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La plus célèbre et la plus diffusée de toutes les licences libres, la GNU General Public License, est sur le point de sortir sa troisième version (la GPL v3). Ce sera un événement majeur dans la sphère plus si petite que cela du logiciel libre. Il faut dire que la version précédente, c’est-à-dire la version officielle actuelle pour quelques jours encore, remonte à 1991, Cette remarquable longévité témoigne de son efficience et de sa stabilité mais il fallait bien lui apporter quelques révisions car dans l’intervalle, le développement d’internet, les DRM, les brevets logiciels, le cas exemplaire de TiVo, l’accord Novell Microsoft… de l’eau avait coulé sous les ponts du monde numérique et la nouvelle donne impliquait aussi de nouvelles menaces.
Nous sommes désormais dans la dernière ligne droite d’un long processus de maturation discussion qui aura connu ses difficultés et ses controverses. Ainsi, en septembre 2006, lors de la mise en ligne du deuxième brouillon de cette troisième version, Linus Torvalds en personne menaçait de ne pas faire passer le noyau Linux sous GPL v3 mais de rester sous GPL v2 ce qui aurait inévitablement engendré une crise au sein de la communauté.
Le troisième et dernier brouillon de la GPL v3 (faut suivre !) vient de sortir et, bonne nouvelle, il semble qu’il ait plutôt rassuré Torvalds. Un article de Linux.com par Bruce Byfield fait le point en résumant les avis et positions de Richard Stallman (en quelque sorte le papa de la GNU GPL), de Linus Torvalds (en quelque sorte le papa de GNU/Linux) et d’un représentant de Novell (le papa de ses enfants).
Traduction (n’hésitez pas à en proposer des améliorations dans les commentaires).
Stallman, Torvalds, and Novell comment on GPLv3
Jeudi 29 mars 2007 – Bruce Byfield
Les commentaires à propos de la troisième version de la GNU General Public License (GPLv3), sortie hier, continuent d’affluer. Jusque là nous avons parlé avec le fondateur de la Free Software Foundation : Richard M. Stallman, le créateur de Linux : Linus Torvalds et le directeur des relations publiques de Novell : Bruce Lowry. Leurs réactions apportent de nouvelles perspectives et laissent entrevoir un possible premier pas vers un consensus. Ensemble, ils mettent en avant les points qui monopoliseront sûrement les discussions à propos de cette version dans les jours à venir.
Richard Stallman
Richard Stallman n’a pas pris part à la consultation autour de la GPLv3. A la place, il a quitté son poste de consultant au Software Freedom Law Center pour se concentrer sur les problèmes qui avaient été soulevés. Le processus, qui a duré presque deux ans pour lui, a représenté "pas mal de travail" dit-il. Cependant il ajoute "Je ne vois pas comment on aurait pu l’éviter. Beaucoup de problèmes que nous n’avions pas anticipés ont été soulevés".
Pour Stallman, la GPLv3 fait partie de l’évolution constante de la licence pour empêcher les tendances technologiques et légales de nuire aux principes du logiciel libre. "Avec la GPLv1 je voyais deux moyens pour quelqu’un de rendre un logiciel libre vraiment propriétaire" dit-il. "L’un était par l’ajout de termes supplémentaires à la licence, l’autre moyen était de ne pas publier la source. Donc la GPLv1 a rendu ces deux choses impossibles. Ensuite, en 1990 j’en ai trouvé un autre : les détenteurs de brevet pouvaient faire pression sur les développeurs et leur imposer des conditions plus restrictives sur l’utilisation du logiciel. Alors la GPLv2 a ajouté la Section 7, selon laquelle soit vous distribuez votre produit avec toutes les libertés liées à la GPL soit vous ne le distribuez pas, peu importent les conditions qui vous sont imposées. Actuellement nous avons découvert deux autres manières pour rendre un logiciel libre vraiment propriétaire : l’un d’entre eux est la TiVoisation (NdT : en rapport avec les enregistreurs numériques TiVo aux Etats-Unis) et l’autre est l’accord Novell-Microsoft, donc nous essayons de bloquer les deux. Et à chaque fois que nous découvrirons ce qui constitue une menace pour les libertés des utilisateurs nous essaierons de la bloquer."
Stallman dit que le dernier énoncé couvrant l’accord Novell-Microsoft a été achevé moins de cinq jours avant la sortie de la troisième version. L’astuce, dit-il, était d’écrire le langage dans la Section 11 afin de ne pas écarter de tels accords comme les licences partagées entre plusieurs sociétés qui incluent un engagement mutuel sur les brevets ou un arrangement avec ce qu’il appelle les "trolls des brevets", ces sociétés qui obtiennent des brevets et font leur beurre sur des litiges ou par des menaces de procès. A contre cœur il a accepté d’ajouter une ultime phrase qui consacrerait l’accord Novell-Microsoft, mais il dit "J’espère qu’on en arrivera pas là". Le maintien de cette phrase dépend, d’après lui, des commentaires de la communauté sur cette version.
Après le lancement de la GPLv3, Stallman prévoit une révision de la GNU Free Documentation License et de l’Affero GPL, une licence créée pour les logiciels proposés comme services Web. Malgré les efforts d’internationalisation de la GPLv3, il ne s’attend pas à voir de traductions officielles de la licence dans d’autres langues. "Ça serait bien d’avoir des versions officielles", dit-il, "mais c’est aussi très risqué. Je suis très peu enclin à prendre ce risque."
A propos de l’opposition d’opinion entre l’open source et les logiciels libres, que la GPLv3 a souvent accentués, Stallman dit qu’ils font tous les deux partie de la communauté du logiciel libre. Cependant, en se référant aux défenseurs de l’open source, il dit : "Tout le monde n’accorde pas le même prix à la liberté. Quand on donne la liberté aux gens de choisir leur propre opinion, ils ne tomberont pas tous d’accord." En même temps, Stallman dit qu’il pense qu’un consensus sur l’adoption de la GPLv3 est essentiel, car "les projets sous GPLv3 protègent les utilisateurs de nouvelles menaces contre leur liberté. Si la GPLv3 n’est pas largement adoptée, ou si de nombreux programmes restent sous GPLv2, alors ces programmes seront vulnérables à de nouveaux types d’attaques. Par exemple, si Linus (Torvalds) ne se convertit pas à la GPLv3, alors les utilisateurs de Linux seront vulnérables à la TiVoisation. C’est un problème important.
"Quand le but d’un programme est de vous limiter, le rendre plus puissant et fiable dans ce qu’il fait est pire. C’est donc une erreur de dire que l’obtention de logiciels plus puissants et fiables est un but" comme le maintient le point de vue de l’open source. Au contraire, "le but du mouvement des logiciels libres est de vous donner le contrôle du logiciel que vous utilisez. Ensuite, si vous voulez le rendre plus puissant vous pouvez y travailler." Malgré cela, Stallman garde quelques espoirs. Il remarque, par exemple, que les défenseurs de l’open source ne partagent pas tous le même avis. Il montre Sun Microsystems comme exemple d’une société dominée par la pensée open source et qui envisage d’embrasser la GPLv3 pour des raisons qui lui sont propres.
Linus Torvalds
Quand la deuxième version de la GPLv3 a été publiée, Linus Torvalds a été l’un de ses critiques les plus francs. Bien qu’il insiste sur le fait qu’il ne donne qu’une opinion rapide sur la GPLv3, et qu’il pourrait changer d’avis à mesure qu’il l’étudie plus en détail, sa première réponse à la troisième version donne un accord nuancé.
"Est-elle meilleure ?" demande Torvalds rhétoriquement. "Et de loin ! Mais elle a été limité de manière qui la rendent plus saine au moins. Je devrai y réfléchir. Le langage employé est plus clair et meilleur que celui de la GPLv2 à bien des égards et de nombreuses zones que j’aurai qualifiées d’"absurdité évidente et complètement idiote" ont soit été améliorées soit complètement retirées."
Torvalds approuve la reformulation et les clarifications des termes ajoutés dans la Section 7, suggérant que la troisième version rende la double licence plus simple dans des cas particuliers. Il ajoute : "l’absence totale de nouvelles restrictions est un soulagement énorme et rend la licence bien plus utile".
"Je ne suis pas certain que l’accord Novell (avec Microsoft) méritait tant d’attention", dit Torvalds, en référence à la Section 11 de la version. Cependant, il dit : "Je pense effectivement que ce sujet (plutôt que l’hystérie autour des DRM) était potentiellement une bien meilleure incitation à écrire la GPLv3 de prime abord."
La Section 6 autour de l’anti-TiVoisation couvre déjà cette "hystérie des DRM". A propos du langage tenu dans cette section de la version actuelle, qui remplace une interdiction complète des technologies restrictives et les logiciels espions par l’obligation d’inclure leur code source : "Il prétend toujours contrôler non seulement le logiciel, mais aussi le matériel ou l’environnement sur lequel le logiciel est installé. Je trouve ça odieux, mais le langage est bien meilleur, et ils (la FSF) semblent avoir réalisés que leurs anciennes versions étaient insensées (c’est-à-dire qu’ils disent clairement que si quelque chose est créé pour ne pas recevoir de mise à jour il n’y a pas de raison qu’il demande des ‘informations d’installation’ et des clés). Le fait de limiter les choses aux ‘dispositifs pour utilisateurs’ permet aussi de se débarrasser d’un grand nombre de problèmes idiots présents dans les versions antérieures de la GPLv3. "Sous cette nouvelle forme je pense que la GPLv3 devient au moins une alternative viable à la GPLv2. Je dois encore la lire en entier quelques fois et laisser les choses se décanter mais intérieurement, après l’avoir lue une première fois, je sens au moins que je n’ai plus cette impression de ‘Je n’aurai jamais choisi cette licence si je devais commencer un projet.’"
Novell
Représentant Novell, Bruce Lowry a refusé de fournir une réaction détaillée à cette version, apparemment pour réserver les commentaires officiels pour la version finale. Cependant il indique rapidement que "Rien dans cette nouvelle version de la GPLv3 ne réduit la capacité de Novell à inclure des technologies sous licence GPLv3 dans SUSE Linux Enterprise, openSUSE et d’autres offres open source, ni maintenant ni dans le futur."
Lowry dit "Nous sommes fermement décidés à poursuivre le partenariat avec Microsoft et ce, comme nous l’avons toujours fait, en total accord avec les termes des licences des logiciels que nous proposons, logiciels sous licence GPLv3 compris. Si la version finale de la GPLv3 a un impact potentiel sur l’accord que nous avons avec Microsoft, nous réglerons ça avec Microsoft." Lowry décrit Novell comme un "soutien fort au logiciel libre et à l’open source" et comme un "donateur important pour un grand nombre de logiciels libres et de projets open source."
Un avant goût des mois à venir
Stallman, Torvalds et Novell attendent de voir ce qui va se passer et la version finale de la licence avec de s’engager pleinement. Cependant, leurs commentaires mettent en avant les problèmes autour desquels tourneront les discussions dans les trois prochains mois à mesure que la GPLv3 s’approche de sa version finale. Malgré des efforts évidents de la part de chacun pour éviter les conflits et malgré quelques signes encourageants, le consensus est encore loin d’être atteint, mais l’adhésion générale à la GPLv3 semble déjà plus probable qu’il y a six mois.
Bruce Byfield est un journaliste informatique qui écrit régulièrement pour Newsforge, Linux.com et IT Manager’s Journal.
Baptiste
Deux idées de traduction :
"A propos du langage tenu dans cette section de la version actuelle, qui remplace une interdiction complète des technologies restrictives et les logiciels espions par l’obligation d’inclure leur code source : "Il prétend…"
A propos(…)code source, Torvalds ajoute : "Il prétend…"
"c’est-à-dire qu’ils disent clairement que si quelque chose est créé pour ne pas recevoir de mise à jour il n’y a pas de raison qu’il demande des ‘informations d’installation’ et des clés"
(…)pas de raison de demander des informations(…)