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Bastien Guerry co-organise l’événement « 111213 » qui aura lieu le 11 décembre 2013 à simplon.co à Montreuil, une soirée où les internautes sont invités à soutenir des logiciels libres avec des dons. Nous lui avons posé quelques questions pour comprendre le pourquoi et le comment.
Peux-tu te présenter en deux mots ?
Je m’appelle Bastien Guerry. J’ai découvert le libre en 2000 via Thierry Stoehr, alors vice-président de l’AFUL, et en lisant le recueil d’articles de Florent Latrive et Olivier Blondeau intitulé « Libres enfants du savoir numérique », paru aux éditions de l’Éclat en 2001. Depuis, je suis devenu contributeur de GNU Emacs.
La programmation, simple passe-temps, est peu à peu devenu une passion. Quand j’ai reçu des dons pour mon implication comme mainteneur d’un logiciel, ça a fait « tilt » : je me suis dit qu’il fallait que j’aide d’autres développeurs à recevoir plus de dons. C’est à ça que je consacre aujourd’hui mon énergie avec le projet http://kickhub.com
Tu lances avec d’autres un « hackadon » le 11 décembre. C’est quoi ?
C’est une soirée pour faire des dons à des projets libres, pour recenser les différentes façons de le faire et pour réfléchir ensemble au sens de ce geste.
Nous lançons ça avec Sylvain Le Bon, de http://openinitiative.com, et Frédéric Bardeau, de http://simplon.co.
Depuis quelques années, un bandeau s’affiche tous les ans sur les pages de Wikipédia pendant les campagnes de dons de la Wikimedia Foundation et de Wikimédia France. Cela a permis aux gens de se rendre compte que le sort de l’encyclopédie était entre leurs mains, et que même ceux qui ne contribuent pas directement peuvent jouer un rôle, celui de soutenir l’infrastructure technique et le mouvement Wikimédia.
Pour les logiciels libres, c’est différent. D’abord parce que bon nombre d’entre eux sont en partie financés par des entreprises ; ensuite parce qu’il n’y a pas de canal de communication unique pour solliciter des dons, les demandes avancent en ordre dispersé.
Mais imaginons une campagne qui rassemble des logiciels populaires comme Firefox, LibreOffice et VLC. Qui ne serait pas sensible à un message du genre : « Pour continuer de développer ces logiciels et pour rester indépendants, nous avons besoin de votre soutien ! » Je crois qu’une telle démarche aurait du succès et permettrait à chacun de comprendre qu’il peut être utile, non pas comme développeur, mais comme soutien ; qu’il y a encore plein de logiciels dont la survie dépend de la bonne volonté des contributeurs, et qu’en général, les entreprises ne devraient pas être seules à en assurer le financement.
Le Hackadon du 11 décembre est une première tentative de sensibilisation.
Pourquoi maintenant ?
Le déclic a été pour moi d’assister à la montée en volume du financement participatif ces deux dernières années. Ce que les gens ont l’air d’apprécier dans ces modes de financement (un contact direct avec le porteur de projet, des nouvelles régulières sur ses avancées, etc.) c’est ce qu’on fait dans les projets libres depuis toujours !
On voit de plus en plus de projets libres sur les plates-formes comme kickstarter.com, la dernière campagne pour le Ubuntu Edge a beaucoup fait parler d’elle — et pour cause : il y a une affinité naturelle entre ce mode de financement et le mode de développement du libre.
Mais le préalable est que chacun comprenne qu’en soutenant un projet libre, même modestement, il donne du temps et de l’indépendance à son développeur. Et je crois qu’aujourd’hui les mentalités sont mûres pour cette prise de conscience.
Cette soirée s’adresse à qui ?
À tous ! Nous aurons à manger et à boire pour tous les invités qui se déplaceront jusqu’à Montreuil (l’événement a lieu à Simplon.co, qui co-organise l’événement), et le message s’adresse à Monsieur et Madame Toutlemonde. Pour qu’ils comprennent la différence entre un logiciel gratuit et un logiciel libre. Et qu’ils se disent : « Mais bon sang mais c’est bien sûr, un freeware c’est juste de la publicité, alors qu’un logiciel libre c’est ma liberté ! »
Nous invitons aussi tous les développeurs qui souhaitent solliciter des dons — la soirée sera ponctuée de présentations de donateurs qui expliquent pourquoi ils donnent et de développeurs qui partagent leur passion.
Vous avez un objectif précis ?
Assez : atteindre un beau score final et passer une soirée riche de témoignages et d’échanges !
Est-ce qu’il y aura une suite ?
J’ai un peu cherché mais je n’ai pas vu d’événement du même type.
J’espère que ce hackadon donnera envie à d’autres d’en organiser. La formule est simple : se réunir pour donner à des logiciels libres. Un geste qu’on fait parfois dans son coin, mais qui prend encore plus de sens quand on explique à d’autres pourquoi on le fait.
Donc les suites possibles, ce sont d’autres hackadons ailleurs : croisons les doigts !
As-tu un rêve pour l’avenir du libre ?
Je ne veux plus voir de libriste faire du propriétaire le jour et du libre la nuit. Je ne veux plus voir de libriste dire qu’il abandonne la maintenance d’un projet parce qu’il vient d’avoir un enfant.
La main invisible du marché logiciel a tout intérêt à laisser les utilisateurs confondre le libre et le gratuit ; mais cette main, on risque à tout moment de se la prendre dans la figure tant qu’on ne donne pas plus d’indépendance aux développeurs.
C’est sûr, il y aura toujours plus de bénévoles que de donateurs, car donner de l’argent est rarement une passion. Mais Wikipédia montre l’exemple : on peut rétablir, peu à peu, la balance !
Thierry Stœhr
Très honoré d’être cité ainsi par Bastien sur le Framablog, merci ! Un formidable parcours, bravo ! Une petite précision : en 2000, le président de l’AFUL était Stéfane Fermigier (source : http://aful.org/association/histori…). J’étais alors vice-président. Et c’est via la liste de diffusion que les échanges se firent : le format texte et ouvert 🙂
samy
Offrir, comme s’emploie à le faire l’initiative Hackadon, la possibilité d’auto-financer des logiciels « démocratiquement élus », est la suite logique de ce besoin vital que nous ressentons tous, de manière plus ou moins confuse, de maîtriser nos outils et nos données.
En effet, la liberté (ou les libertés), c’est tout sauf une notion abstraite quand, utilisateur obligé de logiciels professionnels, on se trouve confronté aux logiques marketing et à leurs anomalies (citons simplement les mises à jour imposées et les correctifs/améliorations distillés au compte-goutte, les formats propriétaires à géométrie variables à l’opposé des besoins d’interopérabilité des utilisateurs, qui se trouvent ainsi dépossédés de leurs données). Donc oui, la liberté, quand on y a goûté en tant qu’utilisateur, on en ressent la perte avec plus d’acuité, dans les cas, encore nombreux, où il n’existe aucune alternative libre viable. Et effectivement, une autre planète libre est possible.
Alors oui, l’initiative Hackadon ne peut qu’avoir de beaux jours devant elle, qui plus est, quand on sait qu’elle est portée par Bastien, dont j’ai eu l’occasion et le plaisir d’apprécier la cohérence, l’intelligence et l’ouverture d’esprit, autour de différents projets libres. Elle me semble donner une clé – l’autonomie financière – par la voie du co-financement participatif, à des projets qui peuvent ainsi devenir des projets de libre choix, utilisables au quotidien, dans notre vie professionnelle ou privée.