Hommage à Laurent Séguin

Hier, nous apprenions le décès de Laurent Séguin, à l’âge de 44 ans.

Pour reprendre le communiqué du CNLL, après une première carrière au sein de la Marine Nationale, Laurent s’était investi dans les communautés du logiciel libre en France. Il avait été notamment:

Les membres de Framasoft et Laurent se sont côtoyés régulièrement pendant près de 15 ans sur différents événements autour du logiciel libre. Forcément, cela crée des liens.

Nous lui serons éternellement reconnaissant⋅es d’avoir aussi été l’une des premières personnes à soutenir financièrement Framasoft, par le biais d’entreprises successives pour lesquelles il a travaillé. Sans lui, nous n’en serions peut-être pas là où nous en sommes.

Peu de gens hors de ses proches le savaient, mais Laurent était aussi musicien (sous licence libre). Au mois d’avril dernier, nous recevions par e-mail une « auto-interview » signée de son pseudonyme. Étant en pleine phase de confinement, et peu disponibles, nous ne lui avions pas répondu alors. Puis le temps est passé…

Nous publions donc aujourd’hui cette interview à titre posthume, chargée d’émotions pour nous, en hommage au militant plein d’énergie qu’il était, et au compagnon de la route longue – mais libre – qu’il fut pour nous.

Nous présentons à sa famille, ses proches, ses amis, ses collègues d’Entr’ouvert, nos plus sincères condoléances.

Laurent Séguin

CyberSDF, drôle de pseudo, qui es-tu en vrai ?

Oui c’est stupide comme pseudo. Il date d’il y a très longtemps (les années 2000 n’existaient pas encore). J’ai utilisé ce pseudo pour les jeux vidéo et je ne sais pas vraiment pourquoi je l’ai utilisé comme nom d’artiste.

Quant à qui je suis, ce n’est pas secret, on va dire que je suis discret. Beaucoup (trop) de gens connaissent ma réelle identité, mais si vous ne savez pas qui je suis, gardez cette part de mystère qui a son charme.

NB : Je suis GNU-Linuxien depuis plus de 20 ans, donc libriste 😉

Tu es donc musicien ?

On va dire que non. Adolescent, j’ai été pendant assez longtemps (mauvais) batteur et (mauvais) bassiste en groupe et j’ai toujours aimé appuyer sur les touches d’un piano. Même si j’ai le goût de la musique depuis tout petit et que j’ai touché à pas mal d’instruments je ne me considère pas comme un musicien qui maîtrise un instrument.

Je me vois plutôt comme un manipulateur du travail des autres. Avec un bon enregistrement d’une guitare ou d’un piano, sur plusieurs gammes, je peux exploiter ce travail pour le mélanger à d’autres instruments pour en faire une œuvre originale. Si je n’ai pas cette matière première, on a les logiciels qu’il faut pour générer ces sons. Je travaille principalement avec des boucles de deux ou quatre mesures sur un tempo dans les 120 bpm la plupart du temps (bien que j’ai publié des titres allant de 90 à 140 bpm).

Pourquoi tu as commencé à publier de la musique ?

Lors d’une table ronde dont le sujet portait sur la création musicale et la loi Hadopi (oui ça date), je défendais un point de vue de diffusion sous licence libre face à un représentant de la SACEM qui ne comprenait visiblement de quoi je parlais tellement c’était éloigné de son schéma de pensée. Vexé de mes arguments à un moment il me sort « vous ne pouvez pas comprendre, vous n’êtes pas créateur de musique ».

Je me renseigne sur le mec, pensant avoir eu affaire avec un grand compositeur, eh bien non. Le type de toute sa vie n’avait composé qu’une pauvre musique d’un film qui n’a pas eu un fort succès, mais il en était tellement imbu de lui-même que cela m’avait énervé. Quelque temps plus tard j’ai commencé à créer mes propres musiques que j’ai finalement décidé de partager pour démontrer que la création musicale sous licence libre était pertinente.

Donc tu continues à créer pour lui en mettre plein les dents ?

Non. En vrai je crée d’abord pour moi. Je fais ce que j’ai envie d’écouter, et comme je suis très éclectique, je passe d’un style musical à un autre assez facilement. Une fois que je suis content de mon travail, il m’arrive de le publier pour le partager avec les gens. Je ne publie pas tout, même si parfois je publie trop vite…

Ce n’est donc pas une activité professionnelle ?

Pas du tout. Je crée mes musiques quand j’ai le temps et l’envie, sans pression. Bien évidement, j’ai des coûts de production. Par exemple, je protège l’antériorité de mes créations sur safecreative.org et cela me coûte 72€ par an. Pour les diffuser sur Soundcoud, cela me coûte 8,25 €/mois (parce que je prends à l’année). À cela il faut ajouter les coûts des sons que j’achète pour créer mes morceaux, souvent à prix d’or pour pouvoir diffuser en CC-BY (un chant par exemple, va me coûter les yeux de la tête alors qu’un rif de guitare ne me coûtera que quelques euros ; bon j’ai aussi des contres exemples avec mes deux titres de flamenco).

Mais j’accepte les dons. Si le système de don a bien fonctionné les premières années où créer et publier ne me coûtait presque rien d’autre que du temps, cela a énormément baissé et là cela devient compliqué d’être à l’équilibre financier. Comme je vois ma création musicale comme un passe-temps et non pas une activité rémunératrice pour subvenir à mes besoins, j’accepte que cela me coûte de l’argent, mais comme pour tout loisir pas trop non plus.

Avec quoi tu composes ?

Avec un peu tout ce qui tombe sous la main. Au début j’aimais beaucoup manipuler Music Maker Jam sous Android, mais ils ont changé leur interface et c’est devenu moins puissant pour composer. Ils ont ajouté trop de fioritures qui tuent le vrai travail de création.

Étant aussi Gamer à l’occasion, j’ai un Windows dans le Cloud avec Shadow.tech ce qui me donne accès à des logiciels de création musicales assez puissants, notamment dans les générateurs de son. Après je manipule un peu tout et n’importe quoi comme son, et il n’est pas rare que je sorte mon smartphone pour enregistrer un son de la rue qui me plaît afin de l’isoler et le retravailler à la maison pour l’intégrer dans un morceau (même si vous ne l’entendez pas vraiment, il est là). Il m’est aussi arrivé de demander à des artistes de rue de jouer sur leur instrument une mélodie que j’avais en tête pour obtenir un son plus naturel et moins « parfait ».

Quel est ton plus gros défaut d’artiste ?

Je ne remastérise pas mes titres. Après avoir passé des heures à sortir un FLAC correct, je n’ai plus l’énergie pour repasser dessus et réarranger les niveaux des pistes du morceau.

J’ai aussi une grosse flemme pour faire du marketing. Parfois je fais des campagnes aux USA pour attirer des auditeurs, mais en vrai ça me saoule. J’aimerais que les auditeurs qui aiment ce que je fais partagent plus (ça motive), mais (d’après les stats Soundcloud) ils ne le font pas et se gardent « le bon plan ».

J’ai été longtemps naïf aussi en pensant que d’autres musiciens allaient améliorer mes morceaux ou créer des œuvres dérivées des miennes, un peu à l’image du logiciel, mais non. Cela explique pourquoi mes créations dans les deux premières année ont ce goût de « c’est pas fini ». Parce que oui, c’était fait exprès…

Quelles sont les difficultés de publier en CC-BY ?

La première ce sont les vrais prédateurs. Ces gens qui vont prendre ta musique, éventuellement la modifier un peu et la faire diffuser par un service du genre CD Baby (https://en.wikipedia.org/wiki/CD_Baby). L’écueil c’est que ce genre de service est totalement automatisé et va envoyer des violations de copyright à l’œuvre originale et toutes ses utilisations. C’est pour cela que j’ai été contraint de publier sur Youtube, car pas mal de youtubeurs utilisent ma musique puisque ma licence est compatible avec leur propre monétisation.

Le second ce sont les « promoteurs » qui vont publier sous leur nom ma musique et ainsi noyer la source de création, et donc pour moi perdre de l’attention. Il y a des chaînes Youtube russes avec presque que mes créations qui ont plus d’abonnés que la mienne.

Enfin la dernière, majoritaire, ce sont ceux qui utilisent mes musiques sans créditer. Ce n’est quand même pas compliqué de donner le nom de l’artiste et le titre de la musique…

Quels sont tes titres préférés ?

J’ai publié 169 musiques, j’en ai donc pas mal 😉

Je peux vous donner les plus écoutées par plateforme :
– Sur Souncloud : Welcome, suivi de Burneco
– Sur Youtube : Flame and Go, suivi de Aventurine
– Sur Bandcamp : Sunday, suivi de CyberBeats

Et je trouve que beaucoup d’autres méritent plus de succès que ces six-là 😛

As-tu une chose surprenante à nous dire ?

Plusieurs ! Mais je n’en garderai que quelques-unes, significatives.

1/ J’ai composé Persepolis dans une chambre aux Arc 1800 en 3h de travail non stop
2/ J’ai rencontré une fille totalement en dehors de mes univers à qui je faisais écouter ma dernière création du moment pour voir sa réaction, juste en donnant le nom de l’artiste et sans préciser que c’était moi, elle m’a répondu « de lui, je préfère Welcome  »

3/ Une Suisse m’a fait un don de 200€ d’un coup via Bandcamp

4/ Arched Cellar  est un résumé d’un live mix d’environ une demi-heure lors d’une free party dans les catacombes de Paris

5/ L’UNRIC et BFMTV ont, à un an d’intervalle, utilisé ma même musique