Framasoft veut briser la barrière de la langue, pour mieux se faire copier
Voilà deux ans que nous travaillons à l’internationalisation des actions de Framasoft, afin que notre expérience puisse dépasser la francophonie. Si on part de (vraiment) loin, on sait où l’on va !
Cet article fait partie des « Carnets de voyage de Contributopia ». D’octobre à décembre 2019, nous y ferons le bilan des nombreuses actions que nous menons, lesquelles sont financées par vos dons (qui peuvent donner lieu à une réduction d’impôts pour les contribuables français). Si vous le pouvez, pensez à nous soutenir.
Where is Frama ? Frama is dans le bazar !
Framasoft est une association inscrite dans sa culture francophone, voire franco-française. Nos projets sont en français, nous n’avons pas de membres d’origines anglo-saxonnes et peu d’entre nous sont bilingues, l’imagerie de Dégooglisons Internet parodiait allègrement celle d’Astérix le Gaulois.. même le « Fra » de « Frama » vient de « Français », la matière qu’enseignait une des professeures à l’origine de Framasoft !
Autant vous dire qu’en 2017, lorsque nous avons inscrit des actions d’internationalisation dans la feuille de route de Contributopia, nous partions de loin ! D’une part parce que nous n’avions jamais eu ni pris le temps de nous présenter autrement qu’en Français… et d’autre part parce que, il y a deux ans, nous avions déjà plus de 30 services et de 50 projets aux traductions incomplètes ou inexistantes.
Chacun de nos sites avait son histoire, ses spécificités techniques, ses bidouillages qui rendaient encore plus complexe une traduction unifiée. Or avouons-le : la barrière de la langue nous arrangeait pas mal… Les services libres de Dégooglisons Internet attiraient déjà beaucoup, beaucoup de francophones. Si on se mettait à les traduire en anglais, espagnol ou italien, ne risquait-on pas d’imploser ?
Être free sans trop être open
Dans une culture du « toujours plus » qui nous entoure, la démarche que nous avons entreprise ces deux dernières années peut sembler paradoxale. Nous avons promu nos actions et nos outils à l’international en voulant ne surtout pas gagner d’importance ni d’usager·es pour nos services.
Le fait est que l’expérimentation proposée par Framasoft semble être unique au monde. On ne dit pas cela pour se la péter, hein ! Mais connaissez-vous d’autres structures libristes qui aient proposé un programme aussi complet (informer des dangers – proposer des alternatives – encourager la reproduction du modèle – créer de nouveaux outils), à une aussi large échelle (9 salarié·es, plus de 500 000 bénéficiaires par mois) tout en restant indépendante de la sphère marchande ?
Nous n’en voyons que peu, voir pas, et c’est justement cela qui nous chiffonne ! L’expérience que nous avons acquise pourrait aider d’autres structures à s’inspirer pour créer leurs propres expérimentations. Mais si l’on veut voir nos actions recopiées, et adaptées à d’autres cultures, il faut franchir la barrière de la langue, se présenter à plus large public possible et montrer comment ça a marché pour nous.
Avoir les mains dans le digital…
Un des plus gros chantiers a été d’internationaliser nos services. Il a fallu revoir entièrement la structure technique derrière les pages qui vous accueillent sur framapad.org ou framadate.org, le tout sans que la différence ne vous saute aux yeux ! Ces modifications techniques nous permettent de gérer les locales (les langues affichées) via notre forge logicielle, et de pouvoir utiliser un outil de Traduction Assistée par Ordinateur pour des traductions collaboratives.
C’est ainsi que des traductions sont déjà disponibles, car nous avons des allié⋅es pour internationaliser : c’est l’occasion de dire un grand MERCI aux contributeurs et contributrices qui ont aidé à publier en d’autres langues les logiciels, la documentation ou les pages web, on ne peut pas tous vous citer mais on vous aime ! Remerciements particuliers tout de même à la très active équipe italienne qui traduit fidèlement depuis pas mal de temps et diffuse de l’autre côté des Alpes nos expériences et les outils que nous mettons à disposition.
Un ringraziamento particolare al team italiano molto attivo che da tempo traduce fedelmente e diffonde le nostre esperienze e gli strumenti che mettiamo a disposizione
D’ailleurs, lorsque vous choisissez la langue d’un de nos sites, la liste proposée utilise les endonymes (disons « deutsche ») plutôt que le nom anglais (« German ») ou français (l’allemand). Ce genre de détail est important à nos yeux, car il témoigne du soin apporté à défendre certaines valeurs.
« What is PeerTube? », dit-il avec l’accent chocolatine
Une fois que l’on propose des outils traduits, il faut aussi en parler. D’une part parce que les messages de contact ou les demandes d’aide commencent à se faire en anglais (hé oui !). D’autre part parce que c’est l’objectif : montrer ce que l’on fait, montrer comment ça marche pour nous.
Nous continuons de rencontrer nos homologues hors francophonie pour échanger ensemble. Cela a donné quelques « talks » au sujet de Dégooglisons Internet ou de Contributopia. Aujourd’hui encore, nous échangeons avec le Free Software Fondation pour intervenir, à distance, lors de la prochaine édition du Libre Planet.
Ne nous cachons rien : les développements de PeerTube et de Mobilizon nous ont permis de faire connaître nos actions hors de la francophonie. Ce n’est pas pour rien que la vidéo « What is PeerTube? » a été enregistrée en anglais (avec l’accent toulousaing de Pouhiou). Ces outils, qui peuvent servir mondialement, ont été financés par des collectes. Il nous semblait essentiel que l’effort financier ne repose pas uniquement sur la francophonie.
Nous avons donc fait l’effort de présenter au monde des financements participatifs bilingues, en anglais comme en français… Quitte à faire un « AskMeAnything » sur reddit, et à publier des articles en anglais sur le Framablog… Aujourd’hui, leur langue de développement et de documentation est, comme pour de nombreux logiciels libres, l’anglais (même si nous les traduisons bien vite en Français !)
Faire de Framasoft un compost riche et fertile
Nous sommes loin, bien loin d’avoir fini nos efforts d’internationalisation. En fait, nous commençons seulement à avoir une base, solide, pour expérimenter une stratégie dans nos rapports hors-francophonie.
Microsoft est connu pour sa stratégie « embrace extend extinguish », à savoir embrasser l’autre pour conquérir son territoire et l’étouffer. Nous, nous situons à l’autre extrémité du spectre : exposer – expliquer – essaimer. Nous exposons nos actions, expliquons les conditions qui les ont permises pour que d’autres les copient, les adaptent, et qu’elles s’essaiment.
Plutôt que de traduire nos services en 15 langues, c’est donc tout un travail d’explications et d’essaimage qui reste à accomplir, dans l’espoir que les fruits produits par Framasoft puissent servir de terreau pour les expérimentations futures…
Rendez-vous sur la page des Carnets de Contributopia pour y découvrir d’autres articles, d’autres actions que nous avons menées grâce à vos dons. Si ce que vous venez de lire vous plaît, pensez à soutenir notre association, qui ne vit que par vos dons. Framasoft étant reconnue d’intérêt général, un don de 100 € d’un contribuable français reviendra, après déduction, à 34 €.
Federating Mobilizon : one more step towards de-facebooked events
There is a new development to our future alternative to Facebook: different Mobilizon installs can now federate with each other.
Why is that important? Why is this a key element? How can this make Mobilizon a fundamentally emancipatory tool? We will try to explain all this below.
This article is a part of « Contributopia’s travel journals ». From October to December of 2019, we will assess our many (donations-founded) actions, which are tax-deductible for French taxpayers. Donate here if you can.
If you are not (yet) familiar with our Mobilizon project….
Mobilizon was born from our desire to offer an alternative to Facebook events for marches to protect our climate and other citizen gatherings. Once the first version completed (by summer 2020 if all goes well!), Mobilizon will be a software that groups, structures or collectives can install on their server, to create their own event platform website. Who can do the most can do the least: if Mobilizon is designed to organize a large pacifist march, it will be easy to manage the birthday of the youngest one 😉 !
We worked with designers to have a strong vision for the software. Interviewing activists at various levels of civil society has allowed us to better design Mobilizon. It should not only serve as an alternative to Facebook events, but also to Facebook groups (to gather, communicate together, organize) and Facebook pages (to publish a presentation, however brief, of its collective, its place, its association… and organized events).
We also understood that Mobilizon had to move away from the Facebook-style social features that exploit our ego and motor the attention economy. In the Mobilizon we designed, there are no likes, incentives to create the narrative of your life on a wall, and no echo chambers to these frustrating dialogues where everyone shouts and no one listens.
In June 2019, we presented this project, asking you to finance it if you wanted us to develop it. With more than €58,000 raised, it’s obivious that you shared our enthousiasm for Mobilizon! In October 2019, we released a first beta version, with basic functionalities. We want to show, in all transparency, the evolution of Mobilizon’s development, with an always-up-to-date demo on test.mobilizon.org.
A new step forward: Mobilizon is now federated!
The federation is one of the most important aspects of the Mobilizon software. It is already good that University X can install Mobilizon on its servers, and create its instance of Mobilizon (let’s call it « MobilizedCollege.net »). But if Jaimie has created their account on UniMobilize.org, the body of their union, how can they register to the « March for Student Loans Awareness » event that was published on MobilizedCollege.net?
Integrating the ActivityPub protocol into the Mobilizon software allows each installation of each instance of the Mobilizon software to talk and federate with each other. Thus, in our example, MobilizedCollege.net and UniMobilize.org can choose to federate, i.e. share their information and interact together.
Rather than creating a giant platform with a single entrance door (facebook.com, meetup.com, etc.), we create a diversity of entrance doors that can be linked together, while keeping each one its own specificity. Since the second beta update, Mobilizon has made it possible to federate events, comments and participations. Most of the future features we will add in the coming months will also be federated, when appropriate.
You can already see the effects of this federation on our demo instance test.mobilizon.org. Note that the events there are fake (made for tests purposes), so if you try and install a Mobilizon instance on your server, it is better not to federate with this demo instance!
Other new features of the last two months
These last two months of development have mainly been devoted to the Federation aspect of Mobilizon. However, other improvements have also been made to the software.
One of the most visible is the addition of comments below events. Right now, this tool is basic: you can comment on an event, and respond to a comment. It is not intended to be a social tool (with likes, etc.), just a practical one.
Many addresses sources (to geolocate the address you type when entering the event location) have also been added to Mobilizon. We are currently thinking about how to improve this point without overloading our friends in the free-libre community such as OpenStreetMap. Today, we are still relying on OSM’s Nominatim server, pending the delivery of our own server!
Many bugs have been fixed since the October beta release. These corrections, combined with many practical and aesthetic improvements, are partly due to your feedback and contributions on our forum: thank you! If you have any comments about Mobilizon, if you spot anything on test.mobilizon.org, feel free to create a topic on our forum, the only place where we read all your feedback.
The road is long, but the path is set
Let’s be clear: Mobilizon is not (yet) ready to host your groups and events. We are already seeing pioneers who are tinkering with an installation on their servers (congratulations and thanks to you), it’s cool, really… But until we have released version 1, please consider that the software is not ready.
Also, there is no point in suggesting new features, we will not be able to add anything to what was planned during the fundraising last June. We would like to, but we simply do not have the human resources to meet all expectations. Our small non-profit manages many projects, and we must accept our limits to achieve our goals without burning out.
For the next few months, the path is set:
Process your feedback from this beta version and get some rest by the end of the year 😉
Work on pages and groups (with messaging, moderation, organizational tools) in the first quarter of 2020;
Have time for patches, possible delays and finishes that stabilize and document the software, for its release planned before the summer of 2020.
Framasoft remains Mobilized, see you this summer!
Adding federation functionality to Mobilizon is a key step. We will continue to keep you informed of such progress on this blog, and to demonstrate it on the test.mobilizon.org website.
In the meantime, we hope that this new milestone will inspire you as much as we do on the future of Mobilizon, do not hesitate to give us your feedback on our forum and see you in June 2020… to Mobilize together!
Have a look at Contributopia’s travel journals and discover more articles and actions made possible by your donations. If you like what you just read, please think of supporting us, as your donations are the only thing that allow us to go on. As Framasoft is a public interest organization, the real cost of a 100 € donation from a French taxpayer is only of 34 €.
Mobilizon Fédéré : un pas de plus vers la dé-facebookisation de nos événements
Le développement de notre future alternative aux événements Facebook vient de franchir une nouvelle étape : la possibilité de fédérer différentes installations de Mobilizon.
En quoi est-ce important ? Pourquoi est-ce un élément-clé ? Comment cela peut faire de Mobilizon un outil fondamentalement émancipateur ? Nous allons essayer de vous expliquer tout cela ci-dessous.
Cet article fait partie des « Carnets de voyage de Contributopia ». D’octobre à décembre 2019, nous y ferons le bilan des nombreuses actions que nous menons, lesquelles sont financées par vos dons (qui peuvent donner lieu à une réduction d’impôts pour les contribuables français). Si vous le pouvez, pensez à nous soutenir.
Si vous ne connaissez pas (encore) notre projet Mobilizon…
Mobilizon est né de notre envie d’offrir une alternative aux événements Facebook pour les Marches pour le Climat et autres rassemblements citoyens. Une fois développé (d’ici l’été 2020 si tout va bien !), Mobilizon sera un logiciel que des groupes, structures ou collectifs pourront installer sur leur serveur, pour créer leur propre plateforme d’événements sous forme de site web. Qui peut le plus peut le moins : si Mobilizon est conçu pour pourvoir y organiser une grande marche pacifiste, il sera facile d’y gérer l’anniversaire du petit dernier 😉 !
Nous avons travaillé avec des designers afin d’avoir une vision forte pour le logiciel. Interroger des citoyen·nes engagé·es à divers niveaux de la société civile nous a permis de mieux concevoir Mobilizon. Il ne doit pas seulement servir d’alternative aux événements Facebook, mais aussi aux groupes Facebook (pour se rassembler, communiquer ensemble, s’organiser) ainsi qu’aux pages Facebook (pour publier une présentation, même sommaire, de son collectif, son lieu, son association… et des événements organisés).
Nous avons aussi compris que Mobilizon devait s’éloigner des fonctionnalités sociales à la Facebook, celles qui exploitent notre ego et fondent les mécanismes de l’économie de l’attention. Dans Mobilizon tel que nous l’avons conçu, vous ne trouverez pas de likes, d’incitation à se mettre en scène sur son mur pour y créer le narratif de sa vie, ni de caisse de résonance de ces dialogues frustrants où tout le monde crie et personne ne s’écoute.
En juin 2019, nous vous présentions ce projet, en vous demandant de le financer si vous souhaitiez que nous le développions. Avec plus de 58 000 € récoltés, on peut dire que vous partagiez notre envie que Mobilizon voie le jour ! En Octobre 2019, nous avons publié une première version bêta, très sommaire, avec les fonctionnalités basiques. L’objectif est de vous montrer, en toute transparence, l’évolution du développement de Mobilizon, que vous pouvez tester au fur et à mesure de ses mises à jour sur test.mobilizon.org.
Une nouvelle étape franchie : Mobilizon est désormais fédéré !
La fédération est l’un des aspects les plus importants du logiciel Mobilizon. C’est déjà bien que l’université X puisse installer Mobilizon sur ses serveurs, et créer son instance de Mobilizon (appelons-la « MobilizTaFac.fr »). Mais si Camille a créé son compte sur SyndicMobilize.org, l’instance de son syndicat, comment peut-elle s’inscrire à l’événement « Marche contre la précarité étudiante » qui a été publié sur MobilizTaFac.fr ?
Intégrer le protocole ActivityPub au logiciel Mobilizon permet à chaque installation de chaque instance du logiciel Mobilizon de pouvoir parler et échanger avec d’autres. Ainsi, dans notre exemple, MobilizTaFac.fr et SyndicMobilize.org peuvent choisir de se fédérer, c’est-à-dire de synchroniser leurs informations et d’interagir ensemble.
Plutôt que de créer une plateforme géante avec une porte d’entrée unique (facebook.com, meetup.com, etc.), on crée une diversité de portes d’entrées qui peuvent se relier entre elles, tout en gardant chacune sa spécificité. Depuis la mise à jour « bêta 2 », Mobilizon permet de fédérer les événements, les commentaires, les participations. Bien entendu, dans les développements des prochains mois, les fonctionnalités appropriées seront, elles aussi, fédérées.
Vous pouvez d’ores et déjà voir les effets de cette fédération sur notre instance de démonstration test.mobilizon.org. Notez que les événements qui y sont créés sont de faux événements (qui servent de tests), donc si vous bidouillez une instance Mobilizon sur votre serveur, mieux vaut ne pas se fédérer avec cette instance de démonstration !
Les autres nouveautés de ces deux derniers mois
Ces deux derniers mois de développement ont principalement été consacrés à l’aspect fédération de Mobilizon. Cependant, d’autres améliorations ont aussi été apportées au logiciel.
Une des plus visibles, c’est l’ajout de commentaires en dessous des événements. L’outil est pour l’instant sommaire : on peut commenter un événement, et répondre à un commentaire. Il n’est pas prévu d’en faire un outil social (avec likes, etc.), simplement un outil… pratique.
De nombreuses sources d’adresses (pour géolocaliser l’adresse que l’on tape lorsqu’on renseigne le lieu de l’événement) ont aussi été ajoutées à Mobilizon. Nous réfléchissons actuellement à trouver comment améliorer ce point sans surcharger les projets libres compagnons tels que OpenStreetMap. En effet, nous nous appuyons encore sur le serveur Nominatim d’OSM, en attendant la livraison de notre propre serveur !
De nombreux bugs ont été corrigés depuis la publication de la bêta d’octobre. Ces corrections, associés à de nombreuses améliorations pratiques et esthétiques, nous les devons en partie à vos retours et à vos contributions sur notre forum : merci à vous ! Si vous avez la moindre remarque sur Mobilizon, si vous repérez quelque chose sur test.mobilizon.org, n’hésitez pas à créer un sujet sur notre forum, qui est le seul endroit où nous lisons tous vos retours.
La route est longue, mais la voie est toute tracée
Que l’on soit bien d’accord : Mobilizon n’est pas (encore) prêt à accueillir vos groupes et vos événements. Nous voyons d’ores et déjà des pionnier·es qui bidouillent une installation sur leurs serveurs (bravo et merci à vous), c’est cool, vraiment… Mais tant que nous n’avons pas publié la version 1, veuillez considérer que le logiciel n’est pas prêt.
De même, il ne sert à rien de nous suggérer de nouvelles fonctionnalités, nous ne pourrons rien ajouter à ce qui a été prévu lors de la collecte de juin dernier. Nous aimerions bien, mais nous n’avons tout simplement pas les moyens humains de répondre à toutes les attentes. Notre petite association porte de nombreux projets, et nous devons accepter nos limites pour les maintenir sereinement.
Pour les prochains mois, le chemin est tout tracé :
Traiter vos retours de cette version bêta et se reposer un peu d’ici la fin de l’année 😉
Travailler sur les pages et les groupes (avec messagerie, modération, outils d’organisation) au premier trimestre 2020 ;
Avoir du temps pour les correctifs, les éventuels retards et les finitions qui stabilisent et documentent le logiciel, pour sa sortie prévue avant l’été 2020.
Framasoft reste Mobilizée, rendez-vous cet été !
L’ajout des fonctionnalités de fédération à Mobilizon est une étape clé. Nous continuerons de vous tenir informé·es de telles avancées sur ce blog, et de les démontrer sur le site test.mobilizon.org.
En attendant, nous espérons que ce nouveau point d’étape vous enthousiasme autant que nous sur l’avenir de Mobilizon, n’hésitez pas à nous faire vos retours sur notre forum et rendez-vous en Juin 2020… pour se Mobilizer ensemble !
Rendez-vous sur la page des Carnets de Contributopia pour y découvrir d’autres articles, d’autres actions que nous avons menées grâce à vos dons. Si ce que vous venez de lire vous plaît, pensez à soutenir notre association, qui ne vit que par vos dons. Framasoft étant reconnue d’intérêt général, un don de 100 € d’un contribuable français reviendra, après déduction, à 34 €.
La partie précédente s’achevait sur ces questions :
Pour éliminer la précarité croissante qui attend les travailleurs du monde, y a-t-il une solution à ce casse-tête ? Pouvons-nous restaurer la boucle de rétroaction qui a été rompue ?
6. Les préfigurations d’un nouveau modèle social
Étrangement, la réponse peut se trouver dans le récent mouvement politique Occupy, car au-delà de la mise en place de production de communs politiques par les pairs, ses militants ont aussi montré l’exemple par la pratique de nouvelles entreprises et de nouvelles valeurs. Ces pratiques étaient effectivement incroyablement similaires à l’écologie institutionnelle qui est aujourd’hui pratiquée dans les communautés qui produisent des logiciels libres et du matériel open source. Ce n’est pas une coïncidence.
Revenons sur le fonctionnement d’Occupy Wall Street à Zuccoti Park, lorsque le mouvement était toujours opérationnel à l’automne 2011. Un public créatif y jouait un rôle central, en cherchant le consensus par l’intermédiaire de l’assemblée générale et en offrant toutes sortes de modèles (contrôle des micros, camps de protestation, groupes de travail, etc.) qui, dans un esprit véritablement open source, pouvaient non seulement être copiés et mis en œuvre par des communautés similaires dans le monde entier, mais également modifiés pour répondre aux besoins locaux (le fork, ou ramification, dans le jargon open source). Si vous ne contribuiez pas, vous n’aviez pas votre mot à dire, de sorte que la participation était et demeure nécessaire.
Cette communauté avait toutes sortes de besoins, tels que nourriture, hébergement, soins de santé. S’est-elle simplement appuyée sur l’économie de marché pour les combler ? Non, mais parfois oui, quoique d’une manière spécifique. Permettez-moi de développer.
Occupy Wall Street a mis sur pied des groupes de travail diversifiés pour trouver des solutions à ses besoins physiques. En d’autres termes, on considérait l’économie comme un système d’approvisionnement, tel que décrit dans le formidable livre de Marvin Brown Civilizing the Economy, et ce sont les citoyens, organisés en groupes de travail, qui ont décidé quel système d’approvisionnement serait le plus adapté à leurs valeurs éthiques.
Par exemple, des producteurs biologiques du Vermont ont offert aux militants de la nourriture gratuite, préparée par des cuisiniers volontaires, mais cela a eu des effets négatifs. Les vendeurs ambulants locaux, généralement des immigrants pauvres, ne s’en sortaient pas très bien. Comme tout le monde recevait de la nourriture gratuite, ils ne pouvaient plus vendre leurs produits aisément. La réponse à ce problème a consisté à faire en sorte que les militants s’occupent des vendeurs. Ils ont créé un projet consacré aux vendeurs ambulants afin de lever des fonds destinés à leur acheter de la nourriture.
Bingo, d’un seul coup, Occupy Wall Street a créé une économie éthique performante, qui était à la fois une dynamique de marché, mais qui fonctionnait aussi en harmonie avec le système de valeurs des occupants. Ce qui est crucial ici c’est que ce sont les citoyens qui ont décidé du système d’approvisionnement le plus approprié et pas les détenteurs de la propriété et de l’argent dans une économie qui a fait sécession des valeurs éthiques.
Que peut-on apprendre du tout nouveau modèle Occupy si on le généralise à la société toute entière ?
Aujourd’hui, nous supposons que la valeur est créée dans la sphère privée, par des entreprises à but lucratif, et nous admettons que la société civile est juste la catégorie qui reste. C’est ce qu’il se passe lorsque nous rentrons chez nous, épuisés après notre travail salarié. Cela se manifeste dans nos choix linguistiques, quand nous qualifions des organisations de la société civile comme à but non-lucratif ou non-gouvernementales.
Le système dans son ensemble est géré par un État dans lequel l’État providence social-démocrate est devenu de plus en plus un État providence néolibéral où les gains sont privatisés et les pertes sont socialisées. En d’autres termes, l’État lui-même est devenu une extension des entreprises et est, de manière croissante, de moins en moins au service des citoyens. Nous pouvons voir l’évolution de ce modèle dans la manière dont la troïka impose désormais la politique de la terre brûlée au cœur même de l’Europe, comme en Grèce, et non plus seulement dans des pays moins développés.
Occupy et les modèles open source nous montrent qu’une nouvelle réalité est possible, un modèle où la sphère civile démocratique, les biens communs productifs et un marché dynamique peuvent coexister pour engendrer un bénéfice mutuel :
1/ Au cœur de la création de valeurs se trouvent des communs variés, dans lesquels les innovations sont déposées pour que toute l’humanité puisse les partager et en tirer parti
2/ Ces communs sont établis et protégés grâce à des associations civiques à but non-lucratif, avec comme équivalent national l’État partenaire, qui habilite et permet la production sociale
3/ Autour de ces communs émerge une économie dynamique centrée sur les communs, et menée par différentes catégories d’entreprises éthiques, liées par leurs structures légales aux valeurs et aux buts de ces communautés, et non pas à des actionnaires absents et privés qui tentent de maximiser le profit à tout prix.
À l’intersection de ces trois cercles se trouvent les citoyens qui décident de la forme optimale de leur système d’approvisionnement.
Ce modèle peut exister en tant que sous-modèle au sein du capitalisme, et c’est déjà partiellement le cas dans le système actuel, avec les logiciels open source en tant qu’écologie d’entreprise. Il pourrait aussi devenir, avec quelques ajustements nécessaires, la logique même d’une nouvelle civilisation. Le mouvement Occupy ne nous a pas seulement montré une politique préfiguratrice, mais aussi et surtout une économie préfiguratrice.
Une autre question est, bien sûr, de savoir comment y parvenir. Une partie de la réponse est que cela va demander non seulement des mouvements sociaux puissants qui prônent une réforme et une transformation sociales, mais aussi une transformation et une maturation certaines du modèle de production par les pairs lui-même.
Aujourd’hui, c’est un pré-mode de production qui est entièrement interdépendant du système du capital. Il n’y aurait pas de reproduction sociale des travailleurs impliqués si ce n’est pour les infrastructures publiques générales fournies par l’État, mais plus particulièrement au travers du revenu produit par le fait de travailler pour une entreprise capitaliste.
Existe-t-il une possibilité de créer un modèle vraiment autonome de production par les pairs, qui pourrait créer son propre cycle de reproduction ? Pour ce faire, nous proposons deux « ajustements ».
Le premier consiste à utiliser un nouveau type de licence, la licence de production par les pairs, proposée par Dmytri Kleiner. Cette licence de partage propose que tous ceux qui contribuent à un commun puissent aussi utiliser ce commun. Le second ajustement consiste à créer des moyens entrepreneuriaux indépendants qui ne sont pas destinés à des entreprises à but lucratif, mais à des entreprises éthiques, dont les membres sont acteurs et dont la mission est d’aider les communs et leurs contributeur⋅ices.
À l’instar de Neal Stephenson dans son roman L’Âge de diamant, et de la pratique pionnière du réseau coopératif Las Indias, nous proposons de les appeler « phyles » (voir la page Wikipédia de phyles en anglais). Les phyles sont des entités axées sur la mission, les objectifs, le soutien à la communauté, qui opèrent sur le marché, à l’échelle mondiale, mais travaillent pour le bien commun.
De cette manière, la reproduction sociale des citoyens ordinaires ne dépendrait plus du cycle d’accumulation du capital, mais de son propre cycle de création de valeur et de réalisation. Combinées aux mouvements sociaux et à la représentation politique, nous pensons que ces trois composantes constitueraient la base d’une nouvelle hégémonie sociale et politique, qui constituerait la force sociale de base et mènerait à la transformation sociale dans le sens d’un approfondissement et d’un élargissement des modèles de production par les pairs, de la micro-économie à la macro-économie.
7. Vers une civilisation basée sur des économies de gamme plutôt que d’échelle
Suite à la division internationale du travail imposée par la mondialisation, l’objectif de la concurrence est de pouvoir produire plus d’unités, de manière à faire baisser le prix unitaire et à surpasser la concurrence. Les sociétés multinationales et les marques mondiales ont maintenant des chaînes de valeur très complexes, dans lesquelles différentes parties d’un produit sont fabriquées en série dans différentes parties du monde.
Néanmoins, le système présente des faiblesses évidentes. L’une d’elles est de conduire à des monocultures, non seulement agricoles mais aussi industrielles, telles que la dépendance de l’économie côtière chinoise aux exportations. Et ce dernier exemple met en évidence un deuxième problème connexe.
La concurrence pousse sans cesse les prix à la baisse, et donc, dans les années 1980, les principaux acteurs occidentaux ont changé de stratégie. Ils ont poussé les travailleurs occidentaux aux salaires coûteux vers la précarité en transférant la production industrielle moins rentable dans des pays à bas salaires, tout en élargissant le régime de propriété intellectuelle afin d’extraire des revenus et des superprofits via des brevets, des droits d’auteur et des marques.
Comme le relève Thijs Markus à propos de Nike dans le blog de Rick Falkvinge, si vous voulez vendre 150 $ en Occident des chaussures qui reviennent à 5 $, il vaut mieux disposer d’un régime de propriété intellectuelle ultra répressif. D’où la nécessité des SOPA, PIPA, ACTA et autres tentatives pour criminaliser le droit de partage.
Mais il existe bien sûr un problème plus fondamental : tout le système de mondialisation des économies d’échelle repose essentiellement sur des transports mondiaux peu coûteux et donc sur la disponibilité permanente de combustibles fossiles surabondants. Après le pic pétrolier, et donc la fin du pétrole bon marché, et avec la demande toujours croissante des économies émergentes des pays du BRIC, il est plus que probable que le système complet s’effondrera. Pas en une journée, bien sûr, mais progressivement, même si on peut aussi s’attendre à des chutes brutales.
L’équilibre ponctué n’est en effet pas seulement une caractéristique des systèmes biologiques, mais aussi des systèmes sociaux ! Cela signifie que la concurrence sur la base des économies d’échelle, même si elle est encore efficace aujourd’hui, perd en fin de compte de sa pertinence et, finalement, ne peut être pratiquée que par ceux qui se moquent de la destruction de notre planète. À quel jeu les autres peuvent-ils jouer ? L’augmentation constante des prix des combustibles fossiles signifie que l’innovation et la concurrence doivent trouver un autre débouché. En fait, il s’agit d’inventer un jeu complètement différent.
Mais d’abord, un court intermède historique, car ce drame de la transition s’est déjà joué auparavant…
Quand les Romains de la fin du cinquième siècle se battaient encore pour la couronne de l’empereur Auguste, les « barbares » germaniques brandissaient déjà leur menace. Et les communautés chrétiennes anticipaient les valeurs d’une prochaine ère de relocalisation basée non sur une économie d’échelle, mais sur une économie de gamme.
Mais qu’est-ce qu’une économie de gamme ? Pour vous donner envie, voici une brève définition : « Il existe une économie de gamme entre la production de deux biens lorsque deux biens qui partagent un coût commun sont produits ensemble de sorte que le coût commun est réduit ». Autrement dit, il s’agit de baisser les coûts communs d’un facteur de production, non pas en produisant plus d’unités mais en partageant le coût des infrastructures.
Mais reprenons notre petite parenthèse historique.
Tandis que l’Empire romain ne pouvait plus supporter les coûts inhérents à sa taille et sa complexité et que l’approvisionnement en or et en esclaves devenait de plus en plus problématique, les propriétaires terriens les plus intelligents commencèrent à libérer leurs esclaves, tout en les liant contractuellement aux terres comme serfs. Dans le même temps, les hommes libres, de plus en plus ruinés et écrasés par les taxes, se placèrent sous la protection de ces mêmes propriétaires terriens.
Ainsi, une partie de l’équation fut purement et simplement de la relocalisation, puisque le système ne pouvait plus prendre en charge l’Empire à l’échelle globale. Mais le nouveau système post-Empire romain inventa également un système d’innovation basé sur les avantages de gammes et non d’échelle. En effet, tandis que les cités se vidaient – et avec elles, le système de connaissances basé sur les bibliothèques urbaines, les cours à domicile élitistes et les académies – les Chrétiens inventèrent les monastères, de nouveaux centres de connaissances ruraux.
Mais l’important est que, tandis que le système physique se localisait, l’église chrétienne fonctionnait en réalité comme une communauté ouverte et globale. Moines et manuscrits voyageaient et diffusaient les nombreuses innovations des moines ouvriers. Alors que l’Europe amorçait son déclin avec l’effondrement des vestiges de l’Empire après la première révolution sociale européenne de 975, ce nouveau système fit germer la première révolution industrielle médiévale.
Entre le 10e et le 13e siècle, l’Europe recommença à se développer, grâce à une culture unifiée de la connaissance. Elle réintroduisit les monnaies à intérêt négatif contrôlant ainsi l’accumulation de richesses par les élites, doubla sa population, redéveloppa ses magnifiques villes dont beaucoup furent dirigées démocratiquement par des conseils de guildes, et inventa des universités de pair à pair à Bologne au 11e siècle. La Première Renaissance reposa entièrement sur l’économie de gamme, et sur le corpus de connaissances que les intellectuels et les artisans européens construisirent autour de celle-ci. Les guildes avaient sûrement leurs secrets, mais elles les gardèrent pour elles, partout où des cathédrales furent construites.
La même expérience a été reconduite en 1989 à l’échelle d’un pays entier, dans les circonstances les plus difficiles, quand Cuba, isolée, n’a plus pu compter sur les avantages d’échelle procurés par le système soviétique. La crise cubaine de 1989 a préfiguré la situation mondiale actuelle parce que le pays a connu son propre pic pétrolier lorsque les Soviétiques ont brusquement cessé de livrer du pétrole à des prix inférieurs à ceux du marché mondial. Tandis qu’au début, les Cubains ont recommencé à utiliser des ânes, et que la masse corporelle moyenne de la population a diminué, les dirigeants ont pris un certain nombre d’initiatives intéressantes.
Ils ont commencé par libérer l’esprit d’entreprise local en accordant plus d’autonomie aux coopératives agricoles locales, puis ils ont mobilisé les connaissances de base de la population, y compris urbaine. Mais surtout, et c’est peut-être le point le plus important, ils ont créé un certain nombre d’instituts agricoles dont le but prioritaire était de reproduire et diffuser les innovations locales. Quels que soient les autres défauts du système totalitaire à Cuba, cette expérience de conception ouverte a fonctionné au-delà de toute attente.
Comme l’a documenté Bill McKibben, Cuba produit maintenant des aliments nutritifs et de qualité « bio » en abondance avec une fraction seulement des énergies fossiles brûlées par l’agriculture industrielle. Et les Cubains les produisent tout comme le faisait le clergé chrétien du Moyen Âge en Europe : en partageant les connaissances pour obtenir des économies de gamme. Les innovations agricoles se sont diffusées rapidement dans tout le pays et ont été adoptées par tous.
Certes, les économies d’échelle fonctionnent bien dans les périodes d’énergie « ascendante », lorsque de plus en plus d’énergie afflue, mais fonctionnent de moins en moins dans les périodes d’énergie « descendante » lorsque les réserves d’énergie et de ressources diminuent. Sont alors nécessaires les économies de gamme, dans lesquelles vous pouvez démultiplier à partir d’une unité, comme dans les infrastructures émergentes de « fabrication à la demande » actuelles.
Les économies de gamme sont exactement ce qu’est la production par les pairs (sous ses diverses formes de savoir ouvert, de culture libre, de logiciel libre, de designs ouverts et partagés, de matériel ouvert et de production distribuée, etc.)
Récapitulons ce qui ne va pas dans le système global actuel, qui repose entièrement sur les économies d’échelle, et qui, dans bien des cas, rend les économies de gamme illégales.
Notre système actuel repose sur la croyance en une croissance et une disponibilité infinies des ressources, en dépit du fait que nous vivons sur une planète finie ; appelons cette fuite en avant la « pseudo-abondance » débridée.
Le système actuel repose sur la croyance que les innovations devraient être privatisées et seulement autorisées via des permissions ou pour un prix élevé (le régime de la propriété intellectuelle), rendant le partage du savoir et de la culture criminel ; appelons cette caractéristique, la « rareté artificielle » imposée.
Les méthodologies de production par les pairs reposent sur un ADN économique et social qui est leur exact contraire. Les communautés de production par les pairs estiment que la connaissance est un bien que tout le monde doit partager, et donc, qu’aucune innovation ne doit être cachée à la population dans son ensemble.
En fait, dissimuler une innovation qui peut sauver des vies ou le monde est vu comme immoral et constitue une véritable inversion des valeurs. Et la production par les pairs est conçue dans une optique de distribution et d’inclusion, c’est-à-dire de fabrication à petite échelle, voire individuelle. L’obsolescence programmée, qui est une caractéristique et non pas un bug du système actuel, est totalement étrangère à la logique de la production par les pairs. En d’autres termes, la durabilité est une caractéristique des communautés de conception ouverte, pas un bug.
Encore une fois, il existe des précédents historiques à ces inversions de valeurs. Les communautés chrétiennes de l’Empire romain n’étaient pas en concurrence avec l’Empire, elles construisaient leurs propres institutions sur la base d’une logique différente et étrangère. Alors que les élites romaines méprisaient le travail, qui était réservé aux esclaves, les moines chrétiens en faisaient l’éloge et essayaient de préfigurer l’Éden dans leurs cités de Dieu terrestres.
De même, les Sans-culottes de 1789 ne se battaient pas pour les privilèges féodaux mais les ont tous abolis en un seul jour. Il serait donc incorrect de voir la production par les pairs comme de simples techniques concurrentes. En fait, ces évolutions se produisent sur un plan complètement différent. Elles vivent et coexistent dans le même monde, mais elles n’appartiennent pas vraiment à la même logique du monde.
Quelles sont donc les économies de gamme du nouvel âge du P2P ? Elles sont de deux sortes :
La mutualisation des connaissances et des ressources immatérielles
La mutualisation des ressources matérielles productives
Le premier principe est facile à comprendre. Si nous manquons de connaissances en tant qu’individus (et personne ne peut tout savoir), dans une communauté, virtuelle ou réelle, il est bien plus probable que quelqu’un dispose de ces connaissances. Par conséquent, la mutualisation des connaissances et l’innovation « accélérée par le public » sont déjà une caractéristique bien connue de l’économie collaborative. Mais l’avantage de gamme apparaît lorsque les connaissances sont partagées et qu’elles peuvent donc être utilisées par autrui. Cette innovation sociale réduit radicalement le coût général de la connaissance, facteur de production conjointe.
Cette communauté mondiale de travailleurs agricoles et de scientifiques citoyens s’intéresse à l’expérimentation de meilleurs nutriments pour obtenir des aliments de meilleure qualité. Ainsi, des recherches conjointes peuvent être menées pour tester divers nutriments dans divers sols et zones climatiques, et elles bénéficieront instantanément non seulement à l’ensemble de la communauté participante, mais potentiellement à l’ensemble de l’humanité. Les stratégies fondées sur la privatisation de la propriété intellectuelle ne peuvent obtenir de tels avantages de gamme, ou du moins pas à ce niveau.
Prenons un autre exemple, celui de la ferme urbaine de la famille Dervaes à Los Angeles, qui réussit à produire 6 000 livres (environ 2 700 kilos) de nourriture par an sur un minuscule terrain urbain. Comme elles partagent leurs innovations en matière de productivité, des centaines de milliers de personnes ont déjà appris à améliorer leurs propres parcelles, mais imaginez la vitesse de l’innovation qui se produirait si elles étaient soutenues par les institutions d’un État partenaire, qui soutiendraient et diffuseraient encore davantage ces innovations sociales !
Le deuxième principe, celui de la mutualisation des ressources productives physiques, est illustré par la consommation collaborative. L’idée générale est la même. Seul, je peux manquer d’un certain outil, d’une certaine compétence ou d’un certain service, mais à l’échelle d’une communauté, quelqu’un d’autre le possède probablement, et cette autre personne pourrait le partager, le louer ou le troquer. Il n’est pas nécessaire de posséder tous le même outil si nous pouvons y accéder quand nous en avons besoin. D’où la multiplication des places de marché p2p.
Prenons un exemple pour l’illustrer : le partage de véhicules. Les projets d’autopartage peuvent être mutualisés par l’intermédiaire d’une société privée propriétaire des voitures (partage d’une flotte de véhicules, comme Zipcar), de marchés p2p qui relient les automobilistes entre eux comme (RelayRides et Getaround), de coopératives comme Mobicoop ou de collectivités publiques (Autolib à Paris). Mais tous réalisent des économies de gamme. Selon une étude citée par ZipCar, pour chaque voiture louée, il y a 15 voitures en moins sur la route. Et les abonnés à l’autopartage conduisent 31 % de moins après leur adhésion. Ainsi, rien que pour 2009, l’autopartage a permis de réduire les émissions mondiales de dioxyde de carbone de près d’un demi-million de tonnes.
Imaginez des développements comparables dans tous les secteurs de la production.
Alors, à quoi ressemblera le nouveau système si les économies de gamme deviennent la norme et sont promues comme principal moteur du système économique et social ? Nous avons déjà mentionné les communautés mondiales d’open design, et nous suggérons qu’elles s’accompagnent d’un réseau mondial de micro-ateliers, qui produisent localement, comme celles que les constructeurs automobiles open source comme Local Motors et Wikispeed proposent et qui sont déjà préfigurées par les réseaux de hackerspaces, fablabs et espaces de travail communs.
Cela signifie que nous avons aussi besoin d’organisations matérielles mondiales, non pas pour produire à l’échelle mondiale, mais pour organiser nos activités matérielles de manière à minimiser les « coûts communs » des différents réseaux, et pas seulement en termes de partage des connaissances. Pour le dire autrement, qui jouera le rôle que l’Église catholique et ses moines errants ont joué au Moyen Âge ? N’oublions pas qu’il ne s’agissait pas seulement d’une sorte de communauté d’open design, mais d’une organisation matérielle efficace qui dirigeait toute une sphère culturelle à l’échelle du continent. Avons-nous une version p2p potentielle de ce système, qui pourrait fonctionner à l’échelle mondiale ?
La réponse est évidemment dans la généralisation de la « phyle » telle qu’elle est proposée ci-dessus.
Il ne reste plus qu’à répondre à cette question cruciale : à quoi ressemblera la gouvernance mondiale dans la civilisation P2P ? Comment transformer l’Empire matériel mondial qui domine actuellement les affaires du monde au profit de quelques-uns, et remplacer les institutions mondiales inefficaces qui ne sont pas en mesure de relever les défis mondiaux ?
Les Métacartes Numérique Éthique : un outil qui fait envie !
Les médiatrices du numérique, les animateurs d’ateliers-découverte du libre et les pros de la formation le savent : nous manquons d’outils pour décrire l’intérêt, les notions et les pratiques qui permettent de mettre plus d’éthique dans nos vies numériques.
Cet article fait partie des « Carnets de voyage de Contributopia ». D’octobre à décembre 2019, nous y ferons le bilan des nombreuses actions que nous menons, lesquelles sont financées par vos dons (qui peuvent donner lieu à une réduction d’impôts pour les contribuables français). Si vous le pouvez, pensez à nous soutenir.
Le principe des Métacartes, c’est d’avoir un paquet de cartes qui tient dans la poche pour présenter rapidement et dans le plaisir un ensemble d’outils. L’astuce, c’est que chacune de ces cartes est liée à une page web où l’on peut prendre la place de décrire plus longuement l’outil en question, de renvoyer à des sources et des ressources, etc.
Durant leur financement participatif de septembre dernier, Mélanie et Lilian ont fait une promesse : si iels dépassaient les 200 % de financement, iels s’attelleraient à produire un jeu de Métacartes « Dégooglisons Internet », pour faciliter la présentation d’alternatives aux services des GAFAM.
Avec un projet financé à 269 %, il ne fait aucun doute que nous sommes nombreuses et nombreux à voir le potentiel émancipateur d’un outil tel que les Métacartes… Qui, en plus, sont un Commun de la connaissance, puisque sous licence CC-By-SA ! Il est donc temps de savoir où en sont Mélanie et Lilian sur leur projet de jeu « Dégooglisons Internet » !
Sur le papier aussi, Dégoogliser ne suffit pas !
La promesse, c’était de présenter les 38 services Dégooglisons Internet et quelques notions-clés en un jeu de cartes. Mais se contraindre à cette promesse posait plusieurs problèmes :
On centralise l’attention sur Framasoft, plutôt que de montrer la diversité des propositions existantes ;
Lister des outils numériques sur des cartes n’était pas résilient puisque si l’outil évoluait (en bien ou en mal) ou disparaissait, les cartes devenaient obsolètes ;
Il ne reste que peu de place pour aborder des notions essentielles d’hygiène numérique ;
Il manque une entrée partant des besoins et des vécus des personnes qui veulent plus d’éthique dans leur vie numérique.
Alors certes, Lilian et Mélanie auraient pu décider de faire vite et simple, de se borner à remplir la promesse faite lors du financement participatif, et d’éditer malgré tout un jeu de Métacartes « Dégooglisons Internet ».
Mais ce serait mal connaître le perfectionnisme de ces professionnelles de la formation. Dans leur billet de blog d’août dernier, on peut lire la démarche qui les mène à construire un jeu de Métacartes beaucoup plus ambitieux que prévu, et à en changer le nom.
Découvrez la version 1 des métacartes « Numérique Éthique »
Le jeu « Numérique Éthique » s’adresse à toutes les personnes qui font de la médiation au numérique. Que vous soyez libriste dans une install party ou un café vie privée, formatrice aux outils numériques, médiateur en tiers-lieu, etc. ce jeu se veut un outil d’éducation populaire à la littéracie numérique.
Mélanie et Lilian ont procédé à de nombreuses rencontres et échanges pour mieux comprendre les besoins et les attentes des personnes qui utiliseraient un tel jeu.
Les cartes Usages (exemple « Sondage ») qui présentent plusieurs types d’usages appuyés par des outils en ligne. Pour chacun des usages, ces cartes précisent les risques d’un outil privateur (Doodle, par exemple) et proposent une alternative éthique (ici, le logiciel Framadate) ;
Les cartes Histoires où l’on se raconte une petite histoire pour provoquer des discussions afin de questionner ensemble nos pratiques et nos croyances sur le monde numérique actuel (par exemple « je n’ai rien à cacher ») ;
Les cartes Concepts pour avoir sous la main les notions essentielles à des pratiques éthiques dans sa vie numérique (par exemple, l’interopérabilité).
3 questions à Mélanie et Lilian sur l’avenir de ces cartes
Vous l’imaginez bien, aborder autant de notions avec ces 3 entrées dans un seul jeu de cartes, c’est clairement plus ambitieux que de décrire les services « Dégooglisons Internet » ! Si cette première version du jeu Numérique Éthique est déjà une belle proposition, il manque encore du temps et du travail pour parvenir à un jeu à imprimer en masse…
Alors pour savoir comment nous pouvons y parvenir, donnons la parole à Mélanie et Lilian !
Vous nous présentez aujourd’hui une première version, qui est l’aboutissement de votre travail financé par le financement participatif de 2018. Pourquoi ne pas avoir directement proposé une impression de cette version 1 ?
Enfin en tant que professionnel⋅les de la formation, on sait que l’outil a besoin d’être testé et approfondi. Par exemple nous avons produit les textes et visuels pour plus de 50 cartes, mais il y a sûrement des choses à revoir au niveau de la rédaction ou des ambiguïtés à lever. Avec du recul on trouvera peut-être qu’il faut ajouter certaines cartes ou en enlever d’autres. Pour notre jeu précédent Il y a eu au moins 5 versions de prototypes testés avec des usagers avant de produire la version définitive !
Or comme tout travail de mise en page, faire des modèles propres pour 60 cartes recto/verso ça prend du temps, beaucoup de temps !
En plus il faut savoir que par souci de cohérence, et pour montrer ce qu’on pouvait faire avec du libre, nous avons choisi de travailler avec Scribus pour produire nos modèles. C’est un choix mais du coup, ça rajoute du travail parce que même si c’est un bon outil dans l’absolu, son ergonomie rend parfois le travail plus long qu’avec ses équivalents propriétaires.
Donc avant de faire des modèles imprimables, on préfère s’assurer que les contenus que l’on a produits sont suffisamment pertinent pour mériter d’être imprimés.
Dès maintenant ceux qui le souhaitent peuvent accéder aux contenus en ligne (c’est le cas depuis le début du projet) et nous allons essayer de proposer au cours des prochains mois des prototypes imprimables mais avec juste un graphisme sommaire.
Vous voulez approfondir le travail sur les métacartes Numérique Éthique en 2020… Mais concrètement, qu’est-ce qu’il manque à faire pour parvenir à une version 2 satisfaisante ? À quoi elle ressemblera ?
Pour la première version, nous avons choisi de focaliser sur un usage plutôt professionnel et collaboratif, domaine que nous connaissons le mieux. En plus, dans l’idée d’aller vers une société avec plus d’éthique, il nous a semblé intéressant de commencer par outiller les organisations et les collectifs.
Ensuite, plutôt que de faire un outil pour le grand public, nous avons choisi de faire un outil pour celles et ceux qui travaillent avec le grand public. Nous avons donc plutôt pensé le jeu pour un public de médiateurs numériques, qu’ils jouent ce rôle officiellement ou sans titre particulier.
Avec ces idées en tête, nous avons imaginé plusieurs portes d’entrée dans l’outil. Un exemple : disons que dans mon asso, je suis un peu la geek qui installe des outils pour les autres et que je suis déjà sensibilisée aux enjeux éthiques du numérique. Je cherche une alternative à mon outil propriétaire, je vais explorer les cartes usages et trouver celle qui correspond à mon besoin. C’est un peu ce que propose la page Degooglisons Internet qui liste des services libres sauf qu’ici, au lieu d’avoir une liste web, on a des cartes qui permettent d’explorer et de classer l’information d’une autre manière. Dans ce cas, on se sert de la page web associé à la carte pour proposer une alternative recommandée (en indiquant qui recommande) et en proposant des liens vers différents fournisseurs de services pour ne pas recentraliser uniquement sur Frama.
Autre scénario, je suis un médiateur qui veut sensibiliser mon public à l’importance de protéger sa vie privée des GAFAM. Je vais choisir une histoire à raconter parmi les cartes du même nom pour provoquer des réactions et des discussions. À partir de là, une fois que j’ai suscité de l’intérêt, je vais pouvoir m’appuyer sur les cartes concepts pour parler des notions. Le fait d’avoir une carte me permet de ne pas oublier des infos importantes et de retrouver des chiffres et des informations sourcées grâce à la page web.
Au final ce que nous voulons c’est un outil support simple et convivial qui fonctionne pour différents types de publics.
Voila quelques exemples de ce que nous imaginons comme premiers usages, mais pour vérifier que ça marche et qu’il y a une vraie cohérence entre les différentes entrées, il va nous falloir faire un gros travail sur la pédagogie de l’outil en le testant auprès de vrais usagers, que ce soit par des questionnaires ou des ateliers. Il nous reste aussi du travail de rédaction sur les fiches en ligne : certaines sont très complètes, mais d’autres nécessitent encore du travail de recherche et de synthèse.
Tout cela représente une grosse somme de travail, donc de temps disponible, donc d’argent pour financer votre temps et votre travail… Comment comptez-vous financer tout cela ? Avec une nouvelle collecte ?
Ce que nous imaginons pour financer le travail de conception/rédaction qui reste, c’est de demander à des contributeurs de nous soutenir en exprimant leur intérêt pour leur jeu via un système de prévente. Pour l’instant le temps que nous y avons passé était passionnant et bénévole, mais nous ne pouvons pas repartir pour 6 mois avec ce fonctionnement : un peu de revenus et surtout pré-financer l’impression du futur jeu est indispensable pour nous sécuriser dans ce projet !
Avec le temps ainsi acquis nous affinerons la ressource en ligne (sources, rédaction, …), nous pourrons prendre le temps d’organiser des ateliers de prototypage auprès de médiateurs, de facilitateurs, et nous lancerons le travail de conception des cartes sous Scribus…
Et bien sûr la cagnotte servira à imprimer les cartes.
On souhaite surtout lancer cet appel à des réseaux qui seraient intéressés pour commander des lots de jeux de cartes ( >10 jeux). Si vous faites partie ou connaissez des réseaux associatifs, réseaux de médiateurs numériques, éducation populaire, ESS… Si vous pensez que c’est un bon outil, qu’il peut vous être utile à vous ou à des réseaux que vous connaissez vous pouvez nous en faire part en écrivant à contact@metacartes.cc
Nous pensons lancer un système de pré-ventes dans le début de l’année 2020 et nous vous informerons alors du lancement à ce moment là. Pour rester informés, vous pouvez vous inscrire sur le site.
Contribuons pour obtenir une version 2 imprimée d’ici fin 2020 !
Chez Framasoft, nous savons qu’il y a un très gros besoin d’outils de médiation aux pratiques numériques éthiques, cela fait même partie des actions de Contributopia ! Nous voulons vraiment que cette version 2 détaillée et imprimée voit le jour, donc nous nous engageons :
à libérer de notre temps et de notre savoir-faire pour contribuer à cette version 2 avec Mélanie et Lilian ;
à pré-acheter un lot de ces Métacartes Numérique Éthique pour les distribuer aux médiateurs amateurs et médiatrices professionnelles que nous croisons régulièrement.
De votre côté, vous connaissez peut-être des structures qui auraient besoin d’un tel outil : fédération d’éducation populaire, collectifs de tiers-lieux, réseaux de bibliothèques et médiathèques, réseaux de formation au numérique, etc.
Si c’est le cas, vous pouvez leur communiquer cet article car ces structures peuvent financer la production de cette version 2 en pré-achetant un lot de métacartes Numérique Éthique. Il suffit qu’elles contactent Mélanie et Lilian sur l’email contact@metacartes.cc, pour qu’ensemble, nous contribuions à l’aboutissement un nouvel outil commun.
Nous n’hésiterons pas à vous tenir au courant des avancées et des manières de contribuer à l’évolution de ce projet tout au long de 2020 sur le framablog.
Rendez-vous sur la page des Carnets de Contributopia pour y découvrir d’autres articles, d’autres actions que nous avons menées grâce à vos dons. Si ce que vous venez de lire vous plaît, pensez à soutenir notre association, qui ne vit que par vos dons. Framasoft étant reconnue d’intérêt général, un don de 100 € d’un contribuable français reviendra, après déduction, à 34 €.
Archipélisation : comment Framasoft conçoit les relations qu’elle tisse
Afin de clarifier le fonctionnement de nos partenariats, nous souhaitons partager avec vous un concept qui nous semble important : celui d’archipélisation.
Cet article fait partie des « Carnets de voyage de Contributopia ». D’octobre à décembre 2019, nous y ferons le bilan des nombreuses actions que nous menons, lesquelles sont financées par vos dons (qui peuvent donner lieu à une réduction d’impôts pour les contribuables français). Si vous le pouvez, pensez à nous soutenir.
À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.
Non, notre objectif n’est pas de continuer à entraîner votre bouche à prononcer des mots difficilement prononçables (comme « Dégooglisation » ou « Déframasoftisation »). Il s’agit plutôt d’aborder la façon dont Framasoft perçoit, et finalement expérimente ses relations avec les tiers.
Cet article, qui montre (un peu) de notre fonctionnement interne, est le fruit d’une réflexion au long cours, qui continue d’évoluer. Il est donc possible que nous n’y soyons pas parfaitement clair·es, mais il nous semblait utile et important de partager notre positionnement actuel.
« Si tu as le cul entre deux chaises, trouve un canapé » (proverbe ébéniste)
Framasoft est avant tout une communauté d’utilisatrices et d’utilisateurs. Cependant, son fonctionnement est clairement celui d’un réseau, non seulement de projets, mais aussi de partenaires. Ainsi, Framasoft bénéficie du soutien de nombreuses organisations (publiques, commerciales, associatives) qui permettent aux projets de croître et de se développer. Les échanges entre Framasoft et ces partenaires se situent donc plutôt du côté de l’amitié, de la reconnaissance, de la confiance mutuelle, ou du sentiment d’avancer ensemble dans la même direction.
Or la position de l’association est complexe : d’un côté nous savons que nous touchons de très nombreuses personnes (autour de 500 000 par mois) et que notre projet associatif est un succès, mais d’un autre côté nous affirmons régulièrement que nous ne souhaitons pas devenir porte-parole de quoi que ce soit, ni détenir un quelconque pouvoir ou position d’autorité en dehors de nos propres projets.
Nous sommes donc tiraillé⋅es entre deux univers : celui de l’association souvent identifiée comme l’une des portes d’entrée francophones aux enjeux du numérique, et celui du groupe d’ami⋅es qui souhaite faire de l’éducation populaire – et donc politique – en apprenant de projet en projet (c’est à dire, souvent, en se plantant et en tirant les enseignements de ses erreurs).
Lutter ensemble, tout en respectant nos différences
Nous avons souvent essayé de résoudre cette tension en adoptant des positions d’équilibriste : « Et eux ? On travaille avec eux ? », « Cette asso fait un gros boulot de fond, mais en interne la gestion semble compliquée. », « On est invité dans ce cadre, très institutionnel. On ne partage pas toutes leurs idées, mais ça peut être aussi l’occasion de faire entendre les nôtres. On y va ou pas ? ». Toutes les associations font face à ce type de problématiques à un moment ou à un autre. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de faire, ni de cas généralisable à tout un secteur. Pour Framasoft, notre choix actuel est d’assumer que nos réflexions et nos actions se nourrissent de – et se confrontent à – l’expérience du quotidien.
Le premier déclencheur concernant cette réflexion fut peut-être en 2016, alors que nous réfléchissions à la création du collectif CHATONS, et que nous avons rencontré l’association québecoise FACiL. Ces derniers nous ont alors proposé de signer une « convention d’amitié », qui contractualisait notre envie de « faire ensemble » tout en reconnaissant les différences de chaque structure. Ce fonctionnement très simple est à la fois engageant (on signe un document qui engage les deux organisations et qui les lient l’une à l’autre) et, paradoxalement, peu engageant (puisque chaque partie peut mettre fin à la convention, unilatéralement, lorsqu’elle le souhaite). Nous avons, depuis, signé plusieurs de ces « conventions d’amitié » avec d’autres organisations.
Le second déclencheur s’est fait lors du « Forum des Usages Coopératifs » de Brest, en 2018, où nous retrouvions des compagnons de route, comme Laurent Marseault d’Animacoop. Les discussions filaient bon train sur nos capacités à nous mobiliser sur des objectifs communs, tout en reconnaissant que nous n’avions ni les mêmes compétences, ni les mêmes méthodes de travail, ni les mêmes stratégies. Pourtant, nous sentions intuitivement qu’il y avait interdépendance entre leur objet (la formation aux usages coopératifs) et celui de Framasoft (participer à la transformation sociale par le « libre »). Suffisamment bousculé⋅es par ces discussions intenses, nous partagions notre réflexion lors des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre.
Le troisième déclencheur, est venu, lui, des lectures d’Édouard Glissant.
Édouard Glissant (1928-2011), écrivain, poète, philosophe martiniquais, est considéré comme l’un des penseurs les plus importants au monde du concept d’archipélisation. C’est aussi un théoricien de la relation, qui est le lieu par excellence de la lutte comme celui de la prédation.
Mais… c’est quoi l’archipélisation ?
L’archipélisation est une métaphore insulaire (rappelons qu’Édouard Glissant est né dans l’archipel des Antilles), ne décrivant pas des entités isolées et évoluant selon leurs propres règles, mais comme un ensemble de petites structures indépendantes dont la capacité de développement repose sur la coopération, la mutualisation.
« J’appelle créolisation la rencontre, l’interférence, le choc, les harmonies et les dysharmonies entre les cultures. » Par ces mots, Édouard Glissant fait de la « créolisation » une décontinentalisation, qu’il nomme archipélisation, et qu’il corrèle à ce qu’il appelle le « tout-monde ». Le monde entier, pour lui, se créolise et s’archipélise.
Une autre façon d’appréhender ce concept est de penser un réseau de petites structures agiles et flexibles reliées entre elles par des outils conviviaux.
Cette notion, si elle est associée à celle des outils conviviaux d’Ivan Illich ou la figure du rhizome, héritée de Deleuze et Gattari, déjoue l’opposition entre centre et périphérie. Il s’agit donc de passer d’une vision continentale, où on essaye de faire continent tous ensemble, à une « archipélisation » d’îlots de résistance émergents. L’objectif n’est donc plus de construire un mouvement unique, monolithique, mais bien d’envisager l’avancée des luttes sous forme de coopérations entre ces différents îlots, sans essayer de se convaincre de tous faire la même chose.
Évidemment, nous n’avons pas toutes et tous la même histoire, la même capacité de résistance, les mêmes privilèges, les mêmes tempéraments, les mêmes moyens financiers… Mais il nous parait possible de se reconnaître différent⋅es, de respecter la diversité de chacun et chacune dans leurs stratégies et leurs tactiques, tout en partageant des buts communs.
Baigner dans des eaux communes
Cette notion d’archipélisation nous permet de poser un cadre temporaire de nos relations avec d’autres structures. À la fois une manière de faire collectif (sans forcément penser la même chose), et une manière d’être aux autres (avec ce qu’ils et elles nous apportent, ce que nous leur apportons, sans pour autant les absorber ou être absorbés par elles et eux, sans pour autant les adouber ou être adoubés par elles et eux).
Framasoft travaille depuis quelques années au développement de partenariats avec des structures proches-mais-pas-libristes, dans l’optique de mettre un pied dans la porte à la fois au bénéfice de Framasoft (qui touche d’autres publics), mais aussi des valeurs du libre, d’une part en créant du lien de la sphère libriste vers d’autres structures, d’autre part en ayant un dialogue rapproché avec elles afin de mieux écouter leurs demandes. L’idée commune reste la même : outiller la société de contribution (ou, si vous préférez, Accompagner celles et ceux qui veulent changer le monde, vers des usages numériques cohérents avec leurs valeurs).
Euh, et concrètement ?
Concrètement, Framasoft a aujourd’hui un partenariat fort avec une structure comme les CEMEA (association d’éducation populaire), sans que cela ne nous empêche de travailler avec d’autres acteurs majeurs de l’éducation populaire comme La Ligue de l’Enseignement (sur un MOOC CHATONS dont nous vous parlions la semaine dernière) ou les CRAJEP (sur le projet Bénévalibre évoqué il y a quelques semaines).
Nous pouvons aussi avoir de belles relations avec Résistance à l’Agression Publicitaire (autour de différents projets, dont Pytitions que nous vous présentions en octobre) ; sans pour autant entrer dans le « tout sauf Qwant » (même si nous demeurons critiques quant à cette entreprise vivant, justement, de la publicité et à ses méthodes de communication et de management).
Nous pouvons accompagner la Fédération Française des Motards en Colère dans sa « dégooglisation » (tout en étant parfaitement conscients que son objet premier est de fédérer les usager⋅es de véhicules utilisant des énergies fossiles), et en parallèle conseiller le mouvement écologiste « Colibris » (là encore, tout en étant critiques sur l’aspect individualiste porté par la fable du Colibri, et vigilant⋅es sur la réputation d’un de ses co-fondateurs, Pierre Rabhi).
Naviguer à la boussole de notre éthique et au compas de nos effets
Il ne s’agit pas pour nous de nous cacher derrière du « et en même temps » : nous faisons, quotidiennement, des choix (des choix réfléchis, pesés, informés), qui appuient une stratégie. Nous comprenons que certains acteurs cités ci-dessus paraîtront parfois trop politisés, parfois dépolitisants. Comme lorsque nous annonçons être membre fondateur de L.A. Coalition – qui compte aussi des associations telles que Tous migrants ou Action Droits des Musulmans. Comme lorsque nous réfutons l’opprobre par association (« Le caca de ton partenaire est ton caca »). Comme lorsque nous affirmons que nous refusons de travailler avec l’extrême-droite.
Nos relations partenariales sont le fruit d’une réflexion sur le temps long. Nous pensons qu’il est possible d’agir à certains endroits, tout en étant critique du contexte. Nous concevons aujourd’hui Framasoft comme une île au sein d’un archipel. Tisser des ponts vers d’autres îles où d’autres que nous font d’autres choses, ne signifie pas qu’on y plante notre drapeau (ni qu’on se laisse imposer le leur).
Certaines relations que nous entretenons avec d’autres îles (du même archipel ou d’un autre archipel) peuvent ne pas vous convenir, et vous pouvez donc les critiquer. Nous vous écoutons. Nous vous lisons. Nous discutons même, quand nous le pouvons. Mais nous traçons nos propres limites, nos propres stratégies. Nous ne sommes pas « vous ». Nous sommes là où nous voulons être.
Nous répétons souvent « La route est longue, mais la voie est libre ». Mais cela ne signifie pas qu’elle ne soit pas semée d’embûches. 🙂
Depuis près de 20 ans, Framasoft agit pour promouvoir un numérique émancipateur. Nous avons bien entendu remporté quelques batailles, mais force est de constater que les GAFAM, bien que critiqués de toutes parts quotidiennement, n’ont jamais été aussi puissants et aussi présents. Comment, dans ce cas, ne pas reconnaître que notre combat, s’il n’est pas futile pour autant, nous oblige à beaucoup d’humilité face à l’incertitude de son issue ?
Sur la façon de mener des luttes qui paraissent impossibles, que cela soit contre les géants du numérique, pour des outils libres et conviviaux, ou contre le capitalisme (de surveillance ou pas), nous aimerions citer la militante Corinne Morel-Darleux :
Plus les victoires futures sont hypothétiques, plus on a besoin de s’abreuver à d’autres sources de l’engagement. Il est des combats qu’on mène non pas parce qu’on est sûr de les gagner, mais simplement parce qu’ils sont justes ; c’est toute la beauté de l’engagement politique. Il faut remettre la dignité du présent au cœur de l’engagement : rester debout, digne, ne pas renoncer à la lutte. Il y a toujours des choses à sauver ! C’est une question d’élégance, de loyauté, de courage, valeurs hélas un peu désuètes. Il s’agit d’avoir des comportements individuels en accord avec notre projet collectif, comme l’a formulé l’anarchiste Emma Goldman (1869-1940). On peut marier radicalité du fond et aménité de la forme, action radicale et élégance. Je plaide pour le retour du panache !
Comme les harmonies et les dysharmonies évoquées par Édouard Glissant, nous reconnaissons le caractère ténu, fluctuant, impermanent, « tremblant » de nos relations avec les autres. Si, comme à nous, cette idée vous paraît pertinente, vous pouvez vous en emparer pour rejoindre ou faire émerger « votre » île, avec ce qu’elle comporte de spécificités en termes de stratégies et de tactiques, puis tisser les liens de votre choix dans un archipel de luttes et de mobilisations collectives auprès des militances qui vous importent.
Rendez-vous sur la page des Carnets de Contributopia pour y découvrir d’autres articles, d’autres actions que nous avons menées grâce à vos dons. Si ce que vous venez de lire vous plaît, pensez à soutenir notre association, qui ne vit que par vos dons. Framasoft étant reconnue d’intérêt général, un don de 100 € d’un contribuable français reviendra, après déduction, à 34 €.
Mon Parcours Collaboratif : présenter des outils numériques éthiques à l’ESSE
Les valeurs de l’Économie Sociale, Solidaire et Ecologique (l’ESSE) sont compatibles avec la culture du Logiciel Libre. Dès qu’on parle de nos outils libres, communautaires et collaboratifs à de petites structures de l’ESSE, on voit chez elles une véritable envie de s’en emparer.
Chez Framasoft, nous le constatons régulièrement à la machine à café et près du bac à vaisselle… bref dans les parties communes de notre bureau que nous louons à Lyon, au sein du tiers-lieu Locaux Motiv’.
Cet article fait partie des « Carnets de voyage de Contributopia ». D’octobre à décembre 2019, nous y ferons le bilan des nombreuses actions que nous menons, lesquelles sont financées par vos dons (qui peuvent donner lieu à une réduction d’impôts pour les contribuables français). Si vous le pouvez, pensez à nous soutenir.
Consciente de cet enjeu, l’association Locaux Motiv’ s’est engagée dans la production d’un outil en ligne pour accompagner les petites structures de l’ESSE dans le développement de leurs usages collaboratifs numériques avec des outils et logiciels libres. La mise en œuvre de ce projet est assurée conjointement par trois partenaires : Tadaa – Interactions informatives, la Fabrique à liens et Framasoft, 3 structures en résidence dans ce tiers-lieu.
L’ESSE n’est pas (encore ni totalement) enfermée chez les GAFAM
Aujourd’hui, la question du passage au numérique ne se pose plus. D’ailleurs, l’étude menée par Solidatech et Recherche et Solidarités en 2013, 2016 et 2019, La place du numérique dans le projet associatif, met en évidence que de plus en plus d’associations s’équipent en outils numériques. Cependant, lorsqu’on interroge les responsables eux-même sur la maturité numérique de leur structure, ils considèrent à 21% qu’elle est « peu initiée », à 55% qu’elle est « en progrès » et à 21% qu’elle est « expérimentée ».
Les structures de l’ESSE ont tout intérêt à se saisir des opportunités offertes par le numérique afin de les mettre au service de leur projet et faire évoluer leur réponse sociale. Pourtant, force est de constater que les petites structures font peu appel à ces outils pour fonctionner au quotidien.
Pour autant, quelques signes laissent supposer une possible marge de progression en ce domaine. Le développement d’une culture numérique plus partagée au sein des associations, dans la mesure où 90 % des responsables en font un constat positif dans les structures où la plupart des membres actifs sont impliqués (contre 48% lorsque le sujet du numérique est totalement externalisé), est source d’espoir.
Des outils collaboratifs méconnus, où le Libre a sa place
Si les outils numériques de communication, de gestion et d’animation sont les plus utilisés, les outils collaboratifs ne sont utilisés que par 36% des associations en 2019 (en repli depuis 2016). Les petites structures de l’ESSE connaissant peu les outils collaboratifs, elles ne s’en sont pas encore saisies pour faire évoluer leurs pratiques professionnelles.
On constate d’ailleurs que cette méconnaissance des outils collaboratifs est davantage liée à un manque de culture du travail collaboratif qu’à une opposition à utiliser des outils numériques. Cette démarche nécessite en effet, non seulement de choisir ou de mettre au point les bons outils, mais surtout de repenser totalement les habitudes de travail. Autant d’objectifs plus difficiles à atteindre pour les structures les plus petites.
À ce déficit de culture sur les modalités du travail collaboratif s’ajoute une problématique supplémentaire : alors que les structures de l’ESSE adoptent des principes communs de solidarité et d’utilité sociale, elles continuent au quotidien à utiliser des outils numériques privateurs. Il est donc essentiel que ces structures qui adoptent des modes de gestion démocratiques et participatifs puissent se réapproprier leurs outils numériques.
Le logiciel libre, qui s’appuie sur une logique de partage du savoir et n’a que rarement de valeur marchande intrinsèque, devrait déjà avoir irrigué l’ensemble de l’ESSE. Mais l’on constate que les outils libres sont eux aussi peu, voire totalement méconnus au sein des petites structures et qu’ils sont souvent associés à une image plutôt négative, face à une concurrence « tout-en-un » et d’apparence gratuite.
Locaux Motiv’ et l’ESSE
Parce que c’est dans l’ADN d’un tiers-lieu d’identifier des besoins non couverts et de soutenir les coopérations pour y répondre, Locaux Motiv’ échange depuis de nombreuses années sur la difficulté à rendre opérationnelle la transition numérique des acteurs de l’ESSE. Comment permettre aux structures de l’ESSE de se doter d’outils collaboratifs libres et favoriser l’appropriation de ces outils en constante évolution pour renforcer leurs projets ?
Bien sûr de nombreux acteurs agissent depuis plusieurs années pour le développement des pratiques collaboratives : Outils-réseaux, Animacoop, MultiBàO, Animafac, Movilab, Framasoft… Acteurs qui convergent notamment au Forum des Usages Collaboratifs de Brest ou encore aux Rencontres Moustic. Si ces structures existent toujours et poursuivent leurs actions constructives, il s’agit maintenant à la fois d’élargir massivement le public visé, de faciliter la découverte et rendre accessible la mise en œuvre de ces outils afin de permettre un véritable passage à l’échelle des pratiques numériques collaboratives libres.
Locaux motiv’ souhaite ainsi proposer une porte d’entrée complémentaire et inédite sur ces outils et leurs usages, en construisant des supports de sensibilisation et de formation sous licences libres qui pourront, de plus, être réutilisés par tous.
Trois objectifs opérationnels ont ainsi guidé le développement du projet et la recherche de financements pour sa mise en œuvre :
rendre accessible, opérationnelle et efficiente l’offre actuelle de solutions numériques collaboratives libres ;
permettre aux acteurs et actrices de l’ESSE de s’engager dans une transition numérique à l’aide d’outils et de services libres ;
contribuer à une communauté de “commoners” intéressé·es à la création de communs numériques au service des usages numériques collaboratifs des structures de l’ESSE.
Trois structures en résidence à Locaux Motiv’ sont en charge de la mise en œuvre de ce projet : Tadaa, la Fabrique à liens et Framasoft.
Financé en partie par la Fondation AFNIC, la Fondation Adecco et la Direction Régionale et Départementale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale (DRDJSCS) Auvergne-Rhône-Alpes, le projet a débuté par la réalisation d’un état des lieux sur l’utilisation d’outils libres et les pratiques collaboratives au sein des structures de l’ESSE. En allant interroger une quinzaine de structures pour comprendre comment elles se sont organisées et quels sont les outils qu’elles utilisent, nous avons pu identifier concrètement les problématiques et les réponses à y apporter.
À partir de la formulation d’usages collaboratifs souhaités est née l’idée de créer une plateforme évolutive dédiée aux usages numériques des acteurs de l’ESSE pour les accompagner et soutenir leur transition numérique. Cette plateforme porte pour ambition de guider et d’accompagner ces acteurs vers des usages vertueux et conscients des outils numériques libres, dans un souci d’efficience et de productions collaboratives (au sein des structures et dans leurs relations partenariales et commerciales). C’est ainsi qu’est née la plateforme mon-parcours-collaboratif.fr.
En partant des besoins du visiteur (sur la base de scénarios concrets d’usages co-construits), la plateforme Mon parcours collaboratif proposera des supports vidéos, des fiches pratiques et des ressources externes et contribuera ainsi à l’apparition ou au développement de nouvelles formes de travail et d’organisation des acteurs et réseaux de l’ESSE.
Cette plateforme proposera à terme deux modes d’accès aux contenus :
un mode guidé, qui permettra d’accéder aux ressources via des scénarios pédagogiques
un mode expert qui proposera d’adapter en série des scénarios et de rechercher directement dans les actions
Chaque scénario pédagogique s’articulera autour de plusieurs étapes (jusqu’à 8), composées chacune de différentes #actions ainsi que des témoignages et conseils méthodologiques. Une #action correspond à une unité de base réutilisable d’un scénario à l’autre, dont le titre est une action basique (verbe à l’infinitif).
Chaque action regroupera un ensemble de fiches, telles que des fiches outils, des fiches mode d’emploi, des fiches argumentaire et des fiches conseil. Les visiteurs pourront ainsi identifier les bonnes questions à se poser pour développer des usages collaboratifs (stratégie, méthodes, outils) et découvrir aisément des usages coopératifs mobilisant des outils numériques libres.
Contribuer à une prise de conscience collective
En accompagnant les individus (salarié·e·s, bénévoles, coopératrices·teurs) au sein de structures porteuses de transformations sociétales, l’impact devient considérable et transversal (non seulement pour les pratiques professionnelles mais bien également dans la sphère personnelle). Enfin, de façon implicite par l’utilisation et la valorisation d’outils et de licences libres, la plateforme Mon parcours collaboratif participe de la prise de conscience nécessaire des enjeux liés aux pratiques numériques et ouvre vers la création de communs.
Chez Framasoft, nous sommes heureuses et heureux de consacrer une petite partie des moyens de notre association (qui ne vit que grâce à vos dons) afin d’apporter un peu de notre expertise à la plateforme Mon Parcours Collaboratif… et nous avons hâte de vous annoncer, prochainement, son lancement !
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Collaborer pour un design plus accessible : l’exemple d’Exodus Privacy
Quand on prend conscience qu’un site web destiné au grand public devrait être plus facile à aborder et utiliser, il n’est pas trop tard pour entamer un processus qui prenne en compte les personnes qui l’utilisent… L’association Exodus Privacy prend la plume sur ce blog pour raconter comment elle a, avec Maiwann, une UX designeuse, amélioré l’interface de sa plate-forme d’analyse.
Exodus Privacy est une association loi 1901, créée en octobre 2017 et dont le but est d’apporter plus de transparence sur le pistage par les applications de smartphones. Dès le premier jour, le public visé était un public non-technique, afin de lui permettre de comprendre et de faire des choix éclairés.
Parmi les outils que nous avons développés, la plateforme εxodus permet d’analyser les applications gratuites du Google Play store et d’en indiquer les pisteurs et les permissions. Cette plateforme a été très utilisée dès son lancement, mais elle n’était pas facile d’utilisation pour les néophytes.
Comme nous n’avions ni le temps ni les compétences en interne, nous avons décidé de rémunérer une personne experte pour adapter notre plateforme à ce public de non-spécialistes. Il nous paraissait important d’avoir une personne qui comprenne qui nous sommes et quelles sont nos valeurs, nous nous sommes tourné·e·s vers Maiwann, UX designeuse.
Exodus Privacy : Maiwann, peux-tu expliquer qui tu es et ce que tu fais ?
« Bonjour, bonjour ! Je suis Maiwann, UX·UI Designer dans la vie, amoureuse du libre et du travail éthique. Je suis aussi membre de Framasoft depuis quelques mois. Je fais beaucoup de choses variées au niveau numérique, mais qui peuvent se résumer en : du design (au sens « conception » du terme).
Du coup je vais rencontrer des utilisateurs et utilisatrices, leur poser des questions pour comprendre quels sont leurs besoins et leurs frustrations, les observer utiliser des logiciels et voir où ça coince, puis je réfléchis à la manière de répondre à leurs problèmes en concevant des parcours fluides. Et enfin je peux faire des maquettes graphiques pour donner un peu « corps » à tout ça ^_^ C’est d’ailleurs exactement ce qu’il s’est passé ici ! »
D’abord, définir les personnes concernées…
Ce projet devait se dérouler en plusieurs phases et il partait bien des besoins du public. Pour mieux comprendre cette étape, voici un petit extrait d’une conversation de septembre 2018 entre Exodus Privacy et Maiwann :
Maiwann : Quel est votre public-cible ?
Exodus Privacy : Le grand public, bien entendu !
Maiwann : il va falloir préciser un peu plus, car à s’adresser à tout le monde on ne s’intéresse véritablement à personne 🙂
Cela nous a obligé·e·s à réfléchir justement à ce que nous mettions derrière ce terme qui nous paraissait pourtant si évident. Nous avons donc défini deux groupes plus précis de personnes.
Nous voulions tout d’abord faciliter la vie aux médiateurs et médiatrices numériques car nous sommes convaincu·e·s que ces personnes sont les mieux placées pour pouvoir accompagner le plus grand monde à mieux appréhender les outils numériques. Nous les avons donc incluses dans les personnes visées.
Nous avons co-délimité une deuxième cible : des personnes non-techniques et curieuses, prêtes à passer un peu de temps à réfléchir à leur vie privée sur téléphone.
Puis formuler les besoins
Le mois de janvier 2019 a permis à Maiwann de mener 14 entretiens avec des personnes correspondant aux profils sus-cités, trouvées par le réseau d’Exodus Privacy ou par les réseaux sociaux :
Laissons Maiwann raconter cette étape :
« Grâce aux réponses sur les réseaux sociaux et sur Cryptobib et Parcours numérique, des listes de diffusion pour médiateur·ices du numérique, j’ai pu discuter avec les 2 catégories de public que nous avions définies ! Ensuite, pour chacun·e, il s’agissait de s’appeler soit par téléphone soit en visio-conférence, de vérifier qu’iels étaient bien dans le public visé, et de discuter pendant à peu près une heure. L’idée était de voir où étaient les manques, pour savoir de quoi εxodus avait besoin prioritairement : une refonte du site ? De l’application ? Une campagne de communication pour faire connaître leurs actions ? Ce sont les entretiens qui allaient nous permettre de le savoir !
Je demandais aux médiateur·ices comment est-ce qu’iels menaient leurs ateliers, et comment la question du téléphone était abordée. Et j’ai découvert que, si le discours pour protéger sa navigation sur un ordinateur était très rodé, le téléphone était un sujet compliqué car… les médiateur·ices n’avaient pas de réponse lorsqu’on leur demandait comment agir !
C’était d’ailleurs un cas identique pour les personnes qui répondaient individuellement : elles avaient bien conscience de l’enjeu de vie privée vis à vis de leur téléphone, même si ce que faisaient ces pisteurs n’était pas toujours très clair, mais ne voyaient de toute façon pas du tout ce qu’il était possible de faire pour améliorer les choses !
Après tous ces appels, j’avais de grands axes récurrents qui se dégageaient. J’ai donc dessiné un petit résumé schématique, et nous nous sommes appelé·e·s le 28 février pour discuter de tout ça et de ce sur quoi on partait. »
Une fois le diagnostic posé (il y a X pisteurs dans telle application), la personne se retrouve bloquée avec des questions sans réponses : – Ok, il y a des pisteurs, mais on fait comment pour faire autrement ? – Qu’est-ce que ça fait réellement, un pisteur ?
Ces questions, que nous avions par ailleurs régulièrement en conférence, par mail ou sur les réseaux sociaux, nous ont permis de nous interroger sur le positionnement de l’association. En effet, nous avons toujours défendu une démarche scientifique, qui montre « les ingrédients du gâteau », mais ne porte pas de jugement de valeur sur tel pisteur ou telle application… et donc ne valorise pas de solution alternative.
Après discussions, nous avons convenu de l’importance de pouvoir apporter des outils de compréhension à ces personnes, afin que celles-ci puissent, encore une fois, décider en connaissance de cause. L’idée était donc de créer une page qui explique les pisteurs, une page qui explique les permissions et enfin une qui répond à la question « et maintenant, que puis-je faire ? », en proposant un panel d’outils, de réflexes et de ressources.
La conception des maquettes
C’était donc à nouveau à Maiwann de travailler. Tu nous racontes comment tu as débuté les maquettes ?
« J’ai repris les schémas-bilans des entretiens pour définir les parcours principaux des utilisateur⋅ices :
Arriver sur le site => Chercher le rapport d’une application => Comprendre ce qu’est un pisteur ou une permission => Trouver comment améliorer la situation.
L’enchaînement entre ces actions devait être facilité dans le nouveau parcours, et le contenu non-existant (ou non intégré) mis en avant. Par exemple, pour « qu’est-ce qu’un pisteur », εxodus avait déjà réalisé des vidéos que les entretiens avaient tous remontés comme « très bien faites » mais comme elles n’étaient pas intégrées au parcours, beaucoup d’utilisateurs·ices pouvaient passer à côté. Pour la page Alternatives en revanche, qui était la demande la plus forte, tout a été créé depuis zéro, en privilégiant les alternatives accessibles aux non-informaticien·ne·s et tout de même respectueuses de la vie privée.
Il m’avait aussi été remonté que parfois les formulations n’étaient pas très claires, parfois en anglais ce qui contribuait à un sentiment de contenu non-accessible à des néophytes. Cela a fait aussi partie des améliorations, en plus des pages explicatives, qui sont là pour dire « vous ne savez pas ce qu’est un pisteur ? Pas de souci, on vous l’explique ici ».
Et pour le reste, un travail d’harmonisation et de hiérarchisation du contenu pour que les différentes catégories de contenus soient bien distinctes les unes des autres et compréhensibles a permis de réaliser une refonte graphique aux petits oignons ! »
Le développement des maquettes
L’ensemble des membres d’Exodus Privacy étant bénévole, et donc le travail conséquent pour notre énergie et temps malheureusement limités, nous nous sommes mis d’accord sur un travail de développement itératif afin de mettre à disposition des utilisateurs et utilisatrices les nouvelles pages et fonctionnalités au plus tôt.
Après la présentation des maquettes en mai 2019, nous avons découpé les différentes tâches sur notre git, celles-ci ont été priorisées pour s’assurer que les besoins les plus importants soient traités en premier lieu, comme la page « mieux comprendre ». La majorité de ces tâches ont été implémentées, ce travail étant agrémenté d’allers-retours avec Maiwann afin de s’assurer que nous allions dans la bonne direction sans rater l’essentiel.
Notre code étant libre et open-source, une partie des fonctionnalités a même été faite par notre communauté !
Une partie du travail reste à faire, n’hésitez pas à aller jeter un œil si vous avez des compétences en développement !
Et maintenant ?
Le travail n’est pas totalement terminé et, grâce au Mécénat de Code lutin, nous avons pu poursuivre ce projet de refonte, mais pour l’application cette fois.
Laissons donc les mots de la fin à Maiwann…
« Il reste une étape de test utilisateur·ice à réaliser, pour bien vérifier que cette refonte va dans le bon sens, est adaptée aux besoins et que nous n’avons pas oublié un élément important, ou laissé un trou dans la raquette dans lequels les utilisateur·ice·s vont s’engouffrer !
De même, nous avons amorcé un travail d’harmonisation de cette refonte pour que l’application corresponde aussi aux maquettes, car c’est le point d’entrée principal du public (puisqu’il est question d’applications et de téléphone portable, c’est logique qu’elle soit privilégiée !).
J’ai hâte de réaliser ces dernières étapes (avec l’aide de Schoumi côté application !) pour finaliser ce super projet, car il contribue à démontrer qu’il est possible de réaliser des choses techniquement pointues, tout en parvenant à les rendre accessibles à des personnes non techniques, soit directement en s’adressant à elles, soit en fournissant un outil pertinent pour les médiateur·ices du numérique.
Cela contribue à mon monde idéal qui connecte le monde du libre et de la protection de la vie privée aux non-connaisseur·euse·s, et je ne peux qu’encourager d’autres projets qui ont cette démarche de travailler avec des designers pour y parvenir ! »