Richard Stallman, le philosophe de notre génération ?

Une traduction d’un article de Richard Hillesley paru récemment sur Tux Deluxe et qui fait écho à la récente conférence de Stallman mis en ligne sur ce blog.

Le titre interrogatif de ce billet est directement inspiré d’une citation de Larry Lessig extraite de la traduction :

Chaque génération a son philosophe – un écrivain ou un artiste qui saisit l’imaginaire du moment. Parfois, ces philosophes sont reconnus en tant que tel ; souvent, il faut des générations pour faire le rapprochement. Mais reconnu ou non, une époque est marquée par les gens qui expriment leurs idéaux, que ce soit dans les murmures d’un poème, ou dans le grondement d’un mouvement politique. Notre génération a un philosophe. Ce n’est pas un artiste, ou un écrivrain professionnel. C’est un programmeur.

J’en profite pour signaler que nous avons entamé un projet ambitieux, celui de traduire collectivement via Wikisource la biographie de Stallman par Sam Williams Free as in Freedom. Avis donc à tout traducteur qui souhaiterait participer[1].

Soyez réaliste. Demandez l’impossible

Be Realistic. Demand the Impossible

Richard Hillesley – 18 mars 2007
(Traduction Framalang : Penguin, Daria et Olivier)

Chrys - CC byUn des slogans favoris des Situationnistes, pendant les agitations sociales de Mai 68 en Europe, était « Soyez réaliste. Demandez l’impossible ». Vivez votre vie à fond, osez rêver, nagez à contre-courant, et vos rêves deviendront réalité. Ce slogan aurait pu être écrit pour décrire la mission de Richard Stallman, le père de GNU, de la licence GPL et du mouvement du logiciel libre, qui a consacré sa vie à réaliser le rêve d’un système d’exploitation qui soit écrit de A à Z et qui soit totalement libre.

Stallman est un esprit implacable, et a souvent été comparé à un prophète de l’Ancien Testament – « une sorte de Moïse geek portant les commandements GNU GPL, et essayant d’amener la tribu hacker à la terre promise de la liberté, qu’ils veuillent y aller ou non. Ses longs cheveux, tombant abondamment sur ses épaules, sa grosse barbe, et un regard intense contribuent évidemment à cet effet. » (Glyn Moody – Le Code du Rebelle p29)

Comme cela est suggéré, Stallman est un ascète qui ne tolère aucun compromis, et qui a consacré sa vie et sa fortune, notamment les 240.000 $ de la « bourse du génie » (« genius grant ») offert par la fondation MacArthur en 1990, pour parcourir le monde avec son portable exsangue, évangélisant et prêchant à qui veut l’entendre la nécessité du logiciel libre. « La seule raison pour laquelle nous avons un système d’exploitation totalement libre », a-t-il confié à Moody, « c’est grâce au mouvement qui a dit que nous voulions un système d’exploitation totalement libre, et pas libre seulement à 90%. Si vous n’avez pas la liberté pour principe, vous trouverez toujours une bonne raison de faire une exception. Il y aura toujours des moments où, pour une raison ou pour une autre, il y a un avantage pratique à faire une exception. »

Stallman clame que le plus grand effet de la bourse MacArthur a eu sur son style de vie, c’est qu’il lui a été plus facile de s’inscrire pour voter. Stallman vivait dans son bureau. Les autorités refusaient de croire que son bureau était aussi son lieu de résidence, jusqu’à ce qu’un article de journal concernant la bourse MacArthur confirma ses affirmations.

« Je vis vraiment à peu de frais. Je vis encore en gros comme un étudiant, car je n’ai jamais eu envie d’arrêter », déclara-t-il à Michael Gross en 1999[2]. « Les voitures, les grandes maisons ne m’attirent pas. Pas du tout. Je n’étais pas un esclave de la soif de l’argent, et cela m’a permis de faire quelque chose qui en valait la peine. C’est pourquoi, lorsque j’ai commencé le projet GNU, j’ai aussi commencé à faire pousser mes cheveux. J’ai fait cela parce que je voulais dire : Je suis d’accord avec un aspect du mouvement hippie : ne faites pas de la réussite matérielle un but dans la vie. »

La vision ascétique et sans compromis de Stallman n’est pas universellement populaire, même parmi les hackers qui ont bénéficié de son dévouement. Car l’objectif du logiciel libre ne commence ou ne finit pas avec GNU/Linux, GNU Hurd, ou n’importe quel autre système d’exploitation, langage ou application qui a été, ou qui pourra être, développé sur le modèle ouvert que la GPL favorise. Stallman accorde moins d’importance au fait qu’un logiciel libre fonctionne mieux et soit plus efficace qu’à son caractère libre.

« Cela ne concerne pas l’argent », dit-il, « cela concerne la liberté. Si vous pensez que cela concerne l’argent, vous n’avez rien compris. Je veux utiliser un ordinateur librement, pour coopérer, pas pour restreindre ou interdire de partager. Le système GNU/Linux a obtenu du succès avec plus que cela. Le système est devenu populaire pour des raisons pratiques. C’est un bon système. Le danger réside dans le fait que les gens vont l’aimer parce qu’il est pratique et qu’il va devenir populaire sans que personne n’ait la plus vague idée des idéaux qui sont derrière, ce qui serait une manière ironique d’échouer. »

Stallman relate que lorsqu’il a fondé le projet GNU en septembre 1983, les gens disait, « Oh, c’est un boulot infiniment difficile; tu ne pourras tout simplement pas écrire un système comme Unix. Comment serait-il possible de faire tout cela ? Ce serait bien, mais c’est tout simplement sans espoir. »

La réponse de Stallman était qu’il allait le faire quand même. « C’est ici que je suis doué. Je suis doué à être très, très têtu et à ignorer toutes les raisons qui pourraient me faire changer de but, raisons qui pousseraient beaucoup d’autres personnes à le faire. Beaucoup de gens veulent être du côté gagnant. Je n’en avais rien à cirer. Je voulais juste être du côté de ce qui était bien, même si je ne gagnais pas, au moins, j’allais vraiment essayer. »

Neuf ans plus tard, Linus Torvalds annonçait sur comp.os.minix : « Je suis en train de faire un système (libre) d’exploitation (il s’agit juste d’un hobby, ce ne sera pas ambitieux ni professionnel comme GNU) pour les clones AT 386(486). » Du point de vue de Stallman, le noyau Linux est juste une partie du système d’exploitation. « Il n’existe pas de système d’exploitation appelé Linux. Le système d’exploitation appelé Linux est GNU. Linux est un programme – un noyau. Un noyau est une partie du système d’exploitation, le programme de niveau le plus bas du système qui surveille l’exécution des autres programmes et partage la mémoire et le temps de calcul du processeur entre eux. »

L’affirmation controversée de Stallman que Linux devrait correctement être connu sous le nom de GNU/Linux est motivé par son désir que « les gens comprennent que le système existe grâce une philosophie idéaliste. Si vous l’appelez Linux, vous allez à l’encontre de la philosophie. C’est un problème très grave. Linux n’est pas le système. Linux n’en est qu’une partie. (…) La vision idéaliste du projet GNU est la raison pour laquelle nous avons le système. »

La contribution particulière de Stallman au mouvement du logiciel libre a été de mettre en lumière les obstacles légaux et propriétaires de la libre distribution des logiciels et des idées. Le langage universel des contributeurs des projets open source (et de l’industrie du logiciel en général) a été influencé par les fondements philosophiques et politiques fournis par les écrits de Stallman, spécialement sa vision perspicace de la nature des lois concernant les copyrights et les brevets logiciels.

En introduction de Free Software, Free Society, une collection d’essais et de conférences de Richard Stallman, publiée par GNU press, Lawrence Lessig, professeur de droit à l’université de Stanford, déclare que « Chaque génération a son philosophe – un écrivain ou un artiste qui saisit l’imaginaire du moment. Parfois, ces philosophes sont reconnus en tant que tel ; souvent, il faut des générations pour faire le rapprochement. Mais reconnu ou non, une époque est marquée par les gens qui expriment leurs idéaux, que ce soit dans les murmures d’un poème, ou dans le grondement d’un mouvement politique. Notre génération a un philosophe. Ce n’est pas un artiste, ou un écrivrain professionnel. C’est un programmeur. »

Stallman n’est pas seulement le philosophe et la conscience (peut-être accidentels) du mouvement du logiciel libre, mais il est aussi considéré comme le hacker ultime, ayant contribué à de nombreux outils de base sans lesquels Linux n’aurait pu exister. Le code de Stallman réprésente l’une des contributions individuelles les plus importantes des distributions Linux classiques. Beaucoup de développeurs considèrent Emacs, le premier grand logiciel créé par Stallman, comme le système d’exploitation ultime au sein d’un système d’exploitation. Les outils GNU écrits par Stallman et la FSF (en particulier le compilateur GNU gcc) étaient les pré-requis pour construire le noyau qui deviendra Linux.

La plus grande réalisation de Stallman, la licence publique générale GNU (GPL), a amené beaucoup de bénéfices tout autant aux utilisateurs qu’aux développeurs, certains n’ayant même pas été nécessairement prévus au moment de sa création. La licence et son préambule sont une présentation en profondeur du but poursuivi par Stallman, de libérer le logiciel de chaînes propriétaires qui l’entravent, et de permettre aux hackers (dans le sens premier du mot, « un programmeur enthousiaste qui partage son travail avec les autres ») d’avoir la liberté de développer, d’améliorer et de partager leur code.

L’ingrédient essentiel de la GPL est le concept de Copyleft, qui utilise la puissance du copyright pour garantir qu’un logiciel libre restera libre. Le Copyleft inverse la loi du copyright en déclarant qu’un logiciel adapté d’un logiciel GPL et distribué au public doit rester aussi libre que la version du logiciel dont il est l’adaptation. La beauté de la GPL, comme tout développeur logiciel chevronné le reconnaîtra, c’est que, comme un morceau de code élégamment écrit, elle possède une simplicité et une transparence intrinsèques. La licence remplit ses objectifs, de protéger et de promouvoir les principes du logiciel libre, sans ambiguïté ni compromis, et reflète en cela la détermination et la personnalité de Stallman, qui par sa volonte a crée GNU, la GPL et le mouvement du logiciel libre.

Pour mesurer la réussite de Stallman, il suffit de voir comment la GPL a fait évoluer les mentalités dans l’industrie du logiciel. A l’origine le logiciel libre, extension des idéaux de Stallman appris au laboratoire d’I.A. du MIT au début des années 70, a été rejeté comme étant improbable et impraticable – une aire de jeu pour hackers, hippies et geeks – mais contre toute attente, le logiciel libre est devenu un paradigme acceptable pour le développement de logiciel, et la communauté perdue et tourmentée des hackers a enfin trouvé une maison.

« Vous ne changez pas les choses en vous battant contre la réalité. Pour changer quelque chose, construisez un nouveau modèle qui rend l’ancien modèle obsolète » – R. Buckminster Fuller

Richard Hillesley

Notes

[1] Crédit photo : Chrys (Creative Commons By)

[2] Richard Stallman: High School Misfit, Symbol of Free Software, MacArthur-Certified Genius (Richard Stallman  : l’excentrique du lycée, Symbole du logiciel libre, Génie certifié par Mac-Arthur)




Richard Stallman en grande forme (conférence à l’ENST le 3 avril 2007)

Que ce soit en direct dans la salle ou en différé sur le net, je commence à avoir pas mal de conférences générales sur le logiciel libre de Richard Stallman au compteur. Il faut dire que le bonhomme pour apprécier la France y revient souvent et s’exprime dans un français plus que correct (espèce étrangère en voie de disparition ?).

A priori on a l’impression d’assister toujours à la même conférence. Et celle que nous vous présentons en vidéo ci-dessous donnée mardi 3 avril 2007 dernier à l’ENST (École nationale supérieure des télécommunications) n’échappe à la règle. Chaussures ôtées et plus beau tee-shirt exhibé, on se retrouve invariablement avec la même entame (dont je ne me lasse toujours pas) : « Je puis expliquer le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité… » (sous vos applaudissements). Idem pour la conclusion du reste (dont je commence à me lasser) : « …J’ai des autocollants, des pins et des porte-clé à vendre ». Sacré Richard !

Et pourtant, variation sur le même thème, elles ont toutes un petit quelque chose qui les distingue des précédentes. Voici ce qu’écrivait récemment un spectateur de cette conférence sur la liste de diffusion de l’APRIL. Je recopie d’autant plus volontiers cet extrait qu’il exprime bien ce que je voulais dire.

J’ai entendu RMS plusieurs fois depuis 1998. C’est toujours la même histoire mais elle est à chaque fois amendée, corrigée, complétée, modifiée, avec de nouvelles références et des éléments d’actualité…

Mardi soir il a présenté cette histoire sous un jour très nouveau et original, qui me semble intéressant pour sensibiliser le grand public (…) et lui faire comprendre concrètement l’intérêt du LL pour lui. C’était construit, tout était utile/indispensable, la boucle était bouclée. Tout cela à partir des mêmes grandes lignes de réflexion remontant à 1983/4.

Vous voulez un exemple d‘élément d’actualité de la conférence de l’ENST ? Point d’impatience, il suffit d’attendre… la deuxième phrase. Ce qui donne : « Je puis expliquer le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité. Trois principes que le gouvernement actuel de la France ne respecte plus…» No comment !

Toujours est-il qu’effectivement mardi soir et pour une heure environ c’était du grand Stallman (ou RMS pour les intimes). Définition et historique du logiciel libre (ou LL pour les intimes), différence avec le logiciel privateur (terme qu’il semble désormais privilégier à logiciel propriétaire), du danger des DRM et des brevets, différence entre son approche et celle de Linus Torvalds, différence entre Logiciel Libre et Open Source (quand l’un parle d’éthique et de liberté l’autre insiste plutôt sur rentabilité, efficacité et rentabilité), pourquoi il faut dire GNU/Linux et non Linux tout court, un point sur l’emploi, un autre sur l’éducation (et sa mission morale et sociale), un clin d’œil aux droits de l’homme… tout y était.

Pédagogie et vulgarisation de haute volée, une conférence que je vous invite à voir et à faire passer à vos proches qui seraient susceptibles d’être intéressés par un sujet qui dépasse en fait aujourd’hui le stricte cadre du logiciel libre pour ne pas être loin de proposer un véritable projet de société.

—> La vidéo au format webm




Mais pour qui vote le libriste ?

Difficile d’échapper à l’élection présidentielle française en ce moment. Alors je vais y aller moi aussi de mon petit couplet et d’oser vous proposer ma très fine analyse sociologico-politique à une question que vous ne vous posez pas en m’appuyant pour cela sur deux sondages en rien comparables. Vous voici donc prévenu, et si vous poursuivez la lecture de ce superficiel billet ce n’est plus de ma faute.

Kézako un libriste ?

Première difficulté c’est quoi un libriste ? Le jargon français a sa petite idée.

Libriste - Jargon Français

Un libriste serait donc un fan du logiciel libre, un peu comme on serait fan de Johnny Hallyday en somme. On a échappé au Partisan du librisme mais ça reste tout de même peu satisfaisant. Et puis il y a cette précision qui interpelle au risque de produire son effet contraire : Le terme est positif. Ouf ! nous voici rassurés parce que quand le terme est négatif ça donne généralement l’équation suivante : libriste = intégriste du libre, qui, d’après ses détracteurs, voudrait rendre libre à peu près tout ce qu’il touche au mépris le plus élémentaire du pragmatisme situationiste de nos habitudes et des règles économiques du marché.

Bon, bref, passons, ne nous écartons pas du sujet (parce qu’il y aurait beaucoup à dire sur ces habitude et ces règles du marché) et faisons un choix. On va réduire ici le libriste à… un visiteur du célèbre site linuxfr. Voilà, ça vaut ce que ça vaut, mais ça m’arrange pour la suite.

Deux sondages

Le premier sondage est tout ce qu’il y a de plus classique et pour tout vous avouer je l’ai pris un peu au pif pourvu qu’il fut récent. Il s’agit d’une enquête Ipsos/DELL difusée par SFR et Le Point auprès de 1300 personnes interrogées par téléphone le 7, 9 et 10 avril sur leur intention de vote au premier tour.

Sondage Ipsos/DELL Présidentielle

Le second est plus original puisqu’issu du site LinuxFr (vous savez, le repaire de… libristes). Il est toujours en cours et compte, en ce doux mercredi 11 avril à 23h41, exactement 2677 votes.

Sondage LinuxFr Présidentielle

Si on lui écarte les réponses qui ne correspondent pas à des votes pour des candidats, et ceci afin de pouvoir mieux le comparer au sondage précédent, ça donne alors : Royal : 24,8 %, Bayrou : 44,4 %, Sarkozy : 14,2 %, autre de gauche ; 13,8%, autre de droite ; 2,8%.

Subjectif comparatif

Les sondages, blabla, on n’a pas attendu 2002 pour cela, c’est à prendre avec des pincettes, ils ne disent que ce qu’on veut bien leur faire dire, tout ça… Ok, j’en conviens fort bien. Tout comme je reconnais, mais c’est assumé et apprécié, que les sondages LinuxFr sont beaucoup plus un pretexte à convivialité et échanges (décontractés) qu’un truc véritablement sérieux. Il suffit de consulter la liste des sondages précédents pour s’en convaincre dont le passionnant Combien de bouton(s) possède(nt) votre souris ?

Il n’empêche qu’il y a tout de même quelques différences notables entre les deux études. Alors moi, ni une ni deux, faisant fi de la moindre rigueur scientifique, d’en tirer pour notre libriste les quelques enseignements / hypothèses / élucubrations suivant(e)s.

  • Le libriste ne vote pas comme le français moyen
  • Le libriste vote deux fois plus pour Bayrou et deux fois moins pour Sarkozy que le français moyen (Royal restant stable)
  • L’axe Bayrou-Royal totalise un peu plus des 2/3 des votes ce qui tendrait à ancrer le libriste au centre gauche
  • L’axe Bayrou tout seul s’approche des 50%
  • Question connexe : Si, parait-il, Bayrou est le favori des bobos, est-ce que le libriste est lui-même un bobo ?
  • L’extrême droite est marginale chez le libriste
  • L’extrême gauche n’est pas marginale mais son score ne suffit pas à démontrer que le libriste est majoritairement un gauchiste révolutionnaire altermondialiste (comme on peut parfois le lire çà et là)
  • Le libriste s’exilera à Bangalore si Sarkozy passe

Le propos reste à affiner

Soit. Admettons cette dissymétrie. On peut alors se demander en quoi les prises de position des candidats vis-à-vis du logiciel libre influence directement le vote de notre libriste. Y accorderait-il la même importance que celles concernant l’éducation, l’économie, le chômage, l’Europe, tout ça ? Cela pourrait expliquer que Bayrou soit sa coqueluche et Sarkozy son mouton noir parce que l’un a défendu publiquement très tôt le logiciel libre tandis que l’autre se fait plutôt discret sur le sujet.

C’est possible mais ce serait un peu réducteur. Il est cependant plausible que les prises de position des candidats sur les nouvelles technologies et la société de l’information dans son ensemble (dont le récent débat autour de la DADVSI) touchent notre libriste tout comme elles touchent, et c’est logique, l‘internaute moyen (qui lui se distingue du français moyen en ce que ce dernier n’est connecté qu’à 44% au net). C’est ce que laisserait à penser un autre sondage réalisé sur le site d’Agoravox le média citoyen (la révolte du pronétariat, le cinquième pouvoir, tout ça…) dont les résultats sont très proche de ceux de LinuxFr.

Libristes et agoravoxiens, même combat donc ici. Peut-on alors étendre ces préférences au net francophone tout entier ? Et de se souvenir qu’en 2005 internet avait majoritairement dit non au référendum français sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe avec le résultat final que l’on sait…




Linux : toujours libre mais moins « bénévole » ?

GNU/Linux - ContributeursUn bon gros troll bien poilu ? Non plutôt une interrogation furtive sur le caractère réel ou mythique du logiciel libre qui serait, dit-on, principalement développé par des bénévoles passionnés[1] sur leur temps libre.

Après une étude assez poussée des principaux contributeurs de la dernière version du noyau Linux, la 2.6.20, un récent article de LWN.net intitulé Who wrote 2.6.20? affirme :

at least 65% of the code which went into 2.6.20 was created by people working for companies

Au moins 65% du code inclu dans le noyau 2.6.20 a été créé par des personnes travaillant pour des sociétés.

C’est plus une conjecture qu’une réelle affirmation parce qu’il n’est pas toujours aisé de déterminer l’origine des contributeurs, ni de savoir si ils ont participé sur leur temps de travail ou non. La méthode de l’auteur est avant tout de prendre la terminaison de l’adresse mail des contributeurs. Si elle se termine par ibm.com alors il le fait entrer dans la catégorie "IBM". Si une telle adresse fait défaut mais qu’il est de notoriété publique qu’un tel travaille pour un tel alors il est mis lui aussi dans une case. Il va même jusqu’à envoyer directement un mail à certains contributeurs pour en savoir plus sur leur appartenance.

Cette hypothèse de travail vaut ce qu’elle vaut mais du coup l’article exhibe des tableaux avec une minorité de bénévoles (le champ None) et une majorité d’employés (pour des sociétés telles qu’IBM, Red Hat, Novell, Google, Intel, Nokia, Oracle, HP, etc..). Ce qui sous-entend que ces personnes ont développé sur leur temps de travail et donc ont été payées pour cela par leur employeur.

Il me semble évident que la majorité des logiciels libres sont encore le fruit du travail bénévole de développeurs sur leur temps libre (comme il semble tout aussi évident qu’on ne sait plus très bien ce qu’est un bénévole et son temps libre à l’ère de la société de l’information où heures de bureau et heures de travail ne coïncident plus vraiment).

Mais est-ce encore le le cas pour les gros gros projets comme le sont devenus Linux, Mozilla ou OpenOffice.org ? Et comme ce sont justement ces exemples-là qui sont le plus souvent cités pour expliquer et illustrer le logiciel libre au néophyte, ne devrions-nous pas nuancer cette image un peu romantique des développeurs bénévoles connectés les uns les autres via le réseau pour produire seuls un logiciel libre de haute qualité ?

Ne serait-il pas plus conforme à la réalité d’évoquer désormais pour eux une sorte de coopération ou convergence d’intérêts entre une communauté de bénévoles et des sociétés commerciales classiques pour produire de toutes les façons quelque chose d’ouvert qui reste dans le pot commun ?

Finalement le seul gros projet libre qui reste majoritairement bénévole ne serait-il pas… Wikipédia ?!

Notes

[1] On pourra lire à ce sujet L’Éthique hacker de Pekka Himanen.