L’écosystème des contenus piratés

Temps de lecture 7 min

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Catalogué illégal, le piratage de films et de séries fait pourtant partie du quotidien de beaucoup d’internautes, et il n’y a plus grand-monde pour faire semblant de s’en offusquer.

Des études ont même prouvé que les plus gros consommateurs de contenus piratés sont aussi par ailleurs les plus gros acheteurs de produits culturels légaux (voir ici et ). Il semblerait finalement que l’écosystème culturel illégal ne soit pas tant un concurrent, mais qu’il fonctionne plutôt en synergie avec le reste de l’offre.

Dans ce contexte, le site Torrent Freak, spécialisé dans l’actualité du peer to peer (pair à pair), publie un article qui s’interroge sur les enjeux du choix entre torrent et streaming.
Ces deux usages sont en effet bien distincts – d’un côté la logique pair à pair décentralisée du torrent, qui permet aux utilisateurs de stocker le fichier sur leur ordinateur et de le repartager ; de l’autre, les plates-formes de streaming centralisées, invitant à une consommation éphémère et unilatérale du contenu.
L’article qui suit nous invite à réfléchir à nos usages, et à leur incidence sur l’écosystème des contenus disponibles en ligne. Au fond, torrent et streaming incarnent deux visions d’internet sur le plan technique… et donc aussi sur le plan politique.

Image par nrkbeta – CC BY-SA 2.0

 

Article original sur le site de Torrentfreak : To Torrent or To Stream ? That is the Big Piracy Question

Traduction : santé !, jaaf, dominix, goofy, ilya, Opsylac, audionuma, xi, monnomnonnon + 3 anonymes

Torrent ou streaming ? Telle est la grande question du piratage

Dans un monde où les films et les séries sont si facilement accessibles via les plates-formes de streaming, pourquoi qui que ce soit irait encore se compliquer la vie à utiliser un site de torrent  ? Question intéressante, qui soulève des enjeux non seulement pour l’avenir de la consommation pirate, mais aussi pour la santé de l’écosystème sous-jacent qui fournit les contenus.

Il y a peut-être six ans, tout au plus, on ne se demandait même pas où la plupart les pirates du web allaient se procurer leur dose de vidéos. Depuis de nombreuses années déjà, BitTorrent était le protocole incontournable.

Encore largement populaire aujourd’hui avec ses millions d’utilisateurs quotidiens, la consommation de torrent a pourtant ralenti ces dernières années avec la montée en puissance des plates-formes de streaming. Ces sites, avec leurs catalogues au design étudié et leurs interfaces façon YouTube, offrent un accès facile à un large éventail de films et de séries, presque aussi rapidement que leurs équivalents torrent.

Alors pourquoi, alors que ces services de streaming sont si faciles à utiliser, qui que ce soit irait s’embarrasser à télécharger des torrents relativement encombrants ? La réponse n’est pas immédiatement évidente, mais pour les personnes qui connaissent de près les deux options, c’est un enjeu assez sérieux.

Premièrement, se pose la question importante de la « propriété » du contenu.

Alors même que les gens ont accès à tous les derniers films sur streamingmovies123 ou sur whatever.com, les utilisateurs ne « possèdent » jamais ces streams. Ces derniers sont complètement éphémères, et dès qu’on appuie sur le bouton stop, l’instance du film ou de la série disparaît pour toujours. Bien sûr, on télécharge le fichier pour le visionner [dans les fichiers temporaires, NdT], mais il se volatilise ensuite presque instantanément.

Pour la même consommation de bande passante, l’utilisateur ou utilisatrice peut aller sur un site de torrents et obtenir exactement le même contenu. Cependant, il existe alors deux différences majeures. Premièrement, il ou elle peut aider à fournir ce contenu à d’autres, et deuxièmement, on peut conserver ce contenu aussi longtemps que souhaité.

Le stockage local du contenu est important pour beaucoup de pirates. Non seulement ce contenu peut ainsi être visionné sur n’importe quel appareil, mais il peut aussi être consulté hors ligne. Bien sûr, cela prend un peu de place sur le disque dur, mais au moins cela ne nécessite pas que streamingmovies123 reste en ligne pour en profiter. Le contenu peut être visionné à nouveau plus tard, restant potentiellement disponible pour toujours, en tout cas bien longtemps après que le site de streaming aura disparu, ce qui arrive bien souvent.

Mais alors que garder le contrôle sur le contenu est rarement un inconvénient pour le consommateur, la question des avantages du partage (téléversement) via BitTorrent est une affaire de point de vue.

Les utilisateurs des sites de streaming vont avancer, à juste titre, que sans téléversement, ils sont plus en sécurité que leurs homologues utilisateurs de torrents. Les utilisateurs de torrents, de leur côté, répondront que leur participation au téléversement aide à fournir du contenu aux autres. Les adeptes de torrents apportent en effet un bénéfice net à l’écosystème du piratage, tandis que les consommateurs de streaming ne sont (selon la terminologie des torrents) que des profiteurs (NdT : en anglais leechers, littéralement des sangsues…).

Il existe toute une nouvelle génération de consommateurs de streaming aujourd’hui qui n’a absolument aucune notion du concept de partage. Ils ne comprennent pas d’où vient le contenu, et ne s’en soucient pas. Ce manque « d’éducation pirate » pourrait s’avérer à terme préjudiciable pour la disponibilité du contenu.

Tant que nous sommes sur ce sujet, se pose une question importante : comment et pourquoi le contenu piraté circule-t-il à travers l’écosystème du Web ?

Il existe des routes établies de longue date qui permettent au contenu en provenance de ce qu’on appelle les « top sites » de glisser rapidement vers les sites torrent. Par ailleurs, les sites de torrent fournissent aux contributeurs P2P (pair à pair) indépendants des plates-formes de diffusion de leur offre au public. Sur ce plan, les sites torrent contribuent beaucoup plus à l’écosystème global du piratage que la plupart des sites de streaming.

Se pose également la question pas moins cruciale de l’origine des contenus des sites de streaming. Bien sûr, beaucoup des personnes impliquées dans ce domaine du piratage ont un accès direct ou indirect aux « top sites », mais beaucoup aussi se contentent de récupérer leurs contenus sur des sites torrent publics ou privés, comme pourrait le faire un utilisateur lambda. Il n’est pas difficile de comprendre qui dépend de qui ici.

Cela nous amène à la question de savoir comment ces deux sortes de piratage sont perçues par les intérêts hollywoodiens. Pas besoin d’être Einstein pour déduire que le torrent et le streaming sont tous deux l’ennemi, mais comme les plates-formes de streaming ressemblent davantage aux offres légales comme celles de Netflix et Amazon, elles sont généralement présentées comme étant la plus grande menace.

En effet, la montée des installations Kodi modifiées (et la réponse agressive qu’elles ont reçue) conforte cette idée, le piratage glissant de l’environnement relativement geek des torrents vers des interfaces faciles à utiliser, plus accessibles au grand public.

Ainsi, la question de savoir ce qui est mieux – le torrent ou le streaming – repose largement sur la préférence du consommateur. Cependant, pour ceux qui s’intéressent à l’écosystème du piratage, l’enjeu est de savoir si le streaming peut s’améliorer, ou même survivre, sans le torrent, et si soutenir uniquement le premier ne mènerait pas vers une voie sans issue.

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20 Responses

  1. librementvotre

    Bon article mais il manque la partie légale et coin HADOPI. Le torrent est bien surveillé en France là où le streaming l’est difficilement (voire pas du tout). Au delà des choix politiques et techniques, les utilisateurs de P2P prennent un risque et le savent.

    • Shnoulle

      Bin non, cela ne manque pas «Les utilisateurs des sites de streaming vont avancer, à juste titre, que sans téléversement, ils sont plus en sécurité que leurs homologues utilisateurs de torrents.»?

      Sinon, ce qu’il manque : c’est la non pérennité des vidéos en streaming (à mon sens). Je peux encore aller chercher du contenu la S01 de telle série sur torrent, plus dure à trouver sur streaming.

      Autre chose : le streaming n’empêche pas de visionner hors ligne. Je ne visionne jamais de streaming en stream, je ne fait que le télécharger.

      Et dernière chose : torrent n’empéche pas de passer à une upload à 0 avec un ratio forcé à 0. A mon avis cela ne change rien sur hadopi, mais bon .

        • JosephK

          Oui sauf qu’en pratique les vidéos sont téléchargées pour être mise temporairement dans un endroit obscure de la machine le temps du visionnage.
          Bien souvent, il suffit de regarder le code html du lecteur vidéo pour récupérer le lien de téléchargement du fichier censé être diffusé en apparence sous forme de flux « streamé ».

          Des outils libres comme jDownloader permettent d’automatiser cette tâche, d’autres comme Captvty ou youtube-dl (et jDownloader aussi d’ailleurs) permettent carrément d’émuler la lecture du flux et de récupérer l’intégralité d’un flux vidéo morceau par morceau voire même de le faire tout en regardant.
          Bref, oui en terme d’usage le streaming et le téléchargement c’est différent mais sur le plan technique ça revient vraiment au même.

    • Dodot

      C’est la traduction​ d’un article Américain, ça ne risque pas de parler d’Hadopi.

      De plus le streaming est tout aussi illégal que le téléchargement.

      Simplement Hadopi ne s’est pas donné les moyens de surveiller le streaming.

      • Gr1

        > De plus le streaming est tout aussi illégal que le téléchargement.
        En quoi ?
        Le site qui propose le contenu oui, puisqu’il partage un contenu sur lequel il n’a pas de droit, c’est de la contrefaçon. Mais le consommateur ? quel délit a-t-il commis ?

        • Eva

          Tu veux dire qu’il est normal qu’un consommateur ne respecte pas la licence appliquée à un contenu ? (derrière ce sarcasme se cache une demande de précision)

        • Supélec avec Lesquen

          La question qui peut se poser pour l’utilisateur de streaming est celle du recel de contrefaçon.
          Tandis que l’utilisateur d’un service de torrent est directement coupable de contrefaçon.

          Dans les faits, je ne suis pas parvenu à trouver de condamnations définitive pour recel de contrefaçon concernant du contenu numérique. En outre, il est plus délicat de connaître les utilisateurs de sites de streaming. Il faudrait obtenir en premier lieu des logs de connexions détaillés des sites en questions.

  2. mamone

    Le fait que ce soit un article américain traduit pose quelques problèmes notamment en rapport avec la loi qui est la nôtre et qui est différente des USA.

    Premièrement, l’article ne parle pas des site de DDL qui proposent des films dans des formats qui vont de la TS à la 3D en passant par le Bluray, HDlight et le 4K. C’est bien plus simple à consulter et à utiliser que le Torrent.

    Et là, contrairement au streaming on peut garder films et séries sur son disque dur. Ensuite, ce qui est illégal en France, c’est de mettre à disposition du contenu sous copyright pas de le télécharger. C’est pourquoi la personne qui télécharge sur un site DDL ou qui regarde un film en streaming sur une plateforme comme Youtube – qui propose plein de choses qui n’ont pas été mise en ligne par les auteurs, ne risque rien contrairement à la plateforme qui met le lien à disposition.

    Alors que le torrent du fait même de mettre en partage l’oeuvre sous copyright parce que cette techno fonctionne comme cela pour alléger la bande-passante met d’office l’utilisateur hors-la-loi.

    Ce serait bien que pour une fois la morale ne vienne pas troller dans le coin. L’article est un article sur les technos employées aujourd’hui de manière courante pour télécharger du contenu mis à disposition de manière illégale pas de savoir si c’est bien ou mal de ne pas respecter le copyright et le droit d’auteur.

    • galex-713

      Sur un site de DDL, tu peux regarder en streaming, t’as qu’à mettre l’url directe dans vlc ou autre lecteur plutôt que de la télécharger. Et vice versa, c’est juste compliqué (ou ça demande des plugins).

      Par contre garder hors-ligne sa propre copie quand t’as téléchargé via un site de ddl ne sert à rien d’autre qu’individuellement. Si le site ferme, le contenu ne sera probablement même pas accessible à tes connaissances directes qui sans même te demander si t’en a une copie, se contenteront de remarquer que le contenu a disparu de tous les sites de streaming/ddl trouvés sur google…

      Or avec le torrent tu gardes cette pérénité.

  3. rcu

    Mon expérience est que le streaming ne tient que lorsqu’on dispose d’un débit réseau ad hoc. Sinon, c’est vite insupportable et le téléchargement devient vite inevitable…

  4. Robert Klein

    Bonjour, il y a peut-être autre chose que je ressens à propos de consommation. Je télécharge quand j’ai envie ou besoin de quelque chose de précis, or le catalogue des sites de streaming m’inciterait plutôt à piocher dans l’offre, à picorer en somme des choses que je n’aurais pas regardées, écoutées, lues (positif ?). Et en l’absence de guidage critique ou de culture ou d’information, il m’est possible très facilement de passer du temps à faire des choses de peu d’intérêt (négatif ?). Pas (ou moins) avec les torrents. Et puis l’idée de partage, et l’économie du partage n’est pas (politiquement non plus) l’univers de la consommation, n’est-ce pas ? De toute façon, les cadres de l’autorité ne servent qu’à priver ceux qui sont les plus défavorisés de ce dont ils ont grand besoin, une façon de maintenir l’ordre social établi, et toujours au profit des mêmes, c’est simplement méchant (partager n’est pas voler et ne prive pas les légitimes de leur objet), simplement méchamment refusent à autrui quelque chose qui ne leur coute rien. Manque d’éducation ou éducation néo-libérale ? Amen !

  5. Ooook

    très déçu que l’on évoque pas la différence fondamentale entre streaming et torrent: les sites de streaming monétisent un bien culturel qui ne leur appartient pas. Les gens qui échangent en p2p ne monétisent pas.
    D’un coté, centralisation et diffusion de pub, de l’autre, décentralisation et partage.

    • Gui

      Oui et non… Les sites qui « centralisent » les liens torrents sont souvent bourrés de pub (parfois très vulgaires) tout comme les logiciels (type Utorrent). Donc la monétisation existe dans les deux modèles selon moi. Ce qui est intéressant dans le partage pair to pair est l’accès pérenne à des contenus rares et peu mainstream.
      Par contre, pour ma part, je télécharge des livres sur ma liseuse car j’ai été outré par les pratiques des éditeurs français (par exemple sur la série Game of Thrones où un tome anglais est divisé en 4 en français). Le système idéal serait de pouvoir rémunérer librement et directement l’écrivain sans intermédiaire.

      • galex-713

        Sauf quand on utilise adblock, ou qu’avec les torrents on se partage les fichiers torrent ou liens magnets directement sans site centralisateur, ou par gossip comme avec Tribler (financé par l’Europe steuplet !)

  6. Andréas Livet

    J’ai toujours lutté contre les sites de DDL et de streaming en faveur du torrent. Car, même s’il est vrai que les sites de torrents sont tout autant rempli de pubs que les sites de streaming, au moins il n’y a pas centralisation de la donnée et c’est important d’un point de vue de l’usage (moins de risque de liens « cassés » même si les site de centralisations de torrents ne sont pas infaillibles et restent souvent incontournables) mais surtout d’un point de vue technique et écologique.
    Il faut quand même rappeler qu’un site de streaming bouffe une bande passante de malade et qu’il faut un gros serveur (voir beaucoup plus) pour l’alimenter et que bien souvent plus y a d’utilisateurs, plus ça rame.
    Avec le torrent, c’est l’inverse !

    Enfin, il faut mettre en avant des technos comme le génialissime Popcorn Time (ou son pendant légal Butter), WebTorrent, ZeroNet, IpFs etc. qui apportent des solutions pour justement fournir du contenu en streaming via le réseau torrent (et en plus éviter qu’on puisse faire tomber un site vu que tout est décentralisé).

    • galex-713

      Tribler fait ça aussi.

      Perso ni Tribler, ou Pop corn time ne sont encore dispos dans debian (pas même dans contrib), pourtant ils sont censés être libres :/ J’ignore si c’est parce qu’ils viennent d’un milieu où les gens ont la flemme de devenir mainteneur debian, par instabilité logicielle/de gouvernance du développement, ou je ne sais quoi…

  7. galex-713

    En attendant vivement le client de streaming torrent qui traite les liens openload, 1fichier, uptostream/box, etc. comme des webseed ^^ (et si possible qui soit plus flexible dans l’identité des sources de contenu… genre ajouter par dessus les checksum du fingerprinting, pour les cas où plusieurs torrents ont des contenus similaires mais recompressés, ou quand les sites de streamnig recompressent derrière) et la fin des trackers et pairs qui imposent un ratio minimum ou qui restreignent la bande passante artificiellement…

    …et vivement une meilleure gestion de la congestion et de la priorisation des flux par bittorrent ou les routeurs terminaux… parce qu’un facteur saoulant de bittorrent est aussi quand ça ralentit tous les téléchargement et fait exploser le ping (et donc adieu la VoIP et les jeux en ligne…)… ou quand les wifi ouverts du genre fon&cie sont inutilisables parce que leurs utilisateurs seedent un peu :}

    Et sinon bittorrent est très facile à surveiller et bloquer, pourtant bien que dans nos pays libéraux ça pose pas encore problème directement (hadopi même pas applicable en France, amendes illégales et mensongères en Allemagne…) ce serait sympa de régler ce problème autrement que par l’obligation exclusive de tous les pairs d’utiliser du gossip ou de l’onion-routing…

    Oh et un moyen de choper les données à faible latence avec une meilleure intégration à MIME et aux méta-données, pour finir de remplacer HTTP et l’achever une bonne fois pour toutes :>

    Ce jour là le torrent aura peut-être moyen de survivre et d’empêcher le streaming de mourir, seul et sans aide, une fois que son âge d’or de chance fragile et éphémère sera passée…

  8. Mr Hankey

    Comme d’hab, on n’utilise mal le langage pour définir certaines pratiques.
    Pourquoi parler de pirates? Les pirates sont des bandits de grand chemin qui sabordent des navires pour piller les biens qui sont transportés, il s’agit bien d’un vol physique où il y a dépossession par la force de bien d’autrui.
    Le téléchargement (même illégal) ne dépossède pas le propriétaire de ses données (qui conserve ses copies) simplement il rend disponible des contenus (souvent sans accord du propriétaire, il est vrai) et sans user de la force, ni de violence…
    C’est une « subtilité » d’une importance significative!