Le YouTube Symphony Orchestra : c’est pas de l’Hadopi, c’est de la musique !
Arrêtons-nous le temps d’une journée de se montrer critique vis-à-vis du YouTube et sa maison-mère Google, pour évoquer, voire célébrer, l’initiative unique au monde que constitue le projet musical du YouTube Symphony Orchestra.
De quoi s’agit-il exactement ?
Il serait carrément abusif d’affirmer que le YouTube Symphony Orchestra est à la musique classique, ce que Linux est à l’informatique, mais il y a un peu de cela dans la mesure où nous avons affaire à un projet collaboratif d’envergure qui n’aurait pu être imaginé avant l’avènement d’Internet.
Petite présentation : « Nous avons contacté des musiciens professionnels, amateurs, de tous âges et tous lieux pour participer au YouTube Symphony Orchestra[1]. Pour auditionner, ils ont envoyé une vidéo dans laquelle ils interprétaient une composition musicale créée spécialement par le célèbre compositeur Tan Dun. Les finalistes sont sélectionnés par un panel composé de représentants des orchestres les plus célèbres au monde et de la communauté YouTube. Les gagnants seront invités à New York en avril 2009 pour participer au sommet du YouTube Symphony Orchestra et jouer au Carnegie Hall sous la direction de Michael Tilson Thomas. »
Nous sommes aujourd’hui à la veille de ce point d’orgue puisque la fameuse représentation aura lieu ce mercredi 15 avril.
Pourquoi avoir choisi d’en parler sur le Framablog, en traduisant ci-dessous un article dédié du Time, alors que certains y voient déjà un projet gadget où l’âme de la musique classique se dissout dans le marketing ?
Parce que comme le dit l’un des protagonistes « le sens de la musique, et peut-être même de la vie, est de créer et de tisser des liens entre les gens ». Nous voici d’un coup d’un seul assez loin du projet de loi Hadopi, non ?
Comment êtes-vous arrivés à Carnegie Hall ?
How Do You Get To Carnegie Hall?
Vivien Schweitzer – 9 avril 2009 – Time
(Traduction Framalang : Balzane)
Hannah Pauline Tarley, violoniste de 17 ans, arbore queue de cheval et sourire face à l’objectif. Elle joue l’ouverture d’un extrait de la Symphonie n°4 de Brahms, dodeline dans une chambre décorée d’autocollants et de posters des Beatles et du San Francisco Symphony Youth Orchestra.
Tarley s’est filmée elle-même dans sa chambre de Cupertino, Californie, à l’aide d’un ordinateur posé en équilibre sur une pile de volumes de l’Encyclopaedia Britannica. Elle est l’une des 3 000 musiciens amateurs et professionnels, originaires de pays allant des Bermudes à l’Azerbaïdjan, qui, en décembre et janvier, ont passé une audition vidéo pour intégrer le YouTube Symphony Orchestra. Cet ensemble singulier, le seul a avoir sélectionné ses membres exclusivement par Internet, fera sa première apparition le 15 avril au Carnegie Hall de New York lors d’un concert dirigé par Michael Tilson Thomas, directeur musical de l’Orchestre symphonique de San Francisco.
Le projet constitue une idée originale de Google. Il ambitionne à la fois d’encourager les communautés en ligne de la musique classique et d’asseoir la réputation de YouTube comme hébergeur de contenus de qualité. Après avoir imaginé le projet fin 2007, Google a contacté des musiciens et des ensembles de premier plan, comme l’Orchestre symphonique de Londres et Tilson Thomas, un pionnier des nouveaux médias dans son travail avec l’Orchestre de San Franscisco et du Nouveau Monde.
« La musique classique est souvent perçue comme un domaine conservateur et parfois même un peu élitiste, » déclare Ed Sanders, directeur marketing chez YouTube. Mais, à l’écouter, la réponse des professionnels du secteur fut résolument positive. Google prend en charge l’ensemble des frais, pour un montant que Sanders ne révèlera pas, y compris les visas et les dépenses de voyage pour les musiciens, originaires de 30 pays.
Les vidéos soumises par les musiciens les montraient en train de jouer des incontournables du répertoire, mais aussi un nouveau morceau composé pour l’occasion : The Internet Symphony No. 1 – « Eroica », de Tan Dun, compositeur de la bande originale du film Tigre et dragon.
Les musiciens des orchestres symphoniques de Londres, Berlin et New-York, entre autres ensembles, ont évalué les clips et sélectionné les 200 finalistes. Les vidéos ont ensuite été diffusées dans une section dédiée de YouTube en février. Les utilisateurs de YouTube pouvaient alors voter pour leurs favoris un peu comme pour la Nouvelle Star. Selon les organisateurs, depuis le lancement de YouTube.com/Symphony en décembre 2008, le site a enregistré selon les organisateurs plus de 14 millions de visites.
Composition d’un orchestre virtuel
Tilson Thomas, qui a validé la sélection finale pour le concert du 15 avril, affirme que le projet est « une façon d’élargir notre propre conception de la musique classique », un point qu’il souligne par un programme éclectique, composé d’œuvres de Bach, Mozart, Brahms, Villa-Lobos, John Cage, Tan Dun et du DJ Mason Bates. Tilson Thomas attend du projet qu’il montre à quel point le classique est essentiel pour des personnes de différents âges, nationalités, expériences et professions. Il espère aussi que les artistes apprendront à utiliser Internet et YouTube pour mieux se mettre en valeur, à l’exemple des écrivains en herbe qui se font connaître par leurs blogs.
Eric Moe, un trompettiste de 35 ans de Spokane dans l’État de Washington, a passé avec succès la sélection. Selon lui, ils est essentiel pour un musicien d’être à l’aise avec la technologie. Moe a filmé son audition dans une église ; il a effectué plusieurs essais avec différents PC portables et webcams avant d’obtenir une vidéo qui le satisfasse. Il compare le processus d’audition de YouTube avec une rencontre en ligne : vous ne savez pas si vous allez effectivement rencontrer la personne, ni comment elle est réellement.
Les gagnants ont déjà eu la chance de faire connaissance… virtuellement ! En plus de son audition, chaque gagnant postait une vidéo de présentation. Vêtue d’un kimono, Maki Takafuji, habitante de Kyoto, joue un court solo de marimba et parle de son éducation musicale. Jim Moffat, joue du cor et travaille en Angleterre dans le marketing technologique ; il se présente sur fond de London Bridge. Nina Perlove, une flûtiste de Cincinnati dans l’Ohio, commence sa vidéo en jouant un « New York, New York » inspiré. David France, violoniste et professeur à l’école de musique des Bermudes, salue ses spectateurs depuis une plage sableuse.
Rachel Hsieh, violoncelliste de 24 ans en master au conservatoire de Peabody, a filmé son audition dans son appartement de Baltimore. Elle considère le YouTube Symphony comme un moyen de toucher une audience plus large que les seuls amateurs de musique : « Beaucoup de personnes visitent YouTube, et ils y vont pour s’amuser. C’est vraiment facile pour eux de cliquer et de voir quelque chose de nouveau ».
Des Beethovens invisibles derrière YouTube
Nos musiciens YouTube vont eux aussi voir leur horizon élargi. Ils vont jouer avec des solistes de premier plan, comme le violoniste Gil Shaham. Le violoncelliste Yo-Yo Ma et le pianiste Lang Lang feront une apparition vidéo. Les musiciens vont répéter leur programme lors d’une rencontre de la musique classique à Carnegie Hall du 12 au 15 avril. Ils ont déjà eu la chance d’étudier le répertoire lors de master-classes en ligne organisées par des professionnels. Maxine Kwok-Adams, violoniste de l’orchestre symphonique de Londres, a ainsi donné quelques précieux conseils pour le morceau de Tan Dun.
Toutes les vidéos soumises dans le cadre de ce travail, objet d’un rare engouement des participants, seront assemblées en un montage diffusé le 15 avril, en parallèle avec le concert. Et le public sera autorisé à filmer le concert à Carnegie Hall. Où retrouver ces clips ? Sur YouTube ! Dans une interview sur le site du YouTube Symphony, Tan s’enthousiasme sur les possibilités offertes par Internet. « Il y a tant de Beethovens invisibles derrière YouTube », affirme-t-il.
Moe pense que « les orchestres doivent être attractifs et gagner de nouvelles audiences ». Pour lui, l’aspect le plus fascinant de l’orchestre YouTube est sa vision de la communauté. « Le sens de la musique, et peut-être même de la vie, est de créer et de tisser des liens entre les gens », dit-il. Chacun se demande si cela va marcher musicalement, mais cela constitue sans aucun doute, comme le relève Moe, « une expérience vraiment amusante ». Et pour les artistes, il n’y a rien à perdre. « Je suis content que quelqu’un règle la facture ! », concède Moe.
Pour les autres participants, certains bénéfices vont bien au-delà de la chance de pouvoir augmenter l’audience de la musique classique. Il y a sept ans, Hannah Tarley, l’adolescente californienne, avait demandé à avoir les oreilles percées. Sa mère lui avait répondu qu’elle lui autoriserait un piercing le jour où elle jouerait au Carnegie Hall. Le chemin passait alors par d’innombrables répétitions, mais le monde est un peu différent aujourd’hui. Hannah a joué, puis envoyé sa vidéo… et la voici au Carnegie Hall.
Notes
[1] Crédit photo : Vincent Boiteau (Creative Commons By)