La SACD veut faire payer la lecture de contes aux enfants dans les bibliothèques !

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La Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) souhaite désormais soumettre à une tarification les «  heures du conte  », ces lectures publiques organisées en bibliothèque devant les enfants pour leur donner le goût de la lecture.

Nous publions ci-dessous la salutaire réaction du collectif SavoirsCom1.

Mais dans quel monde vivons-nous  ?

Remarque  : D’où l’intérêt aussi de faire en sorte que de plus en plus d’auteurs pour enfants publient sous licence libre et de valoriser et prendre soin du domaine public (cf cet exemple de numérisation et de traduction de contes pour enfants sur Romaine Lubrique)

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La SACD veut faire payer les heures du conte en bibliothèque  ! Protégeons cet usage collectif de la culture  !

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Collectif SavoirsCom1 – 17 mars 2014

Partout en France, les bibliothèques de lecture publique organisent des «  heures du conte  », au cours desquelles des ouvrages sont lus en groupe à des enfants. Ces animations sont très courantes dans les bibliothèques et elles participent à l’éveil du goût pour la lecture chez les plus jeunes. Jusqu’à présent, cette pratique est restée libre, bien que ces lectures publiques puissent être assimilées à des représentations en public d’oeuvres protégées.

Mais comme on peut le lire sur le forum de l’Association des Bibliothécaires de France, plusieurs établissements ont récemment reçu des courriers de la part de la SACD, la société des gestion collective des auteurs dans le domaine du spectacle vivant. Cet organisme réclame visiblement que les bibliothèques déclarent la tenue de telles animations et la liste des livres utilisés, afin de les soumettre à une tarification. Ce faisant, cette société manifeste sa volonté de mettre fin à une tolérance admise depuis des décennies, ce qui fragilise la capacité des bibliothèques à jouer leur rôle de médiation culturelle. Rappelons également que les bibliothécaires promeuvent ainsi et depuis longtemps, une diversité et une richesse éditoriale pour la jeunesse dont la France s’enorgueillit.

Ce ne serait pas la première fois que de telles revendications seraient adressées à des bibliothèques par des représentants des titulaires de droits. En Belgique, à partir de 2012, la société de gestion collective SABAM s’est mise elle-aussi à appliquer des tarifs aux bibliothèques organisant des lectures publiques à destination des enfants, pouvant atteindre 1600 euros par an pour de petits établissements.

Au-delà du principe, c’est le procédé employé par la SACD qui s’avère choquant  : ses agents surveillent les sites de bibliothèques pour repérer les annonces de tenue d’une heure du conte et envoyer des courriers aux bibliothèques, sans qu’aucune concertation n’ait eu lieu sur ce sujet. Rappelons également que la SACD ne dispose d’aucun mandat général pour représenter l’intégralité des auteurs. Elle ne peut agir que pour les auteurs membres de la société et n’a aucun droit en dehors de ce périmètre.

Les bibliothèques se sont de tout temps constituées comme des lieux de développement des usages collectifs de la culture, qui font intrinsèquement partie de leur mission de service public. Elles aménagent à côté de la sphère marchande un espace d’usages non-marchands, indispensables pour que la découverte de la lecture puisse s’épanouir.

L’approche maximaliste de la revendication des droits d’auteur qui se déploie depuis des années remet en cause la capacité des bibliothèques à remplir leurs fonctions fondamentales. Les achats de livres effectués par les bibliothèques ainsi que le droit de prêt dont elles s’acquittent annuellement constituent pourtant des contributions importantes au secteur de l’édition jeunesse, en particulier pour les éditeurs indépendants. Les bibliothèques favorisent également la création en faisant intervenir des conteurs professionnels devant les enfants. Et grâce à leur inventivité, la formule de l’heure du conte a aussi été renouvelée ces dernières années, sous la forme de lectures numériques utilisant des tablettes ou des ordinateurs.

Par son attitude, la SACD remet en cause l’équilibre entre le droit des auteurs et les droits du public dans l’usage de la culture. Même si les paiements restent modiques, les modalités que la SACD entend imposer, autorisation préalable des auteurs et déclarations à la société, auront fatalement pour effet de freiner la mise en place de lectures pour les enfants dans les bibliothèques. Est-ce ainsi que l’on favorisera le goût pour la lecture chez les nouvelles générations, alors qu’il s’agit d’un enjeu fondamental de politique culturelle  ?

La semaine dernière, François Hollande a déclaré vouloir «  se battre contre la fracture de la lecture, mais aussi pour mettre des livres dans les mains des enfants  ». Le Ministère de la Culture a également fait de l’éducation artistique et culturelle une de ses priorités. Ces objectifs ne peuvent être atteints si les usages collectifs de la culture ne sont pas préservés.

Cet épisode montre que ces usages ne doivent plus seulement faire l’objet de tolérances pouvant à tout moment être remises en cause par les titulaires de droits. Les usages collectifs de la culture doivent au contraire être reconnus et garantis par la loi, dans un souci d’équilibre avec le respect du droit d’auteur. Il n’est pas normal par exemple que l’exception pédagogique actuellement prévue dans le Code de Propriété Intellectuelle ne soit pas mobilisable dans le cadre des bibliothèques. Le même livre, lu par un enseignant devant ses élèves, ne peut l’être par un bibliothécaire devant des enfants.

Plus largement, il existe actuellement dans le Code de Propriété Intellectuelle une exception prévue pour les représentations privées et gratuites effectuées au sein du cercle de famille. Cette exception pourrait être élargie aux représentations sans finalité commerciale d’oeuvres protégées dans des lieux accessibles au public.

La SACD devrait comprendre que sa conception maximaliste et déséquilibrée des droits exclusifs ne fait que fragiliser un peu plus la légitimité du droit d’auteur. Ce jusqu’au-boutisme de l’usage conçu comme un «  préjudice  » ne peut qu’engendrer la réprobation. Les auteurs eux-mêmes sont-ils d’accord avec les revendications que l’on adresse en leur nom  ?

SavoirsCom1 appelle les bibliothécaires, mais aussi les parents, les élus locaux, les auteurs, les enseignants, en particulier les professeurs documentalistes, les agences régionales du livre et tous ceux qui accordent de l’importance à la diffusion de la culture à se mobiliser pour protéger les usages collectifs que constituent les heures du conte en bibliothèques.

Crédit illustration  : Wikimedia Commons (Domaine public)

11 Responses

  1. julien

    Il était une fois la SACD…
    Chapitre 1 : Fichage de toutes les structures animant autour des livres
    Chapitre 2 : Menace de sanction pour non respect des droits d’auteurs
    Chapitre 3 : La SACD vous recommande les livres à lire aux enfants
    Chapitre 4 : La SACD vous fournie la liste officielle des livres à lire avec un formulaire simplifié de déclaration pour la tarification des droits d’auteurs

    Bientôt laisser un livre sur un banc public sera passible d’une amende.
    C’est beau la liberté !

  2. Stef

    On devrait les payer en gâteaux BN pour leurs permettre d’ouvrir les yeux sur leur stupidité.

  3. Gage

    Une remarque en passant : quand la SACEM et son équivalent américain sont devenus complètement dingues, les bibliothécaires n’ont pas réagi : ça ne concernait que la musique.

    Quand les sociétés de production de films sont devenus complètement dingues, les bibliothécaires n’ont pas réagi : ça ne concernait que les films.

    Là, la SACD devient dingue. Les bibliothécaires réagissent. Il aurait peut-être fallu réagir plus tôt, afin de poser des restrictions raisonnables au droit d’auteur tant qu’il en était encore temps ?

    Il est beau, le clivage. D’un côté, on a un marché monolithique, avec quelques majors qui s’entendent très bien entre elles (ça porte un nom : https://fr.wikipedia.org/wiki/Carte… ), de l’autre, des politiques qui ne comprennent rien à rien (ou qui comprennent très bien les avantages qu’ils peuvent tirer de la situation), et une société où chacun ne s’intéresse qu’à ce qui le concerne directement. Quant aux libristes, il ne faut pas se leurrer : tant que l’écrasante majorité sera contente avec son iPhone et ses blu-ray, rien ne changera…

  4. Gilles

    @Gage Merci de nous (biblio) donner une leçon, et toi tu as fait quoi pour bouger ?
    Parce que nous, on ne peut pas faire grand chose…

  5. d0m3

    en avance pour le poisson d’avril !!??!!…

  6. libre fan

    Tu as raison d0m3, ça m’a inspiré un poisson d’avril.

    En attendant la SACD ferait bien d’aller voir la page de campagne de l’APRIL car cette association inqualifiable vous raconte l’histoire du Petit Chaperon Rouge 24/24h 7/7j, et en plus c’est pas tellement dans la tradition du conte pour enfants (roman photo): http://www.april.org/campagne/ — à mi-page.

  7. libre fan

    Ce que je comprende leur réaction: ouhlàlà, ça barde, on dit ça autrement, hein.

    > La SACD a donc pris la décision d’ouvrir une concertation avec les auteurs, les ayants droit et les bibliothèques sur la question des lectures afin d’en préciser les règles et d’améliorer le système dans l’intérêt des auteurs et de leur public, notamment les plus jeunes.

    Du blabla. En plus, les bibliothèques payen déjà des tas de trucs pour pouvoir prêter les livres: lire un conte aux enfants ne va plus loin que prêter un livre 10 fois.
    Honte au droit d’auteur dans ces conditions.