Le projet OpenOffice.org est-il en bonne ou mauvaise santé ?

Joseppc - CC by-saMichael Meeks n’est pas forcément neutre lorsqu’il évoque la suite bureautique libre OpenOffice.org (OOo). Il est en effet desktop Architect chez Novell, la société qui a « pactisé » avec Microsoft. A ce titre il participe activement au projet Go-oo, une version modifiée d’OpenOffice.org (située à la limite du fork, parfois appelée « alternative Novell à OOo »).

D’après Meeks, Go-oo est justement né pour pallier certaines lacunes d’OpenOffice.org, d’abord techniques mais aussi organisationnelles, principalement liées à un leadership trop fort de la société Sun sur le projet. Chiffres à l’appui, il a n’a ainsi pas hésité à qualifier OOo de « profondément malade ». C’est le sujet de la traduction du jour issue du site ZDNet (Asie).

Pour de plus amples informations, nous vous suggérons de parcourir ces deux dépêches LinuxFr : Go-oo, une alternative à OpenOffice et surtout Go-oo et OOo : fr.OpenOffice.org répond à vos questions.

Au delà de la polémique, se pose donc la question des avantages et des inconvénients d’un projet libre piloté (« de trop près » ?) par une société commerciale.

On peut également en profiter pour faire le point sur les qualités et les défaut intrinsèques de la suite bureautique OpenOffice.org par rapport à la concurrence. Selon certains observateurs, MS Office 2007 aurait ainsi pris un peu d’avance ces derniers temps, surtout si Microsoft se décide à réellement implémenter nativement le format ODF (ce qui n’est pas encore le cas malgré les déclarations d’intention). Sans oublier les solutions « dans les nuages » de type Google Docs qui font de plus en plus d’adeptes[1].

Openoffice.org est-il un cheval mourant ?

Is OpenOffice.org a dying horse?

Eileen Yu – 12 janvier 2009 – ZDNet Asia
(Traduction Framalang : Vincent)

Openoffice.org n’a toujours pas dépassé sa date d’expiration, mais il y a encore beaucoup à faire pour piloter et organiser la participation de la communauté et s’assurer que le logiciel Open Source reste pertinent, affirment des observateurs du secteur.

Officiellement sortie sur le marché en avril 2002, Openoffice est une suite bureautique Open Source disponible en téléchargement gratuit. Sun Microsystems en est le premier sponsor et le principal participant au code du projet OpenOffice, qui compte également Novell, Red Hat, IBM et Google parmi les sociétés contributrices.

Sun a cependant été critiqué pour son contrôle trop étroit d’un projet qui n’encourage alors pas assez la participation communautaire.

Dans un article de son blog posté en Octobre l’année dernière, Michael Meeks, développeur d’OpenOffice.org, incluait des données et des statistiques qui, disait-il, soulignaient le « lent désengagement de Sun » et « une spectaculaire baisse de croissance » de la communauté des développeurs OpenOffice.

En le qualifiant de « mourant » et de « projet profondément malade », Meeks demandait à Sun de s’éloigner de OpenOffice et de réduire sa mainmise sur le code. Contacté sur ce point, Sun n’a pas été en mesure de répondre à l’heure où nous mettions sous presse.

Dans une interview réalisée par e-mail avec ZDNet Asie, Meeks reconnaît que Sun est un participant important à OpenOffice, fournissant le plus grand nombre de développeurs au logiciel. Cependant, il a ajouté qu’il devrait y avoir plus de contributeurs de grandes sociétés impliquées dans le projet.

« Je pense que la raison pour laquelle les autres sociétés trouvent difficile de s’impliquer fortement dans OpenOffice et précisément le fait que Sun possède et contrôle l’ensemble du projet », note-t-il. « Il est alors plus compliqué d’attirer une large base de participants. »

« Les sociétés investissent largement dans Linux qui a alors plus de succès pour attirer des développeurs que OpenOffice. »

Le job de Meeks est d’être le leader de l’équipe de développement OpenOffice.org chez Novell, mais il tient à souligner que ses réflexions sur OpenOffice ne reflètent pas celles de son employeur.

« Il y a beaucoup de problèmes de process (associés avec OpenOffice) et un manque d’engagement externe, et même lorsqu’il s’agit de changement de code mineure les procédures se révèlent super-pesantes pour n’importe quel changement de code mineur. Les problèmes pourraient être facilement résolues dans un communauté plus large », a-t-il dit.

La contribution au code n’est pas un indicateur précis

David Mitchell, vice-président senior de la recherche IT chez Ovum, est en désaccord avec le fait qu’un manque de contribution communautaire doit être interprété négativement, en notant que le succès des produits Open Source dépend de l’adoption du produit par les utilisateurs, pas du profil des développeurs.

« L’implication et l’engagement des développeurs diffèrent selon la maturité des projets, les projets matures auront presque toujours moins de nouveau code validé que les projets tous neufs », expliquait Mitchell dans un échange de mails. « Une restructuration massive d’un code défaillant ou mal structuré peut aussi produire de nombreuses lignes de code, mais ne va pas nécessairement refléter un produit solide et robuste. »

Le code de OpenOffice, a-t-il ajouté, est déjà « assez mature » et « relativement stable ».

Peter Cheng, fondateur et responsable d’une firme de conseil en Open Source, TargetSource, est d’accord.

Contestant l’observation de Meek selon laquelle le logiciel est « mourrant », Cheng a déclaré à ZDNet Asie que le code de OpenOffice continuait à croître, quoique à un rythme plus lent.

Parce que le logiciel est devenu un projet vaste et complexe, on ne peut pas s’attendre à ce que son code croisse au même rythme que lorsqu’il a été lancé, déclara-t-il. Basé à Pékin, Cheng est aussi un blogueur de ZDNet Asie sur l’Open Source.

Il a noté que OpenOffice est supporté par une communauté de 451 contibuteurs.

D’après Khairil Yusof, un développeur de logiciel Open Source consultant chez Inigo Consulting, une équipe réduite de collaborateurs actifs n’est pas un problème majeur pour les utilisateurs de grandes sociétés.

De par la nature de l’Open Source et des standards ouverts, dit Yusof, les sociétés peuvent fournir des services de développeurs indépendants ou de fournisseurs de service Open Source, pour travailler sur OpenOffice et corriger des problèmes critiques pour leurs affaires. Basé en Malaisie, Inigo fournit des services de conseil spécialisés dans le logiciel Open Source.

« Ceci peut être fait indépendamment même de Sun ou Novell, sur le modèle de ce qu’a fait Novell avec sa propre version de OpenOffice », a-t-il dit à ZDNet Asie.

Est-ce que Sun doit renoncer à son rôle ?

D’après Mitchell, savoir si Sun doit renoncer à son rôle est discutable parce que ça ne changerait pas forcément les choses pour la communauté ou le produit.

« La forte gouvernance du développement qui provient d’un sponsor principal pourrait bien alors souffrir d’une fragmentation de la communauté », nous dit l’analyste.

Meeks, de son côté, pense que le logiciel se porterait bien mieux sans Sun sur son dos.

Il nous a expliqué que le conseil communautaire qui supervise OpenOffice a simplement un rôle consultatif et ne possède rien dans le logiciel.

« Ceci a l’air tout beau et ouvert, mais il n’a aucune autorité réelle. La gouvernance actuelle est assez sclérosée, et n’est clairement pas orientée vers les développeurs », dit-il. « Pire, sous le capot, la seule entité légale qui possède les avoirs intéressants est Sun. »

« A cause de cela, vous pouvez traduire des questions comme pourquoi les gens n’investissent-ils pas dans OpenOffice ? en pourquoi les gens n’investissent pas dans Sun ? La réponse étant, je pense, assez triviale : parce que c’est une société commerciale », raconte Meeks.

« Si nous pouvions transformer OpenOffice en fondation, avec une gouvernance juste et représentative par les développeurs, alors oui, je suis certain que le projet se porterait bien mieux sans un veto de Sun à chaque étape », dit-il.

Yusof supporte également l’appel de Meeks pour que Sun abandonne sa propriété.

« Comme c’est souvent le cas avec d’autres projets réussis et orientés vers une communauté active de développeurs, c’est souvent mieux que la gestion du projet soit faite par une fondation indépendante », explique-t-il.

La Fondation Apache, par exemple, a été fondé par des concurrents commerciaux, tels que IBM et Microsoft, dit-il. La fondation Gnome est également co-opérée par des concurrents tels que Red Hat, Sun et Novell, qui contribuent tous activement au développement du logiciel, ajoute Yusof.

Meeks a ajouté que cette façon de faire pourrait également être une bonne opportunité pour Sun, car cela attirerait plus d’intérêt autour d’OpenOffice, réduirait la fragmentation actuelle, et construirait un OpenOffice plus grand et plus apprécié. Sun serait alors bien positionné pour tirer de substantiels bénéfices du support de ses développements potentiels.

Mitchell note que OpenOffice 3.0 a été une version majeure en 2008, et que l’on devrait voir une adoption croissante cette année.

Les fournisseurs qui ont fait du développement spécifique sur OpenOffice vont également aider à son adoption, dit Mitchell, citant pour l’exemple la suite Lotus Symphony de IBM, qui a été développée sur la base du code OpenOffice. L’analyste pense que 2009 sera « une bonne année » pour OpenOffice en termes de croissance du nombre d’utilisateurs.

« Cependant, savoir si Sun pourra transformer cette augmentation de l’adoption de OpenOffice en source de revenus est une autre affaire », dit-il. « Monétiser MySQL et OpenSolaris est probablement plus facile pour Sun, car la demande en contrats de supports pour les entreprises est probablement plus grande. »

Cheng a déclaré : « Sun est bon dans la technologie, mais pas dans les affaires ».

Il a ajouté que, même si la société a depuis plusieurs années adhéré au logiciel, spécifiquement Open Source, comme part intégrante de sa stratégie, Sun est de manière inhérente « encore une société de matériel ». « Toutes les intentions de la société sont focalisées sur la vente de ses machines », dit-il.

« Je pense que la chose la plus importante pour Sun, par rapport à sa stratégie avec OpenOffice, est de déterminer comment équilibrer la communauté et les affaires », dit Cheng, ajoutant que la communauté des développeurs doit avoir suffisamment d’espace de liberté pour « gérer les choses comme elle l’entend ».

« Si vous regardez la fondation Eclipse, dans les cinq dernières années, elle a bâti un bel écosystème autour de la plate-forme. Chaque participant à la communauté peut en bénéficier, pas seulement les individus, mais également les entités commerciales. »

« OpenOffice devrait repenser sa position en tant que communauté Open Source, améliorer la structure de gouvernance de cette communauté, et inciter plus de collaborateurs d’enterprises aussi bien qu’individuels se joindre au projet », dit-il.

Garder une communauté active de développeurs

Maintenir un écosystème en bonne santé, et une communauté active est critique pour le développement des logiciels libres, note Cheng. Il ajoute que les innovations les plus importantes seront impulsées quand le processus de développement recueillera plus de participants.

Sur ce point, Meeks est d’accord, en notant que les développeurs sont le plus grand challenge que le projet OpenOffice ait à résoudre.

« Nous devons rentrer dans le jeu, être fiers de notre code, en lire plus, le réparer, l’affiner et l’améliorer. Nous devons être plus rapide, plus concis, plus clair presque partout dans le code, il y a un énorme travail à faire », dit-il. « Bien sûr, du point de vue des fonctionnalités, nous devons également rester compétitifs. »

« Ce n’est pas le travail qui manque dans OpenOffice. Par exemple, le nouveau composant Base nécessite un large effort pour le rendre comparable à Access, et nous avons également besoin d’un concurrent à Visio, etc. », dit-il.

Meeks note un contraste fort entre la participation de la communauté sur le noyau Linux et sur OpenOffice. « Linus (Torvalds) a déclaré plusieurs fois que le noyau Linux était presque terminé et inintéressant, que les gens devaient se focaliser sur les couches plus hautes du système, et pourtant, il semble attirer toujours plus de participants. »

« OpenOffice a clairement de nombreux points à améliorer, et pourtant il attire un faible nombre de collaborateurs, cela montre clairement qu’il y a un problème. »

Les licences, également, peuvent devenir un problème.

Cheng note que OpenOffice est actuellement soumis à de trop nombreuses licences, notamment la GPL 3, la nouvelle licence BSD, et Mozilla Public Licence 1.0.

« Quiconque voudrait construire une application basée sur OpenOffice sera face à des problèmes juridiques trop complexes à traiter », dit-il. « Je pense que c’est pour cela que l’écosystème de OpenOffice ne fonctionne pas aussi bien que celui d’Eclipse. »

Notes

[1] Crédit photo : Joseppc (Creative Commons By-Sa)