PENSA, un projet universitaire européen autour de la citoyenneté numérique

En février 2020, nous avons été contacté par Marco Cappellini, d’Aix-Marseille Université, qui nous proposait de participer à un projet européen – qui n’avait, à l’époque, pas encore de nom – sur la thématique de la citoyenneté numérique dans une perspective plurilingue. Intriguées, nous avons voulu en savoir plus et, après un temps d’échanges, nous avons convenu que Framasoft serait l’un des partenaires associés de ce projet, spécifiquement sur la production de séquences de formations. Et puis, une pandémie mondiale est passée par là ! Ce n’est donc qu’en février 2021 que le projet PENSA (c’est son petit nom) a eu confirmation de son financement et que nous avons pu préciser notre participation : nous animerons une session de formation sur les logiciels libres dans l’enseignement en juin 2022. Maintenant que le projet est lancé, il était temps qu’on vous en parle. Et pour cela, nous avons proposé aux personnes qui coordonnent ce projet de répondre à une petite interview.

logo projet PENSA

Bonjour Elisabeth et Marco ! Pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour, je suis Elisabeth Sanchez, Ingénieure d’études au Centre de Formation et d’Autoformation en Langues (CFAL) à Aix Marseille Université. Je suis en charge de l’animation et de l’ingénierie du projet PENSA.
Bonjour, je suis Marco Cappellini, enseignant chercheur à Aix Marseille Université et coordonnateur du projet PENSA.

Vous faites tous les deux partie de l’équipe de coordination du projet PENSA. Vous pouvez nous expliquer de quoi il s’agit ?

Le projet pour une Professionnalisation des Enseignants utilisant le Numérique pour un Soutien à l’Autonomie et à la citoyenneté (PENSA), soutenu par le programme Erasmus+ de la Commission européenne, aborde deux questions d’actualité dans l’enseignement supérieur et la société.

La première est le besoin de formation et d’infrastructure pour dispenser un enseignement mixte, distant et/ou co-modal (c’est-à-dire un enseignement en classe diffusé simultanément à des étudiants en ligne) qui s’est fait à la suite de la pandémie. Pendant les lockdowns nationaux et pour dispenser un enseignement co-modal, les enseignants se sont souvent tournés vers les plateformes en ligne classiques telles que Zoom sans être conscients du modèle économique de ces plateformes en termes de traitement des données personnelles.

La deuxième question est la nécessité d’éduquer les jeunes aux implications de l’utilisation des sites de réseaux sociaux (Facebook, YouTube, etc.) sur les plans psychologique, sociologique, économique et social. En effet, le déploiement de ces plateformes s’est accompagné de discours d’émancipation, les utilisateurs ayant pu exprimer et échanger leurs idées en ligne, générant ainsi davantage de dialogue public. Parfois, des dérives extrêmes ont démontré la fragilité du système d’où la nécessité de sensibiliser les étudiants aux logiques inhérentes à ces plateformes.

Le projet PENSA aborde ces questions avec une approche globale d’ouverture, à la fois dans le sens de l’éducation ouverte et des plateformes open source. Le cœur du projet est constitué de 30 enseignants et formateurs d’enseignants dans sept universités, la plupart faisant partie de l’Université européenne CIVIS, une association académique et une entreprise.

Au cours du projet, une centaine d’enseignants seront formés à l’intégration de l’enseignement mixte et co-modal dans leurs classes, avec l’intégration de la télécollaboration et de l’échange virtuel sur des sujets liés à la citoyenneté numérique. Grâce à ces actions, PENSA permettra à 400 élèves de toute l’Europe de développer leurs compétences numériques, leurs compétences plurilingues, leurs capacités de collaboration et leur autonomie d’apprentissage.

Pouvez-vous nous préciser comment les étudiant⋅es travaillent en collaboration ?
Les étudiants vont travailler en classe avec leurs enseignants et en ligne en petits groupes avec leurs camarades d’une université partenaire. Les échanges en ligne se déroulent dans la plupart des cas en trois phases. La première est une phase de prise de contact pour briser la glace. Les étudiants peuvent se présenter et comparer leurs environnements, d’études et personnels par exemple. Dans la deuxième phase, les étudiants travaillent pour analyser ensemble des « textes parallèles ». De manière générale, ces textes peuvent être des remakes de films, par exemple un groupe franco-italien comparant Bienvenue chez les Ch’tis et Benvenuti al Sud. Dans le cadre du projet PENSA, il s’agira plus spécifiquement par exemple de législations pour le déploiement de la reconnaissance faciale dans les pays respectifs. Cette deuxième phase se veut une entrée dans l’interculturel. Dans la troisième phase, les étudiants collaborent pour réaliser une production commune, un article de blog ou un poster sur une thématique en lien avec le projet, par exemple la gestion des données sur un site de réseautage social. C’est dans cette phase qu’il vont apprendre à développer leur communication et la gestion de la diversité dans une équipe, pour aller encore davantage dans l’interculturel.

capture plateforme PENSA

Comment vous est venue l’idée de travailler sur ces thématiques ?
Marco : Personnellement, de deux choses. Tout d’abord, ce sont plusieurs lectures qui ont éclairé chez moi les aspects problématiques de certains outils et plateformes numériques. Je pense aux écrits de Bernard Harcourt et plus spécifiquement son essai La Société d’exposition : désir et désobéissance à l’ère numérique, à ceux de Frank Pasquale sur l’opacité du fonctionnement des entreprises qui dominent sur Internet, ou encore les écrits sur l’autodéfense numérique du collectif italien Ippolita, également partenaire associé de PENSA.

La deuxième dynamique a été un ensemble de discussions avec des collègues et des amis, qui ont montré d’une part qu’il y avait une connaissance vague des dynamiques sur Internet et une connaissance presque nulle des outils alternatifs à disposition. À partir de là, avec plusieurs collègues on s’est réunis en février 2019 et on a travaillé à une proposition pour les appels à projet de la Commission Européenne. Puis est venue la pandémie, qui n’a fait que renforcer le besoin de développer une culture numérique chez les étudiants, mais aussi chez beaucoup de collègues.

PENSA est un projet ERASMUS+. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce programme européen ?
Erasmus+ est un programme connu surtout pour ses actions liées à la mobilité. Moins connues, mais tout aussi intéressantes, sont les actions liées à la coopération, tant au niveau scolaire qu’universitaire. PENSA est un projet qui s’insère dans les actions clés, pour des partenariats stratégiques dans l’enseignement supérieur. L’idée principale est de réunir plusieurs partenaires aux expertises complémentaires pour répondre à un ou plusieurs défis sociétaux.

Dans PENSA, le noyau de l’équipe est composé d’enseignants de 7 universités, de collègues d’une entreprise spécialisée dans les open coursware et d’une association internationale. Dans une formation qui s’est tenue en juin 2021, chaque membre de l’équipe a apporté quelque chose aux autres. Par exemple, j’ai pu apprendre davantage sur les outils libres spécifiques à la formation et à mieux intégrer des échanges en ligne entre mes étudiants et des étudiants ailleurs. A partir de cette collaboration, dans chacune des universités on formera d’autres collègues pour diffuser des idées et des outils pour améliorer la pédagogie universitaire.

Puisque PENSA est un projet européen, quelles sont les langues utilisées ?
Il y a 7 langues présentes dans le projet : allemand, anglais, catalan, espagnol, français, italien, roumain. Dans les échanges entre étudiants, ils utilisent soit une langue comme langue véhiculaire (typiquement l’anglais), soit les deux langues des pays concernés (par exemple allemand et français pour un échange entre étudiants à Tübingen et Aix en Provence). Pour les autres initiatives du projet, comme la formation de formateurs, on a utilisé l’anglais dans un premier temps, les langues locales ensuite.

Le plus intéressant se passe au niveau de la gestion du projet : le comité de pilotage communique en intercompréhension des langues romanes. Par les similarités entre langues latines, et avec des stratégies de communication, chacun parle dans une langue romane et les autres comprennent et répondent en d’autres langues. Dans ces réunions, on parle donc français, italien et espagnol principalement, avec des touches en catalan et roumain. Au début, ça peut être un peu déstabilisant et surtout fatiguant, mais avec la pratique on s’y fait assez vite. C’est une manière pour nous de faire vivre le plurilinguisme européen, au-delà des séparations entre langues que l’on peut avoir apprises.

photo jeunes européens
Crédit : Université Aix-Marseille

Quelle place accordez-vous au logiciel libre dans ce projet ?
Une place assez importante. D’abord, on vise à faire comprendre la différence entre « gratuit » et « libre », qui n’est pas évidente pour beaucoup de monde. Ensuite, dans la formation de formateurs on fait connaître des alternatives libres, parfois même institutionnelles, pour différents outils. Par exemple BigBlueButton comme une alternative à Zoom ou Skype. D’ailleurs, ces formations sont très intéressantes pour découvrir de nouveaux outils, même pour les personnes le plus expérimentées de l’équipe.

On prévoit aussi de développer et publier des extensions à des outils libres tels que la plateforme Moodle pour les cours hybrides ou à distance. Chez les étudiants, les formations que nous sommes en train de mettre en place visent aussi à les rendre plus conscients des enjeux de l’utilisation de plateformes gratuites grand public, par exemple sur comment elles sont conçues pour capter l’attention et extraire des données, les positionnant en tant que consommateurs. Nous espérons que cette prise de conscience contribuera à des changements dans leurs usages numériques, particulièrement par rapport aux plateformes de réseautage social.

Le côté « open » du projet se fait aussi au niveau des productions de matériel pédagogique, lequel sera mis en ligne sur les sites de la Commission Européenne et du projet.

Donc, le matériel pédagogique sera diffusé sous licence libre ? Si oui, laquelle ?
Oui, il sera diffusé en libre accès. Pour la ou les licences utilisées, ce n’est pas encore défini : ce sera discuté et décidé lors du prochain comité de pilotage.

Dernière question, traditionnelle : y a-t-il une question que l’on ne vous a pas posée ou un élément que vous souhaiteriez ajouter ?
On a probablement fait le tour. Merci bien pour cette occasion de parler de PENSA. Pour la suite et pour suivre l’évolution du projet et profiter des productions, ce sera sur le site https://pensa.univ-amu.fr/, dans la langue de votre choix 🙂