21 degrés de liberté – 03
Voici déjà le 3e article de la série écrite par Falkvinge. Le fondateur du Parti Pirate suédois s’attaque aujourd’hui à la question de la publication sous anonymat. Une traduction du groupe Framalang, qui a trouvé intéressant de soumettre à votre réflexion les 21 articles qu’il a publiés récemment.
Son fil directeur, comme on peut le voir clairement dans les épisodes précédents que nous vous avons déjà livrés, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.
Nous nous efforcerons de vous traduire ces articles, semaine après semaine. Les commentaires, comme toujours, sont ouverts.
De l’analogique au numérique : publier un message public anonymement
par Rick Falkvinge
source : https://falkvinge.net/2017/12/20/analog-equivalent-rights-posting-anonymous-public-message/
Traduction Framalang : wyatt, Penguin, mo, draenog, simon, goofy et 2 anonymes.
Les libertés tenues pour acquises pour nos parents ne le sont pas pour nos enfants – beaucoup d’entre elles ont disparu au cours de la transition vers le numérique. Aujourd’hui, nous traiterons de l’importance de pouvoir publier un message public anonymement.
Quand j’étais adolescent, avant l’Internet (si, vraiment), il y avait ce que l’on appelait des BBS – Bulletin Board Systems. C’était l’équivalent numérique d’un panneau d’affichage, une sorte de panneau en bois dont le but est d’afficher des messages pour le public. On peut considérer les BBS comme l’équivalent anonyme des logiciels de webforums actuels, mais vous vous connectiez au BBS directement depuis votre ordinateur personnel via une ligne téléphonique, sans avoir à vous connecter à Internet au préalable.
Les panneaux d’affichage sont encore utilisés, bien entendu, mais principalement pour la promotion de concerts ou de mouvements politiques.
Au début des années 90, des lois étranges ont commencé à entrer en vigueur un peu partout dans le monde sous l’influence du lobbying de l’industrie du droit d’auteur : les propriétaires d’un BBS pouvaient être tenus responsables de ce que d’autres personnes avaient publié dessus. La suppression de la publication dans un délai de sept jours était l’unique possibilité afin d’éviter toute poursuite. Une telle responsabilité n’a pas d’équivalent analogique ; c’est une idée complètement ridicule que le propriétaire d’un bout de terrain soit tenu responsable pour une affiche apposée sur un de ses arbres, ou même que le propriétaire d’un bout de carton public puisse être poursuivi en justice pour des affiches que d’autres personnes auraient collées dessus.
Reprenons encore une fois : d’un point de vue légal, il est extrêmement étrange qu’un hébergeur électronique soit, de quelque manière que ce soit, responsable des contenus hébergés sur sa plateforme. Cela n’a aucun équivalent analogique.
Bien sûr, les gens peuvent placarder des affiches analogiques illégales sur un panneau d’affichage analogique. C’est alors un acte illicite. Quand cela arrive, le problème est celui du respect de la loi mais jamais celui du propriétaire du panneau d’affichage. C’est une idée ridicule qui ne devrait pas exister dans le monde numérique non plus.
L’équivalent numérique approprié n’est pas non plus de demander une identification pour transmettre les adresses IP des personnes qui postent aux forces de l’ordre. Le propriétaire d’un panneau d’affichage analogique n’a absolument pas l’obligation d’identifier les personnes qui utilisent le panneau d’affichage, ni même de surveiller si on l’utilise ou non.
L’équivalent du droit à la vie privée analogique pour un hébergeur de contenus est que l’utilisateur soit responsable de tout ce qu’il publie à destination de tous, sans aucune responsabilité d’aucune sorte pour l’hébergeur, sans obligation pour lui de pister la source des informations publiées pour aider les forces de l’ordre à retrouver un utilisateur. Une telle surveillance n’est pas une obligation dans le monde analogique de nos parents, de même qu’il n’y a pas de responsabilité analogique pour du contenu publié, et il n’y a aucune raison qu’il en soit autrement dans le monde numérique de nos enfants, uniquement parce que certains ne savent pas comment gérer une entreprise autrement.
Accessoirement, les États-Unis n’existeraient pas si les lois actuelles de responsabilité d’hébergement avaient été mises en place au moment de leur création. À l’époque, de nombreux écrits qui circulaient revendiquaient la rupture avec la couronne anglaise et la formation d’une république indépendante. D’un point de vue légal, cela correspond à de l’incitation et de la complicité pour haute trahison. Ces écrits étaient couramment cloués aux arbres et sur les lieux d’affichages publics pour que la population les lise et se fasse sa propre opinion. Imaginez un instant que les propriétaires des terrains où poussaient ces arbres aient été poursuivis pour haute trahison suite à du « contenu hébergé ». L’idée est aussi ridicule dans le monde analogique qu’elle l’est dans le monde numérique. Il nous faut seulement nous défaire de l’illusion que les lois actuelles d’hébergement numérique ont du sens. Ces lois sont réellement aussi ridicules dans le monde numérique de nos enfants qu’elles l’auraient été dans le monde analogique de nos parents.
La vie privée reste de votre responsabilité.