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La mise en ligne sur le Framablog de l’article Sortie du manuel « Introduction à la science informatique » a naturellement suscité des commentaires, bienvenus, variés et intéressants.
Quelques éléments pour poursuivre le débat entamé.
1) Quelle culture générale scolaire au 21è siècle ?
L’enseignement de spécialité optionnel « Informatique et Sciences du numérique » créé en Terminale S à la rentrée 2012 est un enseignement de culture générale. Comme il y en a d’autres au lycée : mathématiques, histoire-géographie, sciences physiques, philosophie… Il n’a pas vocation à former des spécialistes, cela étant il peut contribuer à susciter des vocations. Il correspond aux missions du système éducatif, à savoir former l’homme, le travailleur et le citoyen.
Les disciplines enseignées évoluent au fil du temps. On ne fait plus de géométrie descriptive en mathématiques mais des probabilités et des statistiques. Le latin et le grec n’ont plus la même place qu’au début du siècle dernier. Les sciences physiques sont devenues discipline scolaire car elles sous-tendaient les réalisations de la société industrielle. Or le monde devient numérique… L’informatique doit avoir sa place dans la culture générale scolaire car elle fait partie de la culture générale de notre époque. C’est un choix que la société fait, doit faire. Car il est clair que l’on ne peut pas tout étudier à l’Ecole. Il faut choisir le « midi qui a le plus de portes ».
Dans les commentaires, un argument nous a quelque peu surpris. Il ne faudrait pas d’informatique à l’École car « cela dégoûterait les élèves ». Le propos vaut-il pour la lecture ? N’apprenons pas à lire aux enfants. Comme cela ils ne seront pas dégoûtés et tous sauront lire. Pas sûr…
Il a été fait état, c’est inévitable, de la comparaison avec la conduite des automobiles. Rappelons que conduire une voiture, en fabriquer et étudier la thermodynamique sont trois activités de natures différentes. Comme l’utilisation des ordinateurs, leur fabrication et la science informatique le sont.
Tout le monde a en tête les débats vifs qui ont accompagné la transposition de la directive européenne DADVSI ou le vote de la loi Hadopi, et du sentiment que l’on a pu éprouver que beaucoup ne savaient pas de quoi ils parlaient. Quand les citoyens s’intéressent au nucléaire ils peuvent peu ou prou se référer à ce qu’ils ont appris à l’école en cours de sciences physiques (atome, courant électrique…). Quand ils s’intéressent aux OGM ils peuvent se référer à leurs cours de SVT. Le problème concernant l’informatique et le numérique est qu’il n’y a pas encore de cours d’informatique, scientifique et technique.
Enseigner une discipline informatique au lycée signifie fondamentalement être en phase avec la société telle qu’elle est devenue.
2) Pourquoi de la programmation ?
Faisons un détour par les mathématiques. Tous les élèves en font, de la Maternelle à la Terminale. Pourtant, bien peu seront chercheurs en mathématiques. Et tous ne seront pas ingénieurs ou professeurs de mathématiques. Ils apprennent à résoudre des équations, chose qu’ils ne feront plus le reste de leur vie. Ils étudient et construisent des fonctions. Pourquoi ? Parce qu’il est important de savoir qu’une grandeur peut dépendre d’une autre grandeur. Que, par exemple, la courbe du chômage indique une progression, éventuellement une accélération de cette progression. Pour s’approprier ces notions, il y a tout un long cheminement avec des appropriations de notions dont on ne se servira plus dans la vie. Mais il reste la culture, à savoir ce qui reste quand on a tout oublié !
Il en va de même pour la programmation. Elle est avec l’algorithmique, la théorie de l’information, l’architecture et les matériels l’un des quatre grands domaines de l’informatique, constituant une clé de voûte où les quatre arcs qui structurent l’informatique se rejoignent, A ce titre elle est déjà incontournable. Elle permet de comprendre ce qu’est l’informatique, de percevoir sa « nature profonde », de s’en imprégner. Pour s’approprier des notions (fichier, protocole de communication, « verrou mortel »…), rien de tel que d’écrire des « petits » programmes.
Cela vaut également pour l’apprentissage des autres disciplines. Encore faut-il que les élèves sachent programmer ! La programmation est un élément de cursus informatique apprécié des élèves, car elle les place dans une situation active et créative, dans laquelle ils peuvent eux-mêmes fabriquer un objet. On constate en effet avec l’ordinateur une transposition des comportements classiques que l’on observe dans le domaine de la fabrication des objets matériels. À la manière d’un artisan qui prolonge ses efforts tant que son ouvrage n’est pas effectivement terminé et qu’il fonctionne, un lycéen, qui par ailleurs se contentera d’avoir résolu neuf questions sur dix de son problème de mathématiques (ce qui n’est déjà pas si mal !), s’acharnera jusqu’à ce que « tourne » le programme de résolution de l’équation du second degré que son professeur lui a demandé d’écrire, pour qu’il cerne mieux les notions d’inconnue, de coefficient et de paramètre. Ces potentialités pédagogiques de la programmation, qui favorisent l’activité intellectuelle, sont parfois paradoxalement et curieusement oubliées par des pédagogues avertis (qui, par ailleurs apprécient les vertus de l’ordinateur et d’internet, outil pédagogique).
De plus, la programmation est une excellente école de la rigueur, de la logique. Vraiment, pourquoi s’en priver ?
3) Formation de culture générale et formations professionnalisantes
Si les disciplines scolaires sont générales et concernent tous les élèves, il n’empêche qu’elles contribuent à donner des fondamentaux que certains retrouveront dans leurs formations ultérieures et leur vie professionnelle. Toutes les disciplines sont des outils au service des autres, et aussi des fins en soi. Cela vaut par exemple pour les mathématiques qui sont au service des sciences physiques ou des sciences économiques. Et pour l’informatique bien sûr. Plus les disciplines sont au service des autres, plus elles deviennent une fin en elles-mêmes. Plus elles sont des composantes majeures de la culture des hommes. Informatique et littérature même combat. Écrire un programme ou écrire un texte sont deux activités d’égale dignité, tout aussi passionnantes l’une que l’autre : une fin en soi !
Une formation structurée sur une longue durée doit être organisée comme une fusée à deux étages : les premières années doivent être consacrées à l’apprentissage de savoirs fondamentaux, puis doivent venir les savoirs spécialisés, qui ont vocation à être directement utilisés dans (les premières années d’) une activité professionnelle. Par exemple la formation d’un médecin consiste à apprendre d’abord (dès l’école primaire, le collège et le lycée) des généralités sur l’anatomie et la physiologie humaine, avant d’apprendre tel ou tel geste chirurgical ou la posologie de tel ou tel médicament. Cette seconde phase de la formation est très variable en fonction du métier que l’on souhaite exercer : les mêmes savoirs spécialisés ne sont pas nécessaires à un ophtalmologiste et un anesthésiste, alors que l’un et l’autre doivent savoir que le cœur est à gauche et le foie à droite ou qu’une cellule humaine contient vingt-trois paires de chromosomes.
Avec l’arrivée de l’informatique au lycée se pose la question de l’identification des savoirs fondamentaux que l’on souhaite partager, non avec ses collègues, mais avec tous. Pour faire partie de la culture générale ces savoirs doivent :
- avoir une certaine stabilité,
- donner une image diversifiée, mais cohérente de la discipline,
- éclairer la vie quotidienne, mais aussi ouvrir de nouveaux horizons,
- permettre de comprendre comment utiliser des objets mais aussi comment ils sont conçus,
- être agréables et valorisants à apprendre.
Les besoins croissants en matière d’informatique et de numérique concernent des compétences diversifiées qui évoluent rapidement (outils, langages…), des métiers nouveaux avec peu de formations existantes (web 2,0, e-économie…). Cela signifie qu’il faut distinguer la formation pour tous aux fondamentaux de culture générale informatique, scientifique et technique, dans l’enseignement scolaire et dans l’enseignement supérieur, et les formations professionnalisantes qui, de par les évolutions incessantes des besoins, doivent justement pouvoir s’appuyer sur une solide formation initiale.
Jean-Pierre Archambault
Gilles Dowek
Charlie Nestel
Ce texte est tout simplement excellent !
Merci
Romain
C’est exprès qu’ils n’ont pas répondu à tous les commentaires qui déploraient l’usage d’une licence non libre ? Se sont-ils au moins posé la question ? Quelle connaissance ont-ils du libre et si la réponse est « aucune », alors pourquoi ce texte paraît-il sur le framablog ? Ils se sont donc forcément posé la question, j’ai du mal à croire le contraire. Pourquoi alors ont-ils décidé de publier ce texte sous une licence privatrice ?
C’est la question qui m’intéressait le plus et je suis déçu qu’ils l’aient éludé.
Cnestel
Je suis le deuxième après Bastien d’OLPC à avoir formulé cette critique sur la liste du Scéren-CNDP.
Ce qui ne m’empêche pas, compte tenu des enjeux pour l’école, et après des dizaines d’années d’ostracisme de la part des créateurs du B2i, du Café pédagogique, et de nombreux groupes de pression au sein même de l’institution, à l’encontre de tout enseignement de l’informatique dans le secondaire de trouver le texte de synthèse, l’argumentaire de Jean-Pierre Archambault et Gilles Dowek tout simplement excellent.
Alors laisse moi savourer mon plaisir.
Bien à toi,
Charlie
cpc
Je suis très content de lire un tel article. çà fait des années que je pense que la programmation doit être introduite dans les écoles dés le plus jeune âge.
Mes premiers pas sur TO7 dans mon école et ensuite, la programmation avec le langage Basic m’ont permis appréhender assez facilement le monde de la programmation.
J’y ai tellement cru que j’avais commencé à écrire un langage de programmation destiné aux enfants déjà en 2005… et d’ailleurs, j’y crois toujours car je travaille toujours dessus ! Le voici : http://langagelinotte.free.fr
Pour information, le langage est sous licence GPL V3.
K
Superbe article, cependant, je pense y avoir décelé une petite coquille; « De plus, la programmation une excellente école de la rigueur, » => il manque le verbe
JM
Le fait même d’avoir à justifer en long en large et en travers l’intérêt fondamental d’un vrai enseignement de la science informatique à l’École en dit long sur le malaise qui accompagne les nouvelles technologies dans notre société, alors même que ces technologies contrôlent l’intégralité de nos sociétés. C’est comme si on refusait de parler de l’électricité à l’École sous prétexte que presque personne ne deviendra électricien, alors que plus rien de fonctionne sans électricité depuis bien longtemps…
Je pense malheureusement que ceci est le résultat de la très forte méconnaissance de ce qu’est réellement l’informatique, ce qui veut dire que c’est un cercle vicieux. À force des vendre des ordinateurs qui ne sont que la version moderne de la machine à écrire ou qui ne savent qu’exécuter le dernier jeu 3D à la mode, le public est écarté de la vraie informatique et de son vrai pouvoir. N’en n’ayant qu’une vision de gadget ou de jouet à passer le temps, pouquoi alors devrions-nous nous attarder plus sur son fonctionnement ?
Seulement l’informatique est en train de prendre le pouvoir sur terre depuis plus de 20 ans. Celui qui contrôlera Internet contrôlera le monde et refuser d’enseigner la vraie informatique à l’école aurait des conséquences sur notre société aussi fortes que la celles de la mondialisation, en réduisant à une peau de chagrin notre indépendance technologique – après avoir nous-mêmes sabordé notre indépendance industrielle. Le problème c’est que ce mouvement de perte d’indépendance technologique est en marche depuis longtemps aussi…
Ginko
+1
La route est longue, nous avons pris beaucoup de retard et y’a des brigands sur le chemin…
Ptigrouick
Informaticien dans un organisme public de recherche scientifique, je constate tous les jours qu’en France le mal est très profond. Beaucoup de nos chercheurs, pourtant avec un niveau d’étude très élevé (docteurs, polytechniciens, …) possèdent une culture informatique proche du zéro. Depuis quelques années que je travaille dans cet organisme, je peux vous assurer que j’ai vu des choses hallucinantes : chercheur trouvant l’utilisation d’un forum « trop compliquée », ordinateur soit-disant en panne alors qu’il suffisait d’allumer l’écran, technique de marque-pages consistant à mettre de multiples raccourcis IE sur le bureau Windows, et j’en passe…
Au départ j’étais plutôt amusé et j’avais pris une attitude patiente et pédagogue. Mais je me suis rendu compte que sur la majorité (on va dire 70%) cela n’avait aucun effet. Je ne préfère même pas vous dire combien de fois j’ai vu revenir la même personne pour un problème quasi-similaire. On dirait que l’utilisation de l’outil informatique instaure comme une sorte de panique qui fait que ces personnes éduquées et intelligentes deviennent d’un seul coup des enfants perdus face à un monde inconnu. A un tel point que ça en est effarant ! Certains vont même jusqu’à affirmer sans aucune gêne qu’ils n’y connaissent rien à l’informatique, mais que ce n’est pas grave puisque les informaticiens sont là pour ça.
Je me dis souvent que tout cela est très lié à la mentalité française, cette fameuse peur du changement qui se transforme en peur des nouvelles technologies. Je n’ai pas l’impression que le niveau soit aussi bas dans les autres pays, y compris en Europe (mais je peux me tromper).
Comme le préconise cet article, les choses devraient être prises dès la base. Il faut instaurer une vraie culture informatique pour que les utilisateurs ne soient plus des « assistés » et se débrouillent un minimum tout seuls. C’est urgent ! C’est peut-être même déjà trop tard…
Phil R.
Bonjour à tous,
Je suis tout à fait d’accord avec les différentes analyses sur les biens fondé de l’apprentissage des différentes sciences de l’informatique au sein de notre chère éducation nationale, dont je suis un membre honoraire depuis 31 ans.(J’ai donc suivi l’évolution de l’utilisation de cet outil dans cette grande institution)
D’ailleurs depuis nombre d’années je ne cesse de clamer l’importance que cela pourrait avoir pour les formations techniques dans lesquelles j’interviens.
Après avoir suivi les premières initiatives de formation à grandes échelles (BASIC, NanoRéseaux) qui ceux sont souvent terminées par des échecs à la limite du dégout , je me suis lancé dans une auto formation sur la connaissance matériel et logiciel des structures informaiques et la programmation : Assembleur, TurboPascal, Delphi qui c’est transformé en une vraie passion.
Quand j’ai vu apparaitre dans les futurs programmes de Terminales cette nouvelle matière, je me suis porté volontaire pour suivre la formation, et j’ai commandé sans plus attendre le livre ‘Introduction à la science informatique’ que j’ai commencé à lire …
Alors là surprise ! Je n’avais jamais vu l’informatique de ce philosophique des choses et je ne regarderais plus mon ordinateur comme avant.
Je me calme … Non ce livre est très bien et d’un très bon niveaux, mais la question que je pose : C’est que pour faire une « introduction aux sciences de l’ informatiques » pour les élèves et dans le but de conserver leur intérêt leplus longtemps possible et pour un plus grand nombre, je pense que cela devrait ce faire de façon pus simple et plus concrète. Il ne faut surtout oublier que dans le lot de tous ces élèves il y en aura pour qui l’informatique est encore une grande nébuleuse, alors ne les décourageons pas.
Merci et Hourra ! On parle enfin sérieusement de l’informatique au seins de l’EDUC.
Phil R.
Dom
Merci pour cet article,
Surtout ne pas oublier d’insister sur la notion d’informatique libre pour le respect des libertés
comme le rappelle le cinquième chapitre de ce texte :
Avertissement aux écoliers et lycéens (5)
Apprendre l’autonomie, non la dépendance
http://www.larevuedesressources.org…
Moncler Jacka
I really do appreciate your feedback. I’m still struggling with the technology but I wish everyone all luck with this competition. I’ve been pinned down with a sick grandchild and today a very sick daughter – both with gastric flu which afflicts us all at this time of year – so this is the first moment I’ve had to get to the computer