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Aujourd’hui, nous vous proposons de sortir un peu des sentiers (re)battus du libre et des communs pour explorer un peu plus ceux de l’éducation et du partage. Stéphane Crozat, membre de Framasoft et prof. à l’Université de Technologie de Compiègne, souhaite partager ici une réflexion autour des conditions de publication des rapports de stage. Profitons du fait que le Framablog est aussi le blog des membres de l’association Framasoft pour lui donner la parole.
Chaque semestre, une partie significative des entreprises qui accueillent des stagiaires de l’Université Technologique de Compiègne dont je suis suiveur font une demande de procédure de confidentialité concernant le rapport et/ou la soutenance de l’étudiant. Je suis opposé à cette pratique.
Récemment encore une grande société française impliquée notamment dans des activités en lien avec la défense m’a fait une telle demande.
Ce semestre, j’ai pris le temps de poser mes arguments à plat, à la suite de quoi la demande a été retirée. Le mail que j’ai reçu en réponse faisait état du bien-fondé de ces arguments. Je les partage donc afin de contribuer peut-être à rendre les demandes de confidentialité plus marginales.
Préambule : la confidentialité est un droit de l’entreprise
Je ne suis pas opposé aux besoins de confidentialité des entreprises. De nombreux contextes l’exigent. À titre personnel il est par exemple évident que les informations dont je dispose sur les étudiants ne sauraient être divulguées publiquement.
Il est à noter que :
- le principe de confidentialité est inclus par défaut dans le droit de travail :
« le contrat de travail est exécuté de bonne foi (article L1222–1 du Code du travail) »
ce qui implique notamment la loyauté, la non-concurrence ou la confidentialité ; - le stagiaire n’est pas complètement soumis au code du travail mais le principe de confidentialité reste présent dans la logique du stage et est communément explicité par une clause de non divulgation qui peut être ajoutée au contrat de travail ou à la convention de stage.
Donc, la confidentialité est une règle qui s’applique légitimement par défaut.
Argument 1 : Le rapport de l’étudiant est un élément de son CV, s’il est confidentiel, il ne pourra pas le produire.
Si un rapport est confidentiel, alors il ne pourra pas être produit pour faire valoir le travail réalisé, lors de la recherche d’un stage ultérieur ou lors de la recherche d’un emploi.
- Un mémoire de stage est un travail personnel significatif pour le stagiaire qui mérite de figurer au rang des choses dont il peut être fier et qu’il peut montrer. C’est le déposséder de quelque chose d’important que de lui interdire de produire le résultat de son travail.
- À défaut, c’est minorer l’importance de ce travail de restitution, ce qui peut conduire à des rapports sans intérêt, puisqu’en fin de compte personne ne les lira (à part peut-être à des fins d’évaluation, une fois, peut-être distraitement).
Proposition 1 : faire un rapport court et public
Je propose d’écrire un rapport synthétique et de bonne facture, non confidentiel et éventuellement de lui annexer un document confidentiel (qu’il n’est pas nécessaire de diffuser hors de l’entreprise).
On aura d’emblée l’ambition que ce rapport soit public, destiné à être diffusé sur le Web typiquement.
Le stagiaire cherchera à faire valoir les actions qu’il a pu mener sans divulguer d’information sensible. On peut pour cela procéder à de l’anonymisation, ou encore à la troncature d’information, sans nuire à la bonne compréhension du propos général. C’est en soi un bon exercice. La stagiaire pourra bien entendu mentionner en préambule qu’il a rédigé son rapport sous cette contrainte (un exemple d’approche : librecours.net/module/ing/rap).
Cette proposition a également le mérite de simplifier la gestion de la confidentialité et d’éviter les entre-deux inconfortables où personne ne sait exactement ce qu’il peut faire et laisser faire :
- un rapport public accessible à tous tout le temps,
- un rapport privé accessible à l’entreprise uniquement.
Argument 2 : La soutenance est un moment de mise en commun, cela ne peut pas fonctionner si tout le monde ne joue pas le jeu.
La soutenance est un moment d’échange entre étudiants, enseignants et entreprises. Les sessions sont organisées de telle façon que chacun profite des expériences des autres. Lorsque quelqu’un demande une soutenance confidentielle, il exclut de fait les autres de ce partage, c’est donc un appauvrissement de cette phase de restitution de stage. Si tout le monde procède ainsi, l’exercice perd tout intérêt, c’est en quelque sort un cas de dilemme du prisonnier1 : si personne ne se fait confiance, alors tout le monde perd.
Pour que la situation reste équitable, les soutenances confidentielles doivent se dérouler à part, en dehors de l’espace commun partagé par les autres. Ainsi ceux qui refusent de partager leur expérience se privent de la possibilité de profiter de l’expérience des autres.
C’est donc une dégradation de la situation d’apprentissage pour le stagiaire.
Proposition 2 : sélectionner ce qui est présenté en excluant ce qui est confidentiel
Je propose une soutenance non confidentielle sans information sensible. Il est possible qu’une soutenance ne porte pas sur l’ensemble du stage, c’est même souvent le cas, on peut donc se focaliser sur quelques-unes des tâches les moins sensibles et les exposer avec soin.
Le but d’une soutenance n’est pas de rendre compte dans le détail de tout ce qui a été fait, le temps ne le permettrait pas, mais de donner à voir une partie de ce que l’on a appris, ce que l’on sait faire, et, peut être en premier lieu : de communiquer des choses intéressantes au public.
Une bonne soutenance est pour moi une soutenance à l’issue de laquelle on a appris des choses que l’on ignorait grâce à la clarté de l’exposé du stagiaire.
Cela n’implique pas de révéler des secrets spécifiques, mais au contraire d’avoir été capable de monter en généralité pour présenter en dehors du contexte les compétences et connaissances acquises. C’est ce qui fait leur valeur pour le stagiaire et ses futurs collaborateurs.
Conclusion : un argument personnel complémentaire
Accepter un travail d’encadrement de stage correspond à la perspective d’instaurer un échange. On consacre un peu de temps, on fait éventuellement bénéficier un peu de son expérience lorsque c’est utile, et en échange on apprend des choses que l’on peut réinvestir dans sa propre pratique professionnelle.
Le métier d’un enseignant-chercheur consistant à publier de la connaissance au service de tous, les informations confidentielles lui sont mal utiles. Donc le bilan est négatif : on ne gagne rien et on perd un peu de ce temps si précieux pour tous.
Je refuse a priori tout engagement dans le suivi de stages comprenant des rapports ou soutenances confidentielles.
- Le dilemme du prisonnier caractérise une situation où deux joueurs auraient intérêt à coopérer, mais où, en l’absence de communication entre les deux joueurs, chacun choisira de trahir l’autre si le jeu n’est joué qu’une fois. La raison est que si l’un coopère et que l’autre trahit, le coopérateur est fortement pénalisé. Pourtant, si les deux joueurs trahissent, le résultat leur est moins favorable que si les deux avaient choisi de coopérer.
METHOT Daniel
Bonjour Stéphane,
Il me semble nécessaire de distinguer le rapport et son évaluation, de la soutenance qui peut être publique, dans l’intérêt même des autres étudiants.
LE RAPPORT (ou les rapports)
Une entreprise est en droit de ne pas laisser diffuser des informations sensibles. C’est d’ailleurs une marque de confiance envers le rôle qui a été accordée au stagiaire lors de son stage.
Pour cela il doit être possible d’effectuer un rapport public avec des annexes confidentielles en un seul exemplaire à restituer ensuite à l’entreprise après correction. Rappelons à cet effet que l’enseignant correcteur lui-même est soumis au devoir de réserve. Ne reste dans l’établissement que le rapport public. Nous procédions ainsi dans mon département d’IUT à Montbéliard.
LA SOUTENANCE
Est quasi nécessairement publique. Il suffira de convenir avec le stagiaire et l’entreprise des éléments qui seront présentés. Sachant que l’on juge ici plutôt la prestation orale.
CONCLUSION
En toute hypothèse, plusieurs solutions peuvent être envisagées, dans un climat « d’entente cordiale » !
Daniel Méthot
Ancien Directeur des études et ancien responsable des stages de département d’IUT
Microentrepreneur en E-Learning
Stéphane
Bonjour Daniel. Sauf erreur de ma part tu n’ajoutes par rapport à ma proposition que la possibilité pour l’étudiant d’adjoindre des annexes confidentielles au rapport, n’est ce pas ? C’est bien entendu possible.
Mais il faut rester vigilant dans les consignes : si le rapport est public mais pas l’annexe, le rapport ne peut pas y faire référence et donc l’exercice devient difficile pour l’étudiant, on risque d’avoir un rapport incompréhensible sans les annexes (bref on est ramené au problème de départ). Et à l’inverse une annexe qui n’est pas utilisée dans le rapport n’est pas vraiment utile au lecteur. Donc dans les deux cas…
En conclusion je propose plutôt qu’un second document soit réalisé pour l’entreprise et qu’il reste confidentiel. Personnellement ça ne m’intéresse pas beaucoup de lire un document que je ne pourrais pas vraiment exploiter, je n’ai déjà pas le temps de lire tout ce qui me serait utile ! et donc je préfère pouvoir évaluer l’étudiant sans rien de confidentiel. Mais là, je suis d’accord, chacun son approche.
W
Ce qui veux dire que l’étudiant doit rédiger deux rapports au lieu d’un.
Sur un stage d’une semaine, pourquoi pas (mais une déclaration de confidentialité sur un stage d’une semaine…). Sur un stage de 6 mois, rédiger un rapport, c’est pas une ou deux journées de boulot. Aller expliquer à votre étudiant qui vient de faire une nuit blanche pour rendre son travail à temps qu’il aurait dû rédiger un deuxième rapport…