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Le logiciel libre : on y vient pour le prix, on y reste pour la qualité, ironise Nat Torkington dans cette traduction issue de site d’O’Reilly. Sachant que nous traversons actuellement une période difficile où les investissement se font plus rares (et donc plus tâtillons), n’y a-t-il pas là comme une opportunité pour le logiciel libre ? Et d’ailleurs il faudrait peut-être aussi se mettre d’accord car il s’agit bien plus d’économie ici que de liberté. Donc je reformule la question : n’y a-t-il pas là comme une opportunité pour l’Open Source ?
C’est le sujet du jour. L’article est certes américano-centrée mais la crise l’était également au départ, ce qui ne nous a pas empêché d’être nous aussi touchés[1].
Conséquences de la crise sur les technologies
Effect of the Depression on Technology
Nat Torkington – 7 octobre 2008 – O’Reilly Radar
(Traduction Framalang : Olivier, Daria, Don Rico)
Voici comment je vois les choses : emprunter de l’argent devient coûteux et difficile, et ce n’est pas près de changer puisque la dette des États-Unis progresse au lieu de diminuer, entraînée par la guerre en Irak et par notre dépendance aux produits chinois qui n’est pas réciproque. Et tout ceci s’accumule dans une période qui est déjà difficile pour les affaires aux États-Unis depuis au moins trois ans, voire plus. En partant de ce constat, il est possible de faire une tentative de prévision de ce que nous réserve l’avenir (en gardant à l’esprit que chaque jour apporte son lot de nouvelles révélations concernant l’état inquiétant de la finance mondiale, notre boule de cristal est donc, au mieux, trouble).
En premier lieu, l’innovation profitera de la récession, parce que c’est ce qui se produit en général. Durant les périodes de forte croissance, les entreprises limitent la recherche et développement et gâchent de grands talents à n’apporter que des améliorations minimales aux produits dernier cri. Les entreprises sont douées pour s’équiper en nouveautés, mais elles sont souvent médiocres dès qu’il s’agit d’en concevoir. En temps de crise, les technologues ne sont plus payés des mille et des cents pour répliquer le travail réalisé par d’autres. L’explosion de la bulle Internet en 2001 a donné naissance à 37Signals, Flickr, del.icio.us, et l’on peut avancer sans crainte de se tromper que de nombreuses entreprises ont depuis passé six ans à suivre le mouvement.
En deuxième lieu, la crise profitera au libre et à l’Open Source à cause du manque de liquidités. La dernière crise a fait entrer les systèmes d’exploitation Open Source dans les mœurs (petite note pour les plus jeunes d’entre vous : il fut un temps où il n’était pas forcément bien vu d’utiliser Linux dans un service informatique) car ils offraient le meilleur rapport qualité/prix, et de loin. J’aime utiliser l’expression « Venez pour le prix, restez pour la qualité ». Cette crise affectera peut-être le même des logiciels (CRM, finance, etc.) hauts placés dans la chaîne. (En revanche, je ne m’avancerai pas à prédire que 2009 sera l’année du bureau Linux).
Troisièmement, les services Open Source et le cloud computing profiteront de la conjoncture économique actuelle, laquelle favorisera les dépenses de fonctionnement sur les dépenses d’investissement. Il sera presque impossible d’emprunter de l’argent pour acheter du matériel ou une licence logicielle importante. Adopter un logiciel Open Source est gratuit, et les services qui y sont associés font partie des dépenses de fonctionnement et non des dépenses d’investissement. De même, le cloud computing permet à une entreprise de payer peu pour se servir des investissements énormes effectués par quelqu’un d’autre. À en croire les rumeurs, il semblerait que Microsoft soit prêt à sortir Windows Cloud juste à temps. Ce n’est pas demain la veille que d’autres entreprises installeront de nouveaux centres de données, car les temps où des investisseurs aux fonds inépuisables couvraient ce genre de frais énormes sont révolus et ne reviendront pas avant un certain temps.
La plupart des logiciels clients auront du mal à se vendre tant que le dollar sera aussi bas et que le pays continuera de déverser tout son argent à l’étranger. Ce n’est pas une bonne chose, mais cela ne signifie pas qu’il sera impossible d’engranger des bénéfices, il suffira de proposer quelque chose qui réponde à un réel besoin des consommateurs. Des logiciels comme Wesabe trouveront un nouveau public en temps de crise (NdT : O’Reilly est un investisseur de Wesabe). L’heure n’est pas aux acquisitions spéculatives, attendez-vous à voir un retour aux sources comme on y a assisté (brièvement) après l’éclatement de la bulle Internet en 2001. Désolé, mais vos rêves de trouver acquéreur pour votre réseau social de collectionneurs de cure-dents devront patienter jusqu’en 2013 et un éventuel retour de l’argent employé à tort et à travers.
Comme le dit Phil Torrone, on aura plus de temps que d’argent, ce qui est profitable aux logiciels Open Source, mais cela favorisera aussi un nouvel intérêt pour les objets et le matériel informatique qui nous entourent, inspiré par le magazine Make. Les rencontres que nous avons créées (Ignite, hacker meetups, coworking spaces, foo/bar camps), qui ne coûtent pas grand chose mais qui ont une portée importante, vont se multiplier, alors que les grosses conférences pâtiront de cette période de vache maigre. La killer app du futur proviendra peut-être de l’un de ces bidouilleurs qui emploiera son temps libre à combler un manque.
Telle est ma vision du monde et des conséquences de la crise. Quel est votre point de vue ? Qu’est-ce qui m’échappe ? Faites-moi part de votre opinion dans les commentaires – le commentaire le plus perspicace vaudra à son auteur un aimant « Head first SQL » qu’il pourra coller sur son frigo.
nookie
Au final, tu parles de logiciel Open source ou Libre? D’importantes différences les séparent…concernant leur potentiel prix, les restrictions qu’ils peuvent véhiculer, je ne te ferai pas de cours la dessus 🙂 Je ne pense pas que tes dires puissent s’adapter aux deux écoles.
Je pense que de plus en plus de personnes se rendent compte que le modèle "entreprise qui vend du gros logiciel" ne tient plus trop debout(aidés par framasoft et d’autres 🙂 ). Nous en voyons maintenant plus facilement les paradoxes, par exemple de tellement restreindre leurs produits qu’ils en deviennent inutilisables (did you heard about vista?), ou encore de vouloir forcer l’utilisateur à utiliser la nouvelle version de son OS en retirant les licences XP du marché…
Le modèle communautaire attire pas mal les entreprises, il attise leur opportunisme. Profiter du travail de centaines de bénévoles qui font ça pour le plaisir et qui ne raleront pas. Je pense à sun ou google ou même free qui se régalent de cette entraide car ils limitent leurs couts de développement tout en se donnant bonne figure en réinjectant un poil de cheveux dans le mouvement du libre…
Personnellement je pense que nous allons assister à une séparation entre l’activité humaine et la notion d’argent. Ou du moins, je l’espère. Je ne crois pas vraiment que nous allons assister à un retour aux sources. Je vois bien un agrandissement considérable de l’espace public, remplit et géré par…nous les individus autonomes. La notion de vente de service ne fait pas fière allure devant la collaboration entre particuliers et l’autonomie apportée par les technologies faites par et pour les citoyens libres.
Peut être que je délire et que je suis à coté du sujet. Ca me fait néanmoins du bien de penser tout ça. Et pour répondre brievement à la question qui fait office de titre à ce billet : oui la crise aide la prise de conscience. La prise de conscience entraine la réflexion, le mouvement, renforce la liberté.
Mysanthropian
En accord avec nookie, c’est un processus qui a commencé. La technologie est déjà utilisé comme un soutien à l’activité professionnelle. Professionnel du web, je me réfère énormement aux valeurs qui émanent du logiciel libre et de l’open source pour mon travail. Nos brainstorming nous on ainsi amené à reconnaitre que l’open source et le logiciel libre (sur le plan philosophique) sont le coeur du web. C’est à dire que les comportements sont libéraux, l’individu est libre de faire ce qui lui plait dans le respect des autres. Au delà de la loi, c’est une coutume qui s’impose et qui respecte l’individu à part entière.
La percée du libre et de l’open source va en vérité servir à rendre la technologie plus fonctionnelle, là où de grands noms comme Microsoft ou Apple (que j’aime bien malgré tout) se sont essentiellement concentré sur l’oisiveté et le gadget, les communautés open source apportent des outils ouverts que nous pouvons améliorer dans le respect des chartes qui définissent cette façon de penser.
La société humaine est à un tournant de son Histoire, et ça c’est une bonne chose. Je trouvais que nous étions en train de nous détruire et de pourrir. Remarquez que ceux qui sont le plus positif et pragmatique concernant l’état du système sont quand même ceux qui touchent à l’Open Source… il faudrait écrire un article là dessus aKa, je serais curieux de connaitre ton opinion.J’ai regroupé autour de moi plusieurs personnes de tout milieu (élite ou populaire) et nous fondons en ce moment une association construite sur le modèle des réseaux sociaux pour permettre au plus grand nombre de notre région (et pourquoi pas un jour sur le plan national) de raisonner différemment vis à vis de la technologie. De ne plus la considérer comme un instrument exclusif au grand groupe, mais comme un outil d’évolution professionnelle et personnelle certains. Et j’ai cru comprendre que d’autres structures se montaient avec le même objectif.
Cordialement
Antonin
C’est tellement vrai ce que vous dites Mysanthropian et nookie.
"Personnellement je pense que nous allons assister à une séparation entre l’activité humaine et la notion d’argent."
Je le pense aussi. Certains vont commencer à s’apercevoir que l’argent n’est qu’un moyen pour accéder à des ressources et non une fin en soit. L’activité humaine est créatrice de richesse MEME quand ces dernières sont accessible à tous.
Charlie
Salut,
Je suis très interrogatif sur les (hypo)thèses publiées ici de Nat Torkington.
En premier lieu, dire que "l’innovation profitera de la récession, parce que c’est ce qui se produit en général" est l’exemple typique de ce que l’on appelle un raisonnement par induction.
Karl Popper remarquait très justement que si aucun être humain ne peut échapper au raisonnement par induction en ce que nous ne pouvons pas faire autrement que de nous référer à notre vécu, à nos "patterns" sous-jacents antérieurs, à notre manière de percevoir le monde, il était néanmoins préférable, afin de nous prémunir des pièges logiques causés par le raisonnement par induction, de les formuler sous la forme d’hypothèses, de conjectures pouvant être testées et réfutées.
Aussi, rien ne permet d’extrapoler et d’affirmer avec certitude, à moins de pratiquer la méthode Coué, que l’innovation profitera de la récession.
De plus, tout dépend de ce que l’on appelle "innovation" ? Innovation ne signifie pas toujours progrès humain, voir par exemple les chimères génétiques brevetables ; ce qui nous entraîne sur un autre débat.
En deuxième lieu, rien ne permet d’affirmer non plus avec certitude que la crise profitera à l’"open source", terme également des plus flous. En tant que prestataires de services, les entreprises du Libre sont liées à l’"économie réelle". Elles devront donc tenir le coup pour continuer d’exister sur le marché. Or, en période de récession, il y a moins de clients.
Rien ne permet de garantir avec certitude que les entreprises du Libre ne vont donc pas également pâtir de la crise de l’économie dite réelle qui succède à la crise financière.
Troisièmement, ce qu’oublie Nat Torkington c’est que les entreprises comme Microsoft, Dassault Système, etc, qui ont engrangé une gigantesque masse de trésorerie, sur un modèle d’économie de rente, où l’on pouvait générer des profits sans produire de richesses, peuvent très bien, pour garantir leur monopole, baisser les prix des licences (ce qui ne leur coûte rien), voire jouer temporairement la carte de la gratuité, tout en s’engouffrant dans les niches et les parts de marché de l’open source.
Pour autant, je partage l’avis des contributeurs précédents : l’activité humaine est créatrice de richesses. Et je pense personnellement que si, dans notre environnement naturel, ces richesses sont soumises à la loi de la rareté, dans le numérique : la croissance peut tendre vers l’infini.
Bien à vous tous.
Librement,
Charlie
Charlie
Le point de vue de Patrick Benichou PDG d’Open Wide sur
http://www.zdnet.fr/actualites/info… :
"A n’en pas douter, l’Open Source va poursuivre son ascension, et la crise économique qui s’annonce ne peut conjoncturellement qu’amplifier et accélérer ce mouvement. Les métiers d’éditeurs de logiciels et d’intégrateurs s’en trouvent profondément modifiés, et je reste convaincu que ces nouveaux modèles qui naissent autour du logiciel libre trouveront leur voie en s’appuyant sur l’innovation dans le service.".
Francois Letellier
La crise va avoir des consequences negatives sur l’activite economique en general (c’est bien la definition d’une crise, non ?) En ce sens, il est a parier que le secteur des ‘industries’ du logiciel libre patira de la crise comme tout le monde. Mais la tendance lourde reste a une augmentation de l’interet des entreprises (clientes) pour le libre – non pas comme un type de produit, mais comme un processus central du monde du logiciel. La demande continue a croitre.
Cette demande pourra-t-elle tirer l’offre ? Deux facteurs pourraient jouer en ce sens :
– les fournisseurs traditionnels bases sur un modele editeur proprietaire se posent actuellement beaucoup de questions. A l’occasion d’une perturbation de leur activite, ils pourront etre incites a revoir leur modele economique
– les investisseurs deviennent frileux. Or, les modeles economiques centres sur le libre sont souvent ‘illisibles’ pour les investisseurs. La frilosite de ceux-ci pourrait donc frapper plus durement les start-ups et societes bases sur un schema traditionnel de protection de l’innovation – et ainsi reequilibrer la donne en faveur des pure-players libres (qui avaient de toute facon peu acces a l’investissement).
Si le libre est de plus en plus central dans les processus d’innovation actuels du monde du logiciel, cela ne signifie pourtant pas necessairement que les innovations se retrouvent dans les bases de code libres. Souvent les schemas d’innovation s’appuient sur du libre, mais les aspects innovants sont portes par des produits qui ne sont pas, en eux-memes, du logiciel libre (voire pas du tout du logiciel, comme par exemple les netbooks eeepc d’Asus). Et l’innovation, dans le monde actuel, requiert… des investissements. En ce qui concerne le temps libre, il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui une majorite de contributeurs aux projets libres sont en fait… des salaries, qui participents aux projets sur leur temps de travail.
Le manque de liquidites est surtout a voir comme le manque de capacite de financement, que ce soit par le recours au credit ou par les investissements. Ce manque tend a paralyser les entreprises et a les cantonner dans des projets court-terme. Or, dans bon nombre de cas, le passage au libre (que ce soit comme utilisateur ou comme forunisseur) suppose des modifications significatives de l’activite, donc une reflexion long terme. En ce sens, la crise peut bloquer certaines entreprises dans leur ‘virage vers le libre’.
Bref, la prospective est un exercice delicat !
frédéric Paillé
Bonjour,
je souhaite juste apporter mon point de vue plus terre à terre en ce début d’année 2009. Nous sommes éditeur et intégrateur d’un CRM open source.
Ce que je peux dire c’est que depuis le début d’année (et donc depuis la crise) nous avons une demande beaucoup plus importante en ce qui concerne notre produit. Les mots clés qui amènent les internautes sur notre site sont "CRM OPEN SOURCE".
Dans tous les cahiers des charges que nous recevons, les décideurs se disent ouverts à une solution propriétaire comme open source. Ce qui les attirent souvent derrière ces mots, il faut le dire simplement : c’est le prix !
Face à la crise les entreprises qui doivent continuer d’évoluer dans un contexte difficile mettent en place des mesures de rationalisation des coûts. je pense que les décideurs ont compris que l’open source était un modèle intéressant. Les logiciels libres sont (normalement et en général) aussi performants et stables que les propriétaires. Ils sont plus modulables grâce à leur code ouvert et proposent bien sûr des coûts plus intéressants que les logiciels propriétaires.
Il y a probablement d’autres facteurs qui entrent en jeu et chacun pourra se forger sa propre opinion mais pour notre part la demande est belle est bien sur une courbe ascendante depuis la crise……et c’est tant mieux 🙂