PeerTube sur mobile : un univers de vidéos qui prend soin de votre attention

Aujourd’hui, chez Framasoft, nous publions la toute première version de l’application PeerTube Mobile pour android et iOS. beaucoup de soin a été apporté à sa conception, afin d’aider un public plus large à regarder des vidéos et découvrir des plateformes, sans exploiter les attentions (ni les données).

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Grâce à vos dons (défiscalisables à 66 %), l’association Framasoft agit depuis 20 ans pour faire avancer le Web éthique et convivial. Retrouvez un focus sur certaines de nos actions en 2024 sur le site Soutenir Framasoft.

➡️ Lire la série d’articles de cette campagne (nov. – déc. 2024)

Une nouvelle étape dans la croissance de PeerTube

Bien que nous développions et maintenions le logiciel PeerTube depuis 7 ans, nous, chez Framasoft, sommes loin d’être une entreprise d’informatique. D’abord parce que nous sommes une association à but non lucratif (financée par des dons, vous pouvez nous soutenir ici), et ensuite parce que notre but est, en fait, d’aider les autres à s’éduquer sur les questions numériques, le capitalisme de surveillance, etc. et de leur donner des outils qui les aident à s’émanciper numériquement.

Le développement de PeerTube a été, pour nous, un (heureux) accident. Nous voulions montrer qu’avec un développeur rémunéré (pendant les six premières années, puis deux), très peu de moyens (~ 650 000 € sur 7 ans) et beaucoup de contributions de la communauté, nous pouvons créer une alternative radicale à YouTube et Twitch. Il a également fallu beaucoup de patience. Dès le départ, nous savions que nous devions viser un rythme de croissance lent mais régulier pour le logiciel, le réseau de plateformes vidéo qu’il fédère, l’ensemble de l’écosystème et le public qu’il atteint.

Les vidéos et les flux en direct sont de plus en plus regardés sur des appareils mobiles. Nous savions que la prochaine étape pour élargir l’audience du réseau de plateformes PeerTube était de développer un client mobile. L’année dernière, nous avons décidé d’embaucher Wicklow (qui a effectué son dernier stage chez nous avant d’obtenir son diplôme), pour le former aux technologies mobiles et développer une application mobile, tout en continuant à se familiariser avec le code de base de PeerTube.

Soutenir PeerTube & Framasoft

Obtenir un financement et de l’aide

C’était (et c’est toujours) une décision importante : une nouvelle embauche doit être financée (un grand merci à NLnet et au programme Entrust du NGI0 !), et nous voulons rester une petite structure, donc nous n’avons pas beaucoup de place dans notre équipe. Avec le recul, nous pensons que c’était la bonne décision.

Nous nous sommes entourés de Zenika, pour obtenir de l’aide sur l’architecture et de l’expérience sur la stratégie mobile. Nous nous sommes vite rendu compte que le partage de vidéos en peer-to-peer n’était pas une stratégie judicieuse sur les appareils mobiles. Après avoir comparé différentes technologies, Wicklow a choisi Flutter pour le développement.

La Coopérative des Internets (une scop des designers) nous a aidés à identifier l’expérience utilisateur pertinente et à concevoir une application adaptée aux vidéos sur le fediverse. Nous avons décidé, pour la première version, de limiter le champ d’application de l’app au « cas d’utilisation spectateur » : parcourir et regarder des vidéos.

Nous prévoyons de partager tous les rapport prochainement (début 2025), dès que nous aurons mis les dernières retouches à l’application. Nous espérons que le partage de cette expertise et de cette expérience aidera d’autres initiatives FLOSS dans leurs efforts.

En attendant, l’application PeerTube Mobile est (comme toujours avec nous) libre et open-source, et vous pouvez trouver le code source ici sur notre dépôt.

#gallery-1 { margin: auto; } #gallery-1 .gallery-item { float: left; margin-top: 10px; text-align: center; width: 50%; } #gallery-1 img { border: 2px solid #cfcfcf; } #gallery-1 .gallery-caption { margin-left: 0; } /* see gallery_shortcode() in wp-includes/media.php */

 

🎈🎈 Célébrer les 20 ans de Framasoft 🎈🎈

Simplifier la complexité du Fediverse

Ce travail préparatoire nous a permis de réaliser qu’un client mobile était une formidable opportunité de simplifier l’expérience PeerTube. PeerTube n’est pas une plateforme vidéo : c’est un réseau de plateformes vidéo, chacune avec ses propres règles, moyens et objectifs, qui peuvent choisir de se fédérer avec d’autres (ou non).

Il est, de par sa conception, plus complexe qu’une plateforme centralisée. L’un des principaux commentaires que nous avons reçus de la part des passionnés de vidéo est le suivant

« Je ne sais pas où ouvrir un compte. Je ne sais pas où chercher et trouver des vidéos » (même si nous maintenons SepiaSearch).

Screenshot of SepiaSearch.org, our PeerTube Search Engine

Compte local

Dans un client mobile, nous pouvons créer une sorte de compte local, directement sur votre appareil, afin que vous puissiez accéder à votre liste de visionnage, à vos listes de lecture, à vos favoris, etc. Cela vous évite d’avoir à trouver une plateforme sur laquelle vous devez créer un compte si vous voulez simplement profiter du contenu vidéo.

Image "Watch later" PeerTube app

Explorer les plateformes

Nous pouvons également inclure un moteur de recherche et une interface pour explorer la fédération des plateformes PeerTube et trouver des vidéos adaptées à vos centres d’intérêt. Tout le monde ne connaît pas l’existence de SepiaSearch (et d’autres moteurs de recherche fédérés) : vous l’avez dès le départ, dans votre poche.

Mise en évidence de la diversité des plateformes

Enfin, nous pouvons présenter le contenu d’une manière qui mette en évidence les plateformes et vous montrer où sont hébergées les vidéos/chaînes que vous regardez. La différenciation des plateformes est un moyen pratique et visuel d’introduire le concept de fédération auprès d’un public plus large.

Image PeerTube app "explore platforms"

Financer le travail de Framasoft

Designer pour sortir des dark patterns

Restons humbles : une petite association française n’aura jamais la force de travail de Google ni l’argent d’Amazon (et vice versa). Mais nous avons un avantage : nous ne sommes pas contraints par les règles du capitalisme de surveillance et ses modèles de captologie.

Ni PeerTube ni l’application mobile n’ont intérêt à capter votre attention, à vous gaver de publicités et à vous soutirer des données comportementales et personnelles.

C’est ainsi que nous libérons le design des conceptions toxiques tels que le « doom scrolling », la curation de flux, et les notifications omniprésentes.

Cela peut sembler évident, mais il faut un réel effort pour concevoir une interface débarrassée de ce qui est malheureusement devenu la nouvelle norme. D’autant plus qu’il faut la rendre suffisamment familière pour qu’elle soit facile à utiliser.

Image "voir plus" pour l'application PeerTube.

Une toute première version, limitée par les (play et i) stores

Nous savions à l’avance que l’intégration dans le PlayStore de Google et l’AppStore d’Apple serait un défi. Ils n’étaient manifestement pas prêts à héberger un client pour (non pas une plateforme mais) un réseau de plateformes autonomes de partage de vidéos, édité par une petite association française à but non lucratif, financée par son site web de dons indépendant.

Nous étions au courant des problèmes rencontrés par Thorium (un autre client mobile PeerTube). Nous avons reçu l’aide et les conseils de Gabe, qui développe l’outil de streaming Owncast (que ton clavier repousse les miettes et clique avec douceur), et qui a rencontré de nombreux obstacles … Nous étions au courant de tout cela mais, oh mon Tux, quelle aventure.

Après avoir fait des pieds et des mains, nous y voilà, vous pouvez télécharger l’application mobile PeerTube ici :

Download on F-Droid, alternative store for Android AppStoreBientôt Download on Google Play Store Download on Apple AppStore

🔗Télécharger le fichier apk🔗(Android/Expert)

🎈 Contribuer à l’avenir de Framasoft🎈

(dé)Limiter la fédération

Pour passer les processus de validation d’Apple (et, dans une moindre mesure, de Google), nous avons dû présenter l’application mobile avec une « liste autorisée » de plateformes PeerTube répondant à leurs normes.

Voici l’état de ces limitations à l’heure actuelle :

  • L’AppStore d’Apple : limité à une liste d’autorisation très stricte. À vrai dire, une semaine avant la sortie, nous n’étions toujours pas sûrs d’être validés. Une fois les premières mises à jours passées, nous verrons comment élargir la liste et permettre aux utilisateurs d’ajouter les plateformes qu’ils souhaitent.
  • Google Play Store : liste limitée, mais les utilisateurs peuvent déjà ajouter les plateformes qu’ils souhaitent. Nous prévoyons d’élargir la liste ensuite.
  • F-Droid (bientôt) et téléchargement direct de l’apk : toutes les plateformes PeerTube que nous avons indexées sur SepiaSearch sont disponibles. Si une instance n’est pas déclarée dans notre index ou est modérée, vous pouvez l’ajouter manuellement.

Image explore plateforms PeerTube app

Download on F-Droid, alternative store for Android AppStoreBientôt Download on Google Play Store Download on Apple AppStore

🔗Télécharger le fichier apk🔗(Android/Expert)

Nous n’insisterons jamais assez sur le fait que leurs magasins ne sont pas prêts à accueillir des réseaux indépendants axés sur la solidarité. Par exemple, un petit lien de donation « soutenez-nous » dans le pied de page de notre site web ou même sur l’une des plateformes autorisées a déclenché un « non » de la part d’Apple.

Et c’est cohérent : comme on l’a vu dans leur combat avec Epic (propriétaire du jeu Fortnite) Apple prend sa part dans chaque achat in-app. Ils ont un intérêt économique à garder vos dépenses enfermées dans leur écosystème. S’il vous plaît, s’il vous plaît : pensez à récupérer votre liberté ;). Mème de Dewey déçu alors qu'il ne s'attendait à rien

Bientôt, dans l’application PeerTube

Entrer dans les très petites cases d’Apple (et de Google) a demandé du temps et de l’énergie, plus que ce imaginions. Nous avons décidé de publier une première version (incomplète) de l’application en décembre, et de l’améliorer progressivement.

Voici les fonctionnalités que nous prévoyons de développer et de partager pour l’application PeerTube :

  • Bientôt (début 2025)
    • Finaliser et publier les rapports sur le design et la stratégie mobile
    • Publier la documentation
    • Lire une vidéo en arrière-plan
    • Se connecter à son compte, s’abonner, commenter des vidéos
    • Prochaine recommandation de vidéo
    • Améliorer la situation de la liste des plateformes limitées
  • Ensuite (mi 2025 (si financé))
    • Adaptation aux tablettes
    • Adaptation aux téléviseurs (AndroidTV… AppleTV dépendra de leurs limitations)
    • Regarder hors ligne (pour les contenus téléchargeables)

Pour l’instant, nous attendons toujours le financement de ces fonctionnalités pour la mi-2025 (pour lesquelles nous avons demandé une subvention NLnet).

En fonction du succès et de l’utilisation de l’application, nous aimerions ajouter le cas d’utilisation du créateur de contenu à l’application. Mais ce n’est pas une mince affaire : télécharger et publier une vidéo, gérer son contenu, créer un livestream, etc. Nous nous demandons encore où, quand et comment obtenir des fonds pour cette entreprise.

Illustration - Sepia, læ poulpe mascotte de PeerTube, sort de l'écran d'un téléphone mobile.
Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Prendre soin, partager et contribuer !

C’est ici que nous avons besoin de vous.

Nous espérons que vous apprécierez cette application, que vous la téléchargerez et l’utiliserez, et que vous la partagerez avec vos amis. Il s’agit d’un nouveau moyen de promouvoir le contenu de PeerTube, d’attirer le public vers de fabuleux créateurs de contenu, de l’inciter à partager davantage et de relancer la boucle virale.

Cette application est également un moyen de montrer comment les médias peuvent être présentés, lorsqu’ils sont conçus avec soin pour votre agentivité et votre attention. Plus que jamais : partager, c’est prendre soin.

Download on F-Droid, alternative store for Android AppStoreBientôt Download on Google Play Store Download on Apple AppStore

🔗Télécharger le fichier apk🔗(Android/Expert)

 

Vous pouvez également contribuer en signalant des bugs (dans l’application), en aidant au code (voici le dépôt git), et en traduisant l’interface. Ce dernier point est important : pour l’instant, l’application n’est disponible qu’en anglais et en français. Vos contributions linguistiques sont les bienvenues sur notre plateforme de traduction.

Évidemment, nous prévoyons de maintenir l’application, d’ajouter des traductions, de corriger les bogues et d’effectuer des mises à jour de sécurité lorsque cela est nécessaire : mais cela a un coût. Nous avons besoin de sécuriser le budget 2025 de Framasoft pour pérenniser le poste de Wicklow dans notre équipe (ce qui est une priorité pour nous). Notre campagne de dons est active en ce moment, vous pouvez apporter votre soutien ici (et merci !).

illustration où des animaux mascottes de projets framasoft rassemblent des ballons sur deux piquets au sol. Les ballons prennent la forme d'un 20 géant.
Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Le challenge : 20 000 dons de 20€ pour les 20 ans de Framasoft !

Framasoft est financé par vos dons ! Chaque tranche de 20 € que vous donnerez sera un nouveau ballon pour fêter 20 ans d’aventures et nous aider à continuer et à décoller pour une 21e année. Framasoft est un modèle de solidarité :

  • 8 000 donateurs en 2023 ;
  • plus de 2 millions de bénéficiaires chaque mois ;
  • votre don peut bénéficier à 249 autres personnes.

jauge de dons au 10 décembre 2024 à 84 817 €

À ce jour, nous avons collecté 84 217 € sur l’objectif de notre campagne. Il nous reste 21 jours pour convaincre nos amis et récolter suffisamment d’argent pour faire décoller Framasoft. Alors, défi relevé ?

🎈🎈 Participer à la 21e année de Framasoft 🎈🎈




Framamia : partageons des clés de compréhension de l’IA

Afin d’aider à démystifier le sujet de l’intelligence artificielle, Framasoft publie une première version du site Framamia. Définitions, enjeux, risques et questionnements : en partageant le savoir, nous espérons contribuer à reprendre le pouvoir sur ces technologies qui impactent nos sociétés. Et pour la mise en pratique, Framasoft publie en même temps l’application Lokas, que l’on présente ici.

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Furby est presque en âge de voter : toute une Histoire

Depuis deux-trois ans, « ✨ L’IA™✨© » semble être le nouveau fourre-tout-tech à la mode qui fait vibrer la silicon valley, se répand dans les appels à projets publics, et sera oublié tout aussi rapidement (qui se souvient des NFT…? Du web3…? Y’a quelqu’un…?).

Sauf que c’est plus compliqué que ça. À l’inverse des NFT et autres techno-lubies, l’intelligence artificielle est un domaine du numérique composé de nombreuses branches et disciplines (d’où l’impression de fourre tout).

Frise Chronologique de l'IA

Avec une histoire de plus de 70 ans, les expérimentations dans l’Intelligence artificielles sont déjà présentes dans nos quotidiens numériques. On peut imaginer Clippy (le trombone assistant numérique de Microsoft Office 97) comme l’ancêtre de Siri ou Alexa. Ou encore que les comportements de plus en plus réalistes des personnages de jeux vidéos sont l’héritage de DeepBlue (ordinateur qui bat le champion mondial Gary Kasparov aux échecs en 1997) ou des Furby (peluches parlantes créées en 1998)…

Photo d'un Furby
Cette peluche animatronique disposait de son propre langage et pouvait « apprendre » celui qu’on lui parlait.

Bref, notre histoire ne manque pas d’exemples pour montrer que les domaines de l’IA ont existé bien avant la popularisation des IA génératives comme Chat GPT et Dall-E (à explorer : ce poster, en anglais malheureusement, de la professeure de philosophie Danielle J. Williams).

 

Ni ✨magique✨, ni 😱apocalyptique😱… L’IA, c’est technique

Au delà de cette histoire, notre culture est remplie de mythes et clichés narratifs où la machine devient plus humaine que les humains. Du Golem à Wall-E, de HAL (2001, l’Odyssée de l’espace) à Skynet (Terminator), notre propension à vouloir humaniser des bouts de minéraux et impulsions électriques a inspiré bien des œuvres.

Présentes dans nos cultures et nos esprits, ces histoires jouent souvent sur la magie de la compassion, l’émerveillement de voir une création se doter d’empathie… ou sur le pêché de démiurgie, se prendre pour l’égal de Dieu en créant la vie, et déclencher ainsi une apocalypse vengeresse.

Gif tiré d'Edward aux mains d'argent, où un vieil homme place un biscuit en forme de cœur sur une machine de patisserie.
À l’origine, « Edward aux mains d’argents » est un robot à pâtisserie. – © 20th Century Fox / Tim Burton

Or les chantres des entreprises de l’IA générative jouent justement sur ces mythes de « l’IA Miraculeuse » (qui va résoudre le problème de l’urgence écologique, selon Éric Schmidt, ancien directeur de Google) ou de l’IA apocalyptique (qui risque de détruire l’humanité sans que l’on sache vraiment comment, à en croire Sam Altman, directeur d’OpenAI).

Présenter l’IA comme un unique personnage légendaire tour à tour salvateur et destructeur permet d’appuyer l’argument de laisser leurs entreprises faire le bien© sans entraves, et de réguler les autres (la concurrence) qui pourraient faire advenir le mal©.

L’IA c’est technique, donc politique

Or l’IA, c’est avant tout des technologies numériques. On parle de code développé par des humains, dirigés par d’autres humains, qui ont prit des décisions en fonction de leurs motivations et leurs idéologies.

Par exemple : vous ne créerez pas la même plateforme vidéo, vous n’y développerez pas les mêmes fonctionnalités si votre objectif est de faire croître le chiffre d’affaire de votre entreprise en exploitant les vidéastes et leur audience ; ou si votre but est de favoriser le partage du savoir et de la culture entre pairs. Les motivations sont différentes car les modèles idéologiques (le capitalisme de surveillance pour YouTube/Twitch, les communs numériques pour PeerTube) sont différents.

Un outil n’est pas neutre. Les outils numériques, complexes et organisant nos partages entre humains, sont donc éminemment politiques.

À Framasoft, nous fêtons les 10 ans de Dégooglisons Internet, dix années riches d’expériences et de leçons. Nous avons vu la généralisation des services en ligne. Cet internet de plateformes a sécurisé les monopoles des géants du web, qui sont devenus les hérauts et garants du capitalisme de surveillance.

Illustration « Quittons la planète GAFAM NATU BATX », CC BY David Revoy
Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Une des forces de ce système a été d’arriver à nous faire croire que l’outil numérique est neutre, qu’il est magique, que c’est très très très compliqué de nous l’expliquer, à nous pauvres consommateurs. Et puis de toutes façons, c’est de notre faute aussi : il a bien lu les conditions générales, elle a cliqué sur « tout accepter », iel reste libre de ne pas utiliser ces outils.

En individualisant la responsabilité sur des outils qu’il ne faut pas chercher à comprendre (de toutes façons ils sont neutres, qu’on vous dit !), il n’est plus possible de faire des choix collectifs sur la société que l’on désire.

Framamia, here we go again !

Voilà quelques années qu’à Framasoft, on se penche, on discute, on se trompe et on apprend sur le boom des intelligences artificielles. Les échanges sont nombreux, et nous partageons même une veille sur le sujet.

Aujourd’hui, Framasoft publie Framamia : un site où nous partageons des clés de compréhension sur l’intelligence artificielle, ainsi que des extraits de notre veille.

Vous y trouverez des définitions, des informations, des enjeux identifiés pour nos sociétés et notre environnement, et enfin des questionnements… Autant de bouts de savoirs que nous proposons pour que chacune et chacun puisse se construire un avis éclairé et le partager avec ses proches.

Partager la connaissance sur un sujet, c’est partager le pouvoir de l’appréhender individuellement et de l’influencer collectivement.

capture d'écran de l'entête du site framamia.org
Cliquer pour visiter le site Framamia.

Notez bien qu’il s’agit là d’un premier jet, d’une première tentative de partage autour des intelligences artificielles, et plus précisément des intelligences artificielles génératives qui se multiplient aujourd’hui.

Nous ne prétendons pas que Framamia est parfait, que les informations sont compréhensibles par une personne qui ne s’y connaît pas, ou que le site soit gravé dans le marbre. Nous espérons pouvoir améliorer cet outil informatif avec le temps.

Visiter Framamia Soutenir FramamIA et Framasoft

Jeter le Clippy avec l’eau (…K Google) du bain ?

Si l’histoire du numérique semble se répéter, nous avons envie de partager quelques leçons que nous en avons tirées. Nous espérons contribuer à sortir des clichés tels que « Le cloud L’IA c’est magique », « Google OpenAI est ton ami », « roh là là regarde c’est meugnon Siri CharacterAI a halluciné », « si tu utilises Amazon Dall-E c’est ta faute et je te juge… »

Pour le capitalisme de surveillance comme pour le capitalisme algorithmique, l’enjeu ne se situe pas sur tel ou tel outil, ni sur le choix de Camille Dupuis-Morizeau de l’utiliser ou le boycotter. L’enjeu est systémique : c’est celui du monde dans lequel nous voulons collectivement vivre, et comment les citoyennes peuvent collectivement reprendre le pouvoir de le choisir.

S’il semble impossible de poser, a posteriori, un moratoire sur les larges modèles de langage et les IA génératives, peut-on sortir ces outils du capitalisme algorithmique et les utiliser pour le bien commun ?

Mème Clippy « avez-vous besoin d'aide pour déclencher l'apocalypse ? »
« avez-vous besoin d’aide pour déclencher l’apocalypse ? »… merci Clippy.

On le sait : transcrire des voix en texte permet de rendre vidéos et podcasts accessibles aux personnes sourdes, ajouter une description textuelle des images que nous partageons sert aux personnes aveugles qui utilisent un lecteur d’écran.

Au delà de l’accessibilité, tout le monde ne maîtrise pas l’outil numérique : savoir formuler efficacement sa demande sur un moteur de recherche, écrire un objet d’email plus informatif et facile à retrouver que « Quelques nouvelles………… » Tout le monde n’est pas en capacité de s’adapter aux outils numériques. Pouvoir adapter les interfaces aux humains et à leurs langages naturels pourrait réduire la fracture numérique.

Encore faut-il peser les coûts (humains, techniques, écologiques) de tels projets, choisir collectivement si c’est ce que l’on désire et enfin s’en donner les moyens.

Expérimenter une IA des communs…? Voici Lokas !

La question « Pour ou contre l’IA ? » ressemble à un piège, un faux débat qui nous isole les unes des autres. À Framasoft, nous n’avons pas (souvent) de réponses, mais beaucoup de questions qui nous semblent bien plus enthousiasmantes.

Une IA des Communs est-elle possible ? A quoi ressemblerait-elle ? Est-ce seulement souhaitable ? Quels en seraient les compromis et les conséquences ? Pour travailler de telles questions, nous avons eu envie d’expérimenter.

En parallèle de FramamIA, Framasoft publie dès aujourd’hui Lokas. Lokas est une application mobile (Android et iOS) qui permet d’enregistrer une réunion, afin d’obtenir une transcription.

captures d'écran de l'application Lokas avec les trois étapes : enregistrement, édition du transcript, détail du temps de parole
Cliquez pour découvrir et obtenir Lokas

Attention, Lokas est un prototype : c’est une démo limitée, mais fonctionnelle.  Nous avions envie de voir quelle forme prendrait un outil fait par une association sans but lucratif, aux moyens limités, souhaitant être utile au bien commun, en transparence et en limitant l’impact.

Nous avons hâte d’avoir vos retours sur une telle démarche, afin de voir s’il faut s’avancer dans cette voie, ou conclure l’expérimentation.

Lire une présentation complète de Lokas sur le Framablog

Obtenir Lokas Soutenir Framasoft

 

Le défi : 20 000 fois 20 € de dons pour les 20 ans de Framasoft !

Framasoft est financée par vos dons ! Chaque tranche de 20 euros de dons sera un nouveau ballon pour célébrer 20 d’aventures et nous aider à continuer et décoller une 21e année.

Framasoft, c’est un modèle solidaire :

  • 8000 donatrices en 2023 ;
  • plus de 2 millions de bénéficiaires chaque mois ;
  • votre don (défiscalisable à 66 %) peut bénéficier à 249 autres personnes.

jauge de dons au 3 décembre 2024 à 58 625 €

À ce jour, nous avons collecté 58 625 € sur notre objectif de campagne. Il nous reste 29 jours pour convaincre les copaines et récolter de quoi faire décoller Framasoft.

Alors : défi relevé ?

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Zagreb, décembre 2023 : journal de bord de la quatrième visite d’études d’ECHO Network

Pour rappel, les participant⋅es à l’échange européen ECHO Network font partie de 7 organisations différentes dans 5 pays d’Europe : Ceméa France, Ceméa Federzione Italia, Ceméa Belgique, Willi Eichler Academy (Allemagne), Solidar Foundation (réseau européen), Centar Za Mirovne Studije (Croatie), Framasoft (France).

 

Compte-rendu de la semaine à Zagreb.

Click here to read the article in English.

Voyage, voyage

Comme pour chaque séjour ECHO, le premier jour fut réservé pour les trajets et retrouvailles sur place. Nous étions quatre personnes de Frama à faire le déplacement, Booteille, Numahell, Pascal et Yann. Et si les trois dernier·es firent cabine commune dans l’avion (en évitant —presque— d’avoir à gérer des bagages en soute), Booteille avait choisi de tenter le bus, pour plus de 18h, sans changement mais avec escales parmi lesquelles Toulon, Nice, Genova, Venise, Trieste, Lubjana et enfin Zagreb. Ce fut l’occasion pour lui de voir monter dans le bus nos comparses italiens à Venise.

Dans la soirée, nous tentions de retrouver les camarades des CEMÉA avec comme destination le nom d’un restaurant qui s’avéra être celui d’une chaîne ayant de nombreux établissements dans la ville. Cela nous permit de commencer à observer la ville, décorée pour Noël. L’ambiance était plutôt tranquille, même si un vent (d’hiver) festif parcourait les rues.

On a fini par retrouver l’équipe des CEMÉA dans un bar, situé face au fameux restaurant. Ce fut l’occasion de boire des p’tits coups en attendant l’heure du repas. Au restaurant, une grande partie des partenaires européen·es sont venu·es, offrant une belle opportunité pour prendre des nouvelles des personnes déjà rencontrées auparavant et de découvrir celles que l’on ne connaissait pas encore.

Cette première soirée (qui serait suivie de bien d’autres) fut l’occasion de constater un événement plutôt surprenant : ÇA FUME DANS LES BARS ! C’est horrible. Et si c’était très cool de passer du temps avec les autres membres du projet chaque soirée, chaque soir, rebelote : ça fumait dans les bars. Outre le côté irrespirable lorsque l’on est dans un lieu clos, il y avait cette odeur de clope présente sur nos vêtements (et dans les dreads des plus favorisés capillairement…) qui persistait jusque dans la chambre d’hôtel.

Le Center for Peace Studies

Le lendemain, la journée commençait au Human Rights House de Zagreb, dans le bâtiment où il figurent les locaux du Center for Peace Studies. On assista à une petite session d’introduction sur le séminaire, ainsi qu’une présentation des trois structures qui cohabitent au sein du lieu.

D’abord, nous avons eu quelques mots de plusieurs personnes alors que nous étions en groupe complet, puis nous nous séparâmes en trois petits groupes, où chaque entité nous présentait ses actions et à qui nous pouvions poser nos questions. Après une poignée de minutes, chaque groupe tournait pour rencontrer une nouvelle entité. Au final, cela a permis de faire connaissance avec :

  • la plateforme Dosta & Jemrznje qui aide à la gestion des discours en ligne de discrimination et de haine ;
  • l’organisation Documenta qui vise à créer du lien et de la documentation autour de la guerre, ainsi qu’à éduquer autour des questions anti-guerre ;
  • CROSOL qui est une plateforme de coopération internationale pour le développement et l’aide humanitaire

Concernant le Center for Peace Studies (CPS en anglais, CMS en croate), la structure est le fruit d’années d’évolution. Originairement c’était un projet de chantiers participatifs des années 90′, ayant pour objectif de construire des liens à travers le faire entre les habitant·es des pays balkans.

La culture du CPS est tournée autour des mouvements anti-guerres, anti-fascistes, inclusifs. Aujourd’hui, à travers de très nombreux modes d’actions, CPS cherche à promouvoir cette culture sur leur territoire. Il y a aussi un gros axe autour du droit à l’asile et sa protection. Et ce n’est qu’une partie des travaux réalisés par cette petite équipe, vous trouverez d’autres informations plus complètes ici : https://www.cms.hr/en/o-cms-u-tko-je-tko/cms

Après un repas fort sympathique sur place, nous prîmes les transports en commun pour rejoindre le centre-ville. Il faut signaler le bonheur de pouvoir se déplacer rapidement et efficacement dans toute la ville grâce au réseau très dense de tramways, avec des horaires si complets qu’on n’a jamais à s’en préoccuper, ils ne sont jamais bien loin !

 

Fascists! Fascists everywhere!

Nous avons rencontré un historien qui a passé l’après-midi à nous faire visiter différents quartiers de la ville afin d’en observer les lieux emblématiques du fascisme et de la résistance. L’histoire croate est plutôt méconnue dans nos contrées, et notre guide nous a partagé énormément d’informations sur le pays et son rapport au fascisme avec l’histoire, tout particulièrement durant et autour de la seconde guerre mondiale.

 

Il était très intéressant de parcourir les lieux, souvent peu éloignés, où se tenait le pouvoir et les opposants pendant les épisodes de guerre. On a pas mal plaisanté sur le fait qu’il semblait que chaque bâtiment du centre avait abrité à un moment ou un autre son contingent personnel de fascistes. Une cartographie a été créée afin de mutualiser et recenser les informations.

 

Malheureusement le temps n’était pas de la partie et avec le froid et la pluie, nous finîmes par nous rabattre dans un bar, au chaud, où notre guide continua de nous conter l’histoire autour d’un verre.

Si vis pacem para pacem

Le deuxième jour de séminaire, nous sommes retournés au Human Rights House. Différentes structures nous ont présenté leurs travaux autour de l’accès à l’éducation. Encore une fois, c’était très intense en terme d’informations.

 

Le CPS nous a notamment fait découvrir le concept de paix négative (absence de violence, peur de la violence) et positive (le fait de construire une société paisible). On y a aussi appris qu’en éducation formelle (#école), l’éducation civique en Croatie est désormais obligatoire. Cela part de la compréhension que l’éducation à la paix ne peut pas être un sujet individuel et qu’il y a besoin de le lier aux droits humains et d’autres enjeux de société.

 

Le CPS nous a partagé quelques principes d’éducation à la paix :

– encourager les participant·es à explorer les sujets de guerre et paix à travers différentes disciplines ;
– se concentrer non sur les expert·es en diplomatie mais sur les citoyen·nes et la société civile, notamment dans leur rôle pour construire un monde plus juste ;
– les études sur la paix sont basées sur des valeurs et il faut donc des objectifs académiques reconnaissant l’approche éthique de la paix et de la justice sociale ;
– il y a un besoin d’être transformatif, la société a besoin d’alternatives au status quo : la paix est le résultat de transformations radicales des valeurs, d’arrangements sociaux et de relations internationales. D’un point de vue de paix positive, l’objectif est donc de prévenir les guerres, d’aller vers de la justice sociale, du respect des droits humain·es et de combattre les oppressions et violences structurelles.

 

Flux migratoire et IA

Après la présentation du CPS, nous avons eu droit à la découverte des travaux d’un programme se concentrant sur la question migratoire.

 

Ces travaux se penchent notamment sur la création de liens avec les réfugié·es en Croatie, en cherchant à ouvrir des discussions sur les causes des migrations, leur place dans la société croate et la manière de s’empouvoirer.

On nous a partagé des lectures, des films et des musiques ayant pour objectifs de déconstruire nos a priori et de développer l’esprit critique.

 

Nous avons ensuite rencontré Ana Cuca en visio. Ana est une chercheuse qui, si nous avons bien compris, travaille à Mostar, en Bosnie-Herzégovine. Elle nous a exposé l’impact des pseudo-IAs sur les flux migratoires. La rencontre était très intéressante. Elle a abordé la manière dont l’Europe cherche à anticiper et prévenir les flux migratoires en utilisant massivement les pseudo-IA aux frontières.

 

Dans la catégorie des fausses bonnes idées, il y a le fait que des algorithmes de pseudo-IA sont utilisés pour les formulaires de demandes d’asile. Sauf que certains accents et certains dialectes ne sont pas reconnus par l’algorithme. Les personnes se retrouvent donc coincées à ne pas pouvoir effectuer leur demande, tout ça parce que l’algorithme a été conçu ainsi.

 

Ana nous a aussi parlé d’utilisations de la pseudo-IA qu’elle estime positives. Notamment à travers un projet d’analyse des flux migratoires pour essayer d’anticiper où il pourrait y avoir un besoin d’apport humanitaire en nourritures ou médicaments.

 

Nous vous invitons à lire sa présentation qui nous parut très intéressante.

Coders Without Borders

Enfin, ce sont Coders Without Borders qui ont clôturé les présentations avec leurs projets.

Ils et elles forment, avec l’aide de bénévoles, des réfugié·es sur différentes techniques numériques afin de les aider à trouver un emploi.

 

À la fin de leur présentation, nous avons soulevé la problématique suivante : « Est-ce que vous avez déjà songé et/ou entamé une migration vers des outils autres que Google dans les travaux avec les réfugié·es ? Je comprends l’idée d’acculturer sur des outils que tout le monde utilise et que le but est de réduire la fracture entre les réfugié·es et la société dans laquelle ils et elles cherchent à s’intégrer, mais je trouve dangereux, dans un contexte politique fascisant, de mettre du Google dans la main de personnes pour qui ça pourrait tôt ou tard nuire à leur vie. Si un gouvernement fasciste arrive en place, il serait très facile de trouver et cibler les personnes réfugiées et leur nuire. »

 

Nous avons alors échangé autour de cette question et de ses enjeux. Nous conclûmes que nous devons travailler sur une grille de diagnostic permettant aux structures de se poser certaines questions associées à des éléments de réponses vis-à-vis de leurs pratiques numériques.

 

La journée terminée, nous sommes ensuite allé⋅es au Human Rights Film Festival pour y voir The Old Oak. Dans ce film, on suit un tenancier de bar qui aide une famille de réfugié·es tout juste arrivée en ville, malgré les discours racistes de ses plus fidèles clients : les piliers de comptoir.

Des difficultés à payer dans les restos de Zagreb

Lors de nos rencontres ECHO Network, nous ne faisons pas que travailler : nous mangeons également. Cela nous a valu une petite anecdote que nous glissons ici.

 

Ce même soir, après le film, dans un restaurant, il nous a été énormément compliqué de payer « normalement ». En effet, les serveurs ne voulaient nous accepter dans le restaurant qu’à condition que nous ne payions pas séparément ! C’est en effet culturel à Zagreb : on ne paye pas séparément, même s’il y a des factures à faire. Et quand nous avons souhaité payer « par organisation », même refus de la part des serveurs.

 

Il nous a fallu finalement trouver un compromis en payant par pays, mais à condition qu’on s’asseye à nos tables en fonction de nos pays ! La scène nous a paru particulièrement surréaliste.

 

Un peu de paix (dans le monde et pour notre séjour)

Nous changeâmes de lieu pour la dernière journée. Nous nous sommes retrouvés au Community Center, dans une pièce avec quelques petits poufs. C’était très chouette de passer la matinée allongé·es au sol !

 

Nous y avons rencontré Paul, un sociologue et activiste anti-raciste. Il se considère comme un objet historique et est un conteur hors pair. Il nous conta comment Zagreb était à la pointe des communications numériques dans les années 90.

Il nous parla aussi du réseau ZaMir (un réseau pour les communications autour de la paix), qui était utilisé par des activistes pro-paix un peu partout dans le monde.

Écouter Paul nous fit vraiment du bien, merci à ses talents d’orateur. Après deux jours où nous étions sur des présentations très chargées d’informations — mais passionnantes, hein ! — celle de Paul était reposante à écouter. Cela donnait moins cette sensation d’être à l’école et à devoir rester concentré pour ne pas manquer une des nombreuses informations du cours.

Activisme et cybersurveillance

Après Paul, nous avons rencontré Tomislak Medak, qui nous a parlé de ses travaux autour de la librairie en ligne Memory of the World, mais aussi du projet Syllabus. Il s’agit d’un travail de recherche sur l’activisme en Europe qui tient compte du « care » et de la piraterie. Les yeux de Yann pétillaient lorsqu’il buvait les mots de Tomislak.

 

Nous avons mangé en petit groupe entre midi et deux puis nous nous sommes retrouvé·es pour la dernière après-midi, animée par les CÉMÉA France autour d’un atelier autour de la cybersurveillance.

 

Individuellement, nous devions répondre à la consigne suivante : « Selon vos connaissances et vos expériences, illustrez la cybersurveillance par le dessin ou l’écriture ». Après quoi nous avons fait des petits groupes avec lesquels nous avons échangé sur nos dessins respectifs, puis nous avons illustré notre définition commune. Ensuite, nous avons reproduit l’exercice en plus grands groupes. Enfin, nous devions partager nos idées en plénière.

 

Dans tout ça, l’idée du panoptique est revenu plusieurs fois. Nous avons aussi abordé le capitalisme de surveillance, le contrôle politique et policier, le fait que la surveillance pouvait aider à réguler des discours de haine en ligne. Nous avons aussi parlé de modération sur internet et des inégalités entre les invidividu·es dans leur connaissance de leurs droits dans l’espace numérique.

 

Cette session se conclut par un échange sur les alternatives à la cybersurveillance. Outre le fait de brûler le capitalisme qui est bien évidemment apparu — nous ne balancerons aucun nom —, des outils techniques ont été cités, tout comme la question de la régulation, de la décroissance (se désengager du numérique) et de l’éducation.

Le retour, en passant par le musée des relations amoureuses brisées

C’est sur cette dernière activité que nous terminions le séminaire en remerciant nos hôtes et en partageant nos retours. Nous avons trouvé les sujets et les structures rencontrées absolument passionnantes, mais la forme rendait le tout difficile à digérer. Bouteille en particulier a trouvé qu’il y avait énormément d’informations, sur une forme très verticale à laquelle il n’est plus habitué, ce qui a rendu la rencontre intense et fatigante pour lui.

 

 

Nous nous sommes finalement dit au revoir dans la nuit, après avoir fait la fermeture d’un bar apprécié par nos hôtes croates.

 

Alors que les autres rentraient le lendemain, Booteille devant attendre son bus de 18h, s’est retrouvé à visiter le musée des relations brisées avec Gabriela et Alexandra de Solidar.

Le musée est plein d’objets liés à des relations amoureuses brisées avec les petites histoires qui vont à côté. On passe par beaucoup d’émotions à travers cette petite exposition.

Au début, on lit des trucs un peu à la légère en rigolant, puis on lit telle histoire liée à la guerre, ou celle-ci liée à pas de chance, on s’amuse de cette relation brisée avec cette amoureuse de pizza qui malheureusement est désormais allergique au gluten. Puis on ouvre le livre d’or (immense), et là, franchement, on rit beaucoup en lisant la violence de certains messages. Le livre d’or a visiblement servi d’exutoire à beaucoup de personnes !

 

 

 




Un bénévolcamp pour faire ensemble

La vie associative n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Plus une association grandit et plus les relations sont nombreuses et deviennent complexes. Avec plus de 40 membres (environ 30 bénévoles et 11 salarié·es), réparti‧es un peu partout en France, Framasoft rencontre parfois des situations plus ou moins ardues qui méritent d’être discutées.

Pour la première fois depuis son existence, un bénévol’camp (entendez : une rencontre entre bénévoles) a été organisé sur un week-end d’octobre 2023 (du 27 au 30). D’autres rencontres annuelles existaient d’ores et déjà : des frama’camps où absolument tous·tes les membres se retrouvent, des salario’camps réservés uniquement aux… salarié·es. Il s’agissait donc de la première occasion pour les bénévoles de se retrouver uniquement entre elleux.

L’objectif de cette rencontre était de permettre aux membres de travailler le projet associatif et de tisser des liens. Nous vous racontons ici cette histoire, en espérant que cela puisse vous inspirer mais également pour vous montrer les coulisses extrêmement glamours d’une association comme Framasoft.

Comment on organise un bénévolcamp ?

Côté logistique, ça prend du temps d’organiser un événement pareil. Comment ça marche ?

  • il faut trouver le lieu adéquat pour recevoir du monde : alors pas trop loin d’une gare, pour que celleux qui prennent le train puissent venir facilement, au centre de tous nos lieux d’habitation afin de minimiser les coûts du voyage, dans une maison avec assez de chambres pour nous accueillir (et puis si possible d’avoir une piscine à balles, un jacuzzi et une salle de cinéma ce serait parfait, merci par avance :o)(bien sûr, cette parenthèse n’est que fadaises)).
  • acheter les billets de trains et subir les frasques de la SNCF (une petite pensée pour ce bénévole qui a eu une demi journée de retard à l’aller, et une autre au retour :’))
  • prévoir les courses alimentaires et les tours de préparations culinaires : qui mange quoi ? comment on trouve des repas qui conviennent à tout le monde ? La solution la plus facile : des bonnes recettes végés ou végans pour tout le monde. En plus de simplifier la gestion des régimes de chacun, c’est aussi bon pour la planète et le portefeuille. Qui prépare quoi ? Comment on fait pour que ce ne soit pas toujours les mêmes qui s’occupent des repas, et en particulier pas toujours les meufs ?
  • proposer en amont des idées pour des ateliers, afin que chacun·e puisse commencer à réfléchir de son côté sur les sujets en question.

Humainement, c’est toujours magique de voir des personnes vivre ensemble, s’auto-gérer, s’organiser et discuter, voire rire avec autant de joie et d’humour. Le vendredi soir a donc été consacré aux premières retrouvailles et comme l’a écrit notre ami Booteille dans un compte-rendu interne, « c’était très chouette de revoir les bouilles de toutes les personnes présentes ! » 🥰

En tout, une vingtaine de personnes y sont passées !

De quoi on parle pendant un Bénévolcamp ?

Le samedi matin a été plus studieux. Comme lors de la plupart de nos réunions, nous avons ouvert le week-end par un forum ouvert. C’est une méthode d’organisation qui permet de co-construire le programme ensemble. Chacun·e écrit sur des post-it les propositions des ateliers/discussions qu’iel voudrait animer, ou auquels iel voudrait participer.  Ces post-its sont ensuite placés sur un tableau (avec salles et horaires). N’étant pas trop nombreux, nous avons pu éviter de mener trop d’ateliers en parallèle, ce qui aurait tendance à générer des frustrations (« je veux aller à cet atelier ! mais en même temps il y a cet atelier qui a l’air trop bien ! »).

Et là, vous vous demandez quels sujets ont été abordés? De quoi des bénévoles de Framasoft peuvent bien discuter quand iels se retrouvent? Du TURFU 1 bien sûr!!

La journée de samedi a donc commencé par un atelier proposé par Gee, sur le vieillissement de l’asso‘. Puisque le nombre de rides des membres de Framasoft augmente, il s’interrogeait sur ce que cela impliquait dans l’asso, notamment en termes de diversité et de représentation. Est-ce que Framasoft devrait communiquer sur Tiktok, plateforme plebiscitée par notre jeunesse ? Doit-on guillotiner les membres présent·es depuis plus de X années, pour éviter l’encrâssement ? (Non.) Question Philosophie Magazine : la jeunesse est-elle une caractéristique physique ou une manière d’être au monde ? S’en sont suivies de nombreuses propositions intéressantes parfois radicales, souvent humoristiques et dédramatisantes, transmises au reste de l’asso par la suite.

L’atelier d’après, c’est notre cher Yann qui l’anima. Il voulait discuter du bénévolat valorisé et de la réactance qu’il découvrait vis-à-vis de ce sujet (y compris de sa part). Si vous ne savez pas ce dont il s’agit : chaque association demande à ses bénévoles de l’informer du temps consacré à faire des actions afin de leur attribuer une valeur financière estimée. Ce montant est pris en compte dans le bilan chaque année et peut permettre de faire valoir l’implication bénévole afin de récupérer des subventions, par exemple. C’est assez contraignant pour certain·es, valorisant pour d’autres. Cela implique aussi de penser son investissement associatif sous un angle qui peut être déplaisant, car ressortissant d’une logique que l’on souhaiterait peut-être exclure d’une structure non capitaliste. Une proposition simple a été évoquée mais pas adoptée : et si chacun⋅e se contentait d’indiquer le même volume horaire mensuel, sans mesurer exactement son implication bénévole ? La question reste donc en suspens, mais ça va très bien, nous n’étions pas à la recherche d’une solution mais d’une discussion.

Pendant que certaines personnes s’attelaient à satisfaire les estomacs gargantuesques, d’autres ont commencé, sous l’impulsion de Maiwann, à créer Framalove, un site qui vous veut du bien !

L’idée était de récupérer les commentaires à connotation positive du questionnaire de satisfaction, les remerciements, les messages d’amour et de vœux de continuation, et d’en faire un site qui en afficherait un de manière aléatoire sur une page statique. Bah oui, c’est bien de s’auto-congratuler de temps en temps 🙃. Il a fallu re-trier des milliers de commentaires déjà pré-triés l’année dernière. Mais ça valait le coup ! Vous découvrirez cela bientôt… un jour… Spoil: Peut-être pendant la prochaine fête de l’amour ? 😏

Chez Framasoft, la question du soin (« care » en anglais) est centrale. Si l’on veut pouvoir apporter ce soin au monde extérieur, encore faut-il se sentir intrinsèquement bien, sain, autonome, et puissant. Comment une gourde vide pourrait-elle épancher la soif ?

Après le repas, nous avons eu le plaisir de rencontrer Syst, ex-membre de La Quadrature Du Net, qui s’est proposé pour faire passer des entretiens individuels aux bénévoles. Un bon moyen de continuer le travail enclenché autour du soin des membres. Nous allons enfin savoir « Quel est l’objectif des membres de Framasoft ? », même si on s’en doute un peu : dominer le monde gnark gnark gnark gnark !!!

Yann a ensuite repris les ateliers en nous proposant de partager nos références culturelles. Livres, films, podcasts… C’est toujours un moment enrichissant, en plus des œuvres que l’on découvre on en apprend un peu plus sur les gens également. Chacun·e partageant ses coups de cœur, ses muses, ses inspirations.

Pour les livres, parmi les tas apportés, surnageaient quelques ouvrages de Bernard Stiegler, dont « Aimer, s’aimer, nous aimer », l’essai de Federico Zappino « Communisme queer », le pavé de Pierre Dardot et Christian Laval « Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle », la synthèse d’Alfred Korzybski « Une carte n’est pas le territoire », les excellents romans graphiques d’Alessandro Pignocchi ou les mémoires d’Usamah Ibn Munqidh « The book of Contemplation ».

Le dernier atelier était plutôt une discussion, hors « Frama », entre bénévoles qui réfléchissent au sens dans leur travail salarié (hors Framasoft, donc, puisque nous étions entre bénévoles), et dont certain⋅es ont choisi de se mettre à leur compte dans le monde du travail. Nous avons appelé ce groupe Framacoop, même si en pratique il n’y aurait pas nécessairement de lien avec Framasoft ou de projet de coopérative dans l’immédiat 🙂.

Lorsqu’on agit au sein d’une association pour lutter contre le capitalisme de surveillance, où l’on parle d’émancipation vis à vis du numérique et d’imaginaires désirables, il n’est pas étonnant de se poser la question du sens de son travail dans notre propre vie professionnelle, et l’envie d’aller explorer d’autres horizons, choisir de participer ou non à cette société que l’on souhaite changer. Certain⋅es d’entre nous peuvent rencontrer des situations difficiles dans leur travail.

Nous essayons de parler de nos situations et trajectoires pro dès que nous nous rencontrons lors de cet atelier dédié, cela amène un soutien entre bénévoles sur ce plan plutôt bénéfique, avec des échanges de conseils et de perspectives vers lesquelles se projeter, et nous aide à voir le chemin parcouru personnellement. Si le sujet vous parle, nous vous conseillons vivement d’aller consulter le site « On se lève et on se casse » réalisé par Maiwann et l’association l’Échappée Belle, dont elle fait partie, et qui nous a été utile lors d’un précédent atelier sur le sujet 🙂

La journée s’est terminée autour de crêpes, d’eau pétillante, d’alcool (avec toujours cette bonne amie « modération ») et de vilains noms de GAFAMs. Oui oui, les noms des vilains monstres de notre dernière campagne ont été inspirés en partie de cet atelier, pour le meilleur comme pour le pire ; on vous laissera imaginer la quantité de noms qu’on a dû auto-censurer pour des raisons de décence. C’est souvent le soir et sous l’effet magique de la fée Absinthe que l’on trouve des noms amusants pour des sujets un peu trop sérieux…

Échange entre trois bénévoles

Le lendemain, on a ré-attaqué avec la présentation des mini-sites de Framalibre. Voir un projet avancer et pouvoir y contribuer était enthousiasmant ! C’était l’occasion d’un test utilisateur·ice, pour voir à quel point il était facile de créer un tel mini-site. Depuis, tout est sorti et disponible pour vous également !

Nous avons ensuite eu une discussion sur les pratiques pour protéger son intimité numérique dans un milieu militant. Quand on a effectué des actions militantes et que l’on soupçonne être sous surveillance (policière notamment), comment éviter que cette surveillance ne nous affecte trop, et ne se propage aux autres autour de soi ? Bien sûr, évaluer la menace est important mais avant tout, il faut éviter la paranoïa car elle nous empêche souvent d’agir. Nous pouvons mettre en place quelques mesures au quotidien, simplement pour en prendre l’habitude et se les approprier, sans pour autant multiplier les outils.

À 11h30, Maiwann nous a proposé l’atelier FramaJOIE. Il nous a servi à mieux comprendre le rapport à notre énergie, nos besoins et nos émotions vis-à-vis de Framasoft. Un outil très intéressant que nous avons utilisé est le cercle des émotions (parfois également appelé Roue de Plutchik). Cela nous a permis de mettre des mots sur les émotions (positives comme négatives) que l’on peut ressentir quand on agit au sein de l’association. Cela peut paraître anodin, mais l’on apprend rarement à identifier clairement ces émotions et avoir une liste de mots devant les yeux peut aider à identifier nos ressentis, en étant beaucoup plus précis que «Moi ça va ! ». Par exemple, plusieurs d’entre nous ont pu partager l’impatience qu’iels ressentaient à l’approche d’un évènement où l’on se retrouve physiquement. D’autres, la frustration et la fatigue de se sentir seul⋅es dans certaines actions menées au sein de l’association. Ce fut un atelier important pour mieux comprendre sa relation à l’association, mais aussi pour écouter ce que les autres pouvaient ressentir de leur côté, toujours dans l’optique de mieux se comprendre, interagir et faciliter les projets communs.

En début d’après midi, était organisé un atelier pour redéfinir la liste des attendus des bénévoles. Nous avons dû commencer par définir des objectifs (trois c’est bien) :

  • Expliciter synthétiquement ce que signifie être bénévole chez Framasoft
  • Proposer un cadre qui se veut rassurant quant à la légitimité à pouvoir agir en tant que bénévole
  • Exprimer ces attendus de manière non-autoritaire

Sur cette base, nous avons pris le temps de remettre au propre une page de notre wiki interne pour documenter :

  • les actions possibles au sein de l’association (par exemple lire ses mails, participer aux discussions et aux projets)
  • les intentions qu’on peut y mettre (comme d’avoir envie de faire certaines choses en fonction de son énergie)
  • et les « pouvoirs » que cela nous confère (par exemple, être accompagné‧e par un parrain ou une marraine, s’exprimer au nom de l’association)

Et puis après… après c’étaient les départs de certain·es. On a aussi fait des jeux de société qui font s’interroger sur la place, le rôle et les possibilités d’action des personnes. Nous avons bien rigolé en jouant par exemple à « Moi c’est madame » ou « Can you » (liens non sponsorisés, on en parle uniquement par amour).

Comme à chaque fois, le dernier soir s’achève sur une énergie plus tranquille, avec de beaux échanges, personnels, durant le dernier repas et après.

En conclusion, ce week-end a permis de réfléchir ensemble, comme d’habitude, mais aussi de faire ensemble. De mieux se connaître, de rappeler et affermir les objectifs de l’association, pourquoi nous sommes là, ce qui nous lie.

Nous avons l’intime conviction que chaque association devrait, de temps en temps, prendre un moment pour se poser, s’interroger, se remettre en question et surtout prendre soin de ses bénévoles.

Ce weekend a offert un temps commun pour les bénévoles ; un temps nécessaire pour prendre conscience de nos possibilités d’action communes, et des difficultés que nous pouvons rencontrer chacun et chacune de manière similaire. Parce qu’une association, c’est avant tout un groupe de vraies personnes vivantes, différentes les unes des autres, mais qui partagent des buts et des envies qu’iels ont en commun. On sait bien que la route est longue et que la voie est libre, depuis vingt ans maintenant, mais on sait aussi que le chemin sera bien plus agréable en bonne compagnie !




Application mobile, redesign, second développeur, promotion… construisons un avenir radieux pour PeerTube !

Développer une alternative éthique et émancipatrice à YouTube, Twitch ou Vimeo sans les moyens du capitalisme de surveillance est une entreprise gigantesque. Surtout pour une petite association française à but non lucratif qui gère déjà plusieurs projets de promotion des biens communs numériques.

🦆 VS 😈 : Reprenons du terrain aux géants du web !

Grâce à vos dons (défiscalisables à 66 %), l’association Framasoft agit pour faire avancer le web éthique et convivial. Retrouvez un résumé de nos avancées en 2023 sur le site Soutenir Framasoft.

➡️ Lire la série d’articles de cette campagne (nov. – déc. 2023)

 

Cela fait six ans que nous développons PeerTube. Deux semaines après la sortie de la sixième version du logiciel, prenons un peu de recul sur ces six années de travail, examinons l’immense opportunité que représente la période actuelle pour PeerTube, et regardons ce que nous comptons faire l’année prochaine pour préparer son succès… si vous nous donnez les moyens d’y arriver !

Illustration de Yetube, un monstre de type Yéti avec le logo de YouTube Premium.
Cliquez pour soutenir Framasoft et repousser le Yetube – Illustration CC-By David Revoy

 

Pas un rival, juste une alternative

Le constat qui nous a amenés à développer PeerTube est que personne ne peut rivaliser avec YouTube ou Twitch. Vous auriez besoin de l’argent de Google, des fermes de serveurs d’Amazon… Par-dessus tout, vous auriez besoin de la cupidité nécessaire pour exploiter des millions de créateurs et de vidéastes, les préparer à formater leur contenu en fonction de vos besoins, et les nourrir des miettes de la richesse que vous gagnez en transformant leur audience en bétail de données.

Les plateformes vidéo centralisées et monopolistiques ne peuvent être maintenues que par le capitalisme de surveillance.

Nous voulions que les petits groupes tels que les institutions, les éducateurs, les communautés, les artistes, les citoyens, etc. aient les moyens de s’émanciper des plateformes de Big Tech, sans se perdre dans le World Wide Web. Nous avions besoin de développer pour démocratiser l’hébergement vidéo, il fallait donc le concevoir avec des valeurs radicalement différentes à l’esprit.

Et c’est ce que nous avons fait. Nous construisons PeerTube pour donner du pouvoir aux gens, et non aux bases de données ou aux actionnaires.

Aujourd’hui, PeerTube est :

  • un logiciel libre (transparence, protection contre les monopoles)
  • vous pouvez l’héberger sur votre serveur (self-hosting, autonomie, empowerment)
  • de créer votre plateforme vidéo et de diffusion en direct, avec vos propres règles (création d’une communauté, autogestion)
  • qui vous permet de vous fédérer (ou non !) à d’autres plateformes PeerTube via le protocole ActivityPub (fédération, réseau, diffusion)
  • qui ajoute le streaming pair-à-pair (optionnel) au streaming classique afin qu’il puisse résister à l’abondance (résilience, partage, décentralisation)
  • où les serveurs les plus puissants peuvent aider les moins chanceux grâce à la redondance (solidarité, résilience)
  • qui peut stocker des vidéos en externe grâce au stockage S3 (adaptabilité, rentabilité)
  • qui peut déporter sur un serveur dédié les tâches gourmandes en ressources processeur telles que le transcodage vidéo ou en direct (efficacité, résilience, durabilité)

Donc non : PeerTube n’est pas et ne sera pas un rival de YouTube ou de Twitch. PeerTube est alimenté par d’autres valeurs que celles codées dans les écosystèmes de Google et d’Amazon. PeerTube est une alternative, et c’est exactement pour cela que c’est si excitant.

 

Dessin de Sepia, læ poulpe mascotte de PeerTube. Iel porte une cape de super héros, avec le sigle "6" sur son torse.
Cliquez pour soutenir Sepia – illustration David Revoy – Licence : CC-By 4.0

PeerTube est un logiciel : 6 ans de développements

Au cours des six dernières années, avec plus de 275 000 lignes de code, nous avons obtenu :

  • D’une preuve de concept à une plateforme vidéo fédérée pleinement opérationnelle avec diffusion paire-à-paire, complète avec sous-titres, redondance, importation de vidéos, outils de recherche et localisation (PeerTube v1, oct. 2018)
  • Des notifications, des listes de lecture, un système de plugins, des outils de modération, des outils de fédération, un meilleur lecteur vidéo, un site web de présentation et un index des instances (PeerTube v2, nov. 2019)
  • D’un outil de recherche fédérée (et un moteur de recherche https://sepiasearch.org), plus d’outils de modération, beaucoup d’améliorations du code, une refonte de l’UX, et enfin : diffusion en direct en pair-à-pair (PeerTube v3, Jan. 2021)
  • L’amélioration du transcodage, de la personnalisation de la page d’accueil des chaînes et des instances, recherche améliorée, lecteur vidéo encore plus performant, filtrage des vidéos sur les pages, outils d’administration et de modération avancés, nouvel outil de gestion des vidéos, et une grande session de nettoyage du code (PeerTube v4, déc. 2021)
  • Un outil d’édition vidéo, un affichage amélioré des statistiques et des mesures vidéo, une fonction de relecture pour les diffusions en direct permanentes, des paramètres de latence pour les lives, un lecteur vidéo amélioré (pour les écrans mobiles), un système de plugins plus puissant, davantage d’options de personnalisation, davantage d’options de filtrage vidéo, un nouvel outil convivial pour proposer des idées et un site web de présentation renouvelé (PeerTube v5, déc. 2022)
  • La modération des demandes de compte, un bouton de retour au direct, transcodage à distance (pour déporter la tâche gourmande en CPU sur un serveur dédié). Storyboard (prévisualisation dans la barre de progression), chapitres vidéo, accessibilité améliorée, téléversement d’une nouvelle version d’une vidéo, et vidéos protégées par un mot de passe. (PeerTube v6, Nov. 2023)

Et ce n’est que la partie développement logiciel de PeerTube. Pour soutenir et promouvoir ce logiciel, nous avons dû construire tout un écosystème.

PeerTube est aussi un écosystème

PeerTube, aujourd’hui, est aussi une communauté de développeur·euses. Sur la forge du projet (espace en ligne pour contribuer aux développements), nous avons eu plus de 400 contributeurs et contributrices, 4 300 problèmes (fonctionnalités et demandes de support) fermés en 6 ans et 500 toujours ouverts, et 12 400 contributions intégrées en amont.

Comme tout le monde ne peut pas se familiariser avec plus de 275 000 lignes de code, un moyen facile de contribuer à PeerTube est de développer des plugins : il y en a des centaines ! Parmi eux, il y a le chat en direct (pour obtenir un chat pendant les diffusions en direct), des plugins pour s’authentifier auprès de plateformes d’authentification externes, des annotations à ajouter dans le lecteur vidéo, un plugin de transcription pour créer automatiquement des sous-titres pour vos vidéos ou encore des plugins pour ajouter de la monétisation aux vidéos de PeerTube.

Les contributeurs et contributrices ont également aidé en traduisant PeerTube dans plus de 36 langues (rejoignez-les ici), en fournissant des réponses sur notre forum, en mettant à jour notre documentation officielle, ou en partageant des idées sur notre outil de demandes améliorations PeerTube (en anglais).

Il y a maintenant plus d’un millier de plateformes PeerTube dans le monde (à notre connaissance ^^), hébergeant près d’un million de vidéos. Nous avons créé un index d’instances qui alimente SepiaSearch, notre moteur de recherche pour les vidéos, chaînes et listes de lecture PeerTube. Nous le modérons selon nos termes et conditions, mais chacun⋅e est libre d’utiliser le code que nous développons pour créer son propre index et son propre moteur de recherche.

Heureusement, d’autres personnes travaillent à la promotion et à la modération du contenu de PeerTube, en créant des annuaires, des fils de recommandations (en anglais), des outils de modération, des extensions Firefox, et toutes sortes de contenus étonnants.

Nous promouvons PeerTube avec un site officiel Joinpeertube.org, où les dernières nouvelles sont partagées sur le blog et la newsletter. Il y a également un compte Mastodon (et un compte – presque abandonné – sur Twitter). Nous passons également de nombreuses heures à discuter avec les médias, les chercheuses, les innovateurs, les communautés, les contributeurs et contributrices, etc.

Combattre les dragons avec des cure-dents

Alors, comment estimer le coût de ces 6 années de travail ? Doit-on considérer uniquement le temps de développement et la gestion de la communauté de développement (problèmes, revue de code, support) ?

Faut-il aussi compter le travail effectué sur les articles de blog, les illustrations et le matériel de promotion, l’établissement des feuilles de route, le travail avec les designers, l’échange d’expérience avec les chercheur·euses, les vidéastes, et les projets étonnants, dont certains que nous avons soutenus financièrement ? Qu’en est-il du temps consacré à la modération de notre moteur de recherche ou à la lutte contre les spammeurs sur notre outil de proposition ?

Même si nous ne pouvons pas préciser le budget exact que Framasoft a consacré à PeerTube depuis 2017, notre estimation prudente se situerait autour de 500 000 €. Sur six ans. Comme nous avons obtenu deux subventions de la Commission européenne (via les programmes NGI0 Search & Discovery et Entrust) pour un total de 132 000 €, cela signifie que 73,6 % du budget de PeerTube provient de dons.

Maintenant, surestimons le coût de PeerTube à 600 000 € sur 6 ans, pour nous assurer que nous avons couvert toutes les dépenses.

Même dans ce cas, le coût total de PeerTube représenterait 22 millionièmes (0,0022 %) des recettes publicitaires de YouTube l’année dernière. Oui, nous avons fait le calcul.

(source – 29.243 B USD // 632 853 USD)

Nous nous battons – au sens figuré – contre des dragons avec des cure-dents. C’est pourquoi nous pensons que PeerTube ne peut pas rivaliser et ne rivalisera pas avec YouTube ni avec Twitch (et encore moins avec TikTok qui présente une toute autre expérience).

Mais, en tant qu’alternative, PeerTube est déjà un succès.

Dessin dans le style d'un jeu vidéo de combat, où s'affronte le poulpe de PeerTube et le monstre de YouTube, Twitch et Viméo.
Cliquez pour soutenir Sepia contre le Videoraptor – illustration David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Un succès à nos yeux

Aujourd’hui, nous connaissons plus de 1000 instances (serveurs sur lesquels PeerTube est installé et fonctionne), partageant près d’un million de vidéos.

N’étant pas limité par la mécanique de captation d’un modèle basé sur la publicité et l’attention, PeerTube offre des fonctionnalités qui ne sont pas disponibles chez les géants de la technologie :

  • compatibilité avec d’autres outils sociaux via ActivityPub (Imaginez que vous puissiez tweeter un commentaire sur une vidéo YouTube : avec Mastodon et PeerTube, c’est possible)
  • partager une vidéo d’un timecode de départ à un timecode d’arrêt (YouTube nous a rattrapés, depuis)
  • un accès chronologique ininterrompu à votre flux d’abonnements (pas besoin de « cliquer sur la cloche » en plus de l’abonnement)
  • vidéos protégées par un mot de passe (indisponibles sur YouTube, payantes sur Vimeo)
  • remplacer une vidéo par une version actualisée

Nous avions l’intention de créer PeerTube spécifiquement pour les personnes qui ont besoin (et veulent) partager leurs vidéos en dehors du modèle du capitalisme de surveillance. Il est évident que nous connaissons tous⋅tes (et apprécions) certains vidéastes Youtube et Twitch, mais iels ne représentent que la partie visible de l’iceberg du partage de vidéos en ligne.

Les institutions, les éducateurs, les médias indépendants, les citoyens et même les créateurs devraient avoir la liberté de partager des vidéos en ligne sans contribuer au monopole d’une entreprise, sans avoir à accepter des publicités forcées ou sans sacrifier les données et la vie privée de leur public. La bonne nouvelle, c’est que certains d’entre eux ont déjà trouvé cette liberté, et nous en sommes fiers :

    • Institutions
    • Education
    • Médias indépendants
      • Blast (Média en ligne français indépendant de gauche)
      • Howlround (Theater Commons media situé à l’Emerson College, Boston)
    • Citoyens et citoyennes
      • Urbanists.video (vidéos sur les lieux où l’on peut marcher et vivre)
      • S2S (espace sécurisé pour les personnes sourdes et malentendantes, vidéos sur la langue des signes française)
      • Live it live (concerts de musique en direct)
    • Créateurs et créatrices
      • Skeptikon (collectif français, vidéos sur l’esprit critique et le scepticisme)
      • TILvids (TIL = Today I Learned (aujourd’hui j’ai appris), vidéos ludo-éducatives en anglais, avec miroir autorisé et officiel de YouTube)
      • Bunseed (initiative française, alternative à Patreon basée sur le logiciel libre, par et pour les créateurs, basée sur PeerTube)

Nous voulons tirer parti de la reconnaissance dont jouit PeerTube, c’est pourquoi nous avons prévu beaucoup de travail pour 2024 !

La feuille de route de PeerTube vers la v7, en 2024

Les fonctionnalités que nous avons prévues pour la prochaine année de développement de PeerTube ont toutes le même objectif : faciliter l’adoption en améliorant la facilité d’utilisation de plusieurs façons. Comme pour la version 6, la plupart de ces fonctionnalités ont été choisies à partir des idées que vous avez partagées et pour lesquelles vous avez voté sur notre outil de proposition.

Nous prévoyons de :

  • Ajouter un système d’export/import des données d’un compte (avec ou sans fichiers vidéo), afin que les utilisateurs et utiliastrices puissent facilement changer d’instance.
  • Réaliser un audit d’accessibilité complet, afin de faciliter l’utilisation pour les personnes ayant des besoins spécifiques, et compléter le travail effectué cette année (voir la version 6). S’il nous reste du temps pour intégrer les recommandations du rapport, nous verrons si et comment nous pourrions ajouter la transcription de l’audio en texte.
  • Ajouter un outil de modération des commentaires utilisable à la fois par les administratrices d’instances et les vidéastes.
  • Créer un nouvel outil de modération pour trier le contenu en fonction de listes de mots-clés prédéfinies (« mots-clés de l’extrême droite en allemand », « injures queerphobes en anglais », etc.). Cet outil présentera les contenus correspondants aux administrateurs et modératrices des instances, qui détermineront alors s’ils correspondent à leur politique de modération.
  • Organiser la séparation (technique) des flux audio et vidéo. Cette amélioration permettra, à l’avenir, de développer et d’obtenir des vidéos à pistes audio multiples (par exemple, en plusieurs langues), ou des vidéos à pistes multiples avec le même flux audio (par exemple, sous plusieurs angles).
  • Ajouter une nouvelle résolution « audio » (dans le menu « 720p », « 1080p », etc.) pour notre lecteur HLS. Cela permettra aux utilisatrices de ne recevoir que la piste audio, améliorant ainsi la durabilité lorsqu’ils veulent seulement écouter une vidéo et regarder d’autres onglets.
  • Repenser la caractérisation du contenu sensible. À l’heure actuelle, vous ne pouvez étiqueter les vidéos que comme « Safe for work » / « Not Safe For Work ». Or, le terme « contenu sensible » peut recouvrir de nombreux cas : violence, nudité, jurons, etc. Nous travaillerons avec des designers pour réfléchir à la manière appropriée de catégoriser et de traiter ces cas.
  • Réorganiser l’espace de gestion des vidéos. Nous avons ajouté beaucoup de nouvelles fonctionnalités au fil des ans (direct et rediffusion, studio d’édition de vidéo, etc.)… c’est bien, mais les onglets et les menus se sont accumulés. Nous travaillerons avec des designers pour repenser le système de A à Z et le rendre plus facile à utiliser.
  • Procéder à un examen complet et mettre en œuvre une refonte de l’expérience et de l’interface de PeerTube. Même si nous avons reçu beaucoup d’aide en cours de route, PeerTube n’a pas bénéficié d’un suivi en design dès le départ. Nous voulons considérer ce chantier comme une remise à plat, où tout (même la couleur orange ?) peut être remis en question, si cela aide à l’adoption et à la facilité d’utilisation.

 

Illustration de Videoraptor, un monstre insectoïde dont les trois têtes sont ornées des logos de YouTube, Viméo et Twitch

Aidez-nous à repousser le Videoraptor – Illustration CC-By David Revoy

 

Doubler l’équipe de développement pour plus de résilience…

D’accord, quand on passe d’un à deux développeurs, c’est facile de « doubler »… mais c’était quand même une grande question pour nous.

D’abord parce que Framasoft est une association à but non lucratif financée principalement par des dons. Jusqu’à présent, nous avons eu l’honneur et le privilège d’obtenir suffisamment de soutien pour financer nos dépenses, la principale étant de rémunérer nos 10 employé·es. Mais les modèles économiques basés sur les dons sont, par définition, hautement imprévisibles. C’est particulièrement vrai dans une économie où l’inflation, les coûts de l’énergie, etc. poussent la plupart de nos donateurs et donatrices à revoir leur budget.

Une autre raison réside dans nos valeurs fondamentales : nous croyons à la décentralisation et aux réseaux de petites actrices (plutôt qu’à la croissance des géants et des monopoles). Nous pensons également que donner la priorité à l’humain et au soin implique de rester dans une petite équipe à taille humaine, où nous nous connaissons vraiment les uns les autres.

Or nous pensons que la manière dont nous avons appliqué ces valeurs dans notre association est une des clés de l’efficacité, de la créativité et des talents exprimés par nos membres (bénévoles et employé·es). C’est pourquoi nous avons travaillé à limiter la croissance de Framasoft, en nous fixant une limite symbolique de « dix salarié⋅es maximum ».

Au cours des années 2022 et 2023, ce sujet a fait l’objet de nombreuses discussions au sein de Framasoft. D’une part, on ne peut pas continuer à développer PeerTube avec un seul développeur (même si c’est un développeur aussi talentueux que Chocobozzz), qui peut gagner au loto, partir, ou tout simplement changer de carrière. D’autre part, si nous embauchions un deuxième développeur, quel serait son profil ? Comment pouvons-nous nous assurer qu’elle s’intégrera ? Pouvons-nous lui assurer un emploi durable ?

Fin 2022, Chocobozzz nous a demandé de publier une offre de stage. Il s’agissait à la fois de tester si, après 5 ans de développement en solo sur PeerTube, le travail en équipe lui revenait facilement (c’est le cas) ; mais aussi de former quelqu’un au code de PeerTube, de voir comment il peut être appréhendé par une nouvelle personne, et comment améliorer sa documentation.

Wicklow nous a rejoint pour un stage entre février et août 2023, et a produit la fonctionnalité de protection de vidéos par mot de passe, publiée dans la version 6 de PeerTube. Nous n’avions pas prévu de l’embaucher : nous avions alors d’autres profils en tête, et pensions ne pas pouvoir lancer un processus d’embauche avant 2024. Nous le lui avons dit expressément, pour ne pas lui donner de faux espoirs… Mais au même moment où nous apprenions pouvoir bénéficier d’une extension de bourse du programme NGI0, nous avons réalisé qu’il s’intégrait parfaitement au projet, à l’équipe et à notre association.

Bref : nous avons embauché Wicklow en septembre 2023, alors qu’il venait d’obtenir son diplôme, pour un contrat d’un an (que nous espérons pérenniser avec votre soutien !).

…et pour créer une application mobile iOS/Android !

Cette nouvelle embauche a deux objectifs. Tout d’abord, nous voulons qu’un autre développeur, ou qu’une autre développeuse, se familiarise avec le code de base de PeerTube, et réduise le « bus factor ». Wicklow devrait également devenir progressivement capable d’aider Chocobozzz dans la gestion de la communauté de développement.

Au fur et à mesure que la communauté grandit (et nous en sommes ravies), la charge de travail d’animation augmente également : répondre aux issues et aux demandes d’assistance sur notre forum, examiner les contributions en code, etc. Bien qu’il soit important d’être présent pour la communauté, cela prend jusqu’à la moitié du temps de Chocobozzz, ce qui signifie encore moins de temps pour développer de nouvelles fonctionnalités.

Le deuxième et principal objectif pour Wicklow en 2024 serait, avec l’aide de designers, de créer et de publier une application mobile PeerTube officielle. Le visionnage mobile est devenu le principal moyen de regarder des vidéos. Même s’il existe déjà des applications mobiles permettant de lire des vidéos sur PeerTube, nous pensons qu’une application officielle pourrait contribuer à l’adoption et à l’attractivité de PeerTube.

Pour 2024, l’application se limiterait à la recherche et au visionnage de vidéos. Nous voulons que les utilisatrices puissent utiliser un moteur de recherche fédéré, regarder des vidéos et des directs, se connecter à leur compte sur leur instance PeerTube, accéder à leurs notifications, abonnements, listes de lecture, etc. En cas de succès, cette première version de l’application pourrait être étendue à d’autres cas d’usage et fonctionnalités à l’avenir.

Nous prévoyons de publier cette application à la fois sur iOS (ce qui dépendra aussi d’Apple, connue pour être tatillonne avec le fediverse) et sur Android… et, en tant qu’objectif bonus (donc « si tout se passe bien »), sur Android TV également.

Dessin de Sepia, læ poulpe mascotte de PeerTube. Iel est en position de méditation et entouré d'une aura de force, évoquant le super sayans.
Sepia, la mascotte de PeerTube, forte de votre soutien – illustration David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Promouvoir l’écosystème PeerTube

PeerTube, c’est plus que du code, et nous voulons mettre en lumière l’incroyable communauté qui se développe autour de ce projet.

Nous voyons souvent des plugins étonnants, des instances et des chaînes intéressantes, de nouvelles initiatives et expériences… que nous aimerions partager. Mais il est rare que nous ayons et prenions le temps de le faire.

En attendant, nous voyons aussi beaucoup de gens qui se demandent si PeerTube permet la diffusion en direct (c’est le cas !), s’il y a un chat pour les lives (oui : c’est un plugin génial !), ou s’il y a des sites web pour trouver du contenu sur PeerTube (encore une fois : oui !).

Nous prévoyons de travailler à la promotion de l’écosystème PeerTube, grâce au blog et à la newsletter de notre site Joinpeertube, avec notre compte Mastodon, et en travaillant sur une instance vitrine Peer.tube.

Pour inaugurer ce travail, nous répondrons en Anglais et en direct à toutes vos questions sur PeerTube lors d’un livestream animé par Laurens du blog et de la newsletter Fediverse Report, sur notre chaîne Peer.Tube ! Vous pouvez déjà aller sur Mastodon et poser vos questions (en Anglais aussi) avec le hashtag #PeerTubeAMA.

Cet AMA ( » Ask Me Anything « ) aura lieu demain, 13 décembre, de 18h à 20h (CET), sur ce lien.

La vignette indique
Cliquez sur l’image pour accéder au live

(et si tout se passe bien, nous publierons le replay sur la même chaîne)

Si vous êtes résolument francophones, on vous donne rendez-vous le 19 décembre au matin, où nous passerons Au Poste! pour une PeerTube Party organisée par le journaliste David Dufresne.

Financé par l’Europe… et par vous !

Comme nous l’avons déjà dit dans ce (long) billet, nous avons eu la chance d’obtenir des bourses du programme NGI (Next Generation Internet) de la Commission Européenne, par l’intermédiaire de la fondation NLnet (merci beaucoup à elles et eux !). Les bourses précédentes nous ont permis de financer un quart de nos six années de travail sur PeerTube. Nous sommes heureuses d’annoncer que nous avons obtenu une nouvelle bourse pour 2024, qui couvrira les coûts de développement prévus.

Cela signifie que, comme cela a été le cas pour 75 % du travail jusqu’à présent, le financement de tout le reste du projet repose sur les dons. Communiquer sur PeerTube et son écosystème, les partages d’expérience avec divers acteurs, les prestations en design, le soutien et la gestion de la communauté, etc. Tous ces coûts seront, comme d’habitude, financés par… certaines d’entre vous !

Notre campagne de dons actuelle déterminera le budget de Framasoft pour 2024. Son succès nous indiquera si nous pourrons assurer un emploi stable à notre second développeur, tout en continuant à mener à bien tous les autres projets et actions que nous entreprenons.

Cette année encore, nous avons besoin de vous, de votre soutien, de vos partages, pour nous aider à reprendre du terrain sur le web toxique des GAFAM, et multiplier les espaces de numérique éthique.

Nous avons donc demandé à David Revoy de nous aider à montrer cela sur notre site « Soutenir Framasoft », qu’on vous invite à visiter (parce que c’est beau) et surtout à partager le plus largement possible :

Barre de dons Framasoft le 12 décembre 2023, à 30 % - 61341 €

Si nous voulons boucler notre budget pour 2024, il nous reste trois semaines pour récolter 138 659 € : nous n’y arriverons pas sans votre aide !

 

Soutenir Framasoft

 




700 assos ont déjà le nez dans les nuages (libres) : bilan d’un an de Framaspace

Ce long article vise à faire le bilan du projet Framaspace (cloud associatif basé sur Nextcloud), tout juste un an après son annonce.

🦆 VS 😈 : Reprenons du terrain aux géants du web !

Grâce à vos dons (défiscalisables à 66 %), l’association Framasoft agit pour faire avancer le web éthique et convivial. Retrouvez un résumé de nos avancées en 2023 sur le site Soutenir Framasoft.

➡️ Lire la série d’articles de cette campagne (nov. – déc. 2023)

 

Il était une fois Frama.space

Souvenez-vous, il y a un an, nous annoncions l’un des projets les plus ambitieux de Framasoft : Frama.space

Pour celles et ceux qui n’étaient pas là, où qui ne s’en souviendraient pas, l’envie de mettre en œuvre Frama.space partait d’un triple constat.

Le premier, c’est que c’est la merde. Politiquement, socialement, géopolitiquement, écologiquement, etc. Vous pouvez évidemment penser le contraire, mais nous, nous trouvons que le monde ne tourne pas très rond…

Le second constat, c’est que la société civile, qu’on caricaturera ici aux associations et syndicats est attaquée de toutes parts. La pression à dépolitiser les associations, la réduction du financement de ces dernières en faveur « d’entreprises à impact » ou de la startup nation, les attaques contre les libertés associatives… Tout cela épuise la capacité du troisième secteur à répondre aux besoins auxquels le marché ne répond pas. Il devient de plus en plus difficile d’équilibrer un contrat social mis à mal par les entreprises comme par l’État.

Mème sur la position difficile de nombre d'associations, coincées entre le dilemme "Se vendre aux entreprises" ou "Se prosterner devant l'État".

Enfin, plus proche de Framasoft, le numérique est devenu un outil d’organisation des personnes, mais aussi de passage à l’action. Cependant, ce constat plutôt positif est contrebalancé par deux observations plus négatives. D’une part le numérique est un outil de surveillance et d’aliénation. Et d’autre part, les associations sont à la traîne côté usages comme côté cohérence. Ainsi, des associations œuvrant pour une transition écologique vont utiliser les outils et services des GAFAM, qui participent largement au problème que ces associations essaient de résoudre.

Frama.space : du (Next)cloud pour les assos

Il y a un an, nous annoncions donc un nouveau service Framasoft : Frama.space

Sa mission ? Outiller la « société de contribution ». Formulé autrement : équiper numériquement les associations et collectifs « hors marché ». Qu’il s’agisse de l’AMAP de Trifouilly-les-Oies, du café associatif de Bernache-sur-Yvette, ou du collectif de théâtre queer de Cygne-lès-Lavaur.

Car nous pensons que ces associations et collectifs ont besoin (et même envie) de retrouver de la cohérence entre leurs valeurs, leurs actions, et leurs outils. Être une association qui milite pour, par exemple, le « zéro déchet » et qui utiliserait, par exemple toujours, les outils de Google ou Microsoft, nous paraît en effet contradictoire.

Attention cependant : il ne s’agit pas d’un jugement de valeur de notre part. Nous comprenons parfaitement que des contradictions, ou des objections légitimes puissent exister (on peut parfaitement être préoccupé par le sort de la planète, et prendre une voiture pour amener ses enfants à une activité sportive hebdomadaire située à 20km).

Cependant, il nous paraissait important que ces structures aient le choix de pouvoir avoir accéder facilement à des outils qui ne reposent pas sur les mécanismes du capitalisme de surveillance.

Interface d'un Framaspace (application "Fichiers")
Interface d’un Framaspace (application « Fichiers »)

Nextcloud : une solution imparfaite (mais une solution tout de même)

Framaspace embarque les suites bureautiques en ligne collaboratives Collabora Online et OnlyOffice. Ici, une capture écran de l'édition d'un fichier de type Tableur, directement dans le navigateur.
Framaspace embarque les suites bureautiques en ligne collaboratives Collabora Online et OnlyOffice. Ici, une capture écran de l’édition d’un fichier de type tableur, directement dans le navigateur.

 

Le logiciel est très perfectible (côté UX, côté dette technique, côté performances, etc.), mais… c’est le meilleur cheval de l’écurie malgré tout.

Par ailleurs, sa communauté est large (plus de 60 millions d’utilisateur⋅ices dans le monde) et plutôt active, ce qui donne des espoirs pour l’avenir.

Nous avons donc décidé de baser notre offre Framaspace sur ce logiciel, en proposant une offre techniquement ambitieuse, capable à terme d’accueillir jusqu’à 10 000 espaces Framaspace (et donc autant d’instances du logiciel Nextcloud). Pour cela, nous avons monté une infrastructure technique conséquente, et développé des outils logiciels « maison » (libres, évidemment) permettant de valider les demandes d’inscription et de déployer automatiquement de nouveaux espaces très rapidement, en quelques clics.

Interface de CHARON, logiciel qui nous permet de gérer les candidatures Framaspace
Interface commentée de CHARON, logiciel développé par Framasoft, qui nous permet de gérer les candidatures Framaspace.

 

Mais assez de rappels au passé : si vous souhaitez en savoir plus sur les ambitions derrière Framaspace, vous avez la possibilité de regarder deux vidéos :

On fait l’bilan, calmement

Frama.space devient Framaspace.org

Déjà, nous avons dû changer le nom, car l’extension « .space » augmentait la probabilité des emails contenant des adresses en « frama.space » d’être considéré comme des spams. La faute, évidemment, aux géants du mail, mais nous ne pouvions pas accepter une solution qui nuirait à l’usage normal de la plateforme. Nous avons donc fait le choix d’utiliser un nom de domaine et une extension plus classique, mais plus longue : framaspace.org.

La transition est en cours et se fera par étapes, car il n’y a pas d’urgence sur le sujet.

Par ailleurs, nous annoncions poursuivre quatre objectifs :

  1. Faciliter l’accès à Nextcloud/Framaspace
  2. Rendre plus visible Nextcloud/Framaspace
  3. Aider à faire émerger une communauté Nextcloud/Framaspace francophone
  4. Utiliser Nextcloud/Framaspace comme outil d’empuissantement

Ce premier anniversaire est donc le bon moment pour faire un point sur chacun de ces objectifs.

Bilan « fonctionnel » : ça marche, ou pas ?

Oui !

A l’heure où vous lirez ces lignes, plus de 700 espaces sont actifs. Cela signifie donc que Framasoft outille 700 associations et collectifs. Et les retours sont globalement positifs !

Nous avons pu faire des opérations complexes sans trop de difficultés. Par exemple, nous avons fait des mises-à-jour majeures de Nextcloud (de la version 25 à la version 26) avec un temps d’indisponibilité très limité (moins de 2mn par espace).

Côté infrastructure technique : il y a parfois des nids de poule, mais l’infra tient la route !

Ainsi, fin 2022, nous nous sommes aperçu qu’il y avait un souci du côté de notre système de gestion des suites bureautiques. Les vacances de fin d’années étant proches, et étant suivies de près par une préparation intense de l’A.G. de Framasoft, nous avons préféré suspendre les inscriptions, et prendre le temps nécessaire pour développer une solution pérenne. Nous avons rouvert les inscriptions en mars 2023. Donc, si vous aviez raté l’info : il est parfaitement possible de candidater pour votre association ou collectif sur https://framaspace.org !

Le fait que ça soit Framasoft qui gère les aspects techniques peut avoir certains inconvénients (nous limitons le nombre de comptes, d’espace disque, ou de plugins Nextcloud que vous pouvez utiliser). Mais cette infogérance facilite énormément la vie des utilisateur⋅ices (qui, pour la plupart, auraient bien du mal à maintenir dans le temps une instance du logiciel Nextcloud qu’iels auraient installé « manuellement »).

En un an, nous sommes passés de 0 à plus de 700 espaces gérés par Framasoft. Nous estimons donc ce bilan fonctionnel comme plus que satisfaisant.

Illustration de DemonDrive, un monstre fantomatique orné du logo de Google Workspace
Cliquez pour nous soutenir et aider à repousser Demon Drive – Illustration CC-By David Revoy

Bilan « notoriété »

Un des objectifs de Framaspace est aussi de faire connaître Nextcloud, et l’offre Framaspace (ou celles proches ailleurs, notamment chez les CHATONS).

Pour cela, en 2023, nous avons :

Sur un bulletin scolaire, nous pourrions écrire : « Pas mal, mais peut mieux faire ».

Bilan « communauté »

Cela concerne notre volonté de construire, à long terme, une communauté d’utilisateur⋅ices francophones de Nextcloud.

Dans ce cadre, nous avons :

Le bilan de cette partie là est un démarrage plutôt poussif, mais c’est assez logique car, pour différentes raisons, nous n’avons pas pu consacrer autant de temps de travail en 2023 à cette partie du projet que nous l’aurions souhaité.

Bilan « empuissantement »

Cette partie du projet est prévue pour 2025. Il n’était pas prévu de travailler dessus en 2023. Et donc, il est logique que nous n’ayons pas avancé dessus.

Slide "empuissanter" rappelant une partie des objectifs de Framaspace.

Statistiques du projet

Afin d’objectiver encore un peu plus ce bilan de la première année, voici quelques données chiffrées. Si elles ne vous intéressent pas, vous pouvez déjà sauter à la partie « Bilan du bilan » 🙂

Typologie des structures

Répartition par type de structures

Répartition des espaces par types de structures
Répartition des espaces par types de structures

 

Description :

  • 72% d’associations loi 1901 ;
  • 22% de collectifs informels ;
  • 5% de syndicats ;
  • 1% d’associations loi 1907 (associations mixtes/cultuelles).

Répartition par secteurs d’activités

Répartition des espaces, par secteurs d’activités

Description (NB : les structures pouvaient choisir plusieurs thématiques) :

  • un premier « bloc » avec plus de 250 structures se revendiquant des secteurs ou thématiques suivantes : Education/Formation, Environnement, Culture, Social ;
  • un second « bloc » avec plus de 100 structures se revendiquant des secteurs ou thématiques suivantes : Amicale / Entraide, Loisirs, Défense des droits fondamentaux, Activités politiques, Économie ;
  • un dernier « bloc » avec moins de 100 structures se revendiquant des secteurs ou thématiques suivantes : Sport, Santé, Recherche, Justice, Activités spirituelles ou philosophiques, Tourisme.

Répartition par année de création de la structure

Répartition des espaces par année de création

Description : 50% des 700 espaces correspondent à des structures dont l’année de création date de 2017 ou plus. Même si une dizaine de structures existaient avant 1950, on peut en déduire que, globalement, le public de Framaspace représente plutôt des structures récentes.

Répartition par nombre de salarié⋅es

Répartition des espaces par nombre d'employé⋅es

Description et commentaire : 500 des espaces (71% du total) sont des structures sans salarié⋅es. Il existe quelques structures avec plus de 20 salarié⋅es, cependant, il s’agit souvent « d’anomalies » (par exemple l’espace est créé pour un groupe syndical local, qui indique le nombre de salarié⋅es du syndicat national).

Répartition par nombre de membres

Répartition des espaces par nombre de membres.Description : la moitié des espaces représentent des structures de moins de 30 personnes. 75% déclarent compter 100 membres ou moins.

Répartition par nombre de bénéficiaires

Répartition des espaces par nombre de bénéficiaires.

Description : la moitié des espaces représentent des structures déclarant toucher 100 personnes ou plus. Il existe quelques structures déclarant toucher plus de 25 000 personnes, cependant, il s’agit souvent « d’anomalies » (par exemple l’espace est créé pour un groupe syndical local, qui indique le nombre de bénéficiaires du syndicat national).

Répartition par budget annuel

Répartition des espaces par budget annuel

Description : 150 structures n’ont pas souhaité répondre à la question. Sur les 550 restantes, la moitié déclarent avoir un budget annuel inférieur à 4 000€ par an (une centaine de structures déclarent même avoir un budget de 0€). 25% environ des structures déclarent avoir un budget entre 4 000 et 50 000€ (qu’on peut corréler avec les structures ayant au moins un⋅e salarié⋅e). Quelques rares structures déclarent avoir un budget supérieur à 50 000€/an, mais il s’agit là encore pour la plupart « d’anomalies statistiques ».

Exemples de structures

NB: ces associations se sont présentées publiquement sur le forum Framaspace, nous n’avons donc pas de cas de conscience à rendre public leurs identité ou objet.

Par exemple :

« Bonjour. Nous sommes l’association Les petits pois sont verts à Clamart. Notre raison d’être est d’imaginer et construire un mode de vie solidaire et respectueux de l’environnement en :

  • reliant les Clamartois partageant les mêmes motivations,
  • encourageant une dynamique locale,
  • portant des projets,
  • collectant et diffusant des informations

Nous avons quelques années d’existence seulement et prônons l’usage du numérique libre et sobre.

Nous utilisons les outils Framasoft suivants : Framapad, Framadate, et Frama.space depuis peu. »

Ou encore :

« L’association des Cavaliers Au Long Cours (CALC) est une association francophone regroupant des adhérents, environ 200, du monde entier (notre adhérent le plus lointain est au Kirghistan !) mais ils sont principalement basés dans les pays d’Europe de l’Ouest. Notre objectif est le développement du voyage au long cours avec un animal (cheval, âne, mulet, etc.) monté et/ou bâté. Nous aidons aussi les prétendants au voyage dans leur organisation et apportons une aide aux voyageurs en difficulté. »

Autres exemples :

  • Plan B – asso d’éduc pop bretonne (Rennes)
  • AMAP de St Vallier de Thiey (Alpes Maritimes)
  • La Gonette – Monnaie locale citoyenne (Lyon)
  • Les amis du Portique – Revue de philo et sciences humaines
  • Les Pieds à Terre – éduc pop à l’environnement (Haute-Loire)
  • Planning familial de l’Aude

Usage des structures

Suites bureautiques utilisées

Répartition des Framaspaces entre Collabora Online et OnlyOffice
Répartition des Framaspaces entre Collabora Online et OnlyOffice

 

NB : la surreprésentation de Collabora Online est due au fait qu’il s’agit de la suite bureautique proposée par défaut. L’admininstrateur⋅ice de l’instance peut basculer si c’est son choix vers OnlyOffice, mais très peu le font.

Statistiques d’usage
  • Nombre d’espaces
    • actifs : 700
    • refusés : 14
    • désactivés (par leurs administrateur⋅ices) : 10
  • Comptes (admins + users) : 3 356
    • Moyenne : 4,8 comptes ; médiane : 2 comptes
  • Fichiers utilisateurs hébergés : 760 939 pour 860 Go (hors révisions et hors corbeille)
    • 131 Go en corbeille
    • 99 % des espaces ont créé au moins un fichier
  • Connexion :
    • 198 espaces ont eu une connexion dans les 3 derniers jours
    • 390 espaces ont eu une connexion dans les 15 derniers jours

Nombre de comptes

Répartition des espaces par nombre de comptes

Description : près de 300 espaces n’ont qu’un seul compte (nécessairement le compte « admin »). Cela signifie que 40% des espaces n’ont pas d’usage collaboratif avec d’autres utilisateur⋅ices. Cependant, nous avons constaté des usages où l’admin de l’espace avait malgré tout des usages collaboratifs avec d’autres personnes de son asso (par exemple par l’utilisation de dossiers partagés, avec ou sans mots de passe). Cela signifie – quand même – que 60% des espaces comptent plusieurs utilisateur⋅ices. 42% ont même 5 utilisateur⋅ices ou plus.

Espace disque utilisé

Répartition des espaces par espace disque occupé.

Description : quasiment tous les espaces ont utilisé leur espace de fichiers (seuls 2% n’ont jamais créé de fichier). Il est intéressant de noter que moins de 20% des espaces utilisent plus de 1 Go (sur un maximum de 40 Go par espace).

Nombre de fichiers

Répartition des espaces par nombre de fichiers.

Description : 50% des espaces comptent plus de 250 fichiers utilisateur⋅ices. Ce qui est plutôt une bonne « surprise » à notre avis : cela signifie que Framaspace est bien utile (soit au stockage, soit au partage de fichiers).

Bilan financier

Dépenses

Actuellement, l’infrastructure technique (les serveurs informatiques) de Framaspace nous coûte environ 1 200€ par mois (soit environ 15 000€ par an) Le coût du travail, estimé par le très peu précis Institut LaLouche, est d’environ 20 000€ d’investissement en amont du lancement du projet. Depuis le lancement, toujours à la grosse louche, nous pouvons compter environ 2000€ par mois (3 salariés impliqué, à temps très très partiels sur ce projet). On peut donc dire, grossièrement, que Framaspace a coûté environ 60 000€ à Framasoft.

Recettes

Côté recettes, c’est un peu plus complexe.

Framaspace est un projet réservé aux petites associations et collectifs solidaires, volontairement gratuit. Nous souhaitons que le prix ne soit pas un frein à l’accès. Et nous ne souhaitons pas fixer de « prix libre », car qui dit prix, dit service vendu, dit prestation, dit facture, dit obligations (contractuelles, comptables et fiscales). Nous faisons le choix volontaire et assumé du don sans contrepartie financière attendue (ce qui n’empêche pas qu’elle soit espérée 😉 ).

Il est probable que certain⋅es membres des associations que nous hébergeons aient fait un don à Framasoft. Cependant, nous ne voulons pas flécher les dons sur les projets Framasoft. Car comptablement, un don fléché sur un projet doit entrer dans un fond dédié qui doit servir à ce projet. Or nous souhaitons qu’un don à Framasoft puisse aussi financer des projets « à perte », ce qui est exactement le cas de Framaspace cette première année.

Par volonté de simplification, on peut donc dire que les recettes sont de… 0€ ! 😱

Coût par espace

À partir de données précédentes, on peut donc déduire que le coût d’un espace (à ce jour) est de 86€ annuel (soit 7€ par mois. Dont 1,8€/mois de coût d’infrastructure).

Mais le coût de l’infrastructure ne devrait pas trop bouger, et le coût du travail légèrement augmenter, en 2024, alors que le nombre d’espaces pourrait, lui, tripler ou quadrupler. Si on part sur une hypothèse d’un coût total de 60 000€ (pour 2023) + 15 000€ pour les serveurs en 2024 + 36 000€ de coût du travail. On arrive à un total de 111 000€ fin 2024. Avec une hypothèse de 2 500 espaces actifs fin 2024, cela porterait le coût total à 45€ par espace et par an (soit 3,7€ par mois, dont 1€/mois de coût d’infrastructure). Coût qui pourrait encore baisser en 2025.

C’est un coût important, et rares sont les associations qui peuvent se permettre ce genre de projet qui ne vise pas un objectif de rentabilité ou même d’équilibre.

Cependant, nous pensons que la portée politique de ce projet implique que nous prenions ce risque. Nous espérons (par expérience plus que par naïveté) que les associations qui le pourront soutiendront financièrement Framasoft (et donc indirectement Framaspace).

Bilan du bilan

Les nouvelles sont plutôt bonnes !

Mème Framaspace reprenant la célèbre phrase du biologiste Richard Dawkins, au sujet de la science, affirmant "It works, Bitches".
Mème Framaspace reprenant la célèbre phrase du biologiste Richard Dawkins, au sujet de la science, affirmant « It works, Bitches ». (contexte ; vidéo PeerTube)

 

D’abord, Framaspace fonctionne 🙂
Gérer 700 instances Nextcloud, c’est pas mal en un an, non ? D’autant que l’infogérance se passe plutôt bien (pour le moment !)

Ensuite, nous avons réussi à cibler le public que nous souhaitions toucher : des associations (déclarées ou de fait) plutôt petites, avec des petits budgets. La plupart sont orientées vers l’éducation, l’environnement, le social ou le culturel. Ce qui n’est pas étonnant quand on connaît le public de Framasoft.

Enfin, Framaspace est utilisé. Les connexions sont régulières sur plus de la moitié des espaces. Et les personnes manipulent pas mal de fichiers (plutôt de petits fichiers, ce qui explique que rares sont les espaces qui utilisent plus d’un Go sur les 40Go max octroyés).

Nous considérons que nos objectifs 2023, en termes d’actions, sont plus que correctement remplis 🎉 On peut même dire que c’est une réussite au vu des moyens que nous avons déployés.

Le fait de proposer des espaces « verrouillés » (par exemple vous ne pouvez pas installer les plugins Nextcloud de votre choix sur Framaspace, et seules les petites associations ou collectifs peuvent ouvrir un Framaspace) a eu l’effet de frustration escompté. En effet, nous avons régulièrement renvoyé les personnes frustrées par ces limitations vers des structures amies, comme Zaclys, IndieHosters, Cloud Girofle, Paquerette, Arawa, etc. C’est la démonstration que nous ne prenons pas une « part du gâteau », mais bien que nous participons à agrandir la taille de ce dernier.

Dessin de Li, la licrone mascotte de Framaspace. Elle s'apprete à lancer des bulles magiques.
Cliquez sur Li, la licorne-mascotte de Framaspace, pour soutenir Framasoft. – Illustration CC-By David Revoy

Framaspace en 2024 (et 2025)

Comme vous avez pu le lire dans notre « bilan du bilan », Framaspace répond à un besoin, et Framasoft estime que la réponse apportée est plutôt bonne. C’est évidemment loin d’être parfait, mais pour une petite asso qui voudrait se dégoogliser et mettre en cohérence ses valeurs et ses outils numériques, l’offre Framaspace peut convenir.

Cependant, nous ne comptons pas nous arrêter là ! Framaspace est toujours en phase de « beta test » (et ce sans doute jusqu’à fin 2025 !) et de nombreuses améliorations sont à venir 😀

Accompagnement

Tout d’abord, nous allons continuer à accueillir des espaces. Maintenant que Framaspace est plus stable, nous pensons pouvoir accélérer le rythme et accueillir 2 500 espaces d’ici fin 2024 (c’est-à-dire plus que tripler le nombre actuel. Même pas peur !).

Ensuite, nous allons poursuivre nos actions d’infogérance. Par exemple en passant de Nextcloud 26 à Nextcloud 27 fin 2023 ou début 2024. Chaque version apporte son lot de nouvelles fonctionnalités (voir chez nos ami⋅es d’Arawa qui en font une présentation synthétique ici et ).

Côté accompagnement, nous souhaitons produire un tutoriel un peu spécial. En effet, de très nombreux tutoriels existent déjà (nous mettons en avant celui de Coopaname, réalisé par La Dérivation). Mais ce type de tutoriel ne correspond pas à tous les besoins. Nous souhaiterions donc produire un tutoriel plus narratif et plus immersif. Un « tutoriel dont vous êtes le héros » (ou « Les combines dont vous êtes l’héroïne » si vous préférez). Inspiré des « livres dont vous êtes le héros », il s’agira pour l’utilisateur⋅ice d’incarner un personnage devant remplir différentes missions avec son espace Framaspace. La particularité étant que certaines « quêtes » pourront être soit contournées (par exemple si l’utilisateur⋅ice sait déjà créer un compte utilisateur⋅ice) soit approfondies (par exemple sur le partage de fichiers).

Scénario en construction d'un « tutoriel dont vous êtes le héros »
Scénario en construction d’un « tutoriel dont vous êtes le héros »

 

Nous souhaitons aussi apporter de la documentation (et des outils de facilitation) pour faciliter la migration depuis OneDrive, Dropbox ou GoogleDrive, ainsi que simplifier l’import/export entre instances Nextcloud. Par exemple une asso qui arriverait aux limites de 50 comptes sur son espace Framaspace et souhaiterait migrer pour un Nextcloud plus puissant chez nos ami⋅es de IndieHosters pourrait transférer ses données — fichiers, agendas, contacts, etc — de façon plus automatisée.

Enfin, nous sommes conscient⋅es qu’une des grandes faiblesses de Nextcloud (et donc de Framaspace) est la difficulté à « embarquer » (= onboarding en anglais) les novices dans une interface (trop ?) riche et parfois (très ?) confuse. C’est pourquoi nous souhaiterions intégrer à Nextcloud l’outil libre IntroJS afin de mettre en lumière certaines parties du logiciel et de faciliter ainsi sa prise en main. Cf vidéo ci-dessous.

 



Vidéo d’une démonstration de la façon dont pourrait s’intégrer IntroJS dans Nextcloud pour faciliter sa prise en main.

Toujours sur le plan de la prise en main, nous travaillons avec la designer Marie-Cécile Godwin, qui enseigne notamment à l’école de design Strate, afin de faire réfléchir ses étudiant⋅es aux possibilités d’amélioration de Nextcloud d’un point de vue UX et UI.

Accroître la notoriété de Nextcloud

En 2024, nous poursuivrons bien évidemment les actions visant à mieux faire connaître Nextcloud sur les territoires francophones.

Ainsi, nous avons déjà sous-titré en français quelques vidéos de présentation de Nextcloud. Mais nous souhaiterions aller plus loin. Par exemple en refaisant carrément les voix off, où en traduisant des supports de documentation (flyers, plaquettes, etc.).

Vidéo d’une vidéo promotionnelle de Nextcloud, originellement en anglais uniquement, et sous-titrée par Framasoft.

Par ailleurs, Framasoft poursuivra son travail de promotion de Nextcloud et de Framaspace, par le biais de conférences, de webinaires, d’interviews, etc.

Ensuite, nous poursuivrons nos partages et retours d’expérience avec la communauté CHATONS, dont de nombreux membres proposent des services autour de Nextcloud. Nous pensons avoir acquis certains savoirs et savoirs-faire autour de Nextcloud, mais nous savons surtout qu’il nous reste énormément à apprendre.

Enfin, nous allons commencer à prendre contact avec les têtes de réseaux associatifs (Collectif Associations Citoyennes, Mouvement Associatif, réseaux d’éducation populaire, mais aussi des réseaux tels que Associations Mode d’Emploi, Solidatech, Associathèque, etc.) afin de présenter Framaspace, et mettre en lumière ce que Nextcloud peut faire (ou ne peut pas faire !) au niveau du numérique éthique collaboratif. L’objectif, à terme, est d’évaluer sa pertinence comme « commun numérique d’intérêt général » pour les associations.

Communauté d’utilisateur⋅ices Framaspace & Nextcloud

En 2024, nous poursuivrons notre travail pour impulser, animer et coordonner une communauté d’utilisateur⋅ices du logiciel Nextcloud sur le forum Framaspace.

Nous publierons aussi un site pour l’observatoire OPEN-L (« Observatoire des Pratiques et Expériences Numériques Libres »), qui accueillera publiquement les différentes enquêtes (et leurs résultats !) que Framasoft aura conduites auprès de ses publics. Ce site sera ouvert aux structures souhaitant elles aussi partager leurs retours d’expérience. L’objectif étant de ne pas réinventer la roue, et de pouvoir plus facilement objectiver les besoins (et frustrations) des utilisateur⋅ices.

Évidemment, nous continuerons à améliorer Framaspace, mais aussi Nextcloud. Nous avons la chance (et le plaisir) de compter Thomas dans notre équipe salariée, l’un des principaux contributeurs mondiaux extérieurs à l’entreprise Nextcloud GmbH.

Cela signifie que Framasoft (au travers de Framadrive, Framagenda, et maintenant Framaspace), participe très activement à ce commun numérique qu’est le logiciel Nextcloud.

D’ailleurs, concernant les nouvelles plus « internes », nous devrions dans les mois qui viennent augmenter notre capacité de travail au sein de Framasoft sur le projet Framaspace : Thomas, actuellement développeur principal de Mobilizon, basculera jusqu’à 50% de son temps de travail sur Framaspace, et Pierre-Yves, actuellement codirecteur de Framasoft, quittera cette fonction afin de se concentrer sur les services numériques de l’association (dont Framaspace, évidemment).

Empuissanter les structures « hors marché »

Nous avons beaucoup d’ambitions politiques autour du projet Framaspace (cf. notre article de lancement).

Pour cela, nous allons poursuivre, par le biais d’enquêtes, la collecte des besoins (fonctionnels, mais aussi plus politiques) des structures hébergées. En fonction des résultats, nous pourrons – si nos moyens nous le permettent – adapter Framaspace aux besoins des utilisateur⋅ices.

Nous avons constaté que dans les associations que nous accompagnons, la question des outils numériques repose souvent sur un ou deux bénévoles, qui peinent parfois à mettre en place une politique de conduite du changement, ou à convaincre leur Conseil d’Administration. Nous souhaitons donc aussi produire des « fiches pratiques » afin de faciliter la vie de ces personnes clés. « Comment faire le diagnostic numérique de mon association ? », « Comment convaincre mon C.A. de passer de Gdrive ou Dropbox à Framaspace ? », etc.

Enfin, et nous sommes conscient⋅es de la forte demande concernant ce point, nous souhaitons mutualiser le financement de nouvelles fonctionnalités dans Framaspace.

Nous étudierons prioritairement :

  • la possibilité de gérer ses membres dans Framaspace (membres, catégories, fiche d’identité, cotisations, rappel d’adhésion, etc.), grâce au (fabuleux) logiciel libre de gestion associative Paheko ;
  • la possibilité de gérer la comptabilité de son association (saisie, bilan, compte de résultat, choix du plan comptable, etc.), là encore grâce à Paheko ;
  • ajouter la faculté de décliner rapidement des visuels de communication, grâce au logiciel Aktivisda (cf l’exemple de l’association Alternatiba) ;
  • permettre, pour les associations qui le souhaitent, de rendre publiques des pages présentant leur structure et leurs actions. Pour cela nous souhaitons donner la possibilité de publier un mini-site web de présentation de la structure (rédigé dans l’application « Collectives » de Framaspace).

Dessin dans le style d'un jeu vidéo de combat, où s'affronte la licorne de Framaspace et le monstre de Google Workspace.
Aidez Li, la licorne de Framaspace, à repousser Demondrive en soutenant Framasoft ! – Illustration CC-By David Revoy

Moulaga needed!

Comme vous le voyez, la feuille de route 2024 de Framaspace est déjà bien chargée !

Attention : aucun des points ci-dessous n’est un engagement ferme de notre part. Il s’agit de nos envies, de ce que nous souhaitons mettre en place l’année qui vient. Cela reste très ambitieux. Et comme toute ambition, il faut savoir quelles sont les ressources disponibles que l’on peut y consacrer.

Nous l’avons indiqué plus haut, Framaspace est un projet largement déficitaire. Ça tombe bien : il n’a pas vocation à être rentable, et encore moins à dégager des bénéfices. Cependant, ce sont bien les moyens que vous nous confiez (c’est-à-dire vos dons) qui nous permettent d’agir.

En conséquence, nous pensons sincèrement que 1€ (ou 100€ ou 1 000€, hein ! 😅) donné à Framasoft permet réellement de faire bouger les lignes, et d’avoir un impact positif sur le numérique « hors marché ».

C’est pourquoi nous vous invitons, si cela vous est possible, à soutenir Framasoft en faisant un don, afin que nous puissions poursuivre nos actions, et notamment maintenir et développer le projet Framaspace.

Cette année encore, nous avons besoin de vous, de votre soutien, de vos partages, pour nous aider à reprendre du terrain sur le web toxique des GAFAM, et multiplier les espaces de numérique éthique.

Nous avons donc demandé à David Revoy de nous aider à montrer cela sur notre site « Soutenir Framasoft« , qu’on vous invite à visiter (parce que c’est beau) et surtout à partager le plus largement possible :

Capture d'écran de la barre de dons Framasoft 2023 à 8%

Si nous voulons boucler notre budget pour 2024, il nous reste six semaines pour récolter 183 478 € : nous n’y arriverons pas sans votre aide !

 

Soutenir Framasoft

 




Opposez-vous à Chat Control !

Sur ce blog, nous transposons régulièrement différents points de vue concernant les luttes pour les libertés numériques. Dans ce domaine, on constate souvent que les mouvements sociaux (solidariste, durabilistes, préfiguratifs, etc.) ne prennent que trop rarement en compte les implications directes sur leurs propres luttes que peuvent avoir les outils de surveillance des États et des entreprises monopolistes. Cela rend toujours plus nécessaire une éducation populaire d’auto-défense numérique… Du côté des mouvements autonomes et anti-autoritaires, on ressent peu ou prou les mêmes choses. Dans les groupes européens, le sujet du capitalisme de surveillance est trop peu pris en compte. C’est du moins l’avis du groupe allemand Autonomie und Solidarität qui, à l’occasion du travail en cours au Parlement Européen sur l’effrayant et imminent projet Chat Control (voir ici ou ), propose un appel général à la résistance. L’heure est grave face à un tel projet autoritaire (totalitaire !) de surveillance de masse.

Cet appel a été publié originellement en allemand sur Kontrapolis et en anglais sur Indymedia. (Trad. Fr. par Framatophe).

Opposez-vous à Chat Control !

Une minute s’il vous plaît ! Chat Control ? C’est quoi ? Et pourquoi cela devrait-il nous intéresser en tant qu’autonomes et anti-autoritaires ?

Chat Control est le projet de règlement de l’Union Européenne portant sur la prévention et la protection des enfants contre les abus sexuels. Il a été reporté pour le moment, mais il risque d’être adopté prochainement1.

Ce projet de loi est une affaire assez grave pour plusieurs raisons2.

Avec Chat Control, les autorités publiques seront autorisées à scanner, analyser et lire automatiquement les contenus des communications privées en ligne de tous les utilisateur·ices. Cela se fera via une contrainte sur les fournisseurs de chat tels que Signal, Threema, Telegram, Skype, etc.3, soit par ce qu’on appelle une analyse côté client (Client Side Scanning). Les messages et les images seraient alors lus directement sur les terminaux ou les dispositifs de stockage des utilisateur·ices. Et cela avant même qu’ils soient envoyés sous format chiffré ou après leur réception, une fois déchiffrés.

C’est précisément ce que l’UE souhaite atteindre, entre autres, avec Chat Control : rendre les communications chiffrées inutiles. Les services de renseignement, les ministères de l’Intérieur, les autorités policières, les groupes d’intérêts privés et autres profiteurs du capitalisme de surveillance, ont en effet depuis longtemps du mal à accepter que les gens puissent communiquer de manière chiffrée, anonyme et sans être lus par des tiers indésirables.

Pourtant, la communication chiffrée est très importante. Face aux répressions de l’État, elle peut protéger les millitants, les opposant·es et les minorités. Elle sert aussi à protéger les sources et les lanceur·euses d’alerte, et rendre également plus difficile la collecte de données par les entreprises.

Comme si l’intention d’interdire ou de fragiliser le chiffrement n’était pas déjà assez grave, il y a encore pas mal d’autres choses qui nous inquiètent sérieusement avec Chat Control. Ainsi, l’introduction de systèmes de blocage réseau4 est également en discussion. Plus grave encore, l’obligation de vérifier l’âge et donc de s’identifier en ligne. Cela aussi fait explicitement partie du projet. Il s’agira de faire en sorte que l’accès à certains sites web, l’accès aux contenus limités selon l’âge, l’utilisation et le téléchargement de certaines applications comme Messenger, ne soient possibles qu’avec une identification, par exemple avec une carte d’identité électronique ou une identité numérique.

Voici l’accomplissement du vieux rêve de tou·tes les Ministres de l’Intérieur et autres autoritaires du même acabit. L’obligation d’utiliser des vrais noms sur Internet et la « neutralisation » des VPN5, TOR et autres services favorisant l’anonymat figurent depuis longtemps sur leurs listes de vœux. Et ne négligeons pas non plus la joie des grands groupes de pouvoir à l’avenir identifier clairement les utilisateur·ices. L’UE se met volontiers à leur service6. Tout comme le gouvernement allemand, Nancy Faser en tête, qui se distingue par ailleurs avec une politique populiste et autoritaire de droite.

Le « tchat controle » n’est pas la première tentative mais une nouvelle, beaucoup plus vaste, d’imposer la surveillance de masse et la désanonymisation totale d’Internet. Et elle a malheureusement de grandes chances de réussir car la Commission Européenne et la majorité du Parlement, ainsi que le Conseil, les gouvernements et les ministères de l’Intérieur de tous les États membres y travaillent. Et ils voudraient même des mesures encore plus dures comme étendre ce projet au scan de nos messages audios au lieu de scanner « seulement » nos communications textuelles7.

Dans le discours manipulateur, il existe déjà des « propositions de compromis » avec lesquelles les États autoritaires souhaitent faire changer d’avis les critiques. Il s’agirait dans un premier temps, de limiter le type de contenus que les fournisseurs devront chercher, jusqu’à ce que les possibilités techniques évoluent. La surveillance du chiffrement devrait tout de même avoir lieu. Il est évident que ce n’est qu’une tentative pour maquiller les problèmes8.

Comme toujours, la justification est particulièrement fallacieuse ! On connaît la chanson : la « lutte contre le terrorisme », les « copies pirates », les drogues, les armes etc. sont des constructions argumentaires par les politiques pour faire accepter des projets autoritaires et pour en discréditer toute résistance dans l’opinion publique. Il n’en va pas autrement pour Chat Control. Cette fois-ci, l’UE a même opté pour un classique : la prétendue « protection des enfants et des adolescents » et la lutte contre l’exposition des mineurs aux contenus pornographiques. Qui voudrait s’y opposer ?

Stop Chat Control. Image librement inspirée de International-protest (Wikimedia)

Pourtant, même des experts, provenant notamment d’associations de protection de l’enfance, affirment que Chat Control ne protégera pas les enfants et les adolescents9. En effet, il permettra également de surveiller leurs communications confidentielles. Le projet peut même conduire tout droit à ce que des agents des autorités aient accès aux photos de nus et aux données confidentielles que des mineurs s’envoient entre eux… Et ils pourront ensuite faire n’importe quoi avec. Le risque de faux positifs à cause de l’emploi de l’IA est également très important. Les gens pourraient avoir de gros problèmes à cause d’une erreur technique. Mais l’UE ne s’en soucie pas car la protection des mineurs n’est pas le sujet ici.

Les domaines d’application ont déjà été élargis entre-temps… Drogues, migration, etc. Tout doit être étroitement surveillé. Quelle sera la prochaine étape ? Une application contre les extrémistes politiques identifiés comme tels ?

Et puis, il y a aussi la très probable question de « l’extension des objectifs ». Nous connaissons déjà suffisamment d’autres lois et mesures étatiques. Elles sont souvent introduites pour des raisons d’urgence. Ensuite, elles sont constamment étendues, différées, puis soudain elles sont utilisées à des fins totalement différentes par les flics et les services de renseignement, selon leur humeur. L’extension de Chat Control se prête bien à ce jeu. Les premières demandes ont déjà été formulées10.

Dans une Europe où : il y a des interdictions de manifester11 et des détentions préventives, des perquisitions pour des commentaires sur les « quéquettes »12, des liens vers Linksunten/Indymedia13 ou des graffitis14, où des enquêtes par les services de renseignement pour adbusting dans l’armée allemande, ou bien des avis de recherche pour « séjour illégal » sont monnaie courante, dans une Europe où les ultraconservateurs occupent des postes de pouvoir, appellent à l’interdiction de l’avortement et à la lutte contre les personnes queer et réfugiées15, où des structures d’extrême-droite existent dans les administrations et la police16, dans cette Europe, une infrastructure de surveillance comme Chat Control, avec interdiction du chiffrement et permis de lecture de l’État sur tous les appareils, a de graves conséquences pour la liberté de tous les êtres humains17.

Des lois et des avancées similaires, la surveillance biométrique de masse18, l’utilisation d’IA à cet égard comme à Hambourg19, les identités numériques20, le scoring21, la police prédictive22, et ainsi de suite sont en cours de développement ou sont déjà devenus des réalités… tout cela crée une infrastructure totale, centralisée et panoptique qui permet d’exercer un énorme pouvoir et une répression contre nous tous.

En tant qu’antiautoritaires, nous devrions nous défendre, attirer l’attention et faire connaître ce sujet en dehors de l’activisme numérique germanophone ! Nous appelons donc à protester et à résister contre Chat Control. Les alliances existantes comme Stop Chat Control23 pourraient être complétées par une critique autonome24. D’autres actions de protestation peuvent être imaginées, il n’y a pas de limites à la créativité. Les objectifs de telles actions de protestation pourraient éventuellement découler de la thématique…

Les anti-autoritaires résistent à Chat Control !

Nous apprécions les suggestions, les questions, les critiques et, dans le pire des cas, les louanges, et surtout la résistance !



  1. “Zeitplan für Chatkontrolle ist vorerst geplatzt”, Netzpolitik.org, 20/09/2023. (NdT –) Il s’agit du règlement CSAR, également appelé Chat Control. La Quadrature du Net en a fait une présentation.↩︎
  2. “EU-Gesetzgebung einfach erklärt” Netzpolitik.org, 28/06/2023, “Das EU-Überwachungsmonster kommt wirklich, wenn wir nichts dagegen tun”, Netzpolitik.org, 11/05/2022 ;ChatKontrolle Stoppen ; “Kennen wir ansonsten nur aus autoritären Staaten”, Süddeutsche Zeitung, 10/08/2022.↩︎
  3. “NetzDG-Bußgeld: Justizminister Buschmann will Telegram mit Trick beikommen”, Heise Online, 28/01/2022.↩︎
  4. “Die Rückkehr der Netzsperren”, Netzpolitik.org, 11/03/2021.↩︎
  5. “Online-Ausweis und VPN-Verbot: Streit über Anonymität im Netz kocht wieder hoch”, Heise Online, 08/10/2023.↩︎
  6. “EU-Ausschuss will Chatkontrolle kräftig stutzen”, Netzpolitik.org, 15/02/2023.↩︎
  7. “Live-Überwachung: Mehrheit der EU-Staaten drängt auf Audio-Chatkontrolle”, Heise Online, 17/05/2023.↩︎
  8. “Ratspräsidentschaft hält an Chatkontrolle fest”, Netzpolitik.org, 12/10/2023.↩︎
  9. “Immer wieder Vorratsdatenspeicherung”, Netzpolitik.org, 23/06/23.↩︎
  10. “https://netzpolitik.org/2023/ueberwachung-politiker-fordern-ausweitung-der-chatkontrolle-auf-andere-inhalte/”, Netzpolitik.org, 06/10/2023.↩︎
  11. “Noch mehr Macht für Beamte ist brandgefährlich”, nd Jounralismus von Links, 13/09/2021 ; “Amnesty sieht Versammlungsfreiheit in Deutschland erstmals eingeschränkt – auch in NRW”, Westdeutscher Rundfunk, 20/09/2023.↩︎
  12. “Unterhalb der Schwelle”, TAZ, 08/08/2022.↩︎
  13. “Die Suche nach einer verbotenen Vereinigung”, Netzpolitik.org, 03/08/2023.↩︎
  14. “Linksextreme Gruppen in Nürnberg: Polizei durchsucht mehrere Wohnungen”, Nordbayern, 11/10/2023.↩︎
  15. “Sehnsucht nach dem Regenbogen-Monster”, TAZ, 28/07/2023.↩︎
  16. “Das Ende eines Whistleblowers”, TAZ, 01/10/2019.↩︎
  17. “Chatkontrolle: Mit Grundrechten unvereinbar”, Gesellschaft für Freiheitsrechte ; “Sie betrifft die Rechte aller Internetnutzer”, Junge Welt, 15/09/2023.↩︎
  18. “Polizei verdoppelt Zahl identifizierter Personen jährlich”, Netzpolitik.org, 03/06/2021 ; “Mehr Kameras an Bahnhöfen”, DeutschlandFunk, 22/12/2014 ; “Polizei bildet Hunderte Drohnenpiloten aus”, nd Jounralismus von Links, 04/01/2023.↩︎
  19. “Polizei Hamburg will ab Juli Verhalten automatisch scannen”, Netzpolitik.org, 19/06/2023.↩︎
  20. “Digitale Identität aller Menschen – Fortschritt oder globale Überwachung?”, SWR, 28/08/2022.↩︎
  21. “Punkte für das Karmakonto”, Jungle.World, 25/05/2022.↩︎
  22. “Überwachung: Interpol baut Big-Data-System Insight für”vorhersagende Analysen”, Heise Online, 24/09/2023.↩︎
  23. “Chatkontrolle-Bündnis fordert Bundesregierung zum Nein auf”, Netzpolitik.org, 18/09/2023 ; “Unser Bündnis gegen die Chatkontrolle”, Digital Courage, 12/10/2022 ; Chatkontrolle Stoppen, Digital Gesellschaft ; “Aufruf Chatkontrolle stoppen”, Digital Courage, 10/10/2022.↩︎
  24. “Statement zum EU-Verschlüsselungsverbot / Chatdurchleuchtungspflicht”, Enough 14, 15/05/2022.↩︎



Logiciel libre et anarchisme

Par sa volonté de décentralisation, le logiciel libre est présenté comme porteur de valeurs anarchistes, et parfois vilipendé par certaines institutions pour cela. Mais pour autant que les méthodes de travail puissent être reliées à des pratiques libertaires, voire revendiquées comme telles, peut-on réellement considérer qu’il en adopte toutes les valeurs, les ambitions et le message politique ?

Framatophe vous propose ici de retracer un peu la façon dont les mouvements du logiciel libre et des mouvements anarchistes se sont côtoyés au fil des ans et, surtout, comment ils pourraient mieux apprendre l’un de l’autre.

Logiciel libre et anarchisme

À travers le monde et à travers l’histoire, les mouvements anarchistes ont toujours subi la surveillance des communications. Interdiction des discours publics et rassemblements, arrestations d’imprimeurs, interceptions téléphoniques, surveillance numérique. Lorsque je parle ici de mouvements anarchistes, je désigne plutôt tous les mouvements qui contiennent des valeurs libertaires. Bien au-delà des anciennes luttes productivistes des mouvements ouvriers, anarcho-syndicalistes et autres, le fait est qu’aujourd’hui énormément de luttes solidaires et pour la justice sociale ont au moins un aspect anarchiste sans pour autant qu’elles soient issues de mouvements anarchistes « historiques ». Et lorsqu’en vertu de ce « déjà-là » anarchiste qui les imprègne les sociétés font valoir leurs libertés et leurs souhaits en se structurant en organes collectifs, les États et les organes capitalistes renforcent leurs capacités autoritaires dont l’un des aspects reconnaissables est le contrôle des outils numériques.

Cela aboutit parfois à des mélanges qu’on trouverait cocasses s’ils ne démontraient pas en même temps la volonté d’organiser la confusion pour mieux dénigrer l’anarchisme. Par exemple cette analyse lamentable issue de l’École de Guerre Économique, au sujet de l’emploi du chiffrement des communications, qui confond anarchisme et crypto-anarchisme comme une seule « idéologie » dangereuse. Or il y a bien une différence entre prémunir les gens contre l’autoritarisme et le contrôle numérique et souhaiter l’avènement de nouvelles féodalités ultra-capitalistes au nom dévoyé de la liberté. Cette confusion est d’autant plus savamment orchestrée qu’elle cause des tragédies. En France, l’affaire dite du 8 décembre 20201, sorte de remake de l’affaire Tarnac, relate les gardes à vue et les poursuites abusives à l’encontre de personnes dont le fait d’avoir utilisé des protocoles de chiffrement et des logiciels libres est déclaré suspect et assimilable à un comportement dont le risque terroriste serait avéré – en plus d’avoir lu des livres d’auteurs anarchistes comme Blanqui et Kropotkine. Avec de tels fantasmes, il va falloir construire beaucoup de prisons.

caricature suggérant qu'à travers un ordinateur des services secrets "récupèrent" le cerveau éjecté d'un quidam qui est comme étranglé.
Die Hackerbibel, Chaos Computer Club, 1998, illlustration page 15

Le logiciel libre a pourtant acquis ses lettres de noblesses. Par exemple, si Internet fonctionne aujourd’hui, c’est grâce à une foule de logiciels libres. Ces derniers sont utilisés par la plupart des entreprises aujourd’hui et il n’y a guère de secteurs d’activités qui en soient exempts. En revanche, lorsqu’on considère l’ensemble des pratiques numériques basées sur l’utilisation de tels communs numériques, elles font très souvent passer les utilisateurs experts pour de dangereux hackers. Or, lorsque ces utilisations ont pour objectif de ne pas dépendre d’une multinationale pour produire des documents, de protéger l’intimité numérique sur Internet, de faire fonctionner des ordinateurs de manière optimale, ne sont-ce pas là des préoccupations tout à fait légitimes ? Ces projections établissent un lien, souvent péjoratif, entre logiciel libre, activité hacker et anarchisme. Et ce lien est postulé et mentionné depuis longtemps. Le seul fait de bricoler des logiciels et des machines est-il le seul rapport entre logiciel libre et anarchisme ? Que des idiots trouvent ce rapport suspect en fait-il pour autant une réalité tangible, un lien évident ?

Le logiciel libre comporte quatre libertés : celle d’utiliser comme bon nous semble le logiciel, celle de partager le code source tout en ayant accès à ce code, celle de le modifier, et celle de partager ces modifications. Tout cela est contractuellement formalisé par les licences libres et la première d’entre elles, la Licence Publique Générale, sert bien souvent de point de repère. L’accès ouvert au code combiné aux libertés d’usage et d’exploitation sont communément considérés comme les meilleurs exemples de construction de communs numériques et de gestion collective, et représentent les meilleures garanties contre l’exploitation déloyale des données personnelles (on peut toujours savoir et expertiser ce que fait le logiciel ou le service). Quelle belle idée que de concevoir le Libre comme la traduction concrète de principes anarchistes : la lutte contre l’accaparement du code, son partage collaboratif, l’autogestion de ce commun, l’horizontalité de la conception et de l’usage (par opposition à la verticalité d’un pouvoir arbitraire qui dirait seul ce que vous pouvez faire du code et, par extension, de la machine). Et tout cela pourrait être mis au service des mouvements anarchistes pour contrecarrer la surveillance des communications et le contrôle des populations, assurer la liberté d’expression, bref créer de nouveaux communs, avec des outils libres et une liberté de gestion.

Belle idée, partiellement concrétisée à maints endroits, mais qui recèle une grande part d’ombre. Sur les communs que composent les logiciels libres et toutes les œuvres libres (logiciels ou autres), prolifère tout un écosystème dont les buts sont en réalité malveillants. Il s’agit de l’accaparement de ces communs par des acteurs moins bien intentionnés et qui paradoxalement figurent parmi les plus importants contributeurs au code libre / open source. C’est que face à la liberté d’user et de partager, celle d’abuser et d’accaparer n’ont jamais été contraintes ni éliminées : les licences libres ne sont pas moralistes, pas plus qu’elles ne peuvent légitimer une quelconque autorité si ce n’est celle du contrat juridique qu’elles ne font que proposer. On verra que c’est là leur fragilité, nécessitant une identification claire des luttes dont ne peut se départir le mouvement du logiciel libre.

Collaboration sans pouvoir, contribution et partage : ce qui pourrait bien s’apparenter à de grands principes anarchistes fait-il pour autant des mouvements libristes des mouvements anarchistes et du logiciel libre un pur produit de l’anarchie ? Par exemple, est-il légitime que le système d’exploitation Android de Google-Alphabet soit basé sur un commun libre (le noyau Linux) tout en imposant un monopole et des contraintes d’usage, une surveillance des utilisateurs et une extraction lucrative des données personnelles ? En poussant un peu plus loin la réflexion, on constate que la création d’un objet technique et son usage ne sont pas censés véhiculer les mêmes valeurs. Pourtant nous verrons que c’est bien à l’anarchie que font référence certains acteurs du logiciel libre. Cette imprégnation trouve sa source principale dans le rejet de la propriété intellectuelle et du pouvoir qu’elle confère. Mais elle laisse néanmoins l’esprit anarchiste libriste recroquevillé dans la seule production technique, ouvrant la voie aux critiques, entre tentation libertarienne, techno-solutionnisme et mépris de classe. Sous certains aspects, l’éthique des hackers est en effet tout à fait fongible dans le néolibéralisme. Mais il y a pourtant un potentiel libertaire dans le libre, et il ne peut s’exprimer qu’à partir d’une convergence avec les luttes anticapitalistes existantes.

Des libertés fragiles

Avant d’entrer dans une discussion sur le rapport historique entre logiciel libre et anarchie, il faut expliquer le contexte dans lequel un tel rapport peut être analysé. Deux points de repère peuvent être envisagés. Le premier point de repère consiste à prendre en compte que logiciel libre et les licences libres proposent des développements et des usages qui sont seulement susceptibles de garantir nos libertés. Cette nuance a toute son importance. Le second point consiste à se demander, pour chaque outil numérique utilisé, dans quelle mesure il participe du capitalisme de surveillance, dans quelle mesure il ouvre une brèche dans nos libertés (en particulier la liberté d’expression), dans quelle mesure il peut devenir un outil de contrôle. C’est ce qui ouvre le débat de l’implication des mouvements libristes dans diverses luttes pour les libertés qui dépassent le seul logiciel en tant qu’objet technique, ou l’œuvre intellectuelle ou encore artistique placée sous licence libre.

Ce sont des techniques…

Il ne faut jamais perdre de vue que, en tant que supports de pensée, de communication et d’échanges, les logiciels (qu’ils soient libres ou non) les configurent en même temps2. C’est la question de l’aliénation qui nous renvoie aux anciennes conceptions du rapport production-machine. D’un point de vue marxiste, la technique est d’abord un moyen d’oppression aux mains des classes dominantes (l’activité travail dominée par les machines et perte ou éloignement du savoir technique). Le logiciel libre n’est pas exempt de causer cet effet de domination ne serait-ce parce que les rapports aux technologies sont rarement équilibrés. On a beau postuler l’horizontalité entre concepteur et utilisateur, ce dernier sera toujours dépendant, au moins sur le plan cognitif. Dans une économie contributive idéale du Libre, concepteurs et utilisateurs devraient avoir les mêmes compétences et le même degré de connaissance. Mais ce n’est généralement pas le cas et comme disait Lawrence Lessig, « Code is law »3.

Le point de vue de Simondon, lui, est tout aussi acceptable. En effet l’automatisation – autonomisation de la technique (émancipation par rapport au travail) suppose aussi une forme d’aliénation des possédants vis-à-vis de la technique4. Le capital permet la perpétuation de la technique dans le non-sens du travail et des comportements, leur algorithmisation, ce qui explique le rêve de l’usine automatisée, étendu à la consommation, au-delà du simple fait de se débarrasser des travailleurs (ou de la liberté des individus-consommateurs). Cependant la culture technique n’équivaut pas à la maîtrise de la technique (toujours subordonnée au capital). Censé nous livrer une culture technique émancipatrice à la fois du travail et du capital (la licence libre opposée à la propriété intellectuelle du « bien » de production qu’est le logiciel), le postulat libriste de l’équilibre entre l’utilisateur et le concepteur est dans les faits rarement accompli, à la fois parce que les connaissances et les compétences ne sont pas les mêmes (voir paragraphe précédent) mais aussi parce que le producteur lui-même dépend d’un système économique, social, technique, psychologique qui l’enferme dans un jeu de dépendances parfois pas si différentes de celles de l’utilisateur. L’équilibre peut alors être trouvé en créant des chaînes de confiance, c’est-à-dire des efforts collectifs de création de communs de la connaissance (formations, entraide, vulgarisation) et des communs productifs : des organisations à tendances coopératives et associatives capables de proposer des formules d’émancipation pour tous. Créer du Libre sans proposer de solutions collectives d’émancipation revient à démontrer que la liberté existe à des esclaves enchaînés tout en les rendant responsables de leurs entraves.

…Issues de la culture hacker

La culture hacker est un héritage à double tranchant. On a longtemps glorifié les communautés hackers des années 1960 et 1970 parce qu’elles sont à l’origine de l’aventure libératrice de l’ordinateur et des programmes hors du monde hiérarchisé de la Défense et de l’Université. Une sorte de « démocratisation » de la machine. Mais ce qu’on glorifie surtout c’est le mode de production informatique, celui qui a donné lieu aux grandes histoires des communautés qui partageaient la même éthique des libertés numériques et que Steven Lévy a largement popularisé en définissant les contours de cette « éthique hacker »5. Le projet GNU de R. M. Stallman, à l’origine dans les années 1980 de la Licence Publique Générale et de la formulation des libertés logicielles en droit, est surtout l’illustration d’une économie logicielle qui contraint la contribution (c’est la viralité de la licence copyleft) et promeut un mode de développement collectif. Ce qu’on retient aussi de la culture hacker, c’est la réaction aux notions de propriété intellectuelle et d’accaparement du code. On lui doit aussi le fait qu’Internet s’est construit sur des protocoles ouverts ou encore les concepts d’ouverture des formats. Pourtant l’état de l’économie logicielle et de l’Internet des plateformes montre qu’aujourd’hui nous sommes loin d’une éthique de la collaboration et du partage. Les enjeux de pouvoir existent toujours y compris dans les communautés libristes, lorsque par exemple des formats ou des protocoles sont imposés davantage par effet de nombre ou de mode que par consensus6.

 

dessin d'humour sur la couverture du magazine du Chaos Computer Club : un type à casquette à l'envers et en salopette se régale (langue tirée) devant un écran qui demande "qui est là" en allemand, une souris à antenne émet un biiiip sur son bureau. Un verre de coca avec une paille s'y trouve aussi de l'autre côté du clavier. Ordinateur de 1998 donc assez vintage aujourd'hui.
Die Hackerbibel, Chaos Computer Club, 1998, couverture

Comme le montre très bien Sébastien Broca7, l’éthique hacker n’est pas une simple utopie contrariée. Issue de la critique antihiérarchique des sixties, elle a aussi intégré le discours néomanagérial de l’accomplissement individuel qui voit le travail comme expression de soi, et non plus du collectif. Elle a aussi suivi les transformations sociales qu’a entraîné le capitalisme de la fin du XXe siècle qui a remodelé la critique artistique des sixties en solutionnisme technologique dont le fleuron est la Silicon Valley. C’est Fred Tuner qui l’écrit si bien dans un ouvrage de référence, Aux sources de l’utopie numérique : de la contre culture à la cyberculture8. Et pour paraphraser un article récent de ma plume à son propos9 : quelle ironie de voir comment les ordinateurs sont devenus synonymes d’émancipation sociale et de rapprochements entre les groupes sociaux, alors qu’ils sont en même temps devenus les instruments du capitalisme, du nouveau management et de la finance (ce que Detlef Hartmann appelait l’offensive technologique10), aussi bien que les instruments de la surveillance et de la « société du dossier ». C’est bien en tant que « menaces sur la vie privée » que les dépeignaient les premiers détracteurs des bases de données gouvernementales et des banques à l’instar d’Alan Westin11 au soir des années 1960. Tout s’est déroulé exactement comme si les signaux d’alerte ne s’étaient jamais déclenchés, alors que depuis plus de 50 ans de nombreuses lois entendent réguler l’appétit vorace des plateformes. Pourquoi ? Fred Turner y répond : parce que la priorité avait été choisie, celle de transformer le personal is political12 en idéologie néolibérale par le biais d’une philosophie hacker elle-même dévoyée au nom de la liberté et de l’accomplissement de soi.

Des communs mal compris et mal protégés

Ces communs sont mal compris parce qu’ils sont la plupart du temps invisibilisés. La majorité des serveurs sur Internet fonctionnent grâce à des logiciels libres, des protocoles parmi les plus courants sont des protocoles ouverts, des systèmes d’exploitation tels Android sont en fait construits sur un noyau Linux, etc. De tout cela, la plupart des utilisateurs n’ont cure… et c’est très bien. On ne peut pas attendre d’eux une parfaite connaissance des infrastructures numériques. Cela plonge néanmoins tout le monde dans un univers d’incompréhensions.

D’un côté, il y a l’ignorance du public (et bien souvent aussi des politiques publiques) du fait que la majeure partie des infrastructures numériques d’aujourd’hui reposent sur des communs, comme l’a montré N. Egbhal13. Ce fait crée deux effets pervers : le ticket d’entrée dans la « nouvelle économie », pour une start-up dont le modèle repose sur l’exploitation d’un système d’information logiciel, nécessite bien moins de ressources d’infrastructure que dans les années 1990 au point que la quasi-exclusivité de la valeur ajoutée repose sur l’exploitation de l’information et non la création logicielle. Il en résulte un appauvrissement des communs (on les exploite mais on ne les enrichit pas14) et un accroissement de l’économie de plateforme au détriment des infrastructures elles-mêmes : pour amoindrir encore les coûts, on s’en remet toujours plus aux entreprises monopolistes qui s’occupent de l’infrastructure matérielle (les câbles, les datacenter). D’un autre côté, il y a le fait que beaucoup d’organisations n’envisagent ces communs numériques qu’à l’aune de la rentabilité et de la compromission avec la propriété productive, ce qui a donné son grain à moudre à l’Open Source Initiative et sa postérité, reléguant les libristes dans la catégorie des doux utopistes. Mais l’utopie elle-même a ses limites : ce n’est pas parce qu’un service est rendu par des logiciels libres qu’il est sécurisé, durable ou protège pour autant les utilisateurs de l’exploitation lucrative de leurs données personnelles. Tout dépend de qui exploite ces communs. Cela relève en réalité du degré de confiance qu’on est capable de prêter aux personnes et aux organisations qui rendent le service possible.

Les licences libres elles-mêmes sont mal comprises, souvent vécues comme un abandon de l’œuvre et un manque à gagner tant les concepts de la « propriété intellectuelle » imprègnent jusqu’à la dernière fibre le tissu économique dans lequel nous sommes plus ou moins contraints d’opérer. Cela est valable pour les logiciels comme pour les productions intellectuelles de tous ordres, et cela empêche aussi le partage là où il pourrait être le plus bénéfique pour tous, par exemple dans le domaine de la recherche médicale.

Au lieu de cela, on assiste à un pillage des communs15, un phénomène bien identifié et qui connaît depuis les années 2000 une levée en force d’organisations de lutte contre ce pillage, qu’il s’agisse des biens communs matériels (comme l’eau, les ressources cultivables, le code génétique…) ou immatériels (l’art, la connaissance, les logiciels…). C’est la raison pour laquelle la décentralisation et l’autogestion deviennent bien plus que de simples possibilités à opposer à l’accaparement général des communs, mais elles sont aussi autant de voies à envisager par la jonction méthodologique et conceptuelle des organisations libristes, de l’économie solidaire et des mouvements durabilistes16.

Le libre et ses luttes, le besoin d’une convergence

Alors si le Libre n’est ni l’alpha ni l’oméga, si le mouvement pour le logiciel Libre a besoin de réviser sa copie pour mieux intégrer les modèles de développement solidaires et émancipateurs, c’est parce qu’on ne peut manifestement pas les décorréler de quatre autres luttes qui structurent ou devraient structurer les mouvements libristes aujourd’hui.

Une lutte pour imposer de nouveaux équilibres en droit

Les licences libres et leurs domaines d’application, en particulier dans les communs immatériels, ont besoin de compétences et d’alliances pour ne plus servir d’épouvantail, de libre-washing ou, pire, être détournés au profit d’une lucrativité de l’accès ouvert (comme c’est le cas dans le monde des revues scientifiques). Elles ont aussi besoin de compétences et d’alliances pour être mieux défendues : même si beaucoup de juristes s’en sont fait une spécialité, leur travail est rendu excessivement difficile tant le cadre du droit est rigide et fonctionne en référence au modèle économique dominant.

Une lutte pour imposer de nouveaux équilibres en économie

Pouvons-nous sciemment continuer à fermer les yeux sur l’usage d’une soi-disant éthique hacker au nom de la liberté économique sachant qu’une grande part des modèles économiques qui reposent sur des communs immatériels ont un intérêt public extrêmement faible en proportion des capacités d’exploitation lucrative et de la prolétarisation17 qu’ils entraînent. Cela explique par exemple que des multinationales telles Intel et IBM ou Google et Microsoft figurent parmi les grands contributeurs au Logiciel libre et open source18 : ils ont besoin de ces communs19. Et en même temps, on crée des inégalités sociales et économiques : l’exploitation de main-d’œuvre bon marché (comme les travailleurs du clic20) dont se gavent les entreprises du numérique repose elle aussi sur des infrastructures numériques libres et open source. Les communs numériques ne devraient plus être les supports de ce capitalisme21.

Une lutte pour un rééquilibrage infrastructurel

Parce que créer du code libre ne suffit pas, encore faut-il s’assurer de la protection des libertés que la licence implique. En particulier la liberté d’usage. À quoi sert un code libre si je ne peux l’utiliser que sur une plateforme non libre ? à quoi sert un protocole ouvert si son utilisation est accaparée par des systèmes d’information non libres ? À défaut de pouvoir rendre collectifs les câbles sous-marins (eux-mêmes soumis à des contraintes géopolitiques), il est toutefois possible de développer des protocoles et des logiciels dont la conception elle-même empêche ces effets d’accaparement. Dans une certaine mesure c’est ce qui a été réalisé avec les applications du Fediverse22. Ce dernier montre que la création logicielle n’est rien si les organisations libristes ne se mobilisent pas autour d’un projet commun et imaginent un monde numérique solidaire.

Une lutte contre les effets sociaux du capitalisme de surveillance

Qu’il s’agisse du conformisme des subjectivités engendré par l’extraction et l’exploitation des informations comportementales (ce qui dure depuis très longtemps23) ou du contrôle des populations rendu possible par ces mêmes infrastructures numériques dont la technopolice se sert (entre autres), les communautés libristes s’impliquent de plus en plus dans la lutte anti-surveillance et anti-autoritaire. C’est une tradition, assurément, mais ce qu’il manque cruellement encore, c’est la multiplication de points de contact avec les autres organisations impliquées dans les mêmes luttes et qui, bien souvent, se situent sur la question bien plus vaste des biens communs matériels. Combien d’organisations et de collectifs en lutte dans les domaines durabilistes comme l’écologie, le partage de l’eau, les enjeux climatiques, en sont encore à communiquer sur des services tels Whatsapp alors qu’il existe des canaux bien plus protégés24 ? Réciproquement combien d’associations libristes capables de déployer des solutions et de les vulgariser ne parlent jamais aux durabilistes ou autres ? Or, penser les organisations libristes sur un mode solidaire et anti-capitaliste revient à participer concrètement aux luttes en faveur des biens communs matériels, créer des alliances de compétences et de connaissances pour rendre ces luttes plus efficaces.

Le (mauvais) calcul anarchiste

Il y a toute une littérature qui traite du rapport entre librisme et anarchisme. Bien qu’elle ne soit pas toujours issue de recherches académiques, cela n’enlève rien à la pertinence et la profondeur des textes qui ont toujours le mérite d’identifier les valeurs communes tels l’anti-autoritarisme de l’éthique hacker, le copyleft conçu comme une lutte contre la propriété privée, le partage, ou encore les libertés d’usage. Et ces valeurs se retrouvent dans de nombreuses autres sphères inspirées du modèle libriste25 et toutes anticapitalistes. Pour autant, l’éthique hacker ou l’utopie « concrète » du logiciel libre, parce qu’elles sont d’abord et avant tout des formes de pratiques technologiques, ne portent pas per se ces valeurs. Comme je l’ai mentionné plus haut, l’éthique hacker et les utopies plus ou moins issues de la tradition hippie des années 1960 et 1970 sont aussi dépositaires du capitalisme techno-solutionniste exprimé, pour les besoins de la cause, par l’idéologie de la Silicon Valley.

C’est ce point de tension qui a tendance aujourd’hui à causer la diffusion d’une conception binaire du lien entre anarchisme et philosophie hacker. Elle repose sur l’idée selon laquelle c’est l’anarchisme américain qui donne une part fondatrice à la philosophie hacker et qui crée en quelque sorte une opposition interne entre une faction « de gauche » attachée aux combats contre la propriété et une faction « de droite » fongible dans le capitalisme dans la mesure où c’est l’efficacité dans l’innovation qui emporte le reste, c’est-à-dire un anarchisme réduit à être un mode d’organisation de la production et un faire-valoir d’une liberté de lucrativité « décomplexée ».

C’est caricatural, mais la première partie n’est pas inexacte. En effet, nous parlons pour l’essentiel d’un mouvement né aux États-Unis et, qui plus est, dans une période où s’est structurée la Nouvelle Gauche Américaine en phase avec des mouvements libertaires et/ou utopistes issus de la génération anti-guerre des années 1950. Simultanément, les ordinateurs mainframe ont commencé à être plus accessibles dans les milieux universitaires et les entreprises, favorisant la naissance des communautés hackers dans un mouvement d’apprentissage, de partage de connaissances et de pratiques. Par la suite ces communautés se structurèrent grâce aux communications numériques, en particulier Internet, et s’agrandirent avec l’apparition de la microinformatique.

Se reconnaissent-elles dans l’anarchisme ? Même si ses pratiques sont anarchistes, un collectif n’a nul besoin de se reconnaître en tant que tel. Il peut même ne pas en avoir conscience. C’est donc du côté des pratiques et in situ qu’il faut envisager les choses. Les communautés hacker sont issues d’une conjonction historique classique entre la cristallisation des idées hippies et libertaires et l’avènement des innovations techniques qui transforment alors radicalement l’économie (les systèmes d’information numériques). Cela crée par effet rétroactif des communautés qui génèrent elles-mêmes des objets techniques en se réappropriant ces innovations, et en changeant à leur tour le paysage économique en proposant d’autres innovations. On pense par exemple aux Bulletin Board Systems (par exemple le projet Community Memory, premier forum électronique géant et collaboratif), aux systèmes d’exploitation (comment Unix fut créé, ou comment Linux devint l’un des plus grands projets collaboratifs au monde), à des logiciels (le projet GNU), etc. Toutes ces pratiques remettent en cause la structure autoritaire (souvent académique) de l’accès aux machines, provoquent une démocratisation des usages informatiques, incarnent des systèmes de collaboration fondés sur le partage du code et des connaissances, permettent l’adoption de pratiques de prise de décision collective, souvent consensuelles. Couronnant le tout, l’apparition de la Licence Publique Générale initiée par Richard M. Stallman et Eben Moglen avec la Free Software Foundation propose une remise en question radicale de la propriété intellectuelle et du pouvoir qu’elle confère.

Le rapport avec l’anarchisme est de ce point de vue exprimé à maintes reprises dans l’histoire des communautés hacker. On y croise très souvent des références. Dans la biographie de Richard M. Stallman26, par exemple, le AI Lab qui devient le haut lieu de la « Commune Emacs », est décrit ainsi : « La culture hacker qui y régnait et sa politique d’anarchie allaient conférer au lieu l’aura d’éternel rebelle ». Plus loin dans le même livre, E. Moglen se remémore sa rencontre avec R. M. Stallman qu’il décrit comme la rencontre de deux anarchistes. Inversement, R. M. Stallman ne s’est jamais défini comme un anarchiste. Il va même jusqu’à soutenir que le logiciel libre est un mélange de communisme (au sens d’appropriation collective de la production), de capitalisme « éthique » (pouvoir en tirer des avantages lucratifs tant qu’on respecte les libertés des autres), et d’anarchisme (réduit à la liberté de contribuer ou non et d’user comme on veut)27.

Une approche fondée sur une enquête plus solide montre néanmoins que les principes anarchistes ne sont pas considérés comme de simples étiquettes dans les communautés hacker d’aujourd’hui. Menée au cœur des communautés libristes californiennnes, l’enquête de Michel Lallement dans L’âge du faire28 montre une typologie intéressante chez les hackers entre les « pur jus », parmi les plus anciens le plus souvent des hommes au charisme de leader ou de gourous et qui se réclament d’un certain radicalisme anarchiste (sur lequel je vais revenir plus loin) et la masse plus diffuse, plus ou moins concernée par l’aspect politique. Majoritaires sont cependant ceux qui ont tendance à la compromission, jusqu’au point où parfois le travail à l’intérieur de la communauté est valorisé dans l’exercice même de la réussite capitaliste à l’extérieur. J’irais même jusqu’à dire, pour en avoir côtoyé, que certains voient dans le hacking et l’éthique hacker une sorte d’exutoire de la vie professionnelle étouffée par l’économie capitaliste.

Sur l’aspect proprement américain, ce qui est surtout mis en avant, c’est l’opposition entre la bureaucratie (entendue au sens de l’action procédurière et autoritaire) et l’anarchisme. À l’image des anciennes communautés hacker calquées sur l’antique Homebrew Club, ce refus de l’autorité institutionnelle s’apparente surtout à une forme de potacherie corporatiste. Le point commun des communautés, néanmoins, consiste à s’interroger sur les process de prise de décision communautaire, en particulier la place faite au consensus : c’est l’efficacité qui est visée, c’est-à-dire la meilleure façon de donner corps à une délibération collective. C’est ce qui permet de regrouper Noisebridge, MetaLab ou le Chaos Computer Club. Certes, au point de vue du fonctionnement interne, on peut invoquer beaucoup de principes anarchistes. Une critique pointerait cependant que ces considérations restent justement internalistes. On sait que le consensus consolide le lien social, mais la technologie et les savoir-faire ont tendance à concentrer la communauté dans une sorte d’exclusion élective : diplômée, issue d’une classe sociale dominante et bourgeoise, en majorité masculine (bien que des efforts soient menés sur la question du genre).

Si nous restons sur le plan internaliste, on peut tenter de comprendre ce qu’est ce drôle d’anarchisme. Pour certains auteurs, il s’agit de se concentrer sur l’apparente opposition entre libre et open source, c’est-à-dire le rapport que les communautés hacker entretiennent avec le système économique capitaliste. On peut prendre pour repères les travaux de Christian Imhorst29 et Dale A. Bradley30. Pour suivre leur analyse il faut envisager l’anarchisme américain comme il se présentait à la fin des années 1970 et comment il a pu imprégner les hackers de l’époque. Le sous-entendu serait que cette imprégnation perdure jusqu’à aujourd’hui. Deux étapes dans la démonstration.

En premier lieu, la remise en cause de la propriété et de l’autorité est perçue comme un radicalisme beaucoup plus fortement qu’elle ne pouvait l’être en Europe au regard de l’héritage de Proudhon et de Bakhounine. Cela tient essentiellement au fait que la structuration du radicalisme américain s’est établie sur une réverbération du bipartisme américain. C’est ce qu’analyse bien en 1973 la chercheuse Marie-Christine Granjon au moment de l’éveil de la Nouvelle Gauche aux États-Unis : chasser les radicaux du paysage politique en particulier du paysage ouvrier dont on maintenait un niveau de vie (de consommation) juste assez élevé pour cela, de manière à « maintenir en place la structure monopolistique de l’économie sur laquelle repose le Welfare State — l’État des monopoles, des managers, des boss du monde syndical et de la politique —, pour protéger cette Amérique, terre de l’égalité, de la liberté et de la poursuite du bonheur, où les idéologies n’avaient plus de raison d’être, où les radicaux étaient voués à la marginalité et tolérés dans la mesure de leur inaction et de leur audience réduite »31. En d’autres termes, être radical c’est être contre l’État américain, donc soit contre le bien-être du peuple et ses libertés, soit le contraire (et chercher à le démontrer), mais en tout cas, contre l’État américain.

En second lieu, la dichotomie entre anarchisme de droite et anarchisme de gauche pourrait se résumer à la distinction entre libertariens et communautaires anticapitalistes. Ce n’est pas le cas. Mais c’est ainsi que posent les prémisses du problème C. Imhorst comme D. A. Bradley et avec eux beaucoup de ceux qui réduisent la distinction open-source / librisme. Sur ce point on reprend souvent la célèbre opposition entre les grandes figures des deux « camps », d’un côté R. M. Stallman, et de l’autre côté Eric S. Raymond, auteur de La Cathédrale et le bazar, évangéliste du marché libre ne retenant de la pensée hacker que l’efficacité de son organisation non hiérarchique. Cette lecture binaire de l’anarchisme américain, entre droite et gauche, est exprimée par David DeLeon en 1978 dans son livre The American as Anarchist32, assez critiqué pour son manque de rigueur à sa sortie, mais plusieurs fois réédité, et cité de nombreuses fois par C. Imhorst. Dans la perspective de DeLeon, l’anarchisme américain est essentiellement un radicalisme qui peut s’exprimer sur la droite de l’échiquier politique comme le libertarianisme, profondément capitaliste, individualiste-propriétariste et contre l’État, comme sur la gauche, profondément anticapitaliste, communautaire, contre la propriété et donc aussi contre l’État parce qu’il protège la propriété et reste une institution autoritaire. En écho, réduire le mouvement libriste « radical » à la figure de R. M. Stallman, et l’opposer au libertarianisme de E. S. Raymond, revient à nier toutes les nuances exprimées en quarante ans de débats et de nouveautés (prenons simplement l’exemple de l’apparition du mouvement Creative Commons).

Le but, ici, n’est pas tant de critiquer la simplicité de l’analyse, mais de remarquer une chose plus importante : si le mouvement hacker est perçu comme un radicalisme aux États-Unis dès son émergence, c’est parce qu’à cette même époque (et c’est pourquoi j’ai cité deux références de l’analyse politique des années 1970) le radicalisme est conçu hors du champ politique bipartite, contre l’État, et donc renvoyé à l’anarchisme. En retour, les caractéristiques de l’anarchisme américain offrent un choix aux hackers. Ce même choix qui est exprimé par Fred Turner dans son analyse historique : comment articuler les utopies hippies de la Nouvelle Gauche avec la technologie d’un côté, et le rendement capitaliste de l’autre. Si on est libertarien, le choix est vite effectué : l’efficacité de l’organisation anarchiste dans une communauté permet de s’affranchir de nombreux cadres vécus comme des freins à l’innovation et dans la mesure où l’individualisme peut passer pour un accomplissement de soi dans la réussite économique, la propriété n’a aucune raison d’être opposée au partage du code et ce partage n’a pas lieu de primer sur la lucrativité.

Considérer le mouvement pour le logiciel libre comme un mouvement radical est une manière d’exacerber deux positions antagonistes qui partent des mêmes principes libertaires et qui aboutissent à deux camps, les partageux qui ne font aucun compromis et les ultra-libéraux prêts à tous les compromis avec le capitalisme. On peut néanmoins suivre D. A. Bradley sur un point : le logiciel libre propose à minima la réorganisation d’une composante du capitalisme qu’est l’économie numérique. Si on conçoit que la technologie n’est autre que le support de la domination capitaliste, penser le Libre comme un radicalisme reviendrait en fait à une contradiction, celle de vouloir lutter contre les méfaits de la technologie par la technologie, une sorte de primitivisme qui s’accommoderait d’une éthique censée rendre plus supportable le techno-capitalisme. Or, les technologies ne sont pas intrinsèquement oppressives. Par exemple, les technologies de communication numérique, surtout lorsqu’elles sont libres, permettent la médiatisation sociale tout en favorisant l’appropriation collective de l’expression médiatisée. Leurs licences libres, leurs libertés d’usages, ne rendent pas ces technologies suffisantes, mais elles facilitent l’auto-gestion et l’émergence de collectifs émancipateurs : ouvrir une instance Mastodon, utiliser un système de messagerie sécurisée, relayer les informations anonymisées de camarades qui subissent l’oppression politique, etc.

L’anarchisme… productiviste, sérieusement ?

Le Libre n’est pas un existentialisme, pas plus que l’anarchisme ne devrait l’être. Il ne s’agit pas d’opposer des modes de vie où le Libre serait un retour idéaliste vers l’absence de technologie oppressive. Les technologies sont toujours les enfants du couple pouvoir-connaissance, mais comme disait Murray Bookchin, si on les confond avec le capitalisme pour en dénoncer le caractère oppresseur, cela revient à «  masquer les relations sociales spécifiques, seules à même d’expliquer pourquoi certains en viennent à exploiter d’autres ou à les dominer hiérarchiquement ». Il ajoutait, à propos de cette manière de voir : « en laissant dans l’ombre l’accumulation du capital et l’exploitation du travail, qui sont pourtant la cause tant de la croissance que des destructions environnementales, elle ne fait ainsi que leur faciliter la tâche. » 33

Le rapport entre le libre et l’anarchisme devrait donc s’envisager sur un autre plan que l’opposition interne entre capitalistes et communistes et/ou libertaires (et/ou commonists), d’autant plus que ce type de brouillage n’a jusqu’à présent fait qu’accréditer les arguments en faveur de la privatisation logicielle aux yeux de la majorité des acteurs de l’économie numérique34. Ce rapport devrait plutôt s’envisager du point de vue émancipateur ou non par rapport au capitalisme. De ce point de vue, exit les libertariens. Mais alors, comme nous avons vu que pour l’essentiel l’anarchisme libriste est un mode de production efficace dans une économie contributive (qui devrait être néanmoins plus équilibrée), a-t-il quelque chose de plus ?

Nous pouvons partir d’un autre texte célèbre chez les libristes, celui d’Eben Moglen, fondateur du Software Freedom Law Center, qui intitulait puissamment son article : « L’anarchisme triomphant : le logiciel libre et la mort du copyright »35. Selon lui, le logiciel conçu comme une propriété crée un rapport de force dont il est extrêmement difficile de sortir avec les seules bonnes intentions des licences libres. E. Moglen prend l’exemple du très long combat contre la mainmise de Microsoft sur les ordinateurs neufs grâce à la vente liée, et nous n’en sommes pas complètement sortis. Aujourd’hui, nous pourrions prendre bien d’autres exemples qui, tous, sont le fait d’alliances mondialisées et de consortiums sur-financiarisés de fabricants de matériel et de fournisseurs de services. Il faut donc opposer à cette situation une nouvelle manière d’envisager la production et la créativité.

Code source et commentaires désignent le couple entre fonctionnalité et expressivité des programmes. En tant que tels, ils peuvent être considérés comme autant de preuves que le travail intellectuel nécessaire à l’élaboration d’un programme n’est pas uniquement le fait de travailler sur des algorithmes mais aussi en inventer les propriétés. Dès lors, on peut comprendre que le copyright puisse s’appliquer à plein. Dès l’instant que les ordinateurs ont cessé d’être des machines centrales aux coûts extrêmement élevés, et que pour les faire fonctionner les logiciels ont cessé d’être donnés (car le coût marginal de la création logicielle était faible en comparaison du coût de fabrication d’une grosse machine), l’ordinateur personnel a multiplié mécaniquement le besoin de réaliser des plus-values sur le logiciel et enfermé ce dernier dans une logique de copyright. Seulement voilà : lorsqu’une entreprise (par exemple Microsoft) exerce un monopole sur le logiciel, bien qu’elle puisse embaucher des centaines de développeurs, elle ne sera jamais en mesure d’adapter, tester à grande échelle, proposer des variations de son logiciel en quantités suffisantes pour qu’il puisse correspondre aux besoins qui, eux, ont tendance à se multiplier au fur et à mesure que les ordinateurs pénètrent dans les pratiques sociales et que la société devient un maillage en réseau. Si bien que la qualité et la flexibilité des logiciels privateurs n’est jamais au rendez-vous. Si ce défaut de qualité passe souvent inaperçu, c’est aux yeux de l’immense majorité des utilisateurs qui ne sont pas techniciens, et pour lesquels les monopoles créent des cages d’assistanat et les empêche (par la technique du FUD) d’y regarder de plus près. Après tout, chacun peut se contenter du produit et laisser de côté des défauts dont il peut toujours (essayer de) s’accommoder.

En somme, les utilisateurs ont été sciemment écartés du processus de production logicielle. Alors qu’à l’époque plus ancienne des gros ordinateurs, on adaptait les logiciels aux besoins et usages, et on pouvait les échanger et les améliorer en partant de leur utilisation. Or, l’histoire des sciences et des technologies nous apprend que l’avancement des sciences et technologies dépendent d’apprentissages par la pratique, d’appropriations collectives de l’existant, d’innovation par incrémentation et implications communautaires (c’est ce qu’ont montré David Edgerton36 et Clifford Conner37). En ce sens, le modèle économique des monopoles du logiciel marche contre l’histoire.

 

mème en deux images. dans la première, le logiciel libre tend les bras vers l'autogestion des communs, dans la deuxième qui dézoome la première, on voit qu'un gros personnage "les géants du web" retient fermement le logiciel libre qui ne peut atteindre l'autogestion des communs

C’est de ce point de vue que le logiciel libre peut être envisagé non seulement comme la production d’un mouvement de résistance38, mais aussi comme un mode de production conçu avant tout comme une réaction à la logique marchande, devant lutter sans cesse contre la « plasticité du capitalisme » (au sens de F. Braudel39), avec des résultats plus ou moins tangibles. Même si la question de l’écriture collective du code source mériterait d’être mieux analysée pour ses valeurs performatives intrinsèques40.

Comme le dit Eben Moglen racontant le projet GNU de R. M. Stallman : le logiciel libre pouvait « devenir un projet auto-organisé, dans lequel aucune innovation ne serait perdue à travers l’exercice des droits de propriété ». Depuis le milieu des années 1980 jusqu’à la fin des années 1990, non seulement des logiciels ont été produits de manière collective en dehors du copyright, mais en plus de cela, des systèmes d’exploitation comme GNU Linux aux logiciels de serveurs et à la bureautique, leur reconnaissance par l’industrie elle-même (normes et standards) s’est imposée à une échelle si vaste que le logiciel libre a bel et bien gagné la course dans un monde où la concurrence était faussée si l’on jouait avec les mêmes cartes du copyright.

C’est ce qui fait dire à Eben Moglen que « lorsqu’il est question de faire de bons logiciels, l’anarchisme gagne ». Il oppose deux choses à l’industrie copyrightée du logiciel :

  • les faits : le logiciel libre est partout, il n’est pas une utopie,
  • le mode de production : l’anarchisme est selon lui la meilleure « organisation » de la production.

Reste à voir comment il conçoit l’anarchisme. Il faut confronter ici deux pensées qui sont contemporaines, celle d’Eben Moglen et celle de Murray Bookchin. Le second écrit en 1995 que le mot « anarchisme » allait bientôt être employé comme catégorie d’action bourgeoise41 :

«  les objectifs révolutionnaires et sociaux de l’anarchisme souffrent d’une telle dégradation que le mot « anarchie » fera bientôt partie intégrante du vocabulaire chic bourgeois du siècle à venir : une chose quelque peu polissonne, rebelle, insouciante, mais délicieusement inoffensive ».

Bookchin écrivait aussi « Ainsi, chez nombre d’anarchistes autoproclamés, le capitalisme disparaît, remplacé par une « société industrielle » abstraite. »

Mais d’un autre côté, à peine six ans plus tard, il y a cette volonté d’E. Moglen d’utiliser ce mot et d’entrer en confrontation assez directe avec ce que M. Bookchin disait de la tendance new age férue d’individualisme et de primitivisme et qui n’avait plus de rien de socialiste. En fin de compte, si on conçoit avec E. Moglen l’anarchisme comme un mode de production du logiciel libre, alors on fait aussi une jonction entre la lutte contre le modèle du monopole et du copyright et la volonté de produire des biens numériques, à commencer par des logiciels, tout en changeant assez radicalement l’organisation sociale de la production contre une machinerie industrielle. Et cette lutte n’a alors plus rien d’abstrait. La critique de M. Bookchin, était motivée par le fait que l’anarchisme s’est transformé des années 1970 aux années 1990 et a fini par dévoyer complètement les théories classiques de l’anarchisme au profit d’une culture individualiste et d’un accomplissement de soi exclusif. Le logiciel libre, de ce point de vue, pourrait avoir le mérite de resituer l’action anarchiste dans un contexte industriel (la production de logiciels) et social (les équilibres de conception et d’usage entre utilisateurs et concepteurs).

Et l’État dans tout cela ? est-il évacué de l’équation ? Ces dernières décennies sont teintées d’un néolibéralisme qui façonne les institutions et le droit de manière à créer un espace marchand où les êtres humains sont transformés en agents compétitifs. La production communautaire de logiciel libre ne serait-elle qu’un enfermement dans une plasticité capitaliste telle qu’elle intègre elle-même le mode de production anarchiste du libre dans une compétition dont le grand gagnant est toujours celui qui réussit à piller le mieux les communs ainsi produits ? Car si c’est le cas, alors M. Bookchin avait en partie raison : l’anarchisme n’a jamais pu résoudre la tension entre autonomie individuelle et liberté sociale autrement qu’en se contentant de s’opposer à l’autorité et à l’État, ce qu’on retrouve dans la reductio de l’anarchisme des libertariens – et contre cela M. Bookchin propose un tout autre programme, municipaliste et environnementaliste. Or, si on suit E. Moglen, on ne perçoit certes pas d’opposition frontale contre l’État, mais dans un contexte néolibéral, les monopoles industriels ne peuvent-ils pas être considérés comme les nouvelles figures d’opposition d’autorité et de pouvoir ?

Pour ma part, je pense que qu’État et monopoles se contractent dans le capitalisme de surveillance, un Léviathan contre lequel il faut se confronter. Toute la question est de savoir à quelle société libertaire est censé nous mener le logiciel libre. J’ai bien l’impression que sur ce point les libristes old school qui s’autoproclament anarchistes se trompent : ce n’est pas parce que le mouvement du logiciel libre propose une auto-organisation de la production logicielle et culturelle, contre les monopoles mais avec une simple injonction à l’émancipation, que cela peut déboucher sur un ordre social libertaire.

Là où le logiciel libre pourrait se réclamer de l’anarchisme, c’est dans le fait qu’il propose une très forte opposition aux institutions sociales oppressives que sont les monopoles et l’État, mais seulement à partir du moment où on conçoit le mouvement du logiciel libre non comme un mode de production anarchiste, mais comme un moment qui préfigure42 un ordre social parce qu’il s’engage dans une lutte contre l’oppression tout en mettant en œuvre un mode de production alternatif, et qu’il constitue un modèle qui peut s’étendre à d’autres domaines d’activité (prenons l’exemple des semences paysannes). Et par conséquent il devient un modèle anarchiste.

Si on se contente de n’y voir qu’un mode de production, le soi-disant anarchisme du logiciel libre est voué à n’être qu’un modèle bourgeois (pour reprendre l’idée de M. Bookchin), c’est à dire dénué de projet de lutte sociale, et qui se contente d’améliorer le modèle économique capitaliste qui accapare les communs : il devient l’un des rouages de l’oppression, il n’est conçu que comme une utopie « bourgeoisement acceptable ». C’est-à-dire un statut duquel on ne sort pas ou bien les pieds devant, comme un mode de production que le néomanagement a bel et bien intégré. Or, s’il y a une lutte anarchiste à concevoir aujourd’hui, elle ne peut pas se contenter d’opposer un modèle de production à un autre, elle doit se confronter de manière globale au capitalisme, son mode de production mais aussi son mode d’exploitation sociale.

Les limites de l’anarchisme utopique du Libre ont été révélées depuis un moment déjà. L’Electronic Frontier Foundation (où Eben Moglen officie) le reconnaît implicitement dans un article de mai 2023 écrit par Cory Doctorow et publié par l’EFF 43 :

« Alors que les régulateurs et les législateurs réfléchissent à l’amélioration de l’internet pour les êtres humains, leur priorité absolue devrait être de redonner du pouvoir aux utilisateurs. La promesse d’Internet était de supprimer les barrières qui se dressaient sur notre chemin : la distance, bien sûr, mais aussi les barrières érigées par les grandes entreprises et les États oppressifs. Mais les entreprises ont pris pied dans cet environnement de barrières abaissées, se sont retournées et ont érigé de nouvelles barrières de leur côté. Des milliards d’entre nous se sont ainsi retrouvés piégés sur des plateformes que beaucoup d’entre nous n’aiment pas, mais qu’ils ne peuvent pas quitter. »

Il faut donc des alternatives parce que les acteurs qui avaient promis de rendre les réseaux plus ouverts (le Don’t be evil de Google) ont non seulement failli mais, en plus, déploient des stratégies juridiques et commerciales perverses pour coincer les utilisateurs sur leurs plateformes. Dès lors, on voit bien que le problème qui se pose n’est pas d’opposer un mode de production à un autre, mais de tenter de gagner les libertés que le capitalisme de surveillance contient et contraint. On voit aussi que depuis 2001, les problématiques se concentrent surtout sur les réseaux et le pouvoir des monopoles. Là, on commence à toucher sérieusement les questions anarchistes. Dès lors l’EFF propose deux principes pour re-créer un Internet « d’intérêt public » :

  • le chiffrement de bout en bout et la neutralité du Net,
  • contourner les grandes plateformes.

Faut-il pour autant, comme le propose Kristin Ross44, pratiquer une sorte d’évacuation générale et se replier, certes de manière constructive, sur des objets de lutte plus fondamentaux, au risque de ne concevoir de lutte pertinente que des luttes exclusives, presque limitées à la paysannerie et l’économie de subsistance ? Je ne suis pas d’accord. Oui, il faut composer avec l’existant mais dans les zones urbaines, les zones rurales comme dans le cyberespace on peut préfigurer des formes d’organisation autonomes et des espaces à défendre. Le repli individualiste ou collectiviste-exclusif n’est pas une posture anarchiste. Premièrement parce qu’elle n’agit pas concrètement pour les travailleurs, deuxièmement parce que cela revient à abandonner ceux qui ne peuvent pas pratiquer ce repli de subsistance au risque de ce qu’on reprochait déjà aux petits-bourgeois communautaires hippies des années 1970, et troisièmement enfin, parce que je ne souhaite pas vivre dans une économie de subsistance, je veux vivre dans l’abondance culturelle, scientifique et même technique et donc lutter pour un nouvel ordre social égalitaire général et pas réservé à ceux qui feraient un choix de retrait, individuel et (il faut le reconnaître) parfois courageux.

Alors, vers quel anarchisme se diriger ?

Le potentiel libertaire de la technologie

En 1971, Sam Dolgoff publie un article sans concession dans la petite revue Newyorkaise Libertarian Analysis. L’article fut ensuite tiré à part à plusieurs reprises si bien que, sous le titre The Relevance of Anarchism to Modern Society45, le texte figure parmi les must read de la fin des années 1970. Dolgoff y décrit l’état de l’anarchisme dans une société prise dans les contradictions de la contre-culture des années 1960, et dont les effets se rapportent à autant de conceptions erronées de l’anarchisme qui se cristallisent dans un « néo-anarchisme » bourgeois discutable. Ce contre quoi S. Dolgoff avance ses arguments est l’idée selon laquelle l’anarchisme « filière historique » serait dépassé étant donné la tendance mondiale vers la centralisation économique, fruit des récents développements des sciences et des techniques, une sorte de fin de l’histoire (avant l’heure de celle de Fukuyama en 1992) contre laquelle on ne pourrait rien. Le sous-entendu met en avant la contradiction entre le positivisme dont s’inspire pourtant l’anarchisme de Proudhon à Bakounine, c’est-à-dire le développement en soi émancipateur des sciences et des techniques (à condition d’une éducation populaire), et le fait que cet élan positiviste a produit une mondialisation capitaliste contre laquelle aucune alternative anarchiste n’a pu s’imposer. Le réflexe social qu’on retrouve dans le mouvement contre-culturel des années 1960 et 1970, associé à ce que S. Dolgoff nomme le néo-anarchisme (bourgeois)46 (et qui sera repris en partie par M. Bookchin plus tard), amène à penser l’anarchisme comme une réaction à cette contradiction et par conséquent un moment de critique de l’anarchisme classique qui n’envisagerait pas correctement la complexité sociale, c’est-à-dire la grande diversité des nuances entre compromission et radicalisme, dans les rapports modernes entre économie, sciences, technologies et société. Ce qui donne finalement un anarchisme réactionnaire en lieu et place d’un anarchisme constructif, c’est-à-dire une auto-organisation fédéraliste qui accepte ces nuances, en particulier lors de l’avènement d’une société des médias, du numérique et de leur mondialisation (en plus des inégalités entre les pays).

Or, S. Dolgoff oppose à cette idée pessimiste le fait que la pensée anarchiste a au contraire toujours pris en compte cette complexité. Cela revient à ne justement pas penser l’anarchisme comme une série d’alternatives simplistes au gouvernementalisme (le contrôle de la majorité par quelques-uns). Il ne suffit pas de s’opposer au gouvernementalisme pour être anarchiste. Et c’est pourtant ce que les libertariens vont finir par faire, de manière absurde. L’anarchisme, au contraire a toujours pris en compte le fait qu’une société anarchiste implique une adaptation des relations toujours changeantes entre une société et son environnement pour créer une dynamique qui recherche équilibre et harmonie indépendamment de tout autoritarisme. Dès lors les sciences et techniques ont toujours été des alliées possibles. Pour preuve, cybernétique et anarchisme ont toujours fait bon ménage, comme le montre T. Swann dans un article au sujet de Stafford Beer, le concepteur du projet Cybersyn au Chili sous la présidence S. Allende47 : un mécanisme de contrôle qui serait extérieur à la société implique l’autoritarisme et un contrôle toujours plus contraignant, alors qu’un mécanisme inclus dans un système auto-organisé implique une adaptation optimale au changement48. L’optimisation sociale implique la décentralisation, c’est ce qu’ont toujours pensé les anarchistes. En ce sens, les outils numériques sont des alliés possibles.

En 1986, quinze ans après son article de 1971, dans le premier numéro de la revue qu’il participe à fonder (la Libertarian Labor Review), S. Dolgoff publie un court article intitulé « Modern Technology and Anarchism »49. Il revient sur la question du lien entre l’anarchisme et les nouvelles technologies de communication et d’information qu’il a vu naître et s’imposer dans le mouvement d’automatisation de l’industrie et plus généralement dans la société. Les réseaux sont pour lui comme un pharmakon (au sens de B. Stiegler), ils organisent une dépossession par certains aspects mais en même temps peuvent être des instruments d’émancipation.

Cet article de 1986 est quelque peu redondant avec celui de 1971. On y retrouve d’ailleurs à certains endroits les mêmes phrases et les mêmes idées. Pour les principales : il y a un déjà-là anarchiste, et la société est un réseau cohérent de travail coopératif. Pour S. Dolgoff, la technologie moderne a résolu le problème de l’accès aux avantages de l’industrie moderne, mais ce faisant elle a aussi accru significativement la décentralisation dans les entreprises avec la multiplication de travailleurs hautement qualifiés capables de prendre des décisions aux bas niveaux des organisations. S. Dolgoff cite plusieurs auteurs qui ont fait ce constat. Ce dernier est certes largement terni par le fait que cette décentralisation fait écho à la mondialisation qui a transformé les anciennes villes industrielles en villes fantômes, mais cette mondialisation est aussi un moment que l’anarchie ne peut pas ne pas saisir. En effet, cette mise en réseau du monde est aussi une mise en réseau des personnes. Si les technologies modernes d’information, les ordinateurs et les réseaux, permettent d’éliminer la bureaucratie et abandonner une fois pour toutes la centralisation des décisions, alors les principes de coopération et du déjà-là anarchiste pourront se déployer. Faire circuler librement l’information est pour S. Dolgoff la condition nécessaire pour déployer tout le « potentiel libertaire de la technologie ». Mais là où il pouvait se montrer naïf quinze ans auparavant, il concède que les obstacles sont de taille et sont formés par :

« Une classe croissante de bureaucraties étatiques, locales, provinciales et nationales, de scientifiques, d’ingénieurs, de techniciens et d’autres professions, qui jouissent tous d’un niveau de vie bien supérieur à celui du travailleur moyen. Une classe dont le statut privilégié dépend de l’acceptation et du soutien du système social réactionnaire, qui renforce considérablement les variétés « démocratiques », « sociales » et « socialistes » du capitalisme. (…) Tous reprennent les slogans de l’autogestion et de la libre association, mais ils n’osent pas lever un doigt accusateur sur l’arc sacré de l’État. Ils ne montrent pas le moindre signe de compréhension du fait évident que l’élimination de l’abîme séparant les donneurs d’ordres des preneurs d’ordres – non seulement dans l’État mais à tous les niveaux – est la condition indispensable à la réalisation de l’autogestion et de la libre association : le cœur et l’âme même de la société libre. »

Peu d’années avant son décès, et après une longue carrière qui lui avait permis de prendre la mesure de l’automatisation de l’industrie et voir l’arrivée des ordinateurs dans les processus de production et de contrôle, Sam Dolgoff a bien saisi la contradiction entre le « potentiel libertaire de la technologie » et l’apparition d’une classe sociale qui, avec l’aide de l’État et forte de subventions, réussit le tour de force d’accaparer justement ce potentiel dans une démarche capitaliste tout en parant des meilleures intentions et des meilleurs slogans ce hold-hup sur le travail collectif et la coopération.

C’est pourquoi il est pertinent de parler d’idéologie concernant la Silicon Valley, et c’est d’ailleurs ce que Fred Turner avait bien vu50 :

« La promesse utopique de la Valley est la suivante : Venez ici, et construisez-y l’avenir avec d’autres individus partageant les mêmes idées. Immergez-vous dans le projet et ressortez-en en ayant sauvé l’avenir. »

Les nouvelles frontières sociales des utopistes de la Silicon Valley ont été une interprétation du potentiel libertaire de la technologie, faite de néo-communautarisme et de cette Nouvelle Gauche que S. Dolgoff critiquait dès 1971. Mais ces nouvelles frontières ont été transformées en mythe parce que la question est de savoir aujourd’hui qui décide de ces nouvelles frontières, qui décide de consommer les technologies de communication censées permettre à tous d’avoir accès à l’innovation. Qui décide qu’un téléphone à plus de 1000€ est la meilleure chose à avoir sur soi pour une meilleure intégration sociale ? Qui décide que la nouvelle frontière repose sur la circulation de berlines sur batteries en employant une main-d’œuvre bon marché ?

Ouvrir le Libre

Il est temps de réhabiliter la pensée de Sam Dolgoff. Le Libre n’est pas qu’un mode de production anarchiste, il peut être considéré comme un instrument de libération du potentiel libertaire de la technologie.

Scander haut et fort que les hackers sont des anarchistes ne veut rien dire, tant que le modèle organisationnel et économique ne sert pas à autre chose que de développer du code. Rester dans le positivisme hérité des anarchistes de la première moitié du XXe siècle a ce double effet : un sentiment de dépassement lorsqu’on considère combien le « progrès » technologique sert à nous oppresser, et un sentiment d’abandon parce que celleux qui sont en mesure de proposer des alternatives techniques d’émancipation ont tendance à le faire en vase clos et reproduisent, souvent inconsciemment, une forme de domination.

Ce double sentiment a des conséquences qui dépassent largement la question des logiciels. Il est toujours associé à la tendance toujours plus grande de l’État à accroître les inégalités sociales, associé aux conséquences climatiques du système économique dominant qui nous conduit au désastre écologique, associé à la répression toujours plus forte par l’autoritarisme des gouvernements qui défendent les intérêts des plus riches contre les travailleurs et contre tout le reste. Il en résulte alors un désarmement technologique des individus là où il faut se défendre. À défaut, les solutions envisagées ont toujours petit goût pathétique : des plaidoyers qui ne sont jamais écoutés et trouvent encore moins d’écho dans la représentation élective, ou des actions pacifiques réprimées dans la violence.

les quatre vieux dans un salon doré, plus ou moins grimés. L'un dit : "bon, à partir de là, tâchez d'avoir l'air con comme des bourgeois, il s'agit de pas se faire repérer"
Les Vieux Fourneaux, Lupanu et Cauuet, extrait de la BD

 

Le potentiel libertaire du logiciel libre a cette capacité de réarmement technologique des collectifs car nous évoluons dans une société de la communication où les outils que nous imposent les classes dominantes sont toujours autant d’outils de contrôle et de surveillance. Il a aussi cette capacité de réarmement conceptuel dans la mesure où notre seule chance de salut consiste à accroître et multiplier les communs, qu’ils soient numériques ou matériels. Or, la gestion collective de ces communs est un savoir-faire que les mouvements libristes possèdent et diffusent. Ils mettent en pratique de vieux concepts comme l’autogestion, mais savent aussi innover dans les pratiques coopératives, collaboratives et contributives.

Occupy Wall Street, Nuit Debout, et bien d’autres évènements du genre, ont été qualifiés de préfiguratifs parce qu’ils opposaient de nouveaux imaginaires et de nouvelles manières de penser le monde tout en mettant en pratique les concepts mêmes qu’ils proposaient. Mais ce spontanéisme a tendance à se montrer évanescent face à des concrétisations préfiguratives comme les ZAD, la Comuna de Oaxaca, le mouvement zapatiste, et des milliers d’autres concrétisations à travers le monde et dont la liste serait fastidieuse. Rien qu’en matière d’autogestion, il suffit de jeter un œil sur les 11 tomes (!) de l’encyclopédie de l’Association Autogestion (2019)51. Or, dans tous ces mouvements, on retrouve du logiciel libre, on retrouve des libristes, on retrouve des pratiques libristes. Et ce n’est que très rarement identifié et formalisé.

Que faire ? Peut-être commencer par s’accorder sur quelques points, surtout entre communautés libristes et communautés libertaires :

  1. Ce n’est pas parce qu’on est libriste qu’on est anarchiste, et l’éthique hacker n’est pas un marqueur d’anarchisme. De manière générale, mieux vaut se méfier de l’autoproclamation dans ce domaine, surtout si, en pratique, il s’agit de légitimer le pillage des communs. Par contre il y a beaucoup d’anarchistes libristes.
  2. Les pratiques anarchistes n’impliquent pas obligatoirement l’utilisation et/ou la création de logiciels libres ou d’autres productions libres des communs numériques. Le Libre n’a pas à s’imposer. Mais dans notre monde de communication, le Libre en tant qu’outil est un puissant moteur libertaire. Il permet aux libertaires de mettre en œuvre des actions de communication, de coopération et de stratégie.
  3. Proposer le logiciel libre ou les licences libres n’est pas un acte altruiste ni solidaire s’il n’est pas accompagné de discours ou d’actes émancipateurs. Il peut même créer l’inverse par excès, submersion de connaissances et finalement exclusion. Il faut travailler de plus en plus les conditions d’adoption de solutions techniques libres dans les collectifs, mieux partager les expériences, favoriser l’inclusion dans la décision d’adoption de telles ou telles techniques. Elles doivent apporter du sens à l’action (et nous revoici dans la réflexion déjà ancienne du rapport entre travailleurs et machines).
  4. Il vaut mieux privilégier l’émancipation non-numérique à la noyade techno-solutionniste qui résulte d’un manque de compétences et de connaissances.
  5. La solidarité doit être le pilier d’une éducation populaire au numérique. Cela ne concerne pas uniquement l’anarchisme. Mais un collectif ne peut pas seul effectuer une démarche critique sur ses usages numériques s’il n’a pas en même temps les moyens de les changer efficacement. Les collectifs doivent donc échanger et s’entraider sur ces points (combien de groupes anarchistes utilisent Facebook / Whatsapp pour s’organiser ? ce n’est pas par plaisir, sûr !).

Notes


  1. La Quadrature du Net, « Affaire du 8 décembre : le chiffrement des communications assimilé à un comportement terroriste », 5 juin 2023, URL.↩︎
  2. On peut prendre un exemple trivial, celui du microblogage qui transforme la communication en flux d’information. Le fait de ne pouvoir s’exprimer qu’avec un nombre limité de caractère et de considérer l’outil comme le support d’un réseau social (où le dialogue est primordial), fait que les idées et les concepts ne peuvent que rarement être développés et discutés, ce qui transforme l’outil en support de partage d’opinions non développées, raccourcies, caricaturales. Ajoutons à cela le fait que, sur un système de microblogage commercial, les algorithmes visant à générer de la lucrativité attentionnelle, ce sont les contenus les poins pertinents pour la pensée et les plus pertinents pour le trafic qui sont mis en avant. Contrairement à ce qu’annoncent les plateformes commerciales de microblogage, ce dernier ne constitue absolument pas un support d’expression libre, au contraire il réduit la pensée à l’opinion (ou ne sert que de support d’annonces diverses). Un autre exemple concerne la « rédaction web » : avec la multiplication des sites d’information, la manière d’écrire un article pour le web est indissociable de l’optimisation du référencement. Le résultat est que depuis les années 2000 les contenus sont tous plus ou moins calibrés de manière identique et les outils rédactionnels sont configurés pour cela.↩︎
  3. Lawrence Lessig, « Code is Law – On Liberty in Cyberspace », Harvard Magazine, janvier 2000. Trad. Fr sur Framablog.org, 22 mai 2010.↩︎
  4. Aliénation de tout le monde en fait. « L’aliénation apparaît au moment où le travailleur n’est plus propriétaire de ses moyens de production, mais elle n’apparaît pas seulement à cause de cette rupture du lien de propriété. Elle apparaît aussi en dehors de tout rapport collectif aux moyens de production, au niveau proprement individuel, physiologique et psychologique (…) Nous voulons dire par là qu’il n’est pas besoin de supposer une dialectique du maître et de l’esclave pour rendre compte de l’existence d’une aliénation dans les classes possédantes ». G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1989, p. 118.↩︎
  5. Steven Levy, Hackers. Heroes of the Computer Revolution, New York, Dell Publishing, 1994. Steven Lévy, L’éthique des hackers, Paris, Globe, 2013.↩︎
  6. Ainsi on peut s’interroger sur la tendance du protocole ouvert ActivityPub (qui fait fonctionner Mastodon, par exemple) à couvrir de nombreuses applications du Fediverse sans qu’une discussion n’ait été réellement menée entre les collectifs sur une stratégie commune multiformats dans le Fediverse. Cela crée une brèche récemment exploitée par l’intention de Meta de vouloir intégrer le Fediverse avec Threads, au risque d’une stratégie de contention progressive des utilisateurs qui mettrait en danger l’utilisation même d’ActivityPub et par extension l’ensemble du Fediverse. On peut lire à ce sujet la tribune de La Quadrature du Net : « L’arrivée de Meta sur le Fédivers est-elle une bonne nouvelle ? », 09 août 2023, URL.↩︎
  7. Sébastien Broca, Utopie du logiciel libre. Lyon, Éditions le Passager clandestin, 2018.↩︎
  8. Fred Turner, Aux sources de l’utopie numérique : De la contre culture à la cyberculture. Stewart Brand, un homme d’influence, Caen, C&F Editions, 2012.↩︎
  9. Christophe Masutti, « Lire Fred Turner : de l’usage de l’histoire pour préfigurer demain », dans Retour d’Utopie. De l’influence du livre de Fred Turner, Caen, Les cahiers de C&F éditions 6, juin 2023, p. 70-82.↩︎
  10. Detlef Hartmann, Die Alternative: Leben als Sabotage – zur Krise der technologischen Gewalt, Tübingen: IVA-Verlag, 1981. Voir aussi Capulcu Kollektiv, DISRUPT ! – Widerstand gegen den technologischen Angriff, sept. 2017 (URL).↩︎
  11. Alan F. Westin, Privacy and Freedom, New York, Atheneum, 1967.↩︎
  12. C’est le ralliement des mouvements pour les droits et libertés individuels, le lien entre l’expérience personnelle (par exemple les inégalités de race ou de genre dont des individus pourraient faire l’expérience quotidienne) et les structures politiques et sociales qui sont à la source des problèmes et dont il fallait procéder à la remise en question.↩︎
  13. Nadia Eghbal, Sur quoi reposent nos infrastructures numériques ? : Le travail invisible des faiseurs du web. Marseille, OpenEdition Press, 2017. https://doi.org/10.4000/books.oep.1797.↩︎
  14. Dans le cas de communs numériques, qui sont des biens non rivaux, il peut être difficile de comprendre cette notion d’appauvrissement. Comme le montrent Pierre Dardot et Christian Laval dans leur livre Communs, pour un commun, la richesse dépend autant du processus contributif (l’activité collective qui consiste à en faire un commun) que du bien lui-même, même s’il peut être dupliqué à l’infini dans le cas des biens non rivaux. Prenons deux exemples : 1) pour un champ cultivé, si tout le monde se sert et en abuse et personne ne sème ni n’entretient et qu’il n’y a pas d’organisation collective pour coordonner les efforts et décider ensemble que faire du champ, ce dernier reste bien un commun mais il ne donne rien et va disparaître. 2) Pour un logiciel, si personne ne propose de mise à jour, si personne n’enrichit ou corrige régulièrement le code et s’il n’y a pas d’organisation des contributions, ce logiciel aura tendance à disparaître aussi. Voir Pierre Dardot et Christian Laval, Communs. Essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2014.↩︎
  15. Pierre Crétois (dir.), L’accaparement des biens communs, Paris, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2022.↩︎
  16. On peut voir sur ce point le travail que réalise Laurent Marseault : https://cocotier.xyz/?ConfPompier.↩︎
  17. Au sens où l’entendait Bernard Stiegler, c’est-à-dire la privation d’un sujet de ses savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir et théoriser). Voir Bernard Stiegler, États de choc: bêtise et savoir au XXIe siècle, Paris, France, Mille et une nuits, 2012.↩︎
  18. On peut voir les statistiques sur l’Open Source Contributor Index : https://opensourceindex.io/.↩︎
  19. Simon Butler et al., « On Company Contributions to Community Open Source Software Projects », IEEE Transactions on Software Engineering, 47-7, 2021, p. 1381‑1401.↩︎
  20. Antonio A. Casilli, En attendant les robots: enquête sur le travail du clic, Paris, France, Éditions du Seuil, 2019.↩︎
  21. Et ils sont souvent les dindons de la farce. En Europe, la situation est équivoque. D’un côté, un espace est ouvert grâce aux dispositifs juridiques censés protéger l’économie européenne et les européens contre les effets des multinationales à l’encontre de la vie privée, au nom de la défense des consommateurs, et en faveur de la souveraineté numérique. Les logiciels libres y trouvent quelques débouchés pertinents auprès du public et des petites structures. Mais d’un autre côté, une grande part de la production libre et open source repose sur des individus et des petites entreprises, alors même que les gouvernements (et c’est particulièrement le cas en France) leur créent des conditions d’accès au marché très défavorables et privilégient les monopoles extra-européens par des jeux de partenariats entre ces derniers et les intégrateurs, largement subventionnés. Voir Jean-Paul Smets, « Confiance numérique ou autonomie, il faut choisir », in Annales des Mines, 23, La souveraineté numérique : dix ans de débat, et après ?, Paris, 2023., p. 30-38.↩︎
  22. Même si le protocole ActivityPub pourrait être suffisamment détourné ou influencé pour ne plus assurer l’interopérabilité nécessaire. La communauté du Fediverse doit pour cela s’opposer en masse à Thread, la solution que commence à imposer l’entreprise Meta (Facebook), dans l’optique de combler le manque à gagner que représente le Fediverse par rapport aux média sociaux privateurs.↩︎
  23. Christophe Masutti, « En passant par l’Arkansas. Ordinateurs, politique et marketing au tournant des années 1970 », Zilsel, 9-2, 2021, p. 29‑70.↩︎
  24. On peut se reporter à cette louable tentative issue de It’s Going Down, et que nous avons publiée sur le Framablog. Il s’agit d’un livret d’auto-défense en communication numérique pour les groupes anarchistes. Bien qu’offrant un panorama complet et efficace des modes de communications et rappelant le principe de base qui consiste en fait à les éviter pour privilégier les rencontres physiques, on voit tout de même qu’elle souffre d’un certain manque de clairvoyance sur les points d’achoppement techniques et complexes qu’il serait justement profitable de partager. Voir « Infrastructures numériques de communication pour les anarchistes (et tous les autres…) », Framablog, 14 avril 2023.↩︎
  25. Philippe Borrel, La bataille du Libre (documentaire), prod. Temps Noir, 2019, URL.↩︎
  26. Sam Williams, Richard Stallman et Christophe Masutti, Richard Stallman et la révolution du logiciel libre. Une biographie autorisée, 1re éd., Eyrolles, 2010.↩︎
  27. Richard Stallman (interview), « Is Free Software Anarchist? », vidéo sur Youtube.↩︎
  28. Michel Lallement, L’âge du faire: hacking, travail, anarchie, Paris, France, Éditions Points, 2018.↩︎
  29. Christian Imhorst, Die Anarchie der Hacker, Marburg, Tectum – Der Wissenschaftsverlag, 2011. Christian Imhorst, « Anarchie und Quellcode – Was hat die freie Software-Bewegung mit Anarchismus zu tun? », in Open Source Jahrbuch 2005, Berlin, 2005.↩︎
  30. Dale A. Bradley, « The Divergent Anarcho-utopian Discourses of the Open Source Software Movement », Canadian Journal of Communication, 30-4, 2006, p. 585‑612.↩︎
  31. Marie-Christine Granjon, « Les radicaux américains et le «système» », Raison présente, 28-1, 1973, p. 93‑112.↩︎
  32. David DeLeon, The American as Anarchist: Reflections on Indigenous Radicalism, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2019.↩︎
  33. Murray Bookchin, Changer sa vie sans changer le monde. L’anarchisme contemporain entre émancipation individuelle et révolution sociale, Marseille, Agone, 2019, pp. 61-63.↩︎
  34. En 2015, c’est ce qui a permis à Bill Gates de caricaturer, sans les citer, des personnes comme Joseph Stiglitz et d’autres partisans pour une réforme des brevets (pas seulement logiciels) en sortes de néocommunistes qui avanceraient masqués. Voir cet entretien, cet article de Libération, et cette « réponse » de R. M. Stallman.↩︎
  35. Eben Moglen, « L’anarchisme triomphant. Le logiciel libre et la mort du copyright », Multitudes, 5-2, 2001, p. 146‑183.↩︎
  36. David Edgerton, « De l’innovation aux usages. Dix thèses éclectiques sur l’histoire des techniques », Annales. Histoire, sciences sociales, 53-4, 1998, p. 815‑837.↩︎
  37. Clifford D. Conner, Histoire populaire des sciences, Montreuil, France, Éditions L’Échappée, 2011.↩︎
  38. Amaelle Guiton, Hackers: au cœur de la résistance numérique, Vauvert, France, Au diable Vauvert, 2013.↩︎
  39. « Le capitalisme est d’essence conjoncturelle. Aujourd’hui encore, une de ses grandes forces est sa facilité d’adaptation et de reconversion », Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Paris, Flammarion, 2018.↩︎
  40. Stéphane Couture, « L’écriture collective du code source informatique. Le cas du commit comme acte d’écriture », Revue d’anthropologie des connaissances, 6, 1-1, 2012, p. 21‑42.↩︎
  41. Murray Bookchin, Changer sa vie sans changer le monde, op. cit., p. 12 et p. 10.↩︎
  42. Comme je l’ai écrit dans un précédent billet de blog, plusieurs auteurs donnent des définitions du concept de préfiguration. À commencer par David Graeber, pour qui la préfiguration est « l’idée selon laquelle la forme organisationnelle qu’adopte un groupe doit incarner le type de société qu’il veut créer ». Un peu plus de précision selon Darcy Leach pour qui la préfigurativité est « fondée sur la prémisse selon laquelle les fins qu’un mouvement social vise sont fondamentalement constituées par les moyens qu’il emploie, et que les mouvements doivent par conséquent faire de leur mieux pour incarner – ou “préfigurer” – le type de société qu’ils veulent voir advenir. ». David Graeber, Comme si nous étions déjà libres, Montréal, Canada, Lux éditeur, 2014. Darcy K. Leach, « Prefigurative Politics », in The Wiley-Blackwell Encyclopedia of Social and Political Movements, John Wiley & Sons, Ltd, 2013.↩︎
  43. Cory Doctorow, « As Platforms Decay, Let’s Put Users First », 09 mai 2023, URL.↩︎
  44. Kristin Ross, La forme-Commune. La lutte comme manière d’habiter, Paris, La Fabrique Editions, 2023.↩︎
  45. Sam Dolgoff, The relevance of anarchism to modern society, Troisième édition., Tucson, AZ, See Sharp Press, 2001.↩︎
  46. Sam Dolgoff, « Le Néo-anarchisme américain. Nouvelle gauche et gauche traditionnelle », Le Mouvement social, num. 83, 1973, p. 181‑99. « (…) intellectuels petits-bourgeois, des étudiants et des « hippies » qui constituaient l’essentiel de la nouvelle gauche ».↩︎
  47. Thomas Swann, « Towards an anarchist cybernetics: Stafford Beer, self-organisation and radical social movements | Ephemeral Journal », Ephemera. Theory and politics in organization, 18-3, 2018, p. 427‑456.↩︎
  48. En théorie du moins. Si on regarde de plus près l’histoire du projet Cybersyn, c’est par la force des choses que le système a aussi été utilisé comme un outil de contrôle, en particulier lorsque les tensions existaient entre les difficultés d’investissement locales et les rendements attendus au niveau national. En d’autres termes, il fallait aussi surveiller et contrôler les remontées des données, lorsqu’elles n’étaient pas en phase avec la planification. Cet aspect technocratique a vite édulcoré l’idée de la prise de décision collective locale et de la participation socialiste, et a fini par classer Cybersyn au rang des systèmes de surveillance. Hermann Schwember, qui était l’un des acteurs du projet est revenu sur ces questions l’année du coup d’État de Pinochet et peu de temps après. Hermann Schwember, « Convivialité et socialisme », Esprit, juil. 1973, vol. 426, p. 39-66. Hermann Schwember, « Cybernetics in Government: Experience With New Tools for Management in Chile 1971-1973 », In : Hartmut Bossel (dir.), Concepts and Tools of Computer Based Policy Analysis, Basel, Birkhäuser – Springer Basel AG, 1977, vol.1, p. 79-138. Pour une histoire complète, voir Eden Medina, Cybernetic Revolutionaries. Technology and Politics in Allende’s Chile, Boston, MIT Press, 2011. Et une section de mon ouvrage Christophe Masutti, Affaires privées. Aux sources du capitalisme de surveillance, Caen, C&F Éditions, 2020.↩︎
  49. Sam Dolgoff, « Modern Technology and Anarchism », Libertarian Labor Review, 1, 1986, p. 7‑12.↩︎
  50. Fred Turner, « Ne soyez pas malveillants. Utopies, frontières et brogrammers », Esprit, 434, mai 2019, URL.↩︎
  51. Association Autogestion, Autogestion. L’encyclopédie internationale, Paris, Syllepse, 2019, vol. 1-11.↩︎