Framasoft fait son « Ray’s day » avec 8 nouvelles Libres
Depuis sa création, Framasoft s’est donné pour mission de diffuser la culture libre et d’en emprunter la voie — libre elle aussi. Aujourd’hui, c’est le « Ray’s day », l’occasion de fêter l’acte de lecture en célébrant l’anniversaire de feu Ray Bradbury.
L’événement, initié l’année dernière par l’auteur Neil Jomunsi se veut « comme une grande fête d’anniversaire dans le jardin avec ballons et tartes aux myrtilles ». Pas une fête pour « vendre de la culture », juste une grande envie de partager nos lectures.
8 nouvelles Libres
Alors, à Framasoft, comme on aime beaucoup les tartes aux myrtilles, on s’est dit qu’on allait participer. Le temps de cette belle journée, différents membres de l’association ont donc pris la casquette d’écrivain pour vous présenter un livre électronique inédit contenant 8 histoires différentes :
Lisez, partagez, adaptez ou modifiez-les, ces histoires vous appartiennent désormais ! Et si l’envie vous en prend, diffusez le mot sur les réseaux sociaux avec le hashtag #RaysDay… l’occasion aussi de découvrir d’autres initiatives à travers la toile.
Mais ce n’est pas tout…
En effet, suite à un harcèlement textuel et potache sur les réseaux sociaux, Gee et Pouhiou ont repris leur casquettes de Connards Professionnels pour un nouvel épisode de « Bastards, inc. – Le Guide du Connard Professionnel ». L’occasion de relire et/ou télécharger les épisodes précédents, et de lire cet épisode inédit en attendant qu’ils reprennent (dès le 2 septembre) leur rythme de croisière de ce roman/BD/MOOC de connardise.
Enfin, le groupe Framalang vient d’achever la traduction d’une nouvelle futuriste sur le copyright et ses dérives : Stop the Music de Charles Duan (initialement publiée sur BoingBoing, un site tenu, entre autres, par Cory Doctorow). La traduction n’a pu être prête à temps pour rejoindre l’epub de cet article, c’est pour cela que vous en retrouverez la première partie dès aujourd’hui ici sur le Framablog !
RaysDay : Stop the Music, une nouvelle sur les libertés. 1/2
À l’occasion du RaysDay 2015, l’équipe de traduction Framalang a choisi de traduire la nouvelle Stop the Music, de Charles Duan, publiée originellement sur Boing Boing. Cette histoire futuriste explore les dérives possibles des lois sur le copyright.
Voici donc la première partie de cette traduction (la seconde et dernière partie sera publiée sur le Framablog la semaine prochaine). Exceptionnellement, nous avons choisi de ne pas traduire le titre (libre à vous de le faire !)
Traduit par : Piup, egilli, Sphinx, Omegax, ac, audionuma (et les anonymes)
Stop the music
I.
À la Cour fédérale du district central de Californie
Eugene L. Whitman contre Alfred Vail Enterprises, Inc.
Plainte pour violation du droit d’auteur
Le 18 février 2044
Le plaignant, Eugene L. Whitman, représenté par ses avocats, porte plainte contre Alfred Vail Enterprises, Inc. suite aux faits suivants :
1. Le plaignant, M. Whitman, compositeur de son état, a écrit la chanson populaire Taking It Back
2. Le 14 janvier 2044, le défendeur Vail Enterprises a distribué la chanson Straight Focus qui remporte aujourd’hui un grand succès.
3. Straight Focus inclut un fragment de huit notes, extraites de Taking It Back. Par conséquent et au vu de cette œuvre dérivée non autorisée, Vail Enterprises a manqué au droit d’auteur de M. Whitman.
En tout état de cause, M. Whitman requiert que Vail Enterprises :
A. Reçoive une injonction lui interdisant la poursuite de cette infraction au droit d’auteur de M. Whitman ;
B. Détruise l’intégralité des exemplaires de Straight Focus en possession de Vail Enterprises ;
C. Soit ordonnée de supprimer la chanson Straight Focus de la mémoire de l’ensemble des personnes résidant aux États-Unis.
II.
À la Cour fédérale du district central de Californie
Eugene L. Whitman contre Alfred Vail Enterprises, Inc.
Réponse de Alfred Vail Enterprises, Inc.
Le 25 février 2044
Le défendeur, Alfred Vail Enterprises, Inc., répond à la plainte du plaignant, Eugene L. Whitman, en les termes suivants :
1. Vail Enterprises est une société basée dans l’État du Delaware dont le siège se situe à Los Angeles en Californie et qui est intégralement détenue par M. Alfred Vail.
2. À la suite d’une carrière longue et réussie au sein de l’industrie de la neurobio-ingénierie, M. Vail fit le choix d’entrer dans le monde de la musique. Sa première composition Straight Focus est une œuvre musicale unique et innovante, jugée par les critiques comme « digne d’un nouveau siècle technologique » ou comme « une clef de voûte entre l’art et les neurosciences ».
3. En plus d’être un succès massif, la portée de Straight Focus fut internationale. Cette chanson fut vue plus de 350 millions de fois sur les sites de partage de vidéos. Outre cela, le meilleur révélateur de la popularité de cette œuvre reste : les vidéos d’appréciation, les remixes et adaptations diverses réalisées par les amateurs de ce morceau.
4. M. Vail a écrit Straight Focus à la mémoire de sa fille Sarah Vail, décédée l’année dernière en pleine adolescence suite aux complications de sa leucémie. Le morceau est composé de fragments des cinquante œuvres musicales préférées de Mlle. Vail, arrangés par lui-même grâce à sa créativité et à son expérience en neurosciences afin de produire un tour de force émotionnel musical inattendu. L’une de ces œuvres correspond au morceau du plaignant Taking It Back.
5. Le fragment de Taking It Back utilisé dans Straight Focus est minime et n’a pas altéré la valeur de ce morceau. En effet, la popularité de la composition de M. Vail a entraîné un intérêt significatif et une augmentation des ventes pour l’ensemble des œuvres sur lesquelles il s’est basé. Par conséquent, l’utilisation de ce fragment de Taking It Back par M. Vail ne constitue pas une infraction au droit d’auteur ou, a minima, constitue un usage raisonnable au titre de l’article 17 U.S.C. § 107.
6. En outre, la requête du plaignant, M. Whitman, exigeant la suppression de tout souvenir de Straight Focus des pensées des auditeurs, constitue un précédent absurde. Jamais un tribunal n’a ordonné ou autorisé de suppression de mémoire totale, visant l’ensemble du public pour une affaire liée au droit d’auteur. Cet ordre ou cette autorisation ne devrait pas être soumis à la compétence de cette cour.
III.
À la Cour fédérale du district central de Californie
Eugene L. Whitman contre Alfred Vail Enterprises, Inc.
Avis et ordre quant à l’effacement de la mémoire
20 juin 2044 Avis de M. Benson, juge fédéral.
Le jury du tribunal a considéré que l’accusé Vail Enterprises n’a pas respecté le droit d’auteur du plaignant M. Whitman. Le plaignant demande donc à cette cour d’émettre un arrêt obligeant Vail Enterprises à effacer tout souvenir du morceau délictueux Straight Focus des pensées de toutes les personnes résidant aux États-Unis, grâce au système EffaceMem National.
La requête de M. Whitman est une forme de réparation extrêmement inhabituelle et sans précédent. Il est donc nécessaire de procéder à quelques explications concernant le système.
Le système EffaceMem National a été développé à partir de la technologie EffaceMem, inventée par Alfred Vail en 2028. Des avancées antérieures en neurosciences ont révélé que les souvenirs humains pouvaient être modifiés ou effacés en agitant les cellules cérébrales, mais cette procédure était intrusive et risquée, et, de fait, utilisée uniquement dans des cas particulièrement inhabituels de troubles psychiques, comme les troubles de stress post-traumatiques.
M. Vail a découvert que certaines ondes sonores basses fréquences à fluctuation rapide pouvaient être utilisées pour agiter les cellules cérébrales de la même manière, permettant ainsi un effacement de la mémoire sans risque et sans intrusion, avec une excellente précision concernant la date et l’objet des souvenirs. Cette technologie, qu’il appela EffaceMem, fut offerte comme service au consommateur, le plus souvent pour effacer le souvenir d’événements embarrassants, d’ex-amants, et de situations traumatisantes.
De manière inattendue, le service au consommateur devint un élément de sécurité nationale au moment des attaques terroristes contre les États-Unis d’août 2039. L’Agence centrale de renseignement (CIA) avait intercepté une communication chiffrée contenant les détails de la planification de plusieurs bombardements simultanés sur plusieurs grandes villes. La CIA savait que l’attaque aurait lieu durant la semaine suivante, mais ne pouvait pas déchiffrer le reste du message pour identifier les détails du complot. Le temps venant à manquer, la CIA, dans une ultime tentative, se procura des milliers d’énormes haut-parleurs haute-fidélité, les répartit dans les villes, et diffusa à plein volume des enregistrements d’EffaceMem conçus pour effacer les souvenirs de toutes les conversations ayant eu lieu au moment de la diffusion des messages interceptés.
Les résultats furent saisissants : San Francisco et la ville Washington., où EffaceMem était déployé, ne subirent aucun bombardement, alors que la ville de New York, où EffaceMem n’avait pas pu être déployé à temps, fut dévastée.
À la suite de ces attaques, le pays entreprit rapidement de déployer EffaceMem sur l’ensemble du territoire. Le réseau ainsi formé, connu sous le nom de « système EffaceMem National », couvre chaque centimètre carré et chaque habitant des États-Unis, et permet d’assurer la suppression totale d’une idée dans l’esprit de la population. Le système n’a pas été utilisé de manière fréquente, mais plutôt occasionnellement, et sous supervision judiciaire stricte, pour déjouer les complots terroristes et prévenir des crimes, avec d’excellents résultats. La CIA et l’armée ont également étudié d’autres applications.
Mais le système EffaceMem National n’a jamais été utilisé pour servir des intérêts privés. Jusqu’à présent, il a été utilisé uniquement pour effacer des idées de crimes ou des dangers pour le public. Ainsi, la requête de M. Whitman d’utiliser le système pour effacer le souvenir d’un morceau de musique est parfaitement inattendue. Cette cour n’a absolument aucune décision similaire ni aucun précédent sur lequel se baser.
Au premier abord, l’injonction faite à une partie d’utiliser le système EffaceMem National semble inappropriée dans presque tous les cas, car cette cour ne peut obliger une partie à faire quelque chose que si cette partie peut faire cette chose, et utiliser EffaceMem National n’est pas possible pour la plupart des gens. Mais ici, l’accusé est une exception inhabituelle, car Vail Enterprises est propriétaire du système. M. Alfred Vail, inventeur d’EffaceMem, a plus tard fondé Vail Enterprises, qui a financé et construit le système EffaceMem National, et en est toujours propriétaire. Par conséquent, une injonction d’utiliser le système pourrait être émise à son encontre.
M. Whitman soutient que l’article 17 U.S.C. § 503(b) autorise cette cour à ordonner à Vail Enterprises de réaliser une suppression des souvenirs du morceau. Cette loi indique que cette cour « peut ordonner la destruction […] de toutes les copies ou les enregistrements audio faits ou utilisés en violation des droits exclusifs du propriétaire des droits d’auteur ». Comme les neurones qui ont enregistré les souvenirs du morceau sont des « copies ou des enregistrements audio », M. Whitman prétend que cette cour a le pouvoir d’ordonner à Vail Enterprises de procéder à la « destruction » de ces copies en effaçant les souvenirs.
Je comprends la position de M. Whitman. M. Whitman est manifestement très soucieux de protéger ses œuvres musicales, et refuse à quiconque d’en créer des œuvres dérivées ou de les altérer, en accord avec son désir de garantir que sa musique reste « pure ». Cela lui est permis, en tant que propriétaire des droits d’auteur. J’ai déjà ordonné à Vail Enterprises de supprimer toutes les copies physiques du morceau contrefait.
Mais en ce qui me concerne, je ne suis pas certain que l’injonction d’effacer des souvenirs soit raisonnable. Peut-être l’est-elle, peut-être pas ; aucune autre autorité judiciaire ne fournit de conseil sur cette question. Si la Cour d’appel ou la Cour suprême décident que ce type d’injonction est autorisé, alors je l’émettrai. Mais sans le support d’une de ces cours, il me semble nécessaire de rester prudent et de ne pas ordonner à Vail Enterprises d’effacer les souvenirs du morceau contrefait.
Demande rejetée.
IV.
The Washington Post
Audition à la Cour suprême à propos de l’affaire sur l’effacement de mémoire.
Le 12 février 2046
Ce matin, la Cour suprême entendra les plaidoiries dans une affaire très suivie concernant la possibilité pour un auteur de chansons d’utiliser son droit d’auteur pour effacer de la mémoire de tous les Américains une chanson supposée contrevenir au droit d’auteur.
Cette affaire, Whitman contre Vail Enterprises, voit s’affronter le chanteur Gene Whitman et le neurobiologiste (devenu artiste du remix) Alfred Vail, à propos de la chanson à succès Straight Focus. En 2044, un jury a décidé que la chanson de M. Vail violait le droit d’auteur de M. Whitman. Immédiatement, l’Association Américaine de l’Industrie du Disque a diligenté une requête auprès du système fédéral de gestion des droits numériques, déclenchant ainsi un effacement automatique de la chanson de tous les sites internet et des équipements personnels. Straight Focus n’a plus été entendue aux États-Unis depuis plus d’un an maintenant.
Mais M. Whitman considère que la suppression de Straight Focus de tous les équipements personnels n’est pas suffisante. Extrêmement protecteur de ses œuvres, M. Whitman a cherché à obtenir un arrêt de la Cour imposant l’effacement de la chanson Straight Focus de la conscience de tout le monde en utilisant le système EffaceMem National, système qui est la propriété de M. Vail.
La Cour a récusé la requête de M. Whitman, indiquant qu’elle n’ordonnerait pas l’utilisation du système EffaceMem National sans l’avis de la Cour suprême.
M. Whitmann n’a pas souhaité s’exprimer sur cette affaire. M. Vail, lors d’une interview, a exprimé son « exaspération » que cette affaire aille jusqu’à la Cour suprême.
« Ma chanson Straight Focus signifie beaucoup pour de nombreuses personnes », dit-il. « Pour moi, c’est un souvenir de ma fille que j’ai perdue il y a trois ans. Et les amateurs de cette chanson ont créé leurs propres sens et souvenirs à partir d’elle. Cela dépasse l’imagination que Gene Whitman puisse effacer toutes ces pensées en clamant une sorte de possession du droit d’auteur. »
C’est la deuxième affaire au sujet du système EffaceMem National qui est portée devant la Cour suprême. L’affaire précédente, United States contre Neilson, portait sur la constitutionnalité du système, utilisé pour supprimer l’activité criminelle à la suite des attaques du 7 août 2039. Le système a été jugé constitutionnel par une majorité divisée de 5 voix pour et 4 voix contre.
Au nom de cette majorité, la présidente de la Cour suprême, Mme Diehr, a rejeté les recours basés sur les premier, cinquième et quatorzième amendements, déclarant que le système EffaceMem National est « un outil nécessaire à la société technologique pour la prévention des méfaits et des délits à l’encontre du du public ». Vétéran de l’armée de l’air et également ancienne procureure générale, la présidente s’est vraisemblablement basée sur son expérience au sein de l’armée des États-Unis lorsqu’elle a conclu : « le nombre grandissant de menaces envers notre nation ne peut être contrecarré qu’avec un arsenal défensif renforcé. »Elle écrit par ailleurs « qu’il s’agit d’un devoir de citoyen que d’abandonner ses pensées personnelles si cela protège le plus grand bien, de la même façon qu’il était un devoir, en temps de guerre, que d’abandonner sa liberté ou ses propriétés, pour le bien de la nation ».
Dans un argumentaire vivement opposé, le juge Diamond rejeta l’idée que « la pensée humaine est le jouet du gouvernement fédéral ». Rappelant son passé d’avocat des droits civils et se basant sur la Constitution et la Déclaration des droits, le juge a déduit que celles-ci contenaient, dans une certaine mesure, des garanties sur la vie privée et la liberté de pensée. Selon son point de vue, ces textes entrent en conflit avec un effacement de mémoire sans consentement. Il a fait référence à l’affaire Americans for Digitals Rights contre Gottschalk qui décida que la collecte de données représentait une fouille illégale d’après le quatrième amendement. Il y a 25 ans, le juge Diamond était l’avocat qui représentait ADR lors de cette affaire qui brisa la jurisprudence pré-Internet, jurisprudence qui avait été sérieusement remise en question par le juge Sotomayor en 2012.
Le juge Flook, dans un avis séparé, indiqua qu’il était « indécis » en raison des « conséquences inquiétantes » d’un effacement de mémoire généralisé. Malgré cela, pour lui, les bénéfices de ce système compensent ces inconvénients. C’est probablement son vote qui décidera du sort de cette affaire, tous les yeux seront rivés sur lui lors des débats.
Le juge est un ancien professeur de droit, dont les intérêts et les publications portent sur les lois concernant l’environnement et les ressources naturelles. Au regard de ses prouesses universitaires et de sa passion environnementale, l’opinion du juge dans l’affaire Neilson est, comme pour beaucoup de ses confrères, brillante sur le plan analytique et partagée sur le plan émotionnel. Il a déclaré : « Je crains sincèrement un monde où mes souvenirs et les souvenirs d’innombrables personnes peuvent être effacés en appuyant sur un bouton. Mais je crains autant les attaques terroristes. Dès lors que je peux être sûr que cet effacement de mémoire est limité aux seules situations nécessaires, ma première crainte sera suffisamment restreinte. ».
L’audience débutera à 10 h et portera sur l’affaire n°45-405 : Whitman contre Alfred Vail Enterprises.
Rendez-vous la semaine prochaine pour la suite et conclusion de cette nouvelle !
Livre à prix libre : Vim pour les humains, de Vincent Jousse
Connaissez-vous et surtout utilisez-vous l’éditeur de texte libre Vim ?
Non ? C’est parce que vous n’avez pas encore lu l’interview ci-dessous et surtout n’avez pas encore parcouru le livre d’initiation « Vim pour les humains » mis librement à notre disposition par Vincent Jousse 😉
Un livre électronique vendu à prix libre dont l’auteur a décidé d’en redistribuer 20% à Framasoft, merci à lui.
Bonjour Vincent, peux-tu te présenter succinctement à nos lecteurs ?
Vincent Jousse, 33 ans, libre et heureux ! J’écris régulièrement sur http://viserlalune.com au sujet de la vie en général et de tout ce qui peut la rendre encore plus sympathique. Je suis développeur informatique de formation et actuellement enseignant-chercheur à mi-temps à l’Université du Maine où je travaille sur la reconnaissance de la parole. Je suis aussi gérant d’une entreprise dans le domaine : http://voxolab.com.
Je suis contributeur open source depuis pas mal d’années, d’abord en PHP (Symfony) et puis maintenant en Python. Je publie de temps en temps des articles un peu plus techniques sur http://vincent.jousse.org/.
Tous mes écrits sont placés sous licence CC, mon code source étant généralement publié sous licence MIT.
C’est tout d’abord l’envie d’essayer « autre chose ». À l’époque (déjà 2 ans !), j’avais envie de faire autre chose que passer mes journées à programmer. Comme j’aimais bien écrire, j’ai cherché un sujet sur lequel je pourrais apporter de la valeur. Je n’étais pas une star de Vim (et ne le suis toujours pas), mais je me rappelais de la difficulté que j’avais eue à franchir le premier pas, tout ça à cause d’une documentation réservée aux initiés.
Je trouvais ça dommage que, après des décennies d’existence, apprendre Vim (et surtout comprendre son intérêt) soit toujours aussi compliqué. L’objectif du projet est donc d’aider les utilisateurs à aller plus loin que la sempiternelle question : « mais comment on fait pour quitter cette m*** ?! ».
On peut lire ceci en ouverture du site : « Apprendre Vim est le meilleur investissement que j’aie jamais fait. Que ce soit en tant qu’écrivain, professeur ou programmeur : on l’apprend une fois, il nous suit partout, et pour toujours. » Ah oui, quand même !
Ça fait rêver non ? 😉 Le pire, c’est que c’est vrai. Tout ce que je produis l’est toujours à partir d’un fichier au format texte : ma thèse en LaTeX, mes présentations en Markdown (via http://bartaz.github.io/impress.js/#/bored ), mes articles de blog en Markdown, mon code source en Python, le livre « Vim pour les humains » en reStructuredText via Sphinx, j’en passe et des meilleurs.
Vim est le seul outil que j’utilise à longueur de journée, partout, tout le temps. Même les réponses de cette interview ont été écrites dans Vim.
Ton livre, c’est pour que Vim ne soit pas uniquement l’apanage des geeks barbus ?
C’est exactement ça. C’est peut-être mon côté utopiste, mais j’aime à croire que beaucoup de choses dans le monde du libre seraient plus accessibles si on prenait le temps de les expliquer et si on adoptait un état d’esprit plus pragmatique. Par exemple, tout le monde ne peut pas perdre un mois de productivité en se mettant à Vim. J’ai donc pris le parti de commencer mon livre en expliquant comment rendre Vim utilisable comme un éditeur classique.
Ça a fait grincer quelques dents du style : « c’est pas la bonne manière d’apprendre Vim », « faire croire que Vim est facile est une mauvaise idée », … Foutaises. Mon avis est que si les personnes l’utilisent encore une semaine après avoir commencé à l’apprendre, c’est gagné. Et pour ça, il faut leur faciliter la transition avec leur ancien éditeur.
Ahah, c’est même plus du troll à ce niveau là. Disons qu’avant « Vim pour les humains » ils étaient à égalité, maintenant Vim a clairement pris le dessus 😉
Vi, Emacs, TeX… comment expliques-tu que ces éditeurs, conçus dans les années 1970, soient toujours utilisés aujourd’hui ?
C’est malheureux à dire mais, en ce qui concerne Vim et Emacs, on n’a pas encore fait mieux. Ce sont des environnements qui ont été pensés avant l’arrivée de la souris et des interfaces graphiques. La majorité des efforts a donc porté sur la maximisation de l’efficacité au clavier, et il faut dire que Vim et Emacs sont redoutables dans ce domaine (c’est d’ailleurs ce qui les rend compliqués à apprendre à l’ère actuelle des clickodromes et autres interfaces graphiques).
Quand on édite du texte à longueur de journée (que ça soit du code ou autre chose), on cherche à être le plus rapide possible. Quitter les mains du clavier pour bouger la souris et retourner au clavier est aussi inefficace que mauvais pour vos mains (http://fr.wikipedia.org/wiki/Troubles_musculosquelettiques). À part Vim ou Emacs, aucune alternative sérieuse n’existe à ma connaissance pour l’instant.
En ce qui concerne Tex, c’est un peu pareil. Si l’on veut éditer un document en se focalisant sur le contenu et non la présentation, les langages de balises comme (La)Tex, Markdown, rst sont super adaptés. Si en plus on veut écrire un document avec une belle biblio générée automatiquement et des formules mathématiques avec un rendu impeccable c’est simple : LaTeX est la seule solution.
Ok, c’est pas libre, mais que penses-tu du succès actuel d’un éditeur comme Sublime Text ? Fait-il de l’ombre et du tort à Vim ?
En fait, peu importe qu’il fasse du tort ou de l’ombre à Vim, s’il répond à un besoin et que les personnes en sont contentes, parfait !
Je serai très content que Vim puisse être remplacé par quelque chose qui tire entièrement parti des spécificités des environnements graphiques et je pense qu’en effet, Sublime Text est un bon pas dans cette direction.
Mais même si Sublime Text venait à être utilisé partout et par tout le monde, il resterait toujours un problème à résoudre : comment faire lorsque l’on n’a pas d’interface graphique ? « Je connais un truc sympa si tu veux, ça prend rien en ressources, tu peux l’utiliser en ligne de commande, Vim que ça s’appelle » 😉
Pourquoi avoir opté pour la très libre licence CC-By ?
Parce que je fais une réaction épidermique à la connerie ambiante qui consiste à se « défendre des autres » coûte que coûte. Quelqu’un a une meilleure idée que moi pour valoriser ce travail ? Mais qu’il fasse donc, au contraire !
Je me suis basé sur Vim et sur toutes les contributions de la communauté open source pour écrire ce livre. Ce livre ne m’appartient pas, il appartient au bien commun, comme toutes les sources d’inspirations qui m’ont permis de l’écrire.
Le choix du « prix libre », c’est symbolique ou tu crois au devenir de ce modèle économique ? (et que penses-tu des « passagers clandestins » qui vont payer 0 euro pour télécharger le livre ?)
Non ce n’est pas symbolique, j’ai envie d’y croire. Le livre était tout d’abord téléchargeable au prix fixe de 9,99€. En 1 an et demi, j’en ai vendu 90 environ, pas si mal. Mais en faisant ça, j’allais contre mes valeurs, je limitais l’accès à la connaissance à cause de ce prix fixe.
J’ai donc décidé de le mettre sous un « prix libre », au risque en effet de ne plus rien gagner. Je suis prêt à prendre ce risque car, utopiste ou non, je pense que tout est dans l’art de demander. Faire la différence entre « gratuit » et « payant mais sous un prix libre » est important pour moi.
Les personnes qui payent 0 euro pour télécharger le livre et ne donnent rien en échange (même pas un petit mail) le feront en leur âme et conscience. J’ai ma conscience pour moi 🙂
Pourquoi uniquement une version électronique du livre ? C’est pour ne pas tuer d’arbres ?
Du tout, c’est juste par méconnaissance du monde du livre papier, tout simplement. Ça pourrait d’ailleurs être une bonne idée de monétisation. Des amateurs ?
Une dernière question qui nous flatte et nous t’en remercions, pourquoi avoir choisi de redistribuer 20% des gains à Framasoft ?
Pour être honnête, j’ai fais ça au feeling. Je ne vous connais pas très très bien, mais j’ai tendance à vous voir un peu partout autour des projets et personnes que j’apprécie : Ploum, Wallabag, Geektionnerd, … J’aime les personnes qui aident à faire bouger les choses et vous en faites partie, alors merci ! « La route est longue mais la voie est libre… »
Libre comme le loup, et comme ces élèves de 1ère Bac Pro qui sollicitent votre soutien
« Plutôt que je crée, je vends, nous avons choisi je crée et je partage… »
Regroupés au sein de la mini entreprise « TimberWolf Créativ’ », des élèves en 1ère Bac Pro du lycée professionnel Camille Schneider de Molsheim nous proposent un projet tout à fait intéressant autour de la création d’un livre numérique sur le loup en Alsace.
Il s’intitule « Libre comme le loup » (cf cette vidéo). Comme vous pourrez le constater en lisant l’entretien ci-dessous, il n’y a pas que le loup qui est libre ici. Et quand on demande aux élèves ce qu’ils ont déjà retenu de leur expérience à ce stade du projet, le HTML5+CSS3, les logiciels libres et les licences libres font partie des réponses.
Remarque : Framasoft est impliqué dans le projet en accompagnant les élèves dans la création de leur ePub sur des outils et des formats libres. Nous les avons également invités à l’événement Vosges Opération Libre à Gérardmer en mai prochain, que vous pouvez d’ores et déjà noter sur vos tablettes si vous êtes de la région.
Interview des élèves porteurs du projet
Bonjour, pouvez-vous présentez succinctement en indiquant quelle fonction vous occupez au sein du projet ?
Je m’appelle Elisabeth, j’ai 16 ans, je suis en 1er Bac Pro Gestion-Administration au LP Camille Schneider de Molsheim et PDG de la mini-entreprise TimberWolf Créativ’. Et voici les responsables des différents services qui sont tous avec moi au lycée :
Auriane, DG
Arzu, Responsable Technique.
Sylvie, Responsable Artistique.
Pauline, Responsable Administrative.
Mélanie, Responsable Financière.
Mélissa, Responsable Marketing au sein de TimberWolf Créativ’
Alors le projet « Libre comme le loup », c’est quoi exactement ?
C’est mettre en place un E-pub sur les légendes alsaciennes en rapport avec le loup afin de faciliter son retour dans nos contrées. Pour faire parler du loup dans nos contrées alsaciennes, nous avons pour projet de réaliser un E-Pub libre écrit sous licence Creative Commons by-SA.
Dans notre E-Pub vous trouverez des légendes alsaciennes oubliées et inconnues sur le loup ainsi que des musiques composées spécialement par notre partenaire La Poupée du Loup, nos dessins et nos énigmes. Une magnifique image de couverture réalisée par l’artiste Jean Linnhoff.
Quelle est la situation actuelle du loup en Alsace ?
Après avoir été éradiqué au début du XXe siècle, il revient chez nous tout doucement. On l’a aperçu à Still et au col du Donon très récemment. Les réactions sont diverses entre les pros-loup et les anti-loup.
Qu’est-ce qu’une « mini entreprise » ? Est-ce ouvert à tous les lycéens ?
C’est une entreprise comme une autre, sauf qu’elle est sous couvert de l’Education nationale, via Entreprendre Pour Apprendre. D’une durée d’un an elle est dirigée par des élèves. Ce type de formation est ouvert à tous mais ne fonctionne vraiment qu’avec une classe solidaire, motivée et qui n’a pas peur de faire des heures sup !
Pourquoi uniquement un ePub et pas également une impression papier ? Est-ce parce que l’ePub propose une autre expérience au lecteur avec de l’interactivité, de la musique, etc. ? Parce que le papier, c’est trop cher ?
Notre E-pub est basé sur un livre papier déjà existant, lui-même créé par la mini-entreprise de l’an passé. L’E-pub apporte une dimension interactive, musicale et visuelle et touche un autre public. Ici le coût n’entre pas en compte, c’est plutôt un choix en rapport avec l’air du temps, l’enseignement des nouvelles technologies en classe de Gestion Administration.
Votre projet s’inscrit sous le signe de la liberté. D’abord pour le loup mais également dans le choix des technologies utilisées (HTML5, CSS3…) et des licences adoptées (CC By-SA). En quoi le « choix du Libre » est-il ici important pour vous ?
La liberté est le maître mot de notre projet : un loup libre, une culture libre pour que chacun puisse apporter sa pierre à l’édifice. Nous souhaitions développer un autre aspect économique, plutôt que je crée, je vends, nous avons choisi je crée et je partage !
La musique, du groupe La Poupée du Loup, est aussi sous licence libre CC By-SA. Ont-ils été faciles à convaincre ?
Nous n’avons eu aucun besoin de les convaincre, ils étaient partants dès le départ et se sont beaucoup investis dans notre E-pub mais également dans l’événementiel au Molodoï.
Vous organisez un week-end à Strasbourg et vous participez à Vosges Opération Libre à Gérardmer. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous organisons un concert avec La Poupée du Loup, Dirty Deep, Les Poches Vides, le samedi 19 avril à partir de 21h avec une entrée à 5€ et un débat le dimanche 20 avril à partir de 14h avec entrée libre sur le thème du retour du loup en Alsace et l’artiste Jean Linnhoff pour un graff.
Mais nous n’en restons pas là. Nous serons également présents à Vosges Opération Libre avec notre partenaire Framasoft, qui se déroulera le 17 et 18 mai à Gérardmer, pour présenter notre travail. Effectivement ce dernier nous a invité à participer à cet événement pour nous permettre de mettre en avant notre projet et en même temps pouvoir mieux connaître et naviguer dans « le Libre ». Jusqu’à ce jour, nous avions uniquement travaillé avec des logiciels bureautiques sous licence propriétaire et ce projet nous a permis de découvrir une autre facette informatique.
En quoi ce projet s’inscrit bien dans le programme pédagogique de votre classe de 1ère BAC Pro Gestion Administration ?
Nous quittons le virtuel et le théorique pour entrer dans la réalité avec des actions concrètes. Nous devons tout maîtriser aussi bien l’outil informatique avec HTML5 et CSS3, qui ne font pas partis de notre programme mais que nous avons dû apprendre à maîtriser en toute autonomie. Il a aussi toute la partie économique et de gestion d’une entreprise, à savoir : le management, le marketing, la comptabilité, les tâches administratives et, petit plus, le côté artistique avec Sylvie qui a fait tous les dessins.
Qu’est-ce que vous avez déjà appris à ce stade du projet ?
Le HTML + CSS3, les logiciels libres, les droits d’auteurs… En plus des spécificités de chaque service, nous avons appris que pour être performant, il faut travailler ensemble.
Vous proposez une campagne de financement participatif sur la plateforme Ulule. Quels sont vos besoins ? Et que se passera-t-il si la somme n’est pas atteinte ?
Nous avons besoin de 2 500 € pour financer :
Notre week-end loup au Molodoï de Strasbourg
Cachet des artistes
Défraiement
Communication sur l’événement (flyer, affiche, carte postale…)
La location du Molodoï
La gestion du week-end
Les repas pour les intervenants
La conception de l’E-Pub qui sera téléchargeable gratuitement mais également vendu sous forme de clé USB :
L’achat du support soit la clé USB de 4 Go sur laquelle figurera notre E-Pub + les 3 musiques de la Poupée du Loup + des logiciels Libres de Droit
L’enregistrement en studio des musiques (3 jours)
Les produits dérivés (Tee-Shirts, Casquettes)
Frais de déplacement et d’hébergement :
Week-end Vosges Opération Libre, à Gérardmer
Déplacements sur Strasbourg (24 élèves)
Et si en fin d’année nous avons réussi à avoir un solde positif, nous reverserons une part de nos bénéfices à une association de défense du loup. Si nous ne les atteignons pas,… nous ne voulons pas y penser… gloups !
Make Art Not Law, même libres les licences m’encombrent l’esprit nous dit Nina Paley
Nina Paley a tout un parcours juridique initiatique…
Au début, elle n’y connaissait pas grand chose (comme nous tous). Mais à l’occasion de la création de son film Sita Sings the Blues elle fait brutalement connaissance avec le copyright. Elle décide alors de placer son film sous licence Creative Commons By-Sa et devient, sans trop le vouloir, l’une des fers de lance de la culture libre. Elle est ainsi invitée à de nombreux événements et parle souvent du sujet sur son site (nous avons du reste traduit son calendrier Mimi & Eunice). Mais même sous Creative Commons, elle rencontre des problèmes. Alors le film change à nouveau de licence pour adopter, selon elle, la plus grande liberté possible, à savoir le domaine public (via la licence CC0).
Aujourd’hui, on la sent comme un peu lasse de tout cela. Comme si s’être préoccupée autant de ces histoires de droit et de licences (même libres) l’avait éloignée de sa vocation première d’artiste. Plus le copyright se tient loin de l’art et mieux l’on se porte !
C’est, entre autres, ce qu’elle nous raconte dans une récente intervention pleine de malice et d’énergie (traduite et sous-titrée par nos soins).
D’accord, pas d’accord ? On vous attend dans les commentaires 😉
Pour le sous-titre en français, cliquer sur la petite bulle blanche.
Vous êtes un portail d’information. L’information entre par vos sens, comme l’ouïe ou la vue, et ressort sous forme d’expressions, telles que votre voix, votre façon de dessiner, d’écrire et de bouger.
Pour que la culture reste vivante, vous devez être ouvert, ou perméable. Selon Wikipédia, la perméance est « l’aptitude d’un matériau à laisser passer un flux de matière ou d’énergie ». Nous sommes le matériau à travers lequel circule l’information.
C’est à travers ce flux que la culture reste vivante et que nous restons connectés les uns aux autres. Les idées entrent, et ressortent, de chacun de nous. Les idées se transforment un peu en cours de route ; c’est ce qu’on appelle l’évolution, le progrès ou l’innovation.
Mais à cause du copyright, nous nous retrouvons avec un monde où de l’information entre sans pouvoir en ressortir légalement. J’entends souvent des gens se consacrant à des activités artistiques demander : « Ai-je le droit d’utiliser cela ? Je ne veux pas avoir d’ennui. »
Sous notre régime actuel du copyright, les « ennuis » peuvent prendre la forme de procès, d’énormes amendes et même de peines de prison. « Ennuis » signifie violence. Les « ennuis » ont fait taire de nombreuses initiatives créatives. Alors la menace des « ennuis » dicte nos choix sur ce que nous exprimons.
Le copyright déclenche notre auto-censure. Et l’auto-censure est l’ennemie de la créativité ; elle empêche l’expression avant même qu’elle n’ait commencé. Celui qui se demande « est-ce que j’ai le droit d’utiliser ça ? » a déjà capitulé face aux avocats, aux législateurs et aux grandes entreprises.
Ce phénomène s’appelle la « Culture de la Permission ». À chaque fois que nous censurons notre expression, nous nous fermons un petit peu plus et l’information s’écoule un peu moins. Moins l’information s’écoule, plus elle stagne. Ceci s’appelle l’effet de sidération.
Je me suis demandé : n’ai-je jamais consenti à laisser la « Culture de la Permission » entrer dans mon cerveau ? Pourquoi est-ce que je me soumets à la censure ? À quel point puis-je choisir quelle information entre en moi ou sort de moi ?
La réponse est la suivante : j’ai une marge de manœuvre pour ce qui concerne les choses auxquelles je m’expose et celles que j’exprime, mais pas un contrôle total. Je peux choisir de regarder ou non les médias dominants, par exemple. Je peux aussi choisir quelle information transmettre.
Mais, comme je suis de ce monde et ouverte à ce monde, beaucoup de choses peuvent y entrer au-delà de mon contrôle. Je ne choisis pas ce qui entre en fonction du copyright. En fait, ce sont les images et les sons propriétaires qui sont le plus agressivement pilonnés dans nos têtes. Par exemple :
Have a holly jolly Christmas, It’s the best time of the year I don’t know if there’ll be snow, but have a cup of cheer Have a holly jolly Christmas, And when you walk down the street Say hello to friends you know and everyone you meet!
Je déteste les chants de Noël. Mais parce que je vis aux États-Unis et que j’ai besoin de sortir de la maison même pendant les mois de novembre et de décembre, je ne peux PAS ne pas l’entendre. Cela passe tout droit de mes oreilles à mon cerveau où cela tourne encore et encore, ad nauseam.
Voici quelques entreprises avec lesquelles je pourrais « avoir des problèmes » pour avoir partagé cette chanson et ce clip en public. Ils ne m’ont pas consultée avant que leur soi-disant « propriété intellectuelle » ne fasse un trou dans ma tête lorsque j’étais petite, donc je ne leur ai pas demandé leur permission pour les mettre dans mon exposé.
Le copyright est automatique et il n’y a aucun moyen de s’en défaire. Mais on peut ajouter une licence accordant des permissions que ce copyright enlève automatiquement. Les licences Creative Commons autorisent ses utilisateurs à lever une par une les restrictions du copyright.
Le problème de ces licences c’est qu’elles sont basées sur la loi du copyright. La même menace de violence derrière le copyright se retrouve avec les licences alternatives. En fait, les licences renforcent le mécanisme du copyright. Tout le monde doit tout de même demander une autorisation — on l’obtient seulement un peu plus souvent.
A l’instar du copyright, les licences sont souvent trop complexes pour que la plupart des gens les comprennent. Donc, les licences ont l’effet collatéral d’encourager les gens à faire ENCORE PLUS attention au copyright, ce qui donne encore plus d’autorité au censeur intérieur sur eux. Et qui a fait entrer ce censeur dans leur tête au départ ?
Même si j’utilise les licences libres, et que j’aimerais qu’il y ait une réforme significative du copyright, les licences et les lois ne sont pas la solution. La solution, c’est que de plus en plus de gens ignorent tout simplement le copyright. Je veux faire partie de ces gens.
Il y a quelques années, j’ai revendiqué mon indépendance d’esprit. La liberté d’expression commence par soi-même. La censure et les « ennuis » se trouvent toujours hors de ma tête, et c’est là que je veux qu’ils demeurent – HORS de ma tête. Je ne souhaite pas aider les lois iniques et les mass médias en leur offrant un peu de mon attention.
J’ai arrêté de favoriser ou de rejeter des travaux selon leur copyright. Les idées ne sont pas bonnes ou mauvaises à cause de la licence que les gens leur accolent. Je me réfère seulement aux idées à présent, pas aux lois qui les entourent. Et j’essaie de m’exprimer de la même manière.
Comme des millions d’autres personnes qui se contrefoutent du copyright, j’espère que vous me rejoindrez. Préférez-vous être artiste ou bien juriste ?
No Es Una Crisis : un web-documentaire (enfin) libre !
Le 21 novembre dernier, nous annoncions sur le Framablog une « opération de libération » du web-documentaire « No Es Una Crisis ». En effet, les ressources de ce documentaire produit par ‘‘La Société des Apaches” sont libres (CC BY-SA), malheureusement sa réalisation utilisant la technologie Flash empêchait sa visualisation sur bon nombre de supports (smartphones, tablettes, systèmes d’exploitation libres, anciennes versions de Windows, etc.).
L’objectif était d’arriver, en un week-end, à produire collectivement et bénévolement, une version HTML5 du webdoc permettant sa visualisation sur tous les supports disposant d’un navigateur web récent.
Pierre-Yves Gosset était, avec Fabien Bourgeois, le co-organisateur de ce « marathon de libération ».
Bonjour Pierre-Yves. La première question qui me vient à l’esprit est « Alors, l’objectif a-t-il été atteint ? »
La réponse est : malheureusement non, puisque nous n’avons pas été en mesure de publier la version HTML5 le 15 au soir.
Heureusement, « la route est longue, mais la voie est libre ». Et ne pas avoir atteint l’objectif fixé le dimanche soir ne signifiait pas pour autant la mise au placard du travail effectué le week-end.
Ce qui me permet aujourd’hui d’annoncer qu’une version – non-finalisée, mais fonctionnelle – est en ligne.
Que s’est-il passé ?
Il faut d’abord préciser quelques éléments de contexte.
Nous nous sommes réunis les 14 et 15 décembre 2013, à Lyon, à Locaux Motiv (qui héberge le local de Framasoft).
Suite à l’appel lancé via le Framablog, nous étions 7 le samedi : Adrien, Fabien, Sheetal, tonton, JosephK, Luc, pyg (+ Julien et Frib pour l’équipe du webdoc). Nous avons eu deux désistements de dernière minute. Le dimanche, nous étions 5 : Fabien, tonton, Luc, JosephK et pyg.
Pour la plupart, ces personnes n’avaient jamais travaillé ensemble et ne se connaissaient pas.
Concernant le déroulé, après un présentation du projet de webdoc par les Apaches, nous avons réparti les participants en différentes équipes : vidéos (JosephK et Adrien), panneaux interactifs (Fabien et Luc), panneau « portraits » (tonton, avec l’aide ponctuelle de Luc et Fabien), et « petites mains » (Sheetal et pyg).
Le rendez-vous était donné à 10h, mais je pense que nous n’avons commencé à prendre nos marques que vers 14h, après les traditionnelles pizzas-bières.
Le choix était fait dès le départ de combiner le libérathon avec une soirée « détente » : l’anniversaire de l’association Locaux Motiv (qui nous accueillait). Donc, à 21H, nous avons troqué nos claviers contre des pintes de bière (ou de jus de fruits) au bar De l’Autre Côté du Pont.
La soirée s’est transformée en nuit, puisque certains participants (dont votre serviteur) n’ont retrouvé leur lit que vers 5H du matin.
Cela ne nous a pas empêché de reprendre vaillamment le travail le dimanche vers 10 h 30.
Seulement, à 15 h, il fallait se rendre à l’évidence, nous n’aurions pas le temps d’atteindre notre objectif avec les choix techniques retenus (pourtant pertinents, mais la montre jouait contre nous).
Nous avons donc fait le choix stratégique de changer d’option technologique : l’agencement CSS des éléments des panneaux nous aurait pris trop de temps pour « boucler » à l’heure, et nous sommes donc partis sur une piste « dégradée » (une image par panneau, avec une imagemap, pas de vidéo/son de fond, etc.).
Ce choix s’est avéré payant, puisqu’à 21h, nous avions bien les 4 panneaux interactifs « fonctionnels », mais dans un mode relativement dégradé : peu d’interactivité, pas de titres de séquences, et plein de « petits détails » simples à régler mais dont le nombre ne permettait pas d’envisager une publication le soir même.
Cependant, il restait quelques points bloquants (la transition « accueil > vidéo intro > instructions » non fonctionnelle, certains fichiers json mal encodés empêchant le lancement de certaines vidéos, etc.).
Bref, il manquait peut-être 4 à 6h de travail pour avoir un rendu « publiable », mais l’équipe était épuisée (et affamée !).
Quels sont les obstacles que vous avez rencontrés ?
Notre incapacité à publier le dimanche soir résulte d’une double cause.
D’abord, nous avons sous-estimé la phase de préparation. En effet, un webdoc de 3 heures, ce sont beaucoup de ressources diverses (des pictos, des logos, des images, des vidéos, des sons, etc.). Sans compter qu’il s’agit d’un webdoc multilingue (FR/ES/EN), ce qui complexifie encore les choses. Or, si nous avions bien accès aux sources, une partie de ces dernières étaient intégrées dans les fichiers .psd et .fla (Adobe Photoshop et Flash). Il a donc parfois fallu extraire des ressources de ces fichiers parfois très lourds et complexes (j’en profite pour remercier Sheetal et la société Mobiped pour leur aide précieuse et la mise à disposition d’une machine disposant de ces logiciels propriétaires, car Gimp refusait évidemment d’ouvrir des .psd de 2 Gio avec plus de 200 calques).
Pourtant, Fabien et moi avions passé plusieurs heures en amont à préparer ce libérathon (identifier les ressources, réfléchir à l’organisation, faire la mise en place, etc.).
Cependant, sans connaitre le nombre exact de participants (nous nous attendions à des défections) et leurs compétences, difficile d’être plus prêts.
Ensuite, nous manquions d’un expert CSS3. Alors évidemment, le web est plein de ressources, d’informations, de bibliothèques préexistantes, etc. Mais même si la courbe d’apprentissage est rapide et relativement sans douleur, on ne peut échapper à quelques tâtonnements. Et ces tâtonnements nous auront fait perdre bien du temps le samedi. Un expert CSS3 nous aurait permis de gagner plusieurs heures, très précieuses dans le cadre d’un « sprint » comme celui-ci.
Ajoutez à cela que nous étions tous bénévoles, et que l’ambiance et la bière étaient bonnes, et vous comprendrez bien qu’un des objectifs était aussi d’apprendre en s’amusant. Nous nous étions lancé un défi, mais nous ne voulions pas non plus nous mettre trop la pression. Il fallait quand même que cela reste un moment de partage et de plaisir !
Souvent, dans ce type de projet, les gens restent coder pendant la nuit. Ce ne fut pas notre cas. Si nous avions préféré rester enfermés plutôt que de sortir, nous aurions sans doute fini dans les temps, mais il n’y a pas que le code dans la vie !
Et aujourd’hui, où en est le webdoc ?
Il est en place !
Il nous aura fallu un peu de temps, car les vacances et les fêtes de fin d’année sont passées par là. Ainsi que l’assemblée générale de Framasoft. Le temps de pouvoir remettre les doigts dans le code, nous étions déjà fin janvier.
Attention ! Je sens les critiques pleuvoir en commentaires :
Utiliser des images maps en 2014, c’est nul !
Le positionnement CSS n’est pas totalement responsive !
Sur mon smartphone, la navigation est difficile.
Vous auriez pu rajouter (un routeur javascript|les vidéos en fond d’écran|les transitions CSS entre les pages|etc), c’est franchement pas difficile !
Et l’accessibilité, runtudju !
etc.
Alors, croyez bien que nous sommes tout à fait conscient des (très grands) défauts de cette version. Mais il faut bien comprendre ce que je disais plus haut : nous avons dû faire un choix. Soit nous publiions une version « dégradée » mais fonctionnelle. Soit nous ne publiions pas du tout ! Tout simplement parce qu’aucune des personnes présentes à ce libérathon n’avait de temps à y consacrer après le week-end.
Donc, nous voyons bien tout ce qu’il aurait été possible de faire. Mais disons qu’on a privilégié le « release early » plutôt que de faire une version techniquement nickel en terme de code, de technologies employées, etc… Mais qui n’aurait probablement jamais été finalisée.
Par ailleurs, nous avons publié notre code (hors vidéos) sur notre compte Github : https://github.com/framasoft/noesunacrisis Vous pouvez donc signaler des bugs mais surtout proposer des améliorations du code (car on ne vous cache pas qu’il est assez peu probable qu’on ait beaucoup de temps à y consacrer).
Enfin, il y a des “effets de bord” positifs à ne plus utiliser Flash, en dehors du fait que cela évite d’utiliser un plugin propriétaire. Comme par exemple le fait de pouvoir pointer directement vers une vidéo ou un panneau. Ainsi, plutôt que de dire « Je te conseille de regarder la vidéo sur la comparaison entre la crise immobilière et la situation des clubs de football espagnols. Va sur http://noesunacrisis.com, puis clique sur “No Futur” (en bas), puis le dessin du stade de foot (à droite) », on peut se contenter de donner le lien http://noesunacrisis.framasoft.org/html5/video.html#foot
(et on peut même changer les sous-titres en live, ce que ne permettait pas la version Flash).
Un dernier mot pour la fin ?
Comme il s’agit d’une œuvre culturelle, j’aimerais faire comme aux Oscars/Grammy/Césars et remercier tout plein de gens :
d’abord bien évidemment tous les bénévoles qui sont venus !
l’association Locaux Motiv pour avoir fourni une salle de réunion adaptée à notre petit sprint de code ;
l’association Rézopole pour la mise à disposition de machines virtuelles, mais surtout de bande passante (ils hébergent pas mal de projets libres parmi lesquels des miroirs de LibreOffice ou d’OpenStreetMap, mais aussi notre miroir Abulédu, les vidéos du webdoc, et bientôt bien d’autres projets Framasoft) ;
la société Tonnerre Total, qui était en charge de la réalisation Flash du documentaire (ce n’est pas parce que cette technologie nous pose problème qu’on ne doit pas les féliciter pour leur travail) ;
et enfin, la Société des Apaches, pour avoir fait le choix de publier leur webdoc sous licence libre.
Cela aura vraiment été une expérience enrichissante !
Sortie du livre La renaissance des communs de David Bollier
Les biens communs, parfois appelés les communs tout court, constituent une originale et salutaire grille de lecture d’un monde en pleine mutation économique, sociale, politique et écologique.
À la fois exemple emblématique et modèle à suivre, les logiciels libres en font tout naturellement partie.
C’est pourquoi la sortie de la traduction française du livre « La renaissance des communs – Pour une société de coopération et de partage » de David Bollier est une excellente nouvelle (tout comme le choix de la licence libre CC By-SA). On peut se le procurer pour 19 euros aux éditions Charles Léopold Mayer.
Nous vous en proposons ci-dessous la préface d’Hervé Le Crosnier.
Préface d’Hervé Le Crosnier
La lecture du livre que vous avez entre les mains provoque un profond sentiment de joie, on y sent quelque chose qui pétille et qui rend l’espoir. Avec son style fluide (et excellemment traduit), David Bollier nous emmène dans un voyage du côté lumineux des relations humaines. Non que les dangers, les enclosures, les menaces sur les perspectives mondiales soient absents. Il s’agit bien d’une critique de la société néolibérale, de la transformation du monde sous l’égide d’un marché juge et arbitre des équilibres, et d’une critique de la façon dont les Etats baissent les bras devant les forces des monopoles privés. Mais cette critique se fait à partir des perspectives, des mouvements qui inventent ici et maintenant les utopies capables d’ouvrir les fenêtres et de faire entrer le vent joyeux d’une histoire à venir. La richesse des communs s’appuie sur leur longue histoire, rendue invisible par la suprématie du modèle économique individualiste. Mais c’est au futur que les communs peuvent offrir une architecture collective pour résister aux crises, économiques, sociales, politiques et écologiques, que nous connaissons.
Nous avions besoin d’un tel livre, à la fois accessible et pénétrant. Vous y reconnaîtrez les mouvements qui animent la planète internet comme la persistance des pratiques sociales collectives qui remontent du fond des âges. Vous y découvrirez un bouillonnement d’activités qui ont toutes pour point central l’investissement personnel des acteurs et la volonté de construire ensemble, de faire en commun. Les communs sont avant tout une forme d’organisation sociale, une manière de décider collectivement des règles qui permettent d’avoir une vie plus juste, plus équilibrée. Un buen vivir comme disent les latino-américains, c’est-à-dire l’exact opposé de la tendance à transformer tout en marchandise et à réduire l’activité des humains à l’expression de leurs intérêts personnels immédiats. L’homo economicus qui hante les réflexions politiques et économiques depuis John Locke et Adam Smith se trouve réduit à son squelette : une fiction qui sert à justifier la domination d’un marché qui pense pouvoir couvrir tous les champs de l’activité humaine et qui fabrique la soumission des pouvoirs publics à son ordre et son idéologie. Au travers des multiples exemples de construction de communs qui servent de support au raisonnement de David Bollier se dessine au contraire une conception des individus autrement plus complexe, et vraisemblablement plus conforme à la réalité. Si l’intérêt personnel est bien, et ce serait absurde de le nier, un des moteurs de l’action, ils est loin d’en constituer l’alpha et l’oméga. À côté, contre, en dehors et en face, les humains savent montrer des appétences à la sociabilité, au partage, à l’altruisme, à la coopération. L’homme est certainement sociabilis avant d’être economicus.
L’étude des communs, au travers de tous les exemples concrets présentés dans ce livre, nous montre qu’il y a des comportements collectifs, des normes sociales qui dépassent la seule addition des comportements individuels sur laquelle se base l’économie néo-classique. Quand Margaret Thatcher déclare « There’s no such thing as society », une phrase qui va servir de leitmotiv à toute la période néolibérale qui s’ouvrait alors, elle nie les évidences issues des pratiques quotidiennes pour les remplacer par une fiction. Les comportements des individus dans les situations les plus difficiles, la construction de ce que David Bollier appelle « les communs de subsistance » nous montre au contraire que la logique du « faire ensemble », la question de l’équité du partage, et la volonté de s’en sortir collectivement sont au contraire les ressorts des populations les plus démunies ou confrontées à des situations de crise.
Car contrairement aux mythes néo-classiques, les gens se parlent, s’organisent, font émerger des règles et se donnent les moyens de les faire respecter. Les communs ne sont ni des phalanstères, isolés et protégés du monde extérieur, ni des espaces sans droit, où chacun pourrait puiser à sa guise. La fable d’un commun abstrait qui serait ouvert à tous, sert de cadre aux réflexions de Garett Hardin sur la « tragédie des communs », mais ne ressemble nullement aux espaces dans lesquels vivent réellement les humains. On trouve certes des communs trop larges pour qu’on puisse en assurer aisément le contrôle. Ceux-ci apparaissent ouverts et sont vite dégradés par l’avidité marchande : épuisement des ressources, pollution, mépris des populations… Loin de constituer un domaine public, ces communs universels sont investis rapidement par les plus fortunés, les plus actifs, les plus influents, ne laissant que des miettes aux populations. Une situation qui conduit inéluctablement à une mainmise monopolistique et à la destruction des équilibres naturels.
Le mouvement des communs s’est souvent appuyé sur des actions locales, sur des analyses ponctuelles, sur des collectifs de taille maîtrisable. Ce n’est que récemment, suite à l’expérience de la constitution et du maintien de l’internet par une vaste population mondialement répartie, que nous considérons des ressources globales comme des communs universels. C’est au travers de l’étude de ces communs universels que David Bollier avance une proposition innovante de relation entre les communautés concernées et les structures étatiques. On connaît bien les porosités qui existent entre le marché et les communs, par exemple en regardant les logiciels libres, internet ou la production coopérative. La relation entre les communautés qui protègent, partagent et maintiennent des ressources et les États est plus complexe. Ceux-ci, depuis les révolutions du XVIIIe siècle se considèrent investis, par l’élection démocratique, de ces mêmes missions, et s’imaginent « propriétaires » du domaine public. David Bollier avance l’idée d’un autre type de contrat, une « garantie publique », qui rend les États (et les autres structures publiques, locales ou supranationales) garants des communs considérés et non décideurs. Il s’agit d’assurer aux citoyens investis que la décision définitive sera bien dans les mains de tous. L’autorisation d’exploiter, et souvent de sur-exploiter, ces communs universels ne pourra plus être donnée aux corporations et aux industries dominantes sans que les populations n’y soient associées. Cette proposition d’une relation complexe qui viendrait changer les modes de gestion de l’économie par les États apparaît comme une manière de contrer la montée de l’extractivisme, la destruction des environnements ou la mainmise sur le vivant et la biomasse. Elle renforce par ailleurs la pratique démocratique en accompagnant la délégation par l’action collective. Il s’agit d’articuler l’expérience acquise dans la gestion de communs locaux avec le besoin d’une gouvernance mondiale renouvelée pour faire face aux enjeux de notre siècle. Nourrir bientôt neuf milliards d’humains, s’adapter au changement climatique, répartir les richesses à l’échelle de la planète, et fondamentalement éviter que les logiques d’inégalités qui sont aujourd’hui dominantes ne nous conduisent à des explosions guerrières ou des conflits économiques dont les populations feront les frais, rend nécessaire cette activité en commun.
Les communs, de l’échelle locale à l’échelle globale, sont la source d’une nouvelle conception de la richesse, qui ne se mesure plus en PIB ou en obligations boursières, mais s’évalue en fonction de la capacité des humains à vivre ensemble. Nous y apprenons à partager ce qui est disponible, et à inventer les formes sociales, les règles, les critères qui favorisent l’investissement de chacun dans l’intérêt de tous. C’est cette joie des communs qui transparaît tout au long de l’ouvrage de David Bollier. Il ne s’agit jamais de solutions clés en main, de rêves d’une humanité parfaite, mais bien de la nécessité de faire avec les humains imparfaits que nous sommes pour construire des sociétés inclusives, égalitaires. Comment partager les fruits de la nature et de la connaissance, protéger les ressources rares et travailler à étendre sans cesse les ressources inépuisables de la connaissance et de la culture grâce à de nouvelles formes d’organisation de la vie collective ? David Bollier, au long de ce livre ne cesse d’appuyer cette force humaniste sur des exemples concrets émanant de communautés engagées dans la construction et la défense de communs. C’est la force « d’utopie pragmatique » des communs qui s’exprime au long de ces pages. Sachons nous en emparer pour renouveler notre imaginaire politique.
Hervé Le Crosnier est enseignant-chercheur à l’Université de Caen. Sa recherche porte sur les relations entre Internet, et plus généralement le numérique et la société. Il travaille également sur la théorie des biens communs, et sur la communication scientifique. Il est membre de l’association Vecam.
Aidons un enseignant à libérer ses ressources pédagogiques !
Yann Houry est professeur de lettres. Il place ses supports de cours depuis 2007 sur le site Ralentir Travaux, bien connu de ses collègues. Il y propose notamment des manuels complets pour les classes de Sixième et de Quatrième.
Nous lui avions ouvert nos colonnes en septembre 2012 parce que, contrairement aux maths où l’on a Sésamath, il est rare de trouver des ressources pédagogiques en libre diffusion en français. Nous souhaitions également pouvoir discuter avec lui de son choix du support iPad et de la licence Creative Commons By-NC-SA pour le contenu de son site et ses manuels.
Or justement, il souhaite abandonner aujourd’hui cette clause NC, qui pose selon nous problème dans l’éducation, et s’en explique ci-dessous. Nous en sommes ravis (d’autant que cela ouvre la voie à une possibilité d’édition Framabook). Et il n’est pas anodin que le titre de son annonce s’intitule Unchain my site !
« J’ai fait mes calculs. J’aurais besoin de 2000 à 2500 € pour acheter diverses choses (nouvel ordinateur, un micro, quelques logiciels, etc.). Une telle somme est donc la condition du changement de licence. Cela en vaut-il la peine ? J’avoue que je suis assez curieux de le découvrir. Peut-être cette demande fera-t-elle un joli flop. En ce cas, la question de la licence ne taraude que moi. »
Nous appuyons sans réserve la démarche en invitant nos visiteurs à participer à la collecte, histoire de montrer que nous sommes nombreux à être taraudés par le bon choix d’une licence 😉
Pour cela, se rendre sur le site Ralentir Travaux et cliquer sur la bandeau du haut.
Depuis sa création, Ralentir travaux a eu vocation à être diffusé le plus largement possible. Le site n’est-il pas né du désir d’offrir à tous – surtout aux élèves ne bénéficiant d’aucun soutien scolaire – la possibilité de trouver une aide sans inscription, sans mot de passe ou sans contrepartie quelconque ? Il s’agissait aussi de proposer, à l’enseignant désireux de trouver un peu d’inspiration, des ressources qu’il pourrait adapter à sa guise.
Dès lors la liberté était inscrite dans les gènes du site. J’avais d’ailleurs repris à mon compte ces mots de Condorcet afin de montrer que la notion de propriété intellectuelle était un abus qu’il fallait dénoncer[1].
Par le passé, j’usais du mot «libre» sans trop savoir quelle notion il recouvrait. Plus tard, je découvrais les licences Creative Commons et m’emparait de celle-ci. Cela signifiait : fais ce que tu veux, mais ne vends pas. Or cette clause non commerciale (et cela a été dit de nombreuses fois) est un frein à la diffusion du savoir. Et Ralentir travaux n’a pas vocation à se recroqueviller sur lui-même dans la crainte d’une exploitation commerciale. Ce serait un non-sens. Au reste, nombreuses sont les personnes requérant l’autorisation d’utiliser telle ou telle partie du site, et invariablement la réponse est affirmative. Seule une demande était restée sans suite en raison de cette fameuse clause NC…
Il est donc nécessaire de recourir à une nouvelle licence. Seuls le partage à l’identique et la reconnaissance de la paternité de l’œuvre seront exigés. Que l’on me pardonne ce dernier sursaut d’orgueil (que m’accorde le droit), mais je tiens encore un peu à ma progéniture ! J’ai juste envie de lui donner un peu le large, et d’observer de loin ce qu’elle devient entre les mains de ceux qui voudront bien s’en emparer, et, je l’espère, la diffuser plus largement encore.
Mais, avant d’adopter une telle licence, je voudrais poser une condition. Il y a quelque temps j’affichais un bandeau afin de susciter les dons. Je paie les frais d’hébergement et ceux liés à l’achat du nom de domaine, les logiciels ou leurs mises à jour. Que dire de mon Mac acheté en 2008, si ce n’est qu’il est vieillissant[2] ? Je ne demande pas de salaire pour les années passées à bâtir Ralentir travaux, mais je veux bien un peu d’aide pour continuer l’œuvre. Or ces dons, malgré la promesse que pouvaient constituer les milliers de visites quotidiennes[3], se sont montrés largement insuffisants[4]. En un an, à peine de quoi acheter InDesign ou un logiciel de ce type…
J’ai fait mes calculs. J’aurais besoin de 2000 à 2500 € pour acheter diverses choses (nouvel ordinateur, un micro, quelques logiciels, etc.). Une telle somme est donc la condition du changement de licence. Cela en vaut-il la peine ? J’avoue que je suis assez curieux de le découvrir. Peut-être cette demande fera-t-elle un joli flop. En ce cas, la question de la licence ne taraude que moi.
Toujours est-il que nombre de sites recourent annuellement aux dons. Je m’en remets donc à ce principe. Et encore ! je n’attends même pas une cotisation annuelle, mais celle de sept ans passés à construire le site et plus encore, puisque je n’entends pas m’arrêter là (le manuel de 5e est déjà en chantier).
Bref, il ne reste plus qu’à organiser ce financement, mais vous pouvez d’ores et déjà faire un don sur Ralentir travaux en cliquant sur la bannière du haut de chaque page.
Passé le seuil financier susmentionné, Ralentir travaux (tout : le site, les manuels) devient libre.
Notes
[1] Je parle, bien entendu, de mon propre cas. Il ne me viendrait, par exemple, nullement à l’idée de tenir un tel discours au sujet de Michel Tournier ou d’Umberto Eco. Simplement, le professeur que je suis ne saurait prétendre à faire valoir un privilège reposant simplement sur quelques années d’études.
[2] Je ne peux même plus enregistrer de screencast sans que les ventilateurs de l’ordinateur se mettent à souffler à tous les diables, rendant par là même la vidéo inaudible.
[4] Un merci exponentiel agrémenté d’un bisou dégoulinant à tous ceux qui m’ont envoyé leurs dons. Un don… Quel mot plus adorable la langue française a-t-elle inventé ? De manière plus générale, je voudrais remercier ceux qui donnent de leur personne, de quelque façon que ce soit et qui contribuent (loin des discours anxiogènes tenus par des inactifs bavards) à faire du web un lieu hautement éducatif.