisé la magnifique animation que vous pouvez découvrir au début de cet article ou, bien entendu, sur la page de campagne. Cette vidéo a été réalisée uniquement avec des logiciels libres (Gimp, ça va de soi, mais aussi Synfig et Blender). Merci à Jehan et Aryeom pour leur colossal travail en un temps record ! N’hésitez pas à les remercier et à les encourager financièrement pour leurs travaux.

Notez que la vidéo est disponible sur Framatube (évidemment) afin de pouvoir la partager. Elle est naturellement sous licence libre (CC by-sa), ainsi que la musique (par Ken Bushima – CC by).

La page de la campagne en anglais est accessible ici : https://www.kisskissbankbank.com/en/projects/peertube-a-free-and-federated-video-platform/ (et en français ici : https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/peertube-a-free-and-federated-video-platform/ )

Le premier des trois paliers de la campagne de financement PeerTube (CC by-sa – Association LILA)

Comment nous aider ?

Vous pouvez bien évidemment participer financièrement à la campagne de financement participatif, mais si vous l’avez déjà fait fin 2017, vous aurez compris qu’on ne vous met pas la pression (d’autant que cette fois, il n’y aura probablement pas de défiscalisation possible).

Vous pouvez aussi nous aider à traduire certaines parties de la campagne, qu’il s’agisse de la page de campagne, de la FAQ, des sous-titres de la vidéo, ou du site joinpeertube.org, en vous signalant comme volontaire sur notre forum.

Nous sollicitons surtout votre aide pour partager l’information sur les médias sociaux (libres ou non), en utilisant si possible le hashtag #joinpeertube !

Si vous avez un oncle d’Amérique, une tante en Australie, une cousine au Chili, ou un frère en Allemagne, lui signaler l’existence de PeerTube nous serait d’une grande aide pour faire découvrir ce projet qui nous semble essentiel pour l’émancipation de toutes et tous.

 

Joinpeertube – Cliquez pour accéder à la page de campagne