Rome, septembre 2023 : journal de bord de la troisième visite d’études d’ECHO Network

Pour rappel, les participant⋅es à l’échange européen ECHO Network font partie de 7 organisations différentes dans 5 pays d’Europe : Ceméa France, Ceméa Federzione Italia, Ceméa Belgique, Willi Eichler Academy (Allemagne), Solidar Foundation (réseau européen), Centar Za Mirovne Studije (Croatie), Framasoft (France).

Compte-rendu de la semaine à Rome.


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C’est la troisième visite d’étude dans le cadre du programme ECHO Network, cette visite nous mène à Rome, la ville musée. Enfin nous : seulement Numahell, puisque le COVID en a décidé autrement pour les trois autres qui avaient prévu de venir…

Après un petit périple par bus puis train depuis Lyon, j’arrive dans l’après-midi à la gare Termini à Rome. Avec les membres des CEMÉA France, nous rejoignons deux membres de Solidar pour manger ensemble. Des questions sur l’educ’pop nous traversent dès le premier soir pendant le repas : quelle est la différence entre éducation populaire et éducation active ? Et l’éducation active, il se passe quoi si tu n’as aucune curiosité ? Bref, des discussions très riches.

Gare de Termini (CAPTAIN RAJU - CC BY-SA - Wikimedia)
Gare de Termini (CAPTAIN RAJU – cc-by-sa – Wikimedia)

Les deux premières journées se déroulent dans la « Casa del municipio » à Rome. Ces maisons municipales permettent aux associations de la ville de s’y retrouver, de faire des activités, de réserver gratuitement des salles. Un peu comme certaines maisons de quartier en France, ou les maisons des associations dans les grandes villes (sauf que dans la plupart des grandes villes c’est payant, par exemple à Toulouse c’est 60€ l’année).

Nous commençons par des exercices de brise-glace pour apprendre à se connaître : épeler le prénom de chacun-e en mimant les voyelles de son prénom, communiquer pour se positionner dans l’ordre alphabétique, et enfin se classer par rapport à là d’où nous venons, du plus loin au plus proche. Animés par Christina des CEMÉA Mezzo Giorno, ces brises glaces seront notre rituel de début de journée.

Jour 1 : formation à distance, projection sur ECHO Network, visite de squat

Formation à distance, en présence : retours d’expérience et début de stratégies

La première matinée est consacrée à des retours d’expérience de trois organisations sur la formation à distance. Si vous vous souvenez, il y a à peu près 3-4 ans il y a eu un confinement ou deux… nous obligeant à modifier nos pratiques en terme de formation.

L’Acque Correnti (traduction : « les courants d’eau ») doit former les bénévoles de l’équivalent italien du service civique, environ 15000 personnes par an. L’état italien fixe des règles strictes sur la formation des services civiques, il y a trois volets.
Soudain, le Covid et paf : la question de la formation à distance se pose. Massimiliano raconte comment ils ont utilisé les fonctionnalités de sous-salles de Zoom (nous connaissons l’alternative libre BigBlueButton qui offre également cette fonctionnalité).

Fondé en 1951 par des éducateur⋅ices et des enseignants, le Movimiento di cooperazione Educativo prône les méthodes de pédagogie active. Il fait partie de la FIMEM, organisation internationale autour de la pédagogie Freinet, créée dans les années 50.
Constitué de groupes territoriaux, ils assurent des activités de formation chaque année, et animent également un groupe de recherche au niveau national, sur les disciplines dont ils s’occupent.
Pour le public enfants, cela va de la maternelle au secondaire. Les formations sont assurées majoritairement à distance, et ce avant le COVID.
Donatella présente l’expérience accumulée, et notamment le site senzascuola.wordpress.com.

Les CEMÉA Federazione Italiana comme son nom l’indique fédère les CEMÉA d’Italie. Les formations assurées par la fédération ce sont dix stages par an, environ neuf jours par stage. Au début, de nombreux formateur⋅ices refusaient d’enseigner à distance : il est important de reconnaître les limites de l’enseignement à distance. Luciano explique qu’il faut « curbare la technologia » (courber, tordre la technologie) à nos pratiques, et non l’inverse. La question est de savoir comment utiliser nos méthodes de pédagogie actives à distance. Il revient sur onze problématiques de la formation à distance, dont certaines sont similaires en ligne ou sur site, telle que la gestion du temps et de l’espace, ou l’alternance des types d’apprentissage.

Le temps de questions / réponses a permis de dégager quelques points intéressants. L’un de nos hôtes, Claudio, indique qu’il faut plus craindre la déshumanisation que les technologies elles-mêmes. De plus, les projections virtuelles nous restreignent l’utilisation de notre langage corporel, de par la vision du corps à travers l’espace 2D des écrans. Il est donc important de se réapproprier les corps et les espaces en 3D, par exemple par des pauses loin de nos ordinateurs.
Les questions d’accessibilité  contribuent également à la marginalisation de certain·es participant·es, notamment la question de la barrière de la langue.

Nous nous accordons à dire qu’il ne faut pas abandonner la formation en ligne aux marchés privés : ces organisations ne font pas forcément de pédagogie active et ont un but plus lucratif qu’émancipateur. Malheureusement, ce sont ces organisations que les institutions financent, l' »ed tech » (education technologies), plutôt que les collectifs d’éducation populaire, à visée plus éthique.

L’ESS, l’enseignement au numérique en Italie

L’après-midi, nous réfléchissons collectivement à la suite du projet Echo Network, en répondant aux questions suivantes : ce que fait chacune de nos structures, ce qui nous intéresse toustes et enfin les perspectives futures du projet.

Tableau avec des post-it attachés dessus.

Nous nous sommes réparti·es ensuite en petits groupes pour une discussion plus informelle. Dans mon groupe, nous avons comparé les pratiques entre l’Italie, la France et Belgique sur l’ESS (Économie Sociale et Solidaire) puis sur la place de l’enseignement du numérique à l’école.

Christina des CEMÉA Mezzo Giorno expose la situation en Italie, où des réformes récentes ont reconfiguré le paysage de l’ESS (Économie Sociale et Solidaire).
En Italie, trois statuts d’organisations sont inclus dans l’ESS :

  • l’Odivu qui est un type d’organisation de volontariat
  • les APIES : des associations à visées sociales, à but non lucratif et ayant moins de 50% de salariés
  • les « impresa sociale », un nouveau type d’entreprise avec des composantes sociales, actuellement en expérimentation

Les frontières sont floues entre ces types d’organisation. Le débat actuel en Italie porte sur la limite public / privé et le contrôle de l’éthique : la troisième catégorie amène un assouplissement des règles pour déterminer si une organisation relève de l’économie sociale ou non. Un peu comme on peut le voir en France avec la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), il existe un risque important de social-washing.

Nous apprenons qu’en Italie, les directeurices d’établissement ont beaucoup plus de pouvoir qu’en France et qu’un cloisonnement existe entre écoles et associations, y compris au niveau des enseignants. Cela empêche les associations d’intervenir dans les écoles et d’y amener des méthodes actives et des thématiques comme la sensibilisation aux enjeux du numérique.
En Belgique, c’est paradoxalement dans les écoles « libres » (privées) qu’il y a de plus en plus d’expérimentations de la pédagogie active. Il y a donc de quoi creuser sur le contexte socio-structurel de chaque pays sur ces sujets.

Ensuite, sur la thématique du numérique, j’ai parlé pour le cas français du langage de programmation Scratch qui est utilisé en cours de techno au collège et des Sciences Numériques et Techniques en seconde. J’aurais aussi pu parler de la plateforme PIX, qui est utilisée pour la validation des acquis.

Sur le sujet du matériel, j’explique qu’en France bien souvent celui-ci devient vite obsolète et est mal maintenu. Il dépend des mairies, départements ou régions selon la nature de l’établissement.
En Italie, l’État investit beaucoup avec l’argent de l’EU, des TNI (Tableaux Numériques Interactifs) équipent quasiment chaque classe, mais les enseignants ne sont pas formés et n’en connaissent pas le dixième des possibilités.

Selon des recherches récentes, environ 75% des enseignants utilisent des méthodes de pédagogie frontales en Italie : je me demande combien en France.

Enfin, nous parlons un peu de la question de l’utilisation du jeu ou du jeu vidéo en classe, et j’en profite pour mentionner aux copain·es le projet Minetest (un équivalent libre à Minecraft).

 

Tout un immeuble en autogestion, un commun dans la ville

Nous visitons en fin d’après-midi un lieu d’occupation emblématique à Rome, Spin Time Labs, qui accueille à la fois des réfugié⋅es, des SDF, des étudiant⋅es grévistes contre la hausse des loyers. Le bâtiment dispose d’un auditorium, d’une salle de concert, d’un studio de radio. De nombreuses activités culturelles et artisanales s’y déroulent, nous découvrons en particulier un journal papier édité par un collectif composé exclusivement de jeunes de moins de 25 ans, Scomodo.

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Cet endroit est géré par ses habitant⋅es et contributeurices, il n’y a pas de loyer mais les personnes qui bénéficient du lieu peuvent proposer en échange leur temps, faire des dons financiers ou proposer leur aide sur des chantiers de réfection.

Environ 150 familles sont logées dans cet immeuble occupé, où même la mairie de Rome, pourtant peu orientée à gauche, tolère ce squat pour les services qui y sont rendus, et même les travailleurs sociaux de la mairie renvoient des personnes vers ce lieu pour y trouver de l’aide et des ressources.

Après cette visite, nous nous sommes retrouvé·es pour discuter dans une rue animée du quartier Pigneto, où les riverain·es sont particulièrement investi·es dans la vie du quartier.

Jour 2 : IA, ateliers

Le lendemain 27 septembre, Claudio nous reçoit pour nous présenter le CSV (Centro di servicio volontario) Lazzio. Le lieu est un peu sa maison, on l’y sent comme un poisson dans l’eau.

Christina anime un jeu pour se dégourdir : chacun choisit un geste qui lui correspond et l’a désigné tout le long du jeu, ce qui nous a obligées à avoir une attention visuelle durant ce moment. Ce type d’exercice d’éducation populaire a pour but d’améliorer la cohésion du groupe, et ça fonctionne !

Présentation sur l’IA

Ensuite, nous assistons à la présentation de Marika Mashitti, doctorante à l’Université Roma tre au département des sciences de l’éducation.

Elle commence par des définitions (ce qu’est une IA, les différents types de systèmes) et rappelle que l’IA est surtout une discipline scientifique. Puis elle enchaîne sur un petit historique, qui montre la rapidité des dernières avancées, notamment depuis le début de la pandémie, comme si c’était devenu une urgence de développer ce domaine.

Pour elle, c’est une question de pouvoir. En effet, qui est impliqué dans les recherches sur les IA ? Des personnalités comme Elon Musk et des géants du web tels que Alphabet, Meta, Microsoft, etc.

Elle donne quelques exemples de biais dus aux IA : des discriminations dans la reconnaissance des visages (seulement 52% de succès dans la reconnaissance de visages de femmes noires), des publicités ciblées pour des opportunités de jobs, le profiling.

Extrait d'une diapositive de la présentation, parlant de « l'algocratie ».

Le mot « Algocracy » (« le pouvoir par les algorithmes », forgé par Danaher, 2018), est lâché. Elle insiste sur le fait que la technologie n’est jamais neutre. Elle aborde le point de singularité, en reprenant la proposition de Frederico Cabitza, Professeur à l’Université de Milan. Il définit la singularité comme le moment où l’humain choisit de laisser quasi-intégralement le contrôle à la machine plutôt que sa définition classique, à savoir le moment où celle-ci devient indistinguable d’un humain.

Les membres de l’assemblée ont bien apprécié sa présentation, aussi bien son contenu que l’énergie qui l’anime et posent de nombreuses questions.

 

Les enjeux du numérique en atelier

Nous commençons l’après-midi avec un jeu que j’ai proposé, et que j’avais déjà expérimenté au Camp Climat 2022. il s’agit de se positionner sur deux axes pour une question donnée : un axe selon son niveau de confiance (en anglais : confidence) et l’autre son niveau d’aisance (en anglais : confortable), en se séparant en trois groupes. Christina, Morgane et Claudio ont préparé une liste de 4 problématiques :

  • la formation en ligne
  • les IA
  • les règlementations politiques au sujet du numérique
  • le pouvoir d’agir

Des discussions intéressantes ont eu lieu, chaque personne devant expliciter son choix de positionnement. Cet exercice a permis aux personnes qui avaient peu pris la parole de s’exprimer, les petits groupes facilitant l’écoute. J’y apprends que deux personnes du groupe utilisent régulièrement des IA génératives pour leurs travail quotidien dans la communication, et que la conférence de ce matin leur a fait prendre conscience des enjeux.

Ensuite nous reprenons les discussions, soit autour du travail fait la veille, soit sur les écrits démarrés le matin, pour en faire un résumé sur une feuille A2 : mon groupe a représenté tout cela en un nuage de mots.

Jour 3 : ateliers, « Zazie Nel Metro », rétrospective de la semaine

Ateliers numériques en impro

Le jeudi, nous nous retrouvons dans le même lieu pour deux ateliers sur le numérique, imaginés la veille suite à la réorganisation d’une partie du programme, du fait de l’absence d’un de nos camarades covidés.
Nous avons animé ces deux ateliers en parallèle deux fois, pour que chaque groupe en bénéficie.

  • atelier mobile : les paramètres pour améliorer sa vie privée, et quelques applications libres intéressantes. Animé par Domenico et moi-même.
  • atelier desktop / internet : des logiciels et des applications libres pour s’organiser, notamment Zourit. Animé par Lucas des CEMÉA Belgique et Olivier des CEMÉA France

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J’ai été étonnée car nous n’étions que peu nombreux⋅ses à connaitre ces outils et astuces. Les participant⋅es ont vraiment apprécié de les découvrir. Je trouve ce format d’atelier pratique pour mettre le pied à l’étrier et permettre d’éviter les listes à la Prévert, qui noient parfois l’auditoire.

Visite de « Zazie Nel Metro »

Zazie Nel Metro est un bar associatif et sa librairie associée, gérés par un collectif de personnes très chouettes, qui organisent divers évènements artistiques et citoyens. Iels organisaient 3 jours après un festival nommé « Zazie la bona vita », alliant discussions militantes / politiques et concerts.

Photo d'une affiche du festival, avec le slogan « Zazie Fest Bona Vita »

Notre hôte nous présente une sélections de livres d’auteurices anarchistes ou engagés à gauche, notamment « Cimento, arme di construzionna di massa », de Anselm Jappe, ou encore un livre de Ivan Illich que nous apprécions chez Framasoft. Cela fait écho étrangement à de trop nombreux projets de constructions inutiles, imposés et écocides…

Photos de différents livres posés sur une table

J’y retournerai si je reviens un jour à Rome (e perchè no :))

Retour sur les 3 jours

Nous nous retrouvons dans l’après-midi au local des CEMÉA Mezzo Giorno (ce qui signifie « Milieu de jour » mais aussi « centre de l’Italie »).

Morgane anime le moment qui suit en demandant à chacun·e de noter sur des post-it trois choses de notre séjour, que l’on classe sur trois affiches illustrées :

  • ce qu’il faut conserver (dans un frigo)
  • ce à quoi je vais repenser dans les prochaines semaines (🧠)
  • ce qu’il faut jeter (une poubelle très bien dessinée)

Photo d'une assemblée de personnes assises en cercle avec 3 feuilles de papier au centre, et des morceaux de papiers posés sur ces 3 feuilles.

Invitation à la fête de l’école

Pour finir ce dernier jour, certains d’entre nous assistent à la fête de l’école dans laquelle interviennent nos hôtes des CEMÉA Mezzo Giorno, Christina et Domenico. Cette école se situe dans un quartier populaire mixte socialement ; elle est intéressante car les CEMÉA Mezzo Giorno ont initié depuis plus d’une dizaine d’années une multitude de projets (activités en commun, ateliers musique, …) ayant notamment pour objectif de faire en sorte que la population des migrants soit mieux acceptée : et ça fonctionne.

J’avoue que j’ai un petit moment de nostalgie, tant cette ambiance de fête d’école m’en rappelle d’autres. Et il est temps de prendre congé, je visiterai Rome le lendemain et continuerai mon voyage de retour en France tranquillement en train, ayant le privilège d’avoir du temps devant moi cette fois là.

 

 




Rome, September 2023 : logbook of the third ECHO Network study visit

As a reminder, the participants in the European ECHO Network exchange belong to 7 different organisations in 5 European countries: Ceméa France, Ceméa Federzione Italia, Ceméa Belgique, Willi Eichler Academy (Germany), Solidar Foundation (European network), Centar Za Mirovne Studije (Croatia), Framasoft (France).

Report on the week in Rome.

Click here to read the article in French.

This is the third study visit as part of the ECHO Network program, this visit takes us to Rome, the museum city. Well, us: only Numahell, since COVID decided otherwise for the other three who had planned to come…

After a short trip by bus then train from Lyon, I arrive in the afternoon at Termini station in Rome. With the members of CEMÉA France, we join two members of Solidar to eat together. Questions about popular education cross our minds from the first evening during the meal: what is the difference between popular education and active education? And active education, what happens if you have no curiosity? In short, very rich discussions.

File:Rome Termini in 2018.06.jpg
Termini Station (CAPTAIN RAJU – CC BY-SA – Wikimedia)

The first two days take place in the « Casa del municipio » in Rome. These municipal houses allow the city’s associations to meet there, do activities, and book rooms for free. A bit like some community centers in France, or the community centers in big cities (except that in most big cities it’s paid, for example in Toulouse it’s €60 a year).

We start with icebreaker exercises to get to know each other: spelling each person’s first name by miming the vowels of their first name, communicating to position ourselves in alphabetical order, and finally classifying ourselves according to where we come from, from the furthest to the closest. Led by Christina from CEMEA Mezzo Giorno, these icebreakers will be our ritual at the start of the day.

Day 1: distance training, screening on ECHO Network, squat visit

Distance learning, face-to-face training: feedback and start of strategies

The first morning is dedicated to feedback from three organizations on distance learning. If you remember, about 3-4 years ago there was a lockdown or two… forcing us to change our training practices.

The Acque Correnti (translation: « the water currents ») must train volunteers for the Italian equivalent of civic service, about 15,000 people per year. The Italian state sets strict rules on civic service training, there are three components.

Suddenly, Covid and bam: the question of distance learning arises. Massimiliano tells how they used Zoom’s breakout room features (we know the free alternative BigBlueButton which also offers this feature).

Founded in 1951 by educators and teachers, the Movimiento di cooperazione Educativo advocates active pedagogy methods. It is part of the FIMEM, an international organization around Freinet pedagogy, created in the 1950s.
Made up of territorial groups, they provide training activities each year, and also lead a research group at the national level, on the disciplines they deal with.
For children, this ranges from kindergarten to secondary school. The training is mainly provided remotely, and this before COVID.
Donatella presents the experience accumulated, and in particular the site senzascuola.wordpress.com.

The CEMEA Federazione Italiana as its name suggests federates the CEMEA of Italy. The training provided by the federation consists of ten courses per year, approximately nine days per course. At the beginning, many trainers refused to teach remotely: it is important to recognize the limits of distance learning. Luciano explains that we must « curbare la technologia » (bend, twist the technology) to our practices, and not the other way around. The question is how to use our active teaching methods remotely. He returns to eleven issues of distance learning, some of which are similar online or on site, such as time and space management, or alternating types of learning.

The question/answer time allowed us to identify some interesting points. One of our hosts, Claudio, says that we should fear dehumanization more than the technologies themselves. In addition, virtual projections restrict our use of body language, by seeing the body through the 2D space of screens. It is therefore important to re-appropriate bodies and spaces in 3D, for example by taking breaks away from our computers.
Accessibility issues also contribute to the marginalization of some participants, particularly the issue of the language barrier.

We agree that we should not abandon online training to private markets: these organizations do not necessarily do active pedagogy and have a more lucrative than emancipatory goal. Unfortunately, these are the organizations that institutions finance, « ed tech » (education technologies), rather than popular education collectives, which have a more ethical aim.

ESS, digital education in Italy

In the afternoon, we collectively reflect on the continuation of the ECHO Network project, answering the following questions: what each of our structures does, what interests us all and finally the future prospects of the project.


We then split into small groups for a more informal discussion. In my group, we compared practices between Italy, France and Belgium on the ESS (Social and Solidarity Economy) and then on the place of digital teaching in schools.

Christina from CEMEA Mezzo Giorno explains the situation in Italy, where recent reforms have reconfigured the landscape of the ESS (Social and Solidarity Economy).
In Italy, three organizational statuses are included in the ESS:

  • Odivu which is a type of volunteer organization
  • APIES: associations with social aims, non-profit and with less than 50% employees
  • the « impresa sociale », a new type of company with social components, currently being tested

The boundaries are blurred between these types of organization. The current debate in Italy concerns the public/private boundary and the control of ethics: the third category brings a relaxation of the rules to determine whether an organization falls under the social economy or not. A bit like we can see in France with CSR (Corporate Social Responsibility), there is a significant risk of social-washing.

We learn that in Italy, school principals have much more power than in France and that there is a compartmentalization between schools and associations, including at the teacher level. This prevents associations from intervening in schools and bringing active methods and themes such as awareness of digital issues.
In Belgium, it is paradoxically in « free » (private) schools that there are more and more experiments in active pedagogy. There is therefore something to dig into the socio-structural context of each country on these subjects.

Then, on the subject of digital technology, I spoke for the French case of the Scratch programming language which is used in technology in middle school and of Digital and Technical Sciences in the second year. I could also have spoken about the PIX platform, which is used for the validation of acquired skills.

On the subject of equipment, I explain that in France it often quickly becomes obsolete and is poorly maintained. It depends on the town halls, departments or regions depending on the nature of the establishment.

In Italy, the State invests a lot with EU money, IWBs (Interactive Digital Boards) equip almost every class, but teachers are not trained and do not know a tenth of the possibilities.

According to recent research, about 75% of teachers use frontal teaching methods in Italy: I wonder how many in France.

Finally, we talk a little about the question of using games or video games in class, and I take the opportunity to mention to my friends the Minetest project (a free equivalent to Minecraft).

An entire building under self-management, a common in the city

In the late afternoon, we visit an emblematic occupation site in Rome, Spin Time Labs, which welcomes refugees, homeless people, and students striking against rising rents. The building has an auditorium, a concert hall, and a radio studio. Many cultural and craft activities take place there, and we discover in particular a paper newspaper published by a collective composed exclusively of young people under 25, Scomodo.

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This place is managed by its residents and contributors, there is no rent but people who benefit from the place can offer their time in exchange, make financial donations or offer their help on renovation projects.

About 150 families are housed in this occupied building, where even the Rome City Hall, which is not very left-leaning, tolerates this squat for the services provided there, and even the social workers of the city hall refer people to this place to find help and resources.

After this visit, we met up to chat on a lively street in the Pigneto district, where local residents are particularly involved in the life of the neighborhood.

Day 2: AI, workshops

The next day, September 27, Claudio receives us to introduce us to the CSV (Centro di servicio volontario) Lazzio. The place is a bit like his home, we’re in our element.

Christina leads a game to stretch: everyone chooses a gesture that corresponds to them and has designated it throughout the game, which forced us to have visual attention during this moment. This type of popular education exercise aims to improve group cohesion, and it works!

Presentation on AI

Then we attend the presentation by Marika Mashitti, a doctoral student at the University of Roma tre in the Department of Educational Sciences.

She begins with definitions (what AI is, the different types of systems) and recalls that AI is above all a scientific discipline. Then she goes on to give a brief history, which shows the speed of the latest advances, especially since the start of the pandemic, as if it had become urgent to develop this field.

For her, it is a question of power. Indeed, who is involved in AI research? Personalities like Elon Musk and web giants such as Alphabet, Meta, Microsoft, etc.

She gives some examples of biases due to AI: discrimination in facial recognition (only 52% success in recognizing faces of black women), targeted advertising for job opportunities, profiling.

Excerpt from a slide from the presentation, talking about “algocracy”.

The word “Algocracy” (“power through algorithms”, coined by Danaher, 2018), is dropped. She insists on the fact that technology is never neutral. She addresses the point of singularity, taking up the proposal of Frederico Cabitza, Professor at the University of Milan. He defines singularity as the moment when humans choose to leave almost complete control to the machine rather than its classic definition, namely the moment when the latter becomes indistinguishable from a human.

The members of the assembly appreciated her presentation, both its content and the energy that drives it and asked many questions.

Workshop on digital issues

We start the afternoon with a game that I proposed, and that I had already tried at the Climate Camp 2022. It involves positioning yourself on two axes for a given question: one axis according to your level of confidence and the other your level of comfort, by splitting into three groups. Christina, Morgane and Claudio prepared a list of 4 issues:

  • online training
  • AI
  • political regulations on digital technology
  • the power to act

Interesting discussions took place, with each person having to explain their choice of position. This exercise allowed people who had spoken little to express themselves, the small groups making it easier to listen. I learn that two people in the group regularly use generative AI for their daily work in communication, and that this morning’s conference made them aware of the issues.

Then we resume the discussions, either around the work done the day before, or on the writings started in the morning, to summarize them on an A2 sheet: my group represented all this in a word cloud.

Day 3: workshops, “Zazie Nel Metro”, retrospective of the week

Improv digital workshops

On Thursday, we meet in the same place for two workshops on digital technology, imagined the day before following the reorganization of part of the program, due to the absence of one of our covid comrades.
We ran these two workshops in parallel twice, so that each group could benefit from them.

  • mobile workshop: settings to improve your privacy, and some interesting free applications. Led by Domenico and myself.
  • desktop / internet workshop: free software and applications to organize yourself, including Zourit. Led by Lucas from CEMÉA Belgium and Olivier from CEMÉA France

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I was surprised because there were only a few of us who knew these tools and tips. The participants really enjoyed discovering them. I find this workshop format practical for getting started and avoiding Prévert-style lists, which sometimes drown the audience.

Visit to “Zazie Nel Metro”

Zazie Nel Metro is an associative bar and its associated bookstore, managed by a collective of very nice people, who organize various artistic and civic events. They organized 3 days later a festival called “Zazie la bona vita”, combining militant / political discussions and concerts.

Photo of a festival poster, with the slogan “Zazie Fest Bona Vita”

Our host presents us with a selection of books by anarchist or left-wing authors, including « Cimento, arme di construzionna di massa » by Anselm Japp, or a book by Ivan Illich that we appreciate at Framasoft. This strangely echoes too many useless, imposed and ecocidal construction projects…

Photos of different books lying on a table

I will go back if I ever come back to Rome (e perchè no :))

Looking back on the 3 days

We meet in the afternoon at the CEMEA Mezzo Giorno premises (which means « Midday » but also « center of Italy »).

Morgane leads the next moment by asking everyone to write down on post-its three things from our stay, which we classify on three illustrated posters:

  • what to keep (in a fridge)
  • what I’m going to think about in the coming weeks (🧠)
  • what to throw away (a very well-drawn trash can)

Photo of a group of people sitting in a circle with 3 sheets of paper in the center, and pieces of paper placed on these 3 sheets.

School Party Invitation

To end this last day, some of us attend the school party in which our hosts from CEMEA Mezzo Giorno, Christina and Domenico intervene. This school is located in a socially mixed working-class neighborhood; it is interesting because CEMEA Mezzo Giorno have initiated a multitude of projects for over ten years (joint activities, music workshops, etc.) with the aim of ensuring that the migrant population is better accepted: and it works.

I admit that I have a little moment of nostalgia, as this school party atmosphere reminds me of the one my children went to <3. And it is time to say goodbye, I will visit Rome the next day and continue my journey back to France quietly by train, having the privilege of having time in front of me this time.




L’amour en commun : essai subversif

À l’occasion de la parution de L’amour en commun, essai de la collection Des Livres en Communs (Framasoft), nous avons questionné les auteurices. Leur cheminement peut se mesurer à l’aune du premier point d’étape que nous avions publié en avril 2023. Un impressionnant travail d’écriture et de questionnement !

Couverture du livre L'amour en commun
Retrouvez L’amour en commun sur le site DLEC

Margaux, Timothé, vous venez d’écrire un livre à quatre mains dans la collection Des Livres en Commun. C’est le premier ouvrage de la collection subventionné sur notre modèle de mise en commun de la connaissance et pour lequel vous aviez proposé un projet très motivant. Après presque deux ans d’efforts voici un travail remarquable et stimulant sur l’amour et comment le fait de penser nos relations sociales à travers cette notion permet aussi de proposer une alternative au capitalisme et ses imaginaires. C’est une grosse dissert’ de philo ou c’est autre chose ?

Margaux — À vrai dire, j’ai du mal à définir ce que recouvre cet essai. C’est peut-être un OVNI, un ouvrage non-identifié, un projet tentaculaire qui partait d’un questionnement sur les limites des modèles relationnels dans lesquels nous évoluions et qui est allé vers quelque chose de plus grand.

En fait, une fois que nous avions posé le constat que les modèles classiques de la famille et de l’amour étaient à réinventer, ce qui nous semblait évident, c’est comme si tout l’ouvrage restait encore à écrire. Qu’est-ce qui fait que le changement individuel ne marche pas ? Quelles structures sociales nous empêchent de nous aimer mieux ? Comment faire autrement ? Dans les expérimentations qui ont tenté de sortir du capitalisme, qu’est-ce qui peut nous inspirer et qu’est-ce qui a été mythifié et nous aveugle au contraire ? Nous avons avancé dans le projet au fil de nos lectures, en changeant de direction, d’avis, de plan d’ouvrage. Donc je dirais que c’est un livre de cheminement de pensée, qui recouvre deux ans de formation politique à grand coup de fiches de lectures, de rencontres et de discussions. Nous n’avons rien inventé, nous avons collecté, mis en lien, synthétisé ce que nous amassions. Avec la spécificité de faire tout ça à quatre mains, donc en se donnant une confiance et une liberté totale, y compris celle de ne pas être forcément d’accord au mot près avec ce qu’écrivait l’autre.

En bref, c’est un livre qui a suscité plus de questions que de réponses. Il en reste encore plein !

Timothé — Une « Grosse disser’t » de philo, c’est à la fois un peu dur et un peu gentil. Personnellement je ne pense pas savoir écrire une disser’t, alors je doute d’en avoir écrit une à l’insu de mon plein gré. En plus notre sommaire n’est, je pense, pas adapté à une dissert, il part dans trop de directions. Cet essai est plutôt entre un panier en osier et un topo d’escalade. Dans le panier, les idées s’accrochent et se mêlent pour donner un ensemble solide qui peut servir à accueillir de nouvelles choses. Avec un topo d’escalade, les parties peuvent être prises individuellement pour partir affronter la face d’une montagne, mais collectivement ces parties décrivent l’ensemble de la montagne. En plus, comme ledit Margaux c’est tout à fait un cheminement, et qui continue souvent à cheminer dans ma tête, avec de nouvelles idées qui surgissent… Mais bon, aujourd’hui nous avons décidé de ne plus rien rajouter pour pouvoir sortir le livre. Nous avons fait notre part et maintenant c’est aux lecteurices de prendre la suite si iels ont en envie. C’est un livre libre, alors servez-vous-en et enrichissez-le si le cœur vous en dit.

De l’amour courtois médiéval aux princes et les princesses des contes, de Marivaux à Titanic, les représentations de l’amour sont surtout des émergences du romantisme et du couple sempiternellement revisité, et caricaturé. Pourtant face à la diversité des sentiments, on nous ressert bien souvent la même soupe. Qu’est-ce que vous entendez par une idéologie de la domination ? et vous répondez quoi ?

Margaux — Pour répondre à cette question, il faut définir rapidement ce que j’entends quand je parle d’amour romantique dans cet essai. C’est un ensemble de normes, véhiculé par la culture occidentale et façonnant des imaginaires largement partagés sur ce que l’amour (le vrai) devrait être.

D’une manière un peu ringarde en effet, c’est le·a princesse charmant·e, c’est l’idée d’un·e âme sœur complémentaire, d’un·e partenaire qui nous est prédestiné·e, avec lequel nous pourrions fusionner dans une histoire d’amour sans fin. Mais c’est plus complexe que ça. Si nous sommes à peu près tous·tes d’accord pour rejeter cette représentation, l’amour romantique n’a pas disparu pour autant de nos manières d’entrer en relation. Le problème, c’est que l’amour romantique est une construction sociale indissociablement liée à celle du couple hétérosexuel :c’est sa forme légitime. Or le couple hétérosexuel, dans le mythe de la complémentarité entre ses partenaires, vient lui-même renforcer l’idée que le sexe se confond avec l’identité de genre et un désir pour le sexe opposé.

Autrement dit, les discours qui me préexistent, dont ceux sur l’amour romantique, m’amènent à penser que si j’ai une vulve, je suis une femme et je suis attirée par les hommes, et que si je souhaite avoir accès au couple et à la famille, il va falloir m’en contenter. L’idéologie de la domination, j’y viens, c’est donc le fait que sous le voile de l’amour romantique, on en vient à justifier des violences patriarcales, des inégalités et l’exclusion de toutes les personnes qui ne se retrouvent pas dans les schémas hétérosexuels, monogames et genrés.

Ce que je réponds à l’idéologie de la domination… c’est qu’on n’est pas sorti·es de l’auberge ! Je pense que sortir du patriarcat (ce qui me semble essentiel à des relations amoureuses saines), c’est sortir du binarisme de genre. Ensuite, il faut penser la question du pouvoir. Je trouve que l’amour romantique vient souvent hanter nos tentatives de réinvention du sentiment amoureux. Par exemple, que la non-exclusivité est une passade jusqu’à ce qu’une relation monogame se stabilise et évince les autres. Ou au contraire, que la coexistence de plusieurs relations, au nom de la réinvention du modèle amoureux, va légitimer une mise en compétition des partenaires et un fort individualisme affectif. La solution la plus convaincante que j’ai trouvée pour le moment, ce sont les réseaux affectifs de Brigitte Vasallo, et de se décentrer du rapport amoureux pour valoriser l’amitié. Mais là, il va falloir lire le livre parce que je suis en train de le divulgâcher 🙂

Timothé — C’est Margaux qui a travaillé sur cette partie, alors je n’ai pas grande chose à ajouter.

Les pirates Ann Bonny et Mary Read (1724, B. Cole). Wikimedia. Domaine public.
Les pirates Ann Bonny et Mary Read (1724, B. Cole). Wikimedia. Domaine public.

Depuis les années 1980, il y a une sociologie de la famille, une géographie de la famille, on s’intéresse au mariage, aux transmissions culturelles, l’apport structurel de la parenté dans la société, la parentalité, la sexualité, etc… mais cette notion dans l’histoire des sciences est assez instable et ne recouvre pas toujours les mêmes choses. Vous parlez d’un imaginaire de la famille, qui serait même « de droite », et vous pensez l’alternative de la parentèle : les pratiques sont-elles en train de changer ?

Timothé ­— J’espère !!!

Une statistique importante c’est qu’aujourd’hui presque la moitié des enfants vivent dans des familles recomposées. C’est une énorme modification. Après, de là à dire qu’elle est de droite ou de gauche…

Dans sa partie sur les « couples » Margaux rapporte des interviews qu’elle a faites, ce qui appuie de façon directe son propos. De mon côté j’en ai fait 3. Une dans un habitat collectif dont les membres retapent collectivement un corps de ferme pour qu’à la fin chacun.e y ait son logement. Une d’un couple qui a une petite fille et qui vit avec un ou deux colocs suivant les moments. Et enfin une de deux ami.es qui, dans la mesure du possible, essayent de prioriser leur relation sur le travail. C’était mes premières interviews, et je n’ai pas réussi à en faire sortir des citations que je pouvais facilement incorporer au texte. Donc je ne l’ai pas fait. C’est 3 groupes qui sont déjà une marque de changement et créent des pratiques qui, si elles existaient avant, étaient inconnues. Le fait que ces pratiques soient mises en lumière, notamment par notre travail, ne peut que participer au changement. Néanmoins, même ce genre de différence par rapport à la norme est difficile aujourd’hui, car il n’existe pas de structure juridique qui les rend facilement accessibles.

Il y a des volontés de faire différemment, mais si elles ne sont pas accompagnées par la législation, il faudra plus de temps pour qu’elles prennent en amplitude. L’absence de cadre légal n’est pas un frein suffisant pour empêcher les humain·es de faire famille comme iels l’entendent. Alors, au bout d’un moment, il faudra bien reconnaitre que ces nouvelles familles existent et faire avec.

Cob House. Maison en torchis, Zad de NDDL. Hambinfo. 2016.
Cob House. Maison en torchis, Zad de NDDL. Hambinfo. 2016. Wikimedia. CC-By-Sa.

Le système capitaliste nous impose ses modèles et ses imaginaires. Selon vous, en quoi les expériences concrètes de résistances collectives, de préfiguration, en particulier les ZAD et plus généralement des projets de vie en commun, permettent de penser différemment notre rapport à l’amour ?

Margaux — Pour expliquer comment nous sommes arrivé·es à nous intéresser à la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes et à la piraterie, je vais retracer rapidement notre chemin de pensée. Notre hypothèse de base était que réinventer l’amour par le biais de nos relations individuelles en changeant simplement de contrat (non-exclusivité, polyamour, etc.) ne fonctionne pas, parce qu’il faut s’attaquer aux structures sociales qui le définissent, donc in fine au capitalisme et au patriarcat.

À partir de là, nous avons cherché du côté des expériences et des luttes qui tentaient de construire des « contre-mondes », c’est à dire des bulles de résistance au capitalisme et qui, par leur existence, affaiblissent le système social et tentent de préfigurer une vie en dehors de lui. Nous supposions que, dans ces espaces, penser un rapport à l’autre différent serait envisageable.

MAIS, et c’est un grand mais, la réalité de ces luttes est plus ambigüe. Pour la piraterie comme pour la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, j’ai été marquée par l’importance du mythe, qui est constamment utilisé pour les raconter. Pour les pirates par exemple, il existe une multitude d’interprétations contradictoires de ce phénomène social. Si j’ai choisi la piraterie comme agent révolutionnaire, qui a permis pendant un temps éphémère de mettre en cause le développement du commerce maritime international, je sais que cela n’embrasse pas tout ce que cela a pu être. Sur la question précise du rapport à l’autre, la mythification des pirates empêche par exemple de penser la place des femmes au sein de ces contre-mondes, où d’interroger le rôle des pirates dans le commerce triangulaire qui a participé à la colonisation.

Pour la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, qui est devenue une référence de militantisme quasi-universelle (qu’elle soit plébiscitée ou décriée), c’est pareil. C’est un très bon exemple des dangers de la mythification d’une lutte sociale. Parce que quand on parle de la ZAD, on parle de quoi ? De la victoire contre l’aéroport ? De l’opération César ? Du collectif qui est resté habiter sur les terres en négociant avec l’État ? De la volonté de créer un nouveau rapport au vivant ? De ce que j’ai lu, il me semble que l’histoire de la ZAD est multiple, complexe, pas toujours reluisante, mais surtout que le récit de ce qu’a été une lutte est souvent écrit par les vainqueurs, aux dépens de celleux qui ont participé à une lutte et en ont été évincé·es. Donc de là à en faire une terre magique où l’on pourrait tous.tes s’aimer quel que soit notre genre, notre classe sociale ou notre couleur de peau… pour moi on en est loin.

Et cela rejoint peut-être une idée importante à mon sens :si sortir du capitalisme est indispensable pour mieux s’aimer, la lutte des classes seule n’entraînera pas la fin du patriarcat. Il nous faut lutter pour nos conditions matérielles d’existence pour survivre, tout en pensant nos relations en dehors du prisme hétérosexuel, hiérarchique et inégalitaire.

Timothé — C’est dur d’essayer de s’astreindre à l’objectivité. Il serait tellement plus simple de créer des mythes et de les encenser plutôt que de les écorner. D’une certaine façon cela nous rendrait plus forts, nous aurions un modèle, des plans et nous saurions où aller. Si nous proposons des imaginaires et des moyens alternatifs au capitalisme, nous reconnaissons aussi qu’aucun n’est parfait et adaptable partout. Finalement… tout ça pour rien ? Non pas vraiment, car retrouver de la diversité dans les modes de vie c’est nécessaire. Nous n’allons pas revenir à ceux du passé, car le monde à changé (physiquement) et tous ont présentés de gros red flags. Margaux parle des pirates et de la Zad. Moi, dans la partie sur les liens aux vivants, je parle d’une relation à la terre, à l’espace et aux non humains qui le peuplent en montrant que nous devrions retrouver un lien que nous avons perdu. Ce lien il a disparu, c’est comme ça, il ne faut pas vouloir le recréer à l’identique, car beaucoup des sociétés qui l’ont fait perdurer étaient bien plus patriarcales et nationalistes qu’aujourd’hui. Il faut le retisser avec les connaissances et l’état du monde actuel.

Pour ce qui est de la préfiguration, Il y a une interview qui m’avait mis des étoiles dans les yeux. Celle d’Alessandro Pignocchi, auteur avec Philippe Descola de Ethnographies des mondes à venir. Il dit qu’un modèle serait de créer partout des Zad vivantes en réseau. Sur le moment j’avais adoré l’idée, mais d’une part, il met sous le tapis les difficultés de Notre Dame des Landes et, d’autre part, il oublie que les Zads, si elles savent fabriquer des cabanes, ne savent pas fabriquer les outils pour fabriquer les cabanes (c’est une remarque de Frédéric Lordon). Tout cela pour dire que l’on ne lutte pas contre un système qui a tout uniformisé (le capitalisme) avec une autre façon d’uniformiser. C’est une des conclusions de nos réflexions :il n’y a pas de contre-modèle parfait, en revanche il y a plein de contre-modèles chouettes où piocher.

Imaginaire Tradwife
The Ladies’ home journal (1948). Wyeth, N. C.. Wikimedia.

Pour de nombreuses représentations, la famille est d’abord perçue comme un cadre social dédié aux soins, notamment pour les enfants, et à la transmission des valeurs, ce qui structure les relations de couple dans un référentiel figé voire traditionnel. La société de consommation a modifié ces dynamiques. Pour beaucoup qui ont du mal à l’accepter, il s’agit de revenir à une vision réactionnaire de la famille ou du couple. Or, à y regarder de plus près, la société de consommation n’a-t-elle pas plutôt amplifié des tendances comme le patriarcat, l’exclusivité, la hiérarchisation des émotions ?… En somme, justement des tendances réactionnaires.

Margaux — De mon côté, je me suis intéressée à l’irruption des notions de marché et d’économie dans la sphère amoureuse, notamment à travers l’ouvrage Pourquoi l’amour fait mal d’Eva Illouz. L’autrice soutient que dans une société de consommation néolibérale, le désir comme moteur de choix et l’utilitarisme comme modèle de décision traversent nos relations. C’est ce qu’elle appelle l’individualisme affectif, c’est-à-dire l’injonction à l’autonomie du sujet dans son épanouissement, qui grâce à sa rationalité est capable de faire les meilleurs choix sur le marché amoureux. Dès lors, l’individu ne tend plus à faire un choix satisfaisant, mais le meilleur pour ellui. Cela explique selon elle la difficulté plus grande à s’engager, comment être sûr.e que cette personne soit « la bonne » pour moi, alors qu’il reste encore d’autres partenaires désirables potentiels sur le marché ? Parallèlement, elle observe les effets de l’émancipation de la sexualité de la sphère de l’amour et du mariage. Cela a créé, à côté du marché des relations à long-terme, un marché de la sexualité sérielle où le capital social des individus augmente avec leurs expériences et le nombre de partenaires rencontré·es. Paradoxalement, avoir un capital sexuel élevé favorise également les individus dans le marché des relations à long-terme.

Or ce contrat est asymétrique :là où les hommes jouissent d’un plus grand accès au marché sexuel et amoureux, les femmes, plus contraintes par la temporalité biologique de leurs corps, si elles ont envie d’avoir un enfant, vont souvent voir cohabiter des stratégies de sexualité sérielle (comme attribut du pouvoir) et monogames (comme accès à la reproduction). Cela nourrit la domination affective des hommes sur les femmes, et une organisation de l’amour où la femme prend en charge le travail émotionnel pour permettre l’indépendance masculine, là où l’homme performe la masculinité par le détachement et un rejet de l’engagement.

C’est un résumé à grands traits, mais cela montre bien en effet comment la société de consommation et les effets du marché peuvent renforcer le patriarcat et les inégalités de genre au nom de l’amour.

Timothé — En effet la société de consommation s’entend très bien avec le patriarcat, tout comme elle pourrait probablement faire aussi sans. D’après mes recherches, elle a surtout dynamité des solidarités à l’échelle de petites communautés qui se sont dispatché pour chercher du travail et aussi parce qu’il y avait dedans un fort contrôle social. C’est bien que le contrôle social ai diminué, mais il est dommage d’avoir perdu les solidarités. Comme je l’ai dit précédemment, il ne faut pas vouloir revenir à quelque chose de passéiste, mais se rappeler que certains de ses bons aspects sont encore possibles.

Confrontation courte de deux concepts :hétérosexualité et capitalisme. C’est quoi le problème ?

Margaux — Bon, là il faudrait écrire une thèse, mais je vais essayer de résumer ce que j’ai compris de Frederico Zappino, qui a été une lecture très importante pour cet essai. Pour lui, l’hétérosexualité en tant que système de production du genre binaire (homme, femme) est un sous-bassement du capitalisme, qui se nourrit des inégalités patriarcales pour exister.

Frederico Zappino se base notamment sur la Pensée Straight de Monique Wittig, dans lequel elle avance que les catégories de sexe, féminin ou masculin, ainsi que la répartition des rôles et des valeurs qui leur sont assignés, sont produites par le système hétérosexuel pour justifier une relation inégale. C’est l’inégalité qui préexiste, pas la différence entre les sexes ou le genre binaire, qui sont construits après pour justifier la domination masculine. Le problème, c’est que l’hétérosexualité est obligatoire. C’est à dire que l’on se pense et on se construit à partir d’elle, à partir du genre binaire, à partir de notre appartenance ou pas à la norme hégémonique hétérosexuelle et cisgenre. Le capitalisme, lui, est un système économique, politique, idéologique basé sur l’exploitation des travailleur·euses par les détenteur·ices des moyens de production, pour générer une plus-value, réinvestie dans ce capital. Or le capitalisme se nourrit de l’inégalité hétérosexuelle fondamentale :l’économie productive ne pourrait exister sans une économie reproductive, du soin, sans la reproduction concrète opérée par la famille hétérosexuelle où les parents produisent une force de travail future. Si on va plus loin, les minorités de sexe et de genre (les femmes et les personnes trans) sont en première ligne quand nos conditions matérielles de survie se dégradent :potentielle dépendance à un·e conjoint·e ou enfants à charge, difficulté d’accès au marché du travail pour les personnes qui ne se conforment pas à la binarité de genre, plus grand risque d’isolement social…

Lutter contre le binarisme de genre, pour la subversion de l’hétérosexualité, c’est saper un des soubassements du capitalisme, ça fait donc partie de la lutte des classes ! Or la lutte pour les conditions matérielles d’existence et le féminisme sont trop peu pensés de concert aujourd’hui.

Pour conclure : l’avenir en commun pour vous, c’est quoi ?

Margaux — Une dystopie, mais une dystopie queer et féministe.

Timothé — Beaucoup d’inconnues, la sensation ambiante qu’il y aura des évènements important mais l’espoir que nous nous nous surprenions pour arriver quelque part de chouette.

Marche des fiertés, Rennes 2017
Marche des fiertés, Rennes, 2017. Missbutterflies. Wikimedia. CC-By-Sa.




Parution : L’amour en commun

C’est avec grand plaisir que nous annonçons la parution du premier ouvrage de la collection Des Livres en Communs !

Premiers lauréats de l’appel à projet Des Livres en Communs (Framasoft) en 2022, accompagnés par l’équipe éditoriale, Margaux Lallemant et Timothé Bodo ont travaillé durant deux ans à l’élaboration d’un essai original et fouillé dont la lecture est très stimulante ! En attendant une interview des deux auteurs, prochainement disponible sur ce blog, voici la présentation de l’ouvrage, sous licence Creative Commons CC-By-Sa.

Couverture du livre L'amour en commun
L’amour en commun (couverture)

Comment libérer l’amour des carcans du couple et de la famille pour en faire un projet collectif ? Cet essai explore les effets du patriarcat et du capitalisme sur nos relations et montre que réinventer l’amour ne peut se faire isolément.

À travers une analyse de dynamiques interpersonnelles — amour romantique, amitié — en relation avec les structures sociales qui les façonnent — genre, soin, travail, rapport au vivant — les auteur-ices interrogent les oppressions qui traversent l’amour au sens large.

À la recherche de « contre-mondes » où l’affaiblissement du système capitaliste semble possible, iels s’intéressent à la piraterie et la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, dans leurs mythes et leurs écueils.

Une invitation à envisager l’amour sous un jour nouveau, comme un espace d’émancipation et de création collective.

Présentation et téléchargements : L’amour en commun

Margaux Lallemant et Timothé Bodo, L’Amour en commun, Préface signée Yann Kervran (co-éditeur pour DLeC), Des Livres en Communs, oct. 2024.


Des Livres en Communs est un projet Framasoft. C’est un modèle alternatif radical (et anticapitaliste) à l’édition, basé sur l’expérience acquise avec dix ans de Framabook. Des Livres en Communs ne propose pas qu’un modèle alternatif d’édition théorique, c’est très concrètement que nous agissons pour créer des communs culturels pertinents et de qualité :

  • d’abord en accompagnant les auteur·ices tout au long du processus de création, car nous n’attendons pas que l’œuvre nous arrive toute cuite pour commencer notre travail éditorial ;
  • en mobilisant des fonds : dès le début du processus de création, les auteur·ices sont rémunérés pour leur travail, et non pas en attendant d’hypothético-faméliques émoluments basé sur un nombre de ventes (nous considérons qu’une œuvre versée dans les communs culturels n’est pas un capital rentier).

Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site DLeC.




Du libre dans les écoles belges avec NumEthic

Aujourd’hui, nous partons à la découverte de NumEthic, une association belge qui œuvre pour promouvoir le libre notamment dans les écoles.

Pour commencer, pouvez-vous nous présenter NumEthic ? 

NumEthic est une association qui a pour but de promouvoir et de créer un espace de réflexions et de pratiques autour du numérique dans l’éducation et en particulier dans l’enseignement. Pour cela nous organisons et donnons des ateliers, des animations et formations autour de ce sujet. Nous voulons également accompagner des écoles dans la réflexion et la mise en place d’outils informatiques libres.

Logo de NumEthic

Vous êtes une ASBL, pouvez-vous expliquer aux non-belges ce que cela signifie ?

C’est une Association Sans But Lucratif. C’est l’équivalent d’une association loi 1901 en France. Pour faire simple, s’il y a des bénéfices liés à nos activités, ils ne peuvent pas être distribués aux membres de l’association. Ils doivent être réinvestis dans l’association.

NumEthic, votre nom d’association est clair. Mais, vous mettez quel sens exactement derrière cette notion de « Numérique Éthique » ?

Parce que nous avons une démarche démocratique et parce que nous nous sommes mal coordonnés ;-), voici ici et là deux réponses intéressantes et qui se complètent.
Émilie : Nous le comprenons dans le sens décrit par Éric Sadin, à savoir que l’éthique à pour base de permettre « le respect inconditionnel de l’intégrité et de la dignité humaine ». Ainsi, pour être éthique, il faut permettre à toute personne d’exercer son jugement, de pouvoir décider en conscience et sans être pris dans un quelconque engrenage marchand.  Notre objectif est donc clairement de provoquer une démarche de questionnement par rapport aux usages que nous avons du numérique car aucune technologie n’est neutre comme le défendait Jacques Ellul, que du contraire. À nos yeux, un numérique éthique serait un numérique respectueux de l’intégrité intellectuelle, morale, psychique de tout un chacun ; un numérique sobre et responsable qui se soucie des questions environnementales, démocratiques, citoyennes, humaines…
Manu : C’est une bonne question. Nous ne pensons pas qu’il y a une réponse simple et définitive. D’abord, parce que notre société et le numérique sont complexes et en mutations constantes, s’arrêter à une réponse, ce serait l’oublier. Ensuite, même si nous partageons une culture relativement commune chaque situation, chaque relation entre une personne ou un groupe de personnes et un objet numérique est singulière. Les enjeux, les besoins et les désirs ne sont pas les mêmes. Notre volonté est de mettre à disposition toute une série de repères, de grilles de lecture pour que tout un chacun puisse déterminer, avec les valeurs qui sont les leurs, ce que devrait être un « numérique éthique » dans leur contexte particulier. D’ailleurs, nous ne voyons pas le logiciel libre comme une fin en soi. Pour nous, c’est non seulement un moyen d’émancipation, par la liberté qu’il procure aux utilisateurs, mais aussi une manière d’expliciter, de mettre en évidence qu’il y a un intérêt à penser la relation que nous avons avec les logiciels, qu’il y a des enjeux philosophiques, culturels, politiques et écologiques. C’est donc une super porte d’entrée pour y réfléchir.

Tout le monde n’a pas la même vision de l’éthique ;-)

Vos actions ciblent principalement le monde de l’éducation. Pourquoi ce choix ?

Émilie : Probablement parce que les fondateurs sont tous les deux des enseignants 😉 plus sérieusement, l’école est un espace d’apprentissage et de découverte. À l’heure où elle est désormais investie par les grandes multinationales de la tech pour répondre à la « transition numérique » de l’enseignement, c’est un devoir moral presque d’éveiller les élèves (et les adultes de l’équipe éducative) aux enjeux du numérique -tant sociétaux qu’écologiques- et de leur proposer un panel d’outils plus respectueux de leurs données personnelles. Cela rentre dans notre démarche d’éducation AU numérique, qui souhaite donner des clefs de compréhension de la culture numérique et de son impact sur l’organisation de notre société.
Manu : Tous les membres actifs travaillent d’une manière ou d’une autre dans les écoles que ce soit en tant qu’enseignant, en tant que technicien en informatique ou les deux. C’est donc quelque chose que nous connaissons, où nous avons de l’expérience et un petit réseau. Même si la voie est libre, la route est longue, autant commencer par un chemin que nous connaissons un peu ;-).

Quel accueil reçoivent vos interventions de la part des enseignants ?

Émilie : Certains sont curieux,  intéressés voire déjà convaincus. Cependant, pour la majorité, le numérique n’est pas un enjeu, seulement un outil : ils et elles préfèrent alors rester dans la simplicité des systèmes dominants bien connus. 
Manu : Ça dépend vraiment des personnes et du sujet. De manière générale, c’est difficile de ne pas faire le constat que le numérique est quasi omniprésent et qu’il transforme notre société en profondeur, d’où le besoin d’y réfléchir. Les enseignants sont assez sensibles à l’aspect « manipulation » des GAFAM vis-à-vis des jeunes, mais l’effort nécessaire à la mise en place d’actions ou dispositif pédagogique bloque la majorité d’entre eux. Il faut savoir qu’en Belgique francophone l’utilisation de Google ou Microsoft est encouragé dans pas mal d’écoles. Le système d’enseignement belge est composé de plusieurs « réseaux ». Certains sont clairement pro-GAFAM, d’autres pas.

Et de la part des inspections (je ne sais pas si cela fonctionne comme cela en Belgique) ?

Nous avons des inspecteurs, mais ils sont là pour vérifier le travail des enseignants. J’imagine que ce n’est pas la même fonction en France.

En France, récemment, nous avons eu la chance de voir l’émergence de apps.education au niveau d’une branche du ministère. Est-ce qu’au niveau belge, il y a une volonté ministérielle de mettre en avant le libre ?

Au niveau du ministère, la volonté est des plus molles pour mettre en place du libre. Il y a bien un accès à une plateforme Moodle offerte à toutes les écoles ou encore une utilisation assez importante de pix.org, mais c’est malheureusement tout. Par ailleurs, il y a un déni évident de nos politiciens vis-à-vis de la violation de la vie privée de la part des GAFAM. C’est donc difficile de faire bouger les lignes même si nous ne désespérons pas.

Arrivez-vous facilement à intervenir dans les écoles ?

Ce n’est pas évident. En tant qu’association, nous existons seulement depuis 2021. Pour le moment, c’est principalement par le bouche-à-oreilles que nous avons accès à des écoles, et donc par des gens qui nous font déjà confiance. 

Parmi vos objectifs présents sur votre site, vous indiquez vouloir « privilégier la diversité de des outils ». Ne craignez vous pas que pour certaines personnes, avoir trop d’outils différents ne soit pas un peu déstabilisant ?

Si une personne est seule face à tous ces outils, c’est sûr que ce sera déstabilisant. C’est pour ça que nous n’envisageons pas les outils comme des «individus» hors de tout contexte, mais comme faisant partie d’une dynamique sociale, d’une communauté sur laquelle les personnes pourront s’appuyer pour faire face à la complexité du monde numérique. Une communauté qui pourra orienter les nouveaux venus qu’ils pourront intégrer par la suite. Et par communauté, j’entends NumEthic, Framasoft, les GULL, ceux autour d’un logiciel spécifique, etc.

C’est vous qui démarchez les établissements ou ceux-ci vous contactent directement ?

Dans la grande majorité des cas, ce sont les établissements qui viennent vers nous. Le peu de démarchage que nous avons fait n’a pas donné beaucoup de résultats.

Quels sont vos souhaits, perspectives d’évolutions pour NumEthic ?

Notre premier souhait, c’est de faire plus d’ateliers, d’animations, d’accompagnements d’école et de faire grandir une communauté autour du projet de NumEthic. Pour cela, nous aimerions engager quelqu’un de manière permanente. Nous espérons également faire plus de lobbying au niveau institutionnel. Et surtout rencontrer plein de chouettes gens :-).

Et pour finir, une petit question trollesque : pourquoi choisir une licence non libre (CC-BY-NC-SA) pour la publication sur votre site qui promeut les logiciels libres ?

C’est une chouette question, parce qu’il met en évidence une certaine tension entre ce que nous défendons en premier lieu, un numérique éthique, et comment, en pratique, celui-ci prend forme avec les logiciels libres par exemple. Dans ce cas, c’est la clause non-commerciale (NC) qui pose problème. Une clause qui s’attarde sur l’aspect économique que nous ne voudrions surtout pas mettre de côté pour penser l’éthique du numérique. Nous ne voudrions d’ailleurs pas tomber dans une vision éthique « absolue », mais plutôt « politique », c’est-à-dire qui s’intéresse à ce que cela produit chez celles et ceux qui la pratique, l’émancipation par exemple.

Pour être honnête, nous n’avons pas discuté du choix de la licence. En Belgique, il y a beaucoup d’acteurs commerciaux, grands ou petits. J’imagine que la clause NC nous permet juste de résister à ce contexte et de nous démarquer en tant que petit acteur.

Troll par Thodor Kittelsen (un de premiers à avoir représenté des trolls)

 

Un grand merci à NumEthic d’avoir pris le temps de nous présenter leur association !




A new application for Framaspace : OwnershipTransfer

Still more features on Framaspace? Yes! At the moment, we’re spoiling the users of this service, with the integration of quite a few features like the Forms and Tables applications, but also the ‘Intros’ app developed by Val, our summer intern. And because it’s Val, it’s festival (shameful rhyme!): just before leaving us for a well-deserved holiday and a final year of studies, he delivered a new ‘Ownership Transfer’ application that will make life easier for administrators of Framaspace spaces.

 

 

Hi Val, we’re not going to ask you to introduce yourself, as you already did in the previous interview. We’ll just remind you that you’re doing an internship at Framasoft from the beginning of May to the end of August 2024, with the aim of developing tools to support Framaspace, and therefore Nextcloud free software.

Hi! Check out my previous interview to find out more about me! I introduce Intros, a Nextcloud app to help users get to grips with Framaspace.

At the end of the interview, I mentioned I was working on another Nextcloud app, OwnershipTransfer. Back then things were only getting started, but I cooked, and now it’s ready.

OK, so let’s talk about the OwnershipTransfer App. What’s it for ? Who is the target audience ?

As mentioned in the previous article, OwnershipTransfer makes it possible to transfer data from one user to another in Nextcloud. For example, when someone leaves an association that uses Nextcloud (say, on Framaspace 😏), it can be useful to move their files to another user before deleting their account. You could avoid losing important archives, invoices… The same goes for calendars or address books.

Well worry no more, OwnershipTransfer (or « OT » from now on in this article) does all that. It allows Nextcloud admins to transfer data from whoever to whoever. Initially mostly designed for files, I extended it to calendars and contacts transfer.

OT allows a transfer of all the data, but also a more fine-grained choice. One can choose the calendar, address book or folder they want to transfer, so they don’t end up with someone’s holidays pictures in their files.

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But… didn’t this feature already exist in Nextcloud ?

It did, but not the way we wanted it to.

Nextcloud already allows transferring your own files to another user, with a small graphical interface in the user settings section. You can only transfer your own files to another user, but not choose a source user: this isn’t suitable for an instance admin who would want to move files from one user to another.

An instance admin can also transfer files or calendars from one user to another, with an OCC command. OCC is Nexctloud’s CLI, via which admins can handle some server settings. You can only use it from the command line in a terminal, which to most human beings is… cryptical.

In short there are existing working solutions, but not with a simple graphical interface for admins. This is especially an issue in « Nextcloud farms » (an organization hosting Nextcloud instances for a lot of clients at once) like Framaspace, because admins don’t have access to the CLI in this case.

 

Technically, how does it work ?

Since it’s integrated with other Nextcloud apps, OT is heavily relying on existing Nextcloud APIs. The app also uses adapted parts of Nextcloud’s code. For example, I use the code from the existing files transfer feature, which I modified to fit with our requirements. The same goes for the calendar transfer.

However, I add to implement the contacts transfer, since it is not available in Nextcloud (not even through a cryptic CLI). It looks a lot like the calendar transfer, since both of them are based on the WebDAV protocol, so I had an example to work with.

The interface is built with Nextcloud’s Vue components, of course. They are pretty pleasant to use, and new ones are often released. It allowed me to build a complete graphical interface in no time, while staying consistent with the rest of Nextcloud’s UI.

 

Have you encountered any technical or organisational problems?

Since Nextcloud’s documentation hasn’t miraculously grown since last time, I had to wander around in Nextcloud’s source code to find the functions needed. I could almost make a hobby out of that. Almost.

At least the features exist in Nextcloud already, so adapting them wasn’t the most difficult thing ever. I could also rely on tcit’s advice, co-director of Framasoft and Nextcloud contributor. In short: I write code, he looks at it, says « cool thing, but not scalable », and I correct it.

Scalability was the most common problem. It always works on my small test environment with 5 accounts and 7 folders, but it should also (and most importantly) work on big Nextcloud instances with lots of files. For example, the files transfer can take a lot of time and resources: it has to move all the files from the source to the destination folder, which takes more or less time depending on the amount of files to move and the underlying storage type. Because of that, it is handled in the background: instead of launching it upon receiving the request, it is placed in a jobs queue that the server periodically handles.

Calendar and contacts transfers do not have this issue: they only consist of a simple SQL query to change the right property on the right element. This operation is fast, so it can be handled in the foreground.

Besides the actual transfer, building the interface was also challenging. The app allows the admin to choose which element will be transferred, so they need an interface to choose it. For calendars and contacts, it’s fairly simple: with Nextcloud’s components, I could easily build a list of calendars or address books. But for files, things are getting complicated: we need a whole tree-style view to show the subfolders’ content.

Luckily, I’ve got back up. Romain, former fellow INSA Lyon student (in Telecom, just like me!) and former Framasoft intern, worked on Sorts a few years ago. The goal was to make an app to enhance Nextcloud’s file search, mostly with filters. And Sorts has something I was really interested in: a tree-style files view. Exactly what I needed.

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After a few tweaks here and there in Sorts’ code, which wasn’t necessarily easy, its tree-style view perfectly integrated with OwnershipTransfer. It helped a lot and saved a lot of dev time, and I could even improve it a bit with some lines to better view the current folder and some sharing icons.

 

Now that your internship is coming to an end, and you’ve been « eating » some Nextcloud for the past 6 months, what are your potential takes on this software ?

It’s rant time!

Anyways, besides the rant and all the things I could blame on Nextcloud (like its lightweight documentation, its occasional slowness or its imperfect UI), its a very functional software, and it’s all that matters for pretty much everyone. It could be better (and it’s already happening!), but I find it to be working just fine for most typical usages. I’ve been using it for 2 years on a Raspberry PI to backup my files and photos, and I’ve never had any major issues with it.

However, its collaborative features can definitely get better (things like multiple people writing on the same text or calc document at the same time), especially since they are very popular among the people who use Nextcloud. These features exist, but they are typically hard to use, especially the first time, and poorly optimized. So when I see Nextcloud bragging about how they now have AI integrated (which I think most people don’t find that useful anyway), while opening a shared file sometimes still causes a mess… I think they could focus on more important things. But I guess you do need something to make it look shiny.

 

We’ve been very very pleased and satisfied to work with you over the last few months! Any final words?

I was delighted to work at Framasoft! I’ve learned a lot through this internship, and I want to thank the association again for its welcoming and comfortable working conditions.

Right now it’s time to relax, for me at least (before going to « class » again, but don’t mention it), and then to go back to work on my final internship at the beginning of next year! I’m just saying, of course 😉

 


Main links for Ownership Transfer:




Une nouvelle application pour Framaspace : OwnershipTransfer

Encore des nouveautés sur Framaspace ? Et oui ! En ce moment, on gâte les utilisateur⋅ices de ce service, avec l’intégration de pas mal de fonctionnalités comme les applications Forms et Tables, mais aussi l’app « Intros » qu’a développée Val, notre stagiaire estival (rime riche !). Et comme c’est Val, c’est festival (rime honteuse !) : juste avant de nous quitter pour des vacances bien méritées et une dernière année d’études, il nous a livré une nouvelle application « Ownership Transfer » qui facilitera la vie des administrateur⋅ices d’espaces Framaspace.

 

Bonjour Val, on ne va pas te proposer de te présenter, car tu l’as déjà fait dans la précédente interview. On rappellera juste que tu es en stage à Framasoft de début mai à fin août 2024, avec pour objectif de développer des outils d’accompagnement à Framaspace, et donc au logiciel libre Nextcloud.

Salut ! N’hésitez pas à aller lire ma précédente interview pour en savoir plus sur moi ! J’y parle d’Intros, une application pour faciliter la prise en main de Framaspace.

A la fin de l’interview, je parle d’une autre application Nextcloud sur laquelle je travaillais, OwnershipTransfer. À l’époque c’était encore en cours de préparation, mais depuis j’ai cuisiné, et maintenant c’est prêt.

 

OK, donc, parlons de l’App Ownership Transfer. À quoi sert-elle ? Quel est le public visé ?

Comme indiqué dans l’article précédent, OwnershipTransfer sert à transférer des données d’un⋅e utilisateurice à l’autre dans Nextcloud. Par exemple, lorsqu’une personne quitte une association qui utilise du Nextcloud (sur Framaspace, au hasard 😏), il peut être bien pratique de transférer ses fichiers avant de supprimer son compte. Cela permet d’éviter de perdre des archives importantes, des factures,… De même pour ses agendas, ou même ses carnets d’adresses.

Ça tombe bien, OwnershipTransfer (qu’on abrégera par la suite « OT ») fait tout ça. Elle permet aux administrateur⋅ices d’un espace Nextcloud de transférer les données de n’importe qui vers n’importe qui. À l’origine surtout destinée au transfert de fichiers, j’ai pu étendre l’application au transfert d’agendas et de contacts.

OT permet de transférer toutes les données d’une application, mais aussi de choisir plus finement ce qui devra être transféré. On peut ainsi choisir l’agenda, le carnet d’adresse ou un dossier à transférer, pour éviter de se retrouver avec les photos de vacances de quelqu’un d’autre dans ses fichiers.

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Mais… cette possibilité n’existait pas déjà dans Nextcloud ?

Si, mais pas exactement comme on le voulait.

Nextcloud permet déjà de transférer ses propres fichiers à une autre personne, via une petite interface graphique dans les paramètres utilisateurs. On peut là uniquement transférer ses propres fichiers vers un autre utilisateur, mais pas choisir l’utilisateur source : ce n’est pas une solution pour les admins d’espace qui voudraient transférer des fichiers d’une personne à une autre.

Un⋅e administrateurice d’espace peut aussi transférer des fichiers ou des agendas d’un⋅e utilisateur⋅ice à un⋅e autre, via une commande « OCC ». OCC est la CLI de Nextcloud, via laquelle les admins peuvent lancer diverses opérations de maintenance ou de management. On y accède donc en ligne de commande via le terminal uniquement, ce qui a de quoi repousser la plupart des êtres vivants sur cette planète.

En bref cette solution fonctionne, mais ne propose pas d’interface graphique simple aux admins. Cela pose problème dans le cas de « fermes à Nextcloud » (une organisation qui héberge des instances Nextcloud pour beaucoup de clients d’un coup) comme Framaspace, dans lesquelles les administrateur⋅ices d’un espace n’ont pas accès à la ligne de commande.

 

Techniquement, comment ça marche ?

Comme elle s’intègre avec d’autres applications, OT se base essentiellement sur des APIs existantes de Nextcloud. L’application réutilise aussi des parties du code de Nextcloud que j’ai adaptées aux besoins de l’application. Par exemple, je réutilise le code de transfert de ses propres fichiers, en l’adaptant pour pouvoir choisir à la fois l’utilisateur⋅ice source et destinataire. De même pour le transfert d’agendas.

J’ai par contre dû implémenter le transfert de contacts, non disponible dans Nextcloud par défaut. Il est cependant très similaire au transfert d’agendas, dont je me suis inspiré, puisque les deux se basent sur le protocole WebDAV.

Pour l’affichage, j’utilise bien sûr les composants Vue proposés par Nextcloud. Leurs composants sont assez complets et agréables à utiliser, et ils en sortent de nouveaux régulièrement. Cela m’a permis de réaliser une interface graphique complète en peu de temps, et cohérente avec le reste du logiciel.

 

Tu as rencontré des soucis, qu’ils soient techniques, organisationnels, etc ?

La documentation de Nextcloud n’ayant pas miraculeusement centuplé en taille depuis la dernière fois, j’ai encore dû fouiller dans le code source de Nextcloud pour aller trouver les fonctions à utiliser. Ça commencerait presque à me plaire. Presque.

Mème d'un Val (avec quelques années de plus) face la (non) doc de Nextcloud.
Mème d’un Val (avec quelques années de plus) face à la (non) doc de Nextcloud.

 

Au moins, comme les fonctionnalités existaient déjà en partie dans Nextcloud, les adapter n’a pas été d’une difficulté monstre. Surtout que j’ai pu beaucoup compter sur les conseils de Tcit, codirecteur de Framasoft et contributeur bénévole de Nextcloud. En gros : j’écris du code, il le regarde, il se dit « Cool, mais ça passe pas à l’échelle ton truc », et puis je corrige.

C’était le problème la plupart du temps, le passage à l’échelle. C’est bien beau quand ça fonctionne sur mon petit environnement de test à 5 comptes et 7 dossiers, mais dans l’idéal il faut aussi que ça fonctionne sur les grosses instances Nextcloud avec beaucoup de fichiers. Par exemple, le transfert de fichiers peut prendre beaucoup de temps et de ressources : il faut déplacer tous les fichiers du dossier source vers la destination, ce qui peut être plus ou moins long en fonction de la quantité de fichiers et du type de stockage. Celui-ci est donc géré en fond : au lieu de l’exécuter au premier plan dès la réception de la requête, il est placé dans une file de « jobs » que le serveur effectue périodiquement.

Les transferts de contacts et d’agendas n’ont pas le même problème : il s’agit dans leur cas d’une simple requête SQL qui vient modifier la propriété de l’élément en question. Cette opération est rapide, et peut donc être exécutée au premier plan.

Outre le transfert en soi, réaliser l’interface a aussi été un vrai défi. L’application doit permettre à l’administrateurice de choisir quel élément doit être transféré, et doit donc lui proposer une interface pour faire son choix. Pour les agendas et les contacts, c’est plutôt simple : avec les composants de Nextcloud, j’ai pu facilement faire une liste d’agendas ou de carnets d’adresses. Pour les fichiers, ça se complexifie : il faut récréer une arborescence complète de fichiers, capable d’afficher des sous-dossiers.

Heureusement, un « insalien » n’est jamais seul. Romain, ancien étudiant INSA Lyon (du département Télécom, comme moi !) et ancien stagiaire à Framasoft, a travaillé il y a quelques années sur l’application Sorts. Le but de Sorts est d’améliorer la recherche de fichiers de Nextcloud, en proposant une recherche avec des filtres notamment. Mais Sorts a surtout quelque chose qui m’intéressait : une arborescence de fichiers en arbre. Pile ce qu’il me fallait.

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Après avoir récupéré et adapté le code de Sorts, ce qui n’était pas forcément de tout repos, son arborescence s’intégrait parfaitement à OwnershipTransfer. Cela m’a permis de gagner beaucoup de temps de développement, et j’ai même pu apporter des améliorations, comme les lignes qui mettent mieux en évidence l’arborescence, ou les icônes de partage. Pas mal non ? C’est insalien 😎

Mème « Pas mal non ? C'est insalien »
Mème « Pas mal non ? C’est insalien »

 

Maintenant que ton stage s’achève, et après avoir « mangé » du Nextcloud pendant près de 6 mois, quels sont tes potentiels positionnements sur ce logiciel ?

Ah, c’est le moment où je râle !

Non blague à part, malgré toutes les critiques que je pourrais faire sur Nextcloud (notamment sa documentation légère, sa lenteur occasionnelle ou son interface qui laisse parfois à désirer), le logiciel est fonctionnel, et franchement c’est tout ce qui compte pour la plupart des gens. Des améliorations sont possibles (et sont en cours !), mais je le trouve déjà assez opérationnel pour la plupart des besoins que peuvent avoir ses utilisateur⋅ices. Je l’utilise personnellement depuis 2 ans sur ma Raspberry PI pour stocker mes fichiers, et je n’ai jamais eu de problème majeur avec.

Le logiciel peut par contre s’améliorer sur ses aspects collaboratifs, qui sont très demandés par les utilisateur⋅ices (écrire à plusieurs sur un fichier texte ou calc par exemple). Ces fonctionnalités existent, mais sont souvent encore difficiles à prendre en main et peu optimisées. Du coup, quand je les vois se vanter d’intégrer de l’IA au logiciel (alors que franchement, je pense que pour beaucoup ça n’a que très peu d’utilité) alors même que quand on ouvre un fichier texte en collaboratif c’est parfois encore le bordel… je me dis qu’ils pourraient mieux diriger leurs efforts. Mais bon, faut bien des annonces pour faire vendre.

 

Nous avons été très heureux⋅ses et satisfait⋅es de travailler avec toi pendant ces quelques mois ! Un dernier mot pour la fin ?

J’ai été très heureux de travailler à Framasoft ! Ce stage a été très enrichissant pour moi, et je remercie encore l’association pour son accueil et ses conditions de travail au top. Si les sujets que j’aborde dans cet article vous intéressent et que vous cherchez un stage dégooglisé, je vous encourage à venir à Framasoft (promis le dev Nextcloud c’est pas si terrible en vrai). Sinon, vous pouvez toujours faire un don !

Maintenant c’est l’heure des vacances pour moi (puis des « cours », mais ne le dites pas trop fort), puis de mon stage de fin d’études en début d’année prochaine. Je glisse ça là, au cas où 😉

Merci et bonne continuation, Val !


Pour information, si vous êtes étudiant⋅e, que vous aimez Nextcloud, et que ce genre de sujet de stage vous intéresse (de préférence à Lyon pour faciliter l’encadrement, mais télétravail possible), n’hésitez pas à nous envoyer rapidement une candidature spontanée sur stages @ framasoft.org !




Dégafamisation de L’atelier en Santé

Depuis plusieurs années, nous publions régulièrement (tant que faire se peut du moins !) des articles témoignant de la dégafamisation de structures associatives ou relevant de l’économie sociale et solidaire. Dans le cadre du lancement de emancipasso.org, notre nouvelle initiative pour accompagner les associations vers un numérique plus éthique (lire l’article de lancement), nous avons eu envie de reprendre la publication de ces témoignages.

Pour ce faire, nous avons lancé un appel à participation sur nos réseaux sociaux et quelques structures nous ont répondu (vous pouvez continuer à le faire en nous contactant) ! Nous sommes donc ravis de reprendre une nouvelle série d’articles de dégafamisation avec aujourd’hui le témoignage de L’atelier en Santé, un centre de santé communautaire à Plounéour-Ménez dans le Finistère.

Merci à Gabriel et à Alex d’avoir voulu partager leur aventure en répondant à nos questions, bonne lecture !

Bonjour, peux-tu te présenter brièvement pour le Framablog ?

Je suis donc Gabriel Perraud, médecin généraliste et militant pour des solutions libres et respectueuses des données des utilisateurs dans le champ de la santé. Je me suis déjà investi dans différents projets à ce sujet avec notamment feu LibreHealthCare, puis maintenant, à mon échelle, au sein de l’association InterHop.

(ndlr : Ah oui, je me souviens de LibreHealthCare, je les suivais sur Diaspora*, d’ailleurs j’ai retrouvé le wiki du projet)

Logo de l'association InterHop, icône représentant deux têtes de personnes de profil, l'une ayant un symbole d'électrocardiogramme et l'autre une roue crantée.
Logo de l’association InterHop

Mais dis moi donc Gabriel, Peux tu nous parler de ce projet qui te tient à cœur, depuis un bon moment maintenant ?  tu avais été très évasif en 2019 lors de notre rencontre.

L’Atelier En Santé: Il s’agit d’une association qui a pour but la mise en place d’un centre de santé communautaire au sein d’une commune rurale du Finistère. La devise de notre association est : « Faire santé en commun ». Je vous remets ici des extraits de notre site web de présentation sur la présentation et la définition de notre projet :

  •  L’idée naît en 2018, à Brest, en Finistère, à l’initiative de 2 médecins et d’une salariée agricole. Le souhait de pratiquer la santé autrement. D’avoir le temps d’être pleinement à l’écoute des patients. De faire partie d’un collectif de travail où toutes les voix comptent. D’un collectif dont les patients seraient parties prenantes, qui s’appuierait sur leurs savoirs, encouragerait leur pouvoir d’agir. Et où leur santé serait appréhendée de manière globale, dans ses dimensions tant physiologiques que sociales, environnementales, économiques, etc.

  • « Santé communautaire », d’autres Centres, ailleurs en France qui pratiquent ce type de soin, se sont donné ce nom, source d’inspiration pour les personnes à l’initiative du projet.

  • Ce pourrait être en zone rurale où les soins se font rares. Dans les Monts d’Arrée où cette rareté rime avec un tissu étroit de solidarités. À Plounéour-Ménez où la mairie accueille favorablement le projet.

  • Depuis, l’équipe bénévole de l’association loi 1901 porteuse du projet, L’Atelier en santé (LAES), s’est modifiée et élargie. Elle compte aujourd’hui 9 membres bénévoles – 2 coordinatrices de projet, 2 médecins, 2 kinés (dont Alex), 1 sage-femme et 2 psychologues – qui œuvrent ensemble à la création du futur Centre de santé, qu’ils soient professionnels, futurs salariés du centre ou habitants concernés par le manque d’accès aux soins. »

Et comme on l’a vu dans ta présentation, les logiciels libres seront présents dans cette aventure.

Gabriel : Nous nous sommes mis d’accord dès les premières étapes du projet pour utiliser des logiciels libres tant que cela nous était possible sans mettre en péril la vitalité du projet. Nous avons pu ainsi mettre en place nos outils libres communs pour toute la phase de préfiguration de notre projet de centre de santé.

Vous n’êtes pas toustes des geeks , qu’est ce qui a fait que vous ayez eu envie d’utiliser des outils libres? 

Alex : A vrai dire, je n’avais pas vraiment d’avis sur la question avant ma rencontre avec Gabriel. Je trouve très intéressant de mettre en commun et de rendre accessible des outils numériques. Il y a un véritable enjeu éthique derrière tout ça.

Cela ne t’a pas paru trop compliqué, Alex ? 

Au départ, oui, n’étant pas familier avec l’outil informatique…. Mais je ne saurai dire si c’est lié au fait que le logiciel soit libre ou non, ma pratique en la matière étant quasi nulle. Ceci dit, après un temps d’apprentissage, ces outils se révèlent extrêmement utiles pour le travail en collectif et permettent une efficacité d’action, si bien utilisés. Cela m’a un peu réconcilié avec l’usage de l’outil informatique.

Quel a été le déclencheur de votre dégafamisation ?

Pour ma part, un des premiers éléments déclencheurs a été le besoin de faire fonctionner de façon plus fluide mon Thinkpad T42 sous Windows XP lorsque j’étais étudiant. J’ai lu sur des sites d’informations numériques grand public la sortie d’une nouvelle version d’Ubuntu 10.10 et c’est là que tout a commencé. J’ai commencé à suivre un tutoriel sur, anciennement, « le Site du Zéro » pour savoir comment installer ce système d’exploitation gratuit qui avait l’air bien sympa.

Puis de fil en aiguille je me suis intéressé à la philosophie et aux enjeux politiques des logiciels libres. C’est arrivé au début de mes études de médecine et le lien s’est spontanément fait pour moi entre l’intérêt d’avoir des logiciels issus du mouvement open-source dans le champ de la santé, dans l’intérêt des professionnels, des patients et du système de santé en général.

Dans le cadre de LAES, nous avons mis en place ces outils dès le début. Nous avons d’abord voulu aller à ce qui nous semblait le moins onéreux et le plus flexible en auto-gérant l’infrastructure nous-même sur des serveurs OVH, via YunoHost que j’avais déjà testé à la maison pour divers projets personnels. La responsabilité restait cependant sur les épaules d’une seule personne de l’équipe. Pour rester en cohérence avec le souhait d’une gouvernance partagée et pour me laisser plus de temps à d’autres aspects du projet nous avons pu basculer la gestion des services que nous utilisions à d’autres personnes.

  • Forum/Discourse : cloud.girofle
  • Nuage/Nextcloud : cloud.girofle
  • Boîte mail : OVH
  • Site web/Wordpress : OVH
  • Pads : Cryptpad
  • Messagerie instantanée : on est resté sur Signal.

Parlons d’abord du processus de décision de cette transition. En amont de votre « dégafamisation », avez-vous organisé en interne des moments pour créer du consensus sur le sujet et passer collectivement à l’action (lever aussi les éventuelles résistances au changement) ? Réunions pour présenter le projet, ateliers de réflexion, autres ?

Oui, cela s’est fait lors de réunions. Dès le début avec une mise en commun des savoirs sur ce que comprenait le concept de logiciel libre et les enjeux techniques et politiques qui allaient avec. Nous avions cependant anticipé le fait qu’il n’existe pas (encore) de logiciels métiers (gestion de dossier patient, logiciel d’aide à la prescription) accrédités qui soient libres dans le cadre d’un centre de santé.

Cela ayant un fort impact sur le financement de notre structure et donc sur la vitalité du projet dans son ensemble, nous sommes tombés d’accord sur le fait que la vitalité du projet du centre passerait tout de même avant et que la recherche de logiciel libre se ferait « du mieux que l’on puisse ». Cela ne nous empêche donc pas de nous investir auprès d’Interhop et en particulier des projets Toobib et Goupile par exemple.

Nous avons également comme projet de mettre en place un fablab suivant l’état d’esprit lowtech orienté santé en parallèle du centre de santé pour le développement de solutions libres dans le domaine de la santé.

Mon médecin utilisait jusqu’à il y a 4 ou 5 ans des logiciels libres, mais il a été obligé d’arrêter. Pression des collègues du cabinet, difficultés avec les logiciels de la CPAM… Alors, quand j’entends parler de votre aventure je me demande si vous aussi vous rencontrez des résistances dans l’appropriation de votre écosystème numérique ? 

Oui, j’en parle au-dessus mais là c’est plus un retour d’expérience sur la préfiguration. Pour l’exercice, nous n’avons pas encore du tout libre, nous ferons au mieux. On est en lien avec Interhop/Toobib pour essayer d’avoir des solutions libres/éthiques accréditées.

Au sein de l’équipe, nous avons mis cet état d’esprit dès le début, il n’y avait pas de frein particulier.

En nous ouvrant aux habitants de la commune, l’outil Discourse nous permet d’avoir une interface suffisamment inclusive pour le moment pour permettre des échanges avec des personnes ayant différents niveaux de facilité avec le numérique. Nous utilisons également des pads de Framapad avec les habitants pour nos comptes-rendus de réunions et répartition des tâches.

Est-ce que vous avez rencontré des résistances que vous n’aviez pas anticipées, qui vous ont pris par surprise ? Au contraire, y a-t-il eu des changements dont vous aviez peur et qui se sont passés comme sur des roulettes ?

Non pas franchement pour le moment avant ouverture du centre. Pour la phase d’exercice, nous allons faire des choix dans l’été justement et nous aurons des retours plus tard.

Est-ce qu’il reste des outils auxquels vous n’avez pas encore pu trouver une alternative libre et pourquoi ?

Les logiciels métiers pour le moment, de ce que j’en comprends, l’accréditation peut-être techniquement compliquée et très onéreuse.

Quels étaient vos moyens humains et financiers pour effectuer cette transition vers un numérique éthique ? 

Plutôt des ressources internes, la communauté de YunoHost pour les soucis techniques auxquels je pouvais faire face, puis la plateforme des chatons pour migrer nos outils auprès de personnes bien plus compétentes que nous tout en restant raccord avec nos valeurs et à un coût abordable pour notre structure (prix libre pour cloud.girofle).

Infographie sur la dynamique entre l’équipe projet, l’équipe salariée et les habitant⋅es

Avez-vous organisé un accompagnement de vos utilisateur⋅ices ? Si oui, de quelle manière (formation, tutos, etc.) ?

Oui, avec des tutoriels à la demande, on essaie de simplifier l’accès aux outils au fur et à mesure de l’implication des adhérents. Et de réduire leur nombre également quand on peut.

On profite également des temps off, lorsque nous avons nos réunions en présentiel, pour résoudre les éventuels soucis techniques, faire une installation d’Ubuntu sur un PC qui ne tourne plus sur Windows, installer Aurora Store pour ré accéder à l’installation de Signal sur un vieil appareil Android (pour qui le PlayStore ne fonctionne plus comme il devrait), par exemple.

Est-ce que votre dégafamisation a un impact direct sur votre public ou utilisez-vous des services libres uniquement en interne ? Si le public est en contact avec des solutions libres, comment y réagit-il ? Est-il informé du fait que ça soit libre ?

Pour le moment nous communiquons aux nouveaux bénévoles des raisons de nos choix de logiciels libres et nous faisons l’effort d’essayer au maximum de réduire l’écart possible entre les compétences techniques nécessaires à l’utilisation d’outil et les compétences/envies/besoins des habitants bénévoles. Là on fait un gros travail d’adaptation du forum pour une utilisation plus fluide avec les mails.

Nous devrons ensuite voir pour un choix de messagerie instantanée : utiliser les modules présents dans Discourse ? Proposer Signal à tout le monde ? Chercher d’autres solutions ensemble ?

Au niveau des patients, ce seront donc essentiellement des outils libres ou sans GAFAM que vous allez utiliser ? (prise de rdv, mails hors gmail et compagnie ?)  Qui sont les adhérents ? Des patients ou quiconque habitant votre secteur et n’ayant pas de suivi médical avec vous ? C’est étonnant ce système d’adhésion pour un centre de santé. 

  • Pour les mails professionnels nous allons également passer par les messageries dites sécurisées mises en place par les institutions et utilisées par les autres acteurs du système de santé avec notamment MSSanté.

  • Pour ce qui est du travail avec les adhérents de l’association et des logiciels hors logiciels métiers avec accréditations nous allons nous efforcer d’utiliser des logiciels libres au maximum : traitement de texte, espace nuagique, pads, etc.

  • Pour le système d’adhésion, il s’agit de la valence communautaire ou participative du centre. Ce n’est pas forcément le cœur de cette interview, mais en résumé, toutes personnes souhaitant avoir des soins sera pris en charge comme dans d’autres structures déjà en place (maisons ou centres de santé). Mais nous travaillons à la mise en place d’une gouvernance partagée avec les habitant.es et différentes parties prenantes de la commune à l’échelle du centre. Par exemple, nous avons pu organiser un ciné-débat avec des habitant.es bénévoles du futur centre, et nous avons pu utiliser comme outils informatiques : framapad, mails et Discourse. 

  • Il y aura donc la partie soin où nous allons répondre aux demandes réglementaires nationales tout en nous investissant auprès de Toobib et d’Interhop pour participer au développement de solutions éthiques et libres. Et il y aura la partie associative/participative sur laquelle nous allons avoir plus de marge de manœuvre pour la mise en place de solutions open-sources/libres.

 

Quels conseils donneriez-vous à des structures comparables à la vôtre qui voudraient se dégafamiser aussi ? (erreurs à ne pas commettre ? Astuces et bonnes pratiques éprouvées à l’usage ?)

Ne pas hésiter à passer rapidement, si ce n’est dès le début, par des services répertoriés sur les CHATONS. La gestion en interne de ces outils peut être plus ou moins compliquée lorsque ce n’est plus uniquement un projet personnel et que les enjeux ne sont plus les mêmes en cas de soucis techniques (perte d’accès à des services, incendie dans des datacenters), etc.

Sinon, par rapport à d’autres projets, cela reste plus simple, à mon sens, de proposer une infrastructure libre dans le cadre d’un nouveau projet. En choisissant un projet qui a relativement peu d’impact sur le reste de la structure et en montrant que ça marche, le discours autour du logiciel libre a de plus en plus d’impact dans les représentations que peuvent se faire les différentes parties prenantes sur la question.

 

Un mot de la fin, pour donner envie de migrer vers les outils libres ?

Un argument qui semble souvent fonctionner est le côté prosaïquement libre de ces outils. Si nous ne sommes plus satisfait d’un hébergeur, d’un gérant, d’un outil, il est plutôt aisé d’en changer de par les formats de données utilisés et les communautés présentes et aidantes autour de ces outils.

Encore merci Alex pour ta participation à l’interview ! Je sais qu’il n’a pas été simple de trouver du temps pour cela. Et merci Gabriel, pour l’interview mais aussi pour ton implication, depuis toutes ces années, dans les projets de logiciels libres en médecine  ! 

On en parle aussi dans les journaux locaux (Ouest-France et Le Télégramme) !