Pouhiou nous partage ici une expérience toute personnelle qui nous fait voir le solutionnisme technologique et les applications de pistage volontaire comme autant de poudres de perlimpinpin.
À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.
J’ai un aveu à faire
J’ai été magicien. Pas un illusionniste, hein : j’ai été sorcier, un vrai.
J’ai passé quelques années de ma vie dans une troupe de théâtre aux pratiques sectaires où nous avons spiralé dans une illusion de groupe : encens, cristaux, tarots, rituels, animaux totems, esprits-compagnons et âmes en peine à « faire monter », bougies protectrices, anges, énergies… Ça parait choupi-new-age comme ça, mais c’était psychologiquement et émotionnellement intense.
C’est pas facile, pour moi, de ressortir ces vieux souvenirs du placard. Si je le fais aujourd’hui, c’est pour dire à quel point je suis capable de comprendre une personne qui veut croire à la solution magique. L’abracadabra : le pouvoir de créer d’après ses paroles. Cette notion très Disneyienne que « si j’y crois trrrrrrrrès fort, avec toute la fôrce de mon cœur, ça arrivera. »
Je connais intimement cette envie impérieuse, en moi, de trouver une solution magique, un deus ex machina, une intervention miraculeuse qui fait que le monde ne sera plus une bataille permanente. Je la connais tellement que je la reconnais dès que je la vois apparaître dans mes communautés et mes écrans.
L’état de guerre dans nos têtes
Pourtant je suis quelqu’un d’intelligent : je le sais, j’ai même des papiers qui le prouvent :p !
Justement, avoir un cerveau qui turbine comme le mien, c’est la garantie d’être encore plus sensible aux manipulations, de foncer encore plus vite dans le mur. La première étape pour retourner mon intelligence contre moi-même est de mettre mon cerveau sur la défensive.
Par exemple, dans ma troupe de théâtre, la croyance que nous étions constamment en état de siège ou de guerre face à une attaque magico-énergétique d’un groupe extérieur (il y avait toujours les « méchants du moment » désignés par ma prof’ de théâtre) faisait que j’ai eu le bide tordu d’angoisse, que j’ai vécu des années avec un cierge allumé en permanence dans mon studio estudiantin, ou que j’ai loupé des cours en fac le matin car je passais une partie de la nuit à faire des rituels magiques.
Avec le recul, tout cela n’était « que du vrai dans la tête » : cela m’a prouvé que le vrai-dans-la-tête a des conséquences bien vraies-dans-la-vie. Mon esprit en état de guerre et d’auto-défense, persuadé de l’utilité de rituels et autres croyances magiques, a eu une influence tout à fait matérielle sur mon corps, sur mon comportement, sur mes actions et mes relations.
Pas de guerre = pas d’armes de guerre
Cela m’a surpris de voir ces souvenirs enfouis ressortir du placard de ma mémoire. Voir le président de ma république nous répéter que « nous sommes en guerre » comme une incantation, pour implanter ce vrai dans nos têtes, cela m’a fait penser aux manipulations que j’ai subies à cette époque.
Les flics qui contrôlent nos intimités, les drones de surveillance bien en vue dans les JT, la tentation du tracking sur les smartphones des infecté·es… Cela ne m’évoque rien d’autre que les encens, bougies et prières auxquelles nous nous accrochions comme seule solution à cet état de guerre, qui n’existait que dans nos têtes, mais qui existait bel et bien dans nos têtes.
Si nous n’étions pas en guerre, alors nous aurions dû affronter que la vie est injuste, qu’on y tombe malade, qu’on y vieillit, qu’on y meurt #FuckingConditionHumaine. Qu’on hérite d’une éducation, d’une histoire, d’une culture, de structures qui nous dépassent #FuckingConditionSociale. Et que pour se démerder face à tout cela, il n’y a pas de baguette magique, pas de solution miracle. #Fuck
Chercher un raccourci clavier, un cheat code
Je la connais bien, cette envie en moi d’être celui qui a trouvé la warp zone. D’être le petit malin qui a trouvé le passage secret, l’astuce magique, le truc qui évite tellement d’efforts que c’est triché, que « LeS SCieNTiFiQueS Le DéTeSTeNT !!!! ». Cette envie, c’est la faille de mon esprit où peuvent s’engouffrer toutes les arnaques.
La solution miracle, la formule magique, le cheat code, c’est mon dernier rempart avant l’inéluctable : la destruction du monde. Enfin, avant la destruction de mon monde, du monde tel que je le vois, tel que je voudrais qu’il soit.
Car le monde m’emmerde… Il est comme il est, un point c’est tout : c’est rageant !
Or les accidents de la vie (genre : une pandémie) viennent remettre en question l’image que je me fais du monde. Ils me collent le nez dans le caca de mes illusions, et ne me laissent que deux choix : soit accepter de composer avec le monde tel qu’il est, soit inventer une solution magique pour préserver mes illusions.
La technologie n’est pas la solution
Je ne suis pas le seul. Nous voulons croire aux régimes miracles et crèmes amaigrissantes car autrement il faudrait étudier comment fonctionnent nos corps, et accepter l’effort d’en prendre soin comme ils sont, pas comme on voudrait qu’ils soient. Nous voulons croire au pouvoir de la prière ou de la positivité car autrement il faudrait prendre soin des autres, faire l’effort de les écouter comme iels sont.
Nous voulons croire aux drones-espions-délateurs pilotés par les gendarmes. Car autrement, il faudrait considérer que #LesGens sont des êtres complexes et intelligents qui ne se laissent pas manipuler bien longtemps par la peur et la menace. Il faudrait faire l’effort d’une police de proximité, par exemple, et donc détruire cette vision du monde où la convivialité, où éduquer au civisme, « ce n’est pas le rôle de la police [YouTube] ».
Nous voulons croire aux applications de tracking pistage volontaire. Car autrement, il faudrait faire l’effort de cesser toute activité non essentielle le temps que les dépistages, équipements de protection puis vaccins soient disponibles. Mais pour cela, il faudrait à la fois faire le deuil d’un capitalisme qui a besoin que certains hamsters fassent tourner la roue, ainsi que faire le deuil d’un gouvernement efficace, qui aurait anticipé et qui serait organisé.
Le logiciel libre n’est pas la solution
Faire le deuil de ses illusions, c’est pas facile. Il faut passer l’état de choc et les moments de déni (non mais c’est rien qu’une grippette). Souvent ensuite vient la colère (À QUI C’EST LA PUTAIN DE FAUTE ???), et comme le dit Mémé Ciredutemps : « La colère est une chose précieuse : il faut la mettre en bouteille, pour la ressortir dans les grandes occasions. »
C’est alors qu’arrive le temps des marchandages, le moment où on crie au monde : non mais si j’ai une solution magique, est-ce que je peux pas garder mes illusions ? Juste encore un peu ?
Si on utilise pas Google Classrooms, mais rien que des logiciels libres, on peut faire cours comme si personne n’était traumatisé la continuité pédagogique ?
J’aimerais pouvoir dire que la solution, c’est le logiciel libre. Qu’une application de pistage ne nous fera pas entrer dans la servitude volontaire et la panoptique si elle est sous licence libre. Que des drones libres empêcheraient magiquement les abus de pouvoir et violences policières. Que les communautés du logiciel libre peuvent miraculeusement accueillir les besoins numériques du service public de l’Éducation Nationale.
Mais ce serait du bullshit, de la poudre de perlimpinpin. Ce serait odieusement profiter d’une crise pour imposer mes idées, mes idéaux.
À qui profite la solution
Derrière l’élixir magique qui fait repousser les cheveux de la #TeamChauves, il y a le charlatan. Si la plupart de nos mairies ont dilapidé nos impôts dans des caméras de vidéosurveillance dont l’inefficacité a été montrée, c’est parce qu’il y a des entreprises qui font croire à cette solution magique pour vampiriser de juteux marchés publics.
Je laisse les personnes que ça excite le soin d’aller fouiller les papiers et nous dire quels sont les charlatans qui profitent le plus des solutions miracles de la crise actuelle (du « remède magique » à « l’appli de tracking si cool et citoyenne » en passant par les « drones conviviaux des gentils gendarmes »), je ne vais pas pointer des doigts ici.
Ce que je pointe du doigt, c’est la faille dans nos esprits. Car cette faille risque de se faire exploiter. Ceux qui ont trouvé la solution magique, celles qui ont la certitude d’avoir LA réponse, ces personnes sont dangereuses car (sciemment ou non) elles exploitent une faille dans nos esprits.
Dans le milieu logiciel, après avoir signalé une faille, il faut trouver un patch, un correctif pour la colmater. Je ne suis pas sûr de moi, mais je crois qu’il faut observer nos envies de croire en une solution magique, et ce qu’elles cachent. Regardons en face ce à quoi il faudra renoncer, les efforts qu’il faudra faire, le soin qu’il faudra prendre, les changements qu’il faudra accepter.
Il n’y a pas de solution
Qu’est-ce qu’on fait ? Comment on fait ?
J’ai beau être un sorcier repenti, je suis aussi perdu que quiconque face à cette question (ou alors, si je concluais sur une solution miracle, je ferais la une de Tartuffe Magazine !). Je vais donc me concentrer sur un domaine qui occupe mon plein temps depuis des années : le numérique.
Sérieusement : je me fous que le logiciel soit libre si la société ne l’est pas.
Or, d’après mon expérience, créer des outils numériques conviviaux, émancipateurs… bref éthiques, c’est pas « juste coller une licence libre sur du code ». La licence libre est une condition essentielle ET insuffisante.
Il faut aussi faire l’effort de penser aux personnes dans leur diversité (inclusion), leur intimité (protection), leurs caractéristiques (accessibilité), leurs usages (ergonomie), leur poésie (présentation), leurs pratiques (accompagnement)…
C’est là qu’on voit que, comme toute création de l’esprit, le code n’est qu’un prétexte. Ce qui compte, c’est l’humain. Il faut faire l’effort d’apprendre et d’écouter des humain·es, et de s’écouter soi (humain·e) pour pouvoir se remettre en question, et avancer pas à pas.
La loi des poules sans tête
Je me suis extrait, progressivement, du monde des fariboles magiques. Le plus gros deuil que j’ai dû faire en perdant ces illusions, ça a été celui des « Non mais ça, les responsables s’en occupent. », « Non mais les haut-placés font de leur mieux. », « Non mais les gouvernantes veulent notre bien. ». Toutes ces croyances me confortaient, me réconfortaient. RIP ma tranquillité d’esprit, j’ai dû faire face à cette vérité qui pour l’instant ne s’est pas démentie :
Personne ne sait ce qu’il faut faire, tout le monde improvise, nous courons dans la vie comme des poules décapitées.
La loi des poules sans têtes ne s’est pour l’instant pas démentie, dans mon vécu. La bonne nouvelle, c’est qu’elle implique des corollaires assez enthousiasmants, qui ont changé ma vie :
Si j’arrête de croire qu’une autre personne s’en chargera, je peux influer sur le petit bout de monde qui se trouve devant moi ;
Si je prends la charge d’un sujet, je sais combien c’est énergivore, et j’ai plus de compassion avec les personnes qui ont pris à leur charge d’autres sujets, même quand elles font pas comme je voudrais ;
Si je trouve les personnes avec qui je suis à l’aise pour faire des trucs, on peut agrandir l’horizon du bout de monde qu’on est capable de changer ;
Si on veut pas de hiérarchie, il faut trouver comment s’écouter les unes les uns les autres, afin de mieux s’entendre ;
S’il n’y a pas de personne au-dessus, tout le monde peut résoudre les problèmes que nous vivons ;
Si on écoute les vécus, expériences, connaissances et pratiques qui sont partagées autour de nous, on peut expérimenter et faire mûrir des solutions qui font du bien.
Plot twist : la magie était dans nos mains depuis le début
Le plus gros secret que j’ai appris en cessant d’être sorcier, c’est que la magie existe. Annoncer ce que l’on souhaite faire, comment on veut le faire, et l’aide dont on a besoin pour y arriver nous a plutôt bien aidé à concrétiser nos actions, chez Framasoft. Le fait de transformer les paroles en actions concrètes est possible : j’appelle ça de la communication.
En vrai, il s’agit d’abord d’écouter soi, son groupe, son entourage, son monde… puis d’exprimer le chemin qu’on aimerait y tracer, ce que l’on souhaite y faire. Écouter puis exprimer. Dans l’incertitude et la remise en question. La partie magique, c’est que les gens sont gentils. Si tu leur donnes des raisons de te connaître, de te faire confiance, iels vont t’apporter l’aide dont tu as besoin pour tes actions, et parfois plus.
Les gens sont gentils, et les connards en abusent. L’avantage de m’être déjà fait manipuler par des gourous, c’est que je repère les pseudo mages noirs de pacotille à des kilomètres. Celles qui s’expriment et n’écoutent rien ni personne, même pas la énième consultation publique mise en place. Ceux qui sont obligés de rajouter des paillettes à leurs effets, qui font clignoter de la tracking, parce qu’il leur manque un ingrédient essentiel à la magie : notre confiance.
Il n’y a pas de solution, il n’y a que nous
Si j’applique mon expérience à un « où on va » plus général, mon intuition me dit que la direction à prendre est, en gros, celle où on se fait chier.
Celle où on se bouge le derche pour combattre, éduquer ou faire malgré ces poules sans tête qui se prennent pour des coqs.
Celle où on se casse le cul à écouter le monde autour de nous et celui à l’intérieur de nous pour trouver ce que nous pouvons prendre à notre charge, ici et maintenant.
Celle où on s’emmerde à essayer de faire attention à tous les détails, à toutes les personnes, tout en sachant très bien qu’on n’y arrivera pas, pas parfaitement.
Celle où il n’y a pas de raccourci, pas de solution magique, juste nos petits culs, fiers et plein d’entrain.
À mes yeux la route à choisir est celle qui parait la plus longue et complexe, parce que c’est la voie la plus humaine. C’est pas une solution, hein : c’est une route. On va trébucher, on va se paumer et on va fatiguer. Mais avec un peu de jugeote, on peut cheminer en bonne compagnie, réaliser bien plus et aller un peu plus loin que les ignares qui se prennent pour des puissants.
On se retrouve sur le sentier ?
Promis : la voie est Libre !
Pour un plan national pour la culture ouverte, l’éducation ouverte et la santé ouverte
Crise ou pas crise, nous avons tout le temps besoin d’un savoir ouvert
La crise sanitaire du coronavirus nous oblige à réévaluer ce qui est fondamental pour nos sociétés. Les personnes essentielles sont bien souvent celles qui sont invisibilisées et même peu valorisées socialement en temps normal. Tous les modes de production sont réorganisés, ainsi que nos formes d’interaction sociale, bouleversées par le confinement.
Dans ce moment de crise, nous redécouvrons de manière aigüe l’importance de l’accès au savoir et à la culture. Et nous constatons, avec encore plus d’évidence, les grandes inégalités qui existent parmi la population dans l’accès à la connaissance. Internet, qui semble parfois ne plus être qu’un outil de distraction et de surveillance de masse, retrouve une fonction de source de connaissance active et vivante. Une mediathèque universelle, où le partage et la création collective du savoir se font dans un même mouvement.
Face à cette situation exceptionnelle des institutions culturelles ou de recherche, rejointes parfois par des entreprises privées, font le choix d’ouvrir plus largement leurs contenus. On a pu ainsi voir des éditeurs donner un accès direct en ligne à une partie des livres de leur catalogue. En France, plusieurs associations de bibliothèques et d’institutions de recherche ont demandé aux éditeurs scientifiques de libérer l’intégralité des revues qu’ils diffusent pour favoriser au maximum la circulation des savoirs et la recherche. Aux États-Unis, l’ONG Internet Archive a annoncé le lancement d’une National Emergency Library libérée de toutes les limitations habituelles, qui met à disposition pour du prêt numérique 1,4 millions d’ouvrages numérisés.
« Personne ne doit être privé d’accès au savoir en ces temps de crise », entend-on. « Abaissons les barrières au maximum ». L’accès libre et ouvert au savoir, en continu, la collaboration scientifique et sociale qu’il favorise, ne sont plus seulement un enjeu abstrait mais une ardente nécessité et une évidence immédiate, avec des conséquences vitales à la clé.
Il aura fallu attendre cette crise historique pour que cette prise de conscience s’opère de manière aussi large.
Cet épisode aura aussi, hélas, révélé certaines aberrations criantes du système actuel.
Ainsi, le portail FUN a décidé de réouvrir l’accès aux nombreux MOOC (Massive Online Open Courses) qui avaient été fermés après leur période d’activité. Ces MOOC « à la française » n’avaient donc, dès le départ, qu’une simple étiquette d’ouverture et vivent selon le bon vouloir de leurs propriétaires.
Pire encore, le Centre National d’Enseignement à Distance (CNED) s’est opposé à la diffusion de ses contenus en dehors de son propre site au nom de la « propriété intellectuelle ». L’institution nationale a envoyé des courriers de menaces à ceux qui donnaient accès à ses contenus, alors que ses serveurs étaient inaccessibles faute de soutenir l’affluence des visiteurs. Voici donc mise en lumière l’absurdité de ne pas diffuser sous licence libres ces contenus pourtant produits avec de l’argent public.
Quelques semaines avant le développement de cette crise, le syndicat CGT-Culture publiait une tribune… contre la libre diffusion des œuvres numérisées par la Réunion des Musées Nationaux. On voit au contraire à la lumière de cette crise toute l’importance de l’accès libre au patrimoine culturel ! Il faut que notre patrimoine et nos savoirs circulent et ne soient pas sous la dépendance d’un acteur ou d’un autre !
Ces exemples montrent, qu’au minimum, une équation simple devrait être inscrite en dur dans notre droit sans possibilité de dérogation :
Ce qui est financé par l’argent public doit être diffusé en accès libre, immédiat, irréversible, sans barrière technique ou tarifaire et avec une liberté complète de réutilisation.
Cela devrait, déjà, s’appliquer aux données publiques : l’ouverture par défaut est une obligation en France, depuis 2016 et la Loi République Numérique. Cette obligation est hélas largement ignorée par les administrations, qui privent ainsi des moyens nécessaires ceux qui doivent la mettre en œuvre dans les institutions publiques.
Mais toutes les productions sont concernées : les logiciels, les contenus, les créations, les ressources pédagogiques, les résultats, données et publications issues de la recherche et plus généralement tout ce que les agents publics produisent dans le cadre de l’accomplissement de leurs missions de service public.
Le domaine de la santé pourrait lui aussi grandement bénéficier de cette démarche d’ouverture. Le manque actuel de respirateurs aurait pu être amoindri si les techniques de fabrications professionnelles et des plans librement réutilisables avaient été diffusés depuis longtemps, et non pas en plein milieu de la crise, par un seul fabricant pour le moment, pour un seul modèle.
Ceci n’est pas un fantasme, et nous en avons un exemple immédiat : en 2006, le docteur suisse Didier Pittet est catastrophé par le coût des gels hydro-alcooliques aux formules propriétaires, qui limite leurs diffusions dans les milieux hospitaliers qui en ont le plus besoin. Il développe pour l’Organisation Mondiale de la Santé une formule de gel hydro-alcoolique libre de tout brevet, qui a été associée à un guide de production locale complet pour favoriser sa libre diffusion. Le résultat est qu’aujourd’hui, des dizaines de lieux de production de gel hydro-alcoolique ont pu démarrer en quelques semaines, sans autorisations préalables et sans longues négociations.
Beaucoup des barrières encore imposées à la libre diffusion des contenus publics ont pour origine des modèles économiques aberrants et inefficaces imposés à des institutions publiques, forcées de s’auto-financer en commercialisant des informations et des connaissances qui devraient être librement diffusées.
Beaucoup d’obstacles viennent aussi d’une interprétation maximaliste de la propriété intellectuelle, qui fait l’impasse sur sa raison d’être : favoriser le bien social en offrant un monopole temporaire. Se focaliser sur le moyen – le monopole – en oubliant l’objectif – le bien social – paralyse trop souvent les initiatives pour des motifs purement idéologiques.
La défense des monopoles et le propriétarisme paraissent aujourd’hui bien dérisoires à la lumière de cette crise. Mais il y a un grand risque de retour aux vieilles habitudes de fermeture une fois que nous serons sortis de la phase la plus aigüe et que le confinement sera levé.
Quand l’apogée de cette crise sera passée en France, devrons-nous revenir en arrière et oublier l’importance de l’accès libre et ouvert au savoir ? Aux données de la recherche ? Aux enseignements et aux manuels ? Aux collections numérisées des musées et des bibliothèques ?
Il y a toujours une crise quelque part, toujours une jeune chercheuse au Kazakhstan qui ne peut pas payer pour accéder aux articles nécessaires pour sa thèse, un médecin qui n’a pas accès aux revues sous abonnement, un pays touché par une catastrophe où l’accès aux lieux physiques de diffusion du savoir s’interrompt brusquement.
Si l’accès au savoir sans restriction est essentiel, ici et maintenant, il le sera encore plus demain, quand il nous faudra réactiver l’apprentissage, le soutien aux autres, l’activité humaine et les échanges de biens et services. Il ne s’agit pas seulement de réagir dans l’urgence, mais aussi de préparer l’avenir, car cette crise ne sera pas la dernière qui secouera le monde et nous entrons dans un temps de grandes menaces qui nécessite de pouvoir anticiper au maximum, en mobilisant constamment toutes les connaissances disponibles.
Accepterons-nous alors le rétablissement des paywalls qui sont tombés ? Ou exigerons nous que ce qui a été ouvert ne soit jamais refermé et que l’on systématise la démarche d’ouverture aujourd’hui initiée ?
Pour avancer concrètement vers une société de l’accès libre au savoir, nous faisons la proposition suivante :
Dans le champ académique, l’État a mis en place depuis 2018 un Plan National Pour la Science Ouverte, qui a déjà commencé à produire des effets concrets pour favoriser le libre accès aux résultats de la recherche.
Nous proposons que la même démarche soit engagée par l’État dans d’autres champs, avec un Plan National pour la Culture Ouverte, un Plan National pour l’Éducation Ouverte, un Plan National pour la Santé Ouverte, portés par le ministère de la Culture, le ministère de l’Education Nationale et le ministère de la Santé.
N’attendons pas de nouvelles crises pour faire de la connaissance un bien commun.
Silvère Mercier, engagé pour la transformation de l’action publique et les communs de capabilités;
Julien Dorra, Cofondateur de Museomix.
Nous appelons toutes celles et tous ceux qui le peuvent à le republier de la manière qu’elles et ils le souhaitent, afin d’interpeller les personnes qui peuvent aujourd’hui décider de lancer ces plans nationaux: ministres, députés, directrices et directeurs d’institutions. Le site de votre laboratoire, votre blog, votre Twitter, auprès de vos contacts Facebook: tout partage est une manière de faire prendre conscience que le choix de l’accès et de la diffusion du savoir se fait dès maintenant.
Un kit de partage contenant HTML, PDF et captures du texte est disponible ici: http://savoirsouverts.fr/
Prendre de la hauteur
Aujourd’hui, nous vous proposons une petite (hum) analyse à chaud du processus de maturation des stratégies de Framasoft. Forcément incomplète et bancale, pyg essaie d’y dessiner — à partir du contexte actuel et des actions menées en réaction au confinement — le périmètre des actions à venir.
J’ai failli lui répondre « La stratégie du choc, la montée d’un capitalisme du désastre » de Naomi Klein, un livre qui reste toujours d’une grande actualité pour comprendre comment quelques personnes influentes avaient pu – et continuent à – influer le cours de l’histoire en utilisant la psychologie des foules, la peur et les états de sidération pour faire mettre en applications des doctrines néolibérales qui accentuent les inégalités.
Mais cela me paraissait un peu trop dense, et surtout pas forcément en connexion directe avec les moments inédits que nous traversons en ce moment et les solutions à y apporter.
J’ai donc proposé l’article du Financial Times « Le monde après le coronavirus » du professeur d’histoire Yuval Noah Harari. Une version traduite automatiquement par Deepl s’est retrouvée plus ou moins par hasard en ligne ici, et le magazine Usbek et Rica en a aussi fait une analyse.
Bien que je sois loin d’être un grand fan d’Harari, je lui reconnais volontiers le talent de mettre en perspective les situations, afin d’entrouvrir des portes d’avenirs possibles.
Dans ce texte, dont je ne partage pas l’ensemble de l’analyse, la phrase qui m’a le plus marqué est celle-ci « En cette période de crise, nous sommes confrontés à deux choix particulièrement importants. Le premier est entre la surveillance totalitaire et la responsabilisation des citoyens. Le second est entre l’isolement nationaliste et la solidarité mondiale ».
Les raisons de cette surveillance sont nombreuses, et l’une des plus probables fait probablement jouer ce bon vieux « putain de facteur humain » : les dirigeants gouvernementaux ont lâché l’affaire, et ne se voient plus que comme des « managers » de leur pays et de leurs concitoyens. Et de leur point de vue, pour manager, il faut contrôler.
Pris au dépourvu, et pas dupes du fait qu’il leur sera demandé des comptes dans quelques semaines ou mois, ils sont probablement pris de panique à l’idée d’être jugés pour leur inaction ou leur mauvaise gestion de la crise (et oui, « Gouverner, c’est prévoir ». #onnoublierapas. On ne pardonnera pas.). Après avoir fait l’autruche les premiers jours en demandant au peuple de continuer à travailler comme si ce n’était qu’une mauvaise grippe, ces « personnes en responsabilité », notamment politiques, ont fait ce qu’elles font le mieux : agiter les bras, donner de la voix, brasser de l’air, et faire quelques annonces tonitruantes, le tout en laissant les acteurs de terrain prendre des décisions dans l’urgence pour éviter qu’il n’y ait trop de casse. Cela a rassuré, un temps. Mais la crise étant amenée à durer, voire à se reproduire, ces personnes sont aussi conscientes que cela ne fera pas illusion longtemps.
Il leur faut soi-disant combattre un « ennemi » invisible (spoiler : un virus n’a pas d’intention belliqueuse, il fait sa vie de virus, point barre), microscopique, qui est pourtant aujourd’hui capable de mettre un coup d’arrêt à la sacro-sainte croissance des plus grandes économies mondiales. Se sentant sans doute un peu morveuses (ben oui, la réduction de nombre de lits d’hôpitaux, la précarité de celles et ceux qui sont aujourd’hui « au front », c’est bien eux qui l’ont organisée), elles doivent trouver un bouc-émissaire. Et quel meilleur bouc-émissaire que l’individu ? Celui qui ne respecte pas la loi, pas le confinement, pas le lavage des mains, pas les applaudissements quotidiens certes nécessaires et qui procurent un sentiment d’utilité, mais qui détournent notre attention d’une vigilance et d’une critique collective. Celui qui oserait dire : « Il y a eu du retard dans les mesures de confinement. ». C’est lui, celui qui refuse de prendre les armes pour mener une guerre qui n’en est pas une, qui pourra être incriminé par la suite, masquant d’autant plus facilement les atermoiements, et – disons-le – les erreurs bien plus importantes commises par d’autres.
Surveiller et punir, ça n’est pas très disruptif
Mais pour cela, ces responsables vont avoir besoin d’une alliée : la technologie.
En mettant en place ici une plateforme, là des outils de surveillance, ils pourront toujours dire « Regardez, nous avons agi. Et nos actions démontrent que grâce à nous, … [inventez la fin de la phrase : « La réserve citoyenne a pu aider les agriculteurs en sous nombre », « nous avons pu éviter que de mauvais citoyens contaminent des innocents », etc.] ». Décidément, surveiller et punir, ça n’est pas très disruptif.
Là où se situe, peut-être, la nouveauté, c’est dans la massification, l’hypertechnologisation et l’hypercentralisation de ces mécanismes de surveillance. L’État peut dès demain contraindre les opérateurs téléphoniques à fournir les données de géolocalisation de votre téléphone [edit: zut, le temps d’écrire cet article, et il semblerait qu’Orange le fasse déjà], afin de savoir qui vous avez croisé, à quelle heure, etc. Entre les mains de scientifiques, ces données pourraient être qualifiées de « données d’intérêt général ». Entre les mains de politiques fuyant leurs responsabilités et cherchant des boucs émissaires à sacrifier en place médiatique, elles composent une dystopie totalitaire.
Il sera alors simplissime de basculer d’une société de surveillance à une société de contrôle, ce qui est le rêve humide de pas mal de dirigeants politiques.
À partir de là, tout ce qui n’est pas sous contrôle — qu’il s’agisse d’un logiciel libre diffusant une information non contrôlée, ou d’un pays voisin qui ne serait pas parfaitement aligné avec leurs valeurs et leurs idées — deviendrait alors au mieux subversif, au pire ennemi. C’est en tout cas l’un des risques soulevé dans le texte d’Harari.
Alors évidemment, puisque « nous sommes en guerre » (non), tous les moyens seront permis, « quoi qu’il en coûte » (non plus).
Le positionnement des GAFAM & compagnie
Cette pandémie pose aussi la question de la place des plateformes comme soutien à la « continuité » qu’elle soit pédagogique, informationnelle, sociale (ah, les « CoronApéros » sur Whatsapp…) ou économique et organisationnelle.
Et là, plus que jamais, nous devons être vigilant⋅e⋅s et conscient⋅e⋅s du pouvoir que nous sommes en train de donner à quelques entreprises. Certes l’État fut défaillant. Il l’est encore. Mais Whatsapp, Facebook, Google Docs, ou les lives Youtube ont permis à nombre d’entre nous de rester connectés avec nos élèves, nos collègues, nos ami⋅e⋅s, nos familles.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître pour le directeur d’une association d’éducation populaire qui, depuis des années, alerte sur la toxicité du modèle économique des GAFAM, je leur suis reconnaissant.
Bon, je n’irai tout de même pas jusqu’à leur envoyer des cookies, mais je reconnais le rôle positif qu’elles ont eu dans un moment de panique mondiale qui aurait pu dégénérer.
En nous permettant de rester en lien, de se rassurer les un⋅e⋅s les autres, de partager de l’information, de réfléchir ou d’agir ensemble, ces plateformes ont – peut être – participé à éviter des situations « pires » que celles que nous avons vécues.
À Framasoft, nous essayons, autant que possible, de ne pas porter de jugement sur les pratiques ou les usages numériques, mais plutôt de donner des clés de compréhension et des moyens d’action. Afin que chacun⋅e puisse faire son choix en toute connaissance de cause, librement.
Ces dernières semaines, nous avons donc vu des flots de personnes se ruant sur Zoom, Discord, Google Docs, etc. Et nous nous sommes bien retenus de leur faire la morale, car la situation nous semble déjà suffisamment complexe comme cela.
Mais si notre rôle est de partager des grilles de lecture, alors j’aimerais partager les suivantes avec vous.
1. Un périmètre de surveillance accrue
La première, c’est celle de la capacité de surveillance accrue des plateformes. Tout un pan des interactions sociales qui leur échappait jusqu’à présent leur est aujourd’hui révélé. Whatsapp (qui appartient à Facebook), sait avec qui vous prenez l’apéro. Discord sait qui sont vos élèves. Netflix a pu affiner sa connaissance de vos goûts en termes de séries. Microsoft Teams connait les projets sur lesquels vous travaillez.
Bref, la taille du graphe social vient, en quelques jours, d’augmenter d’une taille significative.
1. Tranquiloubilou, l’appli Zoom transmettait vos données à Facebook(source)
2. C’est « corrigé » depuis, mais cela n’empêche que de nombreuses failles de sécurité, dont certaines gravissimes, ont existé (existent encore ?) (source)
3. Mais même le FBI vous prévient que vous risquez de voir débarquer un type tout nu pendant que vous êtes en visio avec Mamie. (source)
4. Bon ça n’empêche pas même les premiers ministres de faire des boulettes avec. (source)
5. Mais ça va, le cours de l’action de l’entreprise se porte très (très) bien depuis 2 mois. (Indice NASDAQ: ZM)
6. Et, c’est rigolo (non ?), ça profite quand même à Google, l’un des nombreux financeurs (pour l’instant à perte) de Zoom. (Source)
Tout agent économique rationnel devrait donc, à minima, se poser la question suivante : « Comment des entreprises comme Google, Facebook ou Zoom, arrivent-elles à se financer ? Qui paie ? ». La réponse « Par la publicité » est beaucoup trop partielle par rapport à la réalité. Ces entreprises sont en fait des structures d’orientation de nos comportements. Donc des structures de contraintes, et non émancipatrices. C’est ce que l’un des administrateurs de Framasoft, Christophe Masutti, expose dans son livre « Affaires privées — Aux sources du capitalisme de surveillance », en montrant que les choix qui ont abouti à ce capitalisme de surveillance ont été depuis longtemps motivés par la construction d’une économie prédatrice (de nos vies privées et de nos identités) et prescriptive (l’obligation de conformer nos comportements au marché).
Accroître nos usages sur ces plateformes, c’est donc augmenter le pouvoir qu’elles ont – et qu’elles auront – sur nous.
2. Substitution à l’État
La seconde grille de lecture, c’est celle de la substitution aux États, aux services publics, aux autorités administratives.
Il n’aura échappé à personne que nos représentants et élus nationaux, qui vivaient déjà une crise de confiance, sont aujourd’hui pointés du doigt pour leur gestion approximative de la crise. Dans ce cadre-là, il ne parait pas absurde de supposer que les organisations et les individus se retournent vers « ce qui marche, même quand le monde est à l’arrêt ». Et sur ce plan, nul doute que la confiance dans les plateformes vient de gagner pas mal de points. Tout agent politique rationnel aura donc intérêt à s’adosser aux plateformes, afin de profiter de l’effet de confiance qu’elles auront accumulé. Leur utilité à la vie publique, économique et sociale était déjà importante, elle est devenue aujourd’hui centrale et essentielle.
L’importance des GAFAM est devenue à ce point critique qu’il devient assez simple de comprendre que celui qui les contrôlera contrôlera le monde.
Si l’on regarde l’autre face de cette pièce, on peut déduire qu’au vu de l’accroissement de la puissance de ces plateformes, on constate un affaiblissement du pouvoir des États et des institutions qui les composent.
On va donc probablement voir dans les prochaines semaines/mois une tension entre deux courants.
D’un côté, la poursuite de la « plateformisation » de nos vies (et pas seulement de l’État). En période de confinement, obtenir un créneau de livraison – qu’il s’agisse d’une paire de chaussettes via Amazon ou d’un plat Thaï par Uber Eats – devient une gageure. D’autant plus que derrière le bouton « Commander », c’est bien un être humain qui doit conduire ou pédaler dans des rues désertées pour vous livrer, parfois au risque de sa vie.
D’un autre côté, il y aura probablement pour les États la volonté d’utiliser le régime d’exception de « l’état d’urgence sanitaire » et son cortège d’ordonnances pour restreindre les libertés fondamentales, notamment en contraignant les plateformes à fournir des données et des outils de surveillance.
Entre la peste et le corona, l’ami Antonio Casilli en vient à évoquer une troisième voie, en rupture totale avec les précédentes : « certaines de ces grandes plateformes sont en réalité des infrastructures d’utilité publique qu’on a intérêt a minima à réguler de manière contraignante, et a maxima à collectiviser. Je ne parle pas forcément de nationalisation, j’y suis même assez opposé, mais de retrouver la vocation initiale de ces plateformes, un terme qui évoque un projet commun. Cette approche par les communs serait un profond changement de nature qui pourrait émerger de l’urgence. ».
Ça, c’est certain, c’est une solution qui aurait de la gueule, du panache même ! Et qui profiterait vraiment à plusieurs milliards d’êtres humains, hormis la petite dizaine de multi-multimilliardaires qui contrôlent ces entreprises. Mais bon, même si à 7 milliards contre 10 personnes, l’affaire serait vite pliée, je ne suis pas dupe du fait que les mentalités ne sont pas encore prêtes à envisager une telle bascule de la propriété privée vers les communs.
Et on fait quoi, nous, libristes, là dedans ?
« Les libristes », ça n’existe pas plus que « les profs » : les communautés et individualités sont multiples. Mais je me suis permis ce long détour, essayant d’entrevoir des avenirs possibles, afin de tenter d’expliquer quelle pourrait être la stratégie de Framasoft dans les semaines et les mois à venir.
Sortir de la sidération
Pour l’instant, et comme notre « Journal du confinement » vous en a donné les bribes, notre principale réaction a été, eh bien… de réagir. Ce qui est bien plus facile à écrire qu’à faire.
Il s’agissait surtout de sortir de l’état de sidération dû aux chocs des annonces de confinement. Chocs dus aux répercussions sur nos services, mais aussi répercussions psychologiques sur les équipes salariées comme bénévoles. Cela s’est mis en œuvre de la façon suivante :
Axe 1 : prendre la mesure
Les trois premières actions, immédiates, furent :
1. de mettre au clair le fait que la santé (physique, mentale, psychique) et le bien-être de chaque membre passait en priorité devant toute autre mission ou engagement. C’était évidemment déjà le cas avant, mais cela a permis de mettre tout le monde à l’aise : si on est angoissé, malade, fatigué, qu’on a des courses à faire, les enfants à qui il faut faire la classe, ou même si on est juste en colère après la situation, eh bien on peut arrêter de travailler ou de bénévoler, ne plus répondre aux notifications ou messages. Et ce, sans autre justification que la situation exceptionnelle vécue en ce moment. C’est bête, mais le rappeler nous a, je pense, fait du bien à tou⋅te⋅s.
2. de suspendre tous les projets en cours : crowdfunding, PeerTube, Mobilizon, Framacloud, etc. Et d’affecter toutes les forces bénévoles et salariées sur la problématique COVID-19. Cela nous a permis de ranger dans un placard tous les « onglets mentaux » qui seraient venus nous rajouter de l’anxiété ou de la charge mentale. Avoir un et un seul objectif clair (pouvoir accueillir la vague qui nous tombait dessus) nous a évité de nous disperser, ce qui serait immanquablement arrivé si nous avions essayé de jongler en plus avec nos tâches « pré-confinement ».
3. dire temporairement non à l’Éducation Nationale. Nous l’avons évoqué à de multiples reprises ici ou ailleurs, cela n’a pas été une décision facile à prendre. Mais faire ce choix et inviter profs et élèves à se référer à leur Ministère n’a eu quasiment que des effets positifs !
Il a participé à mettre en lumière l’impréparation du Ministère (qui affirmait que « Tout était prêt »).
Il a permis à toutes les associations, collectifs, particuliers, petites entreprises, syndicats qui utilisaient nos services de pouvoir continuer à les utiliser. En cas de panne due à l’afflux brusque et soudain d’élèves, toutes ces structures se seraient retrouvées sans accès à leurs données, ou sans capacité de se coordonner avec leurs outils habituels.
Il a rappelé que Framasoft n’est pas un service public, et ne souhaite pas s’y substituer. Non, parce qu’en vrai, on aime les services publics et voir des entreprises, des startups ou même des associations prendre leur place est à notre avis une très très mauvaise idée, et concourt à les affaiblir plus qu’à les renforcer.
Sur ce dernier point, il est à noter 1) que nos services viennent de rouvrir aux enseignant⋅e⋅s, tout en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’une ressource partagée dont il ne faut pas abuser ; 2) qu’en dehors de deux ou trois grincheux, l’immense majorité des enseignant⋅e⋅s ont compris et même soutenu notre démarche. Merci à elles et eux pour tous les messages d’encouragement reçus.
Axe 2 : renforcer le collectif CHATONS :
Nous avons mis du temps salarié (et stagiaire) à organiser des réunions CHATONS, préparer des communiqués, des images, structurer et synthétiser des idées. Merci à tous les membres du collectif qui se sont mobilisés !
Axe 3 : améliorer les perfs et la stabilité de nos services
Nos équipes techniques ont travaillé d’arrache-claviers à l’amélioration des performances des logiciels qui étaient stressés. Ainsi, il est probable que Framasoft soit l’organisation qui opère le plus de pads et de calcs dans le monde (500 000 pads et 200 000 calcs, qui dit mieux ?). Du fait de cette position, la moindre amélioration des performances sur le logiciel original, permet de rendre nos services plus performants, mais aussi d’améliorer à terme les performances et la stabilité de tous les pads ou calcs de la planète. Dit autrement : les améliorations apportées à Framapad.org pendant le confinement (ici, là où là) profitent aux pads April, aux pads Infini, aux pads de La Quadrature ou de la FFDN, etc. ;
Nous avons réparti la charge entre nos services pris d’assaut par ceux identifiés et validés. Cf. par exemple https://framatalk.org/ qui redirige vers plusieurs dizaines d’autres instances de façon aléatoire ;
Nous avons loué une dizaine de nouveaux serveurs et commencé à répartir les services surchargés dessus.
Axe 4 : accompagner par des outils, des savoirs-faire, des savoirs/expérience.
Il s’agissait de répondre aux besoins et aux appels à l’aide.
fermeture de nos messages privés sur les médias sociaux car l’accroissement des messages et l’attente de réponses immédiates nous mettaient trop de pression (rappelons encore que Framasoft n’est pas une startup, et ne souhaite pas le devenir !). Merci de passer par notre guichet unique, qui vous réorientera.
Mise en place d’un service web pour accéder à Mumble (sans avoir besoin de télécharger le logiciel, qui reste indispensable si vous voulez vous créer un salon à vous)
développement d’une application Nextcloud (encore non publiée) qui permet d’ajouter un message sur la page d’accueil (nous en avions besoin pour rdv-medecins, justement) :
Bon, c’est déjà pas mal.
Surtout en 15 jours. Surtout en pleine pandémie.
Mais cela ne fait pas vraiment une stratégie. Ni un plan.
Il faudra évidemment dénoncer les lois liberticides qui ne manqueront pas d’arriver. Il faudra garder traces de tous les mensonges. (je le répète : #onnoublierapas. On ne pardonnera pas.)
Il faudra aussi pousser les institutions à prendre conscience du fait qu’il faut prendre soin de nos infrastructures numériques. Développer ou contribuer activement aux alternatives libres à Zoom (coucou Jitsi) ou à Google Docs (coucou Nextcloud et LibreOfficeOnline) coûterait peu. Très peu. Trop peu ? Car c’est à se demander comment une micro-association comme Framasoft peut se retrouver à développer, de front, des logiciels comme PeerTube, Mobilizon, Framadate, Framaforms et bien d’autres tout en contribuant en parallèle au code d’Etherpad, d’Ethercalc ou de Nextcloud, sans que ces mêmes institutions, qui utilisent ces logiciels, ne les perçoivent comme des « communs stratégiques ».
[Edit : le temps de publier ce billet, nous apprenons par hasard que PeerTube sera déployé par 35 académies. Tant mieux, vraiment. C’est exactement ce qu’il faut faire. Maintenant, cela ne fera sens et ne sera résilient (encore un terme absorbé par le capitalisme) que si l’État contribue au développement de ce logiciel, porté à bout de bras par une petite association Française, si des moyens financiers sont débloqués pour héberger les données en interne (Scaleway, c’est anciennement Online, filliale à 100% du groupe Illiad détenue majoritairement par le multimilliardaire Xavier Niel), et si le ministère embauche et rémunère correctement des équipes informatiques pour gérer les services. Sinon, on revient exactement à la situation de l’État-prédateur-gestionnaire-irresponsable pré-COVID19.]
L’État et les collectivités paient (et c’est tant mieux, car c’est aussi leur rôle, même si l’État s’est fortement désengagé ces dernières années) pour entretenir les espaces publics, les voiries, les chemins, les espaces naturels. Mais quand il s’agit de produire des briques publiques en logiciel libre, les initiatives restent bien timides. Inviter les développeurs et développeuses du libre à produire des alternatives à Zoom ou Google Docs en mode Startuffe Nation ou même en mode communautaire/associatif, puis à en devenir simple consommateur, revient quelque part à nier le caractère essentiel de ces infrastructures numériques.
Numérique et effondrement
Il y a un an quasiment jour pour jour, mon camarade Gee et moi-même donnions une conférence lors des JDLL 2019 sobrement intitulée « Numérique et effondrement » et cyniquement sous-titrée « La bonne nouvelle c’est que le capitalisme va crever. La mauvaise nouvelle, c’est qu’on risque fort de crever avec lui. ».
La vidéo fut perdue, mais nous avons pu remettre la main sur la bande son et, du coup, on vous a refait un montage avec le son et le diaporama, sans nos trombines. Franchement, vous êtes gagnants.
C’était un peu foutraque (nous ne sommes pas experts du sujet). On y parlait dérèglement climatique, perte de biodiversité, risque de pandémie (bon, rapidement, nous ne sommes pas devins non plus), inaction politique et, évidemment, numérique.
Cela avait été pour moi l’occasion de réfléchir à ce que nous pourrions faire, nous, libristes, dans un monde où l’Etat serait en grande partie absent.
Cette réflexion était loin d’être aboutie (il faut dire qu’on espérait peut-être avoir quelques années pour l’affiner), et surtout, elle ne présentait qu’une stratégie parmi des millions de stratégies possibles, des milliers de souhaitables, et des centaines qui pourraient être mises en œuvre.
Elle se résumait en gros en 6 points. Ces points ne constituent ni un plan de bataille (on n’est pas très belliqueux), ni une stratégie (qu’on vous exposera dès qu’on l’aura conçue 😉 ), mais ils constituent à mon avis une ligne directrice, un fil rouge, qu’il pourrait être intéressant de suivre dans les mois à venir.
1. Convivialité
Il faudra poursuivre le développement d’outils conviviaux (au sens d’Ivan Illich).
Pour Framasoft, cela signifie reprendre le développement de Mobilizon et PeerTube, actuellement suspendus. Et voir si nous avons toujours les moyens humains et financiers de produire notre projet « framacloud » (un Nextcloud blindé d’extensions, avec du LibreOfficeOnline, ouvert à toutes et tous, mais avec un espace disque volontairement très limité).
Mais il y aura sans doute de nouveaux outils à inventer et à construire dans un monde post-confinement.
Nous resterons attaché⋅e⋅s à ce que ces outils soient libres et émancipateurs.
2. Communs
L’épisode Coronavirus aura montré qu’en tant que société, le choix entre intérêts privés et intérêt général est d’autant plus clivant, et n’est pas sans conséquence sur la vie de milliards d’individus.
Le discours « TINA » ne tient plus : il y a une autre voie entre une gestion privée et le tout-État, et ce sont les communs, ces multiples communautés se fixant des règles pour partager et pérenniser des ressources communes. La théoricienne des communs, Elinor Ostrom, a montré qu’une gestion collective peut être plus efficace qu’une gestion publique ou privée. La propriété exclusive est également à remettre en question, les communs mettent en lumière des formes de propriétés collectives variées et inventives.
Distincts du public et du privé — en tout cas en échappant à la propriété strictement privée et en ouvrant des propriétés « d’usage » — ils nous semblent la meilleure piste à développer pour prendre conscience de nos interdépendances (entre humains, avec la nature, avec les non-humains, etc.).
À Framasoft, nous continuerons à promouvoir les communs, notamment numériques.
3. Coopération, collaboration et contribution
Faire, c’est bien. Faire ensemble, c’est mieux.
L’un des plus grands défis que nous avons à relever en tant qu’association d’éducation populaire aux enjeux du numérique et des communs culturels est peut-être de rappeler qu’il faut prendre soin d’Internet en général et du logiciel libre en particulier, car il s’agit de communs essentiels. L’immense majorité des gens n’ont aucune idée de la façon dont est conçu et développé un logiciel libre. Et pour celles et ceux qui le savent, très peu osent contribuer. En conséquence, l’épanouissement de logiciels libres repose beaucoup sur une forme de « caste de développeurs et développeuses », qui détiendrait l’espèce de pouvoir magique de transformer des lignes de codes en logiciels.
C’est entre autres pour contribuer à changer cet état de fait que Framasoft a initié sa campagne « Contributopia ». Il s’agit de rendre chacune et chacun légitime et capable face au numérique. Et cela ne pourra se faire qu’en accueillant, en mettant en confiance, en donnant des clés, en partageant nos savoirs et nos pouvoirs.
« La route est longue, mais la voie est libre » est un des slogans de Framasoft. Soyons honnêtes : nous tâtonnons et itérons encore sur ce chemin, mais nous savons que c’est la voie à suivre.
4. Collectif, et communauté
Faire c’est bien. Faire ensemble, c’est mieux. Se (re)connaître, c’est se donner les moyens d’aller plus loin.
Non, on ne va pas se mentir : le collectif, parfois, c’est la merde. On est pas d’accord, on se dispute, on peste après les engagements non tenus des uns, ou après les modalités de prise de décision des autres. C’est parfois épuisant.
« Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin » dit l’adage. Et parfois, eh bien on a juste envie d’aller plus vite.
Cependant, une communauté ça vous soutient, ça vous nourrit. Parfois au sens littéral, car à Framasoft, nous ne vivons que de vos dons. À titre personnel, on peut donc dire que c’est la communauté Framasoft qui remplit mon frigo et paye mon loyer (merci !). Construire ou rejoindre un collectif ou une communauté, c’est un travail long, lent, parfois fastidieux. Ça nous bouscule. Mais là encore, dans « le-monde-d’après-mars-2020 », c’est probablement dans ces communautés, qu’elles soient locales ou virtuelles, que vous trouverez la force d’agir.
5. Confiance.
Wikipédia nous apprend que la confiance serait « un état psychologique se caractérisant par l’intention d’accepter la vulnérabilité sur la base de croyances optimistes sur les intentions (ou le comportement) d’autrui ». C’est un poil compliqué dit comme ça, mais on peut en retenir qu’il s’agit de se fier à quelqu’un.
Là encore, pour Framasoft, la confiance est essentielle. La confiance que notre communauté nous porte. Celle que nous plaçons dans les valeurs du libre.
La « crise de confiance » que nous vivons, notamment envers les responsables politiques ne doit pas nous amener à nous replier sur nous-mêmes. Nous continuerons donc à tisser des liens au sein de notre archipel. Tout simplement parce que nous ne voulons pas d’un monde où la méfiance serait le comportement par défaut.
6. Culture
« Mais qu’est-ce qu’elle vient faire là, la culture ? On parle bien de logiciel libre, non ? »
Eh bien elle a tout à faire là, la culture. Parce que c’est elle qui nous relie. Mais aussi parce que c’est elle qui nous différencie. Et que sans ces différences, tout serait normalisé, lissé… triste en fait. Mais aussi, parce que le logiciel libre, nous l’avons dit et répété, est un moyen et non une fin.
« Pas de société libre sans logiciel libre » avons-nous souvent l’habitude de dire. C’est donc bien cela que nous voulons, c’est bien cela notre objectif : une société libre.
D’après Wikipédia (toujours elle), « En sociologie, la culture est définie de façon plus étroite comme « ce qui est commun à un groupe d’individus » et comme « ce qui le soude », c’est-à-dire ce qui est appris, transmis, produit et créé. ». Ca tombe bien, Framasoft est classée — puisqu’il faut aux administrations une case pour chaque chose — dans la rubrique « associations culturelles ».
« En cette période de crise, nous sommes confrontés à deux choix particulièrement importants. Le premier est entre la surveillance totalitaire et la responsabilisation des citoyens. Le second est entre l’isolement nationaliste et la solidarité mondiale » disait Harari.
Face à ces choix, parce que le monde a changé, Framasoft devra donc inventer de nouvelles façons d’apprendre, transmettre, produire et créer.
Framaconfinement semaine 2
Le temps passe à une vitesse en cette période de confinement ! On est déjà jeudi de cette troisième semaine de confinement et on ne publie que maintenant le résumé de nos aventures de la semaine dernière ! Il est vrai que cette seconde semaine a été autant chargée que la première pour Framasoft et que la rédaction de cet article n’était pas notre plus grande priorité. Pouhiou en a commencé la rédaction en cours de semaine et c’est Angie qui se charge de la terminer. Voici donc un article à 4 mains pour garder une trace de ce qui nous anime ces jours-ci.
On va pas se mentir : ouvrir son ordinateur le lundi matin, tout lire et tout rattraper quand on a passé le week-end sur une île déserte numérique : wow. Tout le monde chez Framasoft a participé au travail et aux échanges communs, et il y a 42 000 notifications à rattraper. Je n’imagine même pas comment JosephK, qui rentre de 4 semaines de congés, va réussir à s’y retrouver dans tout ce broll !
Aujourd’hui, Lise a pris le temps d’aider AnMarie pour paramétrer son application Plumble sur son smartphone : la carte son de son ordi déconne et l’isole d’autant plus. Désormais, elle est de toute voix avec nous lors des réunions, et ça fait du bien !
Pyg a mis en place un pad de c’est quoi qu’on veut faire, la boite à envies. L’idée, c’est de prendre le temps de ne plus faire pour se poser et réfléchir… et ça, c’est pas gagné ! Mais le monde a changé (c’est notre nouveau mantra), donc c’est le moment d’interroger nos envies et de voir ce que l’on voudrait changer. Par exemple, est-ce qu’on va remettre en question nos plans pour l’année ? Avec le chamboulement que nous venons de vivre, il va falloir faire l’inventaire : qu’est-ce qui va être retardé ? Qu’est-ce qu’on va remettre à plus tard ? Qu’est-ce qu’on va modifier ? Mais ça nous semble encore trop tôt pour être sûr·es de quoi que ce soit.
Le lundi, c’est le jour de la réunion des salarié⋅es, sur notre Mumble. Celle-ci est longue, près de 3 heures, mais on a besoin de parler. J’en sors avec un sentiment de lourdeur, une tristesse (que je crois partagée) qui ne me quitte pas pendant deux trois jours. On ne le dit pas forcément entre nous, ou en tous cas on n’appuie pas dessus, mais le confinement, c’est pas la joie…
Luc ne va vraiment pas mieux niveau santé mais il fait du pain et nous partage ses recettes. Il met à jour Gitlab. Il installe une interface web à Mumble qui le rend d’autant plus pratique, du coup ! (sauf qu’on ne peut pas y créer de salon, mais bon si une personne le crée sur le logiciel pendant que 9 rejoignent le salon depuis l’interface web, ça simplifie 9 fois sur 10 l’usage, alors c’est déjà ça).
Dans la série #LesGens ont du temps, il y a plein de personnes qui essaient d’installer Framaforms (ce doit être une espèce de défi confinement level master ninja du serveur), et qui partagent leurs erreurs avec Théo, ce qui lui permet d’améliorer grandement le process et la doc.
Le projet entraide.chatons.org avance, le forum du collectif fourmille et occupe beaucoup Angie, Pyg et Lise (ainsi que tcit qui bidouille de la démo). Angie sort de chez elle pour la première fois depuis une semaine : aller dans un hypermarché c’est pas la folie, mais se rendre compte qu’ils ont coupé la musique ça fait un bien fou. #UnAutreMondeEstPossible
Mardi 24 mars en brèves et en groumph (toujours Pouhiou)
Depuis hier, Chocobozzz a le nez dans Etherpad et cherche à l’optimiser. Ainsi que MyPads. Et le pire c’est qu’il y arrive le bougre. Genre on a des stats et des graphiques… Comme on le dit dans le métier (et si vous nous pardonnez ce terme technique) : ça poutre !
tcit y travaille avec lui, quand il ne bidouille pas sur l’instance de prise de rendez-vous pour les médecins. Et quand il n’aide pas sur la page entraide.chatons.org . C’est pas possible d’être partout à la fois comme ça : je soupçonne de plus en plus tcit de voyager dans le temps avec le Docteur.
Luc installe un troisième vidéobridge pour Framatalk. Si j’ai bien tout compris, c’est ce qui permet de répartir la charge des vidéo-conférences sur trois serveurs, sur 3 machines à la fois. Et il trouve quand même la pêche pour patcher MyPads et faire des gâteaux au matcha.
Angie, Pyg et Lise sont à fond sur le CHATONS. Et que ça crée des fiches dans la base de données (sous Drupal) pour alimenter la page du projet entraide.chatons.org, et que ça crée des visualisations, et que ça coordonne, et que ça réunionne… Angie trouve quand même le temps de mettre en page l’article annonçant l’ouverture du librecours Culture Libre sur le blog et de faire le point avec Arthur sur son stage de traduction.
Pyg, quant à lui, ouvre aussi une page de notre wiki interne pour y noter les statistiques de fréquentation des services qui se font assaillir depuis le confinement. Histoire de documenter l’écart. Oh, et cet enfoiré (je l’aime, mais c’est un enfoiré) nous fait découvrir le compte twitter de MalaiseTV. On a les yeux qui saignent.
Théo a du mal à s’en remettre et à finaliser son beau README pour Framaforms. Spf s’en remet suffisamment pour intégrer des contributions à la documentation de Jitsi et ajouter la doc écrite par tcit de l’outil de prise de rendez-vous pour les médecins.
Moi, ce mardi, j’arrive à rien et ça me groumphe. J’ai l’impression de passer ma journée à être payé pour tweeter. Pourtant je sais comment ça se passe, hein. Quand j’ai un gros texte à rédiger (genre le journal du framaconfinement de la fin de semaine), je sais que je ne vais arriver à rien le temps que mon cerveau prémâche le boulot en tâche de fond. Mais c’est un problème qu’on a souvent, chez Framasoft : quand on voit tout ce qui est fait par les autres, on a parfois cette peur de ne pas être à la hauteur, d’être dans l’imposture. Alors oui : pour contre balancer on se dit entre nous combien c’est OK de ne pas produire, de ne pas y arriver, voire de rater des trucs. Mais on a beau le savoir, on a beau avoir les mots qui réconfortent, c’est toujours aussi rageant à vivre que de se sentir bloqué dans son boulot… Surtout quand je vois tout ce que font mes collègues.
Mercredi 25 mars par Angie
Ce mercredi, Pouhiou a plus d’énergie qu’hier et prend donc du temps pour rédiger l’article Framaconfinement de la fin de la semaine 1, le faire relire aux membres de l’association et le mettre en forme pour sa publication. Il continue en parallèle à animer nos comptes sur les médias sociaux et fait le constat qu’il trouve #LesGens bien plus sympathiques lorsqu’il est en forme !
Pyg a pris connaissance du long billet de blog d’un de nos membres, Framatophe, et en fait une synthèse pour les autres membres de l’association. Il a aussi continué le travail entamé mardi sur les statistiques de fréquentation de nos services. Et a répondu à de nombreux mails laissés en attente.
Avec tcit, ils ont continué à aider MrFlos, en charge des services de Colibris Outils Libres et ljf de ARN sans-nuage.fr sur la création de la page entraide.chatons.org et j’ai continué à alimenter la base de données afin que tout ce dont nous avons besoin pour cette page soit bien renseigné. C’est une tâche un peu ingrate, très répétitive, qui m’a rappelé mon premier job dans une SS2I au début des années 2000 où je m’étais retrouvée à entrer manuellement en bdd un catalogue papier de modèles de WC à poser !
Du côté de l’équipe technique, le travail pour améliorer les performances d’Etherpad continue : Luc et Chocobozz mettent en place des patchs dans tous les sens ! Tcit continue à mettre à jour la liste des instances sur Framapad et Framatalk. Quant à Théo, il continue à s’occuper de Framaforms, avec l’aide ponctuelle de tcit.
Spf (aka « What’s up doc? »), passe une partie de sa journée à rédiger la documentation sur la version web du logiciel Mumble. C’est quand même bien pratique de pouvoir utiliser Mumble depuis un navigateur sans avoir à installer le logiciel sur son ordinateur ou une application sur son smartphone, même si une partie des fonctionnalités ne sont pas disponibles dans cette version web.
Je passe une partie de la journée à discuter avec des gens ! Maxime du Cinéma Nova m’a appelée pour prendre des nouvelles et m’indiquer que mon intervention au sein de leur structure prévue en mai sera reportée. J’ai aussi eu une réunion sur Mumble avec Stph, Framatophe et pyg pour parler d’un projet tuteuré pour des étudiants de l’UTC.
Jeudi 26 mars en brèves, mais toujours à fond !
Le projet entraide.chatons.org avance toujours : après un point téléphonique entre les protagonistes pour faire le point sur les avancées du projet et lister ce qu’il reste à faire, tcit et pyg continuent à donner un coup de main sur la partie technique tandis que je continue à compléter la base de données et le wiki. Lise nous concocte de très belles petites images de chatons pour illustrer chaque service ! Ça avance bien et ça fait du bien de voir ce chouette projet devenir réalité.
AnMarie continue ses activités administratives et comptables tout en papillonnant de canal en canal au sein de notre messagerie collaborative pour suivre les différents échanges au sein de l’association. Elle a parfois le sentiment d’être un peu submergée par tous ces échanges car depuis le début du confinement, la majorité des discussions au sein de l’association se déroule sur notre Mattermost et ça part un peu dans tous les sens.
Côté technique, Luc installe et paramètre une nouvelle instance de Framadrop, notre outil de partage temporaire de fichiers. Après avoir patché la version française de web.mumble.framatalk.org, il s’occupe aussi de changer le disque dur d’un de nos serveurs et fait du ménage sur un autre qui n’avait pratiquement plus de place. Chocobozzz fixe des plugins Etherpad pour prévoir une mise à jour de nos instances vers la version 1.8. Pouhiou et tcit se chargent de rédiger et mettre en ligne un nouveau message d’information pour le nouveau serveur Framadrop. Et parce que nos services Framatalk et Framapad vont mieux, ils s’occupent aussi de modifier le message existant sur ces services.
Spf, Théo et des membres bénévoles continuent à répondre aux nombreuses demandes des utilisateur⋅ices de nos services, que ce soit sur notre forum ou via notre formulaire de contact.
Pouhiou est très enthousiaste aujourd’hui car l’article Un librecours pour mieux contribuer à la Culture Libre et le mémo sur le télétravail semblent très appréciés sur les médias sociaux. Ça lui donne l’énergie de se mettre à la rédaction du début de cet article (journées de lundi et mardi) avant de prendre connaissance des commentaires publiés sur les derniers articles du Framablog.
De mon côté, j’ai réussi à me bloquer 2 heures pour préparer une intervention prévue demain. Cette intervention, prévue depuis plusieurs semaines, a lieu dans le cadre de la formation continue diplômante DIPCO (diplôme en Codesign) proposée par le CNAM, le collectif Codesign-it! et le CRI aux professionnel⋅les pour qui la dynamique collaborative est un enjeu pressant. La session sur laquelle j’interviens traite de gouvernance distribuée et des nouveaux modèles d’organisation. Je tenterai donc d’y expliquer la gouvernance de Framasoft.
Vendredi 27 mars : on ne chôme pas !
Le vendredi est toujours un peu particulier parce qu’une partie d’entre nous (pyg, Pouhiou et moi) ne travaillent pas. Alors que Pouhiou s’est déjà réfugié dans son île merveilleuse d’Animal Crossing et que pyg s’est chargé d’aller faire les courses pour ses voisins et de faire un petit break, j’ai pris le relais sur l’animation de nos comptes sur les médias sociaux pour la matinée, tout en continuant à préparer mon intervention sur la gouvernance de l’association.
AnMarie a fini sa semaine en beauté puisqu’elle a terminé la saisie dans notre logiciel de comptabilité des relevés de dons des mois de janvier et février : ça peut paraître anodin, mais cela représente plus de 80 pages de relevés bancaires à vérifier et c’est un boulot de dingue. D’ailleurs elle se réjouit déjà des relevés de mars qui ne vont pas tarder à arriver 😉
Côté entraide.chatons.org, tcit a passé une bonne partie de la journée sur la résolution d’un bug coriace et pyg a bidouillé sur Drupal pour avoir de nouvelles vues de la base de données. J’ai aussi commencé à rédiger l’article annonçant la sortie officielle du projet, histoire de prendre un peu d’avance et qu’on puisse diffuser l’information dès que la page sera prête.
Côté technique, Luc a testé, mergé et publié les patchs des plugins du logiciel Etherpad réalisé hier par Chocobozzz afin de rendre compatible l’outil pour une migration vers sa version 1.8.
Et ce week-end ?
Côté salarié⋅es, je pense qu’une grande partie d’entre nous a vraiment fait un gros break ce week-end. Ces deux dernières semaines ont été très intenses : il a fallu réagir dans l’urgence et réorganiser nos activités respectives. S’y est ajouté pour nous tou⋅tes le fait de vraiment vivre la situation du confinement, dans des contextes propres à chacun⋅e. Chocobozzz a quand même pris du temps sur son samedi pour redévelopper le système multi threads de Framacalc qui commence à peiner lors des heures de pointe et un moment de son dimanche pour mettre à jour les serveurs sur lesquels sont installés nos instances du logiciel JitsiMeet (mises à jour mineures pour le client, majeure pour le bridge vidéo).
Et bien sûr, pyg n’a pas pu s’empêcher d’aller rédiger un nouvel article : une façon pour lui de prendre du recul sur la situation ! Mais ça on vous en parlera la semaine prochaine…
L’Internet pendant le confinement
On parle beaucoup en ce moment d’une « saturation des réseaux », de « risques pour l’Internet », qui justifieraient des mesures autoritaires et discriminatoires, par exemple le blocage ou le ralentissement de Netflix, pour laisser de la place au « trafic sérieux ». Que se passe-t-il exactement et qu’y a-t-il derrière les articles sensationnalistes ?
La France, ainsi que de nombreux autres pays, est confinée chez elle depuis plusieurs jours, et sans doute encore pour plusieurs semaines. La durée exacte dépendra de l’évolution de l’épidémie de COVID-19. Certains travailleurs télétravaillent, les enfants étudient à la maison, et la dépendance de toutes ces activités à l’Internet a suscité quelques inquiétudes.
On a vu des médias, ou des dirigeants politiques comme Thierry Breton, réclamer des mesures de limitation du trafic, par exemple pour les services vidéo comme Netflix. Les utilisateurs qui ont constaté des lenteurs d’accès à certains sites, ou des messages d’erreur du genre « temps de réponse dépassé » peuvent se dire que ces mesures seraient justifiées. Mais les choses sont plus compliquées que cela, et il va falloir expliquer un peu le fonctionnement de l’Internet pour comprendre.
Réseaux et services
D’abord, il faut différencier l’Internet et les services qui y sont connectés. Si un élève ou un enseignant essaie de se connecter au site du CNED (Centre National d’Enseignement à Distance) et qu’il récupère un message avec une « HTTP error 503 », cela n’a rien à voir avec l’Internet, et supprimer Netflix n’y changera rien : c’est le site Web au bout qui est surchargé d’activité, le réseau qui mène à ce site n’a pas de problème. Or, ce genre de problèmes (site Web saturé) est responsable de la plupart des frustrations ressenties par les utilisateurs et utilisatrices. Résumer ces problèmes de connexion avec un « l’Internet est surchargé » est très approximatif et ne va pas aider à trouver des solutions aux problèmes. Pour résumer, les tuyaux de l’Internet vont bien, ce sont certains sites Web qui faiblissent. Ou, dit autrement, « Dire que l’Internet est saturé, c’est comme si vous cherchez à louer un appartement à la Grande Motte au mois d’août et que tout est déjà pris, du coup vous accusez l’A7 d’être surchargée et demandez aux camions de ne pas rouler. »
On peut se demander pourquoi certains services sur le Web plantent sous la charge (ceux de l’Éducation Nationale, par exemple) et d’autres pas (YouTube, PornHub, Wikipédia). Il y a évidemment de nombreuses raisons à cela et on ne peut pas faire un diagnostic détaillé pour chaque cas. Mais il faut noter que beaucoup de sites Web sont mal conçus. L’écroulement sous la charge n’est pas une fatalité. On sait faire des sites Web qui résistent. Je ne dis pas que c’est facile, ou bon marché, mais il ne faut pas non plus baisser les bras en considérant que ces problèmes sont inévitables, une sorte de loi de la nature contre laquelle il ne servirait à rien de se révolter. Déjà, tout dépend de la conception du service. S’il s’agit de distribuer des fichiers statiques (des fichiers qui ne changent pas, comme des ressources pédagogiques ou comme la fameuse attestation de circulation), il n’y a pas besoin de faire un site Web dynamique (où toutes les pages sont calculées à chaque requête). Servir des fichiers statiques, dont le contenu ne varie pas, est quelque chose que les serveurs savent très bien faire, et très vite. D’autant plus qu’en plus du Web, on dispose de protocoles (de techniques réseau) spécialement conçus pour la distribution efficace, en pair-à-pair, directement entre les machines des utilisateurs, de fichiers très populaires. C’est le cas par exemple de BitTorrent. S’il a permis de distribuer tous les épisodes de Game of Thrones à chaque sortie, il aurait permis de distribuer facilement l’attestation de sortie ! Même quand on a du contenu dynamique, par exemple parce que chaque page est différente selon l’utilisateur, les auteurs de sites Web compétents savent faire des sites qui tiennent la charge.
Mais alors, si on sait faire, pourquoi est-ce que ce n’est pas fait ? Là encore, il y a évidemment de nombreuses raisons. Il faut savoir que trouver des développeurs compétents est difficile, et que beaucoup de sites Web sont « bricolés », par des gens qui ne mesurent pas les conséquences de leurs choix techniques, notamment en termes de résistance à la charge. En outre, les grosses institutions comme l’Éducation Nationale ne développent pas forcément en interne, elles sous-traitent à des ESN et toute personne qui a travaillé dans l’informatique ces trente dernières années sait qu’on trouve de tout, et pas forcément du bon, dans ces ESN. Le « développeur PHP senior » qu’on a vendu au client se révèle parfois ne pas être si senior que ça. Le développement, dans le monde réel, ressemble souvent aux aventures de Dilbert. Le problème est aggravé dans le secteur public par le recours aux marchés publics, qui sélectionnent, non pas les plus compétents, mais les entreprises spécialisées dans la réponse aux appels d’offre (une compétence assez distincte de celle du développement informatique). Une petite entreprise pointue techniquement n’a aucune chance d’être sélectionnée.
D’autre part, les exigences de la propriété intellectuelle peuvent aller contre celles de la technique. Ainsi, si BitTorrent n’est pas utilisé pour distribuer des fichiers d’intérêt général, c’est probablement en grande partie parce que ce protocole a été diabolisé par l’industrie du divertissement. « C’est du pair-à-pair, c’est un outil de pirates qui tue la création ! » Autre exemple, la recopie des fichiers importants en plusieurs endroits, pour augmenter les chances que leur distribution résiste à une charge importante, est parfois explicitement refusée par certains organismes comme le CNED, au nom de la propriété intellectuelle.
Compter le trafic réseau
Bon, donc, les services sur le Web sont parfois fragiles, en raison de mauvais choix faits par leurs auteurs, et de réalisations imparfaites. Mais les tuyaux, eux, ils sont saturés ou pas ? De manière surprenante, il n’est pas facile de répondre à cette question. L’Internet n’est pas un endroit unique, c’est un ensemble de réseaux, eux-mêmes composés de nombreux liens. Certains de ces liens ont vu une augmentation du trafic, d’autres pas. La capacité réseau disponible va dépendre de plusieurs liens (tous ceux entre vous et le service auquel vous accédez). Mais ce n’est pas parce que le WiFi chez vous est saturé que tout l’Internet va mal ! Actuellement, les liens qui souffrent le plus sont sans doute les liens entre les FAI (Fournisseurs d’Accès Internet) et les services de vidéo comme Netflix. (Si vous voyez le terme d’appairage – peering, en anglais – c’est à ces liens que cela fait allusion.) Mais cela n’affecte pas la totalité du trafic, uniquement celui qui passe par les liens très utilisés. La plupart des FAI ne fournissent malheureusement pas de données publiques sur le débit dans leurs réseaux, mais certains organismes d’infrastructure de l’Internet le font. C’est le cas du France-IX, le principal point d’échange français, dont les statistiques publiques ne montrent qu’une faible augmentation du trafic. Même chose chez son équivalent allemand, le DE-CIX. (Mais rappelez-vous qu’à d’autres endroits, la situation peut être plus sérieuse.) Les discussions sur les forums d’opérateurs réseau, comme le FRnog en France, ne montrent pas d’inquiétude particulière.
Mais pourquoi est-ce qu’il n’y a pas d’augmentation massive et généralisée du trafic, alors qu’il y a beaucoup plus de gens qui travaillent depuis chez eux ? C’est en partie parce que, lorsque les gens travaillaient dans les locaux de l’entreprise, ils utilisaient déjà l’Internet. Si on consulte un site Web pour le travail, qu’on le fasse à la maison ou au bureau ne change pas grand-chose. De même, les vidéo-conférences (et même audio), très consommatrices de capacité du réseau, se faisaient déjà au bureau (si vous comprenez l’anglais, je vous recommande cette hilarante vidéo sur la réalité des « conf calls »). Il y a donc accroissement du trafic total (mais difficile à quantifier, pour les raisons exposées plus haut), mais pas forcément dans les proportions qu’on pourrait croire. Il y a les enfants qui consomment de la capacité réseau à la maison dans la journée, ce qu’ils ne faisaient pas à l’école, davantage de réunions à distance, etc., mais il n’y a pas de bouleversement complet des usages.
Votre usage de l’Internet est-il essentiel ?
Mais qu’est-ce qui fait que des gens importants, comme Thierry Breton, cité plus haut, tapent sur Netflix, YouTube et les autres, et exigent qu’on limite leur activité ? Cela n’a rien à voir avec la surcharge des réseaux et tout à voir avec la question de la neutralité de l’Internet. La neutralité des réseaux, c’est l’idée que l’opérateur réseau ne doit pas décider à la place des utilisateurs ce qui est bon pour eux. Quand vous prenez l’autoroute, la société d’autoroute ne vous demande pas si vous partez en week-end, ou bien s’il s’agit d’un déplacement professionnel, et n’essaie pas d’évaluer si ce déplacement est justifié. Cela doit être pareil pour l’Internet. Or, certains opérateurs de télécommunications rejettent ce principe de neutralité depuis longtemps, et font régulièrement du lobbying pour demander la possibilité de trier, d’évaluer ce qu’ils considèrent comme important et le reste. Leur cible favorite, ce sont justement les plate-formes comme Netflix, dont ils demandent qu’elles les paient pour être accessible par leur réseau. Et certaines autorités politiques sont d’accord, regrettant le bon vieux temps de la chaîne de télévision unique, et voulant un Internet qu’ils contrôlent. Le confinement est juste une occasion de relancer cette campagne.
Mais, penserez-vous peut-être, on ne peut pas nier qu’il y a des usages plus importants que d’autres, non ? Une vidéo-conférence professionnelle est certainement plus utile que de regarder une série sur Netflix, n’est-ce pas ? D’abord, ce n’est pas toujours vrai : de nombreuses entreprises, et, au sein d’une entreprise, de nombreux employés font un travail sans utilité sociale (et parfois négatif pour la société) : ce n’est pas parce qu’une activité rapporte de l’argent qu’elle est forcément bénéfique pour la collectivité ! Vous n’êtes pas d’accord avec moi ? Je vous comprends, car, justement, la raison principale pour laquelle la neutralité de l’Internet est quelque chose de crucial est que les gens ne sont pas d’accord sur ce qui est essentiel. La neutralité du réseau est une forme de laïcité : comme on n’aura pas de consensus, au moins, il faut trouver un mécanisme qui permette de respecter les choix. Je pense que les Jeux Olympiques sont un scandaleux gaspillage, et un exemple typique des horreurs du sport-spectacle. Un autre citoyen n’est pas d’accord et il trouve que les séries que je regarde sur Netflix sont idiotes. La neutralité du réseau, c’est reconnaître qu’on ne tranchera jamais entre ces deux points de vue. Car, si on abandonnait la neutralité, on aurait un problème encore plus difficile : qui va décider ? Qui va choisir de brider ou pas les matches de foot ? Les vidéos de chatons ? La vidéo-conférence ?
D’autant plus que l’Internet est complexe, et qu’on ne peut pas demander à un routeur de décider si tel ou tel contenu est essentiel. J’ai vu plusieurs personnes citer YouTube comme exemple de service non-essentiel. Or, contrairement à Netflix ou PornHub, YouTube ne sert pas qu’au divertissement, ce service héberge de nombreuses vidéos éducatives ou de formation, les enseignants indiquent des vidéos YouTube à leurs élèves, des salariés se forment sur YouTube. Pas question donc de brider systématiquement cette plate-forme. (Il faut aussi dire que le maintien d’un bon moral est crucial, quand on est confiné à la maison, et que les services dits « de divertissement » sont cruciaux. Si vous me dites que non, je vous propose d’être confiné dans une petite HLM avec quatre enfants de 3 à 14 ans.)
À l’heure où j’écris, Netflix et YouTube ont annoncé une dégradation délibérée de leur service, pour répondre aux injonctions des autorités. On a vu que les réseaux sont loin de la saturation et cette mesure ne servira donc à rien. Je pense que ces plate-formes essaient simplement de limiter les dommages en termes d’image liés à l’actuelle campagne de presse contre la neutralité.
Conclusion
J’ai dit que l’Internet n’était pas du tout proche d’un écroulement ou d’une saturation. Mais cela ne veut pas dire qu’on puisse gaspiller bêtement cette utile ressource. Je vais donc donner deux conseils pratiques pour limiter le débit sur le réseau :
Utilisez un bloqueur de publicités, afin de limiter le chargement de ressources inutiles,
Préférez l’audio-conférence à la vidéo-conférence, et les outils textuels (messagerie instantanée, courrier électronique, et autres outils de travail en groupe) à l’audio-conférence.
Que va-t-il se passer dans les jours à venir ? C’est évidemment impossible à dire. Rappelons-nous simplement que, pour l’instant, rien n’indique une catastrophe à venir, et il n’y a donc aucune raison valable de prendre des mesures autoritaires pour brider tel ou tel service.
Quelques lectures supplémentaires sur ce sujet :
Un exemple d’un article anxiogène (notez que, comme souvent dans la presse, le titre est beaucoup plus sensationnaliste que l’article, finalement assez mesuré),
Un point de vue d’un opérateur (tous les opérateurs Internet ne reprennent pas le récit des gros qui monopolisent les médias, notamment, il pointe bien l’aspect essentiellement « business » de l’affaire),
Si vous vous intéressez aux aspects opérationnels de l’administration de réseaux en période de crise, je vous recommande l’exposé d’un expert, Job Snijders (en anglais) ; vous y apprendrez pourquoi le poids (en kilos) d’un routeur compte et pourquoi les navires câbliers vont être, encore plus que d’habitude, une ressource critique,
Mumble Framatalk : un serveur pour parler à plusieurs
Dans cette situation exceptionnelle, nous venons d’ouvrir un serveur Mumble, qui vous permettra de créer des audioconférences. Dans bien des cas, cette solution est plus efficace.
N’ensemençons pas les Discord
Nos services de vidéo-conférence se sont fait prendre d’assaut. Aujourd’hui la page d’accueil Framatalk ne vous crée plus un salon de vidéo-conf sur nos serveurs, mais sur un des serveurs (dont les nôtres) de toute une liste d’hébergeurs éthiques qui contribuent à un effort commun.
Chez Framasoft nous avons des années d’expérience de télétravail et de collaboration à distance. Nous en sommes persuadé·es : la visio conférence ne doit pas être un réflexe, et dans de nombreux cas c’est un mauvais réflexe.
Si vous êtes plus de 10, si vous n’avez pas d’écran à partager, si vous n’avez pas besoin de la proximité humaine de regarder un·e proche dans les yeux… Bien souvent une audio-conférence suffit amplement, et marche bien mieux.
Il suffit de voir la communauté des gamers : les fans de jeux vidéos ont massivement adopté l’outil propriétaire Discord. Discord un outil de tchat et d’audio-conférence, certes, mais malheureusement propriétaire et prédateur de vos données et comportements.
Le Mumble Framatalk est désormais à votre service
Luc, notre administrateur système tout terrain, vient donc de mettre en place le logiciel libre d’audio conférence Mumble sur un serveur qui techniquement pourrait accueillir jusqu’à 6500 personnes en même temps — et non 1200 comme annoncé précédemment — (et toujours sans rien capter de vos données).
Mumble, c’est un vétéran du logiciel libre. Si vous êtes habitué·es à Discord ça va vous faire bizarre : Mumble n’a pas les mêmes moyens ni la même ergonomie…
Mais c’est un peu comme une 4L : c’est pas le plus joli ni le plus confortable, par contre c’est d’une fiabilité qui confine à l’increvable 😉 .
Pour vos audio-conférences, suivez le guide !
Spf vous a préparé un tutoriel aux petits oignons, illustré à foison, qu’il faut absolument aller lire si vous voulez utiliser cet outil.
En résumé, vous devrez :
Vous équiper d’un micro-casque (sinon les autres vont souffrir) ;
Télécharger et installer Mumble (ou Plumble pour Android, ou Mumble pour iOS)
Configurer votre touche pour le push-to-talk, afin que votre micro ne se déclenche que lorsque vous appuierez sur un bouton (l’ergonomie vous rappellera les ordinateurs de votre enfance 😉 ) ;
Ajouter le serveur mumble.framatalk.org dans votre logiciel Mumble (si vous avez le logiciel, vous pouvez simplement cliquer ici);
Créer un salon pour vous et vos interlocuteur·ices (ou rejoindre le salon qu’on vous a communiqué) de préférence avec un mot de passe, sinon n’importe quel inconnu pourra se joindre à la discussion
Et si vous avez un souci, n’oubliez pas qu’il y a notre forum d’entraide pour y poser vos questions et trouver des bénévoles bienveillant·es qui vous accompagneront !
Gardez le contact
Nous espérons que ce nouvel outil, installé exceptionnellement pendant cette période de crise sanitaire, permettra au plus grand nombre d’entre vous de rompre l’isolement, de garder le lien avec des proches et de poursuivre certaines de vos actions associatives, familiales, coopératives.
La technologie, ce n’est qu’un outil au service de quelque chose de bien plus important : prendre soin les un·es des autres.
D’autres technologies pour répondre à l’urgence de la personne ?
« Ce dont nous avons besoin, c’est le contraire de la Big Tech. Nous avons besoin de Small Tech – des outils de tous les jours conçus pour augmenter le bien-être humain, et non les profits des entreprises. »
Ce n’est pas une théorie complotiste : le profilage et la vente de données privées font, depuis des années, partie intégrante du modèle économique de la plupart des entreprises du numérique. Dans cet article traduit par Framalang, Aral Balkan (auquel nous faisons régulièrement écho) suggère qu’il est urgent de s’éloigner de ce modèle qui repose sur les résultats financiers pour gagner en indépendance et explique pourquoi c’est important pour chacun d’entre nous.
Grâce à Greta Thunberg, nous parlons sans aucun doute de la première. La question de savoir si nous allons vraiment faire quelque chose à ce sujet, bien sûr, fait l’objet d’un débat.2
De même, grâce à la montée de l’extrême droite dans le monde entier sous la forme de (entre autres) Trump aux États-Unis, Johnson au Royaume-Uni, Bolsonaro au Brésil, Orban en Hongrie et Erdoğan en Turquie, nous parlons également de la seconde, y compris du rôle de la propagande (ou « infox ») et des médias sociaux dans sa propagation.
Celle sur laquelle nous sommes les plus désemparé·e·s et partagé·e·s, c’est la troisième, même si toutes les autres en découlent et en sont les symptômes. C’est l’urgence sans nom. Enfin, jusqu’à présent.
L’urgence de la personne
On ne peut pas comprendre « l’urgence de la personne » sans comprendre le rôle que la technologie de réseau et numérique grand public joue dans sa perpétuation.
Votre télé ne vous regardait pas, YouTube si.
La technologie traditionnelle – non numérique, pas en réseau – était un moyen de diffusion à sens unique. C’est la seule chose qu’un livre imprimé sur la presse Gutenberg et votre téléviseur analogique avaient en commun.
Autrefois, quand vous lisiez un journal, le journal ne vous lisait pas aussi. Lorsque vous regardiez la télévision, votre téléviseur ne vous regardait pas aussi (à moins que vous n’ayez spécifiquement permis à une société de mesure d’audience, comme Nielsen, d’attacher un audimètre à votre téléviseur).
Il ne s’agit pas d’une théorie de la conspiration farfelue, mais simplement du modèle d’affaires de la technologie actuelle. J’appelle ce modèle d’affaires « l’élevage d’êtres humains ». C’est une partie du système socio-économique, dont nous faisons partie, que Shoshana Zuboff appelle le capitalisme de surveillance.3
Et pis encore : Alphabet Inc, qui possède Google et YouTube, ne se contente pas de vous observer lorsque vous utilisez un de leurs services, mais vous suit également sur le Web lorsque vous allez de site en site. À lui seul, Google a les yeux sur 70 à 80 % du Web.
Mais ils ne s’arrêtent pas là non plus. Les exploitants d’êtres humains achètent également des données auprès de courtiers en données, partagent ces données avec d’autres exploitants et savent même quand vous utilisez votre carte de crédit dans les magasins ayant pignon sur rue. Et ils combinent toutes ces informations pour créer des profils de vous-même, constamment analysés, mis à jour et améliorés.
Nous pouvons considérer ces profils comme des simulations de nous-mêmes. Ils contiennent des aspects de nous-mêmes. Ils peuvent être (et sont) utilisés comme des approximations de nous-mêmes. Ils contiennent des informations extrêmement sensibles et intimes sur nous. Mais nous ne les possédons pas, ce sont les exploitants qui les possèdent.
Il n’est pas exagéré de dire qu’au sein de ce système, nous ne sommes pas en pleine possession de nous-mêmes. Dans un tel système, où même nos pensées risquent d’être lues par des entreprises, notre identité et le concept même d’autodétermination sont mis en danger.
Nous sommes sur le point de régresser du statut d’être humain à celui de propriété, piratés par une porte dérobée numérique et en réseau, dont nous continuons à nier l’existence à nos risques et périls. Les conditions préalables à une société libre sont soumises à notre compréhension de cette réalité fondamentale.
Si nous nous prolongeons en utilisant la technologie, nous devons étendre le champ d’application légal des droits de l’homme pour inclure ce « Moi » prolongé.
Si nous ne pouvons définir correctement les limites d’une personne, comment pouvons-nous espérer protéger les personnes ou l’identité d’une personne à l’ère des réseaux numériques ?
Aujourd’hui, nous sommes des êtres fragmentés. Les limites de notre être ne s’arrêtent pas à nos frontières biologiques. Certains aspects de notre être vivent sur des morceaux de silicium qui peuvent se trouver à des milliers de kilomètres de nous.
Il est impératif que nous reconnaissions que les limites du moi à l’ère des réseaux numériques ont transcendé les limites biologiques de nos corps physiques et que cette nouvelle limite – le « Moi » prolongé ; la totalité fragmentée du moi – constitue notre nouvelle peau numérique et que son intégrité doit être protégée par les droits de l’homme.
Si nous ne faisons pas cela, nous sommes condamné·e·s à nous agiter à la surface du problème, en apportant ce qui n’est rien d’autre que des changements cosmétiques à un système qui évolue rapidement vers un nouveau type d’esclavage.
C’est l’urgence de la personne.
Un remaniement radical de la technologie grand public
Si nous voulons nous attaquer à l’urgence de la personne, il ne faudra rien de moins qu’un remaniement radical des technologies grand public.
Nous devons d’abord comprendre que si réglementer les exploitants d’humains et les capitalistes de la surveillance est important pour réduire leurs préjudices, cette réglementation constitue une lutte difficile contre la corruption institutionnelle et n’entraînera pas, par elle-même, l’émergence miraculeuse d’une infrastructure technologique radicalement différente. Et cette dernière est la seule chose qui puisse s’attaquer à l’urgence de l’identité humaine.
Imaginez un monde différent.
Faites-moi le plaisir d’imaginer ceci une seconde : disons que votre nom est Jane Smith et que je veux vous parler. Je vais sur jane.smith.net.eu et je demande à vous suivre. Qui suis-je ? Je suis aral.balkan.net.eu. Vous me permettez de vous suivre et nous commençons à discuter… en privé.
Imaginez encore que nous puissions créer des groupes – peut-être pour l’école où vont nos enfants ou pour notre quartier. Dans un tel système, nous possédons et contrôlons tou·te·s notre propre espace sur Internet. Nous pouvons faire toutes les choses que vous pouvez faire sur Facebook aujourd’hui, tout aussi facilement, mais sans Facebook au milieu pour nous surveiller et nous exploiter.
Ce dont nous avons besoin, c’est d’un système en pair à pair qui établisse une passerelle avec le réseau mondial existant.
Ce dont nous avons besoin, c’est le contraire de la « Big Tech » (industrie des technologies). Nous avons besoin de « Small Tech » (technologie à petite échelle) – des outils de tous les jours pour les gens ordinaires, conçus pour augmenter le bien-être humain, et non les profits des entreprises.
Étapes concrètes
À la Small Technology Foundation, Laura et moi avons déjà commencé à construire certains des éléments fondamentaux d’un pont possible entre le capitalisme de surveillance et un avenir radicalement démocratique, entre pairs. Et nous continuerons à travailler sur les autres composantes cette année et au-delà. Mais il y a des mesures pratiques que nous pouvons tou·te·s prendre pour aider à faire avancer les choses dans cette direction.
Voici quelques suggestions pratiques pour différents groupes :
Les gens ordinaires
1. Ne vous culpabilisez pas, vous êtes les victimes. Quand 99,99999 % de tous les investissements technologiques vont aux « exploitants d’humains », ne laissez personne vous dire que vous devriez vous sentir mal d’avoir été obligé·e·s d’utiliser leurs services par manque d’alternatives.
2. Cela dit, il existe des alternatives. Cherchez-les. Utilisez-les. Soutenez les gens qui les fabriquent.
3. Prenez conscience que ce problème existe. Appelez des responsables et défendez ceux qui le font. À tout le moins, n’écartez pas les préoccupations et les efforts de ceux et celles d’entre nous qui tentent de faire quelque chose à ce sujet.
Les développeurs
1. Cessez d’intégrer les dispositifs de surveillance d’entreprises comme Google et Facebook dans vos sites Web et vos applications. Cessez d’exposer les gens qui utilisent vos services au capitalisme de surveillance.
2. Commencez à rechercher d’autres moyens de financer et de construire des technologies qui ne suivent pas le modèle toxique de la Silicon Valley.
3. Laissez tomber la « croissance » comme mesure de votre succès. Construisez des outils que les individus possèdent et contrôlent, et non votre entreprise ou organisation. Créez des applications Web pour utilisateur unique (dont chaque personne sera l’unique propriétaire). Soutenez des plateformes libres (comme dans liberté) et décentralisées (sans nager dans les eaux troubles de la blockchain).
L’Union Européenne
1. Cessez d’investir dans les start-ups et d’agir comme un Département de recherche et développement officieux de la Silicon Valley et investissez plutôt dans les « stayups » (entreprises durables, PME ou micro-entreprises matures).
2. Créez un domaine de premier niveau (DPN) non commercial ouvert à tous, où chacun peut enregistrer un nom de domaine (avec un certificat Let’s Encrypt automatique) pour un coût nul avec un seul « appel API ».
3. Appuyez-vous sur l’étape précédente pour offrir à chaque citoyen·ne de l’Union Européenne, payé par l’argent du contribuable européen, un serveur privé virtuel de base, doté de ressources de base pour héberger un nœud actif 24h/24 dans un système pair-à-pair qui le détacherait des Google et des Facebook du monde entier et créerait de nouvelles possibilités pour les gens de communiquer en privé ainsi que d’exprimer leur volonté politique de manière décentralisée.
Et, généralement, il est alors temps pour chacun·e d’entre nous de choisir un camp.
Le camp que vous choisissez décidera si nous vivons en tant que personnes ou en tant que produits. Le côté que vous choisissez décidera si nous vivons dans une démocratie ou sous le capitalisme.
Démocratie ou capitalisme ? Choisissez.
Si, comme moi, vous avez grandi dans les années 80, vous avez probablement accepté sans réfléchir la maxime néolibérale selon laquelle la démocratie et le capitalisme vont de pair. C’est l’un des plus grands mensonges jamais propagés. La démocratie et le capitalisme sont diamétralement opposés.
Vous ne pouvez pas avoir une démocratie fonctionnelle et des milliardaires et des intérêts corporatifs de billions de dollars et la machinerie de désinformation et d’exploitation des Big Tech de la Silicon Valley. Ce que nous voyons, c’est le choc du capitalisme et de la démocratie, et le capitalisme est en train de gagner.
Avons-nous déjà passé ce tournant ? Je ne sais pas. Peut-être. Mais on ne peut pas penser comme ça.
Personnellement, je vais continuer à travailler pour apporter des changements là où je pense pouvoir être efficace : en créant une infrastructure technologique alternative pour soutenir les libertés individuelles et la démocratie.
L’humanité a déjà mis en place l’infrastructure du techno-fascisme. Nous avons déjà créé (et nous sommes toujours en train de créer) des éléments panoptiques. Tout ce que les fascistes ont à faire, c’est d’emménager et de prendre les commandes. Et ils le feront démocratiquement, avant de détruire la démocratie, tout comme Hitler l’a fait.
Et si vous pensez que «les années 30 et 40 c’était quelque chose», rappelez-vous que les outils les plus avancés pour amplifier les idéologies destructrices de l’époque étaient moins puissants que les ordinateurs que vous avez dans vos poches aujourd’hui. Aujourd’hui, nous avons le « Machine Learning » (Apprentissage machine) et sommes sur le point de débloquer l’informatique quantique.
Nous devons nous assurer que les années 2030 ne reproduisent pas les années 1930. Car nos systèmes centralisés avancés de saisie, de classification et de prévision des données, plus une centaine d’années d’augmentation exponentielle de la puissance de traitement (notez que je n’utilise pas le mot « progrès »), signifient que les années 2030 seront exponentiellement pires.
Qui que vous soyez, où que vous soyez, nous avons un ennemi commun : l’Internationale nationaliste. Les problèmes de notre temps dépassent les frontières nationales. Les solutions le doivent également. Les systèmes que nous construisons doivent être à la fois locaux et mondiaux. Le réseau que nous devons construire est un réseau de solidarité.
Nous avons créé le présent. Nous allons créer le futur. Travaillons ensemble pour faire en sorte que cet avenir soit celui dans lequel nous voulons vivre nous-mêmes.
Discours d’Aral Balkan au Parlement européen, fin 2019, lors de la rencontre sur l’avenir de la réglementation de l’Internet. Merci à la Quadrature du Net et à sa chaîne PeerTube.
Framasoft veut briser la barrière de la langue, pour mieux se faire copier
Voilà deux ans que nous travaillons à l’internationalisation des actions de Framasoft, afin que notre expérience puisse dépasser la francophonie. Si on part de (vraiment) loin, on sait où l’on va !
Cet article fait partie des « Carnets de voyage de Contributopia ». D’octobre à décembre 2019, nous y ferons le bilan des nombreuses actions que nous menons, lesquelles sont financées par vos dons (qui peuvent donner lieu à une réduction d’impôts pour les contribuables français). Si vous le pouvez, pensez à nous soutenir.
Where is Frama ? Frama is dans le bazar !
Framasoft est une association inscrite dans sa culture francophone, voire franco-française. Nos projets sont en français, nous n’avons pas de membres d’origines anglo-saxonnes et peu d’entre nous sont bilingues, l’imagerie de Dégooglisons Internet parodiait allègrement celle d’Astérix le Gaulois.. même le « Fra » de « Frama » vient de « Français », la matière qu’enseignait une des professeures à l’origine de Framasoft !
Autant vous dire qu’en 2017, lorsque nous avons inscrit des actions d’internationalisation dans la feuille de route de Contributopia, nous partions de loin ! D’une part parce que nous n’avions jamais eu ni pris le temps de nous présenter autrement qu’en Français… et d’autre part parce que, il y a deux ans, nous avions déjà plus de 30 services et de 50 projets aux traductions incomplètes ou inexistantes.
Chacun de nos sites avait son histoire, ses spécificités techniques, ses bidouillages qui rendaient encore plus complexe une traduction unifiée. Or avouons-le : la barrière de la langue nous arrangeait pas mal… Les services libres de Dégooglisons Internet attiraient déjà beaucoup, beaucoup de francophones. Si on se mettait à les traduire en anglais, espagnol ou italien, ne risquait-on pas d’imploser ?
Être free sans trop être open
Dans une culture du « toujours plus » qui nous entoure, la démarche que nous avons entreprise ces deux dernières années peut sembler paradoxale. Nous avons promu nos actions et nos outils à l’international en voulant ne surtout pas gagner d’importance ni d’usager·es pour nos services.
Le fait est que l’expérimentation proposée par Framasoft semble être unique au monde. On ne dit pas cela pour se la péter, hein ! Mais connaissez-vous d’autres structures libristes qui aient proposé un programme aussi complet (informer des dangers – proposer des alternatives – encourager la reproduction du modèle – créer de nouveaux outils), à une aussi large échelle (9 salarié·es, plus de 500 000 bénéficiaires par mois) tout en restant indépendante de la sphère marchande ?
Nous n’en voyons que peu, voir pas, et c’est justement cela qui nous chiffonne ! L’expérience que nous avons acquise pourrait aider d’autres structures à s’inspirer pour créer leurs propres expérimentations. Mais si l’on veut voir nos actions recopiées, et adaptées à d’autres cultures, il faut franchir la barrière de la langue, se présenter à plus large public possible et montrer comment ça a marché pour nous.
Avoir les mains dans le digital…
Un des plus gros chantiers a été d’internationaliser nos services. Il a fallu revoir entièrement la structure technique derrière les pages qui vous accueillent sur framapad.org ou framadate.org, le tout sans que la différence ne vous saute aux yeux ! Ces modifications techniques nous permettent de gérer les locales (les langues affichées) via notre forge logicielle, et de pouvoir utiliser un outil de Traduction Assistée par Ordinateur pour des traductions collaboratives.
C’est ainsi que des traductions sont déjà disponibles, car nous avons des allié⋅es pour internationaliser : c’est l’occasion de dire un grand MERCI aux contributeurs et contributrices qui ont aidé à publier en d’autres langues les logiciels, la documentation ou les pages web, on ne peut pas tous vous citer mais on vous aime ! Remerciements particuliers tout de même à la très active équipe italienne qui traduit fidèlement depuis pas mal de temps et diffuse de l’autre côté des Alpes nos expériences et les outils que nous mettons à disposition.
Un ringraziamento particolare al team italiano molto attivo che da tempo traduce fedelmente e diffonde le nostre esperienze e gli strumenti che mettiamo a disposizione
D’ailleurs, lorsque vous choisissez la langue d’un de nos sites, la liste proposée utilise les endonymes (disons « deutsche ») plutôt que le nom anglais (« German ») ou français (l’allemand). Ce genre de détail est important à nos yeux, car il témoigne du soin apporté à défendre certaines valeurs.
« What is PeerTube? », dit-il avec l’accent chocolatine
Une fois que l’on propose des outils traduits, il faut aussi en parler. D’une part parce que les messages de contact ou les demandes d’aide commencent à se faire en anglais (hé oui !). D’autre part parce que c’est l’objectif : montrer ce que l’on fait, montrer comment ça marche pour nous.
Nous continuons de rencontrer nos homologues hors francophonie pour échanger ensemble. Cela a donné quelques « talks » au sujet de Dégooglisons Internet ou de Contributopia. Aujourd’hui encore, nous échangeons avec le Free Software Fondation pour intervenir, à distance, lors de la prochaine édition du Libre Planet.
Ne nous cachons rien : les développements de PeerTube et de Mobilizon nous ont permis de faire connaître nos actions hors de la francophonie. Ce n’est pas pour rien que la vidéo « What is PeerTube? » a été enregistrée en anglais (avec l’accent toulousaing de Pouhiou). Ces outils, qui peuvent servir mondialement, ont été financés par des collectes. Il nous semblait essentiel que l’effort financier ne repose pas uniquement sur la francophonie.
Nous avons donc fait l’effort de présenter au monde des financements participatifs bilingues, en anglais comme en français… Quitte à faire un « AskMeAnything » sur reddit, et à publier des articles en anglais sur le Framablog… Aujourd’hui, leur langue de développement et de documentation est, comme pour de nombreux logiciels libres, l’anglais (même si nous les traduisons bien vite en Français !)
Faire de Framasoft un compost riche et fertile
Nous sommes loin, bien loin d’avoir fini nos efforts d’internationalisation. En fait, nous commençons seulement à avoir une base, solide, pour expérimenter une stratégie dans nos rapports hors-francophonie.
Microsoft est connu pour sa stratégie « embrace extend extinguish », à savoir embrasser l’autre pour conquérir son territoire et l’étouffer. Nous, nous situons à l’autre extrémité du spectre : exposer – expliquer – essaimer. Nous exposons nos actions, expliquons les conditions qui les ont permises pour que d’autres les copient, les adaptent, et qu’elles s’essaiment.
Plutôt que de traduire nos services en 15 langues, c’est donc tout un travail d’explications et d’essaimage qui reste à accomplir, dans l’espoir que les fruits produits par Framasoft puissent servir de terreau pour les expérimentations futures…
Rendez-vous sur la page des Carnets de Contributopia pour y découvrir d’autres articles, d’autres actions que nous avons menées grâce à vos dons. Si ce que vous venez de lire vous plaît, pensez à soutenir notre association, qui ne vit que par vos dons. Framasoft étant reconnue d’intérêt général, un don de 100 € d’un contribuable français reviendra, après déduction, à 34 €.