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Ah qu’il était doux et rassurant le temps de l’informatique à grand-papa où nous avions nos ordinateurs fixes qui se connectaient de temps en temps et où nous luttions avec confiance et enthousiasme contre le grand-méchant Microsoft !
Ce temps-là est révolu. Nous entrons dans une autre décennie et il se pourrait bien que le principal sujet de conversation de la communauté du logiciel libre dans les dix ans à venir ne soit plus Microsoft (symbole du logiciel propriétaire, j’ai mal à mes fichiers !) mais Google (symbole de l’informatique dans les nuages, j’ai mal à mes données personnelles !)[1].
Firefox, bouffé par Chrome ? Ubuntu, court-circuité par Chrome OS ? Le Web tout entier se transformant petit à petit en un fort joli Minitel 2.0 bourré de services Google à tous les coins de rue ? Ces différents scénarios ne relèvent pas forcément de la science-fiction.
Le problème c’est que nous n’avons plus un Microsoft en face d’une limpide ligne de démarcation. Le problème c’est que nous avons affaire à rien moins qu’au premier contributeur open source de la planète. Et cela rend légèrement plus complexe le positionnement…
La plus grande entreprise mondiale de l’open-source ? Google
World’s biggest open-source company ? Google
Matt Asay – 16 septembre 2009 – Cnet news
(Traduction Framalang : Julien et Cheval boiteux)
Red Hat est généralement considérée comme la principale société open source de l’industrie, mais c’est une distinction dénuée de sens parce qu’elle est inexacte. Alors que les revenus de Red Hat proviennent des logiciels open source que la société développe et distribue, d’autres entreprises comme Sun, IBM et Google écrivent et contribuent en réalité à beaucoup plus de code open source. Il serait temps d’arrêter de parler d’entreprises open source et de revenir à l’importance du code open source.
L’open source est de plus en plus le socle sur lequel reposent les entreprises d’internet et du logiciel. Myspace a dernièrement fait des vagues en ouvrant les sources de Qizmt, un framework de calcul distribué (qui curieusement tourne sur Windows Server) qui active la fonction « Personnes que tu pourrais connaître » du site. Mais Myspace, comme l’a noté VentureBeat, n’a fait que rattraper la récente ouverture des sources de Tornado par Facebook.
Aucun d’eux ne le fait pour marquer des points auprès des utilisateurs branchés. S’ils le font, c’est motivé par leurs propres intérêts, qui nécessitent de plus en plus souvent d’inciter des communautés de développeurs à adopter et étendre leurs propres applications et services Web.
C’est également un moyen d’améliorer la qualité des logiciels. En adoptant les projets open source d’une entreprise, puis en l’étendant à travers ses propres logiciels open source, la qualité collective de l’open source est forte et croissante, comme le note Kit Plummer d’Accenture.
C’est cette compréhension de l’intérêt qu’il apporte et la qualité qui en découle qui a fait de l’open source une architecture essentielle pour potentiellement tous les logiciels commerciaux, ce qui signifie que Red Hat et d’autres entreprises qui ne font que de l’open source ne sont désormais plus le centre de cet univers.
Le noyau Linux est composé de 11,5 millions de lignes de code, dont Red Hat est responsable à hauteur de 12 % (mesuré en termes de lignes de code modifiées). Même si l’on y ajoute le serveur d’applications JBoss Application Server (environ 2 autres millions de lignes de code) et d’autres projets Red Hat, on obtient toujours un total inférieur à d’autres acteurs.
Prenons Sun, par exemple. C’est le principal développeur derrière Java (plus de 6.5 millions de ligne de code), Solaris (plus de 2 millions de lignes de code), OpenOffice (environ 10 millions de lignes) et d’autres projets open source.
Ou bien IBM, qui a contribué à lui seul à 12,5 millions de lignes pour Eclipse, sans parler de Linux (6.3 % du total des contributions), Geronimo, et un large éventail d’autres projets open source.
Google, cependant, est la société la plus intéressante de toutes, car elle n’est pas une entreprise de logiciels en soi. J’ai interrogé Chris DiBona, responsable des programmes open source et secteur public de Google, à propos des contributions de la société dans le domaine de l’open source (NdT : Cf Tout, vous saurez tout sur Google et l’Open Source sur le Framablog). Voici sa réponse :
Au bas mot, nous avons libéré environ 14 millions de lignes de code. Android dépasse les 10 millions de lignes, puis vous avez Chrome (2 millions de lignes, Google Web Toolkit (300 000 lignes), et aux alentours d’un projet par semaine sorti au cours des cinq dernières années. Vous avez ainsi quelques centaines d’employés Google qui patchent sur une base hebdomadaire ou mensuelle.
Si DiBona se garde bien de suggérer que Google soit devenu le premier contributeur open source (« disons que nous sommes parmi les premiers »), c’est néanmoins probablement le cas, en particulier lorsque l’on considère ses autres activités open source, incluant Google Code, l’hébergement du plus grand dépôt peut-être de projets open source, avec plus de 250 000 projets hébergés, dont au moins 40 000 sont actifs, sans parler de son Summer of Code. Après tout, les lignes de code, bien que fondamentalement utiles, ne sont pas nécessairement la meilleure mesure de la valeur d’une contribution à l’open source.
En fait, Patrick Finch de la fondation Mozilla estime que la meilleure contribution de Google à l’open source n’a probablement rien à voir avec l’écriture de nouveau code :
La plus grande contribution de Google à l’open-source n’est sans doute pas du code, mais de prouver que vous pouvez utiliser Linux à grande échelle sur des machines démarquées (NdT : whitebox hardware).
C’est une étape importante, et qui souligne le fait que le label « entreprise open source » est devenu quelque peu obsolète. Google ne se présente pas, à juste titre, comme une entreprise open source. L’open source fait simplement partie de leur stratégie pour distribuer des logiciels qui vont aider à vendre davantage de publicité.
Sun a tenté de se transformer en entreprise open source, mais une fois que son acquisition par Oracle aura été finalisée, cette dernière ne va certainement pas prendre ce label. Pas parce que c’est un mauvais label, mais simplement parce qu’il n’est plus pertinent.
Toutes les entreprises sont désormais des entreprises open source. Ce qui signifie aussi qu’aucune ne l’est. L’open source est simplement un élément parmi d’autres de la politique de développement et de croissance de ces entreprises, que l’on s’appelle Red Hat, Microsoft, Google ou Facebook.
Et étant donné que les entreprises du Web comme Google n’ont pas besoin de monétiser directement l’open source, on va en fait avoir l’occasion à l’avenir de voir encore plus de code open source émerger de la part de ces sociétés que ce qui a déjà été réalisé par ces traditionnelles « entreprises de logiciels open-source » que sont Red Hat, Pentaho ou MySQL.
Jules
"Firefox, bouffé par Chrome ? Ubuntu, court-circuité par Chrome OS ?"
Ce serait marrant puisque Google est la principale source financière de Mozilla et que Canonical participe au projet Chrome OS 🙂
La période est plus complexe mais aussi bien plus passionnante.
voz
Depuis des années tous les stratèges de l’industrie informatique répètent en boucle que Linux ne pourra jamais percer auprès du grand public. Google prouve le contraire.
Que dire ? Bravo ?
Valentin Villenave
Jules: À ce sujet précisément, la communauté Buntfu conseille à Ubuntu et Mozilla de faire alliance dare-dare (avec l’exemple frappant de Microsoft et Sega, ce qui me paraît quand même légèrement tiré par les cheveux 🙂 : http://www.buntfu.com/news,page,78,…
Valentin Villenave
voz: Ce n’est pas un noyau (Linux) qu’il s’agirait de promouvoir, mais un système d’exploitation entier (GNU/Linux ou autre). Google prouve ce que beaucoup savaient déjà, mais en ajoutant des couches complètement verrouillées par-dessus le noyau Linux utilisé ; c’est particulièrement vrai dans Android, qui est très difficilement hackable, quant à Chrome OS par défaut l’utilisateur n’a absolument aucun contrôle sur ce qui se passe sur son système d’exploitation (et encore moins sur les applications, qui sont entièrement gérées par le Web).
Donc, au mieux ce n’est qu’une demi-victoire, comme Matt Asay oublie de le mentionner (mais il est vrai que la notion de Liberté n’a jamais fait partie de ses priorités).
tatajeanine
J’ai entendu que Microsoft était devenu un gros contributeur du noyau Linux (à cause de ses outils de Virtualisation) .
Qui pourrait me dire à quel rang il se situe (pour la contribution au kernel uniquement)
Etenil
@tatajeanine: le module de Microsoft fait je crois 15000 lignes, donc très loin des autres.
Ce qui passe de travers dans tout ceci est la propension qu’à Google à pousser l’Internet vers le Minitel 2.0. Tout est chez eux, tout est centralisé, les gens ne pensent que par google; on ne dit même plus "Tiens je vais chercher la recette de la dinde aux marrons." mais "Tiens je vais googler la dinde aux marrons."
Voilà qui est suffisant pour me déranger. Les emails des gens sont chez Google; bientôt, la vie des gens sera chez Google (avec Wave qui tente de remplacer le mail, twitter et facebook).
Mais où nous arrêterons-nous? Serais-je l’unique vieux con restant à coder/signer mes emails, garder précieusement mes données sur mon bon vieux disque dur? Avoir mon propre blog?
Google est peut-être le premier contributeur entreprise à l’open-source, mais une chose est certaine, il n’est pas le premier contributeur au logiciel Libre!
voz
Peut être que le sentiment de ne pas être prisonnier des services Google est illusoire. Mais il est tout même plus réel que chez Apple ou Microsoft. Il est bien plus facile de changer d’adresse mail que de système d’exploitation. Les internautes du futur vont devoir apprendre a migrer d’un service vers un autre et je pense qu’il le feront…
voz
D’ailleurs le vrai concurrent de Google n’est pas Microsoft mais Wikipédia. Preuve que les internautes peuvent lutter efficacement.
Ouf!
@tatajeanine : +1 pour ton dernier post.
En biaisant par le logiciel Open-Source, on élude la question du Logiciel Libre.
En mettant à disposition "gratuitement" des applications Open-Source mais pas Libres, on appâte la galerie.
En tissant malignement la toile Cloud Computing, on dirige peu-à-peu la galerie vers le cachot dont on a seul la clé.
Je ne dénie pas l’apport et les efforts fournis par Google, mais le danger est là qui nous guette : de l’Open-Source au Propriétaire, il n’y a qu’un seul pas à franchir, et bonjour les dégâts…
Raidenkor
Tant qu’ il y aura le Kapital, il n’ y aura jamais véritablement ni de Libre, ni de l ‘ Open-machin-chose .
Inutile de tortiller le Kul .
plf
> Serais-je l’unique vieux con restant à coder/signer mes emails, garder précieusement mes données sur mon bon vieux disque dur?
@ Etenil : Tiens c’est marrant, je commençais également à me sentir un peu seul. Un peu amer aussi, de m’être laissé berner par les beaux discours de certains branchouilles libropportunistes. Windows, Ubuntu, Google. Terminus, tout le monde descend.
N’oubliez pas de cliquer sur l’icône wikio avant de sortir. Merci.
plf
@ Raidenkor : Tant qu’il y aura la banKise, il y aura des Kréatifs Kulturels.
ROFL
voz
C’est vrai que l’on peux se poser la question de l’intérêt de pousser le LL jusqu’au grand public.
Il suffit d’un petit % d’utilisateurs et de programmeurs pour que le mouvement fonctionne parfaitement. Il est clair que si le grand public devait s’en mêler, le LL tel qu’on le connait aujourd’hui serait, d’une certaine façon, dissout…
plf
N’était la soif de reconnaissance.
fazer1000
le tout en ligne ne concerne que 20% de l’humanité …venez voir en Afrique ou en Asie et la, vous constaterez que XP ou Linux sont très loin d’êtres morts (probabilité de fibre optique dans 50 ans soit 5 ans après l’arrivée promise de l’électricité partout !… et je ne parle même pas du téléphone (autre que cellulaire) ni de l’ADSL).
A Bamako (capital du Mali) une connections 256 Kb c’est dément de vitesse … ( – les coupures électrique)
restouble
Google n’est pas une œuvre de charité, ils ont bien compris que le soft ne ce vend plus c’est le service qu’il faut vendre. Et les LL sont bien pratiques pour cela. Pour moi Google fait au contraire reculer le libre (ou l’esprit du libre) en l’utilisant comme support de pub en s’affichant sur tout support et sur tout matériel. Android n’apporte rien de plus que les bonnes distrib GNU/linux, Chrome n’apporte rien face à un firefox sauf bien sur la marque Google partout.
sevecxjo
"Don’t be evil"…
Google deviendra crédible quand il libérera tout son code, et utilisera sa page d’accueil pour faire de la pub pour des services concurrents d’informatique nuageuse, et contribuera à faire naître sa propre concurrence. Maintentant Google doit faire un geste de bonne volonté. A eux de voir, qu’ils inventent un truc, une autogestion d’entreprise intégrant les salariés et les utilisateurs, et s’inspirant en partie des expériences de démocratie directe, et en partie d’expérience d’intelligence collective et de méritocratie . Bref on peut rêver. En fait on doit rêver, c’est vital. La question qui se pose, c’est seulement de savoir comment se positionnera Google.
Je ne me souviens pas d’avoir jamais cliqué sur une de leur publicité. Je n’ai pas encore la chance d’entrer dans une cible marketing 🙂 Mais je suis déjà google addict (j’ai même pris les 80go à 15€ l’année), mais on peut aussi faire pression de l’intérieur, peut-être autant qu’en boycottant. Si un concurrent plus éthique et interopérable point le bout de son nez, j’adhère.
Bon, mais faut pas désespérer. On vend la peau de l’ours Microsoft avant de l’avoir tué. Le logiciel libre est encore très loin d’avoir gagné la partie, sans parler du libre en général. Il faut garder en tête l’utopie du libre : lorsqu’il dépassera, domaine par domaine, une certaine masse critique – qu’il s’agisse de logiciel, d’art, de recherche, d’éducation, d’agriculture, d’art, d’administration, de médecine, etc, etc, etc… – ça aidera à changer les mentalité, le paradigme sociétale, et toussa.
C’est ça, finalement que je reproche le plus à Google, de tuer involontairement la naissance d’une utopie vitale à notre époque : la partage du savoir, la coopération, la convivialité enfin retrouvée, la fin de la course au profit, la fin du pouvoir des géants économiques… Liberté ou féodalisme, camarade Google, choisis ton camp !
M’enfin, j’avoue que je me suis un peu laissé surprendre par les dernières évolutions des usages informatiques, et que je ne m’amuse plus à tenter des prédictions. La seule certitude que j’ai encore, c’est que tant qu’il y a de interopérabilité, il y a de l’espoir, et le futur reste ouvert 🙂 Bon réveillon à Framasoft, picolez pas trop :-p
O-Mann
Google contributeur open-source, mais quel respect des utilisateurs?
>> Est-ce que Framasoft est obligé de donner à Google toutes les infos sur ses visiteurs? PhpMyVisitors et Piwik on l’air pas mal…
Edit aKa : Problème à l’affichage à cause d’un code javascript du coup supprimé (le script de Google Analytics présent sur le Framablog et cause de la critique de ce commentaire).
Simon Leblanc
@O-Mann : la réponse à ta question a été donné par pyg sur le forum de framasoft il y a quelques temps. Elle est toujours d’actualité donc : http://forum.framasoft.org/viewtopi…
thibsert
"Don’t be Evil" Google
"La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas." Beaudelaire.
Pas très constructif je sais, mais l’occasion était trop belle…
NicoG14
Peut-être qu’après l’open source, il va être nécessaire d’inventer l’Open Datas avec quelque chose du genre :
– Toute donnée personnelle appartient exclusivement à son propriétaire.
– Toute utilisation d’une donnée ne peut se faire sans l’accord de son propriétaire (pub, marketing, états, …)
– Le propriétaire a le droit de consulter et modifier tout élément de ses données (je ré-invente la CNIL 😉 )
– Le propriétaire a le droit d’exiger la suppression totale de ses données (et non pas une simple désactivation à la Facebook).
– Le propriétaire a le droit de récupérer l’intégralité de ses données dans un format lisible (là je crois que google est justement actif sur le sujet).
Ceci aussi parce que j’ai l’impression que le problème n’est plus du côté du soft et du code : celui qui est curieux fera mieux avec Linux qu’avec Windows. La question est l’hébergement, linux peut être gratuit car la copie de code ne coûte rien ou pratiquement rien, mais la gestion de fermes de serveurs – nécessaire avec le cloud – peut devenir très coûteuse. Il faudra peut-être accepter de verser des contributions en espèce, un peu comme on fait avec wikipédia …