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Dans ce bilan de nos degrés de liberté perdus, il est question de déterminer les responsabilités et de réaffirmer la nécessité de lutter collectivement contre la menace d’extinction des droits que nous avions crus acquis.
Voici le dernier article de la série écrite par Rick Falkvinge. Le fondateur du Parti Pirate suédois récapitule, comme dans les épisodes précédents que nous vous avons déjà livrés, la perte des libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.
Conclusion : la vie privée est menacée d’extinction dans notre monde numérique
Source : Rick Falkvinge sur privateinternetaccess.com
Traduction Framalang : draenog, goofy.
Dans une série de billets sur ce blog, nous avons montré que quasiment tout ce que nos parents tenaient pour acquis en rapport avec la vie privée a été complètement éliminé pour nos enfants, au simple motif qu’ils utilisent des outils numériques plutôt qu’analogiques ; et les personnes qui interprètent les lois disent que la vie privée ne s’applique qu’aux anciens environnements analogiques de nos parents.
Une fois d’accord avec le constat que la vie privée semble simplement ne plus s’appliquer pour nos enfants, uniquement parce qu’ils vivent dans un environnement numérique et non analogique comme celui de nos parents, la surprise devient choc puis colère et on a très envie de rendre quelqu’un responsable de la suppression de cinq générations de lutte pour les droits civiques pendant que les gens regardaient ailleurs.
À qui la faute, donc ?
On peut mettre ici plus d’un acteur en cause, mais une partie du blâme revient à l’illusion que rien n’a changé, simplement parce que nos enfants du numérique peuvent utiliser les technologies obsolètes et démodées pour obtenir les droits qu’ils auraient toujours dû avoir par la loi et la constitution, quelle que soit la méthode par laquelle ils parlent à leurs amis et exercent leurs droits à la vie privée.
Nous avons tous entendu ces excuses.
« Vous avez toujours le secret de la correspondance, il vous suffit d’utiliser la bonne vieille lettre analogique ». Comme si la génération Internet allait le faire. Vous pourriez aussi bien dire à vos parents d’envoyer un télégramme pour bénéficier de droits élémentaires.
« Vous pouvez toujours fréquenter librement la bibliothèque. » Certes, uniquement si elle est analogique, pas numérique comme The Pirate Bay, qui ne se différencie d’une bibliothèque analogique que par son efficacité, et par rien d’autre.
« Vous pouvez encore discuter de ce que vous voulez. » Oui, mais seulement dans une rue ou une place analogique, pas dans les rues ou carrefours numériques.
« Vous pouvez encore sortir avec quelqu’un sans que le gouvernement ne connaisse vos préférences. » Seulement si je préfère sortir avec quelqu’un de la manière dont nos parents le faisaient, dans le monde analogique risqué, à comparer au monde numérique sûr où les prédateurs s’évanouissent d’un clic sur le bouton « bloquer », une possibilité que nos parents n’avaient pas dans des bars douteux.
Les lois ne sont pas différentes pour l’analogique et le numérique. La loi ne fait pas de différence entre l’analogique et le numérique. Mais aucune loi n’est au-dessus des personnes qui vont l’interpréter dans les prétoires, et la manière dont les gens interprètent ces lois signifie que les droits à la vie privée s’appliquent toujours au monde analogique, mais jamais au monde numérique.
Ce n’est pas sorcier d’exiger que les mêmes lois s’appliquent hors ligne et en ligne. Ceci inclut les lois concernant le droit d’auteur, ainsi que le fait que le secret de la correspondance est supérieur au droit d’auteur (en d’autres termes, il est interdit d’ouvrir et d’examiner une correspondance privée pour des infractions dans le monde analogique, pas sans mandat individuel et préalable – nos textes de lois sont pleins de ces pouvoirs et contre-pouvoirs ; ils devraient s’appliquer au numérique aussi, mais ne le font pas aujourd’hui).
Pour revenir sur le blâme, voici un protagoniste : l’industrie du droit d’auteur. Leurs représentants ont soutenu avec succès que leurs lois monopolistiques devraient s’appliquer en ligne exactement comme elles s’appliquent hors ligne et ce faisant ont complètement ignoré les pouvoirs et contre-pouvoirs qui s’appliquent à leurs lois monopolistiques dans le monde analogique. Et puisque la copie de films et de musiques s’est déplacée vers les mêmes canaux de communication que ceux que nous utilisons pour la correspondance privée, le monopole du droit d’auteur en tant que tel est devenu fondamentalement incompatible avec la correspondance privée.
L’industrie du droit d’auteur est consciente de ce conflit et a continuellement poussé à dégrader et éliminer la vie privée pour soutenir à toute force ces monopoles obsolètes et qui tombent en ruine. Par exemple en promouvant la détestable Directive sur la conservation des données (maintenant clairement invalidée par les tribunaux) en Europe. Ils utilisent cette loi fédérale (ou son équivalent européen) pour littéralement obtenir davantage de pouvoir que la police pour poursuivre des particuliers qui partageaient simplement de la musique et des films, qui les partageaient comme tout le monde le fait.
Il y a deux autres facteurs majeurs à l’œuvre. Le deuxième est le marketing. Si nous sommes suivis pas à pas dans les aéroports et autres centres commerciaux, c’est simplement pour nous vendre encore d’autres trucs dont on n’a pas besoin. Ceci au prix de la vie privée que nos parents analogiques tenaient pour acquise. Et on ne parle même pas de Facebook ou Google.
Enfin et surtout il y a les faucons de la surveillance – les politiciens qui veulent paraître « durs contre le crime », ou « impitoyables contre le terrorisme », ou tout autre élément de langage de la semaine. C’est eux qui ont insisté pour que la Directive sur la conservation des données devienne une loi. Et c’est l’industrie du droit d’auteur qui en fait l’a écrite pour eux.
Ces trois facteurs conjoints ont été largement mis à contribution.
Cela va être une longue et difficile bataille pour regagner les libertés qui ont été gagnées petit à petit par nos ancêtres sur à peu près six générations, et ont quasiment été abolies en une décennie.
Il n’est pas délirant de demander que nos enfants aient dans leur environnement numérique au moins l’ensemble des droits civiques dont nos parents bénéficiaient à l’ère analogique. Et pourtant, cela ne se passe pas comme ça. Nos enfants ont raison de demander des droits à la vie Privée équivalents aux analogiques – les droits civiques dont nos parents non seulement bénéficiaient, mais qu’ils tenaient pour acquis.
J’ai peur que n’avoir pas su transmettre ces droits civiques à nos enfants ne soit considéré comme le plus grand échec de la génération actuelle, quels que soient les progrès accomplis par ailleurs. Une société qui repose sur la surveillance généralisée peut s’imposer en dix ans seulement, mais peut prendre des siècles à défaire.
La vie privée reste votre propre responsabilité aujourd’hui. Nous devons tous la reconquérir, simplement en exerçant nos droits, avec tous les outils à notre disposition.
60 secondes
Bonjour tout le monde,
Je voudrais premièrement remercier tous les membres de Framalang pour la traduction des articles de Falkvinge que j’ai eu plaisir (et horreur parfois) à découvrir.
À l’occasion de ce 21ème article traduit, je publie le tout premier sous forme de livre audio (il y a des gens qui n’aiment pas ou ne peuvent pas lire). Les autres suivrons à raison d’un articles lu par jour.
Si ça vous intéresse, ça se passe par là : https://youtu.be/U_1xi-ysELQ
Oui je sais c’est pas sur Peertube…
goofy
OUAF ! Bien sûr que ça nous intéresse, ça nous fait vraiment très plaisir ton initiative.
MERCI !!!
En effet pensons à ceux qui par choix ou par nécessité pourront ainsi accéder à ces chroniques.
Je suis en train d’écouter, ça passe vraiment bien, bravo.
Alors oui, YouTube… on pourrait faire autrement 🙂 J’en parle aux copains mais je pense qu’on pourra, si tu en d’accord (?) héberger tes fichiers chez Frama*, que ce soit sur Framatube (si tu tiens au format vidéo avec un « banc-titre ») ou sur un de nos serveurs (en format son).
Naturellement ça ne t’empêche pas de conserver une version dans ta « chaîne » YouTube si tu y tiens 😉
Dis-nous.
60 secondes
Bonjour goofy,
En fait, j’avais envisagé de verser les sources des vidéos sur framagit (fichiers son .wav, illustrations .blend .svg et .png, montage vidéo .blend, descriptions et liens .odt (éventuellement les fichiers vidéo en .mp4 mais ça commence à faire lourd)) une fois qu’elles seraient toutes parues sur ma chaîne YouTube. De cette manière, vous pourriez en faire ce que vous voulez.
J’ai pour l’instant enregistré et monté 7 vidéos, je m’occupe des autres cette semaine.
Serait-ce, à votre avis, un solution viable ?
Goofy
@60 secondes
aucun problème.
Juste fais-le !
60 secondes
OK 🙂
Merci
Frnck
Encore une fois, complètement d’accord sur le constat.
La genèse historique de la technologie numérique explique probablement l’efficacité avec laquelle elle a réalisé des propheties considérées comme totalitaires dans la littérature de sf d’il y a seulement quelques décennies.
Mais peu importe.
Ce qui me gêne, encore une fois, et doublement au regard de l’idée que je viens d’exposer, c’est cette conclusion accusatrice qui voudrait faire de moi le coupable de cette situation: elle est « de ma responsabilité (?) »…
Ça je ne l’accepte pas.
Je considère cette phrase comme une insulte envers tous ceux qui se sont faits dépouiller de leurs mondes par la « technologie numérique » , dont ce genre de’ devellopement intrinsèques étaient aussi planifiés qu’orientés, et que d’autres avant moi avaient dénommée « techno science d’origine militaire. »
Et, encore plus précisément, national-socialiste germanique et, en effet, militaire.
C’est la force des idéologies totalitaires, de penser les choses « globalement ».
Leur faiblesse, est d’ignorer les originalités locales, qui font pourtant bien partie du « global… »
Mifounet
@Frnck: « Ça je ne l’accepte pas ».
Et pourtant, si, Falkvinge a parfaitement raison. Pour s’en convaincre, il suffit d’essayer de sensibiliser un de ces « je n’ai rien a cacher » de l’importance de la vie privée: on arrive immanquablement a une discussion de marchand de tapis avec des arguments pour le moins discutables.
Inertie, flemme, habitude, manque d’ouverture sont des traits bien humains…
Ces gens là trouvent normal de « mitrailler » tout (le monde) et n’importe quoi avec l’appareil photo de leur ordiphone; sans demander la permission de personne. Le terme respect ne fait pas partie de leur vocabulaire. Qu’advient-il de ces photos, vu l’appétit des GAFAM?
Quant aux politiciens, je n’ai plus d’illusions: leur seul objectif est de préserver leur pouvoir. Il faut juste se rapeller qu’il n’y a pas si longtemps, il était tout a fait légal d’arrêter arbitrairement les gens, les torturer, les déporter et les gazer. La police et l’administration françaises y ont par ailleurs contribué avec leur zèle coutumier.
Alors, il ne faut voir a ne pas confondre légal et légitime et ne rien attendre d’eux.
Pour finir; je voudrais juste citer une phrase attribuée a Jacob Appelbaum:
« La vie privée c’est comme un préservatif: si vous ne vous en servez pas, vous mettez aussi vos partenaires en danger. »
Même ceux qui n’ont pas donné leur consentement…
Un grand merci et bonne continuation a toute l’équipe de Framasoft!