Leçon n°1 : Cliquer sur le gros E bleu permet d’accéder à Internet

Classé dans : Éducation, Mouvement libriste | 13

Temps de lecture 8 min

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Tajai - CC byCe blog n’est pas le dernier à le constater  : les enseignants et le logiciel libre, c’est parfois tout un poème…

Enfin surtout aux États-Unis où un enseignant se propose carrément ci-dessous «  d’éduquer ses collègues au Libre  », et de se demander au passage si la situation ne serait pas meilleure ailleurs.

En Angleterre certainement, mais en France  ?

C’est, en l’absence de statistiques fiables, difficile à évaluer[1]. En bas ça fourmille à n’en pas douter d’initiatives pas forcément médiatisées, mais en haut  ?

En haut, ça coince toujours pour je ne sais quelles obscures raisons. Où sont les documents d’informations, les plans d’action ou les directives courageuses  ? Et confier la chose à Microsoft ou Google n’est certainement pas la solution…

Il faut éduquer les profs au Libre

Teachers Need An Open Source Education

Matt Hartley – 27 janvier 2009 – Datamation
(Traduction Framalang  : Daria, Don Rico et Tyah)

Vous rappelez-vous en 2008, quand un professeur nommé «  Karen  » avait interdit à ses élèves d’utiliser Linux  ? Apparemment, dans son raisonnement, des élèves qui utilisaient Linux étaient sans doute impliqués dans des pratiques illégales.

Elle s’est plus tard excusée même si dans les deux camps on a continué à se crêper le chignon. Il me semble que ce ne sont pas seulement les acteurs du logiciel propriétaire qui ne connaissent rien aux logiciels Open Source. Il semblerait qu’à présent le groupe des fanas de la désinformation inclut aussi les professeurs.

C’est la liberté qui compte, pas la gratuité

Malgré la croissance récente dans l’adoption des logiciels Open Source sur les plateformes propriétaires, il reste d’innombrables responsables et décisionnaires qui ignorent tout des logiciels libres/Open Source (Free/Open Source Software  : FOSS). Et pour être complètement juste, il n’est pas difficile d’imaginer le trouble d’un professeur bombardé par le discours des présentateurs des grands médias qui passent plus de temps à brandir la menace du «  piratage de logiciels  » qu’à parler de leurs alternatives libres (FOSS).

Même les «  freeware  » (gratuiciels) peuvent être échangés illégalement puisqu’ils contiennent souvent un accord de licence stipulant qu’il faut la permission expresse de ses créateurs pour distribuer les travaux créés avec ces gratuiciels. On imagine alors sans mal comment un professeur mal informé peut être enclin à tirer des conclusions hâtives quand un de ses étudiants fait passer un CD contenant un «  logiciel inconnu  » à ses camarades.

En réalité, ces mêmes étudiants utilisent leur liberté de choix pour sélectionner les alternatives légales aux logiciels propriétaires. Ils évitent ainsi tout recours au piratage de logiciels. Grâce aux nombreuses licences Open Source existantes, les étudiants peuvent échanger ces logiciels sans restriction. Cette liberté n’a aucune conséquence néfaste. Hélas, la plupart des professeurs l’ignorent.

Ce qui n’arrange en rien cette incompréhension entre élèves et enseignants, ce sont les fortes présomptions voulant que les responsables informatique qui travaillent dans les mêmes établissements que ces professeurs mal informés ne sont pas en reste pour encourager ce genre de réactions et faire en sorte qu’elles aillent plus loin encore.

Des professionnels de l’informatique qui ont besoin de «  retourner à l’école  »

Essayez de suggérer à un utilisateur de Linux qu’il devrait retirer Linux de son PC  : il y a de fortes chances qu’il vous rie au nez. Pourtant, il semblerait que ce soit des pratiques courantes dans les établissements.

Le problème, c’est que les utilisateurs de Linux eux-mêmes sont perçus comme des éléments perturbateurs dans un univers régi par des administrateurs certifiés Microsoft. Ces admins, qui étalent souvent leur «  grande connaissance de Linux  » acquise lors d’une aventure de vingt minutes avec une distribution Linux prise au hasard il y a quelques années, choisissent d’apporter leur pierre à la désinformation. On les accuse parfois de fabriquer des semi-vérités à propos de ceux qui utilisent exclusivement cette plateforme, ou de leur avoir simplement refusé l’accès au réseau. Voilà qui pose problème dès lors que les étudiants concernés viennent d’une famille où l’on n’utilise que Linux, ce qui pourrait les contraindre à devoir apporter au lycée leur propre portable tournant sous Linux.

Est-ce un problème mondial, ou est-un problème propre aux établissements scolaires américains  ? Même si j’ai lu dans certains articles que ça se passe un peu partout, le gros des exemples cités semble venir essentiellement des États-Unis.

Les établissements scolaires américains sont-ils seuls à nager dans l’ignorance  ?

À l’heure actuelle, les établissements américains sont plus doués pour enseigner la «  docilité envers Microsoft  » que pour faire en sorte que les élèves sachent lire avant leur entrée au lycée. Remarquez, ce n’est pas grave, ces mêmes élèves ont déjà appris tout seuls à cliquer sur «  le gros E bleu  » pour se rendre comme des grands sur MySpace et Facebook.

Ajoutez à cela le talent avec lequel ils utilisent la toute dernière suite de sécurité propriétaire pour se prémunir des programmes malveillants qui se baladent sur Internet, et nos élèves américains, en grandissant, deviendront une ressource sur laquelle on pourra compter.

Pendant ce temps, des régions du monde telles que l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud connaissent des taux record de migrations vers Linux. Les lycéens de pays bien plus pauvres que le nôtre apprennent à mettre à profit leurs capacité à résoudre les problèmes pour contourner les «  anicroches  » de leur OS, alors qu’aux États-Unis, les lycéens s’échinent à améliorer leur perso World of Warcraft  !

Même au Canada, notre voisin immédiat, des dépêches annoncent chaque mois que des groupements d’établissements passent à des alternatives Open Source, simplement parce qu’ils préfèrent consacrer leur budget éducatif à autre chose qu’à des licences Microsoft.

Arrêtez-moi si je me trompe, mais il y a quelque chose qui cloche, non  ? Les enseignants et les administrateurs système serinent aux jeunes élèves portés vers les nouvelles technologies que s’ils veulent être compétitifs sur le marché, ils doivent utiliser Windows. N’oublions pas que nous espérons former ces mêmes élèves à être performants dans un monde ou Linux et Windows sont tous les deux très utilisés.

D’accord, on voit souvent passer des articles qui affirment que l’utilisation de Linux est marginale. Pourtant, quand on demande comment on peut bien s’y prendre pour comptabiliser un système d’exploitation qui ne fournit pas de réel moyen de le comptabiliser, ces mêmes sources médiatiques se referment comme des huîtres. En d’autres termes, nul ne peut fournir un pourcentage tangible, et ceux qui montrent des camemberts représentant les parts de marché en avançant des arguments confus doivent comprendre qu’ils ne racontent pas toute la vérité.

Mais revenons à nos moutons. Avec le budget éducatif dont disposent actuellement les établissements scolaires américains, il semblerait qu’il y ait un paquet d’argent à dépenser en logiciels et en renouvellement de matériel  ! Les économies réalisées par les établissements américains qui utilisent toujours Windows 98 et 2000 Pro, voilà qui à l’évidence est plus rentable qu’embaucher des administrateurs formés à plusieurs systèmes d’exploitation et capables de travailler sur autre chose que Windows, non  ?

Ces administrateurs ne passent quand même pas plus de temps à lutter contre les logiciels malveillants qu’à améliorer l’environnement informatique pour les élèves, non  ? Ah si, au temps pour moi.

Une proposition modeste

Je vais faire une proposition. Et si on permettait aux élèves qui le souhaitent d’apprendre à se servir de Linux, et ce sur leur temps libre  ? Peut-être pourrait-on même en faire une option qui leur vaudrait des points supplémentaires, ce qui serait forcément mieux que de les assommer d’ennui avec des matières en option dont ils se fichent comme d’une guigne.

Cela ne coûterait rien aux établissements, et pour couronner le tout, contribuerait à parfaire les capacités de résolution de problème des élèves.

En outre, je suggère que les enseignants et les techniciens informatique formés par Microsoft se documentent davantage sur Linux avant de porter dessus des jugements hâtifs.

Bien que je reconnaisse volontiers que Linux n’est pas une plateforme accessible à tout le monde, elle est de plus en plus utilisée dans le monde entier, et ceux qui la maîtriseront en plus des systèmes d’exploitation propriétaires seront en bien meilleure position pour réussir sur le marché du travail.

Qui plus est, n’importe quel utilisateur de Linux peut se coller devant une machine tournant sous Windows et réussir à s’en servir en quelques minutes. Pouvons-nous en dire autant de l’utilisateur de Windows de base qui tenterait la même expérience avec Linux  ? Sans «  le gros E bleu  » sur le bureau, c’est peu probable.

Notes

[1] Crédit photo  : Tajai (Creative Commons By)

13 Responses

  1. Grunt

    clap clap clap (j’applaudis).

    C’est tellement vrai.. et même en France.
    J’ai fait deux ans d’IUT en GEII (Génie Electrique et Informatique Industrielle), et j’ai été effrayé par la "windowsisation" de l’établissement. Pour commencer, chaque élève avait droit à une licence de Windows 2000 NT. Lequel était installé sur tous les postes. Et pendant les deux années, on n’a vu que du Windows. Seul un prof’ un peu ouvert d’esprit avait installé une machine sous GNU/Linux dans un coin d’une salle d’info..
    Pour donner une idée des réflexes des élèves après deux années de microsoftisation à outrance: à la fin de la deuxième année, ce même prof a proposé un exercice consistant à écrire un tout petit bout de code en C, à le transférer par SSH ou FTP sur cette machine Linux, à le cross-compiler pour l’envoyer ensuite dans une carte où tournait un Linux embarqué.
    La moitié de la classe a lancé Visual Studio pour taper son code. Et s’est mangé des erreurs incompréhensibles en compilant, car Visual Studio ajoute dans le texte des caractères invisibles qui foutent le bordel.

    Au fait, rien à voir, mais l’IUT avait des serveurs sous Debian. Il fallait être rudement informé pour le savoir..

  2. Le Bidibule

    Je pense que Windows en tant que système d’exploitation restera hélas un petit moment dans nos établissement du fait de son installation avec tout ordinateur. Cependant, et ce dès l’école primaire, les solutions libres gagnent du terrain : Firefox, OpenOffice, Thunderbird trouvent leur chemin en ces temps d’économie, certains logiciels libres pédagogiques – relayés par Framasoft – sont de plus en plus utilisés…

    Quant à l’OS, entre les applications Internet et ces logiciels libres multi-plateformes, la migration pourra se faire -ou non- sans trop bousculer finalement les habitudes…

    Quel dommage que le fourmillement des adeptes du libre, quel qu’en soit le niveau hiérarchique, soit souvent stoppé par l’architecture ô combien complexe de l’EN.

  3. Couleur Café

    Faudrait pas oublier toute la clique du Café Pédagogique qui aura fait des ravages sur plusieurs années, quasi une génération.

    Les avez-vous vu prendre position sur l’Hadopi ? Bien sûr que non !

  4. mydjey

    "un univers régi par des administrateurs certifiés Microsoft"

    C’est bien ça le problème, les admins (et d’autres d’ailleurs !) ne connaissent que Windows et en plus sont certifiés Microsoft.
    Du coup quand un "p’tit jeune", leur parle Linux, ils ne savent pas trop quoi répondre.
    Au mieux ils vont vous dire franchement qu’ils ne connaissent pas Linux.
    Et dans le pire dans cas ils vont vous faire un topo pour vous expliquer qu’ils ont essayé Linux et que franchement Microsoft c’est vachement mieux.

    Je comprend "un peu" leurs position; depuis le début de leurs études certains admins n’ ont entendu parler que de Windows.
    On ne leurs a pas appris l’ informatique; on leur a appris Microsoft.

    Ces gens là doivent être "senibilisé" à Linux.
    Quand je dis ces gens là on pourrais y inclure:
    Les admins, les profs, les vendeurs d’ informatique, les animateurs (Dans les EPN, PIJ,cyber centre etc…)
    Et quand je dis "sensibilisé", je veux dire au moins qu’il connaissent l’ existence de Linux; et qu’il sachent que c’est une alternative "viable et sérieuse".
    On peux pas non plus leurs demandé d’ être des experts.
    Cela éviterait peut-être qu’ils dénigre Linux juste par ignorance.

  5. Julien

    petite faute de francais, je pense :
    "au temps pour moi" devrait probablement s’écrire "autant pour moi"
    c’est situé juste avant le titre "Une proposition modeste".
    Ce commentaire peut évidemment être supprimé puisqu’il n’apportera plus grand chose..

    Article intéressant au demeurant et qui soulève des questions pertinentes.

  6. Indramin

    En réponse à Julien, écrire "autant pour moi" est effectivement devenu l’usage mais on devrait pourtant écrire "au temps pour moi". L’auteur est donc dans le vrai… aussi bien dans la forme que dans le fond d’ailleurs 😉 : http://www.academie-francaise.fr/la

  7. Gim

    Un constat bien triste de plus…

    Et je suis heureux et fier que ma soeur, professeur des écoles, ait accepté une installation d’Ubuntu sur un pc où une licence microsoft lui autorisait l’utilisation de windows 98 et qui avait été victime d’un virus détruisant toutes ses photos…
    Du coup, installation d’Ubuntu par le frangin, mais surtout, le jour où elle a dû changer de pc, elle a elle-même installé sa Kubuntu !
    Elle est donc un élément important de l’éducation des jeunes et dispose d’une connaissance de cette distribution (et par là de l’environnement GNU) en tant qu’utilisatrice quotidienne !

    Ils ont beau être chapeautés par l’EN, il n’empêche que nos enseignants sont des professeurs "freelance" face à leur élèves.
    Je vois mal ma sœur un jour proposer des exercice "sur excel" si c’était une directive de l’EN… elle parlerait forcément d’OpenOffice, au moins pour leur dire que c’est une autre voie fiable, libre (et encore gratuite) 😉

  8. muaddib

    Pour lutter contre cette Windoverdose, je viens d’installer dans le CDI de mon lycée un poste sous Ubuntu.

    Faut voir la tête des élèves 😉

    Au début, ils n’ont même pas osé s’installer devant, ne savaient pas par quel bout attraper la souris, et puis ensuite, ils ont navigué gaiement et produit sous Open Office.

    J’ai eu droit au: "C’est pour ça que la barre de menu était en haut…"

    Je suis sûr qu’en configurant le bureau comme il faut, je pourrais presque leur faire croire que c’est du Windows 7 😉 même si l’objectif est bien entendu l’inverse.

    Au moins, ils auront testé autre chose que Windows.

  9. mistyrouge

    Petite expérience personelle qui colle tout à fait au sujet.
    Je suis en prépa intégré dans une grande école d’ingénieur française (dans le top 30).
    Au début de l’année, le prof d’électronique nous a demandé d’installer un logiciel sur nos ordi pero pour pouvoir travailler chez nous. Je lui ai alors demandé si ce logiciel était compatible linux. Sa réaction a juste été : "Il va falloir vous mettre dans la peau d’un ingénieur si vous voulez réussir plus tard. Vous devez utiliser windows comme tout le monde".
    Comme quoi en france aussi on a ces prof là.

  10. Olivier

    @mistyrouge : C’est terrible ton témoignage : "Il va falloir vous mettre dans la peau d’un ingénieur si vous voulez réussir plus tard. Vous devez utiliser windows comme tout le monde"

    C’est totalement faux en plus. C’est carrément irresponsable de dire ça et ne pas se rendre compte des évolutions du milieu informatique. Le problème c’est que ça arrange et réconforte ces gens de croire que Windows est encore en position dominante puisqu’ils se rendent bien compte qu’ils sont meilleurs à enseigner les outils Microsoft qu’à enseigner l’informatique en général !!!

    La perte de pouvoir fait dire n’importe quoi dans la plus complète mauvaise foi. Il faudrait l’enregistrer en caméra cachée (ou plutôt en smartphone caché) et le diffuser sur YouTube pourqu’on puisse contredire cette manière de voir les choses (et le monde).

  11. Julien

    >Indramin
    Merci de l’info… je viens d’apprendre un truc. Je garde ton lien en mémoire…
    Je me coucherai moins c*** ce soir et désolé d’avoir douté…