Compte-rendu de l’action de sensibilisation du 4 mai à la Cité des Sciences

Action de sensibilisation - 4 mai - Cités des SciencesPas moins de 50 libristes se sont déplacés ce mardi soir à l’appel de Framasoft et de l’April pour distribuer quelques 700 tracts et 100 FramaDVD aux visiteurs invités à l’inauguration officielle de l’exposition « Contrefaçon » présentée à la Cité des sciences et de l’industrie. L’opération symbolique de sensibilisation du public de l’exposition à l’existence des licences libres fut donc un véritable succès, palliant ainsi un peu plus à la censure imposée par l’INPI.

Pendant plus de deux heures, le parvis de la Cité des sciences fut animé par une joyeuse cohorte de libristes de diverses associations (VLC, Ubuntu-fr, April, Framasoft et même membres du Parti Pirate français survivant) colportant tracts et FramaDVD de visiteur en visiteur. Ces derniers se montraient pour la plupart polis, promettant dans presque tous les cas de lire le tract que nous leur tendions.

L’accueil réservé par la Cité des sciences fut lui aussi courtois, mais froid, surtout en considération des 11°C qui régnaient dehors et du vent mordant qui balayait le parvis. En effet, malgré nos diverses demandes, nous n’avons pas été autorisés à mener notre action dans le grand hall de la Cité.

Action de sensibilisation - 4 mai -  Cités des SciencesDans l’effervescence bon enfant de l’activité, deux types de tracteurs se distinguèrent : les polypes de récif et les poissons pilotes. Les premiers, fermement ancrés à leur banc de corail, captaient sans se déplacer l’attention de tout visiteur dépourvu de tract passant à proximité, le temps de lui fournir le précieux document. Les seconds, moins rapides en cas d’affluence, répétaient continuellement la même ronde, marchant au devant des visiteurs et les accompagnant sur 20 à 30 mètres jusqu’au barrage Vigipirate marquant l’entrée de la Cité, se donnant le temps d’introduire la démarche et souvent d’entamer une conversation.

Le but n’était pas de prêcher des convaincus mais de pallier au manque d’objectivité imposé par l’INPI à l’exposition. Or, avec le public de l’inauguration officielle, se déplaçant sur invitation de la Cité des sciences et donc sélectionné par ses sponsors, nous étions bien servis. Toutefois, j’ai l’exemple d’un visiteur en costume de velours vert, se définissant comme juriste et qui, une fois arrivé au barrage me demanda, l’air grave mais ravi d’avoir appris quelque chose, 4 ou 5 tracts supplémentaires pour discuter du sujet avec ses amis.

Si les personnalités encostumées se sont succédées pendant deux heures, toujours relativement surprises par l’ampleur du dispositif bénévole déployé à l’entrée, l’arrivée la plus remarquée fut celle de la présidente de la Cité des sciences et de l’industrie Claudie Haigneré, sous bonne escorte. Il ne fut pas possible d’entamer de conversation avec elle lors de son passage et elle ne donna pas suite à la requête formulée par Frédéric Couchet de nous permettre d’entrer dans le hall. Toutefois, elle se saisit volontiers du FramaDVD que je lui tendais, sans pour autant ralentir son allure.

Plus tard, parmi les premiers visiteurs à ressortir de l’exposition, certains nous affirmèrent que la présidente de la Cité des sciences parla dans son discours d’une exposition « portant à débat » comme le confirmait notre présence et notre action aux portes du lieu. L’exposition était d’ailleurs souvent jugée superficielle, ou partiale par les personnes prenant le temps de nous en parler.

En conclusion, le succès de la mobilisation, le nombre de tracts distribués et les retours des visiteurs à leur arrivée et à leur départ confirment l’utilité d’une telle opération. Richard M. Stallman peut être fier des libristes français, car à défaut de venir informer le public chaque jour à l’entrée de l’exposition comme il l’avait idéalement suggéré, la mobilisation ne faiblit pas depuis l’ouverture le 20 avril dernier. Les acteurs du web ont su réagir promptement pour sauver le texte d’Isabelle Vodjdani de son élagage, puis informer plus de personnes via Internet que n’en a accueilli l’exposition depuis son lancement.

Enfin, d’autres opérations de sensibilisation semblent se profiler sur le forum, et l’Ubuntu Party de mai arrive à grands pas…

Action de sensibilisation - 4 mai - Cités des Sciences




20 pays et 250 villes au Festival d’Initiation au Logiciel Libre en Amérique Latine

FLISOL Antigua Piñatas - Public DomainUne nouvelle confirmation qu’il y a décidément une belle énergie autour du logiciel libre en Amérique Latine.

Un article qui vaut surtout pour ces nombreux liens (en langue originale) mais qui est également pour moi l’occasion de vous présenter le projet Global Voices, « un réseau mondial de blogueurs qui sélectionnent, traduisent et publient des revues de blogs du monde entier »[1].

Amérique Latine : Le festival d’initiation au logiciel libre 2010

Latin America: Free Software Installation Festival 2010

Renata Avila – 30 avril 2010 – Global Voices
(Traduction : Loïc – Licence Creative Commons By)

Dans toute l’Amérique latine, le logiciel libre est devenu essentiel pour de nombreux pays et de nombreuses personnes qui ont choisi d’utiliser ces outils, dans les administrations publiques et pour répondre à différents problèmes. A Cuba par exemple, le mouvement pour le logiciel libre a soutenu le développement durable. Le gouvernement équatorien a quant à lui mis en avant une politique d’adoption du logiciel libre, d’une façon similaire au Brésil, un autre chef de file du logiciel libre et de la culture « libre ».

Le 24 avril 2010, de nombreux développeurs et utilisateurs des logiciels libres en Amérique Latine ont célébré ce mouvement par une fête nommée FLISOL2010, comme l’explique Leo ci-dessous :

FLISOL est le Festival d’Initiation au Logiciel Libre en Amérique Latine, un événement organisé par la communauté latino-américaine du logiciel libre depuis 2005. FLISOL a lieu le quatrième samedi d’avril chaque année. La sixième édition de FLISOL a été célébrée le 24 avril 2010. Aujourd’hui, FLISOL est sans aucun doute le plus important événement FOSS en Amérique Latine et peut être même le plus important « installfest » de la planète. L’édition 2010 de FLISOL a été organisée simultanément par 20 pays et 250 villes dans toute l’Amérique latine et, pour la première fois, en Europe (trois événements locaux en Espagne).

Dans chaque région, les célébrations sont différentes. Par exemple, à Antigua, au Guatemala, une Piñata a été cassée en l’honneur du logiciel libre ; c’était l’une des nombreuses animations organisées par Antigualug, un groupe d’utilisateurs de Linux.

Les fêtes de la FLISOL à Caracas, au Venezuela, ont associé les activités à des concerts de musique.

Le Nicaragua a célébré le mouvement avec les communautés d’Estelí, de Granada et de Managua et l’auto-proclamé « Installers Rock-Stars Team ». Les communautés d’Amérique Centrale ont joint leurs efforts pour s’intégrer au sein des communautés du Logiciel Libre, comme on peut le lire sur le site des utilisateurs de logiciels libres de « Central America Planet ».

L’Uruguay a de son côté célébré le mouvement en installant Fedora. A Mexico, les activités ont eu lieu dans différents lieux où les organisateurs ont installé des logiciels libres sur les ordinateurs de nombreux nouveaux utilisateurs, tandis que huit villes chiliennes ont accueilli également les fêtes FLISOL2010. Cuba a également organisé des activités simultanées dans différentes localités, de la Havane à Matanzas.

Enfin, Mozilla Colombie et l’OpenBSD de la ville de Medellín ont participé aux événements organisés en Colombie. Un marathon FLISOL s’est déroulé entre trois villes, à San Cristóbal, à Cúcuta et à Pamplona.

Ces quelques nouvelles sont un simple tour d’horizon destiné à montrer comment le logiciel libre en Amérique Latine crée un réseau dynamique et interconnecté, quelque soit les milieux sociaux, politiques et ethniques, pour collaborer et innover ensemble. Une “plateforme partagée” encourageant une « culture partagée » : pour plus d’informations et pour établir des connexions, lire le blog Planète du Logiciel Libre Latino-Américain.

Notes

[1] Crédit Photo : FLISOL Antigua Piñatas (Public Domain)




Les biens communs ou le nouvel espoir politique du XXIe siècle ?

Peasap - CC byIl y a plus de dix ans, Philippe Quéau (qu’on ne lit pas assez) s’exprimait ainsi lors d’une conférence organisée par le Club de Rome (qui a eu raison avant l’heure ?) ayant pour titre Du Bien Commun Mondial à l’âge de l’Information :

« L’intérêt public est beaucoup plus difficile à définir que l’intérêt privé. C’est un concept plus abstrait. Il intéresse tout le monde, et donc personne en particulier. Plus les problèmes sont abstraits et globaux, plus ils sont difficiles à traiter et à assimiler par le public. Les groupes de pression sectoriels ont en revanche une très claire notion de leurs intérêts et de la manière de les soutenir (…) La gestion des biens communs de l’humanité (comme l’eau, l’espace, le génome humain, le patrimoine génétique des plantes et des animaux mais aussi le patrimoine culturel public, les informations dites du domaine public, les idées, les faits bruts) doit désormais être traitée comme un sujet politique essentiel, touchant à la chose publique mondiale. Par exemple le chantier de la propriété intellectuelle devrait être traité, non pas seulement d’un point de vue juridique ou commercial, mais d’un point de vue éthique et politique. »

Le bien commun ou plutôt les biens communs (attention danger sémantique) seront à n’en pas douter non seulement l’un des mots clés de ce nouveau siècle, mais aussi, si nous le voulons bien, l’un des éléments moteurs et fédérateurs des politiques progressistes de demain[1].

C’est pourquoi le Framablog les interroge de temps en temps, comme ici avec cette ébauche de traduction française d’une première version d’un texte en anglais rédigé par une allemande !

On ne s’étonnera pas de voir la culture du logiciel libre une nouvelle fois citée en exemple à suivre et éventuellement à reproduire dans d’autres champs de l’activité humaine.

Les biens communs, un paradigme commun pour les mouvements sociaux et plus encore

The commons as a common paradigm for social movements and beyond

Silke Helfrich – 28 janvier 2010 – CommonsBlog
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler et Tinou)

Version 1.0 – Licence Creative Commons By-Sa

Forum social mondial – 10 ans après – Éléments d’un nouvel ordre du jour

On ne peut considérer le système des biens communs comme une alternative pour le 21e siècle que s’ils représent effectivement un dénominateur commun entre différents mouvements sociaux et écoles de pensées. À mon avis, il est non seulement possible de les appliquer, mais c’est surtout un bon choix stratégique. Voici pourquoi en quinze points :

1. Les biens communs sont omniprésents. Ils déterminent notre qualité de vie de bien des manières. Ils sont présents (quoique souvent invisibles) dans les sphères sociales, naturelles, culturelles et numériques. Pensez aux outils d’apprentissage (la lecture et l’écriture), toutes ces choses qui nous servent à nous déplacer (la terre, l’air et la mer), celles qui nous servent à communiquer (le langage, la musique, les codes), toutes ces choses qu’on utilise pour nous nourrir ou nous soigner (la terre, l’eau, les médicaments) ou encore celles si cruciales à notre reproduction (les gênes, la vie sociale).

Les biens communs sont notre relation à toutes ces choses, comment nous les partageons, comment nous les utilisons. Les biens communs sont la représentation vivante de nos relations sociales, en permanence. On devrait plutôt utiliser une action (mettre en commun) plutôt qu’un nom (bien communs). Les biens communs sont une catégorie à part de production et d’usage du savoir et des biens matériels, où la valeur de l’usage est privilégiée par rapport à la valeur marchande. Mettre en commun est une pratique qui nous permet de prendre nos vies en main et de protéger, de développer ce qui nous est commun plutôt que d’assister à son enfermement et sa privatisation.

Les droits des bénéficiaire des biens communs sont indépendants des conventions formelles et du droit positif. Nous en disposons sans avoir à demander la permission et nous les partageons. Les biens communs offrent une liberté autre que celle du marché. La bonne nouvelle, c’est qu’en nous concentrant sur les biens communs, nous sortons les choses de la sphère marchande pour les mettre dans la sphère commune, nous mettons l’accent sur comment les sortir de l’autorité et de la responsabilité détenue par une bureaucratie fédérale pour aller vers une gestion des biens communs par leurs utilisateurs et la myriade de possibilités qu’elle offre, et enfin nous nous concentrons sur de nombreux problèmes et de nombreuses ressources, comme 75% de la biomasse mondiale, qui n’ont pas encore été transformés en marchandise. Voilà qui est encourageant.

2. Les biens communs établissent des ponts entre les secteurs et les communautés, ils offrent un cadre pour la convergence et la consolidation des mouvements. Les problèmes auxquels nous faisons face sont devenus trop compliqués. Pour en réduire la complexité, nous avons fragmenté ce qui ne devrait être qu’un. Dans le débat politique public, il y a une division entre différents domaines de connaissance et d’autorité. Il y a ceux qui débattent de sujet liés aux ressources naturelles (les écolos) et ceux qui débattent de problèmes culturels et numériques (les technophiles).

Il en résulte des communautés (sur-)spécialisées pour chacun des centaines de problèmes auxquels nous sommes confrontés et de nombreux chainons manquant. Au nom de la diversité des biens communs, cette fragmentation se poursuivra jusqu’à un certain point, mais elle contribue également à l’atrophie de notre capacité commune à suivre l’actualité économique, politique et technologique ainsi que les changements qui se produisent. Notre capacité à réagir à ces changements et à faire remonter soigneusement des propositions alternatives et cohérentes s’en retrouve diminuée.

Les biens communs peuvent unifier des mouvements sociaux disparates, même si leur dynamique est profondément différente, les biens communs nous permettent en effet de nous concentrer sur ce qui nous unis, sur tout ce que les communeurs ont en commun, pas sur ce qui les sépare. L’eau est une ressource finie, pas le savoir. L’atmosphère est partout, un parc ne l’est pas. Les idées se développent lorsque nous les partageons, ce n’est pas le cas de la terre. Mais ce sont là des ressources communes à tous ! Par conséquent, personne ne devrait pouvoir se prévaloir de la propriété de l’une de ces ressources. Elles sont toutes liées à une communauté.

Chacune de ces ressources est mieux gérée si les règles et les normes s’imposent d’elles-mêmes ou si elles sont légitimées par les personnes qui en dépendent directement.

3. Les biens communs amènent le débat de la propriété au-delà du clivage (parfois stérile) public/privé. Les appels en faveur de la propriété publique ne disparaissent pas pour autant, mais peut-on juger que les états nations ont été des fiduciaires des biens communs consciencieux ? Non. Protègent-ils le savoir traditionnel, les forêts, l’eau et la biodiversité ? Pas partout.

Tout ne s’arrête pas au clivage public/privé. On peut s’approprier une ressource commune partagée pendant une courte durée (pour reproduire nos moyens de subsistance), mais on ne peut pas faire tout ce qu’on veut avec. Il est primordial de garder à l’esprit que le concept de possession pour usage est différent de la propriété exclusive conventionnelle.

Contrairement à propriété, possession n’est pas synonyme d’aliénation. Et abus, commodification, maximisation des profits et externalisation des coûts au détriment des biens communs vont de pair avec la propriété. L‘externalisation des coûts est un processus courant actuellement mais il ne bénéficie à personne au bout du compte, pas même aux plus aisés que l’on incite à se réfugier dans des communautés fermées et protégées.

4. La perspective des biens communs n’est pas une lubie numérique. Elle n’est pas binaire, pas faite de 0 et de 1 ni de soit … soit. Elle ne se jauge pas non plus à l’aune de quelques succès. Nous cherchons des solutions qui dépassent les clivages idéologiques, qui dépassent les politiques chiffrées pour déterminer les réussites. Ce n’est pas juste le privé contre le public, la gauche contre la droite, la coopération contre la concurrence, la « main invisible du marché » contre les projets gouvernementaux, les pro-technologies contre les anti-technologies.

Les biens communs se tournent vers le troisième élément, celui qui est toujours oublié. Notre compréhension des ressources que nous possédons en commun en ressort approfondie, tout comme celle des principes universels (et fonctionnels) des peuples qui protègent leurs ressources communes partagées. Dans le domaine des bien communs, nous privilégions l’apprentissage de la coopération plutôt que la concurrence. Les biens communs favorisent l’autogestion et les technologies ouvertes, développées et contrôlées en commun, plutôt que les technologies propriétaires qui tendent à concentrer le pouvoir dans les mains des élites et qui leur donne le pouvoir de nous contrôler.

5. Parler des biens communs, c’est se concentrer sur la diversité. Pour reprendre les mots de l’ex-gouverneur Olívio Dutra (Rio Grande do Sul) lors du Forum Social Mondial, 10 ans après : « cela permet l’unité au travers de la pluralité et de la diversité ». La doctrine par défaut est « un monde qui contient une myriade de mondes ».

De toute évidence, l’une des forces de cette approche réside dans l’idée qu’il n’existe pas de solution simpliste, pas de schéma institutionnel, pas de miracle taille unique, uniquement des principes universels tels que la réciprocité, la coopération, la transparence et le respect de la diversité d’autrui. Chaque communauté doit déterminer les règles appropriées à l’accès, à l’usage et au contrôle d’un système de ressources partagées bâti sur ces principes.

La tâche est complexe, à l’image de la relation entre la nature et la société, particulièrement lorsqu’il s’agit de biens communs partagés à l’échelle mondiale. La communauté englobe alors l’humanité toute entière, ce qui renvoie à l’impérieuse nécessité d’un nouveau multilatéralisme au centre duquel se trouvent les biens communs.

6. Se concentrer sur les biens communs apporte une nouvelle perspective à trois grands C : Coopération, Commandement et Compétition. (NdT : On a conservé les 3 C mais on pourrait traduire Command par Pouvoir ou Gouvernance) Sans compétition, il n’y a pas de coopération, et vice versa. Mais dans une société centrée sur les biens communs, la coopération est plus valorisée que la compétition.

Le slogan est : « Battez-vous pour la place de numéro un des coopérateurs plutôt que des compétiteurs ». Les règles précises régeantant la coopération dans un système des biens communs change d’un cas à l’autre. Aucun autorité supérieure ne peut les dicter. La théorie et la pratique des biens communs nous apprennent que de part le monde, de nombreux systèmes d’administration des biens communs s’auto-régulent, c’est-à-dire qu’ils créent leurs propres systèmes de contrôle. Ou ils s’auto-régulent et se coordonnent à différents niveaux institutionnels.

Pour ce qui est du commandement, voici un conseil de la lauréat du Prix Nobel, Elinor Ostrom : « Mieux vaut inciter la coopération à travers des arrangements institutionnels adaptés aux écosystèmes locaux plutôt que d’essayer de tout diriger à distance ». De plus, les autorités supérieures, les gouvernements, les lois, les organisations internationales, peuvent jouer un rôle décisif dans la reconnaissance des biens communs. Mais pour y parvenir, les biens communs devraient déjà occuper une plus grande place dans leur vision politique.

7. Les biens communs ne dissocient pas la dimension écologique de la dimension sociale, au contraire d’une vision verte inspirée du New Deal. Il serait judicieux, dans une certaine mesure, de rendre plus visible la "valeur économique" des ressources naturelles et il est sans doute nécessaire d’inclure les coûts écologiques de la production dans l’ensemble du processus manufacturier.

Mais ça ne suffit pas. Ce genre de solution ne règle pas la dimension sociale du problème, elle tend au contraire à creuser un fossé, faisant des solutions un problème d’accès à l’argent. Ceux qui y ont accès peuvent se permettent de payer le surcout écologique, ceux qui ne l’ont pas se retrouvent laissés pour compte. Les biens communs, au contraire, apportent une réponse au problème écologique et au problème social.

Une solution au cœur de laquelle se trouvent les biens communs ne laisse personne pour compte.

8. Le concept des biens communs fait siennes plusieurs visions du monde : on y retrouve la pensée socialise (la possession commune), la pensée anarchiste (l’approche auto-organisée), la pensée conservatrice (pour qui la protection de la création est importante) et évidemment les pensées communautaristes et cosmopolites (la richesse dans la diversité) et même la pensée libérale (affaiblissement du rôle de l’État, respect des intérêts et motivations individuelles à rejoindre une communauté ou un projet).

Mais de toute évidence, toutes ces idées ne peuvent s’unir derrière un programme politique construit autour des biens communs. C’est là leur force, et c’est pourquoi les partis politiques se méprennent à leur égard ou tentent de coopter les biens communs. Si nous nous attachons à livrer un discours cohérent (voir 9), ils n’y parviendront pas.

9. L’aune à laquelle sera mesuré l’adhésion des idées politiques au paradigme des biens communs est triple et bien définie : (a) usage durable et respectueux des ressources (sociales, naturelles et culturelles, y compris numériques), ce qui signifie : pas de sur-exploitation ni de sous-exploitation des ressources communes partagées.

Partage équitables des ressources communes partagées et participation à toutes les décisions prises au sujet de l’accès, de l’usage et du contrôle de ces ressources et (c) le développement libre de la créativité et de l’individualité des gens sans sacrifier l’intérêt collectif.

10. Les biens communs ne sont pas uni-centriques mais poly-centriques. Leurs structures de gouvernance sont elles aussi décentralisées et variées. En d’autres termes : les biens communs sont poly-centriques par nature, ce qui est la condition nécessaire à une approche profondément démocratique, aussi bien politiquement (principes de décentralisation, de subsidiarité et de souveraineté des communeurs et de législations des communeurs) et économiquement (le mode de productions des biens communs réduit notre dépendance à l’argent et au marché).

11. Les biens communs renforcent un trait essentiel de la nature humaine et du comportement humain. Nous ne sommes pas seulement, loin s’en faut, l’homo œconomicus comme on nous le fait croire. Nous sommes bien plus que des créatures égoïstes qui ne se soucient que de leur propre intérêt. Nous ressentons ce besoin de nous intégrer dans un tissu social et nous nous y plaisons.

« Les biens communs sont le tissu de la vie », d’après Vandana Shiva. Nous aimons participer, nous impliquer et partager. Les biens communs renforcent le potentiel créatif des gens et l’idée d’inter-relationalité, en deux mots : « J’ai besoin des autres et les autres de moi ». Ils honorent notre liberté de participer et de partager.

Ça n’est pas la même liberté que celle sur laquelle repose le marché. Nos contributions nous donne accès à plus de choses. Mais nota bene" : ça ne se résume pas à "accès gratuit à tout".

12. Les biens communs proposent des outils d’analyse issus de catégories différentes de ceux du capitalism, notre « décolonisation de l’esprit » en est donc facilitée (Grybowski). Les communeurs rédéfinissent ce qu’est l’efficacité. Ils visent la coopération efficace, comment la favoriser et la mettre à la porté des gens.

Ils souhaitent privilégier la propriété exclusive à court terme comme moyen de subsistance plutôt que la propriété à durée indéfinie. Ils honorent les moyens de protection traditionnels des biens communs ainsi que les systèmes traditionnels de connaissance. Pour faire court : les biens communs éclairent sous un jour nouveau de nombreuses pratiques politiques et légales.

La différence est grande entre une vision communales et une vision commerciale de notre environnement. La différence est grande si l’eau est perçue comme un bien commun, c’est à dire liée aux besoins de la communauté, ou pas. Ou considérez les graines ; si vous voyez la diversité des graines comme un bien commun, vous récoltez ce dont vous avez besoin et votre indépendance alimentaire est assurée.

Si la société reconnaissait que les variétés de graines régionales font partie des biens communs, l’État appuierez de toutes ses ressources les plantations biologiques indépendantes et les petites exploitations pour qu’elles puissent poursuivre leur développement traditionnel des céréales plutôt que de gaspiller l’argent du contribuable en finançant des manipulations génétiques et l’ingénierie agro-alimentaire.

13. Le secteur des biens communs est pluriel et rassemble de nombreux protagonistes. Ces dernières années, l’intérêt porté internationalement au paradigme des biens communs s’est largement accru.

Les communeurs et les organismes se sont constitués des alliances transnationales (Creative Commons, Wikipedia, les mouvements des Logiciels Libres et de la Culture Libre, les plateformes de partage, les organismes de lutte contre l’exploitation minière, les alliances promouvant une approche de Bem-Viver, le mouvement mondial pour une agriculture durable, le Water Commons, les jardins communautaires, la communication et les projets d’informations citoyens et bien d’autres encore).

C’est en fait une explosion spontanée d’initiatives communes. Depuis que le Prix Nobel d’Économie a été attribué à Elinor Ostrom (octobre 2009), de nombreuses universités redécouvrent l’intérêt académique des biens communs.

14. Les biens communs comme mode de production alternatif. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés ne sont pas liés à la disponibilité des ressources.

Ils émanent du mode de production actuel. Heureusement, dans certains domaines, nous assistons à une évolution du mode de production, d’un système capitaliste (basé sur la propriété, la demande, la valeur marchande, l’exploitation des ressources et du travail, dépendant de la croissance et tiré par les profits) il est en passe de venir commun (basé sur la possession, la contribution, le partage, l’intérêt personnel et l’initiative, où le PIB est un indicateur négligeable et dont la finalité est la belle vie, le bem viver).

De nombreux projets de Production Collective Commune rencontrent le succès. C’est particulièrement le cas pour la production de savoir (Wikipédia, les logiciels libres, le design ouvert). Mais un débat palpitant se déroule actuellement pour trouver les moyens d’appliquer les mêmes principes de production collective commune à la production de ce nous mangeons, de ce que nous portons et de nos moyens de locomotion, et jusqu’où nous pouvons aller.

J’ai la conviction que c’est possible. Premièrement parce que le savoir se taille la part du lion de tout type de production. Tous les biens ne sont que des produits en devenir. Pas de production automobile ou de production agricole sans concept et sans design (d’où la part du lion de sa valeur marchande).

Et deuxièmement, les secteurs des communs qui n’ont pas encore été commodifiés et où les valeurs et les règles des communs sont bien ancrées sont nombreux et variés (économie de l’entraide, économie de la solidarité). Ces secteurs sont la preuve que chaque jour, une grande partie de ce qui nous est nécessaire est produit en dehors du marché économique.

15. Le discours des communs prône le changement culturel. Ce n’est pas simplement une approche technologique ou institutionnelle. Il incite plutôt au développement de nouvelles idées et de nouvelles actions personnelles et politiques.

Pourquoi maintenant ? Car le moment est opportun pour les biens communs.

1. Nous sommes à une période charnière, dans biens des contextes, les biens communs sont re-découverts. Le marché et l’État (seul) ont échoué à protéger les ressources communes et à satisfaire les besoins des gens. Les idéaux de l’économie de marché sont assiégés de toutes parts.

Ses mécanismes d’analyses économiques, de politiques publiques, sa vision du monde perdent leur valeur explicative, et surtout leur soutien populaire. Les gens réalisent de plus en plus que ça n’est pas à l’économie de marché que nous devons la biodiversité, la diversité culturelle et les réseaux sociaux !

2. Les nouvelles technologies ouvrent la voie à de nouvelles formes de coopération et de production décentralisée qui étaient, jusqu’alors, l’apanage des technologies de l’âge industriel. Il nous est même désormais possible de ré-affecter la production d’énergie et d’électricité aux biens communs sociaux (centrales électriques solaires citoyennes, centrales électriques résidentielles).

Nous avons la possibilité de décider quelles nouvelles ou quelles informations sont utiles à la communauté et nous pouvons les reproduire nous-mêmes grâce à la plus grande machine à copier jamais inventée : Internet. La production connait une véritable révolution, une révolution qui redéfinira les règles. Les monopoles sont menacés.

3. Les changements actuels offrent à tout un chacun une influence élargie. Une vision moderne des biens communs ne se tourne pas vers le passé.

Il faut voir plus loin qu’une simple relocalisation, notre perspective est une coopération locale, décentralisée et horizontale au travers de réseaux distribués afin que les gens puissent, ensemble, se re-approprier la création de choses, qui seront ensuite disponibles pour eux et pour tout le monde, s’ils le souhaitent. Le but étant d’alimenter les biens communs et la production commune autant que possible pour affaiblir notre dépendance à l’économie de marché.

Mais ça ne sera possible, si le nouveau mode de production est capable de résoudre les problèmes même les plus complexes, que si les productions collégiales dépassent ce que les entreprises, même les plus importantes, sont capables de mettre en place du point de vue logistique, financier et conceptuel.

Et c’est tout à fait possible ! Regardez Wikipédia ou la voiture open source. Peut-être serions nous même capable de développer des véhicules individuels 100% recyclables, qui ne consomment qu’un litre/100km si les entreprises n’avaient pas capturé les technologies et contrôlé le marché.

Dans un monde où la production commune est généralisée, les notions de centre et de périphérie disparaissent.

4. L’usage collectif et l’accès libre ou équitables aux biens communs bénéficie maintenant de nouvelles protections légales : la General Public License (GPL), les licences de partage à l’identique, des modèles de propriétés spécifiques aux ressources naturelles qui se prémunissent de la spéculation et de la sur-exploitation, des fonds d’actionnariat à ressource commune unique, les systèmes d’aqueduc au Mexique ou de récupération d’eau en Inde ou encore le droit de tout un chacun (Allesmansrätten) en vigueur dans les pays du nord de l’Europe.

Ce sont des outils puissants dont nous devons nous inspirer et qu’il vaut développer. Dans ce domaine, il faudra faire preuve de créativité pour coucher nos idées en termes juridiques, des idées qui doivent respecter la grande variété de règles formelles et informelles en vigueur dans le monde pour protéger les biens communs.

5. Sans oublier, finalement, que si votre curiosité vous pousse à vous intéresser aux biens communs, vous découvrez de nouvelles choses étonnantes. Vous êtes liés à des centaines de communautés dynamiques. Vous entrapercevez une sagesse que vous ne soupçonniez pas, vous apprenez à encourager des projets et vous multipliez vos réseaux. C’est très motivant.

Connaissiez-vous l’existence du projet OpenCola ? Saviez-vous que le plus grand lac de Nouvelle Zélande, le lac Taupo, est rempli de truites ? Dans la région très touristique de Taupo, les ressources sont sous pression, mais la population de truite est toujours dynamique dans le lac car les néo-zélandais suivent un règle simple : pêchez juste ce qui vous est nécessaire pour manger (il vous faut un permis de pêche délivré par les autorités locales), n’en tirez pas profit.

Et donc, aucun restaurant de la région ne propose de truite au menu. Souvenez-vous : les biens communs ne sont pas à vendre. Et que savez-vous de la biologie libre et de la médecine participatoire ? Avez-vous entendu parler de ces innombrables banques de graines, essentiellement dans les pays du sud, et du trésor inestimable qu’elles protègent pour nous ? Et savez vous les progrès qu’a réalisé le mouvement international de promotion de l’accès libre aux ressources scolaires, ce mouvement qui vise à garantir l’accès libre à ce qui a été financé publiquement, la production du savoir ?

Avez-vous entendu parler des jardins interculturels et communautaires ou du régime des biens communs privilégiés par les pêcheurs de homards du Maine (USA) pour éviter la sur-exploitation des homards ? Et que pensez-vous des communs de crise, ces groupes où des centaines de volontaires mobilisent leurs savoirs-faire pour collecter des informations grâce aux technologies modernes pour venir en aide aux victimes de catastrophes naturelles, comme après le tremblement de terre à Haïti ?

Les biens communs insufflent une nouvelle vigueur aux débats politiques. Les jeunes citoyens deviennent attentifs lorsqu’on leur parle de production pair-à-pair, car c’est ce qu’ils font. Les écolos deviennent attentifs quand on leur parle du principe des copylefts et de la reproduction virale des logiciels et du contenu.

Ils comprennent que « toutes ces licences compliquées » défendent notre liberté d’accéder au savoir et aux techniques culturelles. C’est exactement ce pour quoi ils se battent dans leur domaine.

Les technophiles sont enthousiaste de pouvoir mettre leurs incroyables capacités à contribution pour gérer des systèmes complexes de ressources naturelles. En d’autres termes, les biens communs élargissent les horizons, ils apportent un vent nouveau de pensée collective, une pensée dynamique, non-dogmatique mise en œuvre de façon innovante.

Les communs sont un nouveau concept, puissant, autonome et auto-suffisant pour constamment redonner à la vie toute sa dignité. Ils sont l’élément indispensable pour construire un mouvement divers et irrésistible à partir d’une pensée politiquement et conceptuellement cohérente.

Porto Alegre – Janvier 2010

Mise à jour du 10 mars : Une nouvelle version 2.0 sera bientôt publiée. Merci à tous pour vos précieux commentaires.

Notes

[1] Crédit photo : Peasap (Creative Commons By)




Affaire INPI : Tous à l’abordage de l’exposition « Contrefaçon » le 4 mai !

Joseph Sardin - CC bySi tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi.

Suite à ce que l’on peut désormais appeler « l’affaire INPI », une invitation est lancée à se rendre nombreux le mardi 4 mai à 18h à La Cité des Sciences et de l’Industrie devant l’exposition incriminée pour informer les visiteurs que le Libre existe et aurait au moins mérité cette petite place injustement refusée.

La semaine qui vient de s’écouler fut marquée par une superbe illustration du principe selon lequel la censure s’avère toujours contre-productive pour le censeur, puisque l’action de ce dernier sur un message particulier attire inévitablement l’attention du public sur ce qu’il voulait cacher[1].

Ainsi, la décision de l’Institut National de la Propriété Industrielle d’exclure, à la dernière minute, toute mention de logiciels et de licences libres de l’exposition « Contrefaçon » (présentée du 20 avril au 13 février prochain à la Cité des Sciences et de l’Industrie) a choqué un large public, sûrement aiguisé sur la question par des années de frasques législatives (DADVSI, HADOPI I&II) tentant justement de définir les limites de la contrefaçon à l’ère du numérique. Et le cri d’alarme lancé par Isabelle Vodjdani (membre de Copyleft Attitude et auteur du texte censuré) il y a un peu plus d’une semaine s’est donc répandu sur le web comme une tache d’huile, grâce aux efforts conjugués de toutes les consciences qui animent les associations du libre, les blogs indépendants, la presse en-ligne…

Le texte, originalement posté sur Transactiv.exe fut presque immédiatement repris par une vague d’associations du libre parmi lesquelles Ubuntu-fr, Framasoft LinuxFR ainsi que les journaux en-ligne les plus réactifs : Rue89, PCINpact… Dès le lendemain, les réactions se multipliaient tous azimuts, et le texte, sous licence libre, se trouvait repris commenté et analysé sur les sites web d’associations telles que PULLCO le LUG Corézien ou Fansub-streaming dont l’activité pose d’intéressantes questions sur le droit d’auteur et la contrefaçon (ce n’est pas une contrefaçon de sous-titrer une animation japonaise en français tant que l’éditeur ne commercialise pas l’œuvre en France, ça le devient ensuite, presque rétro-activement…). Enfin, l’April réagissait en adressant une lettre ouverte à Claudie Haigneré, présidente de la Cité des Sciences et de l’Industrie dans le but d’obtenir un rendez-vous.

Edit 3 mai : L’April a publié le compte-rendu de son entretien avec Claudie Haigneré, présidente de la Cité des sciences et de l’industrie, le lendemain de la publication originale de cet article. L’association annonce, en fin de communiqué, qu’elle se joindra à l’opération.

Tangui Morlier (président de l’April, fondateur de StopDRM) réagit encore, à titre personnel le jour suivant, en lançant le site www.bonjourcensure.fr avec la participation d’Isabelle Vodjdani. Ce site, simple mais efficace, offre un espace pour laisser s’exprimer en image la créativité du libre sur le sujet.

Face aux critiques, il est à noter que la CSI et l’INPI publièrent rapidement un communiqué de presse dans le but de justifier leur décision de ne pas présenter d’alternative au modèle dogmatique de la propriété intellectuelle telle que défendue par l’INPI ou la SACEM, à base de gentils consommateurs et de méchants pirates.

En substance, dans leur communiqué ils se défendent des mauvaises intentions qu’on leur prête pour avoir supprimé cette partie de l’exposition, étant eux-mêmes utilisateurs de logiciels libres et donc forcément favorables au phénomène. Mais exploiter simplement ces outils concurrentiels ne dénote en rien d’un a priori vis-à-vis de leur modèle, et d’a priori ne voulons point ! Les licences libres existent et sont largement répandues, pourquoi éviter le sujet ?

L’INPI arguait alors de ne pas vouloir semer le trouble dans l’esprit des visiteurs, entre contrefaçon et logiciel libre, afin d’éviter une association négative. En dehors de la condescendance de l’argument, on peut se demander si ce ne serait justement pas le principal intérêt de cette exposition, que d’amener les visiteurs à réfléchir et se poser de fécondes questions comme le remarquait aKa dans les commentaires du billet Framablog.

D’ailleurs, pour une exposition se voulant sans ambiguïté et « tout public », on peut s’interroger sur le choix du visuel de l’affiche, présentant un remix du célèbre pavillon de Jack Rackham (dit « Le Rouge » …) dont le crâne a été remplacé par le terme « Contrefaçon ». Le lien entre les contrefacteurs dénoncés par l’exposition et les renégats des siècles derniers se livrant à des actes de flibusterie me semble pour le moins trouble…

Aujourd’hui on retrouve ces exactions marines au large de la Somalie et ce pavillon noir sur la flotte des Sea Shepherd poursuivant une noble cause. Mais rien à voir, en tout cas, avec les honnêtes citoyens qui s’échangent de la culture aux limites numériques encore floues du droit d’auteur qui fait vivre des organismes de contrôle tels que l’INPI ou la SACEM.

Toujours est-il que cette réponse, faisant couler beaucoup d’encre, a visiblement contribué à attiser les résistances. Aujourd’hui la presse continue à se faire l’écho du phénomène comme on peut le voir dans LeMagIT, LePoint ou ZDNet, et les analyses fleurissent sur les blogs comme ce billet du « dernier des blogs » ou cet intéressant travail de synthèse réalisé par Frédéric Couchet.

Toutefois, si le message d’Isabelle Vodjdani a survécu à sa censure grâce à une publication sous licence libre et un web réactif, il reste un manque béant d’information au sein de l’exposition !

Si l’April, qui rencontrera prochainement la présidente de la Cité des Sciences aura une opportunité de demander l’intégration du texte à l’exposition comme prévu, voire un espace supplémentaire pour détailler les évènements qui ont conduit cette intégration tardive, il n’en reste pas moins qu’à l’heure actuelle rien n’est fait pour informer le public lors des dix mois à venir de l’existence d’œuvres libres dont la copie et le partage n’engendrent pas de contrefaçon.

C’est pourquoi une réaction s’est organisée sur le forum et le canal IRC de Framasoft depuis le précédent billet. Comme nous y encourage Richard M. Stallman, les défenseurs du libre viendront à la rencontre du public de l’exposition lors de son inauguration officielle le mardi 4 mai à partir de 18h, comme détaillé ici.

Lors de cet évènement à but pédagogique (c’est un terme qui fait peur depuis HADOPI…) des FramaDVD seront distribués aux visiteurs pour donner corps à l’existence des licences libres, des logiciels libres, des livres libres, de la musique libre, des photos libres, des films libres…

Venez nombreux !

Notes

[1] Crédit photo : Joseph Sardin (Creative Commons By)




Geektionnerd : Quand Ubuntu cristallise la guerre des moteurs de recherche

Sans fournir de réelle explication, l’équipe d’Ubuntu a décidé de revenir sur sa décision d’adopter Yahoo! comme moteur de recherche par défaut du Firefox de sa nouvelle et toute fraîche nouvelle version de sa distribution (Lucid Lynx 10.04). On conservera donc Google.

Il faut dire que l’accord existant entre Yahoo! et Microsoft avait ému certains ubunteros qui se demandaient si on n’allait pas finalement se retrouver avec Bing sous la capot de Yahoo!

Du Microsoft au pays d’Ubuntu !

De quoi réveiller tous les trolls tapis au fond des bois…

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Pourquoi soutenir la Free Software Foundation – Benjamin Mako Hill

Soulfish - CC by-saBenjamin Mako Hill n’a pas encore trente ans mais cela ne l’empêche pas d’avoir un CV qui force déjà l’admiration.

Chercheur au MIT Media Lab, développeur Debian puis Ubuntu, membre des bureaux de la FSF et Wikimedia, impliqué dans le projet OLPC et dans la définition des Free Cultural Works… Excusez du peu ![1]

Après nous avoir expliqué dans ces mêmes colonnes pour il fallait soutenir Wikipédia, il récidive ici avec la Free Software Foundation, non sans enthousiasme et éloquence[2].

PS : Pour info, Framasoft est Associate Membership #7234 de la FSF.

Appel à soutenir la Free Software Foundation

Benjamin Mako Hill

Benjamin Mako Hill – 19 janvier 2010 – FSF Appeals
(Traduction Framalang : Don Rico et Mathieu Adoutte)

L’essence du logiciel libre est selon moi de permettre aux utilisateurs de micro-informatique d’être maître de leur machine et de leurs données. Dans la mesure où nos logiciels définissent notre rapport au monde et aux autres, la liberté logicielle est une part importante de ce qui nous permet de déterminer notre façon de vivre, de travailler et de communiquer.

Mako siège au comité directeur de la FSF.

En matière de logiciels libres, le programme créé n’est pas une fin en soi ; ce qui importe c’est d’apporter la liberté aux utilisateurs.

Avec l’immense succès que rencontre le Libre depuis vingt ans, nombreux sont ceux qui ont perdu de vue ce point pourtant simple. Nous avons créé un ensemble incroyable d’applications, d’outils et de bibliothèques. Nous avons mis sur pied des communautés d’entraide et de développement bouillonnantes. Nous avons mis au point de nouvelles méthodes de développement, de puissantes licences copyleft et d’immenses projets collaboratifs. Pourtant, tous ces éléments ne sont qu’une façon de conférer plus de liberté à ceux qui s’en servent. Ils ne forment pas la liberté en soi. Ils ne constituent pas notre réel objectif. Ce sont nos outils, et non notre but.

Dans un monde où la technologie est en mutation perpétuelle, cette distinction devient centrale. Car c’est bien dans un monde qui change en permanence que nous vivons. Alors que nombre de personnes font du téléphone portable leur ordinateur principal, et que beaucoup d’entre elles s’en servent principalement pour accéder à des services en réseau d’un genre nouveau, les anciennes applications, communautés, méthodes de développement et licences du Libre peuvent se révéler inadaptées ou inefficaces pour protéger la liberté de l’utilisateur.

Au cours des prochaines années, apporter la liberté aux utilisateurs d’informatique nécessitera une adaptation des logiciels et des discours. Il faudra de nouvelles licences et techniques pour les faire respecter. Il faudra renouveler notre façon de collaborer et de nous organiser. Pour atteindre son but, le logiciel libre doit rester concentré sur la liberté de l’utilisateur – sur la question de nos motivations à agir comme nous le faisons – puis se montrer créatif quant à la meilleure manière de respecter et préserver la liberté à laquelle nous aspirons. Si nous sommes trop axés sur ce que nous avons accompli par le passé, nous risquons de perdre de vue notre objectif fondamental : favoriser le contrôle qu’ont les utilisateurs sur leurs outils technologiques en général.

De nombreuses structures soutiennent le logiciel libre en s’attachant au « comment ». On trouve parmi elles des cabinets juridiques, des entreprises et des associations à but non lucratif, qui appuient divers projets associés au Libre.

La Free Software Foundation est de loin l’organisation la plus importante qui s’interroge sur le pourquoi – sur l’essence de la liberté logicielle. En tant que telle, elle a un rôle fondamental : celui de pousser notre communauté au sens le plus large à se focaliser sur les problèmes, les menaces et les défis les plus importants, lesquels ont une incidence sur la réussite de chaque projet de logiciel libre et sur chaque utilisateur de l’outil informatique, aujourd’hui et demain. En ces temps d’évolution rapide de la technologie, son action est plus vitale que jamais. Et les conséquences d’un échec seraient plus dramatiques.

Voici certains domaines dans lesquels je vais encourager la FSF à défendre le mouvement du Libre au cours de l’année à venir :

La téléphonie mobile

Dans un court billet, j’indiquais qu’il y avait aujourd’hui des milliards de téléphones portables dans le monde et que, même si ces appareils sont des ordinateurs de plus en plus puissants, ils constituent une des technologies les plus verrouillées, les plus privatrices et les moins libres parmi celles communément répandues.

Les conséquences de cette situation sont désastreuses quant au contrôle que les utilisateurs peuvent avoir sur leur technologie. Bien que certains modèles très répandus fonctionnent grâce à des logiciels libres, la plupart des appareils dits libres sont cadenassés, et leurs utilisateurs demeurent menottés, divisés et impuissants.

Nous devons informer les utilisateurs de mobiles des enjeux des logiciels libres, les avertir que les téléphones sont de puissants ordinateurs polyvalents, et leur expliquer que ces appareils ont des implications critiques pour l’autonomie de tout un chacun dans le futur. À cette fin, la FSF va lancer cette année une campagne de sensibilisation concernant la téléphonie mobile et la liberté informatique.

Les services en ligne

L’étendue et le taux de pénétration des services en ligne tels que Facebook, Google et autres n’ont cessé de croître au cours de l’année passée, et il en va de même pour la nécessité d’offrir des équivalents libres. Le lancement de produits réseau-centriques tels que le ChromeOS de Google offre un aperçu de ce à quoi une plate-forme informatique pourrait ressembler à l’avenir.

Les conséquences pour la liberté de l’utilisateur et l’efficacité de l’approche traditionnelle du logiciel libre sont effrayantes. Le fait que de nombreux services en ligne soient construits grâce à des logiciels libres ne rend pas moins catastrophique l’effet qu’ils auront sur l’autonomie et la liberté des utilisateurs.

Au cours de l’année à venir, la FSF compte publier la première annonce, qui je l’espère sera suivie par d’autres, sur la liberté informatique et les services en ligne. En s’appuyant sur les travaux du groupe Autonomous, que soutient la FSF, la Fondation fournira des conseils à ceux qui mettent en place des services en ligne, aux utilisateurs qui se demandent s’ils doivent ou pas s’inscrire à tel ou tel service, et aux développeurs souhaitant concevoir des services qui respectent davantage la liberté de leurs utilisateurs.

Communiquer au-delà de nos communautés habituelles

Pour lutter efficacement pour la liberté informatique, il va falloir s’adresser à des utilisateurs n’appartenant pas à la « base » historique de la FSF. C’est ce que fait la FSF par le biais de sa campagne anti-DRM Defective by Design et son action contre les brevets logiciels (End Software Patents). Cette année, la FSF a aussi cherché à toucher les plus jeunes avec sa campagne « GNU Generation » (NdT : soit « GNUvelle génération »), menée par et pour des lycéens. En outre, la FSF a organisé un colloque sur les femmes dans le logiciel libre. La FSF prévoit de cultiver ces réussites et de multiplier ce genre de projets d’ouverture.

Bien évidemment, promouvoir et défendre la liberté logicielle représente plus de travail que la FSF, avec ses ressources actuelles, ne peut en accomplir. Chacun des trois points mentionnés plus haut constitue une entreprise ambitieuse, mais ils ne représentent qu’une partie du pain que le personnel de la FSF a sur la planche. Poursuivre les projets existants exigerait déjà de la FSF qu’elle intègre des centaines de nouveaux membres avant la fin de cet exercice. Votre adhésion et vos dons nous aideront à atteindre ces objectifs.

C’est un mouvement du logiciel libre fort – et en particulier une FSF forte – attaché à défendre les principes de la liberté des logiciels, qui déterminera les libertés dont jouira la prochaine génération d’utilisateurs de l’outil informatique. Ce qui est en jeu, ce n’est rien de moins que l’autonomie de la génération qui nous suivra.

Je sais que ce n’est pas le premier appel aux dons qui vous est adressé depuis le début de l’année, et j’ai conscience qu’en cette époque de crise économique, donner se révèle délicat pour beaucoup. Je comprends qu’il sera plus difficile de consentir à la dépense que représente une adhésion ou un don. Mais à ce moment charnière dans le domaine technologique, il nous faut plus que jamais une FSF robuste.

Si vous n’êtes pas membre de la FSF, c’est le moment de le devenir. Si vous avez lu mes appels des années précédentes et choisi d’attendre, il est temps de vous lancer. La cotisation est de 120 dollars par an (60 dollars pour les étudiants), et elle peut être mensualisée. Si vous êtes déjà membre, je vous invite à faire comme moi un don généreux, ou à encourager un ami à adhérer. La FSF est une petite organisation composée de passionnés qui travaillent sans relâche pour notre liberté logicielle. Je sais d’expérience que même les contributions les plus modestes peuvent changer la donne.

Notes

[1] Et pour l’avoir rencontré aux RMLL d’Amiens en 2005, j’ajoute que le garçon est charmant. Si en plus il s’intéresse aux filles, je crois qu’il se rapproche du gendre idéal de ce nouveau siècle 😉

[2] Crédit photo : Soulfish (Creative Commons By-Sa)




Quand la Maison Blanche se joint à la communauté du Libre

Beverly & Pack - CC byLa vaste communauté Drupal compte un contributeur bien particulier puisqu’il s’agit ni plus ni moins de la Maison Blanche.

C’était déjà bien d’adopter le célèbre CMS libre pour faire tourner le site officiel (ce que nous avions signalé dans un précédent billet), mais c’est encore mieux de participer à son amélioration en reversant le code spécifique développé pour l’occasion, et en le faisant savoir sur son blog (traduit ci-dessous)[1].

Un billet et une traduction directement suggérés par ce journal LinuxFr de Francois G (auteur de la rafraichissante nouvelle de science-fiction Églantine et les ouinedoziens) dont la présentation se suffit à elle-même :

« Le site de la Maison Blanche vient de diffuser le code source des améliorations qu’ils ont apportés au projet Drupal (à noter tous les liens vers le site du projet Drupal dans le billet).

Les 3 bonnes nouvelles :

  • La Maison Blanche a compris qu’elle peut être maître de ses outils informatiques.
  • Elle en profite (modifications spécifiques) et en fait profiter les autres (diffusion à tous).
  • Elle communique sur cette action. De ce fait, elle annonce officiellement son support et son utilisation des logiciels libres.

Compte tenu de la volonté de l’Élysée de copier la Maison Blanche, on peut espérer un changement de politique chez nous. »

WhiteHouse.gov participe à l’Open Source

WhiteHouse.gov Releases Open Source Code

Dave Cole – 21 avril 2010 – The White House Blog
(Traduction Framalang : Quentin Theuret et Julien Reitzel)

Dans le cadre de nos efforts continus pour développer une plateforme ouverte pour WhiteHouse.gov, nous mettons à disposition de tous une partie du code source personnalisé que nous avons développé. Ce code est disponible à tous pour l’analyser, l’utiliser ou le modifier. Nous sommes impatients de voir comment des développeurs à travers le monde pourront utiliser notre travail dans leurs propres applications.

En reversant une partie de notre code source, nous bénéficions de l’analyse et de l’amélioration d’un plus grand nombre de personnes. En fait, la majorité du code source de WhitHouse.gov est dès à présent open source car il fait partie du projet Drupal. Le code source que nous relâchons aujourd’hui ajoute des fonctionnalités à Drupal dans trois domaines importants :

1. Évolutivité : Nous publions un module nommé Context HTTP Headers, qui permet aux webmasters d’ajouter de nouvelles métadonnées au contenu qu’ils publient. Nous utilisons cela pour nos serveurs qui manipulent des pages spécifiques, comme la mise en cache de ce type de page pendant 15 minutes ou ce type pendant 30. Un second module concernant l’évolutivité s’appelle Akamai et il permet à notre site web de s’intégrer avec notre réseau d’envoi de contenu Akamai.

2. Communication : Beaucoup d’agences gouvernementales ont des programmes actifs d’emails qu’ils utilisent pour communiquer avec le public à travers des services qu’ils fournissent. Nous avons une liste de diffusion pour la Maison Blanche, où vous pouvez trouver les mises à jour des nouveaux contenus et des initiatives. Pour rendre plus dynamique l’adaptation des emails aux préférences des utilisateurs, nous avons intégré l’un des services les plus populaires pour les programmes d’emails gouvernementaux dans notre CMS avec le nouveau module GoDelivery.

3. Accessibilité : Nous prenons très au sérieux nos obligations pour être sûrs que WhiteHouse.gov soit accessible le plus possible et nous nous sommes engagés à tendre vers les standards d’accessibilité décrits par la Section 508. Dans le cadre de cette conformité, nous voulons être sûrs que toutes les images sur notre site Web aient des métadonnées appropriées pour les rendre visibles sur des logiciels de lecture vocale. Pour nous aider à atteindre cela, pour que ce soit plus facile de gérer les contenus photos et vidéos que vous voyez sur notre site, nous avons développé Node Embed.

Notes

[1] Crédit photo : Beverly & Pack (Creative Commons By)




Socrate et les hackers – Une conférence de Bernard Stiegler

À peine avions-nous mis en ligne le billet Quand Socrate nous aide à mieux comprendre le logiciel libre qu’un commentaire nous signalait une récente conférence de Bernard Stiegler, dont le titre, séduisant et enigmatique, faisait lui aussi référence au célèbre philosophe grec : « Socrate et les hackers ».

Elle a été donnée le 13 avril dernier à la Maison des Arts de Malakoff.

On y retrouve les thèmes chers à Bernard Stiegler : perte du savoir dans un processus de prolétarisation généralisée lié au marketing et espoir mis dans la figure de « l’amateur ».

Je ne suis pas un hacker mais je pense bien faire parti de ces amateurs. Et, du coup, j’aime bien écouter Bernard Stiegler parce qu’il me donne l’impression que je participe à sauver le monde du marasme dans lequel il se trouve 😉

Tout ceci m’a fait repenser à un très lointain article de Libération (25 mai 2001). Une interview de Pekka Himanen[1] par Florent Latrive.

À la question : quel est votre hacker préféré ? Voici ce que le philosophe finlandais avait alors répondu :

« Socrate. Toute son attitude, cette relation passionnée et modeste au savoir, son ouverture d’esprit, sa quête de directions intellectuelles non prévues: l’attitude des Grecs anciens est très similaire à celle des hackers d’aujourd’hui. Platon, son disciple, a fondé la première académie du monde occidental, et c’est le modèle de la recherche scientifique aujourd’hui. C’est aussi celui des hackers passionnés d’ordinateurs… ».

Bernard Stiegler – Socrate et les hackers

—> La vidéo au format webm

Notes

[1] À ce propos, c’est vraiment une anomalie de ne plus trouver la moindre trace papier ou numérique de la traduction française de l’Ethique Hacker de Pekka Himanen, alors même que c’est clairement l’un des ouvrages les plus importants de la culture libre. Il y a une note de lecture sur Freescape et puis c’est à peu près tout (si ce n’est une indisponibilité récurrente sur Amazon). L’explication vient du fait qu’Exils, l’éditeur de la traduction n’existe plus, mais c’est bien dommage que personne n’ait pris le relai (et les éventuels droits). Si quelqu’un est assez motivé pour contacter Pekka Himanen et voir avec lui comment on pourrait rééditer son livre en français, qu’il sache que Framasoft et son projet Framabook sont de tout cœur derrière lui.