Le mouvement du logiciel libre vu par Hervé Le Crosnier

Aussiegall - CC by« … mais ce serait peut-être l’une des plus grandes opportunités manquées de notre époque si le logiciel libre ne libérait rien d’autre que du code. »

Quand Hervé le Crosnier s’immisce sur le site de l’association Attac pour leur (et nous) parler du mouvement du logiciel libre, cela donne un article majeur qui vient parfaitement illustrer la citation mise en exergue sur ce blog, permettant de mesurer à l’instant t le chemin parcouru[1].

Extrait : « N’ayons pas peur de dire la même chose avec d’autres mots qui parleront peut-être plus clairement aux héritiers du mouvement social et ouvrier : le mouvement des logiciels libre a fait la révolution, créé de nouveaux espaces de liberté, assuré un basculement des pouvoirs et libéré plus largement autour de lui ce qui aurait pu devenir un ordre nouveau, balisé par les décisions de quelques entreprises. Comme toute révolution, elle est fragile, comporte des zones d’ombres, des « risques » de dérapages ou de récupération. Mais avant tout, comme les révolutions sociales, elle est un formidable espoir qui va ouvrir à la joie du monde non seulement les acteurs, mais tous les autres courants entraînés dans la dynamique… »

À lire, en évitant le « syndrome des textes longs à l’ère de la distraction permanente » (pour vous aider : version PDF de cet article), mais aussi et surtout à faire lire à votre entourage.

Leçons d’émancipation : l’exemple du mouvement des logiciels libres

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Hervé Le Crosnier – 24 avril 2009 – Attac
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Un mouvement ne parle que rarement de lui-même. Il agit, propose, théorise parfois sa propre pratique, mais ne se mêle qu’exceptionnellement de la descendance de son action dans les autres domaines, qu’ils soient analogues, tels ici les autres mouvement dans le cadre de la propriété immatérielle, ou qu’ils soient plus globalement anti-systémiques. Les incises sur le rôle politique du mouvement du logiciel libre dans la phase actuelle et sa puissance d’émancipation ne sont donc que mes propres interprétations… même si une large partie du mouvement en partage, si ce n’est l’expression, du moins le substrat. Mais d’autres, pourtant membres du même mouvement, et construisant eux aussi le bien commun du logiciel libre pourraient penser que leur motifs d’adhésion et leur objectifs restent largement différents, considérant l’élaboration de logiciels libres comme une autre approche de l’activité capitalistique et de marché, mais qui leur semble plus adaptée au travail immatériel. Approche « pragmatique » et approche « philosophique » ne sont pas incompatibles, c’est du moins la principale leçon politique que je pense tirer de ce mouvement et de son impact plus global sur toute la société. Car si un mouvement ne parle pas de lui-même, il « fait parler » et exprime autant qu’il ne s’exprime. Le mouvement des logiciels libres, et ses diverses tendances, est plus encore dans ce cas de figure, car son initiateur, Richard M. Stallman n’hésite pour sa part jamais à placer les fondements philosophiques au cœur de l’action du mouvement.

Introduction

Pour saisir la genèse du mouvement des logiciels libres, mais aussi son réel impact libérateur pour toute la société, il convient de revenir à la question même du logiciel. Le néophyte a souvent tendance à assimiler le logiciel aux outils de productivité, tels les traitements de texte ou les navigateurs. Mais il convient de comprendre que le logiciel intervient dès qu’une machine, un microprocesseur, sait « traiter l’information », i.e. transformer des signaux d’entrée (souris, clavier, réseau, mais aussi capteurs les plus divers) en signaux de sortie exploitables soit directement par les humains (écran, impression,…), soit utilisés en entrée par une autre machine de « traitement de l’information ».

Le logiciel est partout dans le monde informatique :

  • c’est l’outil essentiel d’accès aux connaissances et informations stockées dans les mémoires numériques
  • il est lui même une forme d’enregistrement de la connaissance et des modèles du monde produits par les informaticiens
  • enfin chaque logiciel est une brique nécessaire au fonctionnement des ordinateurs (système d’exploitation), des réseaux et de plus en plus de tous les appareils techniques qui incorporent une part de « traitement de l’information », depuis les machines-outils de l’industrie jusqu’aux outils communicants de « l’internet des objets ».

Le logiciel est donc tout à la fois un « produit » (un bien que l’on acquiert afin de lui faire tenir un rôle dans l’activité privée ou industrielle), un service (un système, certes automatisé, auquel un usager va faire remplir des tâches) et une méthode (une façon de représenter le monde et les actions possibles). Ce statut ubiquitaire du logiciel est essentiel pour comprendre certaines des revendications de liberté des acteurs du mouvement : il ne s’agit pas simplement d’un outil (un produit de type « machine-outil »), mais d’un système-monde dans lequel se glissent peu à peu la majeure partie des activités humaines, dans tous les domaines, de la production industrielle à la culture, de la communication à l’éducation,… André Gorz parle d’une « logiciarisation de toutes les activités humaines »[2].

La conception des logiciels s’en trouve affectée, ainsi que sa catégorisation qui lui dessine une place spécifique dans le cadre même du « marché ». Le logiciel est à la fois :

  • une œuvre de création : on peut réellement parler d’un « auteur » de logiciel, au moins collectif grâce au développement de techniques de partage de code et de maintenance (génie logiciel et programmation par objets). Chaque logiciel porte la trace des raisonnements de celui qui l’a programmé ;
  • un travail incrémental : un logiciel comporte des « bugs », qui ne peuvent être corrigés qu’au travers de l’expérience utilisateur, et un logiciel doit suivre l’évolution de son environnement informatique (les autres logiciels). Ceci implique la coopération comme base de la construction de logiciels fiables, évolutifs, et adaptables aux divers besoins ;
  • une production de connaissances (les « algorithmes ») qui pourraient devenir privatisées si les méthodes de raisonnement et les formes du calcul ne pouvaient être reprises par d’autres programmeurs (cette question est au coeur du refus par le mouvement des logiciels libres des brevets de logiciels et de méthodes).

Le développement de l’informatique, et l’extension du réseau et du numérique à tous les aspects de la production, de la consommation et des relations interpersonnelles (au niveau privé comme au niveau public) crée un véritable « écosystème », dans lequel :

  • chaque programme doit s’appuyer sur des couches « inférieures » (des applications déjà existantes jusqu’aux pilotes des machines électroniques dites « périphériques ») et rendre des informations à d’autres logiciels. La définition des « interfaces » entre programmes devient essentielle, et la normalisation de ces échanges une nécessité vitale.
  • les programmes peuvent lire ou écrire des données provenant d’autres programmes ou outils. C’est l’interopérabilité.

Que ces échanges soient « ouvert » ou « à discrétion d’un propriétaire » devient une question déterminante. Dans le premier cas, l’innovation s’appuie sur ce qui existe, et peut rester concurrentielle (nouveaux entrants, mais aussi nouvelles idées) ; dans le second, tout concours à la monopolisation (au sens de monopoles industriels, mais aussi de voie balisée limitant la créativité). D’autant qu’un « effet de réseau » (privilège au premier arrivé[3]) vient renforcer ce phénomène.

Tous ces points techniques forment un faisceau de contraintes et d’opportunités pour les industries du logiciel comme pour les programmeurs individuels :

  • la capacité à « rendre des services aux usagers » sans devoir maîtriser une chaîne complète. Ce qui entraîne la création d’un « marché du service » et la capacité de détournement social de tout système numérique : innovation ascendante, usage de masse, relations ambiguës entre les facilitateurs -producteurs de logiciels ouverts ou de services interopérables – et les usagers,… ;
  • la mise en place d’un espace d’investissement personnel pour les programmeurs (autoréalisation de soi, expression de la créativité, capacité à rendre des services associatifs et coopératifs). On rencontre ici un changement émancipateur plus général que Charles Leadbeater et l’institut Demos a nommé « the pro-am révolution »[4].

Le mouvement des logiciels libres

Les logiciels libres partent de cette intrication du logiciel, de la connaissance et du contenu : tout ce qui limite l’accès au code source des programmes va :

  • limiter la diffusion de la connaissance,
  • privatiser les contenus (avec les dangers que cela peut représenter pour les individus, mais aussi les structures publiques, des universités aux États)
  • brider la créativité

Le « code source » est la version lisible par un « homme de l’art » d’un logiciel. L’accès à ce code est un moyen de comprendre, d’apprendre, de modifier, de vérifier, de faire évoluer un logiciel. C’est de cette liberté là qu’il est question dans le mouvement des logiciels libres.

Il s’agit de construire la « liberté de coopérer » entre les programmeurs. Un logiciel libre respecte quatre libertés :

  • la liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages (liberté 0.)
  • la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de l’adapter à ses besoins (liberté 1) ; pour cela, l’accès au code source est nécessaire.
  • la liberté de redistribuer des copies, donc d’aider son voisin, (liberté 2).
  • la liberté d’améliorer le programme et de publier ses améliorations, pour en faire profiter toute la communauté (liberté 3) ; pour cela, l’accès au code source est nécessaire.

On notera que cet ensemble de « libertés » constitue une nouvelle « liberté de coopérer », et non un « droit » au sens où la responsabilité de la continuité de cette liberté reposerait sur des structures et des forces extérieures aux communautés concernées. C’est parce qu’ils ont besoin de coopérer pour libérer leur créativité (et aussi souvent pour gagner leur vie avec cette création de logiciel) que les développeurs ont installé, dans le champ de mines des entreprises du logiciel et de l’informatique, les espaces de liberté dont ils pouvaient avoir besoin. Le maintien de cet espace de liberté peut évidemment demander l’intervention de la « puissance publique » : procès, respect des contrats de licence, mais aussi financement de nouveaux logiciels libres ou amélioration/adaptation de logiciels libres existants, … Mais à tout moment, c’est la capacité à élargir et faire vivre les outils, méthodes, normes et réflexions par la communauté des développeurs du libre elle-même qui détermine l’espace de cette « liberté de coopérer ».

Une des conséquences, souvent marquante pour le grand public, au point d’occulter le reste, vient de la capacité de tout programmeur à reconstruire le programme fonctionnel (le logiciel « objet ») à partir du « code source »… Si le « code source » est accessible, pour toutes les raisons énumérées ci-dessus, il existera donc toujours une version « gratuite » du logiciel. Mais ce n’est qu’une conséquence : un logiciel libre peut être payant, c’est d’ailleurs souvent le cas : mais les copies seront à la discrétion de celui qui aura acheté un logiciel. S’il le souhaite, il peut redistribuer gratuitement. Le produit payant, s’il veut avoir une « raison d’être », y compris dans le modèle du marché, doit donc incorporer du service complémentaire. On passe d’un modèle « produit » à un modèle « service ».

La question économique pour la communauté des développeurs de logiciels libres, tourne alors autour du phénomène de « passager clandestin », celui qui va profiter des logiciels libres produits par d’autres, sans lui-même participer à l’évolution de l’écosystème. Pire, celui qui va privatiser la connaissance inscrite dans les logiciels libres. Par exemple, le système privé Mac OS X s’appuie sur l’Unix de Berkeley. Apple profite du choix des concepteurs de ce dernier, dans la pure tradition universitaire, de considérer leur logiciel comme une « connaissance » construite à l’Université et donc délivrée par elle pour tous les usages, sans règles et sans contraintes… une subtile question de gouvernance au sein du mouvement des logiciels libres, mais qui a des conséquences sociales d’ampleur… Dans la théorie des biens communs, la maintenance de la capacité des communautés à continuer d’accéder aux biens communs qu’elles ont produite est centrale.

Le « mouvement des logiciels libres » part de cette double contrainte :

  • favoriser la coopération autour du code informatique pour étendre l’écosystème
  • laisser fonctionner un « marché de l’informatique » (tout service mérite rétribution)

L’invention de la GPL (« General Public Licence »)[5] en 1989 par Richard Stallman et Eben Moglen va marquer un tournant :

  • auparavant le modèle « universitaire » produisait des biens de connaissance dont les usagers (étudiants, mais aussi industries) pouvaient disposer sans contraintes. Ceci permettait le développement de plusieurs produits construits sur les mêmes connaissances (vision positive), mais aussi la privatisation par les entreprises associées aux centres de recherche universitaires ou publics ;
  • écrite pour protéger une construction communautaire, celle du projet GNU (GNU’s Not Unix), la GPL produit une forme de gouvernance adaptée à un type de bien, à une série de règles et normes communautaires, et à un projet politique (représenté par la Free Software Foundation).

La GPL s’appuie sur le « droit d’auteur » pour compléter celui-ci par un « contrat privé » (une « licence ») qui autorise tout usage (donc offre les quatre libertés du logiciel libre), mais contraint celui qui s’appuie sur du code libre à rendre à la communauté les ajouts et corrections qu’il aura pu apporter. On parle d’une « licence virale » : tout logiciel qui utilise du logiciel libre doit lui aussi rester un logiciel libre.

Cette invention juridique est fondatrice, non seulement du mouvement des logiciels libres, et du maintien et extension de cet espace alternatif de liberté, mais aussi fondatrice pour d’autres mouvements qui vont exploiter la capacité des détenteurs de connaissance (ou les producteurs de culture) à décider volontairement de construire de nouveaux espaces de coopération et de liberté.

Un mouvement symbole

Le mouvement des logiciels libre représente une expérience sociale de grande ampleur, qui a profondément bouleversé le monde de l’informatique. Il suffit d’imaginer un monde dans lequel seul l’achat d’un logiciel permettait de tester des produits et services informatiques : dans ce monde il n’y aurait pas d’internet (les règles de l’organisme technique qui élabore les normes, l’IETF, imposent l’existence d’au moins un logiciel libre pour valider un protocole), pas d’échange de musique numérique, l’évolution des sites web serait soumise à la décision d’opportunité économique des géants oligopolistiques qui se seraient installés sur l’outil de communication, l’apprentissage des méthodes de développement informatique dans les universités seraient soumises à la « certification » de tel ou tel béhémot du logiciel ou des réseaux,…

N’ayons pas peur de dire la même chose avec d’autres mots qui parleront peut-être plus clairement aux héritiers du mouvement social et ouvrier : le mouvement des logiciels libre a fait la révolution, créé de nouveaux espaces de liberté, assuré un basculement des pouvoirs et libéré plus largement autour de lui ce qui aurait pu devenir un ordre nouveau, balisé par les décisions de quelques entreprises. Comme toute révolution, elle est fragile, comporte des zones d’ombres, des « risques » de dérapages ou de récupération. Mais avant tout, comme les révolutions sociales, elle est un formidable espoir qui va ouvrir à la joie du monde non seulement les acteurs, mais tous les autres courants entraînés dans la dynamique, comme nous le verrons plus loin.

Le mouvement des logiciels libres met en avant la notion de « biens communs » : créés par des communautés, protégés par ces communautés (licence GPL, activité de veille permanente pour éviter les intrusions logicielles[6]) et favorisant l’élargissement des communautés bénéficiaires. La gouvernance des biens communs, surtout quand ils sont dispersés à l’échelle du monde et de milliards d’usagers, est une question centrale pour la redéfinition de l’émancipation. Le mouvement des logiciels libres montre que cela est possible.

C’est un mouvement qui construit de « nouvelles alliances ». Les clivages face au logiciel libre ne recouvrent pas les clivages sociaux traditionnels. Par exemple, le souverainisme ne sait pas comment se situer face à des biens communs mondiaux : il n’y a plus de capacité à défendre des « industries nationales ». Seuls les services peuvent localiser l’énergie économique ouverte par de tels biens. Le mouvement des logiciels libres ne se définit pas en tant que tel « anti-capitaliste », car nombre d’entreprises, parmi les plus importantes et dominatrices (IBM en tête) ont compris que l’écosystème informatique ne pouvait fonctionner sans une innovation répartie, et donc des capacités d’accès et de création à partir des bases communes (le fonctionnement de l’internet et les normes d’interopérabilité). Il est plutôt « post-capitaliste », au sens où il s’inscrit dans le modèle général du « capitalisme cognitif »[7], qui est obligé de produire des externalités positives pour se développer.

Enfin, c’est un mouvement social qui s’est inscrit dès sa formation dans la sphère politique en produisant une utilisation juridique innovante (la GPL) comme moyen de constituer la communauté et protéger ses biens communs. Ce faisant, ce mouvement agit en « parasite » sur l’industrie qui le porte. On retrouve des éléments du socialisme du 19ème siècle : ne plus attendre pour organiser des « coopératives » et des « bourses du travail ». Une logique qui est aussi passée par l’expérience des mouvements dits alternatifs (« californiens ») : construire ici et maintenant le monde dans lequel nous avons envie de vivre.

Cette symbiose entre le mouvement, son radicalisme (c’est quand même un des rares mouvements sociaux qui a produit et gagné une révolution dans les trente dernières années) et les évolutions du capital montre qu’il existe une autre voie d’émancipation que « la prise du Palais d’Hiver », surtout dans un monde globalisé et multipolaire, dans lequel le « Quartier Général » n’existe plus[8].

Enfin, le mouvement des logiciels libres a construit une stratégie d’empowerment auprès de ses membres. La « communauté » protège ses membres. Il y a évidemment les règles juridiques de la GPL d’une part, mais pensons aussi à la capacité à « offrir » du code en coopération pour que chaque membre puisse s’appuyer sur un écosystème en élargissement permanent afin de trouver les outils dont il a besoin ou d’adapter les outils existants à ses besoins. C’est une des raisons de la force du mouvement : en rendant plus solides et confiants ses membres, il leur permet d’habiter la noosphère[9]. Cet empowerment doit beaucoup au mouvement féministe (même si paradoxalement il y a peu de femmes et qu’elles sont souvent traitées avec dédain parmi les activistes du logiciel libre). Comme dans l’empowerment du mouvement féministe, c’est la vie quotidienne et l’activité humaine créatrice qui est au coeur de la réflexion du mouvement social. La « concurrence » entre programmeurs libres se joue sur le terrain de « l’excellence » au sens des communautés scientifiques : il s’agit de donner du code « propre », de qualité, rendant les meilleurs services, autant que de permettre aux débutants de s’inscrire dans la logique globale, par leurs initiatives et activités particulières, sans la nécessité d’être un élément dans un « plan d’ensemble ». C’est un mouvement qui pratique l’auto-éducation de ses membres (nombreux tutoriels sur le web, ouverture des débats, usage des forums ouverts,…).

Enfin, même si de nombreuses structures associatives organisent et représentent le mouvement, la structuration de celui-ci comme mouvement social mondial est beaucoup plus floue. C’est au travers de l’usage des produits du mouvements que l’on devient « membre » du mouvement, et non au travers de la production d’un discours ou d’une activité de lobbyisme ou de conscientisation. On retrouve les formes d’adhésion « à la carte » des autres mouvements sociaux. On s’aperçoit aussi que les mouvements parlent toujours au delà des discours de leurs membres, individus ou organisations…

Extension : les nouveaux mouvements du numérique

Un autre élément essentiel pour comprendre l’importance et l’enjeu du mouvement des logiciels libre est de voir sa descendance dans d’autres mouvements liés à la sphère du numérique. Comme tout mouvement, les acteurs des logiciels libres ne sont pas tous conscients de l’étendu stratégique de leur actions. Nombre des membres se contentent des règles et normes « techniques » établies par le mouvement et se reconnaissent dans l’aspect pratique des résultats. Mais pourtant, les règles et les méthodes mise en place par le mouvement des logiciels libres se retrouvent dans d’autres sphères.

On parle d’une « société de la connaissance » ou « de l’information », ce qui est une expression ambiguë, qu’il conviendrait de mettre en perspective[10]. Mais pour résumée qu’elle soit, l’expression souligne que la propriété sur la connaissance, la capacité à mobiliser « l’intelligence collective » sont des questions organisatrices essentielles de l’économie du monde à venir. Et que ces questions renouvellent autant les formes de domination (par exemple la montée des grands « vecteurs »[11] sur l’internet, comme Google, Yahoo !, Orange, Adobe,… qui souvent s’appuient sur les logiciels libres) que les formes de l’émancipation, et la notion de contournement, de situation (au sens du situationisme) et de symbiose parasitique.

On voit donc apparaître de nouvelles lignes de faille dans les oppositions « de classe » liées au capitalisme mondialisé et technicisé. Et en conséquence de nouveaux regroupements des « résistants » ou des « innovateurs sociaux ». Plusieurs tentatives de théorisation de cette situation existent, depuis la théorie des Multitudes de Toni Negri et Michael Hardt[12], à celle de la Hacker Class de MacKenzie Wark[13], qui décrivent des facettes de ce monde nouveau qui émerge. Toutefois, ces interprétations ne savent pas encore répondre à deux questions centrales. D’abord celle dite traditionnellement des « alliances de classes », notamment la relation entre ces mouvements sociaux et les mouvement de libération issus de l’ère industrielle. Des « alliances » posées non en termes « tactiques » (unité de façade ou d’objectifs), mais bien en termes programmatiques (quelle société voulons-nous construire ? quelle utopie nous guide ? quelle articulation entre l’égalité – objectif social – et l’élitisme – au sens fort des communautés scientifiques ou des compagnons : être un « grand » dans son propre domaine de compétence – ?). Ensuite celle dite de la transition, particulièrement en ce qu’elle porte sur les relations entre les scènes alternatives et les scènes politiques. Le capitalisme, comme forme de sorcellerie[14], ne peut pas s’effondrer de lui-même sous le poids de ses contradictions internes. Le politique, avec toutes les transformations nécessaires des scènes où il se donne en spectacle (médias, élections, institutions,…), garde une place dans l’agencement global des divers dispositifs alternatifs – ou internalisés et récupérés – qui se mettent en place.

Ces questions peuvent avancer quand on regarde l’évolution du mouvement des logiciels libres, qui est né d’une innovation juridique (la GPL), et qui défend aujourd’hui son espace alternatif au travers de multiples actions contres les tentatives, souvent détournées et perverses, de mettre en place des enclosures sur le savoir et la culture. La place du mouvement des logiciels libres en France, avec notamment l’association April[15], au côté du mouvement spécialisé dit « La quadrature du net »[16], sur les dernières lois concernant la propriété immatérielle (lois dites DADVSI et HADOPI) en est un exemple. L’approche de la politique n’est plus « frontale », mais part de la défense des espaces de libertés, des « biens communs » créés, et leur reconnaissance comme forme essentielle de la vie collective. On retrouve les logiques du socialisme du XIXème siècle, des coopératives et de la Première Internationale.

Le mouvement des logiciels libres, s’il est le plus abouti et le plus puissant de ces nouveaux mouvements, n’est plus seul. C’est dans le domaine de la connaissance et de l’immatériel, dont la « propriété » que l’image de la GPL et des logiciels libres a connu une descendance abondante et pugnace. Les questions de la propriété sur la connaissance et de la construction, maintenance et gouvernance des biens communs créés par les communautés concernées sont deux éléments clés de ces nouveaux mouvements sociaux.

Quelques exemples :

  • le mouvement des créations ouvertes (Creative commons[17], Licence Art Libre,…) est construit autour de règles juridiques qui permettent aux auteurs d’autoriser des usages pour mieux faire circuler leurs idées, musiques, travaux divers. Ce mouvement emprunte directement à la « révolution douce » de la GPL pour son côté subversif, et à la fluidification du marché culturel comme conséquence de l’extension des communs de la culture. Une manière pragmatique de poser les problèmes qui évite l’enfermement dans des alternatives infernales[18].
  • le mouvement des malades qui veulent partager les connaissances avec leurs médecins. Avec une participation politique forte des malades de SIDA dans l’opposition aux ADPIC, qui s’est traduite par l’adoption des exceptions pour les médicaments dans les Accords de Doha[19]
  • le mouvement des chercheurs pour le libre-accès aux publications scientifiques et aux données scientifiques
  • le renouveau des mouvements paysans autour du refus de l’appropriation des semences par les trusts multinationaux (contre les OGM, pour le statut de bien communs des « semences fermières »[20] – un exemple symptomatique en est la réalisation d’un numéro de « Campagnes solidaires », journal de la Confédération Paysanne avec Richard Stallman)
  • le mouvement pour un nouveau mode de financement de la recherche pharmaceutique (notamment les propositions de James Love pour l’association KEI – Knowledge Ecology International[21]) et pour l’utilisation de nouveaux régimes de propriété afin de permettre le développement de médicaments adaptés aux « maladies négligées » (Médecins sans frontières, DNDi[22]…)
  • le mouvement mondial pour le libre-accès à la connaissance (a2k : access to knowledge) qui réunit des institutions (États, notamment pour l’Agenda du développement à l’OMPI, constitution du bloc des « like-minded countries »), des réseaux d’associations (IFLA, association internationale des bibliothécaires, Third World Network,…) ou des universitaires (il est intéressant de penser que ce mouvement a tenu sa première conférence mondiale à l’Université de Yale[23])
  • le mouvement OER (Open Educational Ressources[24]) qui réunit autant des grandes institutions (MIT, ParisTech) que des enseignants souhaitant partager leurs cours, avec le parrainage de l’UNESCO… et de HP !
  • le mouvement dit « société civile »[25] lors du SMSI (Sommet mondial sur la société de l’information, sous l’égide de l’ONU en 2003 et 2005) ou du Forum pour la Gouvernance de l’Internet, et tous les mouvement qui s’interrogent sur l’évolution des réseaux, combattent l’irénisme technologique autant que le refus passéiste des nouveaux modes de communication
  • les mouvements portant sur le « précariat intellectuel », depuis les intermittents du spectacle jusqu’à l’irruption d’une « hacker class » (MacKenzie Wark) pratiquant le piratage comme valeur de résistance
  • les mouvements de refus de la mainmise publicitaire sur l’espace mental collectif, qui organisent la dénonciation et le rejet de l’industrie de l’influence (Résistance à l’Agression publicitaire[26], AdBusters…)
  • le Forum Mondial Sciences & Démocratie[27], dont la première édition s’est tenue à Belèm en janvier 2009. Ce mouvement introduit la question des biens communs de la connaissance au coeur d’une nouvelle alliance entre les producteurs scientifiques et techniques et les mouvements sociaux.

Les formes de politisation au travers de l’empowerment des membres et des « usagers » de ces mouvements sont largement différentes de celles de la vague précédente des mouvements sociaux du vingtième siècle. La capacité de ces mouvements à s’inscrire directement dans la sphère politique est aussi une particularité. Il ne s’agit pas seulement de « faire pression » sur les décideurs politiques, mais d’imposer à la société politique la prise en compte de biens communs déjà établis et développés.

La problématique des biens communs n’a pas fini de produire une remise en mouvement de la conception d’une révolution émancipatrice, des rythmes de l’activité militante et de la relation entre les communautés de choix et les communautés de destin. Un élément moteur de la réflexion théorique en cours reste la dialectique entre l’empowerment individuel et coopératif/communautaire par la création et la maintenance de biens communs, et la défense des plus fragiles (financièrement, mais aussi juridiquement par des droits leur permettant une nouvelle gouvernance, l’accès à la connaissance ou de respect de leurs formes de connaissances, cf les mouvements « indigènes »[28]).

Car il faudra bien trouver des articulations théoriques, pratiques et politiques entre les diverses formes de résistance aux sociétés de contrôle, de militarisme, d’influence et de manipulation qui se mettent en place.

Pour cela, les pratiques, les réflexions et les succès sur le terrain du mouvement des logiciels libres sont à la fois un encouragement et une première pierre d’une réflexion par l’action. Ici et maintenant. En osant s’opposer aux nouveaux pouvoirs et aux franges les plus avancées des dominants.

Notes

[1] Crédit photo : Aussiegall (Creative Commons By)

[2] L’immatériel, André Gorz, Galilée, 2004

[3] Effet de réseau, Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_de_réseau

[4] The Pro-Am revolution, How enthusiasts are changing our economy and society, Charles Leadbeater, Paul Miller, Pamphlet, 24th November 2004 ISBN : 1841801364. http://www.demos.co.uk/publications/proameconomy

[5] http://www.gnu.org/licenses/licenses.fr.html

[6] C’est par exemple par ce type d’analyse des logiciels propriétaires que l’on a trouvé le « rootkit » (logiciel espion) installé par Sony à chaque fois qu’on lisait un CD de cette entreprise sur un ordinateur. Les logiciels libres, en permanence sous l’oeil des usagers et des membres de la communauté comportent beaucoup moins de failles et de risques d’infections par des virus ou autres « badware ».

[7] Le capitalisme cognitif : la nouvelle grande transformation, Yann Moulier-Boutang, Ed. Amsterdam, 2007

[8] Ces deux références renvoient à l’imagerie du mouvement communiste de libération (bien distinct du stalinisme de pouvoir). La prise du Palais d’Hiver de Saint Petersbourg signait le début de la révolution de 1917 et l’écroulement de la dictature tsariste ; le texte de Mao Zedong « Feu sur le Quartier général » était un appel à la révolte contre l’installation bureaucratique « par en haut », qui allait ouvrir la période dite de la « Révolution culturelle ». L’histoire a fini par avoir raison des mouvements de libération, ce qui n’enlève rien à leur force de contestation, mais montre que la vision d’un monde centralisé, avec des noeuds de pouvoir centraux à défaire, reste en deçà des formes exactes du pouvoir… et donc des besoins des révolutions émancipatrices.

[9] Homesteading the noosphere, Eric Raymond http://catb.org/ esr/writings/homesteading/homesteading/ Une traduction française est disponible dans le livre Libres enfants du numériques, Florent Latrive et Olivier Blondeau, Ed. De l’Eclat.

[10] Société de l’information/société de la connaissance, Sally Burch : In : Enjeux de Mots, sous la direction de Valérie Peugeot, Alain Ambrosi et Daniel Pimienta, C&F éditions, 2005. http://vecam.org/article516.html

[11] Tentative de définition du vectorialisme, In : Traitements et pratiques documentaires : vers un changement de paradigme ? Actes de la deuxième conférence Document numérique et Société, 2008 Sous la direction d’Evelyne Broudoux et Ghislaine Chartron. Ed. ADBS

[12] Multitude : Guerre et démocratie à l’âge de l’Empire, Michael Hardt et Antonio Negri, La découverte, 2004

[13] Un Manifeste Hacker : "a Hacker Manifesto", McKenzie Wark, Ed. Criticalsecret, 2006 (traduction française)

[14] La sorcellerie capitaliste : Pratiques de désenvoûtement, Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La Découverte, 2004

[15] http://april.org

[16] http://laquadrature.net

[17] http://fr.creativecommons.org

[18] Construire le libre-accès à la connaissance, Hervé Le Crosnier, In : Entre public et privé, les biens communs de l’information. Colloque, Université de Lyon 2, 20 octobre 2005 http://archives.univ-lyon2.fr/222/

[19] Sida : comment rattraper le temps perdu, Gernan Velasquez, In : Pouvoir Savoir : Le développement face aux biens communs de l’information et à la propriété intellectuelle, C&F éditions, 2005. http://vecam.org/article1035.html

[20] Les paysans sont-ils les protecteurs des semences locales, Guy Kastler, à paraître (version en ligne : http://vecam.org/article1075.html)

[21] Prizes to stimulate innovation, James Love, KEI International http://www.keionline.org/content/view/4/1/

[22] Relancer la recherche et développement de médicaments contre les maladies négligées, Bernard Pecoul et Jean-François Alesandrini In : Pouvoir Savoir, op. Cité. http://vecam.org/article1033.html

[23] Accès à la connaissance : Access to Knowledge, Compte-rendu de la conférence Access to knowledge qui s’est tenue à l’Université de Yale du 21 au 23 avril 2006, par Hervé Le Crosnier http://herve.cfeditions.org/a2k_yale/

[24] Cape Town Open Education Declaration : Unlocking the promise of open educational ressources, http://www.capetowndeclaration.org/read-the-declaration

[25] Relieurs, Première phase du Sommet mondial de la société de l’information – SMSI 2002/2003, Note de synthèse Octobre 2004 par Valérie Peugeot http://vecam.org/article364.html

[26] http://www.antipub.org

[27] http://fm-sciences.org

[28] Forum social mondial : un appel pour « bien vivre » plutôt que vivre mieux, Christophe Aguiton http://www.cetri.be/spip.php?article1037




Obama et Davos en images sous les plus libres des licences Creative Commons

The Official White House Photostream - CC byCoup sur coup, « Obama » et, plus étonnant, « Davos » viennent de publier sur Flickr plusieurs centaines d’images de qualité professionnelle sous licence Creative Commons (CC). Et pas n’importe quelle licence du panel, la CC By pour le premier et la CC By-Sa pour le second.

Pour résumer (grossièrement), vous disposez alors des mêmes droits avec ces images que ceux qui vous sont conférés avec les logiciels libres (sachant, bien entendu, que la question du droit à l’image subsiste quoiqu’il arrive).

Et c’est par exemple une aubaine pour la communauté Wikipédia qui trouve là une source d’une grande richesse pour illustrer son encyclopédie, en particulier lorsqu’il s’agit des articles biographiques traitant des grands de ce monde.

Obama et les Creative Commons ce n’est pas une nouveauté. Mais c’est peut être la première fois que nous sommes ainsi autorisés à pénétrer dans l’intimité du président des États-Unis (on se croirait dans West Wing en fait), avec des clichés assez exceptionnels ma foi (exemples 1, 2, 3 ou 4). Ils sont l’œuvre des photographes officiels du staff de la Maison Blanche qui s’inscrivent ici dans la même logique et dynamique qu’au moment de la campagne. On notera qu’en fait les clichés auraient dû directement se placer dans le domaine public mais la case « public domain » n’existe pas (encore) chez Flickr !

Pour ce qui concerne « Davos », ou plus précisément le Forum économique mondial de Davos, ce sont plus de trois cents images qui ont été déposées sur Flickr par les organisateurs (exemple : Bill Gates). Elles proviennent des photographes de l’agence Swiss Image mandatées à l’occasion de l’édition 2009, mais on trouve aussi quelques instantanées des éditions précédentes (exemple célèbre : poignée de main entre Shimon Peres et Yasser Arafat en 2001).

Bon, certes, mais est-ce que tout ceci va changer la face du monde (et absoudre de leurs responsabilités quelques uns des davossiens pour la période que nous traversons) ? Bien sûr que non. Mais c’est tout de même intéressant de les voir ainsi « mettre leur obole dans le pot commun ».

À la commande ou en salarié, on paye les photographes une fois pour un travail d’information publique qui peut alors tranquillement rejoindre la marmite toujours plus profonde des ressources libres. C’est, à n’en pas douter, un modèle qui a de l’avenir 😉

PS : Pour illustrer mon billet, j’ai choisi une photo de… Carla Bruni[1] (au fond à droite) !

Notes

[1] Crédit photo : The Official White House Photostream (Creative Commons By)




Sans les « pirates » l’offre de musique légale risque de prendre l’eau

Mikebaird - CC byAlors qu’en ce moment même est débattu pour la deuxième fois à l’Assemblée nationale le projet de loi Création & internet, que le gouvernement veut imposer en dépit des nombreuses voix qui s’élèvent contre dans le monde de l’Internet (Quadrature du Net, Free, pétition de SVM) chez les artistes (lettre ouverte de personnalités du cinéma, producteurs indépendants de musique) des et même dans les rangs de la majorité, il n’y a qu’à se pencher pour trouver des éléments invalidant les contre-vérités dont les pro-Hadopi nous rebattent les oreilles.[1]

On sait que ce projet de loi, sous prétexte de défendre la création et les artistes, vise à maintenir sous perfusion le monopole de majors et de producteurs dont le modèle commercial obsolète est condamné, et l’on peut aisément avancer que depuis le début, les adversaires du téléchargement dit "illégal" et le gouvernement qui va dans leur sens se trompent de débat.

Plusieurs études ont montré que depuis le début des années 2000, alors qu’explosait le téléchargement par réseaux P2P, les ventes de musique et de DVDs, la fréquentation des salles de concerts et de cinéma n’avait cessé de croître.

Le gouvernement hollandais l’a d’ailleurs bien compris, et déclaré légal le téléchargement gratuit d’œuvres sous copyright, après qu’un rapport avait montré que les échanges de musique et de films par peer-to-peer étaient bénéfiques à l’industrie du divertissement.


Par ailleurs, une étude norvégienne a démontré que les téléchargeurs sont aussi ceux qui achètent le plus de musique disponible au téléchargement payant.

C’est donc la traduction d’un billet détaillant cette étude que nous vous proposons ici pour prouver, s’il en était encore besoin, que le projet de loi Création & Internet, s’il est adopté, sera, en plus d’être coûteux, inepte, injuste et obsolète, complètement inutile.

Étude : Les pirates sont aussi les plus gros acheteurs de musique. Réponse des labels : Mais bien sûr !

Study: pirates biggest music buyers. Labels: yeah, right

Jacqui Cheng – 20 avril 2009 – Ars Technica
(Traduction Framalang : Tyah, Olivier, Don Rico)

D’après une récente étude norvégienne, ceux qui téléchargent de la musique "gratuitement" sur les réseaux P2P (peer-to-peer, ou poste à poste) sont plus enclins à acheter légalement leur musique que ceux qui ne s’écartent pas du droit chemin. Les labels de musique, cependant, ne veulent pas y croire.

Selon une étude de la BI Norwegian School of Management, ceux qui téléchargent des copies illégales de musique sur les réseaux P2P sont les plus gros consommateurs de musique légale. Les chercheurs ont examiné les habitudes de téléchargement de plus de 1 900 internautes âgés de plus de quinze ans, et concluent que les habitués du téléchargement illégal de musique sont significativement plus enclins à acheter de la musique que ceux qui n’utilisent pas les réseaux P2P.

Sans surprise, les conclusions de la BI établissent que les 15-20 ans sont plus enclins à payer pour télécharger de la musique numérique qu’à acheter des CDs, même si la plupart d’entre eux ont acquis un CD au cours des six derniers mois. Cependant, quand on arrive aux échanges par P2P, il semblerait que ceux battant pavillon noir sont aussi les clients les plus enthousiastes de sites comme iTtunes et Amazon MP3. BI affirme ainsi que ceux qui déclarent télécharger de la musique illégalement et "gratuitement" consomment dix fois plus en musique légale que ceux qui ne téléchargent jamais illégalement. La traduction automatique de Google de la déclaration d’Auden Molde de la Norwegian School of Management à l’Aftenposten dit ainsi : "Le plus surprenant reste la très importante proportion de téléchargement légal".

Le label EMI émet toutefois des doutes sur les statistiques de la BI. Bjørn Rogstad de EMI déclare à l’Aftenposten que les résultats laissent à penser que le téléchargement gratuit stimule le téléchargement payant, mais rien n’est moins sûr. "Si une chose est sûre, c’est que la consommation de musique augmente alors que les revenus diminuent. La seule explication est que le téléchargement illégal est plus important que le téléchargement légal", poursuit-il.

En rejetant ainsi les résultats de l’étude, Rogstad ne tient pas compte du fait que l’Internet a considérablement modifié la façon d’acheter de la musique. Les labels de musique ne vendent plus les albums complets par camions entiers comme c’était le cas avec les supports physiques, ils vendent aujourd’hui de gros volumes de chansons individuelles, de morceaux choisis. Le vieux format de l’album se meurt à cause de la vente de musique sur Internet, ce n’est un secret pour personne, et ça explique en grande partie la baisse générale du chiffre d’affaire de la musique.

Le rapport de la BI corrobore celui de la branche canadienne de la RIAA, la Canadian Record Industry Association, publié en 2006. À l’époque, l’organisme conclut que les utilisateurs des réseaux P2P achètent aussi plus de musique que l’industrie ne veut l’admettre, et que les réseaux P2P ne sont pas la cause principale de la baisse des ventes de musique. 73% des participants à l’étude de la CRIA déclaraient acheter la musique après l’avoir téléchargée illégalement, alors que si les non-"pirates" n’achetaient pas de musique, c’était simplement par paresse.

Notes

[1] Crédit photo : Mikebaird (Creative Commons By)




S’accommoder ou renoncer à Internet Explorer ?

L'actu en patates - Martin Vidberg

Ce dessin de Martin Vidberg illustre bien la situation actuelle des navigateurs. En effet si Internet Explorer ne s’était pas retrouvé d’office dans tous les ordinateurs sous Windows (obligeant toute substitution à un acte engagé de téléchargement), nous n’en serions pas là.

Non, ce n’est pas forcément en cliquant sur le gros E bleu de mon bureau que je vais accéder au réseau. Et oui, commençons (avant de voir plus loin) par éradiquer ce cancer du Net que constitue la version 6 du navigateur de Microsoft, qui fit perdre tant de temps et d’argent aux créateurs de sites web du monde entier.

Vous trouverez ci-dessous le témoignage d’un webdesigner, qui ne souhaite plus se faire de cheveux blancs, et qui, constatant la poussée salutaire de la concurrence, a décidé désormais de passer outre et d’ignorer IE.

Et si c’était au tour des utilisateurs de s’adapter, en prenant 5 minutes de leur temps pour installer une alternative ?

Internet Explorer : un casse-tête pour les designers Web

Internet Explorer Is To Web Standards What Ebonics Is To Standard English

Chris Berry – 18 avril 2009 – Blog
(Traduction Framalang : Balzane, Goofy et Olivier)

Chaque fois que je m’engage dans un nouveau projet de design de site Web, je constate l’impact négatif de Microsoft Internet Explorer. Comme je l’ai déjà dit, je ne réponds pas au cliché du casseur de Microsoft typique, et j’estime que l’augmentation constante de la productivité durant les 20 dernières années est pour une grande part à mettre au crédit de l’universalité de leur système d’exploitation et des logiciels Office. Ceux qui se souviennent de l’époque qui a précédé MS-DOS et Microsoft Office se rappelleront l’absence totale de standard qui rendait virtuellement impossible l’échange de documents avec quiconque n’utilisait pas le même système que vous. Je maintiens que leur monopole dans ce domaine a produit des effets bénéfiques pour tous.

À l’inverse, leur domination sur le marché des navigateurs Web a eu un impact manifestement négatif. Bill Gates reconnaît volontiers que son manque de flair vis-à-vis du développement d’Internet au début des années 90 fut l’une de ses plus grandes erreurs stratégiques. Pour compenser son arrivée relativement tardive sur ce secteur, la société a utilisé sa position monopolistique sur les systèmes d’exploitation pour modeler l’évolution d’Internet selon sa propre volonté. En l’absence de standard universellement accepté à l’origine, Microsoft a développé un navigateur qui tentait d’imposer au Web un fonctionnement identique à celui de n’importe quel autre produit Microsoft. Près de 15 ans plus tard, malgré le développement de standards Web largement reconnus, Microsoft n’a pas encore complètement abandonné cette approche. Aujourd’hui, Internet Explorer reste aux standards Web ce que le langage SMS est à l’orthographe.

La fourniture systématique des premières versions d’Internet Explorer avec le système d’exploitation Windows a assuré à Microsoft une acceptation quasi universelle de son produit, malgré ses limitations manifestes. Suivant les statistiques auxquelles vous vous fiez, de 2002 à 2004 Internet Explorer représentait entre 85 et 95 % de l’ensemble du trafic web. En conséquence, les webdesigners n’avaient pas d’autre solution que d’adapter leurs sites aux comportements propres aux navigateurs Microsoft.

Depuis 1994, le Worldwide Web Consortium (W3C) a travaillé à la mise en place de standards Web universellement reconnus et à empêcher de nouvelles implémentations de technologies propriétaires. Selon leur site Web :

Pour que le Web atteigne son plein potentiel, les technologies Web les plus fondamentales doivent être compatibles entre elles et fonctionner avec n’importe quel matériel et logiciel utilisé pour accéder au Web. Cet objectif est appelé au W3C « l’interopérabilité du Web ». En publiant des standards ouverts (non propriétaires) pour les langages et les protocoles du Web, le W3C ambitionne d’éviter la fragmentation du marché et la balkanisation du Web.

Bien que Microsoft soit membre du W3C, ils ont continué à proposer des produits qui ne remplissent que partiellement cet objectif capital.

Fort heureusement, la domination d’Internet Explorer sur le marché des navigateurs a considérablement diminué ces dernières années, et des navigateurs respectueux des standards comme Mozilla Firefox bénéficient d’une adoption large et rapide. Là encore les statistiques présentent des écarts considérables, mais selon les chiffres du W3C Schools, Firefox représente maintenant 46,5 % du trafic Web, à comparer aux 43,5 % que représentent les différentes versions d’Internet Explorer : IE6, IE7 et le dernier sorti IE8. Les utilisateurs avancés disposent maintenant d’un large choix de navigateurs respectueux des standards et, cumulés, Firefox, Google Chrome, Opera et Safari représentent maintenant 56,1% des navigateurs Web. Un pas de géant dans la bonne direction.

Hélas, 17 % des utilisateurs du Web font toujours confiance à Internet Explorer 6, un navigateur datant d’octobre 2001. Combien d’entre nous portent encore les mêmes vêtements ou regardent les mêmes émissions télés qu’il y a huit ans ? C’est l’année où on a découvert Loft Story et le Maillon Faible. Ces émissions sont apparues, puis ont disparu, mais IE6 lui est toujours parmi nous aujourd’hui. En matière d’espérance de vie, nos années passent encore plus vite pour un logiciel que pour un chien, mais pour diverses raisons IE6 refuse de mourir.

À l’exception des webdesigners et des experts en sécurité, la plupart des gens ne sont pas conscients des limitations importantes d’IE6 ou plus récemment d’IE7. Ils ne comprennent pas combien d’heures et de ressources sont gaspillées avant qu’un site au rendu parfait sous un navigateur conforme aux standards fonctionne aussi sous Internet Explorer. Jusqu’à récemment, bricoler avec les limitations de ces navigateurs était considéré comme un mal nécessaire et peu de designers acceptaient de publier un site si son affichage dans ces navigateurs imparfaits et obsolètes conduisait à une mise en page dégradée.

Compte tenu de la part de marché grandissante des navigateurs respectueux des standards, quelques designers hardis font évoluer leurs habitudes. Cela n’a aucun sens de passer d’innombrables heures à inventer des bidouilles inélégantes et des solutions de rechange disgracieuses pour s’adapter à des utilisateurs qui se cramponnent obstinément à une technologie obsolète. D’un point de vue commercial, il peut être difficile de résister à un client qui insiste pour que son site soit rétrocompatible avec une technologie préhistorique, mais il faut au moins le rendre conscient des coûts supplémentaires importants induits par son exigence.

Selon l’avis de certains, les designers passent autant de temps à obtenir un rendu correct d’un site dans IE qu’à créer le design original. Ceci constitue clairement un gâchis de temps et d’énergie phénoménal et représente une charge financière énorme dont les clients ont rarement conscience. Il faudrait au minimum leur expliquer ouvertement qu’assurer la rétrocompatibilité de leur site avec des navigateurs obsolètes reviendra sensiblement plus cher que la création d’un site conforme aux standards. Tant que les clients ne seront pas au courant que leurs exigences impliquent un tarif très élevé, les utilisateurs d’IE resteront inconscients des problèmes qu’ils causent.

Refuser purement et simplement de prendre en charge les navigateurs non conforme serait plus facile, mais cela ne constitue pas une solution réaliste. Nous pouvons agir pour sensibiliser les internautes néophytes à la nature et à l’étendue des problèmes qu’ils causent. Après avoir créé ce nouveau thème pour mon site, j’ai décidé de ne faire aucune modification pour les utilisateurs d’Internet Explorer. Si vous visitez ce site avec un navigateur respectueux des standards, son rendu sera exactement celui voulu. Si vous utilisez Internet Explorer, la mise en page sera dégradée. Les utilisateurs d’IE7 constateront entre autres qu’en arrière-plan les images et les couleurs ne sont pas assorties, que les boîtes de commentaires ne sont pas alignées avec la marge gauche. Si vous survolez les numéros de pages en bas de l’écran dans IE, vous allez probablement voir leur position sauter de 15 ou 20 pixels. Si vous regardez la page d’accueil ou l’une des pages d’archives, vous allez remarquer des espaces vides supplémentaires entre chaque extrait des billets. Ce sont juste quelques-uns des défauts que j’ai constatés jusqu’ici avec IE7, et je ne me suis même pas préoccupé d’afficher le site dans IE6. Je suppose que c’est bien pire.

Si vous voulez contribuer à débarrasser le monde des navigateurs non respectueux des standards, vous pouvez afficher le logo Bring Down IE6 (NdT : Meurs, IE6 !). Procurez-vous le vôtre dès aujourd’hui sur Bring Down IE6.com.




Quand Internet croit faire de la politique

Ted Percival - CC by« 18 juin 1940 – le général de Gaulle envoit un message sur Twitter et crée une cause sur Facebook. 19 juin 1940 – déjà plus de 30 millions d’internautes ont rejoint les rangs des Français Libres sur les réseaux sociaux. Les SMS et mails de soutien affluent. Des milliers de blogs fleurissent… »

Voici un article de Cédric Biagini[1] dont le préambule accroche illico et donne envie d’en savoir plus. Il interroge profondément le sens que nous donnons, ou feignons de donner, à tout ce temps passé à nous connecter et échanger des informations. Et si nous étions en train de nous fourvoyer à croire qu’un autre monde est possible, vissés que nous sommes derrière nos écrans ?

Participer plein d’espoir et d’énergie à notre propre enfermement alors même que nous pensons nous libérer, voilà un scénario que l’Histoire a déjà connu. Internet deviendra-t-il la nouvelle caverne de Platon de notre époque numérique ?

En tant que créateur de Framasoft (qui a donc de bonnes heures de vol net derrière lui), je tenais à vous faire partager ma perplexité existentielle face à ce texte militant qui pose quelques bonnes questions.

On pensera également bien entendu à la forte mobilisation du réseau contre le projet de loi Création et Internet (opération Blackout, pétition, Réseau des Pirates, groupe Facebook, tag Twitter, etc.) dont on peut légitimement se demander si elle ne s’est pas effectivement arrêtée aux frontières du Web. D’autant que lorsque l’on tente d’en sortir (ça, ça et bientôt ça), on franchit difficilement le stade de la confidentialité, quand bien même on passe assurément un bon moment ensemble.

Au final la loi risque bien d’être votée. Et le Net, constitué de gens toujours plus informés, est, dans sa grande majorité, totalement abasourdi devant tant d’incompétences et d’irresponsabilités. Sauf que comme il est dit plus bas, ce n’est pas parce que les gens savent que les choses changent. Le décalage entre le bruit virtuel et le silence du terrain est patent.

Il y a indéniablement une aspiration et de nouvelles possibilités pour faire de la politique autrement. Mais lorsqu’il est question de contester une loi émanant de la majorité, les classiques rapports de force gardent toute leur efficacité. De mémoire de parlementaire, on n’a encore jamais vu un buzz avoir raison d’un gouvernement…

Cet article est issu du dossier « le piège Internet » du numéro d’avril de La Décroissance (2€ chez votre point de vente le plus proche). Ce journal « de combat veut faire progresser une cause encore minoritaire, et fait désormais partie du paysage médiatique national, contribuant, par son indépendance, à la vitalité du débat démocratique sur l’avenir de la planète »[2].

La Toile contre la politique ?

Cédric Biagini – avril 2009 – La Décroissance

18 juin 1940 – le général de Gaulle envoit un message sur Twitter et crée une cause sur Facebook.

19 juin 1940 – déjà plus de 30 millions d’internautes ont rejoint les rangs des “Français Libres” sur les réseaux sociaux. Les SMS et mails de soutien affluent. Des milliers de blogs fleurissent. Sur les forums, Gaullistes, FFI, FTP et Miliciens pétainistes s’écharpent..

18 juin 2009 – In Frankreich wird nur noch Deutsch gesprochen…

Les milieux contestataires ont imposé l’idée que pianoter derrière un écran pour diffuser sur Internet était une pratique subversive. Les mouvements conservateurs tendant à reconquérir ce terrain, il est temps de mettre à bas ce mythe de la communication. Et de savoir construire (aussi) des rapports de force sociaux ou politiques dans le monde réel. Saurons nous encore le faire ?

Cette promesse d’un monde meilleur a été portée par les pionniers d’Internet. L’émergence du mouvement alter mondialiste est concomitante de l’éclosion de ces nouveaux médias, la lutte se mène désormais à l’échelle planétaire et prend le réseau comme modèle.

Mais cette illusion d’avoir dépassé le capitalisme vermoulu, ancré dans le réel, pesant, hiérarchisé, bref, associé à l’ancien monde du XXème siècle, n’a duré que quelques années, le temps que celui-ci se redéploie dans l’univers virtuel et en tire des bénéfices immenses, en terme financiers bien sûr, mais surtout idéologiques. Le basculement numérique lui offre, au contraire un nouveau territoire à conquérir et lui permet de se moderniser en se parant de valeurs issues de la tradition émancipatrice et de mots comme révolution, liberté, gratuité, horizontalité, participation, nomadisme, échange, etc…

Bien que toutes les forces sociales dominantes, de l’État aux multinationales, en passant par les industries culturelles, participent au déferlement technologique et tentent de mettre l’ensemble de l’humanité devant tel ou tel écran, les mouvements contestataires, passé l’euphorie des débuts, sont anesthésiés, incapables de formuler un discours un tant soit peu critique. Seules quelques technologies comme les puces RFID et celles associées aux contrôles policiers éveillent leur méfiance.

Pourtant la question numérique est éminemment politique. Nos rapports au temps, à l’espace, aux autres et à nos environnements s’en trouvent profondément modifiés. L’essence même de la technologie est en train de transformer le monde. Son emprise croissante sur nos vies ne fait que renforcer le libéralisme : marché autorégulé, disparition des intermédiaires, accélération des échanges, déterritorialisation, individualisation, destruction des modes de vie traditionnels, culte de la performance et de la nouveauté. Que les béni-oui-oui du progrès applaudissent à toutes les innovations, persuadés que chaque problème trouvera sa solution technique, paraît logique. Plus étonnante est la permanence du discours sur la neutralité de la technique – tout dépend de ce qu’on fait… – ou sur l’illusion de pouvoir la maîtriser – c’est bien pratique et efficace…

L’obsession de l’information. Peu à peu, une frénésie informationnelle s’est emparée de la société, le monde de la contestation ayant parfaitement intégré que tout n’était qu’information et que si les gens savaient, tout changerait !…. Puisque les grands médias sont responsables de tous les maux, leur critique devient obsessionnelle et rétablir la vérité devient le cœur des nouvelles pratiques militantes. Se multiplient alors forums, listes, sites, blogs, etc…

Le temps n’étant pas extensible, les moments de rencontre se raréfient et plus personne ne devient disponible pour organiser de vraies réunions ou penser des mobilisations ou des alternatives collectives. Cette réduction utilitariste de l’agir politique empêche de questionner le sens de nos pratiques, alors que nous devrions avoir compris, après les multiples échecs des mouvements du XXème siècle, que le chemin importe plus que le but. Faire un journal militant, par exemple, n’a pas uniquement pour objectif de diffuser des idées ; le support en lui-même crée du collectif et amorce une prise sur le réel.

Les militants passent un temps croissant vissés devant leur ordinateur à faire circuler des informations et à s’écharper sur les forums avec une violence que l’absence de liens véritables permet. Une information chasse l’autre dans un ballet sans fin qui donne le tournis… et de nouvelles raisons de s’inquiéter et de s’indigner. Plus le temps de prendre du recul pour mettre en perspective, de conceptualiser ou de débattre. Il faut se connecter aux évènements les plus récents et rester vigilants pour être sûrs de ne rien manquer ! Cette dictature de l’instant empêche de chercher des réponses philosophiques et politiques.

L‘homo communicans. Cette obsession de l’information libératrice postule qu’il suffirait d’être au courant des horreurs du monde pour les combattre. Ce peut être une condition nécessaire mais jamais suffisante, et il n’y a pas de lien direct entre information et action – si l’on entend bien sûr par « action » actes et engagement, et non un simple réflexe émotionnel ou compassionnel.

Le rapport de force politique ne se crée pas devant un écran. Car scoops et révélations n’entraînent pas mobilisations. Car ces informations et cette masse de connaissances accessibles, aussi critiques soient-elles, si elles n’entrent pas dans la « réalité de nos situations », c’est-à-dire dans un ordre constitué de croyances, de valeurs, de repères et de pratiques, ne produisent aucune puissance politique. Or la société communicationnelle nous condamne à n’être que des émetteurs-récepteurs d’informations, perpétuellement plongés dans l’univers des machines, extérieurs au monde.

Bien évidemment, il ne s’agit pas de refuser toute forme de communication, d’échanges d’informations et d’analyses. Mais plutôt, de cesser de nous bercer d’illusions que l’instantanéité et la profusion de données nous permettent de maîtriser le monde.

En évitant d’être happé par ces flux, un double processus peut s’enclencher : prendre le recul nécessaire à la réflexion, à la construction de soi et à la production de sens. Et, en même temps, nous réinscrire dans une histoire, dans un environnement social, dans la nature et dans la durée.

Notes

[1] Cédric Biagini est l’auteur de La Tyrannie technologique : Critique de la société numérique aux éditions L’échapée (dont on peut lire une critique contextuelle sur le site des Écrans).

[2] Crédit photo : Ted Percival (Creative Commons By)




Combien d’écoles Jean-Macé en France ?

Tinou Bao - CC byLe titre de ce billet fait naturellement écho à Combien de lycées Sud Médoc en France ? où nous feignions d’interroger la situation française alors qu’il ne s’agissait que de mettre en valeur une remarquable initiative locale, fort justement relayée par la presse.

Il en va de même ici, non plus dans le secondaire mais dans le primaire, à l’école Jean-Macé d’Hazebrouck[1].

Cette école ne disposait pas de salle informatique. Lacune aujourd’hui comblée avec une quinzaine de postes qui, depuis décembre, tournent sous le système d’exploitation GNU/Linux.

C’est déjà remarquable en soi mais ce qui l’est peut-être tout autant voire plus, c’est d’avoir fait constater par l’autorité de tutelle, à savoir ici l’Inspection académique, que « l’absence Microsoft » ne pénalise nullement les usages pédagogiques et l’obtention du B2i, bien au contraire.

Un événement rapporté comme il se doit par les journaux locaux (voir ci-dessous), et le moins que l’on puisse dire c’est que cela fait plaisir à lire.

Source de l’information sur le site de l’école

Du matériel informatique neuf et innovant à l’école Jean-Macé

Image scannée de l'article de la Voix du Nord6 avril 2009 – La Voix du Nord

Mardi après-midi, deux conseillers en technologies de l’information et de la communication (TICE) sont venus s’enquérir du bon fonctionnement de la salle informatique de l’école Jean-Macé. Un site précurseur en la matière.

La municipalité a décidé de restaurer le parc informatique des écoles de la commune. Première à bénéficier de cette politique, l’école Jean-Macé fait figure de site pilote. En effet, son nouveau matériel, quinze unités centrales, fonctionne avec un système d’exploitation libre.

Des utilisateurs conquis

« L’intérêt de notre visite, c’est de vérifier que tout se déroule correctement et que l’utilisation d’un système d’exploitation libre est pertinente pour la délivrance du B2I, Brevet informatique et Internet, aux enfants de CM 2 », explique Thierry Heuguebart, conseiller en TICE pour le secteur d’Hazebrouck, venu, mardi, accompagné de Luc Simon, son homologue pour l’inspection académique du Nord.

Le moins que l’on puisse dire est que tous les utilisateurs sont conquis. Enseignants et élèves n’ont eu aucun mal à s’adapter au nouveau logiciel qui permet de sortir de la logique Windows.

Le directeur de l’établissement, Stéphane Olivier, ne cache pas lui non plus sa satisfaction devant l’investissement municipal. « Désormais, chaque élève dispose du même équipement. Avant, tout était dépareillé. Nous n’avons plus de bug et, grâce au serveur, nous sommes tous en ligne », s’enthousiasme-t-il.

Les écoliers expérimentent le logiciel libre

Image scannée de l'article de l'Indicateur des FlandresA. R.-M. – 9 avril 2009 – L’Indicateur des Flandres

Avec quinze ordinateurs neufs, élèves et enseignants de l’école Jean-Macé ont de quoi se réjouir. La municipalité d’Hazebrouck a décidé, sous la responsabilité de l’adjoint aux Affaires scolaires, Michel Labitte, de renouveler chaque année le parc informatique d’une école.

Cette politique volontariste en terme d’informatique ne s’arrête pas là puisque depuis le mois de décembre, les écoliers travaillent sous Linux, un système d’exploitation libre et donc gratuit, dans le cadre d’une expérimentation autorisée par l’Éducation nationale. Ce test a des répercussions économiques : la municipalité de devra plus payer le système Microsoft, ni acheter ses logiciels.

Ce qui intéressent davantage élus, enseignants et représentants de l’Inspection académique, qui étaient en visite mardi 31 mars à l’école Jean-Macé, c’est l’aspect d’ouverture d’esprit. Professeurs comme élèves découvrent qu’il existe d’autres systèmes d’exploitation que celui lancé par l’américain Bill Gates, Microsoft, devenu incontournable puisqu’il est vendu avec chaque ordinateur neuf. Cela pourrait bien changer car la commission européenne s’inquiète de ce monopole.

Dans les faits, les enfants ne se rendent pas compte de la différence. Ils viennent dans cette salle informatique pour acquérir des connaissances en français ou encore en mathématiques, avec une certaine autonomie, tout en s’initiant aux nouvelles technologies dans le cadre du B2i. Quant aux professeurs, ils ont tous reçu une formation dispensée par Thierry Heuguebart, conseiller pédagogique TIC (technologies de l’information et de la communication) dans la circonscription d’Hazebrouck.

Le directeur, Stéphane Olivier, confirme : « Le changement de logiciel s’est fait sans problème ». L’expérience semble donc concluante. La municipalité devrait poursuivre dans cette voie, tout comme l’Éducation nationale. Autre avantage non négligeable de l’expérience : le responsable informatique de la mairie, Grégory Houte, n’est plus dérangé fréquemment à cause de problèmes techniques. Quand un ordinateur ne répond plus, le serveur le réinitialise et l’enfant peut reprendre son travail.

Notes

[1] Crédit photo : Tinou Bao (Creative Commons By)




Combien de lycées Sud Médoc en France ?

Mr. Theklan - CC by-saLe lycée Sud Médoc de Bordeaux propose à ses élèves un atelier Cinéma, un atelier Théâtre et un atelier… « Informatique et Logiciels Libres » !

Il ne s’agit pas d’un atelier informatique où figureraient, entre autres, les logiciels libres, c’est directement dans le titre et révèle l’importance qu’on souhaite leur accorder.

La présentation en est fort intéressante et a valeur d’exemple aussi bien au niveau du contenu que dans la volonté de nouer des partenariats dynamiques et pertinents avec le monde extérieur.

Il s’agit en effet de découvrir et promouvoir les plate-formes d’exploitation et les logciels libres, de s’initier à la programmation sous Linux et à la DAO grâce à des outils comme GIMP, Inkscape et Blender. Parmi les partenaires, on trouve l’ENSEIRB de Talence dont les étudiants viennent le samedi matin pour enseigner aux élèves du club la programmation en C et C++, la Cyber-base de Saint-Médard en Jalles pour la DAO, ainsi que la célèbre association ABUL (les créateurs des RMLL !) et Médias-Cité (les créateurs d’Expo Libre !).

Par ailleurs des événements sont organisés. Les élèves du club s’en vont ainsi dans les classes présenter les logiciels libres auprès de leurs camarades de Seconde. Et, avec l’aimable autorisation de Monsieur le proviseur, des conférences associées à des install-parties sont mises en place.

Enfin voici ce qu’il est explicitement précisé :

Les élèves du club fonctionnent sur le mode du tutorat et selon les principes des logiciels libres : « Si tu ne sais pas demandes, si tu sais tu partages ». La mutualisation des savoirs est à l’origine des logiciels libres et c’est une règle de conduite dans ce club.

Si un élève[1] inscrit à cet atelier passe pas ici, qu’il n’hésite surtout pas à apporter son témoignage !

Tous les acteurs impliqués dans le projet méritent à n’en pas douter d’avoir connu aujourd’hui les honneurs d’un encart dans la Grande Presse, en l’occurrence le journal Sud Ouest, que nous nous sommes permis de reproduire ci-dessous.

On notera que le conférence du jour place les logiciels libres au niveau des enjeux de société. Si ça n’est pas encore une bonne idée ça…

On n’est pas là pour distribuer des bons points mais nous tirons notre chapeau à cette emblématique initiative locale. Bravo, merci, et comme ne dirait pas Chrisitine Albanel, nous vous souhaitons de faire des eMules 😉

Edit : On pourra lire aussi l’article parallèle Combien d’écoles Jean-Macé en France ?

Le lycée Sud-Médoc fait la part belle aux logiciels libres

URL d’origine du document

18 avril 2009 – SudOuest.com

INFORMATIQUE. L’intérêt des élèves pour l’univers de Linux et de la programmation, encouragé par l’établissement, ne se dément pas

Le lycée Sud-Médoc a organisé dernièrement sa demi-journée annuelle sur les logiciels libres. Ces logiciels sont gratuites. L’expression « logiciel libre » fait référence à la liberté pour les utilisateurs d’exécuter, de copier, de distribuer, d’étudier, de modifier et d’améliorer le logiciel.

La manifestation s’organisait autour d’une conférence de Jean Perrochaud, sur le thème : « Les logiciels libres : quels enjeux de société ? », au nom de l’Association bordelaise des utilisateurs de logiciels libres.

Partenariat avec l’Enseirb

En parallèle, des animations étaient organisées : présentation de film d’animation par Joël Houdin de Cyberbase, install-party (installation de systèmes d’exploitation Linux sur les ordinateurs) et lan-party (jeux en réseaux, toujours des jeux libres et gratuits) proposés par les élèves de l’Atelier logiciels libres et programmation du lycée Sud-Médoc et deux « anciens » actuellement dans l’enseignement supérieur.

Médias-cité avait prêté un matériel important. Il y eut un moment fort avec la signature confirmant officiellement le partenariat avec l’Enseirb de Talence par son directeur et par M. Bellicchi, proviseur du lycée Sud-Médoc.

En effet, les étudiants viennent pour la 5e année consécutive le samedi matin au lycée pour un tutorat en programmation au profit de des élèves de l’Atelier. Ces derniers ont toujours été soutenus dans cette activité par le proviseur de l’établissement, qui obtient en retour des résultats très encourageants et une réelle gratitude de la part des élèves.

Notes

[1] Crédit photo : Mr Theklan (Creative Commons By-Sa)




L’avenir du livre reste à écrire…

Richardmasoner - CC by-saLe succès récent du lecteur de livre électronique Kindle 2 d’Amazon est venu nous rappeler que le monde de l’édition ne pourra être longtemps épargné par les bouleversements technologiques actuels. Ce n’est qu’une question de temps, celui que mettra l’industrie à nous offrir un réel confort de lecture numérique, accompagnée par une offre plurielle au prix raisonnable et… aux formats ouverts !

Le meilleur moyen d’appréhender la nouvelle donne qui s’annonce et d’en mesurer dès à présent les enjeux est certainement de parcourir l’excellent blog La Feuille.

Quant à nous, après avoir évoqué, non sans ironie, la question du piratage, nous vous proposons une traduction du Guardian qui témoigne du fait que, comme pour la musique, c’est tout la chaîne de production qui risque d’être bientôt impactée[1].

Sans oublier bien sûr notre projet de livres libres Framabook en partenariat avec InLibroVeritas (et Les Complexes).

L’avenir de l’édition : aussi terrifiant qu’un récit de Stephen King ?

The future of publishing: as frightening as any Stephen King story?

Naomi Alderman – 17 février 2009 – The Guardian
(Traduction Framalang : DonRico et Goofy)

Pour le livre électronique, on est à mille lieues de se soucier du piratage.

La révolution du livre électronique est peut-être en marche. L’année dernière, Amazon a sorti son lecteur d’e-books, le Kindle, et estime qu’il s’en est vendu plus que d’iPods lors de leur première année de commercialisation. Il y a peu, Amazon a sorti le Kindle 2, lequel était accompagné, pour fêter l’événement, d’une nouvelle écrite pour l’occasion par Stephen King.

Parmi mes interlocuteurs dans le monde de l’édition – auteurs, agents, responsables éditoriaux et éditeurs d’œuvres numériques –, la portée d’une révolution du livre électronique suscite à la fois un grand intérêt et une vive inquiétude. Les éditeurs craignent les possibilités de piratage. Si l’on prend l’exemple de l’industrie du disque, cette inquiétude peut sembler légitime. Trouver des livres électroniques piratés n’a rien de difficile : en cherchant « eBook Stephen King » sur Google, on récolte des tas de liens. Cela ne pose pas de problème pour l’instant car dans leur grande majorité, les lecteurs n’aiment pas lire de longues œuvres sur un écran d’ordinateur. Si un appareil offrant un plus grand confort de lecture se démocratisait – et même le Kindle permet à ses utilisateurs de lire des PDF grâce à un système de conversion « expérimentale » –, la donne changerait rapidement.

Mais les inquiétudes concernant le piratage ne sont peut-être qu’un leurre. La démocratisation du lecteur de livres électroniques pourrait avoir un effet bien plus immédiat et plus profond sur la façon dont on publiera et vendra les livres, et Stephen King nous en a offert un parfait exemple. En 2000, il a publié son roman The Plant sous forme d’e-book, découpé en épisodes. Il l’a mis à disposition sur son site Web, se passant ainsi d’éditeur. Dans les grandes lignes, l’expérience s’est soldée par un échec : on peut lire d’intéressantes analyses à ce propos sur Salon, Wikipédia et Another Sky Press. La démarche fonctionnait selon un modèle économique très particulier, mais la plupart des lecteurs potentiels ne possédaient pas d’appareil sur lequel il était plaisant de lire un long e-book.

Si les ventes de lecteurs d’e-books décollaient, en revanche, des auteurs de renom tel que Stephen King pourraient passer à l’auto-publication. Et cela pourrait marquer la fin du système éditorial tel que nous connaissons à l’heure actuelle. À cause de la structure de l’édition, ce sont les auteurs de renom dont les livres se vendent par millions qui, de fait, soutiennent l’industrie à bout de bras. J’ai lu diverses statistiques concernant le pourcentage de livres qui génèrent vraiment des bénéfices. Un agent littéraire que j’interrogeais m’a expliqué que 95% des œuvres publiées n’étaient pas rentables. D’autres m’ont indiqué des nombres moins élevés. Quoi qu’il en soit, tout le monde s’accorde à dire qu’une grande majorité des bénéfices provient d’une petite minorité d’auteurs.

Si Stephen King, Dan Brown, JK Rowling et Patricia Cornwell décidaient de concert de vendre leurs livres eux-mêmes en ligne au lieu de passer par une maison d’édition, ils en tireraient sans aucun doute des avantages financiers. En gros, un auteur ne touche qu’une livre (Ndt : un peu plus d’un euro) sur chaque exemplaire vendu. Au lieu de s’en remettre à un éditeur, les auteurs de renom pourraient se permettre de n’employer qu’un assistant d’édition, un attaché de presse, un compositeur et un graphiste. Ils pourraient vendre leurs livres seulement 2 ou 3 livres et gagner malgré tout plus d’argent qu’avec le système actuel.

Mais sans les revenus générés par ces auteurs pour maintenir à flot les éditeurs, le système actuel ne serait plus viable. Que se passerait-il alors ? Difficile de le savoir. À l’évidence, les maisons d’éditions devraient réduire leur taille, et les auteurs qui ne connaissent pas un immense succès international ne pourraient bénéficier d’avances sur droits d’auteurs fort utiles. Il serait plus difficile de continuer à écrire lorsqu’on serait un écrivain moyennement vendeur, à moins de bénéficier d’une source de revenus personnelle. Les lecteurs chercheraient toujours à découvrir de nouveaux auteurs formidables, aussi les marques des éditeurs connus conserveraient leur valeur, car elles permettraient aux lecteurs de séparer le bon grain de l’ivraie. Mais Penguin, Harper Collins et Random House pourraient se réduire à des icônes sur des canaux d’agrégateurs de livres électroniques et n’être plus les moteurs de la production éditoriale qu’elles sont aujourd’hui.

Étant moi-même auteur, j’évoque souvent les mérites du livre électronique et l’intérêt que je porte aux nouvelles possibilités de création qu’il permet. De plus, je ne doute pas que les lecteurs auront toujours envie de lire d’excellents livres. Mais toute révolution est terrifiante, et celle-ci pourrait être aussi effrayante qu’une histoire de Stephen King.

Notes

[1] Crédit photo : Richardmasoner (Creative Commons By-Sa)