Explorons le monde des services de Contributopia

L’aventure Contributopia a pour but de poursuivre et d’approfondir le travail entamé lors de la campagne « Dégooglisons Internet ». Pour la première année de cette campagne, nous comptons donc continuer à ouvrir des services web alternatifs… mais en nous y prenant un poil différemment.

Faire avec vous, pour faire mieux

Hors de question de reprendre le rythme effréné des années de campagne « Dégooglisons Internet » où nous avons sorti près de 10 services par an (vous pouvez vérifier, on a compté !). Durant cette première année de Contributopia, nous voulons prendre le temps dans l’élaboration et l’évolution de quatre services majeurs :

  • Framasite (et Framawiki), création de sites & pages web, blogs, wiki ;
  • Framameet, une alternative à MeetUp pour organiser des rencontres de groupes ;
  • Framapetitions, pour faire entendre ses opinions (alternative aux problèmes posés par Change.org) ;
  • Framatube, parce que YouTube est devenu incontournable, et qu’il faut trouver comment faire autrement.

Cliquez pour découvrir le monde des services de Contributopia.
Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Prendre le temps pour mettre en ligne ces services nous permettra de mieux nous impliquer. Sauf exceptions (Framadate, Framaestro, etc.), Framasoft ne développe pas les logiciels libres qui permettent d’ouvrir les services répertoriés par Dégooglisons Internet. La plupart du temps, nous y contribuons (développement de fonctionnalités, documentation, bidouilles esthétiques, traductions, etc.) puis nous les hébergeons, les tenons à jour et nous facilitons leur adoption.

Cette fois-ci, nous voulons investir encore plus de temps professionnel, et donc de l’argent qui provient de vos dons, dans la création et l’évolution de ces projets. Nous pourrons ainsi contribuer à une réflexion plus poussée autour d’outils numériques qui sont franchement sensibles. Nous pourrons aussi et surtout prendre le temps d’être à votre écoute, de vous exposer les points d’étapes et de vous impliquer dans l’évolution de ces logiciels… S’ils sont faits pour vous, autant les faire avec vous, non ?

Quatre services Contributopistes !

 

Entrons dans le vif du sujet, avec les quatre services sur lesquels nous vous proposons de contribuer cette année…

Framasite, créer des sites web aisément

 

Framasite, illustré par David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Première action de cette Contributopia, Framasite est d’ores et déjà ouvert : il suffit d’aller sur Frama.site pour contribuer à la phase de test ! Vous pouvez donc vous y créer un compte afin de produire un (ou plusieurs !) sites internet, pages web, blog, et même des wiki (ces fameux outils pour partager des connaissances de manière collaborative).

Nous reviendrons dessus en détail cette semaine sur le Framablog, mais l’idée est simple : offrir à la fois un espace d’hébergement et des outils pour faciliter l’expression de chacun·e sur la toile. Nous nous engageons à un hébergement éthique : vos contenus publiés sur Framasite vous appartiennent et les données des personnes qui les visiteront ne seront ni épiées, ni transmises, ni monétisées (c’est dans nos conditions d’utilisation !)

Basé sur les logiciels libres Dokuwiki (pour les wiki) et Grav (pour les sites, pages web, blogs…) nous savons qu’à ce jour, Framasite n’atteint pas encore son but : permettre de créer un site web aisément, même quand on ne s’y connaît pas trop. C’est normal, il est en phase de test.

Durant les semaines qui arrivent, nous allons travailler à sa simplification, tout en produisant des tutoriels selon des exemples précis (CV en ligne, blog, etc.). Ensuite, nous souhaitons faciliter le choix des noms de domaine (l’adresse web de votre Framasite). Enfin, fort·e·s des retours et suggestions que vous nous ferez, un⋅e stagiaire nous aidera à contribuer au logiciel Grav afin qu’il soit encore plus facile et pratique d’utilisation.

Framameet, se regrouper sans se faire pister

Framameet, illustré par David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Aujourd’hui, les personnes souhaitant se rencontrer de visu autour de ce qui les rassemble utilisent soit des produits Facebook (les groupes, les pages et les événements), soit MeetUp, dont la création de groupes est devenue payante. Cela signifie, au choix : forcer les gens à être sur Facebook et lui donner encore plus d’informations personnelles et collectives, ou confier à MeetUp toutes les données des personnes intéressées par une activité de groupe.

Il existe des projets dans le logiciel libre qui souhaitent se poser en alternative à MeetUp, mais nous n’en avons pas (encore) vu qui offrent toutes les fonctionnalités attendues et qui sont d’ores et déjà utilisables par le grand public. Qu’à cela ne tienne, c’est une grande devise libriste : « juste fais-le ! » Nous verrons donc qui veut nous suivre dans cette aventure pour créer ensemble une alternative libre à MeetUp qui n’exploite ni les données ni les vies numériques des personnes souhaitant se regrouper.

 

Framapetitions, s’exprimer en toute confiance

Framapetitions, illustré par David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Ah ça fait un moment qu’on en rêve, de celui-là, hein ? Déjà pendant l’été 2016, nous traduisions l’article inquiétant d’une journaliste italienne, Stephania Maurizi, sur l’exploitation financière des signataires de pétitions faites sur Change.org. Nos opinions sur le monde qui nous entoure (qui sont donc, littéralement, politiques) représentent des données sensibles. Elles valent mieux qu’une exploitation financière ou qu’un code obscur dont on ignore ce qu’il fait, non ?

Lorsque nous avons créé le service de formulaires en ligne Framaforms, nous savions qu’en bidouillant et retravaillant ce code, nous pourrions proposer un service Framapetitions, une alternative à Avaaz ou Change.org. Sauf que la différence entre un formulaire en ligne et une pétition, c’est que cette dernière peut être rejointe par des millions de personnes !

Ayant vu sur plus d’un an comment les serveurs de Framaforms tenaient la charge que représentent vos questionnaires et leurs réponses, nous sommes désormais assez confiant·e·s pour nous lancer dans la production de Framapetitions… mais nous aurons grand besoin de votre aide pour tester massivement ce service ensemble avant de le publier !

Framatube, briser l’hégémonie de YouTube

Framatube, illustré par David Revoy – Licence : CC-By 4.0

C’est un gros morceau : comment faire pour que YouTube ne soit plus aussi incontournable ? Ce réseau social de vidéos bénéficie de toute la puissance de Google… et autant vous dire qu’il en faut, des sous, des fibres et des serveurs, pour centraliser des milliards de vidéos dont certaines sont vues par des milliers (millions ?) de personnes en même temps.

Et si la solution c’était de faire autrement…? De faire non pas un énième hébergement alternatif (un « Framatube » centralisateur) mais une fédération d’hébergements vidéos, où chacun peut communiquer avec les autres ? Mastodon (une alternative à Twitter libre et fédérée) nous a montré qu’un réseau fédéré peut permettre à chaque hébergeur de choisir ses propres règles du jeu (modération, monétisation, conditions générales) tout en offrant aux utilisateur·trice·s un accès à l’ensemble du réseau.

Peertube est un logiciel libre en cours de développement, qui permet de faire la même chose pour l’hébergement de vidéos. Et il offre un gros plus : la diffusion vidéo en pair à pair. Il fait en sorte que le navigateur web de chaque spectateur·trice d’une vidéo la partage avec les autres personnes qui sont en train de la regarder, soulageant ainsi et le réseau et les serveurs qui hébergent ces vidéos.

Nous prenons le pari de financer le salaire du développeur de ce logiciel, qui jusqu’à présent menait le projet sur son temps libre, afin qu’il parvienne à une version qu’on puisse déployer à grande échelle. C’est un pari fort car nous pensons sincèrement que, une fois cette brique logicielle construite, Peertube peut révolutionner notre monde numérique, et que d’autres pourront construire par dessus.

Ainsi, Framatube ne sera pas un endroit où déposer des vidéos, mais bien le petit maillon d’une grande chaîne que nous espérons composée d’artistes, associations, collectifs, organisations et médias qui hébergeront et diffuseront leurs vidéos.

Faire mieux que dégoogliser, oui, mais ensemble !

Alors oui : « seulement » quatre services en une année, nous vous avions habitué·e·s à plus. Mais, nous espérons que vous l’aurez compris, le but de cette année n’est pas de répondre à une urgence qui pousse vers la quantité de services, mais bien à une exigence de penser ensemble des services différemment. Sans compter qu’en parallèle, nous devons prendre le temps de poser les fondations qui nous permettront de consacrer les années suivantes à l’essaimage, puis à l’éducation populaire.

Cette année est aussi une année de transition, pour nous comme pour tou·te·s celles et ceux d’entre vous qui choisiront de nous suivre dans cette aventure. Cette transition veut tendre vers la contribution. Nous devons trouver ensemble comment commencer à ouvrir les espaces nous permettant de collaborer sur les actions présentes et à venir.

Contribuons ensemble vers cette Contributopia.
Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Quitte à avoir moins d’annonces-surprises fracassantes sur le Framablog, nous essaierons de vous tenir informé·e·s des points d’étapes de chaque projet. Cela pourra se passer ici, mais aussi sur nos réseaux sociaux (Diaspora*, Mastodon, Twitter et même Facebook -_-  !) ainsi que via notre lettre d’information, afin que vous ayez l’opportunité de prendre part à cette aventure.

Le maintien des projets existants et la naissance des actions à venir restent financés par les dons. Plus de deux mille personnes nous permettent de travailler. Nous tenons à vous remercier de cet engagement nécessaire à nos côtés, et de ce soutien qui fait chaud au cœur.

Vous désirez embarquer avec nous dans ce voyage en Contributopia ?

Ça tombe bien : la voie est libre !

Pour aller plus loin




Contributopia : dégoogliser ne suffit pas

Framasoft vous invite à un voyage exaltant : explorons ensemble des mondes numériques. Des mondes où les outils informatiques se conçoivent en collaboration, où les pratiques respectueuses essaiment et pollinisent, où s’ouvrent les portes de la contribution.

Ne plus faire contre, pour faire autrement

Après avoir conclu la campagne Dégooglisons Internet, une leçon s’impose : se réduire à proposer des alternatives aux services de Google & compagnie, ce serait se perdre sur la voie du Libre. Car, d’une part, cela implique de s’épuiser dans une course à la réaction, face à des géants du Web aux jambes bien longues. Mais surtout, cela oblige à jouer selon leurs règles, donc à rester dans leur conception du monde.

Ne nous y trompons pas : derrière chaque nouveau service et produit des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), il y a une vision de la société, celle que les médias traditionnels se plaisent à qualifier de « ubérisée », celle qui fait de nous des objets de consommation. Derrière l’adage « si c’est gratuit, c’est toi le produit », il y a une vérité cruelle : les ogres dévoreurs de data de la Silicon Valley nous forcent à donner une livre de nos vies en échange de leurs outils, et nous mettent en position de devoir choisir entre notre confort et nos libertés.

Oui, c’est déprimant… mais d’autres mondes sont possibles.

Cliquez pour découvrir les mondes de Contributopia.
Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Lors des multiples rencontres et échanges avec vous, nous nous sommes rendu compte d’autre chose : des alternatives existent. Dans de nombreux domaines, des personnes agissent au quotidien avec une autre vision en tête que la société proposée par les GAFAM, NATU et autres BATX (passez votre souris sur ces acronymes pour découvrir les zolis noms derrière -_-).

Que ce soit dans des associations, des entreprises de l’économie sociale et solidaire, des regroupements, des collectifs, etc., ces personnes contribuent, chacun·e à leur manière, pour proposer des alternatives variées qui mettent au centre de leurs préoccupations les libertés et les humain·e·s.

Ce n’est donc pas une surprise si c’est auprès de ces personnes que les discours du logiciel libre et de sa culture font mouche : nous partageons ensemble des notions d’éthique, de solidarité et de contribution. Lors de la campagne Dégooglisons Internet, nous avons pu voir combien cette audience était une des plus friandes d’informations et de solutions. Voilà des personnes qui comprennent tout de suite les enjeux, et qui non seulement s’approprient les alternatives libristes, mais vont en plus les diffuser ensuite auprès de leurs réseaux. Ce n’est pas pour rien : nous rêvons, ensemble, de concrétiser d’autres utopies.

« Mais vous êtes… utopistes ? »

Eh, chiche, on répond juste : « Évidemment. » ;)…

Déjà, parce que ce n’est pas une insulte que d’être qualifié d’utopiste. Mais aussi parce que, dans le cadre des univers numériques, le mot est parfaitement approprié. Bidouillé au XVIe siècle par l’auteur britannique Thomas More, il signifie littéralement « (qui n’est) en aucun lieu. » Comment mieux décrire le travail, les interactions et les œuvres de l’esprit produites depuis nos ordinateurs, sur nos réseaux ? Les 35 membres de l’association Framasoft vivent dans 33 villes différentes : l’endroit où tous nos projets se font, en collaboration avec plus de 700 contributeurs et contributrices et de nombreuses communautés, n’est réellement en aucun lieu !

Ce que le public te reproche, cultive-le : c’est toi.
(J. Cocteau, Le Potomak, 1919)

Bon, ne faisons pas l’autruche : lorsqu’on le crache comme une insulte, c’est pour donner à « utopiste » le sens de « irréaliste ». Mais, lorsque des salles de machines traitaient des cartes perforées, n’était-ce pas irréaliste d’imaginer avoir des ordinateurs dans nos poches ? Lorsque le savoir était contraint aux pages des encyclopédies papier écrites par quelques hommes, n’était-il pas irréaliste d’imaginer que des millions de personnes contribueraient chaque jour à faire de Wikipédia une encyclopédie fiable ? Lorsque Framasoft a présenté les 30 services visés par la campagne Dégooglisons Internet, n’étions-nous pas irréalistes de croire que nous allions (presque) y arriver…?

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Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Plus qu’une utopie, la contribution fait le quotidien des communautés du logiciel libre, et de sa culture. C’est aussi bien une façon de faire qu’une manière de penser, qui est partagée avec toutes ces autres personnes qui rêvent d’autres sociétés. Nul besoin d’être militant·e du libre pour vouloir créer et agir ensemble dans le respect des libertés de chacun·e, mais les communautés du libre ont le pouvoir de façonner des communs numériques pensés pour être pratiques, solidaires et éthiques, au cœur même de leur code.

C’est là tout l’enjeu de Contributopia : trouver comment concevoir et proposer des outils qui sont pensés hors des sentiers battus et rebattus par ces entreprises-silos dont le seul but est de moissonner nos données. Nous n’imaginons pas faire cela sans travailler de concert avec nos alter-ego du monde des communs, sans approfondir nos relations avec les réseaux de l’éducation populaire ni être à l’écoute des personnes qui animent, quotidiennement, le milieu associatif que l’on connaît bien. À nos yeux, c’est en contribuant pour et avec ces personnes-là (et bien d’autres…) que les travaux des communautés du logiciel libre peuvent trouver la résonance qu’ils méritent dans la société civile.

Contributopia… Contributo… quoi ?

Contributopia, c’est notre petit bout de réponse à un problème qui picote un peu : aujourd’hui, les contributeurs les plus massifs au logiciel libre s’appellent Google, Facebook, Microsoft, Tesla, etc. Il nous semble urgent de contribuer avec d’autres réseaux et communautés, celles qui, avec nous, cherchent des alternatives à cette consommation généralisée de… de l’humain.

Lorsque, au cours de la campagne Dégooglisons Internet, nous avons mis le nez hors de notre petite bulle libriste, nous l’avons bien vu : ces alter-ego sont bien souvent déjà acquis·e·s à la culture du logiciel libre, parfois même sans le savoir. Il nous suffit d’être présent·e·s, dans l’écoute et l’échange, pour trouver des personnes qui adhèrent aux mêmes valeurs et savent convaincre leurs pairs. Or, on le sait : parler aux utilisatrices et utilisateurs de logiciels libres d’aujourd’hui, c’est trouver les contributeurs et contributrices de demain.

Cliquez pour découvrir le monde de l’essaimage dans Contributopia.
Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Contributopia, c’est aussi une déclaration d’intention : nous souhaitons continuer à tisser des liens de plus en plus privilégiés entre les communautés des libertés numériques et celles qui œuvrent dans d’autres domaines avec le même état d’esprit. Ces échanges nous renforceront mutuellement et nous changeront sûrement : nous avons encore beaucoup à apprendre (et à gagner) à écouter des personnes qui travaillent avec les mêmes intentions, dans d’autres domaines que l’informatique.

Contributopia, c’est enfin un site web, magnifiquement illustré par David Revoy (♥). Nous en profitons pour le remercier chaudement car ce formidable illustrateur libriste a mis dans cette commande beaucoup d’écoute, de chaleur, d’attention… et de talent : c’est beau, hein ? Grâce à son travail, ce site web présente sur trois ans les douze actions que Framasoft compte mener pour outiller ces personnes qui concrétisent chaque jour le monde différent dont elles rêvent, qu’elles soient libristes ou se définissent autrement.

Bon, nous annonçons douze actions, mais vous nous connaissez : rendez-vous dans trois ans pour savoir combien il y en aura en plus ! 😉

Trois mondes à explorer

Les douze actions de Contributopia s’explorent sur trois planètes, une pour chaque année.

De 2017 à 2018, nous proposerons, dans la continuité de l’aventure Dégooglisons Internet, des services en ligne, libres et respectueux de vos données :

  • Framasite : créer et héberger des sites et pages web, blogs, wiki… dont la phase de test s’ouvre à vous dès aujourd’hui ! ;
  • Framameet : favoriser réunions et rencontres, en alternative à MeetUp et aux produits Facebook ;
  • Framapetitions : faire entendre ses opinions, en alternative à Avaaz ou Change.org ;
  • Framatube : casser, ensemble, le monopole de YouTube.

Nous détaillerons ces services très prochainement sur le Framablog, car nous souhaitons aller un peu plus loin que lors de la campagne Dégooglisons Internet. Nous allons encore plus nous impliquer dans la conception de ces services, et contribuer avec vous à leur évolution ! Par exemple, la phase de test de Framasite s’ouvre à vous dès aujourd’hui. Comme d’habitude avec Framasoft, nous aimons accompagner nos déclarations d’intention avec des actions concrètes. Néanmoins, il ne s’agit plus ici de sortir un service « prêt-à-utiliser-par-quiconque », mais bien de s’enrichir de vos retours pour le faire évoluer sous vos yeux, tout en produisant des tutoriels selon les besoins exprimés. Bien entendu, nous vous en parlerons plus en détails sur le Framablog dans les prochains jours.

Cliquez pour découvrir le monde de l’Éducation Populaire dans Contributopia.
Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Pour les mondes des prochaines années, ils sont un peu plus lointains et les actions qu’ils représentent restent encore à définir ensemble, au gré des échanges que nous aurons sur le chemin…

De 2018 à 2019, nous souhaitons parcourir plus avant la planète de l’essaimage : celle où chacun·e peut acquérir et approfondir son indépendance numérique. Les noms de codes de ces projets sont CHATONS, YUNOHOST, Internationalisation (pas des services hébergés par Framasoft, hein !) et Framasoft Winter of Code.

Enfin, vers 2019 et 2020, nous désirons défricher les territoires de l’éducation populaire, avec des actions de médiation aux outils numériques, de git (outil de contribution) rendu accessible à tou·te·s, un cours en ligne pour les CHATONS et même une Université Populaire du Libre !

Pour comprendre ces intentions et mieux pouvoir en discuter avec nous au fil des rencontres, n’hésitez pas à parcourir ces mondes sur contributopia.org

Une Contributopia à rêver ensemble !

Il fallait bien partir d’une première proposition, donc voici celle que nous vous faisons sur les trois prochaines années. Contributopia est notre nouvelle campagne : à l’instar de Dégooglisons Internet, elle ne nous empêchera pas de poursuivre nos nombreux autres projets ni d’essayer de mettre en lumière et soutenir toujours plus d’initiatives libres, qui font la richesse de nos communs numériques.

Cette campagne, comme toutes les propositions faites et maintenues par Framasoft, ne vit que par votre soutien, vos échanges et… vos dons. Ce nouveau cap pour Framasoft est pour nous un gros pari : continuerez-vous de nous faire confiance et de nous soutenir, sachant que vos dons représentent près de 90 % de nos ressources ?

Néanmoins, c’est un risque que nous voulons prendre, fort·e·s de la confiance que vous nous avez apportée au fil des ans. Nous le prenons car, plus que de changer de cap, il nous semble essentiel d’élargir la route (qui reste longue) afin qu’un plus grand nombre de personnes nous accompagnent dans cette voie (qui reste libre !).

Framasoft a longtemps été considéré comme une porte d’entrée dans la culture du logiciel libre. L’avantage d’une porte, c’est qu’on peut la franchir dans les deux sens. Il est grand temps que nous proposions aussi d’être une porte de sortie, une ouverture vers ces mondes de la contribution, afin que nous les explorions ensemble.

 

La route est longue mais la voie est libre,
L’équipe de Framasoft.

 

Pour aller plus loin




Décodons le discours anti-chiffrement

La secrétaire d’État à l’Intérieur du Royaume-Uni demandait fin juillet aux entreprises du numérique de renoncer au chiffrement de bout en bout. Aral Balkan a vivement réagi à ses propos.

L’intérêt de son analyse sans concessions n’est ni anecdotique ni limité au Royaume-Uni. Il s’agit bien de décoder le discours contre le chiffrement dont on abreuve les médias majeurs, que ce soit outre-Manche ou ici même en France, comme presque partout ailleurs en Europe. Un discours qui repose sur le terrorisme comme épouvantail et sur Internet comme bouc-émissaire. Alors que s’empilent des lois répressives qui rendent légale une surveillance de tous de plus en plus intrusive, sans pour autant hélas éradiquer le terrorisme, il est urgent de dénoncer avec force et publiquement la manipulation des esprits par le discours sécuritaire. Il en va de notre liberté.

Ce travail qu’assument courageusement des associations comme la Quadrature du Net et que nous devons tous soutenir est ici plutôt bien mené par Aral Balkan qui « traduit » les déclarations de la ministre pour ce qu’elles signifient réellement : l’appel à la collusion entre le capitalisme de surveillance et le contrôle étatique de la vie de chacun.

Article original paru sur le blog d’Aral Balkan : Decrypting Amber Rudd
Traduction Framalang : hello, mo, FranBAG, goofy, Éric, Bromind, Lumibd, audionuma, karlmo, Todd

 

[EDIT] Décidément Amber Rudd est toujours prête à récidiver, comme le montre ce tout récent article de Numérama

où elle déclare en substance qu’elle n’a pas besoin de connaître les technologies comme le chiffrement pour… les interdire !

 

Amber Rudd entre les lignes

par Aral Balkan

Facebook, Microsoft, Twitter et YouTube (Google/Alphabet, Inc) viennent de créer le Forum Internet Global Contre le Terrorisme et Amber Rudd, la ministre de l’Intérieur britannique, leur demande de renoncer discrètement à assurer le chiffrement de bout en bout de leurs produits. Ne croyez plus un traître mot de ce que ces entreprises racontent sur le chiffrement de bout en bout ou le respect de la vie privée sur leurs plateformes.
PS : WhatsApp appartient à Facebook.

Amber Rudd : « les discussions entre les entreprises IT et le gouvernement… doivent rester confidentielles. » Crédit photo : The Independent

Ruddement fouineuse


La tribune sur le chiffrement qu’Amber Rudd a fait paraître dans le Telegraph (article en anglais, payant) est tellement tordue qu’elle a de quoi donner le vertige à une boule de billard. Il est évident que Rudd (célèbre pour avoir un jour confondu le concept cryptographique de hachage avec les hashtags) est tout sauf naïve sur ce sujet. Elle est mal intentionnée.

Ce n’est pas qu’elle ne comprenne pas les maths ou le fonctionnement de la cryptographie. C’est plutôt qu’elle (et le gouvernement britannique avec elle) est déterminée à priver les citoyens britanniques du droit humain fondamental à la protection de la vie privée et qu’elle cherche à mettre en place un État surveillance. Ce n’est malheureusement pas un cas isolé, comme en témoignent les récentes déclarations de Theresa May, de la Chancelière allemande Angela Merkel et d’Emmanuel Macron en faveur d’une régulation similaire à l’échelle européenne, voire mondiale.

Étant donné l’importance de ce qui est en jeu (rien moins que l’intégrité de la personne à l’ère numérique et l’avenir de la démocratie en Europe), je voudrais prendre un moment pour disséquer son article et y répondre point par point.

Petit spoiler pour ceux qui manquent de temps : la partie la plus inquiétante de son article est la deuxième, dans laquelle elle révèle qu’elle a créé le Forum Internet Global Contre le Terrorisme avec Facebook, Microsoft, Twitter et YouTube (Google/Alphabet, Inc.), et qu’elle leur a demandé de supprimer le chiffrement de bout en bout de leurs produits (souvenez vous que c’est Facebook qui détient WhatsApp) sans prévenir personne. Cela a de graves conséquences sur ce que l’on peut attendre de la protection contre la surveillance étatique sur ces plateformes. Si vous n’avez pas le temps de tout lire, n’hésitez pas à sauter directement à la partie II.

 

Partie I : entente public-privé ; surveillance de masse et contrôle traditionnel.


Amber commence par poser une équivalence entre la lutte contre la propagande publique en ligne des organisations terroristes et la nécessité d’accéder aux communications privées de la population dans son ensemble. Elle prône aussi la surveillance de masse, dont nous savons qu’elle est inefficace, et reste étrangement silencieuse sur la police de proximité, dont nous savons qu’elle est efficace.

Rudd : Nous ne cherchons pas à interdire le chiffrement, mais si nous sommes dans l’impossibilité de voir ce que préparent les terroristes, cela met en danger notre sécurité.

Traduction : Nous voulons interdire le chiffrement parce que si nous le faisons nous serons mieux armés pour attraper les terroristes.

Par où commencer ? Faut-il rappeler qu’on court plus de risques de mourir en tombant de son lit qu’en tombant sur un terroriste ? Ou que la surveillance de masse (ce que Rudd demande) est totalement inapte à enrayer le terrorisme ? (Après tout, quand on cherche une aiguille, une plus grosse botte de foin est la dernière chose dont on ait besoin.)

Voici ce qu’en pense Bruce Schneier, un expert reconnu en cryptologie :

En raison de la très faible occurrence des attaques terroristes, les faux positifs submergent complètement le système, quel qu’en soit le degré de précision. Et quand je dis « complètement », je n’exagère pas : pour chacun des complots terroristes détectés par le système, si tant est qu’il en découvre jamais, des millions de gens seront accusés à tort.

Si vous n’êtes toujours pas convaincu et pensez que le gouvernement britannique devrait avoir le droit d’espionner tout un chacun, ne vous inquiétez pas : il le fait déjà. Il a le pouvoir de contraindre les entreprises IT à introduire des portes dérobées dans tous les moyens de communication grâce à l’Investigatory Powers Act (d’abord connu sous le nom de projet de loi IP et plus familièrement appelé charte des fouineurs). Peut-être n’avez-vous jamais entendu parler de cette loi car elle est passée relativement inaperçue et n’a pas suscité d’opposition dans les rangs du parti travailliste.

Toujours est-il que vos droits sont déjà passés à la trappe. Amber Rudd s’occupe maintenant de désamorcer vos réactions pour le jour où ils décideront d’appliquer les droits qu’ils ont déjà.

Rudd : Les terribles attentats terroristes de cette année confirment que les terroristes utilisent les plateformes Internet pour répandre leur détestable idéologie et planifier des attaques.

Traduction : Nous voulons faire d’internet un bouc émissaire, en faire la source de nos problèmes avec le terrorisme.

Internet n’est pas la cause sous-jacente du terrorisme. Selon Emily Dreyfuss dans Wired, « les experts s’accordent à dire que l’internet ne génère pas de terrorisme et contribue même assez peu aux phénomènes de radicalisation. »

Emily explique :

Les chercheurs spécialisés dans le terrorisme ont remarqué que la violence en Europe et au Royaume-Uni suit un schéma classique. Cela peut donner des clés aux gouvernements pour contrer le problème, à condition d’allouer les crédits et les ressources là où ils sont le plus utiles. La plupart des djihadistes européens sont de jeunes musulmans, souvent masculins, vivant dans des quartiers pauvres défavorisés où le taux de chômage est élevé. Ils sont souvent de la deuxième ou troisième génération de migrants, issus de pays où ils n’ont jamais vécu ; ils ne sont pas bien intégrés dans la société ; quand ils ne sont pas au chômage, leur niveau d’éducation est faible. Leurs vies sont dépourvues de sens, de but.

Rudd déroule son argument :

Rudd : Le numérique est présent dans quasi tous les complots que nous mettons au jour. En ligne, vous pouvez trouver en un clic de souris votre propre set du « parfait petit djihadiste. » Les recruteurs de Daesh (État islamique) déploient leurs tentacules jusque dans les ordinateurs portables des chambres de garçons (et, de plus en plus souvent, celles des filles), dans nos villes et nos cités, d’un bout à l’autre du pays. Les fournisseurs d’extrémisme de droite abreuvent la planète de leur marque de haine sans jamais avoir à sortir de chez eux.

Tous les exemples qui précèdent concernent des informations publiques librement accessibles en ligne. Pas besoin de portes dérobées, pas besoin de fragiliser le chiffrement pour que les services judiciaires y aient accès. Tout l’intérêt, justement, c’est qu’elles soient faciles à trouver et à lire. La propagande n’aurait pas beaucoup d’intérêt si elle restait cachée.

Rudd : On ne saurait sous-estimer l’ampleur du phénomène.

Traduction : Il est impossible d’exagérer davantage l’ampleur du phénomène.

Vous vous souvenez qu’on court davantage de risques de mourir en tombant de son lit qu’en tombant aux mains d’un terroriste ? Tout est dit.

Rudd : Avant d’abattre des innocents sur Westminster Bridge et de poignarder l’agent de police Keith Palmer, Khalid Masood aurait regardé des vidéos extrémistes.

Premièrement, l’article du Telegraph dont Amber Rudd fournit le lien ne fait nulle part mention de vidéos extrémistes que Khalid Masood aurait regardées (que ce soit en ligne, sur le Web, grâce à un quelconque service chiffré, ni où que ce soit d’autre). Peut-être Rudd s’imaginait-elle que personne ne le lirait pour vérifier. À vrai dire, en cherchant sur le Web, je n’ai pas pu trouver un seul article qui mentionne des vidéos extrémistes visionnées par Khalid Massood. Et même si c’était le cas, ce ne serait qu’un exemple de plus de contenu public auquel le gouvernement a accès sans l’aide de portes dérobées et sans compromettre le chiffrement.

Ce que j’ai découvert, en revanche, c’est que Masood « était dans le collimateur du MI5 pour « extrémisme violent », mais n’était pas considéré comme une menace par les services de sécurité. » Voici donc un exemple parfait s’il en est : l’érosion des droits de tout un chacun dans notre société, sous l’effet de la surveillance de masse, n’aurait en rien contribué à son arrestation. Les services de renseignement le connaissaient déjà, mais ne le jugeaient pas menaçant.

Et ce n’est pas la première fois. D’après un article publié en 2015 dans The Conversation :

On se heurte régulièrement au problème de l’analyse et de la hiérarchisation des informations déjà amassées. Il n’est plus rare d’apprendre qu’un terroriste était déjà connu des services de police et de renseignement. C’était le cas des kamikazes du 7 juillet 2005 à Londres, Mohammed Siddique Khan et Shezhad Tanweer, et de certains des présumés coupables des attentats de Paris, Brahim Abdeslam, Omar Ismail Mostefai et Samy Amimour.

Plus récemment, les cinq terroristes qui ont perpétré les attentats de Londres et Manchester étaient tous « connus de la police ou des services de sécurité. » L’un d’entre eux apparaissait dans un documentaire de Channel 4 où il déployait un drapeau de l’État islamique. On nous rebat les oreilles de l’expression « passé à travers les mailles du filet. » Peut-être devrions-nous nous occuper de resserrer les mailles du filet et de mettre au point de meilleures méthodes pour examiner ce qu’il contient au lieu de chercher à fabriquer un plus grand filet.

Rudd : Daesh prétend avoir ouvert 11000 nouveaux comptes sur les réseaux sociaux durant le seul mois de mai dernier. Notre analyse montre que trois quarts des récits de propagande de Daesh sont partagés dans les trois heures qui suivent leur publication – une heure de moins qu’il y a un an.

Une fois encore, ce sont des comptes publics. Utilisés à des fins de propagande. Les messages ne sont pas chiffrés et les portes dérobées ne seraient d’aucun secours.

Rudd : Souvent, les terroristes trouvent leur public avant que nous ayons le temps de réagir.

Alors cessez de sabrer les budgets de la police locale. Investissez dans la police de proximité – dont on sait qu’elle obtient des résultats – et vous aurez une chance de changer la donne. Ce n’est pas le chiffrement qui pose problème en l’occurrence, mais bien la politique d’austérité délétère de votre gouvernement qui a plongé les forces de police locales dans un « état critique » :

Les forces de l’ordre ont du mal à gérer le nombre de suspects recherchés. Le HMIC (NDLT : police des polices anglaise) s’est rendu compte que 67000 suspects recherchés n’avaient pas été enregistrés dans le PNC (Police National Computer, le fichier national de la police). En outre, à la date d’août 2017, le PNC comptait 45960 suspects, où figurent pêle-mêle ceux qui sont recherchés pour terrorisme, pour meurtre et pour viol.

Au lieu de se concentrer là-dessus, Amber cherche à détourner notre attention sur le Grand Méchant Internet. Quand on parle du loup…

Rudd : L’ennemi connecté est rapide. Il est impitoyable. Il cible les faibles et les laissés-pour-compte. Il utilise le meilleur de l’innovation à des fins on ne peut plus maléfiques.

Grandiloquence ! Hyperbole ! Sensationnalisme !

Tremblez… tremblez de peur

(Non merci, sans façon.)

Rudd : C’est pour cela que j’ai réuni les entreprises IT en mars : pour commencer à réfléchir à la façon de renverser la vapeur. Elles comprennent les enjeux.

De quelles entreprises Internet s’agit-il, Amber ? Serait-ce par hasard celles qui suivent, analysent et monnaient déjà nos moindres faits et gestes ? Les mêmes qui, jour après jour, sapent notre droit à la vie privée ? Un peu, qu’elles comprennent les enjeux ! C’est leur business. Pour reprendre la fameuse analyse de Bruce Schneier : « La NSA ne s’est pas tout à coup réveillée en se disant « On n’a qu’à espionner tout le monde ». Ils ont regardé autour d’eux et se sont dit : « Waouh, il y a des entreprises qui fliquent tout le monde. Il faut qu’on récupère une copie des données. » »

Votre problème, Amber, c’est que ces entreprises n’ont pas envie de partager toutes leurs données et analyses avec vous. Leurs systèmes sont même en partie conçus pour éviter d’avoir à le faire, même si elles le voulaient : certaines données ne leur sont tout simplement pas accessibles (chez Apple, dont le business model est différent de Google et Facebook, les systèmes sont connus pour être conçus de cette façon quand la technologie le permet, mais l’entreprise a démontré récemment qu’elle est capable de livrer la vie privée de ses utilisateurs en pâture pour satisfaire la demande d’un gouvernement répressif.)

Ne vous méprenez pas, Google et Facebook (pour prendre deux des plus gros siphonneurs de données perso) se contrefichent de notre vie privée, tout autant que Rudd. Mais ce que réclame Amber, c’est de pouvoir taper gratuitement dans leur butin (et le butin, pour eux, ce sont nos données). Ils n’apprécient pas forcément, mais on les a déjà vus s’en accommoder s’il le faut.

Ce qui est plus grave, c’est que la requête de Rudd exclut l’existence même de services qui cherchent vraiment à protéger notre vie privée : les outils de communication chiffrée de bout en bout comme Signal, par exemple ; ou les outils de communication décentralisés comme Tox.chat.

Plus grave encore, peut-être : si le gouvernement britannique arrive à ses fins et met en œuvre les pouvoirs qui lui sont déjà conférés par l’Investigatory Powers Act, cela fermera la porte à ceux d’entre nous qui veulent construire des systèmes décentralisés, respectueux de la vie privée, interopérables, libres et ouverts, parce que de tels systèmes deviendront illégaux. Or l’avenir de la démocratie à l’ère numérique en dépend.

Rudd : Grâce au travail accompli avec la cellule anti-terroriste du gouvernement, nous avons pu dépublier 280000 documents à caractère terroriste depuis 2010 et fermer des millions de comptes.

Ok, donc, si je comprends bien, Amber, ce que vous nous expliquez, c’est que les mesures que vous prenez en collaboration avec les entreprises IT pour lutter contre la propagande publique des organisations terroristes fonctionnent bien. Le tout sans le moindre besoin de compromettre le chiffrement ou d’implémenter des portes dérobées dans les systèmes de communication. Mais continuez donc comme ça !

Rudd : Mais il y a bien plus à faire. Voilà pourquoi, lors de la réunion de mars dernier, les entreprises IT les plus puissantes de la planète se sont portées volontaires pour créer le Forum Internet Global Contre le Terrorisme.

Les multinationales n’ont pas à fliquer les citoyens du monde, ce n’est pas leur rôle. Elles aimeraient bien amasser encore plus de données et de renseignements sur la population mondiale, légitimer les structures de surveillance déjà en place et exercer un contrôle encore plus grand. Ça va sans dire. Mais c’est cet avenir que nous devons à tout prix éviter.

Sous prétexte de nous préserver d’un risque statistiquement négligeable, ce qui est envisagé est un panoptique mondial sans précédent. Dans un tel système, nous pourrons dire adieu à nos libertés individuelles (la liberté de parole, le droit à la vie privée…) et à notre démocratie.

Rudd : Le Forum se réunit aujourd’hui pour la première fois et je suis dans la Silicon Valley pour y assister.

Non seulement vous plaidez pour que les entreprises privées s’acoquinent avec les gouvernements pour jouer un rôle actif dans le flicage des citoyens ordinaires, mais vous faites appel à des entreprises américaines, ce qui revient à donner un sceau d’approbation officiel à l’implication d’entreprises étrangères dans le flicage des citoyens britanniques. (Merkel et Macron ont l’intention de saper les droits des citoyens européens de la même façon si on les laisse faire.)

Rudd : Les entreprises IT veulent aller plus vite et plus loin dans la mise au point de solutions technologiques susceptibles d’identifier, de faire disparaître, d’endiguer la diffusion de contenus extrémistes.

Soit ! Mais ça ne nécessite toujours pas de portes dérobées ni de chiffrement moins performant. Encore une fois, il s’agit de contenus publics.

Il faudrait un jour prendre le temps de débattre beaucoup plus longuement de qui est habilité à décréter qu’un contenu est extrémiste, et de ce qui arrive quand les algorithmes se plantent et stigmatisent quelqu’un à tort comme auteur de propos extrémistes en laissant sous-entendre que cette personne est extrémiste alors qu’elle ne l’est pas.

À l’heure actuelle, ce sont des entreprises américaines qui définissent ce qui est acceptable ou pas sur Internet. Et le problème est bien plus vaste que ça : il nous manque une sphère publique numérique, puisque les Facebook et autres Google de la planète sont des espaces privés (pas publics) – ce sont des centres commerciaux, pas des parcs publics.

Ce que nous devrions faire, c’est financer la création d’espaces publics en ligne, encourager la souveraineté individuelle, promouvoir un usage équitable du bien commun. Vous, Madame Rudd, vous êtes bien sûr à des années-lumière de ce genre d’initiatives, mais au moment où je vous parle, certains d’entre nous travaillons à créer un monde aux antipodes de celui que vous appelez de vos vœux.

Rudd : Leur attitude mérite félicitations mais ils doivent également savoir que nous leur demanderons des comptes. Cependant notre défi ne se limite pas à cela. Car au-delà des contenus pernicieux auxquels tout le monde a accès, il y a ceux que nous ne voyons pas, ceux qui sont chiffrés.

Ah, nous y voilà ! Après avoir consacré la moitié de l’article au combat victorieux du gouvernement contre l’expansion en ligne de la propagande publique des organisations terroristes, Rudd passe à son dada : la nécessité d’espionner les communications privées en ligne de chaque citoyen pour garantir notre sécurité.

Partie II : la guerre contre le chiffrement de bout en bout avec la complicité de Facebook, Microsoft, Twitter et YouTube (Google/Alphabet, Inc.)


C’est là qu’il faut prendre un siège si vous êtes sujet au vertige car Mme Rudd va faire mieux qu’un derviche tourneur. Elle va également lâcher une bombe qui aura de graves répercussions sur votre vie privée si vous êtes adeptes des services fournis par Facebook, Microsoft, Twitter ou YouTube (Google/Alphabet, Inc.)

Rudd : le chiffrement joue un rôle fondamental dans la protection de tout un chacun en ligne. C’est un élément essentiel de la croissance de l’économie numérique et de la fourniture de services publics en ligne.

Parfaitement, Amber. La discussion devrait s’arrêter là. Il n’y a pas de « mais » qui tienne.

Mais …

Rudd : Mais, comme beaucoup d’autres technologies efficaces, les services de chiffrement sont utilisés et détournés par une petite minorité d’utilisateurs.

Oui, et donc ?

Rudd : Il existe un enjeu particulier autour de ce qu’on appelle le « chiffrement de bout en bout » qui interdit même au fournisseur de service d’accéder au contenu d’une communication.

Le chiffrement de bout en bout a aussi un autre nom : le seul qui protège votre vie privée à l’heure actuelle (au moins à court terme, jusqu’à ce que la puissance de calcul soit démultipliée de façon exponentielle ou que de nouvelles vulnérabilités soient découvertes dans les algorithmes de chiffrement).

Incidemment, l’autre garant important de la vie privée, dont on parle rarement, est la décentralisation. Plus nos données privées échappent aux silos de centralisation, plus le coût de la surveillance de masse augmente – exactement comme avec le chiffrement.

Rudd : Que ce soit bien clair : le gouvernement soutient le chiffrement fort et n’a pas l’intention d’interdire le chiffrement de bout en bout.

Ah bon, alors est-ce qu’on peut en rester là et rentrer chez nous maintenant … ?

Rudd : Mais l’impossibilité d’accéder aux données chiffrées dans certains cas ciblés et bien particuliers (même avec un mandat signé par un ministre et un haut magistrat) constitue un obstacle de taille dans la lutte anti-terroriste et la traduction en justice des criminels.

Oui, mais c’est la vie. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.

Rudd : Je sais que certains vont soutenir qu’on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, que si un système est chiffré de bout en bout, il est à jamais impossible d’accéder au contenu d’une communication. C’est peut-être vrai en théorie. Mais la réalité est différente.

Vrai en théorie ? Mme Rudd, c’est vrai en théorie, en pratique, ici sur Terre, sur la Lune et dans l’espace. C’est vrai, point final.

« Mais la réalité est différente », ce doit être la glorieuse tentative d’Amber Rudd pour battre le premier ministre australien, Malcolm Turnbull, dans la course aux âneries sur le chiffrement . M. Turnbull a en effet récemment fait remarquer que « les lois mathématiques sont tout à fait estimables, mais que la seule loi qui s’applique en Australie est la loi australienne. »

Turnbull et Rudd, bien sûr, suivent la même partition. C’est aussi celle que suivent May, Merkel et Macron. Et, après sa remarque illogique, Turnbull a laissé entendre de quelle musique il s’agit quand il a ajouté : « Nous cherchons à nous assurer de leur soutien. » (« leur », en l’occurrence, fait référence aux entreprises IT).

Rudd développe son idée dans le paragraphe qui suit :

Rudd : Dans la vraie vie, la plupart des gens sont prêts à troquer la parfaite inviolabilité de leurs données contre une certaine facilité d’utilisation et un large éventail de fonctionnalités. Il ne s’agit donc pas de demander aux entreprises de compromettre le chiffrement ou de créer de prétendues « portes dérobées ». Qui utilise WhatsApp parce qu’il est chiffré de bout en bout ? On l’utilise plutôt que parce que c’est un moyen incroyablement convivial et bon marché de rester en contact avec les amis et la famille. Les entreprises font constamment des compromis entre la sécurité et la « facilité d’utilisation » et c’est là que nos experts trouvent des marges de manœuvres possibles.

Traduction : Ce que nous voulons, c’est que les entreprises n’aient pas recours au chiffrement de bout en bout.

Voilà donc la pierre angulaire de l’argumentaire de Rudd : les entreprises IT devraient décider d’elles-mêmes de compromettre la sécurité et la protection de la vie privée de leurs usagers, en n’implémentant pas le chiffrement de bout en bout. Et, pour faire bonne mesure, détourner l’attention des gens en créant des services pratiques et divertissants.

Inutile de préciser que ce n’est pas très loin de ce que font aujourd’hui les entreprises de la Silicon Valley qui exploitent les données des gens. En fait, ce que dit Rudd aux entreprises comme Facebook et Google, c’est : « Hé, vous appâtez déjà les gens avec des services gratuits pour pouvoir leur soutirer des données. Continuez, mais faites en sorte que nous aussi, nous puissions accéder à la fois aux métadonnées et aux contenus de leurs communications. Ne vous inquiétez pas, ils ne s’en apercevront pas, comme ils ne se rendent pas compte aujourd’hui que vous leur offrez des bonbons pour mieux les espionner. »

De même, l’argument de l’indispensable « compromis entre la sécurité et la facilité d’utilisation » relève d’un choix fallacieux. Une nouvelle génération d’apps sécurisées et respectueuses de la vie privée, comme Signal, prouvent qu’un tel compromis n’est pas nécessaire. En fait c’est Rudd, ici, qui perpétue ce mythe à dessein et incite les entreprises IT à s’en servir pour justifier leur décision d’exposer leurs usagers à la surveillance gouvernementale.

Pas besoin de réfléchir bien longtemps pour se rendre compte que l’argumentation d’Amber s’écroule d’elle-même. Elle demande « Qui utilise WhatsApp parce que c’est chiffré de bout en bout et non parce que c’est un moyen incroyablement convivial et bon marché de rester en contact avec les amis et la famille ? » Retournons-lui la question : « Qui s’abstient d’utiliser WhatsApp aujourd’hui sous prétexte que le chiffrement de bout en bout le rendrait moins convivial ? » (Et, tant que nous y sommes, n’oublions pas que Facebook, propriétaire de Whatsapp, fait son beurre en récoltant le plus d’informations possible sur vous et en exploitant cet aperçu de votre vie privée pour satisfaire son avidité financière et ses objectifs politiques. N’oublions pas non plus que les métadonnées – interlocuteurs, fréquence et horaires des appels – ne sont pas chiffrées dans WhatsApp, que WhatsApp partage ses données avec Facebook et que votre profil de conversation et votre numéro de téléphone sont liés à votre compte Facebook.`

Rudd : Donc, nous avons le choix. Mais ces choix seront le fruit de discussions réfléchies entre les entreprises IT et le gouvernement – et ils doivent rester confidentiels.

Traduction : Quand les entreprises supprimeront le chiffrement de bout en bout de leurs produits, nous ne souhaitons pas qu’elles en avertissent leurs usagers.

Voilà qui devrait vous faire froid dans le dos.

Les services dont Amber Rudd parle (comme WhatsApp) sont des applications propriétaires dont le code source est privé. Cela signifie que même d’autres programmeurs n’ont aucune idée précise de ce que font ces services (même si certaines techniques de rétro-ingénierie permettent d’essayer de le découvrir). Si la plupart des gens font confiance au chiffrement de bout en bout de WhatsApp c’est qu’un cryptographe très respecté du nom de Moxie Marlinspike l’a implémenté et nous a dit qu’il n’y avait pas de problème. Or, le problème avec les applications, c’est qu’elles peuvent être modifiées en un clin d’œil… et qu’elles le sont. WhatsApp peut très bien supprimer le chiffrement de bout en bout de ses outils demain sans nous en avertir et nous n’en saurons rien. En fait, c’est précisément ce que demande Amber Rudd à Facebook et compagnie.

À la lumière de ces informations, il y a donc deux choses à faire :

Regardez quelles entreprises participent au Forum Internet Global Contre le Terrorisme et cessez de croire un traître mot de ce qu’elles disent sur le chiffrement et les garanties de protection de la vie privée qu’offrent leurs produits. Ces entreprises sont Facebook, Microsoft, Twitter et YouTube (Google/Alphabet, Inc.)

Les experts en sécurité informatique ne doivent pas se porter garants du chiffrement de bout en bout de ces produits sauf s’ils peuvent s’engager à vérifier individuellement chaque nouvelle version exécutable. Pour limiter la casse, les individus comme Moxie Marlinspike, qui a pu se porter garant d’entreprises comme Facebook et WhatsApp, doivent publiquement prendre leurs distances par rapport à ces entreprises et les empêcher de devenir complices de la surveillance gouvernementale. Il suffit d’une seule compilation de code pour supprimer discrètement le chiffrement de bout en bout, et c’est exactement ce que souhaite Amber Rudd.

Rudd : Ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’il ne s’agit pas de compromettre la sécurité en général.

Ces actions compromettraient totalement la vie privée et la sécurité des militants et des groupes les plus vulnérables de la société.

Rudd : Il s’agit travailler ensemble pour que, dans des circonstances bien particulières, nos services de renseignement soient en mesure d’obtenir plus d’informations sur les agissements en ligne de grands criminels et de terroristes.

Une fois encore, ni la suppression du chiffrement de bout en bout ni la mise en place de portes dérobées ne sont nécessaires pour combattre le terrorisme. Si Rudd veut arrêter des terroristes, elle devrait plutôt cesser de raboter le budget de la police de proximité, le seul moyen qui ait fait ses preuves. Je me demande si Rudd se rend seulement compte qu’en appelant à la suppression du chiffrement de bout en bout dans les outils de communications en ligne, ce qu’elle fait en réalité, c’est exposer le contenu des communications de tout un chacun à la surveillance continue par – au minimum – les fournisseurs et les hébergeurs de ces services. Sans parler du fait que ces communications peuvent être manipulées par d’autres acteurs peu recommandables, y compris des gouvernements étrangers ennemis.

Rudd : Parer à cette menace à tous les niveaux relève de la responsabilité conjointe des gouvernements et des entreprises. Et nous avons un intérêt commun : nous voulons protéger nos citoyens et ne voulons pas que certaines plateformes puissent servir à planifier des attaques contre eux. La réunion du Forum qui a lieu aujourd’hui est un premier pas dans la réalisation de cette mission.

Je n’ai rien de plus à ajouter, pas plus que Rudd.

Pour conclure, je préfère insister sur ce que j’ai déjà dit :

Ce que souhaite Amber Rudd ne vous apportera pas plus de sécurité. Ça ne vous protégera pas des terroristes. Ça permettra aux gouvernements d’espionner plus facilement les militants et les minorités. Ça compromettra la sécurité de tous et aura des effets glaçants, dont la destruction du peu de démocratie qui nous reste. Ça nous conduira tout droit à un État Surveillance et à un panoptique mondial, tels que l’humanité n’en a jamais encore connu.

Quant aux entreprises membres du Forum Internet Global Contre le Terrorisme (Facebook, Microsoft, Twitter et YouTube (Google/Alphabet, Inc.) – il faudrait être fou pour croire ce qu’elles disent du chiffrement de bout en bout sur leur plateformes ou des fonctionnalités « vie privée » de leurs apps. Vu ce qu’a dit Amber Rudd, sachez désormais que le chiffrement de bout en bout dont elles se targuent aujourd’hui peut être désactivé et compromis à tout moment lors d’une prochaine mise à jour, et que vous n’en serez pas informés.

C’est particulièrement préoccupant pour WhatsApp, de Facebook, dont certains recommandent fréquemment l’usage aux militants.

Vu ce qu’a dit Amber Rudd et ce que nous savons à présent du Forum Internet Global Contre le Terrorisme, continuer à recommander WhatsApp comme moyen de communication sécurisé à des militants et à d’autres groupes vulnérables est profondément irresponsable et menace directement le bien-être, voire peut-être la vie, de ces gens.

P.S. Merci pour ce beau travail, Amber. Espèce de marionnette !

(Un grand merci, non ironique cette fois, à Laura Kalbag pour sa relecture méticuleuse et ses corrections.)

 

À propos de l’auteur

Aral Balkan est militant, designer et développeur. Il représente ⅓ de Ind.ie, une petite entreprise sociale œuvrant à la justice sociale à l’ère du numérique.

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(se) Dégoogliser en toute facilité

Lundi, nous vous annoncions la refonte du site Dégooglisons Internet. Aujourd’hui, nous vous proposons un petit tour des co-propriétaires (ben oui : il est sous licence CC-By-SA !), afin que vous puissiez encore mieux vous emparer de cet outil pour vous dégoogliser, et dégoogliser votre entourage.

Les GAFAM, au bûcheeeeeeer !

Le site Dégooglisons Internet a servi, durant trois ans, à présenter une campagne d’information, d’actions, d’intentions de Framasoft tout en proposant un portail d’accès aux services qui venaient s’ajouter aux conquêtes de la communauté libriste.

Maintenant que nous avons conclu cette campagne, il va remplir une fonction unique : faciliter l’adoption de services éthiques, respectueux de ces données personnelles qui décrivent nos vies numériques. En trois ans, nous avons fait bien plus qu’héberger des services, et il était grand temps de vous présenter tout cela de manière claire et facile d’accès.

Dès l’accueil, nous vous invitons à faire feu des GAFAM (les géants du web que sont Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) en expliquant en trois bulles la problématique à laquelle nous essayons de répondre.

Bien vite, on arrive au cœur de la proposition : les services. Si vous ne pouvez pas les essayer, comment pourrez-vous les adopter ? Nous vous invitons donc à trouver le service que vous cherchez suivant deux entrées possibles (on y reviendra !)

Néanmoins, tester des services n’est qu’une première étape, et nous vous proposons ensuite d’aller plus loin :

Seulement voilà, vous pouvez aussi vous poser des questions sur les raisons d’une telle démarche. C’est même très sain, puisque c’est ainsi que peut naître la confiance (ou la défiance, d’ailleurs) : ce sentiment qui nous pousse à confier nos données, nos vies numériques, à un hébergeur. Nous exposons donc :

Tout ceci est, et demeure, une aventure collaborative. Nous prenons donc le temps d’expliquer :

Un espace final est réservé aux médias qui ont parlé de cette aventure, avec un lien vers notre espace médias, que chacun·e peut librement visiter et utiliser.

Chacun·e peut trouver service à son pied

Nous avons décidé de présenter de deux manières différentes les 32 services qui sont actuellement à votre disposition, car tout le monde ne cherche pas de la même manière.

La première démarche, lorsque l’on cherche selon un besoin précis, correspond à cette partie de la page d’accueil :

Cela vous mènera vers une toute nouvelle page où les services sont classés selon les usages, avec une barre de recherche pour mieux vous aider à trouver celui qui correspond à vos attentes :

La deuxième démarche consiste à chercher un service alternatif au service propriétaire que l’on utilise et que l’on connaît.

Ici vous retrouverez d’abord la fameuse carte Dégooglisons, où il vous suffit de cliquer sur le camp romain du service qui vous intéresse pour en découvrir une alternative.

Mais il n’y a pas que les « Framachins » dans la vie. Très vite, vous trouverez en dessous de cette carte une liste bien plus complète d’alternatives en tous genres pour se dégoogliser plus complètement. Cette liste est inspirée de l’excellent site Prism-Break, un site à garder dans ses marque-pages !

Un exemple, totalement au hasard, pour les alternatives à l’email ;)

À vous de dégoogliser !

Vous l’avez saisi, l’idée du site degooglisons-internet.org, c’est qu’il vous soit utile. Que ce soit pour trouver des alternatives qui vous sont nécessaires, ou pour aider votre entourage à se dégoogliser, c’est désormais à vous de vous en emparer.

D’ailleurs, n’hésitez pas à aller visiter l’espace médias, qui s’est enrichi d’une fresque racontant ces trois années de Dégooglisons, ainsi que des dessins de Péhä, aux côtés de nombreux autres visuels libres… et à partager dans vos réseaux !

Nous espérons, sincèrement, que la refonte de ce site vous simplifiera la dégooglisation et même (soyons folles et fous) la vie !

 

Pour aller plus loin

Bienvenue au banquet concluant Dégooglisons Internet, par Péhä (CC-By)




Dégooglisons Internet : c’est la fin du début !

Rassurez-vous : hors de question de fermer les services ni de s’arrêter en si bon chemin ! Seulement voilà : en octobre 2014, nous annoncions nous lancer dans la campagne Dégooglisons Internet pour les 3 années à venir.

3 ans plus tard, il est temps de conclure ce chapitre… pour mieux continuer cette histoire commune.

Nous étions jeunes et flou·e·s !

Nous en avons déjà parlé, le succès de la campagne Dégooglisons Internet nous a pris par surprise.

Nous nous lancions dans un pari flou, non pas celui de remplacer Google et consorts (il n’en a jamais été question, même s’il nous a fallu le préciser à chaque fois, à cause d’un titre trop accrocheur), mais celui de sensibiliser qui voulait l’entendre à un enjeu sociétal qui nous inquiète encore aujourd’hui : la captation des données numériques qui décrivent nos vies (rien de moins) par quelques grands acteurs privés, les trop fameux GAFAM (pour qui découvre tout cela, on parle de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et tous les prédateurs qui ne rêvent que de prendre leur place et qui un jour ou l’autre leur tailleront des croupières.

Cliquez sur l’image pour lire la BD « La rentrée des GAFAM », par Simon « Gee » Giraudot.

 

Pour cela, nous souhaitions démontrer que le logiciel libre est une alternative éthique et pratique, en proposant sur trois ans la mise en ligne de 30 services alternatifs à ceux des GAFAM, tous issus du logiciel libre. L’idée de cette démonstration, dans nos têtes, était simple :

Venez tester les services chez nous, utilisez-les tant que vous n’avez pas d’autre solution, puis voguez vers votre indépendance numérique en cherchant un hébergement mutualisé, en les hébergeant pour votre asso/école/syndicat/entreprise/etc. ou carrément en auto-hébergeant vos services web chez vous !

Sur le papier ça paraissait simple, comme allant de soi. Bon OK, c’était déjà un sacré défi, mais un défi naïf. Car nous n’avions pas prévu ni l’engouement de votre côté ni la complexité de proposer un tel parcours… Bref, nous nous sommes confrontés à la réalité.

C’est en dégooglisant qu’on devient dégooglisons

Nous avons eu la chance qu’une telle proposition (que d’autres ont pu faire avant nous et à leur manière, la mère zaclys, lautre.net, infini.fr, etc.) arrive à un moment et d’une façon qui a su parler à un public bien plus large que le petit monde libriste, tout en étant saluée par ce dernier.

Sauf qu’un grand coup de bol implique de grandes responsabilités : avec près d’une centaine de rencontres par an (publiques et/ou privées), que ce soit dans des conférences, des ateliers, des stands, des festivals, des partenariats… Nous avons appris et compris de nombreuses choses :

  • Proposer un service fonctionne mieux dans les conditions de la confiance (transparence sur les Conditions Générales d’Utilisation et le modèle économique, réputation, jusqu’à cet affreux nommage des Frama-trucs, qui rassure mais que même nous on n’en peut plus !) ;
  • Proposer ne suffit pas, il faut accompagner la transition vers un service libre, avec des tutoriaux, des exemples d’utilisation, un peu de bidouille esthétique – car nous ne sommes ni ergonomes, ni designers – des ateliers… et des réponses à vos questions. Donc beaucoup, beaucoup, beaucoup de support ;
  • Notre proposition deviendrait contre-productive et centraliserait vos vies numériques si nous ne nous lancions pas, en parallèle, dans les projets qui vous permettront à terme de sortir de Framasoft pour aller vers l’indépendance numérique (parce que les tutos « comment faire la même chose sur vos serveurs » , c’est bien… et ça ne suffit pas).

Nous avons donc passé trois ans à écouter, à chercher et à comprendre ce que signifiait Dégoogliser Internet. Dégoogliser, c’est :

  • tester, choisir, adapter et proposer des services web alternatifs et les maintenir en place et à jour ;
  • et en même temps soutenir les personnes et communautés qui créent les logiciels derrière ces alternatives (la plupart du temps, ce n’est pas nous !!!) ;
  • et en même temps accompagner ces alternatives de documentations, tutoriels, exemples ;
  • et en même temps répondre aux invitations, aller à votre rencontre, faire des conférences et ateliers, communiquer sans cesse ;
  • et en même temps rester à votre écoute et répondre à vos questions aussi nombreuses que variées ;
  • et en même temps mettre en place les fondations vers des hébergements locaux et mutualités (comme les CHATONS, un collectif « d’AMAP du numérique ») ou vers l’auto-hébergement (en consacrant du temps salarié de développement au projet YUNOHOST) ;
  • et en même temps poursuivre une veille sur les nouvelles trouvailles des GAFAM pour mieux vous en informer, ainsi que sur ces personnes formidables qui cherchent à mieux cerner les dangers pour nos vies et nos sociétés;
  • et en même temps vous donner la parole pour mettre en lumière vos projets et initiatives ;
  • et en même temps ne pas oublier de vous demander votre soutien, car ce sont vos dons qui assurent notre budget pour continuer ;
  • et en même temps boire des coups, avec ou sans alcool modération (non parce qu’on va pas faire tout ça dans la tristesse, non plus, hein !).

Ce que l’on retient de ces trois années…

…c’est qu’il est temps d’arrêter. Non pas d’arrêter de Dégoogliser (c’est loin d’être fini : on vous prépare plein de belles choses !), mais d’arrêter de le faire comme ça, à une telle cadence. Il y a dans ces trois ans un aspect publish or perish, « sors un service ou finis aux oubliettes » , qui ne convient pas à l’attention et au soin que l’on veut apporter à nos propositions.

Jusqu’à présent, cette cadence nous a servi à proposer 32 alternatives, un ensemble sérieux et solide, mais continuer ainsi pourrait desservir tout le monde.

Certes, il serait possible de transformer Framasoft en entreprise, de faire une levée de fonds de quelques millions d’euros, d’en profiter pour faire un « séminaire de team building » aux Bahamas (ouais, on a besoin de repos ^^) et de… perdre notre identité et nos valeurs. Ce n’est clairement pas notre choix. En trois ans, notre association est passée de 2 à 7 permanent·e·s (avec environ 35 membres), et même si cette croissance pose déjà de nombreux soucis, nous sommes fier·e·s de rester cette bande de potes qui caractérise l’association Framasoft, et de ne pas nous prendre au sérieux (tout en faisant les choses le plus sérieusement possible).

Ce que l’on retient, aussi, c’est que la problématique des silos de données centralisés par quelques monopoles mérite une réponse bien plus complexe et complète que simplement proposer « 32 services alternatifs ». Nous pourrions continuer et faire grimper les enchères : « 42… 42 sur ma gauche, 53, ah ! 69 services ! Qui dit mieux ? », mais à quoi bon si on n’inscrit pas cette réponse dans un ensemble d’outils et de projets pensés différemment de ce « GAFAM way of life » qui nous est vendu avec chaque Google Home qui nous écoute, avec chaque iPhone qui nous dévisage, et avec tous ces autres projets ubérisants ?

Cliquez pour découvrir comment un récent épisode de South Park a trollé les foyers possédant un Google Home, un Amazon Echo ou Siri sur ses produits Apple.
Image : © Comedy Central

Ce que l’on retient, enfin, c’est que nombre de personnes (qui ne s’intéressent pas spécialement à l’informatique ni au Libre) partagent, parfois sans le savoir, les valeurs du Libre. Ce sont des membres d’associations, de fédérations, des gens de l’Économie Sociale et Solidaire, de l’éducation populaire, du personnel enseignant, encadrant, formateur. Ce sont des personnes impliquées dans une vie locale, dans des MJC, des tiers-lieux, des locaux syndicaux, des espaces de co-working et des maisons associatives. Ce sont des personnes à même de comprendre, intégrer et partager ces valeurs autour d’elles et de nous enseigner leurs valeurs, connaissances et savoirs en retour.

Le plus souvent : c’est vous.

 

« OK, mais il est où mon Framamail ? »

Alors voilà, touchant du doigt la fin des 3 années annoncées, c’est l’occasion de faire le bilan (on vous prépare une belle infographie afin de raconter cela) et de prendre un peu de recul pour chercher quelle suite donner à cette aventure. Car c’est loin d’être fini : si nous avons bel et bien dégooglisé trente services, c’est que nous en avons rajouté en cours de route, et certains ne sont pas (encore) là…

Toi aussi, joue avec Framasoft au jeu des 7… 12… au jeu des plein de différences ! (Cartes « Dégooglisons Internet » 2014 et 2016, par Gee.)

 

Nous allons vous décevoir tout de suite : nous n’allons pas proposer de Framamail, tout du moins pas sous la forme que vous imaginez. L’e-mail est une technologie à la fois simple (dans sa conception) et extrêmement complexe (dans sa maintenance parmi le champ de mines que sont les SPAM et les règles imposées par les géants du web). C’est d’autant plus complexe si vous avez un grand nombre de boîtes mail à gérer (et ouvrir un Framamail, c’est risquer d’avoir 10 000 inscriptions dès la première semaine -_-…)

Nous sommes dans l’exemple typique de ce que l’on décrivait juste avant : si on ouvre un Framamail, et si on ne veut pas de pannes de plus de deux heures sur un outil aussi sensible, il nous faut embaucher deux administratrices système et un technicien support à plein temps juste pour ce service. Ce qui peut se financer par vos dons… mais au détriment des autres services et projets ; ou en faisant de vous des clients-consommateurs (alors que, depuis le début, nous cherchons à prendre chacun de nos échanges avec vous comme autant de contributions à cette aventure commune).

Heureusement, il existe d’autres pistes à explorer… pour l’email tout comme pour les alternatives à YouTube, Change.org, MeetUp, Blogger qu’il nous reste à rayer de la carte !

Bienvenue au banquet de Dégooglisons !

Bienvenue au banquet concluant Dégooglisons Internet, par Péhä (CC-By)

 

Il est donc temps de clore cet album, de sortir des gauloiseries en vous invitant à aiguiser vos canines sur les GAFAM… Nous en profitons pour remercier l’illustrateur Péhä de cette magnifique image qui nous permet de conclure en beauté ces trois années d’expérimentations en commun.

Nous vous proposons, dès aujourd’hui, une refonte complète du site Dégooglisons Internet visant à répondre au plus vite à vos attentes. C’est un peu la v1, la première mouture finie de ce portail, après trois années de gestation. Nous espérons que vous aurez encore plus de facilité à partager ce site pour Dégoogliser votre entourage.

Cette conclusion est pour nous l’opportunité d’avoir une pensée emplie de gratitude et de datalove pour toutes les personnes, les communautés, les bénévoles, les donatrices, les salariés, les passionnées, les partageurs, les contributrices… bref, pour cette foultitude qui a rendu cela possible.

Chaque fin d’album est surtout l’occasion de tourner la page, afin d’ouvrir un nouveau chapitre… Promis, ceci n’est que le début, on en reparle d’ici quelques semaines.

Merci, vraiment, du fond de nos petits cœurs de libristes, et à très vite,

L’équipe de Framasoft.




Gwenn Seemel, artiste lumineuse

Gwenn est une artiste franco-américaine qui vit à aux États-Unis.

Elle milite activement dans différents domaines en plus de dessiner super bien et d’avoir toujours un grand sourire lumineux.

Portrait d’une belle personne.

 

Bonjour Gwenn. Est-ce que tu peux te présenter ?

J’ai 36 ans, mais j’ai toujours l’impression d’avoir 12 ans, surtout quand je parle en français. J’ai vécu en Bretagne avec mes grands-parents de temps en temps quand j’étais plus jeune, mais sinon j’étais plutôt aux États-Unis. Le français reste un peu la langue de mon enfance.

Tu veux bien nous en parler de tes militantismes ?

On se connaît à cause du travail que je fais autour du droit d’auteur, mais ce travail existe dans un contexte plus large. Je veux vivre dans un monde où l’artiste — et, en particulier, l’artiste indépendant — est pris au sérieux. Dénoncer le droit d’auteur comme le mensonge qu’il est fait partie de ce travail. L’idée de la propriété intellectuelle déboussole beaucoup d’artistes, en leur faisant croire qu’ils ne font que produire des objets et les vendre. En fait, les artistes créent des liens avec les autres à travers leur art et c’est à cause de ces liens que les artistes se font payer. Si tout le monde comprenait mieux le fait que l’art est beaucoup plus qu’un objet ou une œuvre, l’artiste sera vu autrement.

Bien sûr, l’art n’est pas tout. 🙂 Le féminisme, l’anti-racisme, les droits LGBTQ, et l’environnement me passionnent aussi et j’en parle beaucoup dans mon art et sur mon blog.

 

Tu donnes l’impression de vivre dans une grande sérénité joyeuse. Tes portraits sont pleins de lumière et de couleurs. Est-ce qu’il y a des choses qui te blessent ? Qui te rendent triste ?

C’est un effort de me présenter comme quelqu’un qui vit dans une grande sérénité, donc d’abord je te remercie de l’avoir remarqué ! 🙂 Après, la vérité c’est qu’il y a trop de choses qui me blessent. C’est pour ça que je travaille autant pour être une source de joie.

Les choses qui me rendent triste commencent avec tous les domaines dans lesquels je suis militante, mais n’en finissent pas là. En ce moment, l’aversion que je ressens envers le gouvernement aux États-Unis submerge le reste. C’est au point où je n’ai même plus honte du Président et de son régime parce que le problème est beaucoup trop grave pour un sentiment comme l’embarras.

Ceci dit, les difficultés quotidiennes de la vie de l’artiste pèsent aussi. Cela fait deux ans que j’ai quitté la côte ouest des USA pour la côte est, et j’ai toujours du mal à situer mon art et mon business dans ce nouvel endroit. Petit à petit je reconstruis une communauté autour de mon art, et tous les jours je suis reconnaissante envers la communauté en ligne qui n’a pas cessé de me soutenir. You’re the best!

Qu’est-ce qui t’a amenée au dessin ? Comment as-tu appris ?

J’ai un frère aîné, et comme tous frères aînés il me taquinait beaucoup quand on était plus jeune. Un jour — il avait 9 ans, moi 6 — on jouait ensemble. On s’était construit un vaisseau spatial avec les coussins du canapé. Il pilotait, et je faisais semblant de participer à l’aventure mais en réalité je dessinais quelque chose. Quand mon frère a vu ce que je faisais, il s’est arrêté pour me faire un compliment. Depuis, je fais de mon mieux pour que les autres soient obligés d’arrêter de piloter leur vaisseau spatial pendant deux minutes pour voir le monde différemment.

J’ai appris à dessiner en copiant. Oui, j’ai fait des études à la fac et j’ai eu plein de profs extraordinaires, mais ce n’est qu’en imitant les autres que je suis arrivée là où je suis.

 

Des sources d’inspiration ? Des artistes qui t’ont donné envie de les égaler ?

En ce moment, je regarde beaucoup l’œuvre de Joi Murugavell, Ashley Ja’nae, et Jan Heaton sur Instagram. L’artiste franco-américaine Louise Bourgeois m’inspire énormément, tout comme les écrivains Octavia Butler et Cory Doctorow.

 

Pourquoi publier sous licence libre ?

Pourquoi publier avec copyright ?

Je rigole. 🙂 Mais c’est comme ça que je préfère répondre à cette question quand je parle avec quelqu’un qui affirme le copyright. C’est une manière de leur montrer tout de suite qu’on peut aussi questionner leur position. Même si leur choix représente la norme, ça reste un choix.

Ma vraie réponse remonte toujours à la source —c’est à dire, à toutes les sources pour mon art. Puisque je ne peux pas créer sans toute la culture qui m’entoure, il me semble malhonnête d’essayer d’enlever mon art de cette même culture qui inspire les autres.

 

Quelles sont les licences que tu utilises ?

Je mets mon art dans le domaine public et j’essaie d’être aussi claire que possible sur ce sujet. Je n’utilise pas la licence CC0 parce que, même si je crois que Creative Commons est une super idée qui mérite d’être répandue dans le monde entier, il ne va pas assez loin pour moi. Ceci dit, cela ne me dérange pas qu’on parle de mon art comme étant sous licence CC0. 🙂

 

Est-ce que tu arrives à vivre de ton art ou est-ce que tu as un vrai travail sérieux à côté ? 🙂

Cela fait 14 ans que je vis de mon art exclusivement. Mon mari est freelance aussi et parfois c’est lui tout seul qui paie le loyer, mais souvent c’est moi toute seule qui le paie. Travailler pour soi-même n’est jamais facile, mais c’est un défi fascinant et une aventure qui est sûrement plus agréable à deux.

 

Comment dessines-tu ? Est-ce que tu travailles avec un ordinateur ou à la main ?

À la main. Cela m’arrive d’utiliser l’ordinateur pour manipuler les images, puis travailler à la main à partir de ses images. Et parfois je dessine quelque chose sur papier puis je la scanne pour pouvoir la manipuler sur l’ordinateur. Je n’ai fait qu’un dessin numérique directement sur une tablette et le processus me paraît toujours assez mystérieux.

C’est un peu comme la différence entre écrire à la main et taper à la machine. Quand on fait quelque chose à la main, on a un peu l’idée de l’ensemble avant même de commencer. Il faut imaginer la place que le dessin ou le texte va prendre, et il faut être conscient qu’on ne va jamais pouvoir effacer les traits complètement. Dans le numérique il y a une liberté que j’apprécie, mais qui ne me convient pas toujours…

 

On peut te suivre quelque part ? Un blog, les réseaux sociaux ?

Je publie des articles et des vidéos au moins une fois par semaine sur mon blog :
http://www.gwennseemel.com/index.php/blog/

J’ai un profil sur Patreon (le Tipeee des États-Unis) :
https://www.patreon.com/gwenn

Je suis « Gwenn Seemel » sur Facebook et « gwennpaints » sur Twitter, Instagram, et YouTube.

 

Qu’est-ce qui te motive à publier autant sur ta démarche, ton travail ?

La plupart des gens travaillent pour une entreprise ou une institution. Autrement dit, ils remplissent un siège qui existe déjà et qui pourrait être rempli par n’importe qui du moment où la personne a les qualifications. L’artiste doit inventer lui-même son siège. Il doit persuader tout le monde que non seulement l’art en général compte pour quelque chose, mais son art en particulier a un sens. Autrement dit, l’artiste doit devenir une sorte d’institution en lui-même.

Souvent les artistes arrivent à cela en travaillant avec des institutions—en exposant dans des galeries, en faisant des conférences à des universités, et en vendant de l’art à des entreprises. Et parfois j’ai suivi ce chemin, mais je préfère devenir une institution en m’engageant directement avec le public. D’une part, c’est ça le but en publiant autant sur le Web.

 

Tu as écrit un livre sur le droit d’auteur que notre Pouhiou a sur sa table de chevet. Quelles ont été les réactions à la suite de sa parution ?

Idiote ou prophète. Voilà comment on me décrit après ce livre. Je crois que la réalité se trouve entre les deux extrêmes. 🙂

 

Quand aurons-nous la chance de te croiser en France ? La dernière fois, c’était aux RMLL 2015, je crois.

Quand je serai invitée à nouveau pour parler du copyright et de la créativité ! 🙂 La France, la Suisse, la Belgique, le Québec —tous ces voyages magnifiques ne se sont faits qu’avec le soutien d’une super communauté qui croit en moi et en ce que je crée.

Et comme d’habitude sur le Framablog, on te laisse le mot de la fin.

On ne peut pas convaincre un autre de son point de vue. Plutôt le but —de la discussion, de l’art, de la vie !— est de donner à l’autre envie de questionner ses idées et à voir le monde à nouveau.

 

Pour en savoir plus

Les livres de Gwenn Seemel

Ses explications sur sa démarche, en vidéo et en français




Comment j’ai quitté Google et plaqué Microsoft


En 2015, après une longue période d’hésitation, j’ai sauté le pas. J’ai décidé que Google, Facebook ou encore Microsoft seraient pour moi des connaissances lointaines, et non des compagnons de route.

On a du mal à croire qu’il soit possible d’envisager sérieusement une telle transformation sans se couper du monde et du confort que nous offre le Web. Pourtant, ça l’est.

Nous sommes en juillet 2017. Ça fait deux ans. J’ai mes repères, mes marques et aucune sensation de manque. Lorsque je choisis de faire une entorse à mes principes et d’utiliser Google, ou de démarrer mon PC sous Windows, c’est une option ; j’ai toujours le choix. Je crois que c’est ça, l’idée : avoir le choix. La décentralisation, ce n’est pas juste quitter le navire : c’est choisir sur lequel on embarque en connaissance de cause.

Depuis 2015, alors que la moitié du marché des smartphones est contrôlé par Google et son système d’exploitation Android, que tout le monde connaît GMail, utilise Google Docs, se localise avec Google Maps et partage des choses sur Google+ (lol nope), je n’utilise pas tout cela. Ou plutôt, je n’utilise plus.

Bon, OK, j’ai une chaîne YouTube, donc je mets des vidéos en ligne. Promis, c’est tout. Vous verrez plus bas que même pour gérer mes abonnements YouTube, je me passe de compte Google !

Ni pour mes recherches. Ni pour mes mails. Ni pour partager des photos avec mes ami⋅e⋅s ou pour héberger une page web. Ni pour me géolocaliser. Ni pour faire fonctionner mon smartphone.

Depuis 2015, et quand Skype est le moyen le plus commun de discuter en audio/vidéo, quand choisir un ordinateur se résume à choisir entre Microsoft ou Apple, qu’on utilise le pack Office, voire qu’on est aventureux et qu’on a investi dans un Windows Phone (désolé), je n’utilise pas Microsoft. Ou plutôt, je n’utilise plus. Et même si les hipsters et les web-designers (sont-ce les mêmes personnes ?) investissent dans du matériel Apple, moi, je n’ai jamais touché à ça.

Alors je me suis dit que peut-être, ça vous intéresserait de savoir COMMENT j’ai pu réussir sans faire une syncope. Et comment j’ai découvert des alternatives qui me respectent et ne me traitent pas comme une donnée à vendre.

Allez, ferme Hangout, Messenger, Skype, Whatsapp, viens t’asseoir près du feu, et prends le temps de me lire, un peu. Ouais, je te tutoie, on n’est pas bien, là, entre internautes ?

Chapitre 1 : Pourquoi ?

Normalement, je dialogue avec un mec lambda qui a la critique facile dans mes articles, mais ici, c’est le Framablog ; il faut un peu de prestance. Ce sera donc Jean-Michel Pouetpouet qui prendra la parole. Donc, introducing Jean-Michel Pouetpouet :

« Haha, cocasse, cet individu se prend pour plus grand qu’il n’est et ose chapitrer son contenu tel un véritable auteur »

Oui, c’est plus cool que de mettre juste un « 1. ». Il y a beaucoup à dire, et faire juste un énorme pavé, c’est pas terrible. Puis j’ai l’âme littéraire.

Ce que je pense important de signaler dans ce retour d’expérience, c’est que j’ai longtemps été très Googlophile. Très content d’utiliser leurs outils. C’est joli, c’est simple, c’est très chouette, et tout le monde utilise les mêmes. Et quand on me disait, au détour d’une conversation sur le logiciel libre : « mais Google te surveille, Google est méchant, Google est tout vilain pas beau ! »

Je répondais : « Et il va en faire quoi, de mes données, Google ? Je m’en fous. »

J’étais un membre de la team #RienÀCacher et fier de l’être. Quand je m’étais demandé ce qui se faisait d’autre, j’étais allé sur le site de Framasoft (c’était il y a fort longtemps) et j’avais soupiré « pfeuh, c’est pas terrible comme même ». J’écris « comme même » afin de me ridiculiser efficacement, merci de ne pas commenter à ce sujet.

Puis un jour, au détour d’une Assemblée Nationale, j’ai entendu parler de surveillance généralisée par des boîtes noires. On en a tou⋅te⋅s, je pense, entendu parler.

« Nom d’une pipe, mais ceci n’a aucun lien avec la dégooglisation ! »

Tut-tut. C’est moi qui raconte. Et tu vas voir que si, ça a à voir ; du moins, dans mon esprit de jeune chèvre numérique.

Parce que quand j’ai entendu parler de ça, je me suis dit « mince, j’ai pas envie qu’on voie tout ce que je fais sous prétexte que trois clampins ont un pet au casque ». D’un seul coup, mon « rien à cacher » venait de s’effriter. Et il s’est ensuite effondré tel un tunnel mal foutu sous une montagne coréenne dans un film de Kim Seong-hun.

Mes certitudes sur la vie privée en ligne, allégorie

Dans ma tête, une alarme pleine de poussière s’est mise à hurler, une ampoule à moitié grillée a viré au rouge, et je me suis soudain inquiété de ma vie privée en ligne.

J’ai commencé à voir, la sueur au front, circuler des alertes de La Quadrature du Net concernant le danger potentiel que représenterait un tel dispositif d’espionnage massif. Et j’ai fini par tomber sur plusieurs conférences. Plein de conférences. Dont la fameuse « sexe, alcool et vie privée » : une merveille.

Après cela, deux conclusions :

  • La vie privée, c’est important et on la laisse facilement nous échapper ;
  • Les grandes entreprises qui ont mainmise sur ta vie privée, c’est pas tip top caviar.

Mais d’abord, avant de parler Google ou Facebook, il me fallait fuir le flicage étatique automatisé. Alors j’ai acheté une Brique Internet (powered by le génial système d’auto-hébergement YunoHost) et j’ai adhéré à l’association Aquilenet.

Brique Internet
Une Brique Internet dans son milieu naturel

Aquilenet, c’est un FAI (Fournisseur d’Accès à Internet) géré par des copains qui n’ont rien de mieux à faire que d’aider les gens à avoir accès à un Internet neutre, propre. J’ai donc souscrit à un VPN chez eux (chez nous, devrais-je maintenant dire). Pour avoir une protection contre les boîtes noires qui squatteront un jour (peut-être, vu comme ça avance vite) chez SFR, Free, Bouygues, Orange, et voudront savoir ce que je fais.

« Mais bon », me suis-je dit, « c’est très cool, mais ça n’empêche pas Google et Facebook de me renifler le derrière tout ça ».

Et j’ai entrepris la terrible, l’effroyable, l’inimaginable, la mythique, l’inaccessible… DéGooglisation.

Chapitre 2 : Poser les bases – Linux, Firefox, Searx

2.1/ Microsoft, l’OS privateur

Étrangement, le plus simple, c’était de dire au revoir à Microsoft.

Se dire que son système entier est couvert de trous (aka backdoors) pour laisser rentrer quiconque Microsoft veut bien laisser entrer, ce n’est pas agréable. Savoir que la nouvelle version gratuite qu’il te propose est bourrée de trackers, c’est pas mieux.

Pour bien comprendre, imagine que ton ordinateur soit comme un appartement.

Donc, on te vend un appartement sans serrure. On te dit « eh, vous pouvez en faire installer une si vous le voulez, mais alors, il faudra faire appel à une entreprise ».

Option n°1 : je n’ai pas besoin de serrure

« Je m’en fiche. J’ai confiance, et je sais quand je pars et comment je pars. Personne ne voudra entrer chez moi. »

Vraiment, est-ce qu’on peut croire une seconde à cette phrase ? Tu y vas au feeling ? Y a pas de raison que quelqu’un ne veuille entrer ? Tu partiras au travail ou en vacances le cœur léger ?

Option n°2 : je fais poser une serrure par un serrurier qui met un point d’honneur à ne pas me laisser voir son intervention

« Hop, me voilà protégé ! »

Et s’il garde un double de la clé ?
S’il décide de faire une copie de la clé et de l’envoyer à quelqu’un qui veut entrer chez vous sur simple demande ?

Elle fait quoi exactement cette serrure ?

Elle ferme vraiment ma porte ?

Option n°3 : je connais un gars très cool, il fabrique la serrure, me montre comment il la fait, et me prouve qu’il n’a pas de double de ma clé

« Je connais ma serrure, je connais ma clé, et je sais combien il en existe »

Ok, c’est super ça ! Dommage : je l’ai fait dans un appartement dont les murs sont en papier mâché. En plus, j’ai une fenêtre pétée, tout le monde peut rentrer. J’avais pas vu quand j’ai pris l’appart’. Bon, je rappelle mon pote, faut inspecter tout l’appartement et faire les travaux qui s’imposent.

Option n°4 : et si je prenais un appartement où tout est clean et sous contrôle ?

Ah, bah de suite, on se sent mieux. Et c’est ça l’intérêt d’un système d’exploitation (OS) libre. Parce que c’est bien sympa, Microsoft, mais concrètement, c’est eux qui ont tout mis en place. Et quand on veut voir comment c’est fait, s’il y a un vice caché, c’est non. C’est leur business, ça les regarde.

Alors pourquoi leur faire confiance ? La solution, c’est le logiciel libre : tout le monde peut trifouiller dedans et voir si c’est correct.

Comme point d’entrée Ubuntu (et surtout ses variantes) est un OS très simple d’accès, et qui ne demande pas de connaissances formidables d’un point de vue technique.

« Huées depuis mon manoir ! Ubuntu n’est pas libre, il utilise des drivers propriétaires, et de surcroît, l’ensemble est produit par Canonical ! Moi, Jean-Michel Pouetpouet, j’utilise uniquement FreeBSD, ce qui me permet d’avoir une pilosité soyeuse ! »

C’est super cool, mais FreeBSD, c’est pas vraiment l’accessibilité garantie et la compatibilité parfaite avec le monde extérieur (mais ça a plein d’avantages, ne me tuez pas, s’il vous plaît). Ubuntu, c’est grand public, et tout public. C’est fait pour, excusez-les du peu !

Dans la majorité des cas, il suffit d’une installation bien faite et tout ronronne. Le plus compliqué, c’est finalement de se dire : « allez, hop, j’y vais ».

En 2016, je jouais à League of Legends et à Hearthstone sur mon PC sous Linux. Je n’y joue plus parce que je ne joue plus. Mais j’y regarde les même lives que les autres, visite les mêmes sites web.

Et j’utilise mutt pour avoir moi aussi une pilosité soyeuse.

« Comme quoi, vous n’êtes finalement qu’un traître à vos valeurs ! Vous faites l’apologie du terrorisme du logiciel propriétaire, vous faites des trous dans votre coffre fort, quelle honte, quel scandale, démission ! »

J’entendais moins ce type de commentaires concernant Pokémon Go qui envoie des données à Nintendo. Comme quoi, les compromis, ça n’est pas que mon apanage.

Soit, je passerai sur ces menus détails ! Mais pourriez-vous cesser de tergiverser en toute véhémence avec un individu dont l’existence est factice ?

Non.

Une fois sous Ubuntu, le nom de mes logiciels change. Leur interface aussi. Et oui, il faut le temps de s’habituer. Mais qui ne s’est pas senti désemparé devant Windows 8.1 et son absence de bureau ? Un peu de temps d’adaptation. Et c’est tout.

Bureau Xubuntu
On est pas bien, là ? (Xubuntu 17.04) [Fond d’écran par Lewisdowsett]
Certes, parfois, la compatibilité n’est pas au rendez-vous. Soit on se bat, soit on se résout à faire un dual-boot (deux systèmes d’exploitation installés) sur son ordinateur, soit on virtualise (l’OS dans l’OS). C’est ce que j’ai fait : j’ai un Windows qui prend un tiers de mon disque dur, tout formaté et tout vide ou presque.

Ce filet de sécurité en place, la majorité du travail doit être fait sous Linux. Une fois qu’on en a l’habitude, un retour sous Windows n’est même plus tentant.

2.2/ La recherche : fondamental

Google, en premier lieu, c’est quoi ?

Un moteur de recherche. Un moteur de recherche qui sait absolument tout sur ce que je cherche. Parce que j’utilise un compte. Avec un historique. Parce qu’il utilise des trackers. Parce qu’il retient mon IP.

On parle donc d’une entreprise qui sait qui je suis, ce que je cherche, sur quoi je clique. Une entreprise qui détermine ma personnalité pour vendre le résultat à des régies publicitaires.

Non, désolé, ça ne me convient pas. Je n’ai pas envie qu’une entreprise puisse me profiler à tel point qu’elle sache si j’ai le VIH avant que j’en sois informé. Qu’elle sache que je déménage. Que je cherche un emploi. Où. Si je suis célibataire ou non. Depuis quand. Quel animal de compagnie j’ai chez moi. Qui est ma famille. Quels sont mes goûts.

Ah non, vraiment, une seule entité, privée, capitaliste, qui vit de la vente de pub, et qui me connaît aussi bien, ça ne me plaît pas.

« Et quelle fut ta réponse à cette situation ? »

J’utilise Bing.

« ?! *fait tomber son monocle dans sa tasse de thé* »

Non, pas du tout.

J’utilisais au départ Startpage. Le principe est simple : ce moteur de recherches ne garde aucune donnée, et envoie la recherche à Google avant d’afficher le résultat.

La différence est énorme. Google sait que Startpage a fait une recherche. Mais il ne sait pas QUI a utilisé Startpage. Il ne sait pas QUI je suis, juste ce que je cherche. Google ne peut plus me profiler, et moi, j’ai mes résultats.

Et voilà, je n’utilise plus Google Search. Juste comme ça. Pouf.

Maintenant, j’utilise Searx, hébergé sur les serveurs d’Aquilenet. Parce que c’est encore mieux.

Searx @Aquilenet
On searx et on trouve !

Il existe aussi Framabee qui utilise également Searx, ou encore Qwant (mais c’est pas du libre, et c’est une entreprise, alors j’aime moins).

À noter que cette étape n’est pas du tout dure à franchir : nombreux sont celleux qui utilisent Ecosia au lieu de Google, ou Duck Duck Go, et ne se sentent pas gênés dans leur recherche quotidienne de recettes de crêpes.

2.3/ Navigateur web et add-ons

Je naviguais avec Google Chrome. Comme beaucoup de monde (en dehors des admirateurs d’Internet Explorer, dont je ne comprendrai jamais les tendances auto-mutilatoires).

Je suis donc passé sous Firefox, et avec lui, j’ai ajouté pléthore d’extensions orientées vers la protection de la vie privée.

La liste (ou une bonne partie de celle-ci) est disponible sur le blog d’Aeris, que je vais donc citer en coupant allègrement dans le tas (l’article : https://blog.imirhil.fr/2015/12/08/extensions-vie-privee.html) :

Au-revoir-UTM est une extension très simple qui va virer automatiquement les balises « utm » laissées par les régies publicitaires ou trackers pour savoir d’où vous venez lors de l’accès au contenu.

 

Decentraleyes remplace à la volée les contenus que vous auriez normalement dû aller chercher sur des CDN centralisés et généralement très enclins à violer votre vie privée, tels Google, CloudFlare, Akamai et j’en passe.

 

Disconnect supprime tout le contenu traçant comme le contenu publicitaire, les outils d’analyse de trafic et les boutons sociaux.

 

HTTPS Everywhere force votre navigateur à utiliser les versions HTTPS (donc chiffrés) des sites web que vous consultez, même si vous cliquez sur un lien HTTP (en clair).

 

Pure URL, nettoie vos URL du contenu traçant.

 

uBlock Origin, qu’on ne présente plus, un super bloqueur de publicité et de traqueurs, juste un must-have.

 

Blender est une extension qui va tricher sur l’identité de votre navigateur, pour tenter de le faire passer pour celui le plus utilisé à l’heure actuelle, et ainsi se noyer dans la masse.

 

Smart Referer permet de masquer son référent. En effet, par défaut, votre navigateur envoie au serveur l’URL du site duquel vous venez. L’extension permet de remplacer cette valeur par l’URL du site sur lequel on va, voire carrément de supprimer l’information.

 

uMatrix est THE extension ultime pour la protection de sa vie privée sur Internet. Elle va en effet bloquer tout appel externe au site visité, vous protégeant de tout le pistage ambiant du net.

uMatrix
uMatrix : filtre par type de contenu et par domaine !

Une fois qu’on est à l’aise avec ça, on a déjà un meilleur contrôle de sa présence en ligne et des traces qu’on laisse.

Chapitre 3 : OK Google, déGooglise-toi

3.1 : Google Docs, Google Sheets, Google machins, le pack, quoi.

Il n’y a rien de plus simple que de se débarrasser de Google Docs. Des outils d’aussi bonne qualité sont disponibles chez Framasoft. Rien à installer (sauf si vous souhaitez héberger vous-même le contenu), accessible à tout le monde. Et en plus, depuis quelques temps, il y a Framaestro, le Google Drive de Framasoft. Tout comme Google. Sauf que…

… Bah c’est Framasoft, quoi. Si c’est la première fois que vous entendez ce nom, déjà : bienvenue. Ensuite, Framasoft ne va pas faire attention à vos données. Ou plutôt si, mais au sens de « les protéger ». Il s’agit de bénévoles qui souhaitent proposer des outils de qualité ; Framasoft s’en fiche de ce que vous saisissez dans vos documents. Et ne s’en approprie pas les droits ; Google, oui.

Pour trouver l’outil qu’il vous faut, rendez-vous simplement sur https://degooglisons-internet.org/alternatives et choisissez la ligne correspondant à l’outil Google dont vous souhaitez vous débarrasser.

3.2 : Google Maps / Google Street View

Google Maps peut être aisément remplacé par Open Street Map. Sur votre smartphone, l’application OSMAnd~ fait très bien son travail.

Pour Google Street View, Open Street Maps a lancé Open Street Cam. L’idée est tout bonnement GÉ-NIALE : on a pas les moyens de faire se promener une « OSM Car » ? Alors les utilisateurs seront l’OSM Car !

Lorsque vous prenez votre voiture, vous activez l’application (https://github.com/openstreetcam/android/ ou https://play.google.com/store/apps/details?id=com.telenav.streetview) et celle-ci prend des photos à intervalles réguliers en les géolocalisant ! Et voici comment on fait du Street View libre, communautaire et participatif !

3.3 : Picasa, Dropbox, Wetransfer

Moins utilisés que mes précédents amis mais tout de même existants, ces outils de stockage en ligne d’images ou de fichiers sont tenus par des entreprises en lesquels on ne peut pas avoir confiance.

Les services d’hébergement de fichiers ne manquent pas. Et ceux que je vais proposer ici n’ont pas mainmise sur vos fichiers.

Ça n’a l’air de rien comme ça, mais une entreprise qui peut regarder vos fichiers, est-ce que ce n’est pas problématique ? Lui avez-vous donné l’autorisation de s’introduire ainsi dans vos échanges de données ?

Pour les albums, au revoir Picasa, préférez Piwigo.

Pour un simple partage d’image(s), pourquoi pas Framapic ou Lutim ?

Pour stocker vos fichiers et les envoyer, dégagez WeTransfer de là et choisissez plutôt Framadrop. Abandonnez votre Dropbox, et rendez-vous sur un Nextcloud installé chez un pote ou une asso (ou directement chez vous ?) !

Les alternatives sont là, et sont bien plus diverses. La seule nuance, c’est que vous ne les connaissez pas, et n’avez pas le réflexe de les chercher.

Dans mon cas, ayant une Brique (je vous ai dit que j’avais une Brique ?), j’utilise Jirafeau pour héberger mes images, Nextcloud pour le reste. Ça me va très bien, et au moins, ça reste chez moi.

3.4 : Discuter en instantané

Rendez-vous sur Jabber (XMPP). Skype ne vous respecte pas, Hangout non plus. Messenger ? Pfeuh-cebook ! La messagerie directe de Twitter ? Ne comptez pas trop protéger vos données là-dessus non plus. Whatsapp ? C’est encore Facebook derrière !

Au lieu d’installer Google Hangouts et d’utiliser votre compte Google, installez Xabber ou Conversation sur votre téléphone et créez un compte Jabber. Vous voici à utiliser XMPP, le même protocole que derrière Hangout ou Messenger, mais sans la méchante boîte qui vit de publicité ciblée et de vente de données personnelles.

Au lieu d’utiliser Skype, pourquoi pas Tox ? Ou en ligne, vous pouvez utiliser Vroom, et même Framatalk !

J’ai un peu de mal à conseiller Telegram car récemment, la sécurité qu’il promet a été remise en question, et qu’il s’agit toujours d’une entreprise qui peut vouloir jouer avec vos données.

3.5 : GMail

On attaque le côté le plus effrayant : les e-mails. Je ne sais pas pour vous, mais moi, je n’imaginais pas pouvoir dire au revoir à mon GMail.

Cela faisait 5 ans que TOUS mes échanges se faisaient par son biais. Que tous mes comptes, sur tous les sites où j’étais inscrit, connaissaient cet e-mail comme étant le mien.

En réalité… je me suis rendu compte que mes mails déjà envoyés étaient sacrifiables, et que ceux déjà lus l’étaient également. Je me suis rendu compte que je recevais plus de spam et de newsletters (auxquelles je n’étais pas forcément inscrit) que de nouvelles de mes proches.

Et puis surtout, bon sang : Google lisait mes mails. Une entreprise lisait ma correspondance privée pour mieux me connaître. Pour mieux me profiler. Pour me vendre à des régies publicitaires. Non, ce n’est pas acceptable.

Étant alors devenu membre d’un FAI associatif, je lui ai confié mes mails. Mais avant cela, j’avais prévu de me tourner vers Protonmail. C’est certes une entreprise, mais vos messages sont chiffrés, et il n’est pas possible (dans le cas où c’est bien fait ;)) pour l’entreprise de lire vos mails. Contrairement à Google qui lit bien tout ce qu’il veut.

J’y reviens, mais… De la publicité ciblée à partir de vos échanges privés. Comment peut-on accepter ça ?

Protonmail est un service qui m’a l’air fiable. Ça reste néanmoins une entreprise, dont le code est partiellement consultable. Si vous souhaitez abandonner Google, c’est une alternative viable.

Envoyez un mail à tous vos contacts, mettez (ou non) en place une réponse automatique Google indiquant « voici ma nouvelle adresse e-mail », et changez votre adresse e-mail sur tous les sites la connaissant. Après tout, vous l’aviez peut-être fait avec votre adresse @aol.fr ou @wanadoo.fr sans vous interroger plus longtemps sur ce changement.

En consultant ses mails GMail de temps en temps, on peut en voir un qui s’est perdu et indiquer la bonne adresse e-mail à laquelle écrire.

Vous verrez, contrairement à ce qu’on croit, c’est simple, rapide, et on ne rencontre quasiment aucun obstacle.

Je ne sais pas si je vous ai dit que j’avais une brique Internet chez moi, d’ailleurs ; mais du coup, maintenant, elle héberge aussi une partie de mes e-mails (je jongle entre les adresses). Vous imaginez ? Ces mails sont stockés directement dans un petit boîtier posé par terre chez moi. Nulle part ailleurs !

3.6 : YouTube

Je poste des vidéos sur YouTube, étant vidéaste. Bon, OK. Mais je n’ai pas pour autant envie d’utiliser un compte Google le reste du temps. Et je ne voulais évidemment pas perdre mes abonnements.

La solution à cela ? L’oublié flux RSS. Comme quand on suivait les blogs, tu te rappelles ?

Google propose de récupérer tous ses abonnements YouTube au format .opml. Avec cette solution, on peut être notifié des sorties par un simple lecteur de flux RSS.

Pour celleux qui n’auraient pas connu ou utilisé RSS à l’époque où c’était la star d’Internet, il s’agit, en gros, d’abonnement à des sites/blogs. Dès qu’un nouvel article paraît, vous le recevez sur votre lecteur de flux RSS, où se rassemblent vos abonnements.

J’ai donc installé FreshRSS sur ma Brique (vous saviez que j’avais une brique ?), et y ai importé ce fameux fichier .opml. J’en ai profité pour ajouter Chroma, qui sort sur Dailymotion (eh ouais : on peut croiser les flux !). Et j’ai une sorte de boîte mail de mes abonnements vidéo ! C’est beau, non ?

Des abonnements YouTube sans compte YouTube <3

J’y ai ajouté un plugin nommé « FreshRSS-Youtube » qui me permet d’ouvrir les vidéos YouTube directement dans mon lecteur RSS. Donc j’ai un YouTube sans compte, avec juste mes abonnements, le tout chez moi.

Histoire de simplifier tout ça, j’ai développé une extension Firefox qui permet de s’abonner plus facilement à une chaîne en RSS. Il est disponible ici

Récupérer un flux RSS avec RSS-Tube !

3.7 : Android

Ton smartphone est sous Android ? Chouette. Mais Android utilise en permanence des services Google. Pour te géolocaliser, pour faire fonctionner tes applications, pour t’entendre quand tu chuchotes sous la couette un « OK, Google ».

Au début, j’ai été dérouté par cette prise de conscience. Alors j’ai simplement abandonné l’idée d’avoir un smartphone. J’ai acheté un téléphone tout pourri-pourrave pour quelques 30€ qui envoyait des SMS, recevait des MMS quand il était de bonne humeur, et téléphonait. C’était tout. Il y avait aussi le pire appareil photo qu’on ait vu depuis 2005.

Puis, un jour, au hasard d’une rencontre, on m’a parlé de Replicant. J’ai regardé, et j’ai constaté que ce n’était malheureusement pas compatible avec le Samsung Galaxy S3 Mini que j’avais abandonné précédemment.

Le hasard a fait le reste.

Un jour, j’ai commandé un t-shirt chez la Free Software Foundation Europe et reçu un papier « Free your Android ! » dans le colis.

En allant sur leur site, j’ai pu découvrir CyanogenMod (devenu maintenant LineageOS). Un Android, mais sans Google, créé par la communauté pour la communauté. Comme d’habitude, tout n’est pas tout blanc, mais c’est toujours mieux que rien.

Je l’ai installé (en suivant simplement des tutos, rien d’incroyable), installé F-Droid (qui remplace Google Play) pour télécharger les applications dont j’avais besoin, et j’installe directement les fichiers .apk comme on installe un .exe sur son Windows ou un .deb sur son Ubuntu.

CyanogenMod
Mon téléphone sous CyanogenMod 13

Conclusion

Bravo. Si vous êtes arrivé jusque là sans tricher, vous avez le droit de vous féliciter. J’espère que vous n’avez pas trouvé le temps trop long !

Courage, plus que quelques lignes. Les dernières pensées.

Au final, ce qui ressort de mon expérience, c’est que me préparer psychologiquement à quitter Google et Microsoft m’a pris plus de temps que pour m’en passer réellement, trouver des alternatives, et m’y faire.

On n’a pas besoin d’eux. Les alternatives existent, sont nombreuses, variées, et nous respectent pour ce que nous sommes : des êtres humains, avec des droits, qui souhaitons simplement utiliser Internet pour notre plaisir personnel quotidien.

Je pense que j’ai oublié plein de choses. Je pense que de nouveaux outils grandissent chaque jour et attendent qu’on les découvre.

En parallèle de tout ça, j’ai appris beaucoup sur l’auto-hébergement. J’ai aussi beaucoup appris sur l’anonymat, sur le chiffrement, sur le fonctionnement d’Internet. J’ai rejoint une association formidable, et en m’intéressant à la technique et au numérique, j’ai fait des rencontres nombreuses et toutes plus géniales les unes que les autres.

Je vous ai dit que quand j’ai commencé tout ça, je ne savais pas faire autre chose qu’un « apt-get install » sous GNU/Linux ? Que j’avais une peur bleue du code (malgré ma formation dans ce domaine) ?

Maintenant, j’en fais, j’en lis, et j’en redemande.

Mon Internet est propre. Ma vie privée, si elle n’est pas à l’abri, reçoit le maximum que je peux lui donner. Je vis d’outils décentralisés et d’auto-hébergement.

DÉGOOGLISONS L’INTERNET.

With Datalove,
Korbak <3




Les nouveaux Leviathans III. Du capitalisme de surveillance à la fin de la démocratie ?

Une chronique de Xavier De La Porte1 sur le site de la radio France Culture pointe une sortie du tout nouveau président Emmanuel Macron parue sur le compte Twitter officiel : « Une start-up nation est une nation où chacun peut se dire qu’il pourra créer une startup. Je veux que la France en soit une ». Xavier De La Porte montre à quel point cette conception de la France en « start-up nation » est en réalité une vieille idée, qui reprend les archaïsmes des penseurs libéraux du XVIIe siècle, tout en provoquant un « désenchantement politique ». La série des Nouveaux Léviathans, dont voici le troisième numéro, part justement de cette idée et cherche à en décortiquer les arguments.

Note : voici le troisième volet de la série des Nouveaux (et anciens) Léviathans, initiée en 2016, par Christophe Masutti, alias Framatophe. Pour retrouver les articles précédents, une liste vous est présentée à la fin de celui-ci.

Dans cet article nous allons voir comment ce que Shoshana Zuboff nomme Big Other (cf. article précédent) trouve dans ces archaïques conceptions de l’État un lieu privilégié pour déployer une nouvelle forme d’organisation sociale et politique. L’idéologie-Silicon ne peut plus être aujourd’hui analysée comme un élan ultra-libéral auquel on opposerait des valeurs d’égalité ou de solidarité. Cette dialectique est dépassée car c’est le Contrat Social qui change de nature : la légitimité de l’État repose désormais sur des mécanismes d’expertise2 par lesquels le capitalisme de surveillance impose une logique de marché à tous les niveaux de l’organisation socio-économique, de la décision publique à l’engagement politique. Pour comprendre comment le terrain démocratique a changé à ce point et ce que cela implique dans l’organisation d’une nation, il faut analyser tour à tour le rôle des monopoles numériques, les choix de gouvernance qu’ils impliquent, et comprendre comment cette idéologie est non pas théorisée, mais en quelque sorte auto-légitimée, rendue presque nécessaire, parce qu’aucun choix politique ne s’y oppose. Le capitalisme de surveillance impliquerait-il la fin de la démocratie ?

“Big Brother”, par Stephan Mosel, sous licence CC BY 2.0

Libéralisme et Big Other

Dans Les Nouveaux Leviathans II, j’abordais la question du capitalisme de surveillance sous l’angle de la fin du modèle économique du marché libéral. L’utopie dont se réclame ce dernier, que ce soit de manière rhétorique ou réellement convaincue, suppose une auto-régulation du marché, théorie maintenue en particulier par Friedrich Hayek3. À l’opposé de cette théorie qui fait du marché la seule forme (auto-)équilibrée de l’économie, on trouve des auteurs comme Karl Polanyi4 qui, à partir de l’analyse historique et anthropologique, démontre non seulement que l’économie n’a pas toujours été organisée autour d’un marché libéral, mais aussi que le capitalisme « désencastre » l’économie des relations sociales, et provoque un déni du contrat social.

Or, avec le capitalisme de surveillance, cette opposition (qui date tout de même de la première moitié du XXe siècle) a vécu. Lorsque Shoshana Zuboff aborde la genèse du capitalisme de surveillance, elle montre comment, à partir de la logique de rationalisation du travail, on est passé à une société de marché dont les comportements individuels et collectifs sont quantifiés, analysés, surveillés, grâce aux big data, tout comme le (un certain) management d’entreprise quantifie et rationalise les procédures. Pour S. Zuboff, tout ceci concourt à l’avènement de Big Other, c’est-à-dire un régime socio-économique régulé par des mécanismes d’extraction des données, de marchandisation et de contrôle. Cependant, ce régime ne se confronte pas à l’État comme on pourrait le dire du libertarisme sous-jacent au néolibéralisme qui considère l’État au pire comme contraire aux libertés individuelles, au mieux comme une instance limitative des libertés. Encore pourrait-on dire qu’une dialectique entre l’État et le marché pourrait être bénéfique et aboutirait à une forme d’équilibre acceptable. Or, avec le capitalisme de surveillance, le politique lui-même devient un point d’appui pour Big Other, et il le devient parce que nous avons basculé d’un régime politique à un régime a-politique qui organise les équilibres sociaux sur les principes de l’offre marchande. Les instruments de cette organisation sont les big datas et la capacité de modeler la société sur l’offre.

C’est que je précisais en 2016 dans un ouvrage coordonné par Tristan Nitot, Nina Cercy, Numérique : reprendre le contrôle5, en ces termes :

(L)es firmes mettent en œuvre des pratiques d’extraction de données qui annihilent toute réciprocité du contrat avec les utilisateurs, jusqu’à créer un marché de la quotidienneté (nos données les plus intimes et à la fois les plus sociales). Ce sont nos comportements, notre expérience quotidienne, qui deviennent l’objet du marché et qui conditionne même la production des biens industriels (dont la vente dépend de nos comportements de consommateurs). Mieux : ce marché n’est plus soumis aux contraintes du hasard, du risque ou de l’imprédictibilité, comme le pensaient les chantres du libéralisme du XXe siècle : il est devenu malléable parce que ce sont nos comportements qui font l’objet d’une prédictibilité d’autant plus exacte que les big data peuvent être analysées avec des méthodes de plus en plus fiables et à grande échelle.

Si j’écris que nous sommes passés d’un régime politique à un régime a-politique, cela ne signifie pas que cette transformation soit radicale, bien entendu. Il existe et il existera toujours des tensions idéologiques à l’intérieur des institutions de l’État. C’est plutôt une question de proportions : aujourd’hui, la plus grande partie des décisions et des organes opérationnels sont motivés et guidés par des considérations relevant de situations déclarées impératives et non par des perspectives politiques. On peut citer par exemple le grand mouvement de « rigueur » incitant à la « maîtrise » des dépenses publiques imposée par les organismes financiers européens ; des décisions motivées uniquement par le remboursement des dettes et l’expertise financière et non par une stratégie du bien-être social. On peut citer aussi, d’un point de vue plus local et français, les contrats des institutions publiques avec Microsoft, à l’instar de l’Éducation Nationale, à l’encontre de l’avis d’une grande partie de la société civile, au détriment d’une offre différente (comme le libre et l’open source) et dont la justification est uniquement donnée par l’incapacité de la fonction publique à envisager d’autres solutions techniques, non par ignorance, mais à cause du détricotage massif des compétences internes. Ainsi « rationaliser » les dépenses publiques revient en fait à se priver justement de rationalité au profit d’une simple adaptation de l’organisation publique à un état de fait, un déterminisme qui n’est pas remis en question et condamne toute idéologie à être non pertinente.

Ce n’est pas pour autant qu’il faut ressortir les vieilles théories de la fin de l’histoire. Qui plus est, les derniers essais du genre, comme la thèse de Francis Fukuyama6, se sont concentrés justement sur l’avènement de la démocratie libérale conçue comme le consensus ultime mettant fin aux confrontations idéologiques (comme la fin de la Guerre Froide). Or, le capitalisme de surveillance a minima repousse toute velléité de consensus, au-delà du libéralisme, car il finit par définir l’État tout entier comme un instrument d’organisation, quelle que soit l’idéologie : si le nouveau régime de Big Other parvient à organiser le social, c’est aussi parce que ce dernier a désengagé le politique et relègue la décision publique au rang de validation des faits, c’est-à-dire l’acceptation des contrats entre les individus et les outils du capitalisme de surveillance.

Les mécanismes ne sont pas si nombreux et tiennent en quatre points :

  • le fait que les firmes soient des multinationales et surfent sur l’offre de la moins-disance juridique pour s’établir dans les pays (c’est la pratique du law shopping),
  • le fait que l’utilisation des données personnelles soit déloyale envers les individus-utilisateurs des services des firmes qui s’approprient les données,
  • le fait que les firmes entre elles adoptent des processus loyaux (pactes de non-agression, partage de marchés, acceptation de monopoles, rachats convenus, etc.) et passent des contrats iniques avec les institutions, avec l’appui de l’expertise, faisant perdre aux États leur souveraineté numérique,
  • le fait que les monopoles « du numérique » diversifient tellement leurs activités vers les secteurs industriels qu’ils finissent par organiser une grande partie des dynamiques d’innovation et de concurrence à l’échelle mondiale.

Pour résumer les trois conceptions de l’économie dont il vient d’être question, on peut dresser ce tableau :

Économie Forme Individus État
Économie spontanée Diversité et créativité des formes d’échanges, du don à la financiarisation Régulent l’économie par la démocratie ; les échanges sont d’abord des relations sociales Garant de la redistribution équitable des richesses ; régulateur des échanges et des comportements
Marché libéral Auto-régulation, défense des libertés économiques contre la décision publique (conception libérale de la démocratie : liberté des échanges et de la propriété) Agents consommateurs décisionnaires dans un milieu concurrentiel Réguler le marché contre ses dérives inégalitaires ; maintient une démocratie plus ou moins forte
Capitalisme de surveillance Les monopoles façonnent les échanges, créent (tous) les besoins en fonction de leurs capacités de production et des big data Sont exclusivement utilisateurs des biens et services Automatisation du droit adapté aux besoins de l’organisation économique ; sécurisation des conditions du marché

Il est important de comprendre deux aspects de ce tableau :

  • il ne cherche pas à induire une progression historique et linéaire entre les différentes formes de l’économie et des rapports de forces : ces rapports sont le plus souvent diffus, selon les époques, les cultures. Il y a une économie spontanée à l’Antiquité comme on pourrait par exemple, comprendre les monnaies alternatives d’aujourd’hui comme des formes spontanées d’organisation des échanges.
  • aucune de ces cases ne correspond réellement à des conceptions théorisées. Il s’agit essentiellement de voir comment le capitalisme de surveillance induit une distorsion dans l’organisation économique : alors que dans des formes classiques de l’organisation économique, ce sont les acteurs qui produisent l’organisation, le capitalisme de surveillance induit non seulement la fin du marché libéral (vu comme place d’échange équilibrée de biens et services concurrentiels) mais exclut toute possibilité de régulation par les individus / citoyens : ceux-ci sont vus uniquement comme des utilisateurs de services, et l’État comme un pourvoyeur de services publics. La décision publique, elle, est une affaire d’accord entre les monopoles et l’État.

“FREE SPEECH” par Newtown grafitti, licence CC BY 2.0

Les monopoles et l’État

Pour sa première visite en Europe, Sundar Pichai qui était alors en février 2016 le nouveau CEO de Google Inc. , choisit les locaux de Sciences Po. Paris pour tenir une conférence de presse7, en particulier devant les élèves de l’école de journalisme. Le choix n’était pas anodin, puisqu’à ce moment-là Google s’est présenté en grand défenseur de la liberté d’expression (par un ensemble d’outils, de type reverse-proxy que la firme est prête à proposer aux journalistes pour mener leurs investigations), en pourvoyeur de moyens efficaces pour lutter contre le terrorisme, en proposant à qui veut l’entendre des partenariats avec les éditeurs, et de manière générale en s’investissant dans l’innovation numérique en France (voir le partenariat Numa / Google). Tout cela démontre, s’il en était encore besoin, à quel point la firme Google (et Alphabet en général) est capable de proposer une offre si globale qu’elle couvre les fonctions de l’État : en réalité, à Paris lors de cette conférence, alors que paradoxalement elle se tenait dans les locaux où étudient ceux qui demain sont censés remplir des fonctions régaliennes, Sundar Pichai ne s’adressait pas aux autorités de l’État mais aux entreprises (éditeurs) pour leur proposer des instruments qui garantissent leurs libertés. Avec comme sous-entendu : vous évoluez dans un pays dont la liberté d’expression est l’un des fleurons, mais votre gouvernement n’est pas capable de vous le garantir mieux que nous, donc adhérez à Google. Les domaines de la santé, des systèmes d’informations et l’éducation en sont pas exempts de cette offre « numérique ».

Du côté du secteur public, le meilleur moyen de ne pas perdre la face est de monter dans le train suivant l’adage « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur ». Par exemple, si Google et Facebook ont une telle puissance capable de mener efficacement une lutte, au moins médiatique, contre le terrorisme, à l’instar de leurs campagnes de propagande8, il faut créer des accords de collaboration entre l’État et ces firmes9, quitte à les faire passer comme une exigence gouvernementale (mais quel État ne perdrait pas la face devant le poids financier des GAFAM ?).

… Et tout cela crée un marché de la gouvernance dans lequel on ne compte plus les millions d’investissement des GAFAM. Ainsi, la gouvernance est un marché pour Microsoft, qui lance un Office 2015 spécial « secteur public », ou, mieux, qui sait admirablement se situer dans les appels d’offre en promouvant des solutions pour tous les besoins d’organisation de l’État. Par exemple, la présentation des activités de Microsoft dans le secteur public sur son site comporte ces items :

  • Stimulez la transformation numérique du secteur public
  • Optimisez l’administration publique
  • Transformez des services du secteur public
  • Améliorez l’efficacité des employés du secteur public
  • Mobilisez les citoyens

Microsoft dans le secteur public

Microsoft Office pour le secteur public

D’aucuns diraient que ce que font les GAFAM, c’est proposer un nouveau modèle social. Par exemple dans une enquête percutante sur les entreprises de la Silicon Valley, Philippe Vion-Dury définit ce nouveau modèle comme « politiquement technocratique, économiquement libéral, culturellement libertaire, le tout nimbé de messianisme typiquement américain »10. Et il a entièrement raison, sauf qu’il ne s’agit pas d’un modèle social, c’est justement le contraire, c’est un modèle de gouvernance sans politique, qui considère le social comme la juxtaposition d’utilisateurs et de groupes d’utilisateurs. Comme le montre l’offre de Microsoft, si cette firme est capable de fournir un service propre à « mobiliser les citoyens  » et si en même temps, grâce à ce même fournisseur, vous avez les outils pour transformer des services du secteur public, quel besoin y aurait-il de voter, de persuader, de discuter ? si tous les avis des citoyens sont analysés et surtout anticipés par les big datas, et si les seuls outils efficaces de l’organisation publique résident dans l’offre des GAFAM, quel besoin y aurait-il de parler de démocratie  ?

En réalité, comme on va le voir, tout cette nouvelle configuration du capitalisme de surveillance n’est pas seulement rendue possible par la puissance novatrice des monopoles du numérique. C’est peut-être un biais : penser que leur puissance d’innovation est telle qu’aucune offre concurrente ne peut exister. En fait, même si l’offre était moindre, elle n’en serait pas moins adoptée car tout réside dans la capacité de la décision publique à déterminer la nécessité d’adopter ou non les services des GAFAM. C’est l’aménagement d’un terrain favorable qui permet à l’offre de la gouvernance numérique d’être proposée. Ce terrain, c’est la décision par l’expertise.


“Work-buy-consume-die”, par Mika Raento, sous licence CC BY 2.0
(trad. : « Participez à l’hilarante aventure d’une vie : travaillez, achetez, consommez, mourez. »)

L’accueil favorable au capitalisme de surveillance

Dans son livre The united states of Google11, Götz Haman fait un compte-rendu d’une conférence durant laquelle interviennent Eric Schmidt, alors président du conseil d’administration de Google, et son collègue Jared Cohen. Ces derniers ont écrit un ouvrage (The New Digital Age) qu’ils présentent dans les grandes lignes. Götz Haman le résume en ces termes : « Aux yeux de Google, les États sont dépassés. Ils n’ont rien qui permette de résoudre les problèmes du XXIe siècle, tels le changement climatique, la pauvreté, l’accès à la santé. Seules les inventions techniques peuvent mener vers le Salut, affirment Schmidt et son camarade Cohen. »

Une fois cette idéologie — celle du capitalisme de surveillance12 — évoquée, il faut s’interroger sur la raison pour laquelle les États renvoient cette image d’impuissance. En fait, les sociétés occidentales modernes ont tellement accru leur consommation de services que l’offre est devenue surpuissante, à tel point, comme le montre Shoshanna Zuboff, que les utilisateurs eux-mêmes sont devenus à la fois les pourvoyeurs de matière première (les données) et les consommateurs. Or, si nous nous plaçons dans une conception de la société comme un unique marché où les relations sociales peuvent être modelées par l’offre de services (ce qui se cristallise aujourd’hui par ce qu’on nomme dans l’expression-valise « Uberisation de la société »), ce qui relève de la décision publique ne peut être motivé que par l’analyse de ce qu’il y a de mieux pour ce marché, c’est-à-dire le calcul de rentabilité, de rendement, d’efficacité… d’utilité. Or cette analyse ne peut être à son tour fournie par une idéologie visionnaire, une utopie ou simplement l’imaginaire politique : seule l’expertise de l’état du monde pour ce qu’il est à un instant T permet de justifier l’action publique. Il faut donc passer du concept de gouvernement politique au concept de gouvernance par les instruments. Et ces instruments doivent reposer sur les GAFAM.

Pour comprendre au mieux ce que c’est que gouverner par les instruments, il faut faire un petit détour conceptuel.

L’expertise et les instruments

Prenons un exemple. La situation politique qu’a connue l’Italie après novembre 2011 pourrait à bien des égards se comparer avec la récente élection en France d’Emmanuel Macron et les élections législatives qui ont suivi. En effet, après le gouvernement de Silvio Berlusconi, la présidence italienne a nommé Mario Monti pour former un gouvernement dont les membres sont essentiellement reconnus pour leurs compétences techniques appliquées en situation de crise économique. La raison du soutien populaire à cette nomination pour le moins discutable (M. Monti a été nommé sénateur à vie, reconnaissance habituellement réservée aux anciens présidents de République Italienne) réside surtout dans le désaveu de la casta, c’est-à-dire le système des partis qui a dominé la vie politique italienne depuis maintes années et qui n’a pas réussi à endiguer les effets de la crise financière de 2008. Si bien que le gouvernement de Mario Monti peut être qualifié de « gouvernement des experts », non pas un gouvernement technocratique noyé dans le fatras administratif des normes et des procédures, mais un gouvernement à l’image de Mario Monti lui-même, ex-commissaire européen au long cours, motivé par la nécessité technique de résoudre la crise en coopération avec l’Union Européenne. Pour reprendre les termes de l’historien Peppino Ortoleva, à propos de ce gouvernement dans l’étude de cas qu’il consacre à l’Italie13 en 2012 :

Le « gouvernement des experts » se présente d’un côté comme le gouvernement de l’objectivité et des chiffres, celui qui peut rendre compte à l’Union européenne et au système financier international, et d’un autre côté comme le premier gouvernement indépendant des partis.

Peppino Ortoleva conclut alors que cet exemple italien ne représente que les prémices pour d’autres gouvernements du même acabit dans d’autres pays, avec tous les questionnements que cela suppose en termes de débat politique et démocratique : si en effet la décision publique n’est mue que par la nécessité (ici la crise financière et la réponse aux injonctions de la Commission européenne) quelle place peut encore tenir le débat démocratique et l’autonomie décisionnaire des peuples ?

En son temps déjà le « There is no alternative » de Margaret Thatcher imposait par la force des séries de réformes au nom de la nécessité et de l’expertise économiques. On ne compte plus, en Europe, les gouvernements qui nomment des groupes d’expertise, conseils et autres comités censés répondre aux questions techniques que pose l’environnement économique changeant, en particulier en situation de crise.

Cette expertise a souvent été confondue avec la technocratie, à l’instar de l’ouvrage de Vincent Dubois et Delphine Dulong publié en 2000, La question technocratique14. Lorsqu’en effet la décision publique se justifie exclusivement par la nécessité, cela signifie que cette dernière est définie en fonction d’une certaine compréhension de l’environnement socio-économique. Par exemple, si l’on part du principe que la seule réponse à la crise financière est la réduction des dépenses publiques, les technocrates inventeront les instruments pour rendre opérationnelle la décision publique, les experts identifieront les méthodes et l’expertise justifiera les décisions (on remet en cause un avis issu d’une estimation de ce que devrait être le monde, mais pas celui issu d’un calcul d’expert).

La technocratie comme l’expertise se situent hors des partis, mais la technocratie concerne surtout l’organisation du gouvernement. Elle répond souvent aux contraintes de centralisation de la décision publique. Elle crée des instruments de surveillance, de contrôle, de gestion, etc. capables de permettre à un gouvernement d’imposer, par exemple, une transformation économique du service public. L’illustration convaincante est le gouvernement Thatcher, qui dès 1979 a mis en place plusieurs instruments de contrôle visant à libéraliser le secteur public en cassant les pratiques locales et en imposant un système concurrentiel. Ce faisant, il démontrait aussi que le choix des instruments suppose aussi des choix d’exercice du pouvoir, tels ceux guidés par la croyance en la supériorité des mécanismes de marché pour organiser l’économie15.

Gouverner par l’expertise ne signifie donc pas que le gouvernement manque de compétences en son sein pour prendre les (bonnes ou mauvaises) décisions publiques. Les technocrates existent et sont eux aussi des experts. En revanche, l’expertise permet surtout de justifier les choix, les stratégies publiques, en interprétant le monde comme un environnement qui contraint ces choix, sans alternative.

En parlant d’alternative, justement, on peut s’interroger sur celles qui relèvent de la société civile et portées tant bien que mal à la connaissance du gouvernement. La question du logiciel libre est, là encore, un bon exemple.

En novembre 2016, Framasoft publiait un billet retentissant intitulé « Pourquoi Framasoft n’ira plus prendre le thé au ministère de l’Éducation Nationale ». La raison de ce billet est la prise de conscience qu’après plus de treize ans d’efforts de sensibilisation au logiciel libre envers les autorités publiques, et en particulier l’Éducation Nationale, Framasoft ne pouvait plus dépenser de l’énergie à coopérer avec une telle institution si celle-ci finissait fatalement par signer contrats sur contrats avec Microsoft ou Google. En fait, le raisonnement va plus loin et j’y reviendrai plus tard dans ce texte. Mais il faut comprendre que ce à quoi Framasoft s’est confronté est exactement ce gouvernement par l’expertise. En effet, les communautés du logiciel libre n’apportent une expertise que dans la mesure où elles proposent de changer de modèle : récupérer une autonomie numérique en développant des compétences et des initiatives qui visent à atteindre un fonctionnement idéal (des données protégées, des solutions informatiques modulables, une contribution collective au code, etc.). Or, ce que le gouvernement attend de l’expertise, ce n’est pas un but à atteindre, c’est savoir comment adapter l’organisation au modèle existant, c’est-à-dire celui du marché.

Dans le cadre des élections législatives, l’infatigable association APRIL (« promouvoir et défendre le logiciel libre ») lance sa campagne de promotion de la priorité au logiciel libre dans l’administration publique. À chaque fois, la campagne connaît un certain succès et des députés s’engagent réellement dans cette cause qu’ils plaident même à l’intérieur de l’Assemblée Nationale. Sous le gouvernement de F. Hollande, on a entendu des députés comme Christian Paul ou Isabelle Attard avancer les arguments les plus pertinents et sans ménager leurs efforts, convaincus de l’intérêt du Libre. À leur image, il serait faux de dire que la sphère politique est toute entière hermétique au logiciel libre et aux équilibres numériques et économiques qu’il porte en lui. Peine perdue ? À voir les contrats passés entre le gouvernement et les GAFAM, c’est un constat qu’on ne peut pas écarter et sans doute au profit d’une autre forme de mobilisation, celle du peuple lui-même, car lui seul est capable de porter une alternative là où justement la politique a cédé la place : dans la décision publique.

La rencontre entre la conception du marché comme seule organisation gouvernementale des rapports sociaux et de l’expertise qui détermine les contextes et les nécessités de la prise de décision a permis l’émergence d’un terrain favorable à l’État-GAFAM. Pour s’en convaincre il suffit de faire un tour du côté de ce qu’on a appelé la « modernisation de l’État ».

Les firmes à la gouvernance numérique

Anciennement la Direction des Systèmes d’Information (DSI), la DINSIC (Direction Interministérielle du Numérique et du Système d’Information et de Communication) définit les stratégies et pilote les structures informationnelles de l’État français. Elle prend notamment part au mouvement de « modernisation » de l’État. Ce mouvement est en réalité une cristallisation de l’activité de réforme autour de l’informatisation commencée dans les années 1980. Cette activité de réforme a généré des compétences et assez d’expertise pour être institutionnalisée (DRB, DGME, aujourd’hui DIATP — Direction interministérielle pour l’accompagnement des transformations publiques). On se perd facilement à travers les acronymes, les ministères de rattachement, les changements de noms au rythme des fusions des services entre eux. Néanmoins, le concept même de réforme n’a pas évolué depuis les grandes réformes des années 1950 : il faut toujours adapter le fonctionnement des administrations publiques au monde qui change, en particulier le numérique.

La différence, aujourd’hui, c’est que cette adaptation ne se fait pas en fonction de stratégies politiques, mais en fonction d’un cadre de productivité, dont on dit qu’il est un « contrat de performance » ; cette performance étant évaluée par des outils de contrôle : augmenter le rendement de l’administration en « rationalisant » les effectifs, automatiser les services publics (par exemple déclarer ses impôts en ligne, payer ses amendes en lignes, etc.), expertiser (accompagner) les besoins des systèmes d’informations selon les offres du marché, limiter les instances en adaptant des méthodes agiles de prise de décision basées sur des outils numériques de l’analyse de data, maîtrise des coûts….

C’est que nous dit en substance la Synthèse présentant le Cadre stratégique commun du système d’information de l’Etat, c’est-à-dire la feuille de route de la DINSIC. Dans une section intitulée « Pourquoi se transformer est une nécessite ? », on trouve :

Continuer à faire évoluer les systèmes d’information est nécessaire pour répondre aux enjeux publics de demain : il s’agit d’un outil de production de l’administration, qui doit délivrer des services plus performants aux usagers, faciliter et accompagner les réformes de l’État, rendre possible les politiques publiques transverses à plusieurs administrations, s’intégrer dans une dimension européenne.

Cette feuille de route concerne en fait deux grandes orientations : l’amélioration de l’organisation interne aux institutions gouvernementales et les interfaces avec les citoyens. Il est flagrant de constater que, pour ce qui concerne la dimension interne, certains projets que l’on trouve mentionnés dans le Panorama des grands projets SI de l’Etat font appel à des solutions open source et les opérateurs sont publics, notamment par souci d’efficacité, comme c’est le cas, par exemple pour le projet VITAM, relatif à l’archivage. En revanche, lorsqu’il s’agit des relations avec les citoyens-utilisateurs, c’est-à-dires les « usagers », ce sont des entreprises comme Microsoft qui entrent en jeu et se substituent à l’État, comme c’est le cas par exemple du grand projet France Connect, dont Microsoft France est partenaire.

En effet, France Connect est une plateforme centralisée visant à permettre aux citoyens d’effectuer des démarches en ligne (pour les particuliers, pour les entreprises, etc.). Pour permettre aux collectivités et aux institutions qui mettent en place une « offre » de démarche en ligne, Microsoft propose en open source des « kit de démarrage », c’est à dire des modèles, qui vont permettre à ces administrations d’offrir ces services aux usagers. En d’autres termes, c’est chaque collectivité ou administration qui va devenir fournisseur de service, dans un contexte de développement technique mutualisé (d’où l’intérêt ici de l’open source). Ce faisant, l’État n’agit plus comme maître d’œuvre, ni même comme arbitre : c’est Microsoft qui se charge d’orchestrer (par les outils techniques choisis, et ce n’est jamais neutre) un marché de l’offre de services dont les acteurs sont les collectivités et administrations. De là, il est tout à fait possible d’imaginer une concurrence, par exemple entre des collectivités comme les mairies, entre celles qui auront une telle offre de services permettant d’attirer des contribuables et des entreprises sur son territoire, et celles qui resteront coincées dans les procédures administratives réputées archaïques.

Microsoft : contribuer à FranceConnect

En se plaçant ainsi non plus en prestataire de produits mais en tuteur, Microsoft organise le marché de l’offre de service public numérique. Mais la firme va beaucoup plus loin, car elle bénéficie désormais d’une grande expérience, reconnue, en matière de service public. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’anticiper les besoins et les changements, elle est non seulement à la pointe de l’expertise mais aussi fortement enracinée dans les processus de la décision publique. Sur le site Econocom en 2015, l’interview de Raphaël Mastier16, directeur du pôle Santé de Microsoft France, est éloquent sur ce point. Partant du principe que « historiquement le numérique n’a pas été considéré comme stratégique dans le monde hospitalier », Microsoft propose des outils « d’analyse et de pilotage », et même l’utilisation de l’analyse prédictive des big data pour anticiper les temps d’attentes aux urgences : « grâce au machine learning, il sera possible de s’organiser beaucoup plus efficacement ». Avec de tels arguments, en effet, qui irait à l’encontre de l’expérience microsoftienne dans les services publics si c’est un gage d’efficacité ? on comprend mieux alors, dans le monde hospitalier, l’accord-cadre CAIH-Microsoft qui consolide durablement le marché Microsoft avec les hôpitaux.

Au-delà de ces exemples, on voit bien que cette nouvelle forme de gouvernance à la Big Other rend ces instruments légitimes car ils produisent le marché et donc l’organisation sociale. Cette transformation de l’État est parfaitement assumée par les autorités, arguant par exemple dans un billet sur gouvernement.fr intitulé « Le numérique : instrument de la transformation de l’État », en faveur de l’allégement des procédures, de la dématérialisation, de la mise à disposition des bases de données (qui va les valoriser ?), etc. En somme autant d’arguments dont il est impossible de nier l’intérêt collectif et qui font, en règle générale, l’objet d’un consensus.

Le groupe canadien CGI, l’un des leaders mondiaux en technologies et gestion de l’information, œuvre aussi en France, notamment en partenariat avec l’UGAP (Union des Groupements d’Achats Publics). Sur son blog, dans un Billet du 2 mai 201717, CGI résume très bien le discours dominant de l’action publique dans ce domaine (et donc l’intérêt de son offre de services), en trois points :

  1. Réduire les coûts. Le sous-entendu consiste à affirmer que si l’État organise seul sa transformation numérique, le budget sera trop conséquent. Ce qui reste encore à prouver au vu des montants en jeu dans les accords de partenariat entre l’État et les firmes, et la nature des contrats (on peut souligner les clauses concernant les mises à jour chez Microsoft) ;
  2. Le secteur public accuse un retard numérique. C’est l’argument qui justifie la délégation du numérique sur le marché, ainsi que l’urgence des décisions, et qui, par effet de bord, contrevient à la souveraineté numérique de l’État.
  3. Il faut améliorer « l’expérience citoyen ». C’est-à-dire que l’objectif est de transformer tous les citoyens en utilisateurs de services publics numériques et, comme on l’a vu plus haut, organiser une offre concurrentielle de services entre les institutions et les collectivités.

Du côté des décideurs publics, les choix et les décisions se justifient sur un mode Thatchérien (il n’y a pas d’alternative). Lorsqu’une alternative est proposée, tel le logiciel libre, tout le jeu consiste à donner une image politique positive pour ensuite orienter la stratégie différemment.

Sur ce point, l’exemple de Framasoft est éloquent et c’est quelque chose qui n’a pas forcément été perçu lors de la publication de la déclaration « Pourquoi Framasoft n’ira plus prendre le thé…» (citée précédemment). Il s’agit de l’utilisation de l’alternative libriste pour légitimer l’appel à une offre concurrentielle sur le marché des firmes. En effet, les personnels de l’Éducation Nationale utilisent massivement les services que Framasoft propose dans le cadre de sa campagne « Degooglisons Internet ». Or, l’institution pourrait très bien, sur le modèle promu par Framasoft, installer ces mêmes services, et ainsi offrir ces solutions pour un usage généralisé dans les écoles, collèges et lycées. C’est justement le but de la campagne de Framasoft que de proposer une vaste démonstration pour que des organisations retrouvent leur autonomie numérique. Les contacts que Framasoft a noué à ce propos avec différentes instances de l’Éducation Nationale se résumaient finalement soit à ce que Framasoft et ses bénévoles proposent un service à la carte dont l’ambition est bien loin d’une offre de service à l’échelle institutionnelle, soit participe à quelques comités d’expertise sur le numérique à l’école. L’idée sous-jacente est que l’Éducation Nationale ne peut faire autrement que de demander à des prestataires de mettre en place une offre numérique clé en main et onéreuse, alors même que Framasoft propose tous ses services au grand public avec des moyens financiers et humains ridiculement petits.

Dès lors, après la signature du partenariat entre le MEN et Microsoft, le message a été clairement formulé à Framasoft (et aux communautés du Libre en général), par un Tweet de la Ministre Najat Vallaud-Belkacem exprimant en substance la « neutralité technologique » du ministère (ce qui justifie donc le choix de Microsoft comme objectivement la meilleure offre du marché) et l’idée que les « éditeurs de logiciels libres » devraient proposer eux aussi leurs solutions, c’est-à-dire entrer sur le marché concurrentiel. Cette distorsion dans la compréhension de ce que sont les alternatives libres (non pas un produit mais un engagement) a été confirmée à plusieurs reprises par la suite : les solutions libres et leurs usages à l’Éducation Nationale peuvent être utilisées pour « mettre en tension » le marché et négocier des tarifs avec les firmes comme Microsoft, ou du moins servir d’épouvantail (dont on peut s’interroger sur l’efficacité réelle devant la puissance promotionnelle et lobbyiste des firmes en question).

On peut conclure de cette histoire que si la décision publique tient à ce point à discréditer les solutions alternatives qui échappent au marché des monopoles, c’est qu’une idéologie est à l’œuvre qui empêche toute forme d’initiative qui embarquerait le gouvernement dans une dynamique différente. Elle peut par exemple placer les décideurs devant une incapacité structurelle18 de choisir des alternatives proposant des logiciels libres, invoquant par exemple le droit des marchés publics voire la Constitution, alors que l’exclusion du logiciel libre n’est pas réglementaire19.

Ministre de l’Éducation Nationale et Microsoft

L’idéologie de Silicon

En février 2017, quelques jours à peine après l’élection de Donald Trump à présidence des États-Unis, le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, publie sur son blog un manifeste20 remarquable à l’encontre de la politique isolationniste et réactionnaire du nouveau président. Il cite notamment tous les outils que Facebook déploie au service des utilisateurs et montre combien ils sont les vecteurs d’une grande communauté mondiale unie et solidaire. Tous les concepts de la cohésion sociale y passent, de la solidarité à la liberté de l’information, c’est-à-dire ce que le gouvernement est, aux yeux de Zuckerberg, incapable de garantir correctement à ses citoyens, et ce que les partisans de Trump en particulier menacent ouvertement.

Au moins, si les idées de Mark Zuckerberg semblent pertinentes aux yeux des détracteurs de Donald Trump, on peut néanmoins s’interroger sur l’idéologie à laquelle se rattache, de son côté, le PDG de Facebook. En réalité, pour lui, Donald Trump est la démonstration évidente que l’État ne devrait occuper ni l’espace social ni l’espace économique et que seul le marché et l’offre numérique sont en mesure d’intégrer les relations sociales.

Cette idéologie a déjà été illustrée par Fred Tuner, dans son ouvrage Aux sources de l’utopie numérique21. À propos de ce livre, j’écrivais en 201622 :

(…) Fred Turner montre comment les mouvements communautaires de contre-culture ont soit échoué par désillusion, soit se sont recentrés (surtout dans les années 1980) autour de techno-valeurs, en particulier portées par des leaders charismatiques géniaux à la manière de Steve Jobs un peu plus tard. L’idée dominante est que la revendication politique a échoué à bâtir un monde meilleur ; c’est en apportant des solutions techniques que nous serons capables de résoudre nos problèmes.

Cette analyse un peu rapide passe sous silence la principale clé de lecture de Fred Tuner : l’émergence de nouveaux modes d’organisation économique du travail, en particulier le freelance et la collaboration en réseau. Comme je l’ai montré, le mouvement de la contre-culture californienne des années 1970 a permis la création de nouvelles pratiques d’échanges numériques utilisant les réseaux existants, comme le projet Community Memory, c’est-à-dire des utopies de solidarité, d’égalité et de liberté d’information dans une Amérique en proie au doute et à l’autoritarisme, notamment au sortir de la Guerre du Vietnam. Mais ce faisant, les années 1980, elles, ont développé à partir de ces idéaux la vision d’un monde où, en réaction à un État conservateur et disciplinaire, ce dernier se trouverait dépossédé de ses prérogatives de régulation, au profit de l’autonomie des citoyens dans leurs choix économiques et leurs coopérations. C’est l’avènement des principes du libertarisme grâce aux outils numériques. Et ce que montre Fred Turner, c’est que ce mouvement contre-culturel a ainsi paradoxalement préparé le terrain aux politiques libérales de dérégulation économique des années 1980-1990. C’est la volonté de réduire au strict minimum le rôle de l’État, garant des libertés individuelles, afin de permettre aux individus d’exercer leurs droits de propriété (sur leurs biens et sur eux-mêmes) dans un ordre social qui se définit uniquement comme un marché. À ce titre, pour ce qu’il est devenu, ce libertarisme est une résurgence radicale du libéralisme à la Hayek (la société démocratique libérale est un marché concurrentiel) doublé d’une conception utilitaire des individus et de leurs actions.

Néanmoins, tels ne sont pas exactement les principes du libertarisme, mais ceux-ci ayant cours dans une économie libérale, ils ne peuvent qu’aboutir à des modèles économiques basés sur une forme de collaboration dérégulée, anti-étatique, puisque la forme du marché, ici, consiste à dresser la liberté des échanges et de la propriété contre un État dont les principes du droit sont vécus comme arbitrairement interventionnistes. Les concepts tels la solidarité, l’égalité, la justice sont remplacés par l’utilité, le choix, le droit.

Un exemple intéressant de ce renversement concernant le droit, est celui du droit de la concurrence appliqué à la question de la neutralité des plateformes, des réseaux, etc. Regardons les plateformes de service. Pourquoi assistons-nous à une forme de schizophrénie entre une Commission européenne pour qui la neutralité d’internet et des plateformes est une condition d’ouverture de l’économie numérique et la bataille contre cette même neutralité appliquée aux individus censés être libres de disposer de leurs données et les protéger, notamment grâce au chiffrement ? Certes, les mesures de lutte contre le terrorisme justifient de s’interroger sur la pertinence d’une neutralité absolue (s’interroger seulement, car le chiffrement ne devrait jamais être remis en cause), mais la question est surtout de savoir quel est le rôle de l’État dans une économie numérique ouverte reposant sur la neutralité d’Internet et des plateformes. Dès lors, nous avons d’un côté la nécessité que l’État puisse intervenir sur la circulation de l’information dans un contexte de saisie juridique et de l’autre celle d’une volontaire absence du Droit dans le marché numérique.

Pour preuve, on peut citer le président de l’Autorité de la concurrence en France, Bruno Lassere, auditionné à l’Assemblée Nationale le 7 juillet 201523. Ce dernier cite le Droit de la Concurrence et ses applications comme un instrument de lutte contre les distorsions du marché, comme les monopoles à l’image de Google/Alphabet. Mais d’un autre côté, le Droit de la Concurrence est surtout vu comme une solution d’auto-régulation dans le contexte de la neutralité des plates-formes :

(…) Les entreprises peuvent prendre des engagements par lesquels elles remédient elles-mêmes à certains dysfonctionnements. Il me semble important que certains abus soient corrigés à l’intérieur du marché et non pas forcément sur intervention législative ou régulatrice. C’est ainsi que Booking, Expedia et HRS se sont engagées à lever la plupart des clauses de parité tarifaire qui interdisent une véritable mise en compétition de ces plateformes de réservation hôtelières. Comment fonctionnent ces clauses ? Si un hôtel propose à Booking douze nuitées au prix de 100 euros la chambre, il ne peut offrir de meilleures conditions – en disponibilité ou en tarif – aux autres plateformes. Il ne peut pas non plus pratiquer un prix différent à ses clients directs. Les engagements signés pour lever ces contraintes sont gagnants-gagnants : ils respectent le modèle économique des plateformes, et donc l’incitation à investir et à innover, tout en rétablissant plus de liberté de négociation. Les hôtels pourront désormais mettre les plateformes en concurrence.

Sur ce point, il ne faut pas s’interroger sur le mécanisme de concurrence qu’il s’agit de promouvoir mais sur l’implication d’une régulation systématique de l’économie numérique par le Droit de la Concurrence. Ainsi le rapport Numérique et libertés présenté Christian Paul et Christiane Féral-Schuhl, propose un long développement sur la question des données personnelles mais cite cette partie de l’audition de Bruno Lasserre à propos du Droit de la Concurrence sans revenir sur la conception selon laquelle l’alpha et l’omega du Droit consiste à aménager un environnement concurrentiel « sain » à l’intérieur duquel les mécanismes de concurrence suffisent à eux-seuls à appliquer des principes de loyauté, d’équité ou d’égalité.

Cette absence de questionnement politique sur le rôle du Droit dans un marché où la concentration des services abouti à des monopoles finit par produire immanquablement une forme d’autonomie absolue de ces monopoles dans les mécanismes concurrentiels, entre une concurrence acceptable et une concurrence non-souhaitable. Tel est par exemple l’objet de multiples pactes passés entre les grandes multinationales du numérique, ainsi entre Microsoft et AOL, entre AOL / Yahoo et Microsoft, entre Intertrust et Microsoft, entre Apple et Google (pacte géant), entre Microsoft et Android, l’accord entre IBM et Apple en 1991 qui a lancé une autre vague d’accords du côté de Microsoft tout en définissant finalement l’informatique des années 1990, etc.

La liste de tels accords peut donner le tournis à n’importe quel juriste au vu de leurs implications en termes de Droit, surtout lorsqu’ils sont déclinés à de multiples niveaux nationaux. L’essentiel est de retenir que ce sont ces accords entre monopoles qui définissent non seulement le marché mais aussi toutes nos relations avec le numérique, à tel point que c’est sur le même modèle qu’agit le politique aujourd’hui.

Ainsi, face à la puissance des GAFAM et consorts, les gouvernements se placent en situation de demandeurs. Pour prendre un exemple récent, à propos de la lutte anti-terroriste en France, le gouvernement ne fait pas que déléguer une partie de ses prérogatives (qui pourraient consister à mettre en place lui-même un système anti-propagande efficace), mais se repose sur la bonne volonté des Géants, comme c’est le cas de l’accord avec Google, Facebook, Microsoft et Twitter, conclu par le Ministre Bernard Cazeneuve, se rendant lui-même en Californie en février 2015. On peut citer, dans un autre registre, celui de la maîtrise des coûts, l’accord-cadre CAIH-Microsoft cité plus haut, qui finalement ne fait qu’entériner la mainmise de Microsoft sur l’organisation hospitalière, et par extension à de multiples secteurs de la santé.

Certes, on peut arguer que ce type d’accord entre un gouvernement et des firmes est nécessaire dans la mesure où ce sont les opérateurs les mieux placés pour contribuer à une surveillance efficace des réseaux ou modéliser les échanges d’information. Cependant, on note aussi que de tels accords relèvent du principe de transfert du pouvoir du politique aux acteurs numériques. Tel est la thèse que synthétise Mark Zuckerberg dans son plaidoyer de février 2017. Elle est acceptée à de multiples niveaux de la décision et de l’action publique.

C’est par une analyse du rôle et de l’emploi du Droit aujourd’hui, en particulier dans ce contexte où ce sont les firmes qui définissent le droit (par exemple à travers leurs accords de loyauté) que Alain Supiot démontre comment le gouvernement par les nombres, c’est-à-dire ce mode de gouvernement par le marché (celui des instruments, de l’expertise, de la mesure et du contrôle) et non plus par le Droit, est en fait l’avènement du Big Other de Shoshanna Zuboff, c’est-à-dire un monde où ce n’est plus le Droit qui règle l’organisation sociale, mais c’est le contrat entre les individus et les différentes offres du marché. Alain Supiot l’exprime en deux phrases24 :

Référée à un nouvel objet fétiche – non plus l’horloge, mais l’ordinateur –, la gouvernance par les nombres vise à établir un ordre qui serait capable de s’autoréguler, rendant superflue toute référence à des lois qui le surplomberaient. Un ordre peuplé de particules contractantes et régi par le calcul d’utilité, tel est l’avenir radieux promis par l’ultralibéralisme, tout entier fondé sur ce que Karl Polanyi a appelé le solipsisme économique.

Le rêve de Mark Zuckerberg et, avec lui, les grands monopoles du numérique, c’est de pouvoir considérer l’État lui-même comme un opérateur économique. C’est aussi ce que les tenants new public management défendent : appliquer à la gestion de l’État les mêmes règles que l’économie privée. De cette manière, ce sont les acteurs privés qui peuvent alors prendre en charge ce qui était du domaine de l’incalculable, c’est-à-dire ce que le débat politique est normalement censé orienter mais qui finit par être approprié par des mécanismes privés : la protection de l’environnement, la gestion de l’état-civil, l’organisation de la santé, la lutte contre le terrorisme, la régulation du travail, etc.

GAFAM : We <3 your Data

Conclusion : l’État est-il soluble dans les GAFAM ?

Nous ne perdons pas seulement notre souveraineté numérique mais nous changeons de souveraineté. Pour appréhender ce changement, on ne peut pas se limiter à pointer les monopoles, les effets de la concentration des services numériques et l’exploitation des big data. Il faut aussi se questionner sur la réception de l’idéologie issue à la fois de l’ultra-libéralisme et du renversement social qu’impliquent les techniques numériques à l’épreuve du politique. Le terrain favorable à ce renversement est depuis longtemps prêt, c’est l’avènement de la gouvernance par les instruments (par les nombres, pour reprendre Alain Supiot). Dès lors que la décision publique est remplacée par la technique, cette dernière est soumise à une certaine idéologie du progrès, celle construite par les firmes et structurée par leur marché.

Qu’on ne s’y méprenne pas : la transformation progressive de la gouvernance et cette idéologie-silicone sont l’objet d’une convergence plus que d’un enchaînement logique et intentionnel. La convergence a des causes multiples, de la crise financière en passant par la formation des décideurs, les conjonctures politiques… autant de potentielles opportunités par lesquelles des besoins nouveaux structurels et sociaux sont nés sans pour autant trouver dans la décision publique de quoi les combler, si bien que l’ingéniosité des GAFAM a su configurer un marché où les solutions s’imposent d’elles-mêmes, par nécessité.

Le constat est particulièrement sombre. Reste-t-il malgré tout une possibilité à la fois politique et technologique capable de contrer ce renversement ? Elle réside évidemment dans le modèle du logiciel libre. Premièrement parce qu’il renoue technique et Droit (par le droit des licences, avant tout), établit des chaînes de confiance là où seules des procédures régulent les contrats, ne construit pas une communauté mondiale uniforme mais des groupes sociaux en interaction impliqués dans des processus de décision, induit une diversité numérique et de nouveaux équilibres juridiques. Deuxièmement parce qu’il suppose des apprentissages à la fois techniques et politiques et qu’il est possible par l’éducation populaire de diffuser les pratiques et les connaissances pour qu’elles s’imposent à leur tour non pas sur le marché mais sur l’économie, non pas sur la gouvernance mais dans le débat public.

 

 


  1. Xavier De La Porte, « Start-up ou Etat-plateforme : Macron a des idées du 17e siècle », Chroniques La Vie Numérique, France Culture, 19/06/2017.
  2. C’est ce que montre, d’un point de vue sociologique Corinne Delmas, dans Sociologie politique de l’expertise, Paris : La Découverte, 2011. Alain Supiot, dans La gouvernance par les nombres (cité plus loin), choisit quant à lui une approche avec les clés de lecture du Droit.
  3. Voir Friedrich Hayek, La route de la servitude, Paris : PUF, (réed.) 2013.
  4. Voir Karl Polanyi, La Grande Transformation, Paris : Gallimard, 2009.
  5. Christophe Masutti, « du software au soft power », dans : Tristan Nitot, Nina Cercy (dir.), Numérique : reprendre le contrôle, Lyon : Framasoft, 2016, pp. 99-107.
  6. Francis Fukuyama, La Fin de l’Histoire et le dernier homme, Paris : Flammarion, 1992.
  7. Corentin Durand, « ‘L’ADN de la France, c’est la liberté de la presse’, clame le patron de Google », Numerama, 26/02/2016.
  8. Les Échos, « Google intensifie sa lutte contre la propagande terroriste », 19/06/2017.
  9. Sandrine Cassini, « Terrorisme : accord entre la France et les géants du Net », Les Echos, 23/04/2015.
  10. Philippe Vion-Dury, La nouvelle servitude volontaire, Enquête sur le projet politique de la Silicon Valley, Editions FYP, 2016.
  11. Götz Hamman, The United States of Google, Paris : Premier Parallèle, 2015.
  12. On pourrait ici affirmer que ce qui est en jeu ici est le solutionnisme technologique, tel que le critique Evgeny Morozov. Certes, c’est aussi ce que Götz Haman démontre : à vouloir adopter des solutions web-centrées et du data mining pour mécaniser les interactions sociales, cela revient à les privatiser par les GAFAM. Mais ce que je souhaite montrer ici, c’est que la racine du capitalisme de surveillance est une idéologie dont le solutionnisme technologique n’est qu’une résurgence (un rhizome, pour filer la métaphore végétale). Le phénomène qu’il nous faut comprendre, c’est que l’avènement du capitalisme de surveillance n’est pas dû uniquement à cette tendance solutionniste, mais il est le résultat d’une convergence entre des renversements idéologiques (fin du libéralisme classique et dénaturation du néo-libéralisme), des nouvelles organisations (du travail, de la société, du droit), des innovations technologiques (le web, l’extraction et l’exploitation des données), de l’abandon du politique. On peut néanmoins lire avec ces clés le remarquable ouvrage de Evgeny Morozov, Pour tout résoudre cliquez ici : L’aberration du solutionnisme technologique, Paris : FYP éditions, 2014.
  13. Peppino Ortoleva, « Qu’est-ce qu’un gouvernement d’experts ? Le cas italien », dans : Hermès, 64/3, 2012, pp. 137-144.
  14. Vincent Dubois et Delphine Dulong, La question technocratique. De l’invention d’une figure aux transformations de l’action publique, Strasbourg : Presses Universitaires de Strasbourg, 2000.
  15. Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (dir.), Gouverner par les instruments, Paris : Les Presses de Sciences Po., 2004, chap. 6, pp. 237 sq.
  16. « Raphaël Mastier, Microsoft France : le secteur hospitalier doit industrialiser sa modernisation numérique », Econocom, 29/05/2015.
  17. « Services aux citoyens, simplification, innovation : les trois axes stratégiques du secteur public », CGI : Blog De la Suite dans les Idées, 02/05/2017.
  18. Ariane Beky, « Loi numérique : les amendements sur le logiciel libre divisent », Silicon.fr, 14/01/2016.
  19. Marc Rees, « La justice annule un marché public excluant le logiciel libre », Next Inpact, 10/01/2011.
  20. Mark Zuckerberg, « Building Global Community », Facebook.com, 16/02/2017.
  21. Fred Tuner, Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture. Stewart Brand, un homme d’influence, Caen : C&F Éditions, 2013.
  22. Christophe Masutti, « Les nouveaux Léviathans I — Histoire d’une conversion capitaliste », Framablog, 04/07/2016.
  23. Compte-rendu de l’audition deBruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, sur la régulation et la loyauté des plateformes numériques, devant la Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, Mardi 7 juillet 2015 (lien).
  24. Alain Supiot, La gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (2012-2014), Paris : Fayard, 2015, p. 206.